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La désillusion de l’égalité

Homme/Femme

S
efrou. Janvier 2018. Six heures du matin. Rues désertes. Le
thermomètre effleure moins trois degrés. Dans la pénombre et la gelée,
ses mains dégèlent sur un petit feu. Elle se les frotte, non de joie ou de
satisfaction, mais de froid et d’amertume. Aïcha, comme tous les jours, s’est
levée de bonne heure. La veuve s’arrachait péniblement d’un lit aride
qu’autrefois avaient parsemé amour et rires. Son bonhomme venait de la quitter,
atteint de méningite siphonnant sa tête et ses poches. Il ne la laissait sortir du
foyer, où elle était couvée de ses yeux, reine de son cœur et de ses bras, que pour
la divertir ; et tous les deux formaient le ménage parfait, encore que jalousé.

Je m’oubliais à contempler le mouvement onduleux de ses doigts qui préparaient


du m’semen, galettes en pâte feuilletée, de forme carrée. Et il fallut qu’elle
m’appelât plusieurs fois, avec un sourire bienveillant, pour m’extirper de mes
méditations. Aouïcha, comme ses voisines la dénommaient, avait une fille gâtée.
La pauvre maman s’est mise en quatre afin de l’intégrer dans une école
d’ingénieurs, dut faire la guerre pour que la rue de la Paix devînt son adresse.
Objectif réalisé. Parcours finalisé. La demoiselle, embauchée et débauchée en
même temps, victime du prosélytisme féministe, coupa le cordon avec sa mère.
Depuis son enfance, l’ingrate manifestait les symptômes d’un ego déréglé,
boudant devant la réussite des autres et son échec. Elle ne voulait entendre que
son nom de la bouche de ses professeurs : Ahlam. Traduit de l’arabe, ça veut
dire rêves. Malheureusement, après son départ, au giron maternel, il n’y a que
cauchemars. Aïcha aurait pu emprunter le fameux raccourci vers lequel les
mimate 1 affluent : la prostitution. Mais elle ne faisait que concrétiser l’adage
arabe : « la femme libre aura faim et ne mangera pas avec ses seins. »

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Pluriel de mima, diminutif de maman, c’est un fruit de la cité, où les banlieusards l’utilisent
pour désigner une large catégorie de femmes : veuves, divorcées ou mariées à des cocus.
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La désillusion de l’égalité
Homme/Femme

Je sentis des gouttelettes creuser leur sillon à travers mes joues rougies. Du
menton, elles dégoulinaient sur la table, celle où je vins de perdre appétit en
écoutant les détails de ce drame à la marocaine. Et dire qu’un homme ne peut
pleurer, chiche ! « Car il y a des pierres d’où jaillissent les ruisseaux, d’autres
se fendent pour qu’en surgisse l’eau, d’autres s’affaissent par crainte d’Allah 2.»
Vous n’en croirez pas vos yeux, si jamais la science arrive à mesurer la densité
d’émotions chez les êtres humains, le cœur du musulman lui servira de modèle
et de matière. Mais qu’est-ce que je chante ? Ces fanatiques qu’on devrait se
boucher le nez en croisant3 ; ces voiles soumis pourraient pleurer autre chose
que la mort de leurs enfants, dommages collatéraux d’un raid aérien ? Bah ! oui,
mon pote.

Baignés dans une spiritualité débordante, entre les Mains du Seigneur,


confessant nos fautes, n’ayant besoin ni d’abbés ni de rabbins, sans aucun
intermédiaire chelou, il pleut des larmes et du repentir. Cependant le tir n’est pas
encore terminé. Et dans le monde réel au même titre que sur le virtuel, les obus
continuent à dégringoler, exterminant tout regard critique, impartial.
Ce sentiment, fondé, de supériorité, qui enfante à la fois notre fierté et notre
fermeté, casse la baraque à un autre, cette fois infondé, d’un peuple (ou
plusieurs) envers une minorité religieuse, raciale, etc. Tout se passe comme si
famine, sécheresse et ignorance sont dépassées : il ne reste que le «problème
musulman». En quoi la charia les fait pisser dans leur froc, à ces médias et
politiciens acharnés, partis en croisade contre un hijab qui, dans leurs jumelles
tournées en sens inverse, « empêchent les femmes d’être ce qu’elles sont » ?

Certes je dénonce les carnages, les danses macabres et les mutilations perpétrés
par quelques barbus parlant au nom d’un islam que je ne connais point. Mais les
mettre dans le même panier avec les musulmans, les vrais, passe pour une
généralisation abusive. C’est l’amalgame. Plutôt sophisme. Et en essayant de
l’appliquer, le résultat est le suivant : Zemmour est français ; or ce dernier dit
n’importe quoi, s’érigeant sans complexes en expert de l’islam ; donc tous les
français ne dérogent pas à la règle et se voient en droit de se convertir en
zemmourisme, la religion en vogue à l’hexagone comme ailleurs.

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Le Saint Coran ; Sourate Al-Baqara (La Vache) ; Verset 74
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Propos tenus par la présentatrice Léa Salamé
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La désillusion de l’égalité
Homme/Femme

II

Al-Hoceïma. Mi-août. L’air qu’entame une cigale réchauffée annonce une


journée caniculaire. La salle est pleine à craquer. Des figures présentes
découlent des flots de sueur mélangés avec des fards de toutes les couleurs.
Apparemment, l’on dirait les coulisses de quelque comédie voulue intrigante.
Pas du tout ! attendue comme le messie, Ahlam vient de faire son apparition sur
la scène où elle est applaudie par des centaines de mines chagrines. Le silence
régnant, la fille de Aouïcha enlève ses lunettes qui cachent ses cernes de la
même manière que font les fonds de teint se succédant sous ses yeux. La voix
enrouée à force d’avaler liqueurs et fumer joints et pipe, l’emblème de la lutte
pour l’égalité homme/femme commence son panégyrique d’une femme forte,
indépendante, autonome n’ayant guère besoin d’un mâle ridicule, dominant,
voire tyran. Peut-être s’agit-il de l’effet d’alcool ; ou à plus forte raison, devenue
schizophrène, elle oublie vite les pipes qu’elle donne la nuit à ses amants.

Discours terminé. Poison inoculé. Débandade. La missionnaire prend son


téléphone, écrit un message, l’envoie à º mon orgasme º : pseudonyme par lequel
elle s’amuse à appeler Karim, tête de liste voluptueuse, pipe numéro un.
Reçu : « Tu me manques. Ce soir. Dans notre paradou 4 . Moi et toi… »
À la recherche d’un mirage appelé égalité, hypnotisées par un occident
enchanteur, plusieurs filles ont perdu leur pudeur, leur virginité, leur grâce, enfin
ce qui donnait sens à leur féminité. Que l’on m’accuse de sexisme, ça va sans
dire, parce que j’ai garroté, va-t-on me reprocher, lié le genre féminin seulement
au sensationnel, lui attribuant l’image d’une créature faible, enfermée dans un
couvent lointain. Pourtant c’est en cela même, c’est-à-dire grâce à la machine
émotionnelle dont il est doté, à son tempérament pété rapidement durant son
cycle menstruel, à ses pas furtifs à travers la foule, que cet être cher séduit.

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Contraction du substantif paradis et de l’adjectif doux.
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La désillusion de l’égalité
Homme/Femme

Contrairement à Freud qui ne considère la femme qu’en tant que ventre à


procréer ; à Hippocrate qui dit qu’elle est une maladie ; à une bible qui lui a
collé l’origine du péché… allons-y explorer sa place dans l’Islam :
« Et parmi Ses signes [d’Allah] Il a créé de vous, pour vous, des épouses pour
que vous viviez en tranquillité avec elles et Il a semé entre vous de l’affection et
de la bonté. Il y a en cela des preuves pour des gens qui réfléchissent 5 . »
Quid du prophète (que le Salut et la Paix soient sur lui) ? Rapporté par Aïcha
son épouse, dans son inventaire des hadiths authentiques, connu de sounan
Abou-Daoud, ce dernier mentionne qu’il déclara : « les femmes sont égales aux
hommes. »

Je contredis donc ces fast-thinkers 6 , invités sur des plateaux mercenaires,


pérorant pendant des heures à propos des conditions de vie des musulmanes ?
Oui. Tout comme la laïcité, l’Islam possède un socle théorique que seule une
minorité réussit à mettre en branle, à mener à bien sans être épris d’une
interprétation radicale. Et ce n’est pas au mode d’emploi qu’il faut s’en prendre,
mais aux mauvais usagers. Puisse cette plaidoirie produire une révolution
symbolique, non pas au sens où elle soit de facto. Mais au sens de l’effet Manet,
remettant en question des a priori à la fois faussement vrais et vraiment faux.

À bon entendeur !

Amine ELGHIAT

5
Sourate Ar-Roum (les Romains) ; verset 21
6
Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Paris, Liber éditions, 1997
5

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