Vous êtes sur la page 1sur 19

CERTAINS NAISSENT DE FAÇON POSTHUME : LA SURVIE

D'HENRI LEFEBVRE
Traduit de l'anglais par Élise Charron et Vincent Charbonnier
Stuart Elden

Presses Universitaires de France | « Actuel Marx »

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France
2004/2 n° 36 | pages 181 à 198
ISSN 0994-4524
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France

ISBN 9782130546894
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
http://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2004-2-page-181.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :


--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Stuart Elden, « Certains naissent de façon posthume : la survie d'Henri Lefebvre. Traduit de
l'anglais par Élise Charron et Vincent Charbonnier », Actuel Marx 2004/2 (n° 36), p. 181-198.
DOI 10.3917/amx.036.0181
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France.


© Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des
conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre
établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière
que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en
France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France
Certains naissent de façon posthume :
la survie d’Henri Lefebvre *
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France

Stuart ELDEN
traduit de l’anglais par Élise Charron et Vincent Charbonnier

A sa mort en juin 1991, Henri Lefebvre lègue un remarquable


héritage en termes d’œuvre écrite. Plus de soixante livres individuels,
retraçant une recherche originale, des éditions des œuvres de Marx,
Hegel, Lénine ainsi que quelques ouvrages publiés sous sa direction. A
cela s’ajoutent des contributions à des volumes collectifs et de nom-
breux articles, disséminés dans une multitude de revues et de journaux,
nombre d’entre eux traitant de sujets non débattus dans ses écrits plus
anciens, qui augmentent cet héritage.
Des notes de conférences, restées à ce jour inédites, traitaient aussi
de thèmes divers, comme la sexualité. Comme lui-même le dit en 1975,
« J’écris beaucoup, beaucoup plus que je ne publie, mais je ne me
considère pas comme un écrivain » 1. Malgré ce démenti, c’est sans au-
cun doute surtout pour ses écrits qu’on se souviendra de Lefebvre. Bien
qu’il écrive dans un style provocateur, variable, alternativement ins-
tructif et conversationnel, riche en digressions, attaques gratuites diri-
gées contre d’autres auteurs et un grand éventail de références histo-
riques, contemporaines et littéraires, il n’en reste pas moins toujours
stimulant. Il fut toujours un auteur engagé, avec un objectif politique
qui peut être perdu de vue quand le contexte de l’écriture est oublié.
Comme il le dit : « J’écris et surtout je publie toujours en pensant à un
objectif, pour convaincre et vaincre » 2.
Peu après sa mort, parurent deux autres petits ouvrages : une série
d’entretiens tenus dans sa maison des Pyrénées et Éléments de rythma-

* Les mots suivis d’un astérisque sont en français dans le texte (NdT).
1. Le temps des méprises, Paris, Stock, 1975, p. 9.
2. Le temps des méprises, op. cit., p. 9.
182 STUART ELDEN

nalyse, un projet qui lui tenait à cœur depuis longtemps et qui avait été

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France
la grande affaire des toutes dernières années de sa vie 3. Rythmanalyse
fut pour partie un travail de collaboration, le développement de deux
textes co-écrits avec sa femme, Catherine Régulier 4, bien que l’ouvrage
ne porte que le nom de Lefebvre sur la page de titre ; il fut édité et in-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France

troduit par René Lourau 5. Tout à la fin de sa vie, Lefebvre revient à


plusieurs de ses thèmes plus anciens – la vie quotidienne, le rural et
l’urbain – et les repense à travers la notion de rythme. Les rythmes sont
« historiques mais aussi quotidiens, “au plus près du vécu” » 6. Le point
sur lequel il insiste est que le projet rythmanalytique souligne l’impor-
tance de concevoir l’espace et le temps ensemble, en dépit de la
manière habituelle de les tenir complètement séparés 7. « Pas de rythme
sans répétition dans le temps et dans l’espace, sans reprises, sans re-
tours, en bref, sans mesure » 8. Le travail sur la rythmanalyse, qui étu-
die le changement à travers le temps et l’espace, est à la fois le point
culminant du travail sur la vie quotidienne et un retour à l’analyse des
paysages urbains. Philosophiquement fondé et politiquement orienté,
c’était une fin appropriée à l’ensemble de son œuvre.
Avec la publication de Rythmanalyse, l’intérêt français pour
Lefebvre sembla disparaître en même temps que l’homme. Un numéro
spécial de la revue Espaces et sociétés en 1994 offrit un hommage à son
œuvre, numéro en grande partie influencé par la réception de la traduc-
tion anglaise de La Production de l’espace. Mais Espaces et sociétés
était une revue que Lefebvre avait fondée avec le spécialiste de l’URSS
Anatole Kopp en 1970 9. D’autres textes furent publiés dans la revue M
(Mensuel, Marxisme, Mouvement), une autre revue qu’il avait contribué

3. Patricia Latour et Francis Combes, Conversation avec Henri Lefebvre,


Paris, Messidor, 1991 ; Éléments de rythmanalyse : Introduction à la connaissance
de rythmes, Paris, Syllepse, 1992. Pour la longue gestation de Rythmanalyse, voir
Critique de la vie quotidienne II : Fondements d’une sociologie de la quotidien-
neté, Paris, L’Arche, 1961, p. 233 ; Critique de la vie quotidienne III : De la
modernité au modernisme (Pour une métaphilosophie du quotidien), Paris,
L’Arche, 1982, pp. 17, 128-35.
4. Henri Lefebvre et Catherine Régulier, « Le projet rythmanalytique »,
Communications, n° 41, 1995, pp. 191-199 ; « Essai de rythmanalyse des villes
méditerranéennes », Peuples méditerranéens, n° 37, octobre-décembre 1986, repris
dans Éléments de rythmanalyse, pp. 97-109.
5. René Lourau, « Henrisques », Éléments de rythmanalyse, op. cit.,pp. 5-10.
6. Éléments de rythmanalyse, op. cit.,p. 97.
7. Pour exemple, Éléments de rythmanalyse, op. cit.,pp. 71, 109.
8. Éléments de rythmanalyse, op. cit.,p. 14.
9. « Actualités de Henri Lefebvre », présenté par Monique Coornaert et Jean-
Pierre Garnier, Espaces et sociétés, n° 76, 1994, pp. 3-145.
CERTAINS NAISSENT DE FAÇON POSTHUME : LA SURVIE D’HENRI LEFEBVRE 183

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France
à créer. Les actes d’un colloque furent publiés en 1996 10. Puis, pendant
environ cinq ans, presque rien sur cet auteur en France, alors que dans
le même temps l’intérêt pour son œuvre demeurait élevé et croissait
dans d’autres pays – Grande-Bretagne, Etats-Unis, Brésil et Allemagne,
par exemple.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France

Tout cela a complètement changé ces dernières années, avec de


nombreuses rééditions de livres de Lefebvre, accompagnées de nou-
velles introductions ou préfaces accompagnant la publication de manus-
crits inédits. Bien que certains de ses textes soient toujours disponibles
parmi lesquels les classiques Le marxisme et Le matérialisme dialec-
tique, ainsi que d’autres, de manière plus erratique, beaucoup restèrent
indisponibles durant des décennies. Ce travail de réédition est, de ce
fait, depuis longtemps attendu et il revêt une importance particulière. Il
faut noter que durant sa vie, plusieurs des livres de Lefebvre ont été re-
publiés, souvent dans de nouvelles éditions avec de nouveaux maté-
riaux. Ces derniers prenaient habituellement la forme de préfaces qui
resituaient le livre dans son contexte ou bien livraient des réflexions sur
ce contexte lui-même. Étant donné que les ouvrages de Lefebvre étaient
des documents politiques engagés dans la lutte contre le fascisme et le
nationalisme, mais aussi des écrits de combats internes au PCF, au mar-
xisme occidental et à la société française, il importe de comprendre le
cheminement de Lefebvre. Prenons l’exemple du Nationalisme contre
les nations, écrit au milieu des années 1930, dans le contexte d’une
montée du fascisme et plus globalement de la droite, comme élément du
mouvement issu du Front Populaire et de l’alternative internationaliste
venant du mouvement communiste. Une postface de 1988 montre
comment ces questions peuvent être revisitées à la lumière de la disso-
lution de l’empire colonial, de la notion de mondialisation, dans le sil-
lage de l’expérience algérienne 11.
Dans les récentes rééditions des travaux de Lefebvre, trois per-
sonnes occupent une place centrale : René Lourau, Rémi Hess et
Michel Trebitsch. Lourau fut un collègue de Lefebvre à Nanterre, et ils
se sont mutuellement référés à leurs travaux réciproques, en particulier
ceux sur l’État dans les années 1970. Lourau est mort subitement peu de
temps après l’achèvement de sa préface à la réédition du livre de

10. « Traces de futurs : Henri Lefebvre : Le possible et le quotidien », Société


Française, 1996, n° 6/56, pp. 22-43.
11. Le nationalisme contre les nations, Paris, Méridiens-Klincksieck, 2e éd.,
1988 [1937] ; « Postface à la réédition de 1988 », pp. 187-190.
184 STUART ELDEN

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France
Lefebvre sur les Pyrénées 12. Rémi Hess, qui fut le dernier étudiant en
doctorat de Lefebvre et qui publia une biographie autorisée en 1988 est,
depuis la mort de Lourau, l’homme clé, présentant plusieurs ouvrages
dans la collection qu’il dirige aux éditions Anthropos. Ses préfaces sont
importantes pour exposer les idées de Lefebvre aux jeunes générations,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France

bien qu’il y recycle considérablement des matériaux issus de ses


propres travaux. Lourau et Hess furent tous deux influents dans le mou-
vement de l’« analyse institutionnelle ». Hess décrit son projet éditorial
de la façon suivante : « Notre objectif est de permettre au lecteur d’au-
jourd’hui de pouvoir se faire une idée du mouvement de l’œuvre de l’un
des philosophes et sociologues les plus importants du XXe siècle » 13.
Mais c’est le troisième, M. Trebitsch, chercheur au CNRS jusqu’à
sa mort récente, qui est, à mon sens, le plus intéressant de ceux qui ont
écrit sur Lefebvre. Il a présenté un certain nombre de traductions an-
glaises des livres de Lefebvre, et a assuré la récente réédition française
de son ouvrage Nietzsche. Il a écrit une « Présentation » pour Le natio-
nalisme contre les nations ainsi que quelques articles extrêmement
importants sur la première partie du parcours de Lefebvre, en particulier
sur son activité dans le groupe Philosophies et sur ses relations avec le
surréalisme 14. Trebitsch privilégie une approche beaucoup plus fidèle
au(x) texte(s) et au(x) contexte(s) que Hess, utilisant les archives et
montrant comment les écrits de Lefebvre ont émergé de leur contexte.
Le « Groupe de Navarrenx » est également important dans le renouveau
de l’intérêt pour Lefebvre. Il s’agit d’un groupe de chercheurs qui
avaient l’habitude de rencontrer Lefebvre dans sa maison des Pyrénées,
et qui éditèrent un ouvrage rassemblant un certain nombre de leurs
essais sur les thèmes du contrat social et de la citoyenneté. Ce groupe
comprenait Armand Ajzenberg, Lucien Bonnafé 15, et d’autres qui ont

12. René Lourau, « L’espace Henri Lefebvre », Pyrénées, Pau, Cairn, 2e éd.,
2000 [1965], pp. 9-13. Voir « Postface de Pierre Lourau », pp. 199-202.
13. Rémi Hess, « Présentation de la troisième édition », Du rural à l’urbain,
Paris, Anthropos, 3ème édition, 2001 [1970], pp. V-XXVI, p. VI.
14. Michel Trebitsch, « Présentation », dans Le nationalisme contre les nations,
op. cit.,pp. 7-17 ; « Les mésaventures du groupe Philosophies, 1924-1933 », La
revue des revues, n° 3, printemps 1987, pp. 6-9 ; « Le groupe “philosophies”, de
Max Jacob aux surréalistes 1924-1925 », Le cahiers de l’IHTP, n° 6, novembre
1987, pp. 29-38 ; « Le groupe Philosophies et les surréalistes (1924-1925) »,
Mélusine : Cahiers du centre de recherches sur le surréalisme, n° 9, 1990, pp. 63-
75 ; « Correspondance d’intellectuels : le cas de lettres d’Henri Lefebvre à Norbert
Guterman (1935-47) », Les cahiers de l’Institut d’Histoire du Temps Présent,
n° 20, mars 1992, pp. 70-84.
15. Récemment disparu [NdT].
CERTAINS NAISSENT DE FAÇON POSTHUME : LA SURVIE D’HENRI LEFEBVRE 185

récemment lancé une revue en ligne nommée La somme et le reste,

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France
reprenant le titre de l’autobiographie de Lefebvre 16.
Dans la brève discussion qui suit des ouvrages publiés ces der-
nières années, il me semble judicieux de procéder selon un ordre
thématique 17. Je commence par la philosophie puisque Lefebvre était
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France

avant tout philosophe, et que l’examiner en détail est essentiel pour la


compréhension de son marxisme et de ses travaux sur la vie quoti-
dienne, la sociologie urbaine et rurale et la politique. Jeune membre du
groupe Philosophies, qui publia la revue du même nom ainsi que la re-
vue L’esprit, Lefebvre écrivit sur Schelling, Hegel et Nietzsche. Ceux-
ci représentèrent ses principaux centres d’intérêts jusqu’à sa découverte
du marxisme vers la fin des années 1920, ce qui amena le groupe Philo-
sophies à publier l’importante Revue marxiste. Le premier livre de
Lefebvre, co-écrit avec Norbert Guterman, fut La conscience mystifiée,
un texte hégélien et un classique du marxisme de l’entre-deux
guerres 18. Leur exposé de la conscience de classe, de la vie intellec-
tuelle, de la montée du nationalisme européen et une foule d’autres
thèmes annoncent pour une large part des questions sur lesquelles
Lefebvre allait travailler sa vie durant. Ce livre, et un texte plus ancien
intitulé « La Mystification : pour une critique de la vie quotidienne » 19,
sont également d’une importance capitale dans la compréhension des
présupposés philosophiques de ses dernières recherches.
La version du marxisme hégelien proposée dans ses textes soutient
assurément la comparaison avec Lukács, que Lefebvre et Guterman af-
firment ne pas avoir lu à l’époque. Lefebvre et Lukács devinrent plus
tard des amis, et il faut noter qu’Histoire et conscience de classe ne fut
pas traduit en francais avant 1960 20. Nous pouvons, dans une moindre
mesure, relever des similitudes avec le travail de Karl Korsch. Lefebvre
et Guterman jouent par conséquent un rôle décisif dans l’introduction
d’un nouveau type de marxisme en France, un marxisme qui a pour
référence centrale les manuscrits économiques et philosophiques mar-
xiens dits « de 1844 ». Des extraits en ont été traduits dans les années

16. Voir http://www.espaces-marx.org/SomReste.


17. Pour une discussion plus détaillée du travail de Lefebvre, voir mon livre
Understanding Henri Lefebvre : Theory and the Possible, London, Continuum,
2004.
18. Henri Lefebvre et Norbert Guterman, La conscience mystifiée, Paris,
Syllepse, 3ème éd., 1999 [1936].
19. Avant Poste, n° 2, 1933, pp. 91-107.
20. Georg Lukács, Histoire et conscience de classe : essais de dialectique
marxiste, trad. par Kostas Axelos et Jacqueline Bois, Paris, Éd. de Minuit, 1960.
186 STUART ELDEN

1920 par Guterman et ils occupaient une place de choix dans le recueil

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France
d’écrits de Marx publiés en 1934 par les deux amis 21. Dans sa présen-
tation, Lefebvre insistait sur leur importance pour la compréhension de
l’œuvre de Marx : une œuvre dont le statut apparut alors autant philoso-
phique et sociologique que politique et économique. Les manuscrits de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France

1844 représentèrent une source d’inspiration cruciale pour La cons-


cience mystifiée, qui en incluait également un extrait en guise d’appen-
dice.
La réédition de ce texte comprend, outre des préfaces de
L. Bonnafé, R. Lourau et celle de Lefebvre et Guterman pour la se-
conde édition de 1979, un court texte de Lefebvre intitulé « La cons-
cience privée », conçu comme une esquisse de suite à un projet en
plusieurs volumes intitulé La science des idéologies. Le projet fut aban-
donné en raison de nombreuses contraintes – Guterman était à New
York, la situation politique se détériorait rapidement en Europe et
d’autres centre d’intérêt apparaissaient dans leur travail – mais plusieurs
idées formulées à ce moment-là ont trouvé leur place dans des écrits
ultérieurs, en particulier La critique de la vie quotidienne de Lefebvre.
La conscience mystifiée fut une première formulation, majeure et es-
sentielle, dans la carrière de Lefebvre, et elle est capitale pour la com-
préhension de la totalité de son travail. Cela dit, rejeté par les commu-
nistes, en URSS comme en France, l’ouvrage fut, par la suite, interdit et
brûlé par les nazis.
Deux autres rééditions récentes, remontant également au début du
parcours de Lefebvre, témoignent de son implication dans les événe-
ments contemporains. L’existentialisme (1946) était une polémique, ra-
pidement écrite, sur instruction du PCF, dans le but de contrer la
popularité de Sartre (il est intéressant de noter que les Morceaux choisis
édités par Lefebvre et Guterman furent la principale source des citations
de Hegel dans L’être et le néant 22). C’est un livre hargneux, dénonçant
le mouvement existentialiste comme « la magie et la métaphysique de
la merde » 23. Il contient néanmoins quelques analyses intéressantes,
mais c’est un de ses ouvrages les moins réussis, qui courait après plu-

21. Karl Marx, « Travail et propriété privée », La revue marxiste, n° 1, février


1929, pp. 7-28 ; « Notes sur les besoins, la production et la division du travail », La
revue marxiste, juin 1929, pp. 513-538 ; Morceaux choisis de Karl Marx, Paris,
Gallimard, 1934, trad. par Henri Lefebvre et Norbert Guterman.
22. Jean-Paul Sartre, L’être et le néant : essai d’ontologie phénoménologique,
Paris, Gallimard, 1943 ; G. W. F. Hegel, Morceaux choisis, Paris, Gallimard, 1938,
trad. par Henri Lefebvre et Norbert Guterman.
23. L’existentialisme. Paris, Anthropos, 2e éd., 2001 [1946], p. 63.
CERTAINS NAISSENT DE FAÇON POSTHUME : LA SURVIE D’HENRI LEFEBVRE 187

sieurs lièvres à la fois. Lefebvre suggère que ses premiers travaux de

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France
1924 étaient de l’existentialisme avant la lettre *, qu’il a découvert le
marxisme – qui l’avait guéri de cette maladie –, et qu’il était souhai-
table que Sartre et ses compagnons fussent pareillement soignés. Il met
ses propres erreurs sur le compte de la jeunesse, mais se demande
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France

quelles sont les excuses de Sartre pour ses « présomptions juvé-


niles » 24. Le livre propose des lectures de Nietzsche, Kierkegaard,
Heidegger et Husserl, mais elles restent assez superficielles et la valeur
réelle du texte est plutôt d’ordre biographique. Lefebvre y traite en
même temps d’événements de sa vie et du contexte intellectuel de
l’après-guerre. Peut-être vaut-il mieux se remémorer cet ouvrage
comme d’un document historique.
Quoi qu’il en soit, il montre bien l’intérêt de Lefebvre pour la phi-
losophie en tant que « conscience critique » de la vie réelle 25.
L’existentialisme lui importe, non parce qu’il est simplement erroné,
mais parce qu’il représente un danger, une diversion de la lutte de
classes et de la politique révolutionnaire. Une motivation similaire par-
court son livre sur Nietzsche, publié en 1939 peu de temps avant
l’occupation. Toutefois, malgré l’affirmation de Lefebvre, son livre ne
fut pas le premier à s’opposer à la lecture fasciste, De Nietzsche à Hitler
de Nicolas l’ayant précédé 26. C’était une étude essentielle, puisque le
livre fut en effet inscrit sur la « Liste Otto » des livres interdits l’année
suivante, saisi par les forces allemandes d’occupation, et, par la suite,
détruit. Il semble qu’il ne reste de l’édition originale que très peu
d’exemplaires. Lefebvre y étudie les similitudes et les différences entre
Marx et Nietzsche, suggérant que chacun peut compléter et faire pro-
gresser la pensée de l’autre. Les deux sont vus comme des critiques de
Hegel, et en effet cette trilogie de penseurs allait occuper Lefebvre une
grande partie de sa vie 27.
Cette interprétation soutient la comparaison avec les cours de
Heidegger donnés au même moment, ou avec la réhabilitation de
Nietzsche menée par Walter Kaufmann, et elle représente une alterna-
24. L’existentialisme, op. cit., p. 20.
25. « Connaissance et critique sociale », dans Marvin Farber (ed.), L’activité
philosophique contemporaine en France et aux Etats-Unis. Tome 2. La
philosophie française, Paris, PUF, 1950, pp. 298-319, p. 298 n. 1.
26. M.-P. Nicolas, De Nietzsche à Hitler, Paris, Fasquelle, 1936. Voir Hegel,
Marx, Nietzsche ou le royaume des ombres, Paris, Casterman, 1975, p. 147 n. 5 ;
p. 46 n. 16 ; et pour une discussion, Douglas Smith, Transvaluations : Nietzsche in
France 1872-1972, Oxford, Clarendon Press, 1996, pp. 75-77.
27. Voir Hegel, Marx, Nietzsche et la fin de l’histoire, Paris, Anthropos, 2e éd.,
2001 [1970].
188 STUART ELDEN

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France
tive à La destruction de la raison de Lukács 28. En dépit des problèmes
posés par la pensée nietzschéenne, comme la nature équivoque de la
volonté de puissance et l’admiration pour quelques figures historiques
répressives, Lefebvre croit que le positif l’emporte sur ces problèmes.
Le renversement des valeurs, la critique de l’État, du nationalisme et de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France

la conscience des masses méritent d’être retenues. L’œuvre de


Nietzsche est importante pour comprendre le travail de Lefebvre sur
l’histoire, le temps, le rythme, l’espace, la différence et le rôle du vivant
et du corps. Ceci pour souligner qu’il ne s’agit pas d’un exercice
simplement académique, mais d’un essai visant à la fois à tirer profit
des idées nietzschéennes et protester contre leur appropriation politique
dominante.
Dans les années 1960, le structuralisme a été, en quelque sorte,
l’équivalent de l’existentialisme de l’après-guerre. Un mouvement radi-
cal dans la pensée qui exerça une influence considérable. Parce qu’il
proposait une nouvelle lecture de Marx, Althusser fut la cible principale
des attaques de Lefebvre, tout comme Lévi-Strauss et Foucault.
Lefebvre avait de la sympathie pour Roland Barthes qui devint un ami.
Toutefois, le volume-clé Au-delà du structuralisme ne fut pas publié
avant 1971 ; il était composé de textes parus durant la décennie
précédente, et ce positionnement était soutenu dans quelques autres ou-
vrages, notamment Langage et société, Position : contre les techno-
crates et Métaphilosophie. Ce dernier livre, réédité aux éditions
Syllepse en 2001, est aussi la formulation philosophique la plus impor-
tante et la plus aboutie de Lefebvre 29.
Métaphilosophie convoque un large éventail de références
– incluant Marx, Hegel, et Nietzsche, mais aussi, et de manière signifi-
cative, Heidegger – dans la perspective d’une actualisation de la 11ème
Thèse sur Feuerbach de Marx. Il s’agit de changer le monde plutôt que
de simplement l’interpréter, mais ce changement est nourri et se cons-
truit à partir de la philosophie. Lefebvre se demande ce que pourrait si-
gnifier « “réaliser”, “surmonter”, “dépasser” la philosophie (Marx,
Nietzsche, Adorno, Heidegger) », et s’intéresse à la façon dont cette
pensée, qui prolonge la philosophie traditionnelle, se rapporterait au
monde. La métaphilosophie n’est pas simplement une post-philosophie,

28. Martin Heidegger, Nietzsche, Tubingen, Pfullingen, deux volumes, 1961 ;


Walter Kaufmann, Nietzsche : Philosopher, Psychologist, Antichrist, Princeton,
Princeton University Press, 4e ed., 1975 [1950] ; Georg Lukács, La destruction de
la raison, trad. par René Girard, André Gisselbrecht, Joël Lefebvre, et Edouard
Pfrimmer, Paris, L’Arche, 2 vol., 1954-1955.
29. Métaphilosophie, Paris, Syllepse, 2e éd., 2001 [1965].
CERTAINS NAISSENT DE FAÇON POSTHUME : LA SURVIE D’HENRI LEFEBVRE 189

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France
mais s’apparente plutôt à une métamorphose 30. Elle vise quelque chose
de plus que l’Aufheben hégélo-marxien et quelque chose de mieux que
l’Überwinden nietzschéen 31. Mais le devenir-monde de la philosophie,
va simultanément au-delà de l’être-là de ce monde. Comme Marx
l’affirme dans l’un de ses premiers textes : « le devenir-philosophie du
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France

monde est en même temps un devenir-monde de la philosophie ; sa réa-


lisation est sa perte » 32. L’essentiel de Métaphilosophie est consacré à
une analyse de la praxis, qui ne s’y borne pas, analysant également la
notion de poiesis. Ce sont les deux aspects du processus de création
– production pratique et production créative. Marx joue ici un rôle im-
portant, mais Heidegger est probablement la figure la plus significative,
bien que Lefebvre soit davantage enclin à utiliser son œuvre comme
une base ou un modèle plutôt qu’à s’approprier directement sa façon de
penser.
Même si diviser l’œuvre de Lefebvre en périodes distinctes s’avère
rarement utile, une exception doit être faite pour son travail sur la so-
ciologie urbaine et rurale, qui s’étend de la fin des années 1940 au mi-
lieu des années 1970. Durant cette période, l’intérêt pour les questions
rurales n’a duré qu’une décennie avant d’être supplanté par celui pour
l’urbanisme. Lefebvre suggère que la raison de ce déplacement d’intérêt
réside dans la construction de la nouvelle ville de Lacq-Mourrenx, à
proximité de sa région natale de Navarrenx. De nombreux livres ont
traité de ces questions, dont quelques-uns viennent d’être réédités. Ils
incluent le recueil d’essais Du rural à l’urbain, qui fait précisement
suite au déplacement évoqué plus haut, Espace et politique, le second
volume du Droit de la ville, ainsi que l’étude très personnelle des
Pyrénées 33. En outre, parmi les rééditions figure le livre qui a connu un
vif succès dans le monde anglophone, La production de l’espace et son
récit-témoignage de Mai 1968, L’irruption : de Nanterre au sommet 34.
Ce qui ressort clairement de ces ouvrages dans leur ensemble, c’est
que le travail sur l’urbain a été un résultat des premières études sur le
30. Le retour de la dialectique : 12 mots clefs, Paris, Messidor / Editions
Sociales, 1986, pp. 81-82 ; La présence et l’absence : Contribution à la théorie des
représentations, Paris, Casterman, 1980, p. 90.
31. Qu’est-ce que penser ?, Paris, Publi-Sud, 1985, p. 47.
32. Karl Marx, Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et
Épicure, trad., intro. & notes par J. Ponnier. Bordeaux, Ducros, 1970.
33. Du rural à l’urbain, Paris, Anthropos, 3ème éd., 2001 [1970] ; Espace et
politique : Le droit à la ville II, Paris, Anthropos, 2ème éd., 2000 [1972] ;
Pyrénées, Cairn, 2000.
34. La production de l’espace, Paris, Anthropos, 4ème éd., 2000 [1974] ;
L’irruption : de Nanterre au sommet, Paris, Syllepse, 2ème éd., 1998 [1968].
190 STUART ELDEN

monde rural, et que La production de l’espace est le résumé théorique

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France
de toute cette recherche. Ce dont il est question c’est de penser la rela-
tion historique de l’urbain et du rural, et non pas de considérer l’urbain
comme la seule forme de vie civilisée. La production de l’espace est à
la fois un ouvrage théorique et une étude de l’histoire des configura-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France

tions spatiales, incluant également des considérations sur différents


lieux et situations. Lefebvre a effectué un travail de terrain considérable
dans des lieux aussi variés que Paris, les Pyrénées, l’Amérique du Sud,
le Canada, l’Afrique du Nord, New-York et le Japon 35. C’est un ou-
vrage de philosophie pratique, théorique et politique. Mais il ne doit pas
être envisagé isolément. Des aspects supposés négligés dans le livre, tel
celui des classes, sont traités en détail dans des textes comme Du rural
à l’urbain et Espace et politique. De la même manière, c’est dans le
travail sur le rural, peut-être le plus historiquement éloigné de nous au-
jourd’hui, que l’on peut trouver l’une des innovations théoriques les
plus productives de l’œuvre de Lefebvre. C’est le modèle régressif-pro-
gressif de l’analyse, développé à partir de l’idée de Marx selon laquelle
la clé de l’anatomie du singe se trouve chez l’homme, celle de l’enfant
chez l’adulte et celle des systèmes économiques prémodernes dans le
capitalisme, plutôt que l’inverse 36. Lefebvre a utilisé cette idée dans
l’étude des configurations rurales, mais aussi, et plus particulièrement,
dans son travail sur l’État. Le modèle a été utilisé par Sartre dans la
Critique de la raison dialectique, où il le décrit comme « irrépro-
chable » 37.
Il peut sembler étrange d’inclure l’étude de Lefebvre sur Mai 68
dans les travaux de sociologie urbaine. Mais c’est une étude qui donne
un accent particulier aux « phénomènes urbains » 38. Comme avec la
Commune de Paris de 1871 39, Lefebvre analyse la manière dont
l’espace urbain devient un facteur crucial et déterminant des événe-
ments, et comment cet espace est désigné, recodé et utilisé dans les
luttes. Dans le livre sur la Commune, l’analyse porte sur le remodelage

35. Voir Rémi Hess, « Avant-propos à la quatrième édition française : Henri


Lefebvre et la pensée de l’espace », La production de l’espace, op. cit., pp. V-XVI,
p. VIII.
36. Voir Karl Marx, Grundrisse : Foundations of the Critique of Political
Economy (Rough Draft), London, Allen Lane, 1973, p. 105. [Manuscrits de 1857-
1858 « Grundrisse », éd. par J.-P. Lefebvre. Paris, Editions Sociales, 1980 ; t. 1.]
37. Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique précédé de Questions de
méthode, Tome I : Théorie des ensembles pratiques. Paris, Gallimard, 1960, p. 50.
38. L’irruption, op. cit., pp. 89-92.
39. La proclamation de la Commune, Paris, Gallimard, 1965.
CERTAINS NAISSENT DE FAÇON POSTHUME : LA SURVIE D’HENRI LEFEBVRE 191

de Paris par Haussmann, la répartition spatiale du prolétariat, les

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France
réseaux de transport en France, et l’usage des barricades dans le
conflit ; dans celui sur 1968, la marginalisation des travailleurs et des
étudiants, le remaniement des espaces du quartier Latin et les consé-
quences de la paralysie des transports sont au centre de l’attention. Ces
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France

analyses sont cruciales pour comprendre l’intérêt porté par Lefebvre


aux relations centre-périphérie, dans la mesure où son argument-clé
consiste à dire que ceux qui sont marginalisés cherchent à reconquérir
le centre. L’analyse spatiale s’articule à une analyse de classe et à une
analyse politique. Il existe d’autres études importantes dans ce champ
qui n’ont pas été rééditées, comme Le droit à la ville, La révolution ur-
baine et La pensée marxiste et la ville, bien que ce soit dans cette partie
de l’œuvre de Lefebvre que le travail de réédition a été le plus considé-
rable 40.

Deux autres livres soulignent une facette intéressante de Lefebvre,


son intérêt pour les questions d’art, de littérature et de représentation
esthétique. A la fin des années 1940 et dans les années 1950, Lefebvre a
écrit un ensemble d’ouvrages sur des écrivains et penseurs français im-
portants – notamment Descartes, Pascal, Rabelais, Musset 41. Le livre
sur Rabelais a été réédité ainsi que l’étude plus générale Contribution à
l’esthétique. La question de la musique est par ailleurs largement traitée
dans ses écrits. L’esthétique occupe, pour Lefebvre, une place centrale
dans la manière dont nous percevons le monde. Il est clair que son tra-
vail sur la musique l’a aidé à comprendre le temps, et que son travail
sur la peinture, dont un débat sur Picasso et une étude injustement
négligée sur Edouard Pignon, représente une étape cruciale dans sa
compréhension des représentations de l’espace 42. Lefebvre s’est tourné
vers ces domaines d’études, en particulier la réflexion sur la littérature,
dans une période de considérables difficultés politiques et intellec-
tuelles. De plus en plus marginalisé au sein du PCF, empêché de publier
certains de ses écrits les plus ouvertement politiques, Lefebvre écrivit
sur les grandes figures de la littérature française.
L’étude sur Rabelais en est un merveilleux exemple. Lefebvre mêle
histoire intellectuelle et sociale, critique littéraire et réflexions métho-

40. La droit à la ville, Paris, Anthropos, 1968 ; La révolution urbaine, Paris,


Gallimard, 1970 ; La pensée marxiste et la ville, Paris, Casterman, 1972.
41. Descartes, Paris, Éd. Hier et Aujourd’hui, 1947 ; Pascal, Paris, Nagel, 2
vol., 1949 et 1954 ; Musset, Paris, L’Arche, 2ème éd., 1970 [1955] ; Rabelais,
Paris, Anthropos, 2ème éd., 2001 [1955].
42. Pignon, Paris, Éd. Falaise, 1956.
192 STUART ELDEN

dologiques dans une étude importante et provocatrice. Bien qu’elle ne

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France
soit pas explicitement politique, Lefebvre fait un certain nombre de re-
marques importantes sur l’histoire intellectuelle, la biographie de Marx
et le contexte politique. Son intérêt initial pour les questions rurales et
la vie quotidienne se combine avec celui pour la comédie et l’imagi-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France

nation en tant que moyens de la critique sociale. Lefebvre situe


Rabelais dans une période particulière, dans la situation économique et
sociale de la France à cette époque, marquée par l’émergence de nou-
velles formes économiques, de nouvelles techniques littéraires et de
l’individualisme moderne. Lefebvre suggère qu’il est à la charnière de
son temps – ni entièrement capable d’y échapper ni complètement
déterminé par lui. L’écriture de Rabelais s’appuie sur des modèles an-
ciens en même temps qu’elle anticipe sur le roman moderne ; c’est un
paysan-écrivain qui retrace l’émergence d’une nouvelle classe bour-
geoise ; Panurge est en quelque sorte le premier individu moderne ; et le
livre met en lumière la naissance d’une langue française nationale.
Cette édition est présentée par Christine Delory-Momberger, avec une
courte préface de Hess consacrée au centenaire de la naissance de
Lefebvre 43.
Contribution à l’esthétique est une toute autre affaire. Empêchée
quelque temps par les censeurs du PCF, sa publication fut assurée grâce
à une citation en partie inventée de Marx (« L’Art est la plus haute joie
que l’homme se donne à lui-même ») mise en épigraphe, l’autre étant
de Jdanov. La doctrine jdanovienne des deux camps, appliquée autant à
l’esthétique qu’à la politique, est décisive pour comprendre le contexte
du travail de Lefebvre en ce domaine. Jdanov avait fondé l’Union des
écrivains soviétiques et il était le principal responsable de la politique
culturelle. Lefebvre ne se contente pas d’étudier les écrivains français
selon une visée marxiste, s’opposant aux interprétations bourgeoises, il
affirme également leur caractère national, en opposition à l’hégémonie
culturelle américaine de l’époque. Tout cela va dans le sens du PCF.
Mais Lefevbre innove également en matière d’approche marxiste de la
biographie, d’histoire sociale et d’esthétique. En effet, quand bien
même elle cite Jdanov avec Marx, Contribution à l’esthétique repré-

43. Christine Delory-Momberger, « Avant-propos : La littérature au risque du


matérialisme historique à la lumière de Henri Lefebvre », Rabelais, pp. XXI -
XXVIII ; Rémi Hess, « Préface à la seconde édition : Le centenaire d’Henri
Lefebvre », pp. VII-XX. Sur cette période de l’œuvre de Lefebvre, et en particulier
le livre sur Rabelais, voir mon article « Through the Eyes of the Fantastic :
Lefebvre, Rabelais and Intellectual History », Historical Materialism, Vol. 10,
n° 4, December 2002, pp. 89-111.
CERTAINS NAISSENT DE FAÇON POSTHUME : LA SURVIE D’HENRI LEFEBVRE 193

sente un défi à l’orthodoxie régnante, notamment celle du « réalisme

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France
socialiste », d’où l’entrave posée à sa publication. L’ironie est qu’elle
fut traduite en plusieurs langues y compris en russe 44.
Toutefois, c’est l’une des œuvres les moins réussies de Lefebvre,
comme lui-même le reconnaît 45, qui me semble n’avoir que peu d’inté-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France

rêt ou de pertinence pour notre compréhension de son travail au-


jourd’hui. Ce n’est pas le cas de l’ensemble des travaux de cette
période. Car, à côté de Rabelais, les études sur Pascal et Descartes en
particulier, méritent une investigation plus poussée. Avec la courte
étude sur Pignon, elles montrent comment son intérêt postérieur et plus
explicite pour les questions de l’espace se fonde sur les études d’esthé-
tique et les conceptions philosophiques de cette notion.
La Méthodologie des Sciences, publiée en 2002, présente un intérêt
semblable à celui de la Contribution à l’esthétique. Il ne s’agit cepen-
dant pas d’une réédition mais d’un livre inédit, qui dormait depuis
cinquante-cinq ans dans un tiroir. En 1947 Lefebvre avait publié Lo-
gique formelle, logique dialectique, supposé être le premier volume
d’une collection « à la lumière » du matérialisme dialectique. Métho-
dologie des Sciences devait en être le second volume et, bien que prêt, il
fut censuré par les responsables du PCF. La doctrine jdanovienne des
deux camps valant aussi bien pour la science, Lefebvre eut toutes sortes
de problèmes avec l’appareil du parti pour avoir affirmé que la logique
et la science étaient les mêmes à Paris, New-York et Moscou. « Je di-
sais que A=A ou (A+B) 2 est la même identité formelle dans tous les
pays, tous les régimes, tous les modes de production » 46. L’ouvrage, il
faut le dire, est quelque peu décevant, malgré quelques considérations
intéressantes sur les sciences, qui montrent que Lefebvre était familier
des débats sur les mathématiques et la géometrie qui nourriront plus le
travail sur l’espace. La déception ressentie vient du fait que, comme
pour Logique formelle et logique dialectique et Le matérialisme dialec-
tique, le ton est quelque peu didactique, ce qui n’est pas entièrement
suprenant étant donné son but explicite de s’inscrire dans une collection
destinée à contextualiser et éclairer le matérialisme dialectique.
L’étude de 1970, La fin de l’histoire est un cas plus intéressant
sous l’angle de la trajectoire globale de Lefebvre. Le travail sur le

44. La somme et le reste, Paris, Méridiens-Klincksieck, 3ème éd., 1989 [1959],


p. 538.
45. Voir La somme et le reste, pp. 536-539.
46. Henri Lefebvre et Catherine Régulier, La révolution n’est plus ce qu’elle
était, Hallier / Éd. Libres, 1978, p. 37. [Voir aussi H. Lefebvre, Logique formelle,
logique dialectique, Paris, Messidor / Editions Sociales, 3ème éd., 1982 (1947).]
194 STUART ELDEN

temps, l’histoire, et le devenir est un signe précuseur essentiel des der-

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France
niers travaux sur les rythmes, et démontre clairement une facette de
Lefebvre qui me semble capitale pour combattre les préjugés sur
l’espace de quelques interprétations récentes, anglophones en particu-
lier. N’oublions pas que La production de l’espace est, en dépit de son
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France

titre, un vrai livre d’histoire. Hegel, Marx et Nietzsche, les trois pen-
seurs préférés de Lefebvre, sont mobilisés pour penser tout une série de
questions. Lefebvre est intéressé par le travail de Daniel Bell, et bien
que partageant le même titre, son travail est beaucoup plus pessimiste,
et, de surcroît, marxiste, que celui, bien postérieur, de Francis
Fukuyama 47.
Trois thèmes s’entrelacent dans l’ouvrage selon Lefebvre : « Fin de
l’histoire. Fin du sens de l’histoire. Sens de la fin de l’histoire » 48.
Nous devrions nous rappeler que histoire a le sens additionnel de récit,
une narration totalisante. De même sens peut signifier direction, et de-
vrait nous conduire à nous interroger : « où va l’histoire » ? Lefebvre
considère que Marx et Hegel sont d’une importance cruciale pour notre
compréhension de l’histoire, et Nietzsche comme son critique principal.
Mais Nietzsche, bien sûr, était une sorte d’historien et comme lui,
Lefebvre entend réfléchir sur ce qu’est le but de l’histoire. A l’époque
où le structuralisme en grande partie anhistorique occupait une position
prééminente, le livre de Lefebvre fournit un solide exposé méthodolo-
gique. Cela révèle sa foi dans la notion nietzschéenne d’Überwinden,
surmonter, comme dans la notion hégélo-marxienne d’Aufheben, les-
quelles sont sous-entendues par l’usage du terme dépassement par
Lefebvre. Cela montre également que l’intérêt de Lefebvre pour la
notion de devenir au-delà de la notion d’être, est une critique de
Heidegger. Alors que le travail de Lefebvre sur l’espace est redevable à
Heidegger, son travail sur le temps et l’histoire est beaucoup plus
proche de Nietzsche. Quant à la notion problématique de généalogie, il
est plus proche de la lecture de Deleuze que de celle de Foucault.

Comme on peut le voir, il est difficile de discerner une logique


d’ensemble à cette série de rééditions. Aucun des ouvrages n’est sans
intérêt et les présentations de Hess et des autres contribuent générale-

47. Daniel Bell, The End of Ideology : On the Exhaustion of Political Ideas in
the Fifties, Illinois, Free Press of Glencoe, 1960, trad. par Emmanuelle Baillon, La
fin de l’idéologie, Paris, PUF, 1997 ; Francis Fukuyama, The End of History and
the Last Man, Harmondsworth, Penguin, 1992 ; trad. fr., La fin de l’histoire et le
dernier homme, Paris, Flammarion, 1992.
48. La fin de l’histoire, op. cit., p. 147.
CERTAINS NAISSENT DE FAÇON POSTHUME : LA SURVIE D’HENRI LEFEBVRE 195

ment à la réception contemporaine de son œuvre. Mais des pans entiers

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France
sont négligés, plus particulièrement peut-être ses écrits les plus poli-
tiques, notamment les quatre volumes du De l’État. Ce fut le dernier
travail important de Lefebvre, écrit entre 1976 et 1978, et qui, bien que
relativement récent, est épuisé et difficile à trouver d’occasion. La sur-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France

vie du capitalisme a pourtant été réédité. Ce texte réutilise largement


des matériaux de L’irruption, et les combine à l’analyse des raisons qui
ont fait que le capitalisme a perduré malgré les prédictions concernant
sa fin. Comparé au magistral De l’État, son importance paraît toute re-
lative, mais il contient quelques analyses importantes, et utilise des
données disséminées dans les écrits de Lefebvre, à savoir les questions
économiques.
Ce programme de réédition est par conséquent le bienvenu, et il
faut souhaiter qu’il continue, et rende accessible quelques textes parmi
les plus injustement négligés, voire oubliés. Certains de ses premiers
travaux sont extrêmement difficiles à trouver, comme l’étude de 1938
sur Hitler ; d’autres, de la période intermédiaire sur Descartes et Pascal,
et même des travaux plus tardifs comme De l’État et Hegel, Marx et
Nietzsche, mériteraient une ré-édition. Mais nous avons déjà quelques
résultats en ce sens, parmi lesquels je voudrais particulièrement souli-
gner Méthodologie des Sciences et Nietzsche. Bien que le premier soit
un inédit, je pense que c’est la réédition du second qui fait événement,
dans la mesure où la difficulté à se procurer les rares exemplaires a
rendu cette étude pratiquement indisponible à une génération d’étu-
diants. Il reste d’autres matériaux encore inédits, comme le manuscrit
d’un travail plus ancien, Philosophie de la conscience, dont Lefebvre
avait lui-même envisagé la publication 49.

En conclusion, je voudrais faire quelques remarques générales sur


la manière dont Lefebvre me paraît être lu et travaillé en France, et
suggérer quelques perspectives pour un travail futur.
La diversité des lectures dont l’œuvre de Lefebvre fait l’objet pa-
raît évidente, et même si nombreux sont les lecteurs qui s’intéressent à
son travail sur l’espace et l’urbanisme, ce n’est là qu’un aspect de sa
réception contemporaine. On pourrait peut-être être faire une comparai-
son avec la réception anglophone, où son œuvre est régulièrement citée

49. Voir Qu’est-ce que penser ?, op. cit., p. 168 n. 1. Quelques extraits de ce
travail furent publiés dans les revues Philosophies et L’esprit. Sur Philosophie de
la conscience, voir L’existentialisme, op. cit., pp. 16-17 n. 2 ; La somme et le reste,
op. cit., p. 512.
196 STUART ELDEN

par les géographes et les urbanistes, mais où elle n’est guère connue en

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France
dehors de ces domaines. La lecture française est philosophiquement
plus nuancée, à la fois au plan de ses interprétations des mouvements
contemporains et à celui de ses efforts plus programmatiques. Elle
révèle que ceux-ci ne sont pas séparables de ses analyses de portée plus
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France

pratique. Il s’agit également d’une lecture plus politique. Malgré les la-
cunes éditoriales dans ce domaine, les écrits de Lefebvre sur la citoyen-
neté, la différence, le capitalisme et l’État ne manquent pas d’intérêt.
Tout cela a été démontré dans quelques uns des récents colloques
consacrés à son œuvre, qui se sont tenus à Paris 50. Les analyses lefeb-
vriennes de la mondialisation et de la mondialité menées au milieu des
années 1970, bien que non réductibles à la « mondialisation » au sens
actuel, en préfigurent à maints égards l’analyse. De la même façon, son
étude des luttes populaires peut être reliée aux mouvements « alter-
mondialistes » contemporains. Ce travail sur les mouvements popu-
laires est consigné dans l’étude de 1968 et dans son livre sur la
Commune de Paris, ainsi que dans un court texte de 1970, Le manifeste
différentialiste 51.
Par contraste, la recherche sur la vie quotidienne (une autre clé de
l’intérêt anglophone) n’est pas autant discutée, bien que l’on recon-
naisse que ce concept est pratiquement au cœur de tout ce qu’il fit. No-
tons que le travail de réédition dans ce domaine n’est guère nécessaire,
puisque les trois tomes de la Critique de la vie quotienne – l’exposé le
plus important de ses travaux en ce domaine – sont toujours dispo-
nibles. Dans un sens comparable, alors que le monde anglophone s’est
approprié Lefebvre par le biais d’un post-structuralisme « de gauche »,
la lecture française semble être beaucoup plus marxiste. Pour le lecteur
français moyen, Lefebvre est probablement davantage connu pour son
bestseller, le « Que-sais je ? » sur le marxisme. Comme nous l’avons
signalé, Lefebvre fut impliqué dans les traductions et présentations de
l’œuvre de Marx, mais il est également l’auteur d’un certain nombre
d’ouvrages qui lui sont consacrés. Son travail sur Hegel, qui précède
celui de Kojève, ainsi que ses études sur Lénine (en particulier les Ca-
hiers philosophiques de Lénine sur Hegel), le placent au premier plan
du développement du marxisme occidental 52. Pour revenir à la question

50. Pour une brève présentation, voir Hess, « Présentation de la troisième édi-
tion », pp. XV - XVI ; « Préface à la seconde édition : Henri Lefebvre “Philo-
sophe” », L’existentialisme, op. cit., pp. VII-XLVIII, pp. XLVI-XLVII.
51. Le manifeste différentialiste, Paris, Gallimard, 1970.
52. Cahiers de Lénine sur la dialectique de Hegel, Paris, Gallimard, 1938, trad.
par Henri Lefebvre et Norbert Guterman.
CERTAINS NAISSENT DE FAÇON POSTHUME : LA SURVIE D’HENRI LEFEBVRE 197

de sa réception en France, ses lecteurs semblent être plutôt plus agés,

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France
plus actifs politiquement, et, dans une certaine mesure, moins tournés
vers le monde universitaire que leur collègues anglophones.
Il faut toutefois pointer le danger d’une sorte de Lefebvre « auto-
risé ». Rémi Hess, par exemple, exerce un pouvoir considérable par sa
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France

position : son rôle dans le programme de réédition chez Anthropos, ses


préfaces aux livres de Lefebvre et son activité de gardien des droits de
l’œuvre. Bien que sa biographie soit une étude importante, il s’agit
d’une approche quelque peu partielle du penseur et de ses écrits. Hess
se répète dans ces introductions, et faire intervenir d’autres personnes
dans ce travail est par conséquent une bonne chose. D’autres
perspectives sont nécessaires afin de poursuivre cette activité de lecture
et de réappropriation des écrits de Lefebvre. C’est la raison pour
laquelle le travail de Michel Trebitsch doit être salué. Ses études, qui
comportaient apparemment des projets de biographie, sont extrêmement
utiles pour contextualiser la première partie de l’œuvre de Lefebvre. En
langue anglaise le livre de Rob Shields, celui de Bud Burkhard French
Marxism Between the Wars (qui traite en détail de Lefebvre et de son
environnement), et je l’espère, mon propre Understanding Henri
Lefebvre ont contribué à la réévaluation de l’œuvre de Lefebvre 53. En
Allemagne, l’ouvrage de Kurt Meyer a été récemment complété par une
étude d’Ulrich Müller-Scholl 54.
Transposer l’œuvre de Lefebvre dans un nouveau siècle requiert à
la fois un réexamen de ce qu’il a vraiment écrit, et une analyse de ce à
quoi son œuvre peut aujourd’hui servir. Les rééditions sont donc parti-
culièrement bienvenues et sont associées, du moins en anglais, à de
nouvelles traductions et de nouveaux recueils. L’œuvre de Lefebvre pa-
raît offrir un potentiel renouvelé pour penser la relation entre le temps et
l’espace, au lieu de privilégier l’un au détriment de l’autre. C’était l’un
des thèmes de mon ouvrage plus ancien Mapping the Present, qui por-
tait sur Heidegger et Foucault, ainsi que de mon étude sur Lefebvre 55.
L’orientation philosophique de Lefebvre, avec ou sans le marxisme or-

53. Rob Shields, Lefebvre, Love & Struggle : Spatial Dialectics, London,
Routledge, 1999 ; Bud Burkhard, French Marxism Between the Wars : Henri
Lefebvre and the « Philosophies », Atlantic Highlands, Humanity Books, 2000 ;
S. Elden, Understanding Henri Lefebvre, op. cit.
54. Kurt Meyer, Henri Lefebvre : Ein Romantischer Revolutionär, Wien,
Europaverlag, 1973 ; Ulrich Müller-Schöll, Das System und der Rest : Kritische
Theorie in der Perspektive Henri Lefebvres, Mössingen-Talheim, 1999.
55. Stuart Elden, Mapping the Present : Heidegger, Foucault and the Project of
a Spatial History, London, Continuum, 2001.
198 STUART ELDEN

thodoxe, mérite bien plus d’attention qu’on ne l’a dit. Le travail sur la

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France
philosophie et le marxisme, et sur la philosophie du marxisme, est la clé
de ses écrits. Le travail sur l’État est digne d’une étude et d’un dévelop-
pement approfondi. Lefebvre était impliqué dans les débats relatifs à la
théorie de l’État, l’autogestion et la mondialisation, qui font tous écho à
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 186.194.232.82 - 29/05/2016 18h46. © Presses Universitaires de France

des préoccupations contemporaines. Concernant l’espace anglophone,


je voudrais attirer l’attention sur le travail de Neil Brenner qui a déve-
loppé ces thèmes 56. Lefebvre était de part en part un penseur politique,
et ses écrits furent toujours théoriquement étayés. Les rééditions et la
réception posthume de son œuvre ne le serviront que si on en tient
compte, pour contribuer à sa survie comme penseur et pour faire fructi-
fier son héritage.

56. Neil Brenner, « Global, Fragmented, Hierarchical : Henri Lefebvre’s


Geographies of Globalization », Public Culture, Vol. 10, n° 1, Fall 1997, pp. 135-
67 ; « The Urban Question as a Scale Question : Reflections on Henri Lefebvre,
Urban Theory and the Politics of Scale », International Journal of Urban and
Regional Research, Vol. 24, n° 2, June 2000, pp. 360-377 ; « State Theory in the
Political Conjuncture : Henri Lefebvre’s “Comments on a New State Form” »,
Antipode, Vol. 33, n° 5, November 2001, pp. 783-808.

Vous aimerez peut-être aussi