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L’article suivant est ici prépublié sur le site du LAPRIL (sept. 2008). Sa version définitive figurera
dans la revue Eidôlon. Le Moyen Âge en Jeu, S. Abiker, A. Besson, F. Plet-Nicolas, A.Sultan dir.,
actes du colloque de 2008, à paraître en 2009 aux Presses Universitaires de Bordeaux.
Revêtir les vêtements et revivre les divertissements, les pratiques culinaires ou tout
simplement les habitudes quotidiennes de nos ancêtres, constitue certainement un des moyens
les plus ludiques de s’approprier les époques passées. La reconstitution historique, qui
consiste essentiellement à ressusciter un site patrimonial en le repeuplant de personnages en
costume censés évoquer ceux qui le fréquentaient au XIIe ou au XIXe siècle, ainsi que les
événements s’y étant déroulés, est devenu aujourd’hui un loisir de masse, autant apprécié par
les spectateurs qui se pressent nombreux aux sons et lumière et aux fêtes médiévales de l’été,
que par ses praticiens. Cette sympathique activité met en effet en mouvement, chaque week-
end, des milliers d’adeptes de l’Antiquité gauloise et romaine, du Ier Empire ou de la Première
guerre mondiale.
les célèbres naumachies d’Auguste, offrirent une recréation de la bataille navale de Salamine,
à laquelle participèrent trois mille combattants.
1 Voir la notice en anglais consacrée par Karen Watts à cet événement dans le catalogue de l’exposition
Riddarlek och Tornerspel, Livrustkammaren, Stockholm, 1992, p. 449-452.
2
Sur la pratique médiévale du pas d’arme, voir l’article de Sébastien Nadot dans le présent recueil.
Olivier RENAUDEAU, « La reconstitution du Moyen Âge en Europe » - Le Moyen Âge en jeu
Valence et dont les défilés fastueux mais fantaisistes évoquent les combats de la Reconquista
[Fig. 1].
professionnels qui ont profité de ce créneau, Spectacle et Chevalerie, créé par le cascadeur
Gilles Raab et incontournable prestataire de joutes équestres [Fig. 2, 3, 4].
Jusqu’au début des années 90, les reconstitutions médiévales sont restées en France
comme en Belgique très dépendantes de l’esprit folklorique de ces manifestations et les
cascadeurs de combat aux armures approximatives, les gentes dames vêtues de robes taillées
dans leurs rideaux comme les gueux en sac de jute aux visages charbonneux ont représenté et
représentent encore dans l’esprit du public l’essentiel des animations historiques vivantes. Si
l’histoire a peu à y gagner et si les clichés traditionnels attachés au Moyen Âge y foisonnent
largement, l’intérêt de ces manifestations réside cependant dans le véritable concentré de
« lien social » qu’elles constituent, fédérant les énergies de nombreux bénévoles qui, en
cousant des costumes, en peignant des décors ou en veillant à l’accueil du public, contribuent
au développement touristique, mais également social, voire culturel de leur commune3.
3
Voir l’étude de Claire Gagnière, Rôle des spectacles historiques dans le développement local: exemple de la
ville de Provins, éd. Université d’Angers, 2001. Le son et lumière de Meaux a également été le sujet d’une étude
comparable : Sylvie Rouxel, Quand la mémoire d’une ville se met en scène, étude sur la fonction sociale des
spectacles historiques, l’exemple de Meaux, Paris, La documentation Française, 1995.
Olivier RENAUDEAU, « La reconstitution du Moyen Âge en Europe » - Le Moyen Âge en jeu
qu’en 1971, la Sabre Society se consacre à l’époque napoléonienne. La même année naît The
Vikings qui, comme son nom l’indique, s’intéresse à la présence danoise en Angleterre. La fin
des années 70 voit la création de la prestigieuse Ermine Street Guard qui reconstitue une
légion romaine sous Hadrien, ainsi que celle de la White Company.
Cette dernière mérite quelques développements, car son rôle est essentiel. Bien que le
nom de cette société soit tiré du roman historique de Conan Doyle illustrant les combats des
Grandes Compagnies dans la seconde moitié du XIVe siècle, elle est surtout connue pour
avoir travaillé sur la Guerre des deux Roses, ce très dur conflit fratricide opposant les
Lancastre et les York, puis les York et les Tudor dans la seconde moitié du XVe siècle. Cette
guerre gardera la faveur des reconstitueurs médiévistes britanniques et influencera fortement
les amateurs du Continent [Fig. 5].
Les reconstitueurs, quelle que soit la période considérée, ont d’abord besoin de se vêtir
pour incarner les personnages qu’ils ont choisi de faire revivre. Ils doivent retrouver des
étoffes conformes à celles employées à l’époque représentée, des patrons historiques, des
chaussures, des armes, armures, pièces d’équipement, des tentes pour se loger, de la vaisselle,
des lanternes, de la monnaie, des meubles, voire des harnachements pour les chevaux, et tout
Olivier RENAUDEAU, « La reconstitution du Moyen Âge en Europe » - Le Moyen Âge en jeu
4
Par exemple : Gerry Embleton et John Howe, The Medieval Soldier, 15th Century Campaign Life Recreated in
Colour Photographs, London, Windrow &Greene, 1994.
Olivier RENAUDEAU, « La reconstitution du Moyen Âge en Europe » - Le Moyen Âge en jeu
En un laps de quelques années, entre 1995 et 2000, ces échanges et ces rencontres de
part et d’autre de la Manche contribuent à faire très nettement progresser le niveau de la
reconstitution historique médiévale française. Ils consacrent également la prépondérance, en
Europe, de la période 1450-1480, qui était jusque vers 2005 la plus illustrée par les
reconstitueurs, si l’on excepte sans doute la période napoléonienne. Des revues francophones
populaires, ouvrant largement leurs colonnes à l’histoire vivante, comme Moyen Âge ou
Histoire Médiévale (devenu Histoire et Images Médiévales), se créent et, comme en
Angleterre, un réseau français d’artisans, de marchés d’équipements historiques et
d’événements multi-périodes se met en place au début des années 2000. Enfin, au-delà des
habituels guerriers en armure et grâce à une forte féminisation des effectifs, les activités
civiles se diversifient et se multiplient.
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La reconstitution de cet épisode se déroule tous les étés au mois de juillet et s’accompagne d’un marché
historique prisé.
Olivier RENAUDEAU, « La reconstitution du Moyen Âge en Europe » - Le Moyen Âge en jeu
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L’ouvrage de Dominique Cardon La Draperie au Moyen Âge, (CNRS éditions, 1999), a ainsi touché un public
bien plus large que celui des chercheurs spécialistes des industries textiles et les études du même auteur sur les
plantes tinctoriales, ont servi de support à nombre d’audacieuses expérimentations.
Olivier RENAUDEAU, « La reconstitution du Moyen Âge en Europe » - Le Moyen Âge en jeu
[Fig. 12], le musée archéologique de Marle, dans l’Aisne[Fig. 13], celui de Walraversijde en
Belgique [Fig. 14], le château du Haut Koenisbourg, en Alsace, celui de Dourdan en Ile-de-
France, voire les Archives Nationales à Paris7.
Le consommateur et l’érudit
Cette révolution culturelle a cependant un étrange corollaire ; la plupart des
associations de reconstitution médiévale, malgré une qualité croissante, limitent leurs efforts à
l’exploration de la culture matérielle du Moyen Âge et à l’acquisition ou à la fabrication de
costumes, d’armes ou d’objets archéologiquement conformes à ceux qui pouvaient être portés
dans la seconde moitié du XVe siècle.
Revêtir un pourpoint taillé dans un drap de laine teinté à la gaude ou au pastel et cousu
à la main, arborer à sa ceinture la réplique exacte d’une dague conservée dans les vitrines du
musée de l’Armée, représentent certes un bel effort, mais à quelle fin ? La plupart des
associations se contentent souvent de cet étalage d’objets historiques et s’aventurent peu dans
l’évocation des mentalités, des structures sociales, de la culture ou de l’imaginaire des
hommes et des femmes dont ils portent le costume et dont ils imitent au moins la vie
matérielle.
De plus, le réseau d’artisans et de marchés spécialisés qui s’est constitué en Europe et
la facilité des échanges par Internet, ont permis la naissance du reconstitueur-consommateur
qui, contrairement aux pionniers des années 90, se contente de s’équiper à grands frais, sans
aucune recherche historique personnelle, sans revenir aux sources archéologiques,
archivistiques ou iconographiques et qui copie tout bonnement une reconstitution proposée
par un collègue. Ce « reconstommateur », qui s’équipe en mai et en octobre au marché de
Pontoise8 ne fait guère plus que de la « reconstatation » historique9.
De fait, depuis deux ou trois ans, la seconde moitié du XVe siècle a perdu sa
prééminence dans le milieu de la reconstitution médiévale : des expériences intéressantes sont
actuellement tentées pour le XIIIe siècle ou pour le début du XVe siècle [Fig. 15 et 16], mais il
est à craindre que ces périodes encore peu traitées par les fabricants de matériel
archéologique, ne soient à leur tour affectées par ce consumérisme historique.
7
Voir, dans ce même volume, l’article de Loïc Leymerégie.
8
Événement très couru, organisé par l’Association Pour l’Histoire Vivante, fondée par Christophe Dargère.
9
Selon une pertinente formule que je dois à Nicolas Baptiste, reconstitueur médiéviste belge.
Olivier RENAUDEAU, « La reconstitution du Moyen Âge en Europe » - Le Moyen Âge en jeu
Il serait donc intéressant et salutaire pour la reconstitution comme pour l’Histoire, que
les historiens de métier prennent la mesure de ce formidable public que leurs études ont
contribué à façonner, mais qu’ils ignorent, au mieux, ou considèrent, au pire, comme de doux
illuminés. Ces milliers de passionnés, qui continuent à se produire en public au gré des
rassemblements estivaux, représentent certainement, après la télévision, le second diffuseur de
masse de la culture historique médiévale. Ils posent même directement la question de la
réception des études académiques : il est étonnant de constater le peu d’écho que l’histoire
sociale, pourtant dominante au sein du milieu universitaire français, rencontre auprès de ces
associations, qui n’hésitent pourtant pas à se tourner vers des publications rares ou étrangères
pour trouver des réponses aux interrogations très concrètes qu’elles sont amenées à se poser,
et auxquelles répond peu la science historique contemporaine.
Les centres de recherche archéologique, les sites patrimoniaux, les musées, les
universités pourraient peut-être s’appuyer sur ces associations de reconstitution pour tenter de
faire partager au grand public d’autres savoirs que le tissage aux cartons ou que le maniement
de la hallebarde…
Les recherches les plus intéressantes qui s’effectuent aujourd’hui dans le domaine de
la reconstitution historique, concernent d’ailleurs plutôt l’Antiquité gallo-romaine, grâce à la
collaboration étroite qui a pu s’établir entre archéologues et reconstitueurs. Et les résultats qui
en découlent contribuent à balayer tous les clichés que « nos ancêtres les Gaulois »
nourrissent encore dans l’opinion publique. Un nouvel homme gaulois est véritablement en
train de naître.
Olivier Renaudeau
Conservateur du Patrimoine
Musée de l’Armée, Paris.
Olivier RENAUDEAU, « La reconstitution du Moyen Âge en Europe » - Le Moyen Âge en jeu
EMBLETON, Gerry, HOWE, John, The Medieval Soldier, 15th Century Campaign Life
Recreated in Colour Photographs, London, Windrow &Greene, 1994.
Olivier RENAUDEAU, « La reconstitution du Moyen Âge en Europe » - Le Moyen Âge en jeu
GAGNIERE, Claire, Rôle des spectacles historiques dans le développement local: exemple de
la ville de Provins, mémoire de maîtrise de l’Université d’Angers, sous la dir. de Maria
Gravari-Barbas, Angers, 2001.
Riddarlek och Tornerspel, catalogue de l’exposition, Livrustkammaren, Stockholm, 1992.
ROUXEL, Sylvie, Quand la mémoire d’une ville se met en scène, étude sur la fonction sociale
des spectacles historiques, l’exemple de Meaux, Paris, La documentation Française, 1995.