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L’ECHOUEMENT ET LA REMISE A FLOT D’UN NAVIRE.

1. CONDITIONS GÉNÉRALES

A la différence de l'échouage qui est un acte volontaire et réfléchi, un échouement inopiné est
toujours un incident de mer grave, même lorsqu'il se produit à faible vitesse. L'importance de la
masse d'un bâtiment, comparativement à l'épaisseur des tôles, est considérable. Il suffit d'une roche
légèrement débordante qui pénètre dans un double fond ou un water-ballast, pour empêcher tout
mouvement du navire en avant ou en arrière, tant qu'un allégement important, permettant de le dégager
du seuil, n'aura pas été réalisé. Telle peut être la situation dans une région sans marées.

1.1 Conditions aggravantes

Ce qui vient d'être dit au sujet d'un échouement à faible vitesse prend une importance encore
beaucoup plus considérable lorsque le bâtiment monte au sec à bonne vitesse et déjauge de
plusieurs mètres.

Dans les régions à marées, la situation peut être encore beaucoup plus critique, si l'incident se produit
aux environs de la pleine mer. On conçoit aisément sa gravité, par exemple en Manche. Un navire tirant
huit mètres peut se trouver complètement à sec à marée basse. Pour peu que le récif soit incliné, ou
présente de fortes têtes de roches d'un seul bord, le chavirement est à craindre. Si un tel drame ne se
produit pas, des marées perdantes peuvent imposer une attente de près de quinze jours.

De plus, si le mauvais temps survient, le navire risque de se trouver rapidement en perdition.

Enfin , les opérations de manutention et de prises de dispositions pour le déséchouement seront


pénibles à assurer pour un personnel peu nombreux s’il n’est pas assisté.

Pour toutes ces raisons, un échouement quel qu'il soit est toujours un incident sérieux, et le point de la
situation doit être fait immédiatement avec beaucoup de précision.

2. . PREMIÈRES DISPOSITIONS À PRENDRE

Lorsque l'échouement s'est produit à faible vitesse, et que des avaries graves des fonds ne sont pas à
craindre, la première manœuvre consiste à tenter de partir en arrière pour effectuer le chemin
parcouru en sens inverse, surtout si le bâtiment n'a pas changé de cap en s'échouant. La propulsion est
mise en arrière très lentement pour s'assurer qu'il n'y a pas de chocs sur les hélices, puis à toute
puissance.
Il sera judicieux d'essayer simultanément de faire rouler légèrement le bâtiment par des mouvements
de l'équipage réalisés en cadence au commandement. On peut également tenter de faire une souille.
Dans le cas où l'assiette du navire s'est modifiée au moment de l'incident, et où l'avant est déjaugé de
quelques centimètres, il est judicieux de vider rapidement les soutes avant. Mais il faut toujours se
méfier de ne pas entreprendre de mouvements d'assiette à tort, car le bâtiment peut très bien être
échoué jusqu'à l'arrière. Un sondage rapide, effectué des deux bords à hauteur du talon de la quille et du
brion ,servira parfois utilement à lever le doute. il faut, avant tout, se méfier de ne pas aggraver la
situation. On ne vidange pas les hydrocarbures à la mer.

Au cas où cette manœuvre ne réussit pas, il faut immédiatement faire appel aux remorqueurs les plus
voisins, ou à des bâtiments à la mer dans les parages.

3. ÉTUDE DE LA SITUATION

Pendant que ces aides rallient, une étude plus approfondie des conditions du déséchouement doit être
entreprise.
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3.1. Visite des fonds.

La première précaution à prendre consiste à s'assurer qu'il n'y a pas de voie d'eau ou, s'il y en a une, à
bien la localiser. Si les fonds sont restés secs, il est nécessaire de déceler les endroits présentant des
déformations de coque qui peuvent donner une indication sur la forme des récifs en cet endroit.

b. Sondages.

Un renseignement plus précis sur la configuration du fond sous la coque sera obtenu par une visite de
coque effectuée par des plongeurs. Il est utile de savoir si la roche présente des épaulements d'un
bord ou de l'autre, et quelle partie du navire exactement porte le plus lourdement sur le fond.
Si le bâtiment s'est enfoncé dans la vase ou dans du sable mou, un phénomène de succion risque de le
retenir vigoureusement; de plus, les condenseurs ou aspirations des groupes électrogènes peuvent
s'engorger.

Étude de la situation.

• Visite des fonds


• Configuration du fond

Niveau pleine mer

Niveau basse mer

3.2. sondages autour du bâtiment

Il ne s'agit plus de savoir uniquement s'il y a davantage d'eau à l'avant ou à l'arrière, mais d'établir un
plan de sondage précis tout autour du bâtiment, principalement dans les parties latérales et arrières. La
connaissance de la qualité du fond et de la profondeur d'eau exacte peut être utile jusqu'à 200 ou 300
mètres de l'arrière. Ce travail servira à guider les chalands, remorqueurs ou bâtiments de sauvetage
susceptibles d'accoster, à choisir la direction des ancrages de résistance devant former points fixes, et à
l'approche d'autres navires devant donner la remorque.
Étude de la situation.

Sondage autour du bâtiment

4 3
3
0
5
5
1,2
7

8
3

3.3. Étude de la marée.

Dans les régions à très faible marée, comme la Méditerranée, le marin navigue sans s'inquiéter de cette
question; il ne dispose d'ailleurs pas toujours des documents nécessaires. En cas d'échouement, dix
centimètres ne peuvent pas être négligés. Aussi doit-on installer dès que possible une échelle de
marée pour étudier comment varie le niveau. Cette même précaution doit également être prise dans les
mers à marées pour vérifier que la configuration des lieux n'apporte pas de modification notable aux
prévisions de l'annuaire. En outre, dans ces mêmes régions, il est prudent de regarder au plus vite si le
coefficient augmente ou diminue, quelle sera la hauteur d'eau à basse mer, quelle est la date de la
prochaine grande marée, et si la hauteur d'eau correspondante est supérieure ou non à celle qui existait à
l'heure de l'échouement. Enfin, il y a lieu d'étudier les courants.

3.4. Prévisions météorologiques.

S'il est indispensable d'installer de forts ancrages le plus rapidement possible, afin d'empêcher le
bâtiment de monter plus haut au sec, sous l'effet du vent, de la mer ou du courant, il n'est pas
absolument certain qu'il faille disposer les points fixes pour que la traction des chaînes et aussières
s'effectue dans l'axe. Lorsque le bâtiment se présente en travers à la houle ou aux vents, il est
primordial de l'empêcher de riper sur le flanc, ce qui lui causerait des avaries beaucoup plus graves
que celles provoquées par un léger glissement en avant sur sa fausse quille.

C'est pourquoi la météorologie générale ou les prévisions pour les jours à venir doivent être prises en
considération selon les caractéristiques de l'échouement et la durée probable des préparatifs nécessaires
avant le renflouement.

4. DISPOSITION POUR UN DESECHOUEMENT RAPIDE

Le bâtiment n'étant pas monté au sec très vite, et n'ayant pas de voie d'eau, on peut espérer le sortir
rapidement avec l'aide de remorqueurs ou d'autres bâtiments. Toutefois les opérations suivantes sont à
effectuer :

4.1. Créer des points fixes.

Il paraît logique en pareil cas d'utiliser le remorqueur susceptible de fournir la plus grande puissance ou,
si cela est possible, plusieurs bâtiments. Il est fort probable dans ces conditions, surtout s'il s'agit d'une
coque légère, que les points fixes habituels seront insuffisants. Il faut donc en préparer d'autres en
utilisant les plus gros fils d'acier du bord ou les chaînes. Les tourelles pourront être ceinturées; un
bâtiment léger pourra entourer toute sa coque en passant ses plus fortes aussières par les écubiers.

D isp o sitio n s p o u r u n d é sé c h o u e m e n t ra p id e .
• C ré e r d e s p o in ts fix e s.
D isp o sitio n s p lag e arrière
d ’u n B .E

rem o rq u e

é m érillo n
D é co u p a g e P an to ire e n
d u p a v o is c h aîn e

m a n ille
4

En outre, si les ancres principales ne peuvent être mouillées dans la bonne direction, faute d'embarcation
capable de les porter, un point fixe au moins sera établi avec les deux plus grosses ancres à jet
empennelées. Leur poids est généralement prévu pour assurer dans ces conditions la même tenue
qu'une ancre de bossoir. Plus elles seront mouillées loin (150, 200, 300 m si possible), mieux elles
tiendront. Un maillon de chaîne sur l'ancre améliorera la solidité du point fixe. A bord, la plus forte
caliorne bien bossée sur l'aussière sera raidie et disposée pour être virée au treuil pendant la traction des
remorqueurs.

Dispositions pour un déséchouement rapide.


• Mouiller des ancres à jet.

4.2. Alléger le bâtiment.

Faute de chalands, le seul allégement possible sera réalisé par vidange des soutes à la mer. Mais, s'il y
a la moindre houle, il faut attendre que les remorqueurs soient présents de façon que le bateau tosse le
moins longtemps possible. Plus il reste assis sur le fond, mieux cela vaut tant qu'une traction vigoureuse
n'est pas exercée pour le sortir.

Le choix des soutes à vidanger est guidé par l'étude faite sur la façon dont le bâtiment repose sur le fond
et sur le profil de celui-ci. Les barèmes du service Sécurité servent à établir la liste des compartiments à
alléger. Il peut être judicieux, au cas où l'arrière serait resté en eau profonde, d'alourdir cette partie du
bâtiment pour que l'avant repose moins lourdement sur l'épi. Sur un fond horizontal, c'est l'inverse, le
tirant d'eau avant étant généralement plus faible. Outre les transferts de liquides, le transport de poids
lourds de l'avant à l'arrière ou inversement (ancres, munitions) peut s'avérer utile.

4.3. Prendre la remorque et utiliser toutes les forces de traction disponibles.

Il est recommandé au bâtiment remorqueur de mouiller à bonne distance (200 à 400 m). Il pourra
ainsi, après avoir passé la remorque, se placer bien en ligne dans la direction choisie pour le
déséchouement avant de mettre ses machines en marche. Les remorqueurs peuvent se redresser lorsque
l'aussière est raide, les autres bâtiments ne le peuvent pas. En outre, en virant la chaîne, la traction sur
la remorque augmente. En même temps, le navire échoué vire sa caliorne pour faire travailler au
maximum l'ancrage qu'il a établi, et bat en arrière si cela lui est encore possible.
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Dispositions pour un déséchouement


1 rapide.
10

0
• Prendre la remorque 10
1 1 5
0

1
3 9
0

4
10 5
5 7

0
0 1
• Utiliser toutes les forces de traction disponibles
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5. ÉCHOUÉMENT GRAVE

Au cas où le bâtiment n'aurait pu être déséchoué par les moyens signalés ci-dessus, la question doit être
envisagée sous une forme nouvelle. C'est d'ailleurs de cette façon que doit être étudié dès le début le
renflouement, lorsqu'il s'agit d'un échouement à grande vitesse ou qui a provoqué des avaries sérieuses
de coque (compartiment envahi, tôles déchirées, etc.).

5.1. Alléger considérablement le bâtiment.

L'étude des hauteurs d'eau à l'avant et à l'arrière permet, par comparaison avec le tirant d'eau normal,
de calculer de combien de tonnes le navire doit être allégé.
Pour réaliser ce travail, outre ce qui a pu être jeté à la mer (combustible, eau), il convient de faire venir
sur place des chalands et remorqueurs pour effectuer le va-et-vient avec un port voisin. Ceux-ci
transporteront la cargaison du bâtiment de commerce, les pièces ou munitions du bâtiment de guerre,
etc.
Les mêmes moyens de transport pourront être utilisés au retour pour amener à bord moto-pompes,
groupes électrogènes si le bâtiment est privé de courant, postes de soudure, aussières et ancres
supplémentaires, pompes soufflantes pour gonfler à l'air certains compartiments, matériel d'épontillage,
etc.
Selon les conditions atmosphériques, les distances à parcourir et les commodités du travail, le
déchargement et la mise en place du matériel spécialisé nécessaire peuvent durer plusieurs semaines.
Pendant ce temps, le navire avarié sera alourdi par des lests liquides à mesure qu'il sera déchargé
par ailleurs, de façon qu'il bouge le moins possible sur le fond où il repose. Par mauvais temps, il
pourra même être nécessaire de le saborder momentanément pour que les déchirures de coque
n'augmentent pas.

5.2. Gonfler à l’air certains compartiments.

Pour alléger le bâtiment échoué des importantes quantités d'eau qui ont pénétré par les brèches situées à
la partie basse, le moyen le plus rationnel consiste à bien épontiller et étancher les cloisons voisines, à
fermer hermétiquement les panneaux en les soudant au besoin électriquement et à procéder au
gonflage à l'air comprimé du compartiment, qui forme alors cloche au-dessus de la brèche.
Le poids de la colonne d'eau extérieure étant de 100 grammes environ par mètre, il est possible de faire
baisser considérablement le niveau dans certaines cales en les mettant sous une pression de 250 à 300
grammes. L'allégement acquis est équivalent au poids d'eau expulsé. Ce travail exige une certaine
minutie dans la recherche et l'obturation des fuites: lorsqu'elles sont trop importantes, les compresseurs
ou les soufflantes ne peuvent les étaler.
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5.3. Augmenter le nombre des ancrages.

La traction sur des ancres lourdes ou empennelées, au moyen de fortes caliornes, apporte une aide très
efficace aux remorqueurs au moment du déséchouement. Certaines des ancres mouillées pendant les
travaux pour maintenir le bâtiment sur place peuvent être utilisées à cet effet. L'augmentation de leur
nombre est utile à condition toutefois de ne pas gêner la manœuvre des chalands de déchargement ou
des remorqueurs.

Echouement grave
• Augmenter le nombre des ancrages

5.4. Démolir des roches.

Dans certains cas, il sera nécessaire, surtout lorsque le bâtiment a changé de cap, soit pendant
l'échouement, soit par suite du mauvais temps, de détruire des roches en faisant exploser des
cartouches de dynamite. L'utilisation d'un tel procédé n'est pas rare, mais seuls des spécialistes peuvent
l'employer. Ils arrivent à faire éclater des têtes ou arêtes très près de la coque sans dommage pour elle.

5.5. Evaluer la stabilité.

Après un échouement sérieux, et avant la remise à flot, il y a lieu de faire très exactement le point des
compartiments qui doivent rester envahis par l'eau et d'en déduire quelle sera la stabilité du bâtiment
après le renflouement, d'estimer la bande qu'il présentera et de préparer les manœuvres urgentes à faire
pour le redresser. A quoi servirait de l'avoir remis à flot après des semaines de travail si le
chavirement se produisait ? C'est une question à ne pas perdre de vue et à étudier très sérieusement au
moment où sont prises les décisions concernant le renflouement.

6. CONCLUSION SUR LE DÉSÉCHOUEMENT

Les diverses solutions qui ont été envisagées dans les paragraphes précédents représentent un guide
général des dispositions à prendre. Mais il peut arriver que l'éloignement d'un port bien équipé, en
particulier outre-mer, ne permette pas d'organiser un va-et-vient pour le déchargement avec des moyens
convenables. Le jet à la mer de la cargaison, ou même de matériel lourd d'armement, s'impose. Il
s'agit d'une ultime décision à prendre en l'absence de toute autre possibilité. Si grave qu'elle soit, elle
est préférable à la perte totale du bâtiment.

Enfin, des échouements se produisent parfois en temps de guerre dans des régions menacées d'une
intervention ennemie. Détourner d'autres bâtiments de leur mission principale pour les exposer eux-
mêmes à des risques sérieux est une décision qui demande mûre réflexion. C'est pourquoi il arrive qu'un
bâtiment échoué dans un endroit éloigné et sous le contrôle de l'ennemi soit abandonné sans autre forme
de procès.

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