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ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL


LVI – 2010 – CNRS Éditions, Paris

REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS


DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE
GEMMA ANDREONE
GIUSEPPE CATALDI

Résumé : Le présent article a pour objectif de mettre en lumière les activités des États
qui en sont riverains. Cela devrait permettre de vérifier la mesure dans laquelle les
développements actuels du droit de la mer conditionnent la vie de la Méditerranée tout
en soulignant les apports qu’une spécificité méditerranéenne pourrait avoir conféré à
ces évolutions. Dans une matière où la littérature internationaliste est très abondante,
l’attention a été concentrée sur certains des aspects les plus récents du régime juridique de
cette mer : la protection de l’environnement, la conservation des ressources marines et les
périls humanitaires que suscite l’immigration par mer. La fragmentation et l’incertitude
des pratiques nationales et internationale dans la Méditerranée montrent qu’il incombe
à ses États riverains de faire d’urgence face aux enjeux que suscitent la gestion et la
protection d’une mer semi-fermée menacée par de multiples périls.
Abstract: This paper aims to highlight the activities of its riparian states. This should
make it possible to ascertain to what extent current developments of the law of the sea
determine the life of the Mediterranean while underscoring the contributions that a
Mediterranean specificity might have conferred on such developments. In a subject area
where there is a wealth of international law literature, the focus is on some of the most
recent aspects of this sea’s legal regime: environmental protection, conservation of marine
resources and the humanitarian dangers from immigration by sea. The fragmentation
and uncertainty of national and international practices in the Mediterranean show that
it is incumbent upon its riparian states to urgently meet the challenge of managing and
protecting a semi-closed sea threatened by multiple dangers.

Le présent article se propose de faire le point sur les solutions données dans
la mer Méditerranée à certaines des questions les plus importantes que suscite le
droit international de la mer contemporain. En premier lieu, on s’interrogera sur les
nouveautés concernant les activités maritimes liées aux relations politico-sociales
des États riverains, et on analysera ensuite le régime juridique de cette mer à la
lumière de la pratique la plus récente, en s’arrêtant sur certaines des questions
les plus révélatrices de son évolution.

(*) Giuseppe CATALDI, professeur de droit international et vice-recteur, Université « l’Orientale » de


Naples
(**) Gemma ANDREONE, chercheur du Conseil national des recherches, Institut d’études juridiques
internationales, professeur associé de droit international, Université « l’Orientale » de Naples. Ce travail est
le fruit d’une réflexion conjointe des auteurs. Toutefois, les parties II, IV et V sont dues à Gemma Andreone
et les parties III et VI à Giuseppe Cataldi. Les parties I et VII ont été écrites à quatre mains.

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2 REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE

I. – MER SEMI-FERMÉE D’IMPORTANCE STRATÉGIQUE


ET GÉOPOLITIQUE : QUOI DE NOUVEAU ?

La Méditerranée est la plus étendue parmi les mers qui peuvent être quali-
fiées de « semi-fermées », selon la définition donnée à l’article 122 de la convention
des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (ci-après convention de 1982).
Un tiers du trafic maritime mondial transite à travers ses eaux ; elle contient
par ailleurs 10 % environ de la biodiversité marine, 4 % des aires protégées et
1 % des eaux du globe ; elle constitue le point de rencontre (et de friction) le plus
critique entre le nord et le sud du monde, tout en étant une route privilégiée de
migrations. La pêche et le tourisme y sont un moyen de subsistance pour beau-
coup de communautés côtières. Enfin, sous les eaux de la Méditerranée, berceau
de la civilisation occidentale, repose un important patrimoine culturel, qui doit
être valorisé.
Le caractère exceptionnel de la Méditerranée est dû non seulement à la vulné-
rabilité particulière du milieu marin et de ses ressources, mais aussi au fait qu’une
large partie de son bassin demeure assujettie au régime juridique de la haute
mer.
En outre, l’équilibre politique et stratégique de la Méditerranée, très fragile, est
étroitement dépendant des possibilités de faire coexister de manière harmonieuse
des cultures et des intérêts économico-politiques a priori très différents. On rappel-
lera à ce propos que les États riverains de la mer Méditerranée sont, stricto sensu,
au nombre de vingt et un et qu’ils appartiennent à trois continents différents 1.
Ces quelques données synthétiques sont nécessaires pour saisir l’importance qui
s’attache à la solution des problèmes de gestion des espaces marins de la Médi-
terranée, ainsi que la nécessité absolue, pour les États riverains de son bassin, de
coopérer à cette fin.
Le cadre normatif général de référence demeure sans nul doute la convention
de Montego Bay (1982), ratifiée par la quasi totalité des États du bassin méditerra-
néen 2. La plupart des activités maritimes (navigation, exploitation des ressources,
protection de l’environnement, recherche scientifique marine) sont régies par cette
convention, largement déclarative sur ce point du droit coutumier. Il n’empêche
que plusieurs de ses dispositions montrent des « signes d’obsolescence », ce qui
tient pour partie au fait qu’elles furent pensées, dans de nombreux cas, pour une
application dans des espaces océaniques. Le fait est que la convention se montre
souvent impuissante à fournir des points de repère pertinents pour la gestion de
la Méditerranée.
Les dispositions de l’article 123 de la convention de 1982 3 n’ont, en particu-
lier, pas été en mesure de prévenir l’affirmation de la zone économique exclusive

1. Albanie, Algérie, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Chypre, Égypte, Espagne, France, Grèce, Israël, Italie,
Liban, Libye, Malte, Maroc, Monaco, Monténégro, Slovénie, Syrie, Tunisie, Turquie. Du fait de sa souverai-
neté sur Gibraltar et les bases militaires d’Akrotiri et de Dekhelia, une partie de la littérature compta-
bilise également le Royaume-Uni, et indique donc 22 États riverains. Il faut aussi remarquer que ni le
Royaume-Uni, ni la Palestine, pour des raisons différentes, ne se comportent à l’heure actuelle comme de
véritables États « côtiers ».
2. Tous les États riverains de la Méditerranée ont ratifié la convention des Nations Unies sur le droit
de la mer, sauf Israël, la Libye, la Syrie et la Turquie.
3. L’article 123 de la convention de 1982 prévoit que : « [l]es États riverains d’une mer fermée ou
semi-fermée devraient coopérer entre eux dans l’exercice des droits et l’exécution des obligations qui sont
les leurs en vertu de la Convention. A cette fin, ils s’efforcent, directement ou par l’intermédiaire d’une
organisation régionale appropriée, de : a) coordonner la gestion, la conservation, l’exploration et l’exploi-
tation des ressources biologiques de la mer ; b) coordonner l’exercice de leurs droits et l’exécution de leurs
obligations concernant la protection et la préservation du milieu marin ; c) coordonner leurs politiques de

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REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE 3

(ci-après ZEE), dont les caractéristiques sont typiquement « océaniques ». Cela


expliquera pourquoi le contrôle de l’État côtier sur les espaces maritimes s’est
progressivement étendu sur la Méditerranée, en suivant des traits distinctifs
spécifiques. L’article 123, et la coopération « renforcée » qu’il appelle, n’ont pas été
effectivement mis en œuvre. Les difficultés rencontrées dans la coopération, tant
multilatérale que bilatérale, en matière d’environnement et de pêche semblent
confirmer que le devoir de coopérer prévu par cet article a été interprété par les
États riverains comme une simple obligation de négocier plutôt que de conclure
un accord. S’agissant de la conservation des ressources halieutiques, l’échec de
la coopération est manifeste dans plusieurs secteurs, qu’il s’agisse de l’activité
diplomatique patronnée par l’Union européenne ou des travaux de la Commission
générale de la pêche en Méditerranée (ci-après CGPM). Cette coopération présente
toutefois des résultats plus positifs dans le cadre de la protection régionale de
certaines ressources, 4 et dans la récente intégration de la pêche dans une poli-
tique plus large de protection de l’écosystème et de la biodiversité marine de la
Méditerranée 5.
Il n’empêche que les initiatives unilatérales des États côtiers ont été couronnées
d’un plus grand succès. Les États ont proclamé des zones de juridiction exclusive
au-delà de la mer territoriale, poussés par des intérêts nationaux qui ne répon-
daient qu’en partie à la nécessité d’apporter des réponses plus efficaces aux situa-
tions d’urgence environnementale et à la surexploitation des ressources des mers
qui font face à leurs côtes.
Cette nouvelle configuration spatiale de la Méditerranée a conduit inévitable-
ment à une extension de la juridiction nationale, appelée à l’avenir à éliminer tout
espace de haute mer. Elle augure néanmoins de développements très intéressants
non seulement pour l’environnement et la pêche, qui sont au cœur des revendica-
tions étatiques au-delà de la mer territoriale, mais aussi pour d’autres activités,
ne justifiant pas l’institution de zones fonctionnelles dans la limite des 200 milles
marins. Par ailleurs, la pratique méditerranéenne récente confirme une tendance,
désormais répandue dans beaucoup de mers, à restreindre l’ancienne liberté de
navigation, au nom de l’exigence prédominante de garantir la « sécurité » des
mers 6. Le scénario politique, social et humain caractérisant actuellement la Médi-
terranée provoque des changements considérables de sa configuration politique et
juridique. La situation apparaît certes encore très floue et incertaine à ce jour. Ce
qui inquiète l’opinion publique, compte tenu de la gestion, parfois irresponsable,
des phénomènes migratoires par mer, laquelle, à l’heure où nous écrivons, suscite
une véritable urgence humanitaire 7.

recherche scientifique et entreprendre, s’il y a lieu, des programmes communs de recherche scientifique
dans la zone considérée ; d) inviter, le cas échéant, d’autres États ou organisations internationales concernés
à coopérer avec eux à l’application du présent article ».
4. On se réfère notamment à la convention internationale pour la conservation des thons de l’Atlantique
(CICTA) (voy. infra, partie V).
5. Cette tendance est récemment ressortie des études et des propositions de coopération provenant
de plusieurs secteurs institutionnels différents (UE, PNUE/PAM, OMI).
6. Voy. J. M. SOBRINO HEREDIA (dir.), Sûreté maritime et violence en mer, Bruxelles, Bruylant, 2011 ;
N. RONZITTI, The Law of the Sea and Mediterranean Security, Mediterranean Paper Series, The German
Marshall Fund of the United States, 2010, pp. 1-24, <http://www.gmfus.org/publications/index.cfm> (voy.
infra partie VI).
7. Sur ce point, voy. infra, partie VI.

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4 REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE

II. – LE RÉGIME JURIDIQUE ACTUEL

A. Le cadre général de la pratique des États côtiers

Les changements de configuration spatiale qui ont intéressé la Méditerranée


durant les dernières décennies ont créé une situation complexe, très incertaine
sur le plan juridique 8.
Jusqu’à la fin des années 80, la plupart des eaux de la Méditerranée relevaient
du régime juridique de la haute mer, en raison de l’absence à peu près totale de
zones économiques exclusives (ci-après ZEE) proclamées par ses États riverains.
Alors que la pratique internationale manifestait une extension généralisée de la
juridiction étatique au-delà de la mer territoriale, entérinée par la convention de
1982 qui a codifié l’institution de la ZEE, les États côtiers de la Méditerranée, excep-
tion faite de quelques proclamations passablement rhétoriques ou incertaines 9,
ont choisi de ne pas proclamer dans cette mer des zones exclusives au-delà de la
mer territoriale.
Cette abstention commune, déjà largement analysée par la littérature juri-
dique 10, s’explique certainement par les nombreuses facettes de la complexité médi-
terranéenne, qu’il s’agisse de l’importance stratégique de la navigation commerciale
et militaire 11, des relations politiques et économiques entre les États riverains,
ou peut-être et surtout des difficultés et des risques liés à la définition des fron-
tières maritimes découlant de la conformation géomorphologique et géographique
du bassin. Dans une région où la distance entre les côtes des États riverains
n’excède jamais 400 milles marins, la conclusion d’accords de délimitation des

8. Le processus de « juridictionnalisation » en cours dans la mer Méditerranée a fait l’objet de nombreux


commentaires en doctrine. Voy. I. PAPANICOLOPULU, « Mediterranean Sea », Max Planck Encyclopedia
of Public International Law, 2010 ; M. GRBEC, Extension of coastal state jurisdiction in the Mediterranean, in
N.A.MARTINEZ GUTIERREZ (ed.) Serving the rule of international maritime law. Essays in honour of professor
David Joseph Attard, London, 2009, pp. 181 et s. ; J.G.GIMÉNEZ, El Mar Mediterraneo: régimen juridico
internacional, Barcelona, Atelier, 2007, pp. 165 et s. ; B. VUKAS, State practice in the aftermath of the UN
Convention on the Law of the Sea : the Exclusive Economic Zone and the Mediterranean Sea, in A. STRATI/
M. GAVOUNELI / N. SKOURTOS (eds.), Unresolved issues and new challenges to the law of the sea, Leiden,
2006, pp. 251 et s. ; G. ANDREONE, « Observations sur la juridictionnalisation de la mer Méditerranée »,
Annuaire du Droit de la Mer, 2004, pp. 6-25 ; T. SCOVAZZI, « Les zones côtières en Méditerranée: évolution
et confusion », Annuaire du Droit de la Mer, 2001, pp. 96 et s.
9. Notamment la création d’une ZEE annoncée par l’Égypte dans une déclaration du 26 août 1983,
déposée auprès du Secrétaire Général des Nations Unies avec son instrument de ratification de la conven-
tion de 1982, longtemps considérée par la doctrine comme une proclamation théorique ne s’accompagnant
pas d’un exercice effectif des pouvoirs. Mais cette déclaration, ainsi que l’accord de délimitation des ZEE
respectives conclu le 17 février 2003 entre l’Égypte et Chypre, présentent tous les éléments nécessaires
pour considérer la ZEE égyptienne comme réelle. De plus, plusieurs actes normatifs internes font référence
à la ZEE et semblent donc donner une existence concrète à celle-ci. Voy. « Implementing Regulation of Law No.
82 of 2002 on the Exclusive Economic Zone » qui a été publié à la Official Gazette de N. 38b, du 21 Septembre 2002
(source Faolex) et « Resolution No. 180 of 2001 defining the measures and conditions necessary for issuing
licences for the discharge of waste into the sea», publié à la Official Gazette n° 113, 22 mai 2001, 8 p. (source
Faolex), laquelle règlemente le déversement des déchets dans la mer territoriale et la ZEE. La doctrine s’est
également montrée hésitante sur la question de l’existence en mer Méditerranée de la zone économique
exclusive que le Maroc a instituée par la loi n° 1-81 du 18 décembre 1981. Les actes concrets effectués
par le Maroc en application de ses pouvoirs exclusifs ne sont, en effet, pas reconnus ou acceptés par tous.
Le doute conduit souvent à nier l’existence de cette zone et le Maroc n’a jamais clarifié cette question de
manière officielle. La zone de 200 milles marins instituée par cette loi est certainement applicable à la
façade atlantique du Maroc, mais il n’y a pas de référence expresse concernant son application à la mer
Méditerranée (sur les différentes positions doctrinales, voy. J.G.GIMÉNEZ, op. cit., pp.131 et s.).
10. Voy. U. LEANZA, Il regime giuridico internazionale del mare Mediterraneo, Napoli, Editoriale
Scientifica, 2008, pp.31 et s. ; J.G.GIMÉNEZ, op. cit., pp. 158 et s.
11. Cet effet potentiellement négatif de la création des ZEE en Méditerranée a été mis en évidence
par U. LEANZA, op. cit., pp.175 et s.

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ZEE respectives est une nécessité pour tous ceux qui entendent proclamer la plus
large zone exclusive possible, du moins s’ils n’arrêtent pas leur revendications en
deçà de la ligne d’équidistance entre les côtes opposées ou adjacentes 12.
Même si c’est avec un certain retard par rapport à la pratique qui s’est imposée
dans les autres mers, le processus d’extension de la juridiction nationale peut donc
être désormais considéré comme bien établi en Méditerranée ; à ce jour, quatorze 13
États méditerranéens sur vingt et un ont revendiqué des zones de juridiction exclu-
sive au-delà de la mer territoriale qui sont présentées comme des zones économi-
ques exclusives au sens de la convention de Montego Bay 14 ou comme des zones
exclusives minoris generis (pêche, écologie, etc.) 15. Plus précisément l’Algérie 16,
Malte 17 et l’Espagne 18 ont institué des zones exclusives de pêche, la France 19 et

12. Voy. M. GAVOUNELI, « Mediterranean Challenges: Between Old Problems and New Solutions »,
International Journal of Marine and Coastal Law, 2008, pp. 477 et s. Il nous semble, toutefois, que les
récentes proclamations d’une zone exclusive au-delà de la mer territoriale ainsi que la conclusion de
certains accords de délimitation révèlent le manque de bien-fondé des opinions selon lesquelles l’absence
de délimitation serait un obstacle à la création d’une zone exclusive. Elles démontrent donc que, dans
le passé, la crainte de ne pas réussir à délimiter les frontières maritimes ou de limiter excessivement la
liberté de navigation a servi de prétexte.
13. Des zones exclusives au-delà de la mer territoriale ont été proclamées ou « annoncées » par
l’Algérie, la Croatie, Chypre, l’Égypte, l’Espagne, la France, l’Italie, la Libye, le Liban, Malte, le Maroc, la
Slovénie, la Syrie et la Tunisie.
14. Les sept États qui semblent avoir proclamé ou manifesté l’intention d’exercer leurs pouvoirs sur
la ZEE sont le Maroc, l’Égypte, la Syrie, Chypre, Malte, la Tunisie, la Libye et le Liban. Outre les ZEE
d’Égypte et du Maroc, citées note 10, il faut signaler de plus récentes proclamations faites par Chypre (loi
du 2 avril 2004 <http://www.un.org/Depts/los/LEGISLATIONANDTREATIES/PDFFILES/cyp_2004_eez_
proclamation. pdf) et la Syrie (loi n° 28 du 8 novembre 2003, Official Gazette of the Syrian Arab Republic,
2003, n° 51). Enfin, il faut signaler les transformations en ZEE d’anciennes zones exclusives de pêche
par la Tunisie et la Libye (voy. infra, notes 26 et 27). Même si le Liban n’a pas proclamé officiellement de
ZEE, il a par ailleurs conclu un accord avec Chypre sur la délimitation de leur ZEE respective (non encore en
vigueur à ce jour). Il a par ailleurs déposé le 24 août 2010, auprès du Secrétaire général des Nations Unies,
les coordonnées qui fixent les limites de sa ZEE tant dans la zone de mer qui s’ouvre sur les eaux de l’Autorité
de la Palestine que relativement à la frontière maritime établie d’un commun accord avec Chypre (< http://
www.un.org/Depts/los/LEGISLATIONANDTREATIES/PDFFILES/mzn_s/mzn79ef. pdf>). La volonté du
Liban de proclamer une ZEE semble dès lors évidente.
15. Les États qui ont annoncé la création de zones minoris generis comme la zone exclusive de pêche
ou la zone écologique sont les suivants : Algérie, Croatie, Espagne, France, Italie, Malte et Slovénie.
16. L’Algérie a établi une zone de pêche réservée par la loi n.94-13 du 28 mai 1994 (Gazette officielle
de la République algérienne, n° 40, 22 juin 1994).
17. Malte s’est réservé au large de ses côtes une zone de pêche de 12 milles marins par la loi du
10 décembre 1971, ensuite amendée par une décision du 18 juillet 1978, par laquelle l’extension de la mer
territoriale a été portée à 12 milles, et la zone de pêche à 25 milles marins (texte de la décision de 1978
in RGDIP, 1979, p. 536). La loi de 1971 a été à nouveau modifiée par la loi n° 1 de 2002. Enfin, comme on
va le voir infra note 28 une loi de 2005 semblerait permettre au gouvernement l’extension de la zone au
delà de 25 milles marins.
18. L’Espagne a institué une zone de protection de la pêche s’étendant sur 49 milles marins à partir
de la ligne de base, entre Cabo de Gata et la frontière maritime avec la France (décret royal n° 1315/1997,
Boletín Oficial del Estado n° 204, 26 août 1997). Par un acte ultérieur (décret royal n° 431 du mois de mars
2000, Boletín Oficial del Estado n° 79, 1er avril 2000) cette zone a été réduite à 37 milles marins, calculant
toutefois l’étendue de la zone de pêche au départ de la limite extérieure de la mer territoriale plutôt que de
la ligne de base ; la largeur effective de la zone de mer contrôlée par l’Espagne est dès lors restée inchangée
(voy. V. L. GUTIERREZ CASTILLO / E. M. VAZQUEZ GOMEZ, « La zone de protection de la pêche établie par
l’Espagne en Méditerranée », Espaces et Ressources Maritimes, 1999-2000, pp. 207 et s.).
19. La France a institué une zone de protection écologique au large de ses côtes méditerranéennes par
la loi n° 2003-346 du 15 avril 2003 (JORF, 16 avril 2003) et a fixé la limite externe de la zone par le décret
n° 2004-33 du 8 janvier 2004 (JORF, 10 janvier 2004), après consultations sur les frontières maritimes avec
les États voisins concernés (voy. L. LUCCHINI, « La zone de protection écologique française et son application
en Méditerranée. Quelques brèves observations », Annuaire du Droit de la Mer, 2003, pp. 327 et s.).

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l’Italie 20 optant pour une zone écologique et la Croatie 21 et la Slovénie 22, enfin, pour
des zones mixtes de pêche et de protection environnementale 23.
Cette pratique des États côtiers est généralement justifiée par deux considé-
rations liées aux particularités de la région méditerranéenne. En premier lieu, la
grave dégradation de l’environnement marin, la réduction excessive de certains
stocks de poissons et le risque croissant d’accidents environnementaux résultant de
l’augmentation de la navigation auraient convaincu les États côtiers qu’il ne serait
plus possible de retarder une intervention, fut-elle seulement normative, immédiate
pour protéger l’environnement ou les ressources des zones de mer adjacentes à leurs
côtes. À cette conviction, mûrie par plusieurs gouvernements, se serait ajoutée par
la suite le constat de l’échec de la coopération internationale bilatérale et multila-
térale, qui a rendu particulièrement difficile l’adoption des règles internationales
communes qui auraient permis de réduire la pollution et la surexploitation des
ressources 24. Ces considérations ont fourni aux États les raisons justifiant qu’il soit
mis fin à leur accord tacite de ne pas étendre leurs juridiction ou droits souverains
au-delà des 12 milles, et expliquent aussi le changement d’attitude de l’Union
européenne en la matière 25.

20. Dans une loi n° 61 du 8 février 2006 (Gazzetta ufficiale della Repubblica italiana n° 52 du 3 mars
2006), l’Italie a annoncé son intention d’instituer une zone spéciale au-delà de la mer territoriale et prévoit
la création de zones écologiques ; les décrets d’application n’ont pas encore été approuvés. Il ne s’agit pas
d’une zone écologique pure, mais d’une zone complexe où sont revendiqués non seulement les pouvoirs
de protection de l’environnement marin prévus par la convention de 1982, mais aussi certains pouvoirs
de conservation des ressources de pêche et de protection du patrimoine culturel sous-marin, comme on le
verra infra dans la IIIième partie (voy. U. LEANZA, « Institution de zones de protection écologique dans la
politique des États côtiers de la Mediterranée », in B. VUKAS / T.M. SOSIC (eds), International law: New
Actors, New Concepts-Continuing Dilemmas, Liber Amicorum Bozidar Bakotic, Leiden, Boston, Martinus
Nijhoff Publishers, 2010, pp. 251-264 ; S. IZZO, « Il ruolo polifunzionale della zona di protezione ecologica nel
Mediterraneo », in L. SICO (a cura di) Oltre Montego Bay : nuove tendenze verso il controllo degli spazi marini
adiacenti, Napoli, Editoriale Scientifica, 2009, pp. 27-53 ; G. ANDREONE, « La zona ecologica italiana », Il
Diritto Marittimo, 2007, pp. 3-27 ; T. SCOVAZZI, « La zone de protection écologique italienne dans le contexte
confus des zones côtières méditerranéennes », Annuaire du Droit de la Mer, 2005, pp. 209-221.
21. La Croatie a créé une zone mixte de protection de la pêche et de protection écologique par la
décision du Sabor croate du 3 octobre 2003, publiée à la Narodne novine, Gazette officielle de la Répu-
blique croate, n° 157 du 6 octobre 2003 (voy. Bulletin du droit de la mer, n° 53 de 2004). Cette création
avait été envisagée depuis longtemps, en particulier par le code maritime du 27 janvier 1994 (publié à la
Narodne novine, 1994, n° 75) qui subordonnait son institution à une décision du Parlement et, dès lors, à
des circonstances politiques favorables. La zone créée en 2003 a été mise en application après une année
seulement. Sur la suspension de l’application de cette zone en ce qui concerne les navires communautaires,
voy. infra note 110.
22. Par la loi du 4 octobre 2005, entrée en vigueur le 22 octobre 2005, la Slovénie a établi une zone
de protection écologique. L’année suivante elle a aussi établi une zone de pêche réservée par la loi du
5 janvier 2006, entrée en vigueur le 7 janvier 2006 (Bulletin du droit de la mer, n° 60, 2006). La loi sur
la pêche du 27 octobre 2006, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, et le code maritime approuvé en 2001
et modifié en 2006, tiennent compte de l’acquis communautaire en matière de pêche et de protection de
l’environnement marin.
23. Voy infra, carte n° 1, p. 35.
24. Dans la déclaration commune présentée par les États arabes (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte
et Syrie) à la CGPM lors de sa 22e session, en 1997 (annexe F du rapport de la 22e session), l’intention
d’effectuer des proclamations nationales avait été annoncée, si la coopération méditerranéenne n’évoluait
pas vers des solutions alternatives à la protection unilatérale par chaque État côtier. Le lien étroit entre
l’échec de la coopération et l’extension de la juridiction nationale était, dès lors, évident (voy. G. ANDREONE,
« Les conflits de pêche en Méditerranée », in G. CATALDI (dir.), La Méditerranée et le droit de la mer à l’aube
du 21e siècle, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 206).
25. En fait, la Commission européenne avait déjà évoqué la possibilité de favoriser la création par les
États membres de zones exclusives au-delà de la mer territoriale en Méditerranée (communication au Conseil
et au Parlement relative au Plan d’action communautaire pour la conservation et l’exploitation durable des
ressources de pêche en Méditerranée du 9 octobre 2002 – Com (2002) 535 final). Cette idée fut reprise pendant
la Conférence ministérielle pour le développement durable des pêches en Méditerranée, réunie à Venise du
25 et 26 novembre 2003, et officialisée dans sa déclaration finale. Il est intéressant de remarquer que cette

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Plus récemment, on constate une tendance à transformer en véritables ZEE les


zones de juridiction exclusive limitée, ce qui laisse croire que, dans un avenir proche,
tous les États méditerranéens revendiqueront des zones de juridiction nationale,
et probablement des ZEE. En témoignent par exemple la décision de la Tunisie
d’établir une ZEE à part entière, couvrant toute l’extension de la côte tunisienne,
qui englobera donc la zone de pêche déjà existante, limitée au golfe de Gabès 26 ; la
proclamation par la Libye en 2009 d’une ZEE qui englobe la zone de protection de
pêche établie en 2005 27 ; la loi adoptée par Malte en 2005, qui prévoit la possibilité
d’étendre sa juridiction au-delà de la zone de pêche existante 28 ; les intentions du
gouvernement français de proclamer une véritable ZEE en Méditerranée, en lieu
et place de la zone écologique actuelle 29.

idée des institutions communautaires est mentionnée par la Libye, pour justifier sa prétention unilatérale,
dans une la loi de 2005 instituant la zone de protection de pêche (voy. infra note 27).
26. Il s’agit de la loi n° 2005-50 du 27 juin 2005 (Journal officiel de la République tunisienne n° 51 du
28 juin 2005) qui n’a pas encore été mise en œuvre par des décrets gouvernementaux. Cette loi renvoie
à la conclusion d’accords avec les États voisins pour fixer les limites externes de la zone et à des décrets
ultérieurs pour la rendre effective. Elle spécifie à l’article 4, alinéa 2, que les dispositions relatives à la
délimitation des eaux territoriales des zones de pêche déjà existantes et établies par la loi n° 49/1973
du 2 août 1973 (Journal officiel de la République tunisienne du 31 juillet 1973, p. 1190), ne seront pas
modifiées par les décrets d’application et resteront en vigueur. Restent, donc, provisoirement en vigueur
les dispositions relatives à la zone réservée de pêche instituée par la loi de 1973 par laquelle la Tunisie
avait étendu sa juridiction exclusive en matière de pêche jusqu’à 75 milles marins de la côte devant le
golfe de Gabès (la revendication de la Tunisie sur la zone de pêche remonte au décret du Bey du 26 juillet
1951, modifié par la loi n° 63-49 de 1963). Cette zone est délimitée sur la base d’un critère « bathymé-
trique » et est contestée par l’Italie. Sur ce point, voy. H. SLIM, « Observations sur la loi tunisienne du
27 juin 2005 relative à la Zone économique exclusive », Annuaire du Droit de la mer, 2005, pp. 223 et s. ;
G. CATALDI, « L’Italia e la delimitazione degli spazi marini. Osservazioni relative alla prassi recente di
estensione della giurisdizione costiera nel Mediterraneo », Rivista di diritto internazionale, 2004, pp. 621
et s. ; G. ANDREONE, « The legal regime of fisheries in the Mediterranean: some issues concerning Italy »,
Italian Yearbook of International Law, 2001, pp. 231 et s. ; F. CAFFIO, « La controversia con la Tunisia per
la zona di pesca. E’possibile una soluzione? », Rivista Marittima, 1999, pp. 29 et s. ; N. RONZITTI, « Le zone
di pesca nel Mediterraneo e la tutela degli interessi italiani », Rivista marittima (suppl.), 1999, pp. 21
et s. ; B. CONFORTI, « Problèmes spéciaux en matière de pêche dans la ZEE : point de vue italien », in D.
PHARAND / U. LEANZA (dir.), Le Plateau continental et la Zone économique exclusive, Dordrecht-Boston-
London, Nijoff, 1993, pp. 303 et s. ; T. SCOVAZZI, « La pesca nelle acque comprese tra Italia e Tunisia »,
Rivista di diritto internazionale, 1975, pp. 731 et s.
27. La création d’une zone de protection de la pêche s’étendant jusqu’à 62 milles à compter de la ligne
de la mer territoriale (elle atteint donc presque 150 milles au-delà de la côte, si l’on considère que le golfe
de Syrte relève des eaux intérieures) avait été effectuée par la Libye dans sa décision n° 37 du 24 février
2005 (Bulletin du droit de la mer, n° 58, 2005). La délimitation de cette zone est prévue par la décision
n° 105 du 21 juin 2005 (Bulletin du droit de la mer, n° 59, 2005). Cette décision de la Libye a été contestée
par Malte et par les pêcheurs italiens car elle réduit considérablement la zone de mer libre en Méditer-
ranée centrale. Le gouvernement de Malte a envoyé aux autorités libyennes une note verbale demandant
une clarification sur ce décret instituant une zone exclusive contraire aux droits historiques de pêche des
pêcheurs maltais et a proposé, sans succès, la suspension de l’application du décret, ainsi qu’une action
coordonnée pour la préservation des ressources halieutiques. La Libye a récemment transformé cette zone
de pêche en une ZEE – loi du 31 mai 2009 n° 260 – renvoyant la délimitation de la frontière à d’éventuels
accords avec les États voisins (Bulletin du droit de la mer, n° 72, 2010).
28. Il s’agit de la loi n° 10 du 26 juillet 2005 (Malta Law Gazette n° 17795 Supp.), qui reconnaît au
premier ministre le pouvoir d’étendre la zone au-delà de 25 milles marins et d’exercer les autres pouvoirs
prévus dans la ZEE (voy. les observations de J.G.GIMÉNEZ, op. cit, pp. 235 et s.).
29. Le gouvernement français a manifesté l’intention d’instituer une ZEE en Méditerranée. Cette
nouvelle a circulé sur le web en août 2009 mais, à l’heure actuelle et à notre connaissance, aucune démarche
officielle n’a suivi (« Le gouvernement français a décidé de décréter une ZEE en Méditerranée […] sur
le périmètre approximatif de 70 milles qui correspond à la zone de protection écologique que nous avons
déjà », déclarait Jean-Louis Borloo, ministre de l’écologie, <http://www.actu-environnement.com/ae/news/mer_
grenelle_zee_meditarrane_borloo_aire_marine_8120.php4>).

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8 REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE

B. Les zones exclusives proclamées en Méditerranée :


légitimité et régime juridique

Ni la convention de 1982, ni la pratique internationale ne posent d’obstacles à


l’institution d’une ZEE par l’État côtier d’une mer fermée ou semi-fermée 30.
S’agissant de la proclamation de zones de juridiction exclusive autres que la
ZEE, telles les zones de pêche ou de protection de la pêche, les zones écologiques
ou les zones mixtes écologiques et de pêche, il y a lieu de s’interroger, en l’absence
d’une disposition explicite à leur propos dans la convention de 1982, sur la possibi-
lité de les considérer comme des zones maritimes dont les caractéristiques géogra-
phiques et juridiques se rattachent à la ZEE et donc de leur rendre applicables les
dispositions régissant celle-ci.
La doctrine semble unaniment les tenir pour conformes au droit international
coutumier, au motif que l’État côtier doit être en droit d’y exercer des pouvoirs
moins étendus que ceux qui lui sont reconnus par l’article 56 de la convention de
1982 31 au sein de la ZEE.
La logique qu’exprime l’adage latin in maiore stat minus, largement évoqué
par la plupart des auteurs 32, permet sans doute d’assurer la légalité des zones
exclusives minoris generis créées en Méditerranée. Il n’empêche qu’une distinction
entre le régime juridique des zones de pêche et le régime applicable aux zones
écologiques doit être maintenue ; si la zone de pêche 33 est acceptée sans contesta-
tion par la doctrine et par la jurisprudence internationales 34, la zone écologique

30. La pratique d’autres mers semi-fermées, telles la mer des Caraïbes ou la mer Noire confirme la
légitimité de cette institution en tant qu’acte unilatéral de chaque État. La doctrine ne prend pas parti
sur ce point (voy. N. RONZITTI, « Le zone di pesca nel Mediterraneo », op. cit., p. 3).
31. Sur la base de l’article 56, § 1er, de la convention de 1982, l’État côtier jouit dans la ZEE de droits
souverains sur toutes les ressources économiques, biologiques et minérales, existantes ou obtenues par
l’exploitation du sol, du sous-sol et de la colonne d’eau surjacente ; il a aussi juridiction en matière d’ins-
tallation d’îles artificielles, de recherche scientifique et de protection de l’environnement marin. Pour les
différences entre ZEE et zone de pêche, voy G. CATALDI, « La pêche dans les eaux soumises à la souveraineté
ou à la juridiction des États côtiers », in D. VIGNES / G. CATALDI / R. CASADO RAIGON, Le Droit international
de la pêche maritime, Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 49 et s. ; J.P.QUENEUDEC, « Les rapports entre zone de
pêche et zone économique exclusive », German Yearbook of International Law, 1989, pp. 138 et s.
32. Il est largement accepté que les zones exclusives, qui prévoient des pouvoirs réduits par rapport à
la ZEE et respectent la limite spatiale des 200 milles marins à partir de la ligne de base, sont un minus par
rapport à la ZEE. Presque tous les auteurs ont justifié sur cette base les zones réduites méditerranéennes.
Sur le concept « qui peut le plus peut le moins », voy. A. DEL VECCHIO CAPOTOSTI, « In maiore stat minus:
a note on the EEZ and the zones of ecological protection in the Mediterranean sea », Ocean Development
and International Law, 2008, pp. 287 et s. et T. TREVES, « Les zones maritimes en Méditerranée : compa-
tibilité et incompatibilité avec la Convention sur le droit de la mer de 1982 », Revue de l’Indemer, Les zones
maritimes en Méditerranée, Actes du Colloque de Monaco, 4-6 octobre 2001, pp. 23 et s.
33. Il faut remarquer que les premières revendications d’exclusivité des pouvoirs des États côtiers sur
la colonne d’eau, au-delà de la mer territoriale, ont été formulées en matière de pêche et de préservation
du milieu marin. La première revendication unilatérale de protection de la pêche côtière est contenue
dans l’une des deux proclamations Truman, faites par les États Unies en 1945. Beaucoup plus tard, la
Cour internationale de Justice, dans l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries (Royaume Uni c.
Islande) du 25 juillet 1974, définit la zone de pêche comme une zone située au-delà de la mer territoriale
où l’État côtier peut exercer une compétence exclusive en matière de pêche. C’est après la consolidation
de l’institution de la ZEE sur le plan juridique international, c’est-à-dire bien avant l’entrée en vigueur
de la convention de 1982, que de nombreux États ont transformé leurs zones exclusives de pêche en ZEE.
Cette transformation a par exemple été effectuée par l’URSS en 1984, la Pologne en 1991, la Suède en
1993, l’Iran en 1993, l’Australie en 1994, le Canada en 1996, le Danemark en 1996 ou la Belgique en 1999.
Cela démontre que la zone de pêche s’est affirmée dans la pratique des États avant même la définition de
la ZEE dans la convention de 1982. Pour une reconstruction de l’histoire des revendications nationales en
matière de pêche, voy. D. VIGNES, « Les grandes étapes de la formation du droit international de la pêche »,
in D. VIGNES / G. CATALDI / R. CASADO RAIGON, op. cit., pp. 25 et s.
34. Le Tribunal arbitral institué par la France et le Canada pour régler la question du filetage dans
le golfe du Saint Laurent a considéré que les parties en cause étaient convaincues de l’équivalence des

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REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE 9

est encore une zone maritime tout à fait nouvelle 35, dont le principe n’est pas
totalement indiscuté.
Cela dit, la proclamation de zones réduites, même d’un point de vue spatial,
par rapport à la ZEE est une pratique qui se développe dans d’autres mers 36. Elle
s’explique par l’existence de conditions géographiques ou politiques particulières 37,
qui incitent les États côtiers à limiter leurs prétentions, mais aussi, parfois, à
réduire leur prise en charge des obligations qui leur sont corrélatives. Ce dernier
point ne peut pas être négligé. Il en va particulièrement ainsi dès lors que l’évo-
lution de la pratique, singulièrement européenne, témoigne d’un souci manifeste
d’établir une corrélation entre l’exercice de pouvoirs exclusifs et le respect des
obligations qui en sont le corollaire. Il en va ainsi notamment dans le cas d’une
zone exclusive de pêche ou d’une zone écologique dans laquelle l’État côtier entend
exercer les pouvoirs indispensables pour organiser respectivement l’exploitation
des ressources de la pêche et la protection de l’environnement marin 38.
On sait que la convention de 1982 soumet à des règles différentes l’exercice de
droits souverains sur les ressources économiques (art. 56, § 1er, lettre a) et celui
des autres pouvoirs reconnus à l’État côtier (art. 56, § 1er, lettre b) dans la ZEE. Il
y a lieu dès lors de distinguer le régime juridique applicable respectivement à la
zone exclusive de pêche et à la zone écologique, et de s’interroger sur la nature des
pouvoirs que l’État côtier exerce dans ces zones. Les pouvoirs des États côtiers sont
prévus et réglementés dans la partie V de la convention de 1982 sur la ZEE pour
ce qui concerne l’exploitation et la conservation des ressources biologiques et dans
la partie XII pour ce qui concerne la préservation du milieu marin dans la ZEE.
Si les dispositions de la partie V sur la ZEE sont également applicables aux
zones de pêche 39, il s’ensuit que dans ces dernières les droits souverains d’exploi-
tation exclusive des ressources biologiques confèrent à l’État côtier le pouvoir de
réglementer la pêche assez discrétionnairement 40. En outre dans les zones de pêche
les États peuvent prendre toutes mesures pour faire respecter (enforce), par les
navires étrangers, les dispositions de sa législation sur la pêche et la conservation
des ressources, ce qui comprend notamment les mesures d’inspection, de saisie ou
d’introduction d’un recours judiciaire comme le prévoit l’article 73 de la convention
de 1982.
S’agissant des zones écologiques, on constate en revanche que la convention
de 1982 reconnaît à l’État cotier non point une juridiction exclusive en matière

concepts de ZEE et de zone de pêche (sentence du Tribunal du 17 juillet 1986). En ce qui concerne les
pouvoirs de l’État côtier en matière de pêche, prévus par l’article 56, § 1er, lettre a), l’expression « droits
souverains » ne doit pas être confondue avec la « souveraineté » que l’État exerce sur son territoire, mais
elle doit être entendue dans le sens que l’État côtier a seulement les pouvoirs « fonctionnels » nécessaires
pour l’exercice de son droit d’exploitation.
35. La première revendication d’une zone de protection environnementale au-delà de la mer territo-
riale est contenue dans la loi canadienne, Arctic Waters Pollution Prevention Act de 1970, par laquelle le
Canada réglementait, de façon unilatérale, la navigation et les autres activités sur tous les navires dans
une zone marine de 100 milles marins, afin de protéger l’environnement marin.
36. Voy. S. KVINIKHIDZE, « Contemporary Exclusive Fishery Zones or Why Some States Still Claim
an EFZ », International Journal of Marine and Coastal Law, 2008, pp. 271 et s.
37. À titre d’exemple, on rappelle la création par le gouvernement britannique d’une zone de protec-
tion marine (ZPM) autour de l’archipel des Chagos, sur lequel un différend concernant la souveraineté
est encore pendant entre le Royaume-Uni et Maurice. Sur le différend suscité par cette proclamation, voy.
I. PAPANICOLOPULU, « Mauritius v. United Kingdom : Submission of the dispute on the Marine Protected
Area around the Chagos Archipelago to Arbitration », EJIL talk, 11 février 2011.
38. Voy. T. TREVES, La Convenzione sul diritto del mare del 10 dicembre 1982, Milano, Giuffré, 1983,
p. 24.
39. Voy. L. LUCCHINI / M. VOELCKEL, Droit de la Mer, Tome 2, Volume 2, Navigation et Pêche, Paris,
Pedone, p. 463.
40. Voy. G. CATALDI, La pêche, op. cit., pp. 100 et s.

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10 REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE

de protection de l’environnement marin dans sa ZEE, mais seulement certains


pouvoirs de réglementation. Tant les dispositions contenues dans la section 5 de
la partie XII de la convention que celles qui sont relatives au plateau continental
montrent clairement que l’État côtier dispose du pouvoir d’organiser par ses lois
la protection de l’environnement dans sa ZEE et son plateau continental ; il faut
en revanche douter qu’il dispose de ce pouvoir exclusif pour ce qui concerne l’enfor-
cement des mesures environnementales. En principe, l’État côtier ne paraît donc
pas en droit de prendre toutes les mesures qui peuvent s’avérer nécessaires au
respect de sa législation en matière environnementale, faute d’un pouvoir coercitif
comparable à celui qui lui est reconnu en matière de pêche à l’article 73.
La pratique récente de la France, qui a pris des mesures de contrainte écolo-
gique (enforcement) sur des navires étrangers dans ses zones exclusives (la ZEE en
Atlantique et la zone de protection écologique en Méditerranée) semble confirmer
cette conclusion. La Cour de cassation de France a, en effet, renoncé, au sens de
l’article 228 de la convention de 1982, à réprimer les atteintes à l’environnement
commises par des navires étrangers dans ses eaux lorsqu’ils ont été précédemment
jugés par l’État de leur pavillon. Cette position paraît bien confirmer la non – exclu-
sivité du pouvoir de l’État côtier dans la protection environnementale de sa ZEE
ou de sa zone écologique 41.
Même si elles sont légitimes en tant que réductions, en quelque sorte, de la
ZEE, la zone de pêche et la zone écologique doivent donc être considérées comme des
zones distinctes soumises à un régime juridique différent au sens de la convention
1982.

C. « Sunt nomina consequentia rerum? »


Les incertitudes découlant des proclamations nationales

La fragmentation du régime juridique qui vient d’être soulignée est aggravée


par la confusion que suscitent les multiples proclamations effectuées par les États
côtiers. Il est très difficile de trouver son chemin parmi les déclarations, lois et
autres actes unilatéraux qui sont à l’origine de zones exclusives dont le contour et
les caractéristiques sont à chaque fois particulières. L’insécurité juridique qui en
résulte ne s’arrête pas là. Elle subsiste dans l’exercice concret du pouvoir législatif
ou exécutif 42. La pratique récente des États côtiers révèle que, bien souvent, l’exer-
cice effectif de pouvoirs exclusifs dans une zone ne correspond pas à ce qui a été
officiellement proclamé. Parfois, les noms donnés aux zones sont purement indica-
tifs 43 des droits que les États entendent y exercer concrètement ou légitimement 44.
Une étude plus approfondie des lois internes et des pouvoirs effectivement exercés
par les États permet d’affirmer tout à la fois que les États exercent des pouvoirs
d’enforcement écologique dans les zones de pêche et qu’il y a des zones écologiques

41. Voy., infra, IVème partie, A.


42. Comme on l’a déjà remarqué dans certains cas, tel celui de la zone écologique italienne ou de
la ZEE tunisienne, les zones ne sont pas encore en fonction parce que les lois internes de proclamation
renvoient à des décrets d’application qui n’ont pas encore été adoptés.
43. En ce qui concerne la terminologie fluctuante adoptée par les États qui proclament une ZEE ou
une zone de pêche exclusive, voy. L. LUCCHINI / M. VOELCKEL, op. cit. p. 460.
44. On pourrait, par exemple, considérer également comme zones exclusives de pêche les zones
situées au-delà des 12 milles marins à compter de la ligne de base, que certains États prétendent faire
entrer dans leur mer territoriale (que l’on pense, par exemple, avant les récents changements législatifs,
à la mer territoriale de 35 milles marins de la Syrie ou à la fermeture du golfe de Syrte de la part de la
Libye, ou au golfe de Tarente). Même si elle sont souvent tenues pour illégales au regard du droit inter-
national, de telles proclamations sont néanmoins valables pour ce qui a trait à l’exploitation exclusive
des ressources naturelles.

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REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE 11

dans lesquelles ils revendiquent des pouvoirs de conservation des ressources de


la pêche, ce qui, dans cette mesure, les assimile en quelque sorte à des zones de
pêche protégées.
C’est ainsi par exemple que la Slovénie et la Croatie, en proclamant des zones
mixtes de protection écologique et d’exploitation exclusive de la pêche, ont créé de
facto des ZEE. Ces deux États y revendiquent presque tous les pouvoirs reconnus
dans la ZEE, étant entendu que le pouvoir de créer des installations artificielles,
qui n’est en principe pas reconnu dans les zones mixtes pêche – écologie, peut être
exercé selon les dispositions applicables au plateau continental.
Lorsque des États ont institué une zone exclusive de pêche ou de protection de
la pêche, on remarque souvent que l’État côtier revendique également compétence
pour ce qui concerne la protection de l’environnement marin et la prévention de la
pollution. On constate par exemple que l’Algérie 45 et l’Espagne 46 réglementent la
navigation de tous les navires sans distinction et exercent les pouvoirs coercitifs qui
y sont afférents, dans le but d’assurer la sécurité de la navigation et de prévenir la
dégradation de l’environnement marin dans les zones soumises à leur juridiction,
au nombre desquelles figurent, à notre avis, les zones de pêche réservée.
S’agissant des zones écologiques prévues par la France et l’Italie, on remarque
que dans ces deux cas les pouvoirs qui peuvent être exercés au-delà de la mer
territoriale ne sont pas limités à la protection de l’environnement marin. Il en va
ainsi de la France, qui a proposé pour la première fois en Méditerranée la formule
de la « zone écologique » 47. Il est évident qu’il y a là une véritable zone économique
exclusive, au sens de l’article 56 de la convention de 1982, mais la France n’y
revendique pas de droits exclusifs de pêche, lesquels « pour des motifs tenant aux
relations internationales » sont exclus de la proclamation 48. Il ne s’agit donc pas
d’une zone écologique « pure », mais d’une ZEE sans droits exclusifs de pêche. On
se demande d’ailleurs si la France, bien que les activités de pêche ne soient pas

45. L’Algérie, qui a établi une zone de pêche réservée, a adopté plusieurs lois en matière de protection
de l’environnement marin et en matière de prévention des risques et des catastrophes maritimes, qui sont
applicables aux eaux sous juridiction algérienne. En particulier, la loi n° 03-10, du 19 juillet 2003, relative
à la protection de l’environnement dans le cadre du développement durable, prévoit à son article 52 que
« sont interdits le déversement, l’immersion et l’incinération (dans les eaux maritimes sous juridiction
algérienne) de substances et matières susceptibles de porter atteinte à l’écosystème marin, de nuire aux
activités maritimes, de dégrader les valeurs d’agrément de la mer et des zones côtières et de porter atteinte
à leur potentiel touristique. La liste de substances et matières visées dans cet article est précisée par voie
réglementaire ».
46. Il nous semble que l’Espagne, qui a créé une zone de protection de pêche en soulignant, dans le
préambule de la loi de proclamation, le caractère protectionniste de sa zone exclusive, se considère autorisée
à exercer sa juridiction sur les navires en passage dans sa zone de pêche, s’il y a des risques pour l’intégrité
de l’environnement marin. En fait, on peut remarquer que, par le Real decreto 210/2004 du 6 février 2004,
l’Espagne a établi un système de réglementation et d’information du trafic maritime, par lequel elle prévoit
l’application dans l’ordre juridique interne des directives communautaires en matière de sécurité maritime,
ainsi que des lignes directrices formulées par l’Organisation maritime internationale en la matière. Le
décret est applicable dans les eaux soumises à la souveraineté et à la juridiction de l’Espagne, dans le but
d’augmenter la sécurité maritime. Par conséquent tous les capitaines et opérateurs des navires sont tenus
de respecter les conditions prévues par le décret dans les zones contrôlées par l’Espagne. Et encore, dans le
règlement n° 93 du 23 janvier 2008, qui complète la réglementation sur la sécurité du trafic maritime, on
fait référence au pouvoir des autorités maritimes espagnoles de visiter, faire inspecter, arrêter ou introduire
une instance judiciaire pour les navires qui affectent ou peuvent affecter l’environnement marin quand ils
se trouvent dans les eaux sur lesquelles l’Espagne exerce sa souveraineté ou sa juridiction.
47. Le choix français trouve officiellement sa raison d’être dans la nécessité de faire face aux risques
de dommages irréversibles causés par les décharges continues de substances polluantes en mer, ainsi qu’en
cas d’incidents de navigation.
48. De la lecture du texte de la loi n° 2003-346 (voy. supra, note 19), il ressort clairement que les
autorités françaises peuvent aussi exercer, dans la zone, les compétences en matière de recherche scienti-
fique, d’installation et d’utilisation d’îles artificielles ou autres ouvrages, et on ne peut pas exclure qu’elles
jouissent aussi des droits souverains d’exploitation exclusive des ressources non biologiques.

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12 REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE

visées en principe par sa décision, pourrait revendiquer le droit ou l’obligation de


réglementer la pêche dans cette zone pour en préserver les ressources et l’habitat
marin. La question se pose surtout si la France s’est obligée à respecter les dispo-
sitions d’un traité international de protection de l’environnement dans lequel le
lien étroit entre protection de l’environnement marin et conservation des espèces
est à ce point évident qu’elle ne pourrait, comme Etat côtier, invoquer l’absence de
droits souverains sur les ressources dans sa zone écologique 49.
S’il en va ainsi, il paraît difficile de contester que la France ait le pouvoir, mais
parfois aussi l’obligation, d’appliquer les dispositions du droit international et celles
du droit de l’Union européenne 50 en matière de conservation des ressources de
pêche et d’en sanctionner les violations. Le seul pouvoir qu’il faille exclure reste
donc celui d’exploiter de manière exclusive les ressources de la pêche 51.
Des arguments identiques à ceux qui ont été proposés à propos de la zone écolo-
gique française peuvent être invoqués à propos de la ou des zone(s) écologique(s)
annoncée(s) par la loi italienne de 2006 52, qui contient une affirmation explicite de
compétence pour ce qui concerne la protection de l’environnement, de la biodiver-
sité, des mammifères marins et du patrimoine culturel sous-marin. Selon cette loi,
les activités de pêche sont expressément exclues des règles spécifiques à la zone
et restent donc régies en principe par les règles applicables dans la haute mer. En
pareil cas, il est encore plus difficile de faire la part de ce qui relève respectivement
des régimes d’exploitation des ressources de pêche et de la réglementation de toute
activité, y compris la capture, qui puisse affecter les mammifères marins et la
biodiversité. Cette protection de la biodiversité, d’évidence, implique inévitablement

49. On peut citer le cas de l’accord sur la conservation des cétacés de la Mer Noire, de la Méditerranée
et de la zone atlantique adjacente (ACCOBAMS acronyme anglais), adopté à Monaco le 24 novembre 1996
et entré en vigueur le 1er juin 2001, lequel, à l’article 1er de l’annexe II sur le plan de conservation, prévoit
que « [l]es Parties au présent Accord adoptent les mesures législatives, réglementaires ou administratives
nécessaires pour assurer une pleine protection aux cétacés dans les eaux soumises à leur souveraineté et/
ou juridiction, et en dehors de ces eaux à l’égard de tout navire battant son pavillon ou immatriculé dans
son territoire, et impliqué dans des activités susceptibles d’affecter la conservation des cétacés » et spécifie
que parmi les actions qui doivent être entreprises par les États figure la réglementation sur « les déversements
en mer de substances polluantes susceptibles d’avoir des effets néfastes sur les cétacés » et que les parties
« adoptent, dans le cadre d’autres instruments juridiques appropriés, des normes plus strictes à l’égard de
ces substances ». On trouve un autre exemple significatif dans l’accord Pelagos instituant un sanctuaire
des mammifères marins en Méditerranée (voy. infra, IV, B), selon lequel les parties (France, Italie et
Monaco) doivent adopter, dans les eaux soumises à leur souveraineté et juridiction, des mesures internes
pour interdire les prises intentionnelles de mammifères marins et pour se conformer à la réglementation
internationale et communautaire concernant l’utilisation et la détention de l’engin de pêche dénommé
« filet maillant dérivant ».
50. En fait, le même discours, valable pour les règles internationales auxquelles la France est soumise,
peut être également fait à propos de toutes les dispositions du droit de l’Union européenne, applicables
dans les zones soumises à la juridiction des États membres, en matière de protection de la biodiversité
ou certaines espèces et en matière de gestion de la pêche quand elles présentent un risque pour l’envi-
ronnement. Comme on le verra dans les paragraphes suivants, l’Union a organisé une forte intégration
des politiques de pêche et de protection de l’environnement marin dans sa législation la plus récente. Sur
la sauvegarde de la biodiversité dans le cadre de la pêche, voy. F.J. CORREIRA CARDOSO, Le régime juri-
dique de la haute mer et la sauvegarde de la biodiversité dans le cadre des activités de pêche. Le contexte
international et l’approche de l’Union européenne, in R. CASADO RAIGÓN / G. CATALDI (ed.), L’évolution,
op. cit., pp.159 et s.
51. L’objet principal de l’intérêt français pour la zone écologique, comme il ressort des déclarations
faites en mai 2008 par le secrétaire d’État chargé de l’écologie dans sa réponse à la question parlementaire
n° 212, posée lors de la séance du Sénat le 6 mai 2008, demeure manifestement l’exercice du pouvoir de
rechercher, de constater et de réprimer au-delà des eaux territoriales les rejets illicites d’hydrocarbures et
de substances nocives commis par les navires. Selon les estimations du gouvernement français, le bilan de
quatre ans d’application des mesures répressives dans la zone est très positif, s’agissant soit de condam-
nations qui ont été prononcées à l’encontre des capitaines des navires pris en flagrant délit de rejet illicite,
soit de l’effet dissuasif qui a permis une réduction significative du nombre d’infractions constatées.
52. Voy. supra, note 20.

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REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE 13

une intervention du législateur italien dans la réglementation des activités de


pêche, lesquelles, même si elles sont menées par des navires étrangers, doivent être
conduites conformément aux dispositions nationales, communautaires et interna-
tionales qui obligent l’État italien. C’est pour cette raison que la loi italienne paraît
bien impliquer une revendication de juridiction sur tous les aspects concernant la
conservation des ressources de pêche 53.

III. – LES PROBLÈMES DE DÉLIMITATION

En Méditerranée, les problèmes de délimitation des espaces marins sont parti-


culièrement complexes. Cela est dû à différentes raisons, qui se complètent ; la
principale tient toutefois à l’extension limitée de la Méditerranée par rapport au
nombre des États qui en sont riverains. Ces États, comme le démontrent les événe-
ments survenus dans la première moitié de l’année 2011, témoignent par ailleurs
d’une sensibilité politique parfois très vive, qui ne manque pas de susciter de
nombreux incidents, dégénérant parfois en conflits. Il y a là une conséquence du
fait qu’en Méditerranée se rencontrent (et s’opposent) le sud et le nord du monde.
La perspective de conflits difficiles à résoudre a, dans le passé, constitué un frein à
la proclamation dans cette mer de zones de juridiction exclusive au-delà des eaux
territoriales. Les accords conclus en matière de délimitation ont en outre montré
qu’une délimitation bilatérale échappe difficilement aux contestations de la part
d’États tiers, lesquels sont toujours inévitablement très proches de la zone déli-
mitée. Les frontières maritimes se révèlent donc particulièrement fragiles. À ces
difficultés politiques, s’ajoutent celles, plus techniques, qui sont dues à la présence
d’îles et d’îlots ou à la conformation des côtes, presque toujours très dentelées.
En dépit de ces difficultés, les récentes proclamations concernant des zones
situées au-delà de la limite externe de la mer territoriale ont modifié la condition
juridique des eaux méditerranéennes. Il convient donc d’examiner les problèmes
de délimitation qui en sont résultés. Les zones de juridiction exclusive proclamées
par les États côtiers ont en commun d’avoir été adoptées sans concertation avec les
autres États de la région. Elles risquent dès lors de se superposer l’une à l’autre
dans certains cas. Dans ces zones, des accords bilatéraux de délimitation de la
mer territoriale ou du plateau continental sont par ailleurs en vigueur. En outre,
des accords sur les frontières maritimes, notamment en matière de délimitation
des ZEE respectives, ont été récemment conclus ; loin de stabiliser de manière
définitive les revendications dans la zone concernée, ils ont suscité de multiples
protestations ou contestations de la part des États tiers qui sont proches de la zone
ainsi délimitée. Il en est résulté une série de questions difficiles à résoudre, qu’il
convient d’examiner brièvement.
Nul n’ignore que tout acte de délimitation unilatérale est inopposable aux tiers.
Ce principe, bien connu, a été rappelé par la Cour internationale de Justice dans
l’arrêt qu’elle a rendu en 1951 dans l’affaire des Pêcheries opposant le Royaume
Uni à la Norvège 54.
Dans la convention de Montego Bay, la délimitation de la ZEE entre des
États dont les côtes sont opposées ou adjacentes fait l’objet de l’article 74, dont le
contenu est identique à celui de l’article 83, qui concerne la délimitation du plateau
continental. L’une et l’autre dispositions, en incorporant les indications données par

53. Voy. U. LEANZA, Institution, op. cit., pp. 260 et s. ; G. ANDREONE, « La zona. », op. cit., pp. 16 et s.
54. Affaire des pêcheries (Royaume Uni c. Norvège), arrêt du 18 décembre 1951, CIJ Recueil 1951,
pp. 116 ss.

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14 REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE

la Cour internationale de Justice dans sa décision du 20 février 1969 dans l’affaire


du Plateau Continental de la Mer du Nord, font appel au critère de la « solution
équitable » 55. La convention de 1982 ne contient donc aucune norme substantielle
relative à la délimitation maritime entre États contigus ou se faisant face ; elle se
contente de formuler des obligations procédurales. Un rôle créatif, et décisif, en la
matière a été joué par la jurisprudence internationale, laquelle a traité de la même
manière d’autres zones que la ZEE proprement dite 56.
Aux règles générales concernant la délimitation de la ZEE, qu’il convient sans
doute d’appliquer également aux zones sui generis, il n’y a pas lieu d’ajouter des règles
spécifiques qui soient propres à ces zones particulières. Une seule remarque doit sans
doute être formulée : lorsqu’il s’agit de délimiter des zones non homogènes, par exemple
une zone de pêche et une zone écologique – c’est-à-dire deux zones qui ne sont pas
soumises à un même régime – un doute subsiste sur l’exigence même d’une délimi-
tation, car les deux zones, réglementant des intérêts différents et compatibles entre
eux, peuvent se superposer sans problèmes. Cette hypothèse, qui semble différencier
la Méditerranée des espaces océaniques (où la délimitation concerne essentiellement
les ZEE) a été envisagée s’agissant des zones de juridiction respectives de la France
et de l’Espagne, qui se superposent en partie 57. Il faut toutefois remarquer que cette
conclusion n’est acceptable que dans les hypothèses où il n’y a aucune possibilité de
conflit dans l’exercice par chaque Etat de leurs pouvoirs respectifs. Mais ces hypothèses
demeurent peu fréquentes, comme le montre la loi italienne prévoyant des zones écolo-
giques. Bien que, comme on l’a souligné, celle-ci exclue explicitement les activités de
pêche de son champ d’application, elle pourrait, lors de sa mise en œuvre, justifier des
restrictions de la pêche proprement dite, ce qui pourrait à son tour susciter des conflits
de compétence (en cas de délimitation à défaut d’accord sur la gestion) dans l’hypothèse
où la zone coïnciderait avec une zone de pêche d’un autre pays 58.
Récemment la Roumanie, dans l’affaire relative à la Délimitation maritime
en Mer Noire (Roumanie c. Ukraine), a également envisagé la possibilité que des
règles spéciales soient, à titre de « circonstances pertinentes », appliquées aux mers
fermées ou semi-fermées. Sur ce point spécifique, la Cour internationale de Justice
a pourtant affirmé, dans son arrêt du 3 février 2009 59, qu’il n’existe aucune obliga-
tion ou forme de conditionnement quelconque pour les États riverains d’une mer
semi-fermée qui puisse imposer des règles spécifiques. En particulier, la Roumanie
soutenait qu’il était nécessaire, dans les mers fermées ou semi-fermées, « d’utiliser
la méthode choisie précédemment par les autres États côtiers », et donc de faire
application des règles de délimitation précédemment adoptées dans la région. La
Cour, qui a fait appel à la méthode de l’équidistance pour déterminer la ligne
provisoire, a toutefois précisé que ce choix « n’a pas été dicté par le fait que cette
méthode a été utilisée dans tous les accords de délimitation conclus en mer Noire » 60.
L’affirmation, outre qu’elle exclut l’existence de critères spécifiques propres aux
mers fermées et semi-fermées, clarifie aussi une autre question qui est importante

55. CIJ Recueil 1969, pp. 44, § 78. Sur ce point, voy. N. ROS, « Les méthodes juridictionnelles de délimi-
tation maritime », in R. CASADO RAIGÓN / G. CATALDI (ed.), L’évolution et l’état actuel du droit international
de la mer. Mélanges offerts à Daniel Vignes, Bruylant, Bruxelles, 2009, pp. 797 et ss.
56. Affaire du Golfe du Maine, CIJ Recueil 1984, p. 292, § 90.
57. Voy. E. ORIHUELA CALATAYUD, « La limitación de los espacios marinos españoles », in J.M. SOBRINO
HEREDIA (dir), Mares y Océanos en un mundo en cambio: Tendencias jurídicas, actores y factores, Valencia,
2007, pp. 71 ss., et I. PAPANICOLOPULU, « A Note on Maritime Delimitation in a Multizonal Context : The
Case of the Mediterranean », Ocean Development and International Law, 2007, pp. 381 et s.
58. Ce problème peut se produire à propos de la zone de pêche tunisienne dont on a déjà traité supra
note 26. Voy. G. ANDREONE, « La zona. », op. cit., pp. 25 et s
59. Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, CIJ Recueil 2009, pp. 61 et ss.
60. Voy. le point 174 de la décision et G. ANDREONE, « Chronique de la jurisprudence », Annuaire du
Droit de la Mer, 2009, pp. 555 et s.

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REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE 15

pour la délimitation en Méditerranée, à savoir la valeur qu’il convient d’attribuer


aux accords préexistants. Sur ce point la pratique et la jurisprudence interna-
tionale ont mis en lumière certains principes généraux qu’il convient d’indiquer
synthétiquement ci-dessous :
a) l’objectif de toute délimitation et la raison d’être de tout critère utilisé à
cette fin, est de parvenir à une solution équitable ;
b) toute délimitation est « unique », en ce sens qu’elle est à ce point dépen-
dante des circonstances de l’espèce dans la recherche de la solution à
apporter aux revendications des États dont les côtes se font face ou sont
adjacentes, qu’elle ne peut pas être automatiquement appliquée dans un
autre contexte ;
c) tout accord de délimitation est soumis au principe de stabilité ; il fait la
loi entre les parties comme tout autre accord sans être soumis à la clause
rebus sic stantibus, étant entendu qu’il est inopposable aux tiers. Dans
la décision Qatar c. Bahrein de 2001, la Cour internationale de Justice a
clairement rappelé que la délimitation ne peut intervenir dans les espaces
maritimes qui concernent des États non parties au litige 61 ;
d) les îles, du moins si elles ne sont pas habitées, ont une incidence sur la
délimitation, de même que toute autre portion de territoire terrestre 62 ;
e) la pratique précédemment suivie en l’occurrence par les États en litige a
une valeur relative. Dans l’affaire Jan Mayen, en particulier, la Cour inter-
nationale de Justice a affirmé qu’il ne peut être déduit de l’acte interne par
lequel un État (en l’espèce, la Norvège) a fait application du critère de la
ligne médiane que ce critère soit d’application générale, en manière telle
qu’il doive être utilisé dans d’autres contextes. Ce qui n’empêche que la
conduite antérieure de l’État peut être prise en considération lorsqu’elle
concerne des côtes ou régions autres que les espaces à délimiter 63. A fortiori
en va-t-il ainsi lorsque des intérêts, et non des droits, sont seuls en jeu.
La conclusion est valable pour les accords conclus précédemment entre les
mêmes parties, qui portent sur des espaces marins différents (ou sur des intérêts
différents). Dans son arrêt Jan Mayen, la CIJ a clairement afffirmé que l’on ne
peut attribuer à un accord conclu entre les parties en 1965 une valeur en quelque
sorte « expansive » pour l’avenir 64.

61. CIJ, arrêt du 16 mars 2001 dans l’affaire de la Délimitation maritime et des questions territoriales
entre Qatar et Bahreïn (fond), CIJ Recueil 2001, pp. 40 et ss. (voy. les pararagraphes 235 et s.). Voy. aussi
l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Libye c. Malte, CIJ Recueil 1985, pp. 25 ss.
62. Voy. encore l’affaire Qatar c. Bahreïn (§§ 179 et s). Dans le même sens voy. la deuxième décision
arbitrale rendue dans le différend entre l’Erythrée et le Yémen en 1999, dont le texte est publié sur le site
de la Cour permanente d’arbitrage.
63. Affaire Jan Mayen, CIJ Recueil 1993. Dans son opinion individuelle, le juge Weeeramantry a
affirmé en particulier que : « l’examen de telle ou telle autre manifestation de la pratique des États voit
sa portée fortement restreinte par le fait que les circonstances spéciales et les considérations politiques
sous-jacentes à un arrangement particulier entre deux pays restent souvent dans l’ombre à moins que les
parties elles-mêmes ne les consignent ou ne les fassent connaître. La présente affaire en est une bonne
illustration en ce qui concerne l’accord conclu par la Norvège avec l’Islande, car la Norvège reconnaît elle-
même l’existence de considérations politiques derrière cet arrangement » (§ 220). Dans son contre-mémoire
le gouvernement norvégien avait affirmé que l’accord par lequel on avait accordé à l’Islande une zone de
200 milles n’était qu’« une concession faite en faveur de l’Islande qui aboutit à une limite qui ne correspond
à aucune norme de délimitation équitable ». On pourrait, dans la même perspective, mentionner la procla-
mation faite par la Turquie d’une ZEE en mer Noire ; il est exclu qu’un tel effet d’estoppel puisse obliger
la Turquie à accepter nécessairement une extension de juridiction unilatérale de la part de la Grèce dans
la mer Egée. De même, comme on va le voir, on ne peut reconnaître aucun effet « extensif » à l’accord de
délimitation du plateau continental entre l’Italie et la Yougoslavie de 1968.
64. « La Cour considère que l’objet et le but de l’accord de 1965 étaient simplement de régler la ques-
tion de la délimitation dans le Skagerrak et une partie de la Mer du Nord, zone où le fond de la mer (à

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16 REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE

Logiquement, la ligne de délimitation reste donc liée à l’époque où elle fut


fixée. Autrement dit, parce que toute délimitation est un unicum, une ligne est
nécessairement le résultat des circonstances qui ont amené à la fixer, lesquelles
peuvent changer avec le temps. Il n’est dès lors pas possible de dissocier les dispo-
sitions qui régissent ces délimitations des circonstances qui les ont engendrées
(occasio rerum gerendarum ministra). Dans la sentence arbitrale rendue entre la
Guinée Bissau et le Sénégal le 31 juillet 1989, il a été ainsi affirmé que la ligne
de délimitation du plateau continental tracée par un accord de 1969 ne pouvait
pas être appliquée à la ZEE, c’est-à-dire à une zone maritime qui n’existait pas
à l’époque de la conclusion de l’accord 65. Autrement dit, on ne peut raisonnable-
ment supposer que la délimitation d’une seule parmi plusieurs zones puisse être
automatiquement étendue à d’autres intérêts sans une nouvelle négociation. La
fixation d’une ligne de délimitation doit être contextuelle pour tous les espaces à
délimiter. Le principe doit être rappelé car il est arrivé plus d’une fois que, dans les
zones déclarées unilatéralement en Méditerranée, on a cherché à faire coïncider
la limite externe d’une zone avec la ligne fixée par un accord antérieur relatif à
la délimitation du plateau continental, sans accord préalable de l’autre État. Tel
fut le cas lorsque la Croatie a unilatéralement fixé la limite provisoire de sa zone
de pêche et de protection écologique en adoptant la ligne convenue entre l’Italie
et la Yougoslavie en 1968 pour la délimitation du plateau continental 66. On ne
peut certes nier qu’il puisse en principe être opportun de délimiter à l’aide d’une
ligne unique des espaces marins différents (mer territoriale, plateau continental,
ZEE, etc.). Il n’en va toutefois ainsi que dans les cas où la délimitation adoptée
à l’aide d’une ligne unique soit est contextuelle pour tous les espaces ou intérêts
à délimiter, soit, si elle ne l’est pas, pour autant que l’État qui, dans le passé,
s’était obligé à propos d’un seul des espaces en jeu, par exemple la délimitation
du plateau continental, ait explicitement marqué son accord. Comme pour toutes
autres hypothèses de délimitation, le choix d’une ligne unique demeure assu-
jetti au principe général de la « solution équitable » 67. Il existe divers exemples
du recours en Méditerranée à une limite « all purposes » adoptée d’un commun
accord et contextuelle, tels l’accord de 1984 entre la France et Monaco, l’accord
provisoire de 2002 entre l’Algérie et la Tunisie 68, l’accord entre l’Albanie et la

l’exception de la ‘fosse norvégienne’) est entièrement constitué par un plateau continental d’une profondeur
inférieure à 200 mètres, et que rien ne porte à croire que les Parties aient envisagé la possibilité qu’un jour
une délimitation du plateau entre le Groenland et Jan Mayen pourrait être nécessaire, ou entendu rendre
leur accord applicable à une telle délimitation » (CIJ, affaire Jan Mayen, op. cit., § 27).
65. Le texte de la décision arbitrale est publié dans RGDIP, 1990, pp. 204 ss.
66. Voy. infra carte n° 2, p. 36. Sur ce point, voy. G. CATALDI, « L’Italia e la delimitazione degli spazi
marini », op. cit. Il faut signaler qu’une opportunité importante s’ouvre aujourd’hui à l’Italie et à la Tunisie
pour la révision de leurs frontières maritimes communes. Les deux États ont en fait déclaré des zones de
juridiction exclusive tout en renvoyant à de futurs décrets (et aux accords internationaux) la délimitation y
relative. Il est évident que l’Italie ne pourra jamais accepter en tant que ligne unique de délimitation « all
purposes » la ligne fixée à l’époque (accord du 20 août 1971) pour la délimitation du plateau continental ;
pour les raisons qui ont été signalées, la négociation devrait être reprise en vue de la recherche d’une
solution équitable, adoptée dans un esprit de coopération.
67. Sur la ligne unique, voy. L. LUCCHINI, « Plaidoyer pour une ligne unique de délimitation », in
R. CASADO RAIGÓN / G. CATALDI (dir.), L’évolution et l’état actuel du droit international de la mer. Mélanges
offerts à Daniel Vignes, op. cit., pp. 561 et s. ; I. PAPANICOLOPULU, « A Note… », op. cit., p. 387 ; id., Il confine
marino. Unità o pluralità ?, Milano, Giuffré, 2005 ; ODA, « Delimitation of a Single Maritime Boundary.
The Contribution of Equidistance to Geographical Equity in the Interrelated Domains of the Continental
Shelf and the Exclusive Economic Zone », in Il diritto internazionale al tempo della sua codificazione. Studi
in onore di Roberto Ago, Milano, Giuffré, 1987, pp. 349 et s.
68. Le texte de l’accord provisoire est reproduit dans le Bulletin du droit de la mer, 2003, pp. 41 ss.
Pour un commentaire, voy. L. SALVADOGO, « Le paragraphe 3 des articles 74 et 83 de la CMB : une contri-
bution à l’Accord sur les arrangements provisoires relatifs à la délimitation des frontières maritimes entre
la République tunisienne et la République algérienne démocratique et populaire », Annuaire du droit de
la mer, 2002, pp. 239 et s.

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REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE 17

Grèce du 27 avril 2009, qui fut toutefois ultérieurement annulé par la Cour
constitutionnelle albanaise.
En application du principe de la solution équitable, il faut souligner que si l’Etat
intéressé n’a pas donné à une zone l’extension maximale qu’il eût pu lui donner,
l’autre Etat ne peut s’en prévaloir pour étendre sa propre zone au-delà de la ligne
médiane. Une attitude de self-restraint s’impose donc. La limite externe de la zone
de pêche algérienne s’arrête ainsi en deçà de la ligne médiane avec l’Espagne, et cela
n’autorise certainement pas celle-ci à en profiter en quelque sorte, ce qui d’ailleurs
n’est pas arrivé. Il faut plutôt relever que les États ont parfois conclu un accord sur la
limite de leurs zones respectives avant même de les avoir proclamées. Il en fut ainsi,
par exemple, lors de la conclusion de l’accord entre l’Égypte et Chypre sur la ZEE. La
conduite peut paraître étrange ; on voit mal toutefois qu’elle puisse être contestée,
dès lors que les États intéressés se sont concertés sur ce point dès le début.
La question de la délimitation dans la mer Adriatique, mer semi-fermée dans
une autre mer semi-fermée 69, est d’évidence d’une complexité particulière. Elle
constitue un problème à part, même à la lumière des revendications de la Slovénie.
État géographiquement défavorisé aux termes de l’article 70 de la convention de
1982, celle-ci a proclamé une zone de juridiction exclusive, coïncidant en partie
avec la zone croate, comportant soit des « zones de protection de la pêche » et
soit une « zone de protection écologique » 70. Il y a là des revendications, sans nul
doute excessives à certains égards, qui doivent être examinées à la lumière du
différend entre la Croatie et la Slovénie concernant la souveraineté sur la baie
de Piran et le droit revendiqué par la Slovénie à un « couloir », à l’intérieur des
eaux soumises à la juridiction croate, pour atteindre la haute mer 71. La Slovénie
revendique en effet la souveraineté sur la baie de Piran, qualifiée de baie histo-
rique, en application du principe de l’uti possidetis iuris, en faisant état de sa
gestion continue de la baie, assujettie au contrôle des autorités administratives
slovènes à l’époque de la République fédérale de Yougoslavie 72. Cette revendication
est contestée par la Croatie, qui soutient qu’on ne peut s’appuyer sur le principe
uti possidetis iuris pour les délimitations maritimes, à défaut de précédents en
la matière, et qu’il est légitime dès lors de prolonger en mer la limite terrestre,
ce qui conduit à réserver à chacun des deux États la moitié des eaux de la baie 73.
Les revendications slovènes sur la baie ne sont pas dépourvues de tout fondement,
même si leur « historicité » est à démontrer. Il reste néanmoins qu’il est plus diffi-
cile d’établir le bien-fondé du droit allégué à un « couloir » vers la haute mer, dès
lors que le droit – incontesté – de passage inoffensif dans les eaux territoriales
slovènes et italiennes suffit aux navires slovènes pour atteindre la haute mer
sans problème, indépendamment de la solution qui sera trouvée pour le différend
ayant pour objet la baie de Piran 74.

69. Voy. M. SERSIC, « The Adriatic Sea : Semi-enclosed Sea in a Semi-enclosed Sea », in G. CATALDI
(dir.), La Méditerranée, op. cit., pp. 329 et s.
70. Voy. supra, note 22.
71. Voy. infra, carte n° 3, p. 37.
72. Voy. en particulier les notes verbales du 30 août 2004 et du 15 avril 2005 adressées par la Slovénie
au Secrétaire général des Nations Unies, Bulletin du droit de la mer n° 56, p. 139, et n° 58, p. 20. Sur ce
point, voy. M.G. COHEN, « L’uti possidetis juris et les espaces maritimes », in Le procès international, Liber
amicorum Jean-Pierre Cot, Bruxelles, Bruylant 2009, pp. 155 et s.
73. Voy. en particulier la note verbale du 11 janvier 2005 adressée par la Croatie au Secrétaire général
des Nations Unies, Bulletin du droit de la mer, n° 57, p. 125.
74. Les deux États ont signé le 4 novembre 2009 à Stockholm un accord pour que le différend soit
tranché par un arbitrage. Sur cette question, voy. D. COMBA, Sentinelle du 15 novembre 2009. Le 6 juin
2010, un referendum en Slovénie a confirmé ce choix ; ce différend frontalier n’a dès lors plus de consé-
quences sur le processus d’adhésion de la Slovénie à l’Union européenne.

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18 REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE

IV. – LA PRÉSERVATION DE L’ENVIRONNEMENT MARIN

A. La dégradation du milieu marin

La dégradation considérable de l’environnement marin ou côtier et les risques


résultant du déséquilibre biologique enregistré en Méditerranée 75 font depuis
longtemps l’objet d’une étude attentive tant par la communauté scientifique que
par des organisations gouvernementales et non gouvernementales qui s’occupent
de la protection de cette mer. Bien que les conclusions sur l’état de la dégradation
de l’environnement et sur les mesures nécessaires pour la réduire, soient loin
d’être uniformes et témoignent parfois d’une manière d’« incommunicabilité » entre
biologistes et juristes 76, il faut constater qu’un sentiment de préoccupation et de
méfiance envers les instruments de protection actuellement en vigueur se développe
ches les uns comme chez les autres.
Le cadre de protection offert par les accords internationaux universels 77 et
régionaux 78 applicables à la mer Méditerranée manifeste sans aucun doute un
large accord existant aujourd’hui sur la priorité accordée à la protection de l’en-
vironnement marin contre toute les formes possibles de pollution ou de surex-
ploitation de ses ressources. Il n’empêche qu’il demeure à ce jour insuffisant pour
protéger efficacement cet environnement, ce qui explique que le système normatif
international, d’une grande complexité, qui a été mis en place soit souvent perçu
comme « inactif ».

75. Des études scientifiques récentes dénoncent la détérioration et le déséquilibre biologique des eaux
de la Méditerranée, ainsi que l’absence d’une connaissance adéquate de la biodiversité de cette mer : voy.
F. BOERO, « Recent innovations in marine biology », Marine Ecology, 2009, pp. 1-12 ; J. ROBERTS, Marine
Environment Protection and Biodiversity Conservation – The application and future Development of the
IMO’s Particularly Sensitive Sea Area Concept, Berlin, Springer, 2007.
76. En fait, l’un des problèmes qui est apparu au cours de ces dernières années est la difficulté de créer
un dialogue entre les différents experts qui s’occupent de la Méditerranée, qu’ils soient biologistes marins,
économistes ou juristes. En outre, au sein même de la communauté scientifique, de vifs débats existent
sur l’adéquation des mesures techniques adoptées par les organisations internationales compétentes en
vue de réduire la pollution et la surexploitation des eaux. C’est pourquoi il faut mettre en évidence l’acti-
vité de l’UICN, qui a récemment donné impulsion à un groupe de travail composé d’experts de toutes les
disciplines et provenant de toutes les régions de la Méditerranée. Sur les observations du promoteur de ce
groupe de travail, voy. F. SIMARD, « Le scientifique, le juriste et la gestion : coopération et droit de la mer
en Méditerranée », Annuaire du Droit de la Mer, 2009, pp. 499 et s.
77. L’obligation générale de protéger et de préserver l’environnement marin, prévue à l’article 192
de la convention de 1982, est souvent interprétée comme une simple recommandation plutôt que comme
une véritable obligation juridique, en raison de la réglementation globale contenue dans la partie XII de la
convention, qui est entièrement consacrée à la préservation de l’environnement, et du caractère générique
du contenu de l’obligation elle-même. En effet, les dispositions de la convention de 1982 n’entendent pas
préciser de manière détaillée les obligations des États en la matière, mais bien au contraire elles renvoient
souvent expressément aux « règles et normes internationales généralement acceptées ». Les dispositions
de la convention ne constituent dès lors qu’un cadre général de référence à l’intérieur duquel doivent être
interprétées les obligations spécifiques découlant des conventions environnementales adoptées par les États
riverains de la Méditerranée. Sur ce point, voy. T. TREVES, « Codification du droit international et pratique
des États dans le droit de la mer », RCADI, 1990, pp. 171 et s. Sur les obligations générales de protection
du milieu marin, voy. H. DIPLA, « Préservation du milieu marin versus liberté de la navigation : la lutte
contre la pollution par les navires et les pouvoirs de l’État du port », Annuaire du Droit de la Mer, 2003,
pp. 302 et s. ; D. M. DZIDZORNU, « Coastal State Obligations and Powers Respecting EEZ Environmental
Protection Under Part XII of the UNCLOS : a Descriptive Analysis », Colorado Journal of International
Environmental Law and Policy, 1997, pp. 283 et s.
78. Le principal cadre régional de protection de l’environnement est le « système de Barcelone » (voy.
infra note 84). Sur l’importance et le rôle précurseur joué par ce système, voy. S. BOURAOUI, « Du droit médi-
terranéen de l’environnement comme dialogue possible entre l’Europe et le monde arabe ? », in M. PRIEUR
/ C. LAMBRECHTS, (eds,) Les hommes et l’environnement : quel droit pour le vingt-et-unième siècle ? Etudes
en hommages à Alexandre Kiss, Paris, Editions Frison-Roche, 1998, pp. 228 et s.

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REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE 19

Il faut constater, en s’en réjouissant, qu’à l’heure actuelle, la plupart des États
riverains ont adopté des dispositions nationales pour protéger l’environnement
marin 79 et qu’ils ont, dans le même temps, lancé diverses formes de coopération
intergouvernementale 80. Récemment, la France a, en particulier, adopté une poli-
tique concrète d’enforcement dans sa zone écologique, ce qui est à l’origine de
poursuites judiciaires à l’égard de navires étrangers accusés de déversement de
substances nocives dans les eaux sous juridiction française 81. Cette action coercitive
a eu un effet dissuasif très bénéfique pour le milieu marin français, même si elle a
indirectement fragilisé la condition des eaux relevant de la juridiction de ses États
voisins lorsqu’ils n’ont pas (encore) pris de mesures de contrôle et de protection de
leur milieu marin 82.
En outre, et comme nous l’avons précédemment souligné, l’espace de la haute
mer s’est considérablement réduit et paraît appelé à disparaître. La coopération
internationale devrait dès lors avoir prochainement pour objectif d’harmoniser les
législations nationales et de mettre en place une plate-forme normative commune,
applicable aux aires marines nationales situées en-deçà ou au-delà de la mer terri-
toriale, dans une optique de protection intégrée et écosystémique de la mer.

B. Le cadre juridique régional de protection du milieu marin

Le cadre normatif le plus détaillé pour la protection de l’environnement en


Méditerranée a été élaboré en 1976 au sein du Plan d’action pour la Méditer-
ranée (PAM) adopté par le Programme des Nations Unies pour l’environnement
(PNUE) 83, sous la forme d’un système régional conventionnel, nommé « Système

79. Pour une étude des mesures prises par les États en matière de protection de l’environnement,
voy. V. L. GUTIERREZ CASTILLO, « La protection de l’environnement marin en Méditerranée : une attention
toute particulière aux mesures étatiques », in G. ANDREONE / A. CALIGIURI / G. CATALDI (dir), Emergences
environnementales en mer, en cours de publication.
80. Voy. S. IRHAI, « La préservation du milieu marin en Méditerranée extrême occidentale », Annuaire
du Droit de la Mer, 2009, pp. 269 et s.
81. En France, les poursuites judiciaires à l’égard des navires étrangers ont soulevé une série de
questions juridiques concernant les garanties processuelles pour les individus, prévues par la convention
de 1982 à sa partie XII. En particulier, dans deux jugements (affaires Trans Arctic et Fast Independence)
de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 5 mai 2009, l’article 228, § 1er, de la convention de
Montego Bay a été interprété comme énonçant une obligation, directement applicable, imposant à tous
les organes étatiques compétents de mettre fin à l’action publique engagée contre un navire étranger
responsable de pollution marine par rejet d’hydrocarbures dans la zone économique exclusive (ZEE),
lorsque cette violation a déjà fait l’objet d’un jugement définitif de l’État du pavillon. La Cour suprême
interprète l’article 228, § 1er, comme accordant une primauté absolue au pouvoir juridictionnel de l’État
du pavillon et le considère comme constituant une cause spéciale automatique d’extinction de l’action
publique. La Cour estime qu’il y a là une règle procédurale ayant pour effet d’empêcher le juge interne de
l’État côtier d’examiner au fond une décision définitive de l’État du pavillon et d’évaluer la capacité de cet
État à surveiller de manière adéquate la protection de l’environnement. Bien que des doutes puissent être
soulevés sur la légitimité de cette interprétation, force est de constater que ces deux arrêts sont appelés
à limiter considérablement le pouvoir coercitif de mise en application de la protection écologique dans la
ZEE. Pour une analyse de ces cas, voy. J.-P., COT, A propos de l’article 228 de la convention de Montego Bay.
Competence de l’Etat du pavillon et competence de l’Etat cotier en matière de repression des infractions pour
pollution illicite, in R. CASADO RAIGÓN / G. CATALDI (ed.), L’évolution, op. cit. pp.185 et s. et G. ANDREONE,
« Chronique », op. cit., pp. 558 et s.
82. L’enforcement écologique mis en place par la France a pour premier effet que les navires en circu-
lation dans la mer Tyrrhénienne décident de déverser les substances nocives juste avant d’entrer dans la
zone écologique française, soit dans des eaux qui sont plus proches des côtes italiennes. En tous les cas,
une protection partielle de la mer ne peut jamais qu’être très peu efficace.
83. Le plan d’action de la Méditerranée, faisant partie du programme pour les mers régionales du
PNUE, a été adopté le 4 février 1975 par une conférence intergouvernementale organisée par le PNUE,
et il prévoyait quatre objectifs principaux. Le troisième était intitulé Framework convention and related
protocols with their technical annexes for the protection of the Mediterranean environment. Le PAM a été
remplacé en 1995 par le PAM Phase II et renommé plan d’action pour la protection de l’environnement

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20 REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE

de Barcelone », comportant une convention-cadre et plusieurs protocoles sectoriels


d’application. Ce système a fait l’objet d’une redéfinition globale au cours des années
90, afin de mettre à jour le texte de la convention-cadre 84 et celui des protocoles 85,
à la lumière des nouveaux principes affirmés lors de la Conférence de Rio de 1992
sur l’environnement et le développement.
Les obligations de conduite introduites par le plus récent protocole relatif à la
gestion intégrée des zones côtières de la Méditerranée (protocole GIZCM) 86 présen-
tent en particulier un grand intérêt dans la mesure où elles concernent une large
gamme de politiques étatiques visant à la protection des zones côtières, y compris
les îles, les zones humides, les estuaires, les habitats marins, les forêts, les dunes,
les paysages, ainsi que le patrimoine culturel sous-marin 87. Ce protocole a été
considéré par la doctrine comme un succès significatif de la coopération environ-
nementale en Méditerranée, car il consacre pour la première fois le principe d’une
action intégrée de protection du territoire côtier et de la mer 88.
Le protocole de Barcelone de 1995 sur les aires spécialement protégées et sur
la diversité biologique de la Méditerranée (protocole ASPIM) 89 peut être également
cité comme l’un des instruments sectoriels qui ont enrichi le cadre normatif offert
par le système de Barcelone. Ce nouveau protocole, en dépit d’une large adhésion

marin et le développement durable des zones côtières de la Méditerranée. Voy. J. JUSTE RUIZ, « Le plan
d’action pour la Méditerranée vingt ans après: la révision des instruments de Barcelone », Espaces et
Ressources Maritimes, 1995, pp. 249 et s.
84. La convention de Barcelone pour la protection de la mer méditerranéenne contre la pollution a été
ouverte à la signature des États le 16 février 1976, et est entrée en vigueur le 12 février 1978. Elle a été
conçue comme une convention-cadre ou umbrella treaty qui a été ensuite complétée par divers protocoles
sectoriels. Voy. E. RAFTOPOULOS, The Barcelona Convention and Protocols, London, 1993. Après ledit
processus de révision, la nouvelle convention pour la protection de l’environnement marin et des zones
côtières de la Méditerranée a été adoptée le 10 juin 1995 à Barcelone et est entrée en vigueur le 9 juillet
2004. Pour l’analyse du processus de mise à jour du système de Barcelone, voy. T. SCOVAZZI, « The Devel-
opments Within the Barcelona System for the Protection of the Mediterranean Sea Against Pollution »,
Annuaire de Droit Maritime et Océanique, 2008, pp. 201 et s.
85. Grâce à ce processus de révision et à l’introduction de nouveaux protocoles spécifiques, sept
protocoles sont à ce jour en vigueur, à savoir : 1) le protocole relatif à la prévention de la pollution de la
mer Méditerranée par les opérations d’immersions effectuées par les navires et aéronefs, entré en vigueur
le 12 février 1978 ; 2) le protocole relatif à la coopération en matière de lutte contre la pollution de la mer
Méditerranée par les hydrocarbures et autres substances nuisibles en cas de situation critique, entré en
vigueur le 12 février 1978 ; 3) le protocole relatif à la protection de la mer Méditerranée contre la pollution
d’origine tellurique, entré en vigueur le 17 juin 1983 et amendé en 1996 ; 4) le protocole relatif aux aires
spécialement protégées de la Méditerranée, entré en vigueur le 23 mars 1986, lequel a été remplacé par
le protocole relatif aux aires protégées et à la diversité biologique en Méditerranée, adopté le 24 novembre
1996 et entré en vigueur le 8 décembre 1999 (protocole ASPIM) ; 5) le protocole relatif à la protection de la
mer Méditerranée contre la pollution résultant de l’exploration et de l’exploitation du plateau continental,
du fond de la mer et de son sous-sol, entré en vigueur le 24 mars 2011 (protocole Offshore) ; 6) le protocole
relatif à la prévention de la pollution en mer Méditerranée par les mouvements transfrontières de déchets
dangereux et leur élimination, entré en vigueur le 18 janvier 2008 (protocole déchets dangereux) ; 7) le
protocole relatif à la gestion intégrée des zones côtières de la Méditerranée, adopté le 21 janvier 2008 et
entré en vigueur le 24 mars 2011 (protocole GIZCM)
86. Voy. la note précédente. Le protocole GIZCM est, à ce jour, ratifié seulement par l’Albanie, la
France, la Slovénie, l’Espagne, la Syrie et l’Union européenne. Pour une illustration approfondie, voy.
M. GAVOUNELI, « Mediterranean » op. cit., pp. 481 et s., et T. SCOVAZZI, « The 2008 Mediterranean Protocol
on Integrated Coastal Zone Management and the European Community » in A. DEL VECCHIO (a cura di),
La politica marittima comunitaria, 2009, Roma, Aracne, pp. 159 et s.
87. M. GAVOUNELI, « Mediterranean », op. cit., pp. 483 et s.
88. Ce nouveau protocole GIZCM, et les autres initiatives régionales plus récentes, ont été considérés
comme « new tools for environmental protection, challenging and perhaps redesigning in the process of
the traditional jurisdictional tenets of the law of the sea », voy. M. GAVOUNELI, « Mediterranean », op. cit.,
pp. 479 et s.
89. Voy. supra note 85. Le protocole ASPIM a été ratifié par 18 États. Voy. H. SLIM, Les aires spécia-
lement protégées en Méditerranée, Revue de l’Indemer, Les zones maritimes, op. cit., p. 121. Le texte du
protocole de Barcelone de 1995 a été reproduit dans l’Annuaire du Droit de la mer, 1997, p. 293.

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REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE 21

des États, n’a pu toutefois empêcher une aggravation significative de l’état de la


biodiversité méditerranéenne au cours de ces dernières années. Le champ d’inter-
vention des États fut en effet jusqu’ici limité à la protection de certaines aires – de
superficie réduite – particulièrement critiques, situées à l’intérieur des 12 milles
marins 90. Fait seule exception la zone protégée dite « Sanctuaire des mammifères
marins », créée par un accord international ad hoc conclu par la France, l’Italie et
Monaco (« accord Pelagos ») 91, qui a été insérée dans la « liste des aires spécialement
protégées d’importance méditerranéenne » (ASPIM) prévue par ledit protocole. Il
s’agit d’une zone protégée qui couvre des espaces de mer ne rentrant qu’en partie
dans les zones soumises à la juridiction nationale, dès lors qu’ils s’étendent aussi
à des parties de la haute mer. Il est entendu toutefois que la protection n’est obli-
gatoire que pour les États parties au protocole ASPIM, en ce qui concerne les eaux
relevant de la haute mer. La proclamation par la France d’une zone écologique
a toutefois permis de soustraire à une application purement conventionnelle la
partie du sanctuaire relevant de la haute mer. Les autorités françaises peuvent en
effet imposer dans cette zone les mesures convenues, quel que soit le pavillon du
navire. S’agissant de la portion de haute mer couverte par la future zone écologique
italienne, cette inopposabilité aux tiers pourrait être considérée comme en partie
surmontée si l’on accepte la thèse selon laquelle l’applicabilité des dispositions de
l’accord Pelagos (inséré dans la liste des ASPIM) aux États qui ne sont pas parties
au protocole ASPIM peut être assurée par la ZEE « potentielle » italienne 92.
Actuellement, de nouvelles zones de haute mer réclamant une intervention
immédiate de protection et pour lesquelles il serait nécessaire de créer une aire
marine protégée font l’objet d’une étude par le Centre régional d’activité des aires
marines spécialement protégées 93. Si ces nouvelles aires de haute mer étaient insé-
rées dans la liste ASPIM, les zones de haute mer échappant à toute réglementation
seraient encore plus réduites.
Pour être en mesure d’évaluer la portée réelle des obligations découlant du
système régional de Barcelone, ainsi que son efficacité dans la préservation de
l’environnement marin en Méditerranée, il faut prendre en considération certains
aspects généraux concernant le système dans son ensemble et quelques points
particuliers qu’on retrouve dans plusieurs protocoles.
Tout d’abord, on soulignera que les modifications apportées progresivement au
système de Barcelone ont étendu le champ spatial d’application des mesures de
protection conventionnelles, jusqu’à y faire également entrer les eaux territoriales,
ainsi que le sol et le sous-sol marin, voire même, dans certains cas, des parties
de la côte et du territoire des États, selon les précisions fournies par des règles

90. Voy. infra, carte n° 4, p. 38.


91. L’accord relatif à la création en Méditerranée d’un Sanctuaire pour les mammifères marins (accord
Pelagos) a été signé a Monaco le 25 novembre 1999 et est entré en vigueur en février 2002. Il prévoit la
constitution d’une zone de protection des mammifères située dans les eaux intérieures et dans les mers
territoriales de la France, de l’Italie et de Monaco, ainsi que des parties de haute mer adjacentes.
92. À ce propos on s’est interrogé sur la possibilité que l’accord Pelagos soit considéré comme une
proclamation de certains pouvoirs découlant de la ZEE et, dans l’affirmative, sur l’opportunité d’une
délimitation des zones de compétence de chaque État côtier dans la partie du sanctuaire relevant de
la haute mer, en vue de déterminer la sphère spatiale de contrôle de l’application de l’accord par les
parties. Voy T. SCOVAZZI, « The Mediterranean Marine Mammals Sanctuary », International Journal of
Marine and Coastal Law, 2001, pp. 138 et s. Pour une étude de la ZEE « potentielle » voy. G. ANDREONE,
« Observations », op. cit. pp. 10 et s. Etant donné la délimitation de la zone écologique de la France, par le
décret d’application de 2004, et conscient de l’existence d’une négociation presque achevée entre la France
et l’Italie sur la délimitation de la future zone écologique italienne en mer Tyrrhénienne, on peut sans
doute considérer que cette détermination de la sphère spatiale de compétence de ces deux États dans le
sanctuaire est presque achevée.
93. Voy. infra carte n° 5, p. 38.

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22 REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE

nationales. La zone géographique relevant du système conventionnel s’étend ainsi


à toute la Méditerranée entendue comme Large Marine Ecosystem, ce qui a bien
évidemment une répercussion positive sur l’efficacité du système de protection 94.
Pour évaluer correctement l’effectivité du système de Barcelone, il faut néan-
moins tenir compte du fait que le niveau de participation des États varie considé-
rablement d’un protocole à l’autre 95. En outre, ce qui est le plus souvent considéré
comme la faiblesse majeure du système tient à l’absence d’un contrôle de la mise
en œuvre des normes, qui reste entre les mains de chacun des États pour ce qui le
concerne, en l’absence d’un système international de contrôle et de sanction.
On notera enfin qu’une protection du milieu marin méditerranéen est égale-
ment réalisée par le système de la convention MARPOL 73/78 qui est consacré à
la lutte contre la pollution résultant du déversement des hydrocarbures et autres
substances nocives par les navires 96.

C. La protection environnementale de l’UE


dans le cadre d’une nouvelle stratégie maritime

La Commission de l’Union européenne, en reconnaissant elle-même la frag-


mentation juridique excessive des activités maritimes du bassin méditerranéen,
a proposé que la politique maritime intégrée arrêtée dans l’Union soit étendue
à la Méditerranée, pour en améliorer la gouvernance, dans le respect de sa
spécificité 97.
L’action de l’UE en matière de pollution du milieu marin a connu deux dévelop-
pements significatifs, l’un dans le cadre de la prévention des accidents maritimes,
où la législation européenne a été fortement influencée par les catastrophes qui ont
frappé les côtes communautaires à partir de 1999 (Erika 1999 et Prestige 2002) 98,

94. À ce propos voy. A. VALLEGA, « Geographical coverage and effectiveness of the UNEP Convention
on Mediterranean », Ocean and Coastal Management, 1996, p. 209 et s.
95. Par exemple, le nombre des ratifications des protocoles offshore, déchets dangereux et GIZCM
est encore trop limité pour pouvoir garantir une protection réelle.
96. Il s’agit de la convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires de
1973, complétée par le protocole de 1978, lesquels ont été adoptés au sein de l’OMI. On rappelle que la
mer Méditerranée est désignée « zone spéciale » selon la définition des annexes à la convention MARPOL.
Pour une étude de cette désignation, voy. L. KHODJET EL KHIL, « Le statut de « zone spéciale » de la mer
Méditerranée selon l’annexe V de la Convention MARPOL prend effet », Annuaire du Droit de la Mer,
2009, pp. 426 et s.
97. La nouvelle stratégie maritime européenne sur la politique maritime intégrée fut pour la première
fois présentée dans le Livre Vert de 2006 Vers une politique maritime de l’Union : une vision européenne
des océans et des mers (COM/2006/0275) et ensuite dans la résolution du Parlement sur la politique
maritime intégrée pour l’Union européenne de 2009 (2009/C 279/E/06), avant d’être finalement adoptée
par la communication de la Commission COM (2007) 575, final Une politique maritime intégrée pour
l’Union européenne, le 10 octobre 2007. À ce jour, elle a suscité une directive-cadre sur la Stratégie pour
le milieu marin et quatre communications plus spécifiques. Celle qui concerne la Méditerranée est datée
du 11 septembre 2009 (COM (2009) 466 final, Vers une meilleure gouvernance de la Méditerranée. Pour un
commentaire sur la politique maritime européenne, voy. L. JUDA, « The European Union and the Marine
Strategy Framework Directive: Continuing the Development of the European Ocean Use Management »,
Ocean Development and International Law, 2010, pp. 34 et s.
98. Les deux premières phases de la législation communautaire en la matière, appelées Paquets Erika
I et II, ont introduit un nouveau système de prévention basé sur des mesures d’interdiction de circulation
pour les navires non conformes à la nouvelle législation, et sur le renforcement des contrôles portuaires et
des contrôles concernant la classification des navires, ainsi qu’un système communautaire de contrôle du
trafic maritime. Le Paquet Erika III est un ensemble de règles approuvé en mars 2009 qui ont introduit des
mesures plus sévères et plus sophistiquées dans le double but d’améliorer la prévention, d’une part et la
gestion de la phase postérieure à l’éventuel accident, de l’autre, soit la phase de la réduction des dommages
et de sanction des responsables. L’évolution que manifeste ce paquet tient surtout à l’augmentation des
contrôles sur l’état et la structure des navires, au renforcement des pouvoirs des États du pavillon et des

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REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE 23

et l’autre concernant la répression de la pollution causée par les navires. L’Union


européenne a décidé de renforcer les mesures coercitives pour assurer le respect des
règles internationales relatives à la lutte contre la pollution, notamment la conven-
tion MARPOL 73/78, à l’aide de sanctions pénales frappant les responsables de
rejets illicites en mer 99. La directive n° 35 (2005) a fait obligation aux États membres
de sanctionner, si nécessaire par le biais de mesures criminelles, les violations
commises par les individus. Cette stratégie de renforcement du contrôle et de la
répression pénale de la pollution du milieu marin fut au centre de plusieurs contes-
tations de la part tant des États membres et des armateurs communautaires que
des États non-membres et des opérateurs maritimes non communautaires 100. Les
objections ont surtout porté sur l’extension des compétences étatiques en matière
de répression des délits environnementaux en mer, qui serait contraire même à la
MARPOL et incompatible avec la liberté de navigation, telle qu’elle a été affirmée
dans la convention de Montego Bay. Ces objections ont été à l’origine d’une demande
de décision préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union européenne. Dans son arrêt
du 3 juin 2008, la Cour a affirmé qu’elle n’avait pas compétence pour décider de la
compatibilité de la directive avec les dispositions de la convention de 1982, dès lors
que celles-ci ne produisaient pas d’effets pour les individus ; et moins encore avec
les dispositions de la convention MARPOL 73/78 dès lors que la Communauté n’y
est pas partie 101. La Cour aurait pu défendre la directive en faisant valoir qu’une
protection environnementale plus stricte peut être adoptée par les parties aux
conventions internationales protectrices du milieu marin, pour autant du moins
qu’elle ne soit pas contraire à la législation européenne en matière de préservation
de l’environnement 102. Force est de constater qu’il n’en a rien été.
A la suite du débat soulevé par cet arrêt, le législateur communautaire a toute-
fois décidé de modifier la directive 35 et a prévu que la répression par les États
membres de la pollution provoquée par les navires doit s’exercer conformément à
la convention de 1982 et aux standards internationaux prévus par la convention

États du port et à la modification du système de suivi du trafic, comportant une réglementation plus efficace
en ce qui concerne le choix du lieu de refuge des navires en difficulté.
99. Dans le même moment, la décision-cadre 2005/667/JAI du Conseil a prévu de renforcer le système
pénal pour la répression de la pollution par les navires, en introduisant des normes plus détaillées en la
matière. Cette décision-cadre fut toutefois annulée par la Cour de Justice CE dans son arrêt du 23 octobre
2007 (affaire C-440/05) au motif que le législateur communautaire s’il peut imposer aux États membres
l’obligation d’introduire des sanctions pénales au cas où celles-ci constituent « une mesure indispensable
de lutte contre de graves dommages environnementaux », ne peut pas adopter des dispositions ayant pour
objet « le type et le niveau des sanctions pénales applicables », car cette détermination n’entre pas dans les
compétences de la Communauté européenne. La question controversée de la compétence communautaire
en matière pénale, exercée jusqu’ici seulement dans les secteurs de la protection de l’environnement et
de l’immigration illégale, semble dépassée par l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne qui reconnaît à
l’Union européenne, en tant qu’institution et organisme de coopération intergouvernementale, un pouvoir
d’adopter des règles pénales (art.67.3 TFUE) lorsque cela est nécessaire pour la répression de crimes
transfrontaliers particulièrement graves (art.83.1 TFUE) et dans l’application concrète d’une politique de
l’Union (art.83.2 TFUE). Sur l’action de l’Union en la matière, voy. A. DEL VECCHIO, Protection et sécurité
dans les transports maritimes : les mesures de l’Union européenne, in J. M. SOBRINO HEREDIA (dir.), Sûreté
maritime et violence en mer, op. cit., pp. 357 et s. et Ph. GAUTIER, Applicabilité directe et droit de la mer,
in R. CASADO RAIGÓN / G. CATALDI (ed.), L’évolution, op. cit., pp. 372 et s.
100. Une partie de la doctrine internationaliste a souligné les risques graves que fait courir la position
unilatérale de l’Union européenne et de ses États membres consistant à préférer des mesures protection-
nistes de l’environnement marin même si elles affectent la liberté de navigation. Voy., en particulier, les
observations de B. OXMAN, « The Territorial Temptation : A Siren Song at Sea », AJIL, 2006, pp. 6 et s.
101. CJCE, 3 juin 2008, C-308/06, Intertanko.
102. Sur la possibilité, dans un pareil cas, d’invoquer le principe de précaution, en tant que principe
général de droit communautaire, pour faire prévaloir la législation européenne sur les traités internatio-
naux obligeant l’UE ou les États membres, voy. S. VEZZANI, « Pacta sunt servanda ? La sentenza della Corte
di giustizia nell’affare Intertanko e l’adattamento dell’ordinamento comunitario al diritto internazionale
pattizio », Studi sull’integrazione europea, 2009, pp. 197 et s.

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24 REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE

MARPOL et par les autres instruments en vigueur, et qu’elle ne peut donc pas être
plus restrictive que celle-ci pour ce qui concerne les activités maritimes 103.

V. – LA PROTECTION DES RESSOURCES MARINES VIVANTES


ET LA COOPÉRATION INTERNATIONALE

Les activités de pêche et les politiques gouvernementales ou intergouverne-


mentales de conservation des ressources marines vivantes, qui sont directement
liées à la question plus générale de la préservation de l’environnement marin
méditerranéen, subissent directement les conséquences de la fragmentation du
régime juridique des eaux méditerranéennes.
La coopération internationale dans ce domaine n’a jamais connu un grand
succès. Force est de reconnaître que les tentatives de coopération multilatérale
lancées par la Communauté européenne (aujourd’hui Union européenne) lors des
trois conférences intergouvernementales sur la pêche en Méditerranée (Crète 1994,
Venise 1996 et 2003) ne sont pas allées plus loin qu’une prise de conscience du
danger de la surexploitation des ressources de la mer et des risques de dégradation
de son environnement. Elles n’ont pas permis de trouver un consensus sur le texte
d’une convention, ce qui a contraint de se limiter à une déclaration de principes.
Il faut ajouter que la Commission générale de la pêche en Méditerranée (CGPM)
elle-même n’a pas à ce jour réussi à harmoniser les mesures de conservation des
ressources biologiques de cette mer, faute de disposer des pouvoirs et des moyens
nécessaires à cette fin 104. La Commission aurait pu être l’instrument idéal pour que
soient mises effectivement en œuvre les dispositions de l’accord de New York sur
les stocks chevauchants et sur les stocks des poissons grands migrateurs (1995) 105
et pour organiser la pêche en disposant des pouvoirs décisionnels, voire même
coercitifs, requis pour imposer ses décisions. En l’absence d’une organisation compé-
tente en matière de pêche qui satisfasse ces exigences, même les dispositions de
l’accord de New-York ne permettront sans doute pas d’apporter jamais des solutions
concrètes au problème de la surexploitation 106. Face à ce tableau peu idyllique de la
coopération internationale en matière de pêche, la convention internationale pour

103. Selon la nouvelle directive 2009/123/EC, adoptée le 21 octobre 2009, qui modifie la directive
35/2009, l’obligation pour les États membres de recourir à la sanction pénale en cas de rejets illicites
subsiste néanmoins.
104. La Commission générale de la pêche en Méditerranée est composée de 24 membres, en ce
compris l’UE. On ne saurait nier que la CGPM représente le lieu préférentiel pour le débat scientifique
intergouvernemental en matière de pêche, ainsi que le plus grand centre de collecte d’informations et
d’étude sur les ressources et les politiques de pêche. Son apport à la formation de mesures contraignantes
de conservation demeure toutefois limité à certains secteurs et parfois consiste seulement à confirmer
des mesures déjà adoptées dans d’autres fora internationaux. En outre, la CGPM est entièrement sans
pouvoirs pour contraindre les États pour les pousser à respecter ses décisions obligatoires. Voy. N. FERRI,
« General Fisheries Commission for the Mediterranean », International Journal of Marine and Coastal
Law, 2009, pp.163 et s.
105. Il s’agit de l’accord aux fins de l’application de la convention des Nations Unies sur le droit de
la mer relative à la conservation et à la gestion des stocks chevauchants et des stocks des poissons grands
migrateurs, ouvert à la signature et à la ratification en décembre 1995 et entré en vigueur en décembre
2001 (dit aussi « accord de New York »). Les États riverains de la Méditerranée qui l’ont ratifié sont les
suivants : Chypre, l’Espagne, la France, la Grèce, l’Italie, Malte, Monaco, la Slovénie. L’UE est également
partie à cet accord.
106. On déjà mentionné supra au paragraphe III C) l’accord sur la conservation des cétacés de la mer
Noire et de la mer Méditerranée ainsi que de la zone atlantique adjacente (ACCOBAMS), adopté dans le
cadre de la convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage. Cet
accord ne va pas au-delà de la création d’une table de discussion et ne met en place aucune structure qui
puisse se substituer aux États dans l’adoption de certaines mesures de conservation.

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REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE 25

la conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA) 107, en tant qu’instrument de


coopération régionale sectorielle visant à la protection de certaines espèces, a certai-
nement joué, durant ces dernières années, un rôle plus concret en matière de pêche,
à l’intermédiaire d’un système de quotas auquel participent la plupart des États
riverains, ainsi que plusieurs autres États qui pratiquent la pêche hauturière
dans cette mer.
En pareil contexte, on remarque que les relations internationales, ainsi que
les mesures de gestion en matière de pêche, ne sont plus caractérisées, en Médi-
terranée, par une opposition entre les États de la rive nord et les États de la rive
sud, comme elles l’étaient auparavant ; elles sont plutôt conditionnées par la forte
présence de l’Union européenne. Il est clair que l’importance de son rôle ne tient
pas seulement à la compétence exclusive dont l’UE dispose en lieu et place de ses
États membres 108, sept d’entre eux étant riverains de la Méditerranée 109, mais aussi à
la capacité dont elle a fait preuve d’organiser la pratique internationale méditerra-
néenne dans son ensemble 110. Il est un fait en outre que les effets de cette politique
européenne de gestion durable des ressources de pêche s’étendent, par delà ses
membres, à certains États candidats ou aspirant à le devenir 111, voire même à des
États qui demeurent très éloignés d’une candidature éventuelle 112.

107. La CICTA déploie son activité non seulement dans l’Atlantique mais aussi dans les mers adja-
centes, y compris la Méditerranée, et a pour objectif la conservation et la gestion de thonidés par une colla-
boration entre les parties contractantes permettant de maintenir les populations de thonidés à des niveaux
compatibles avec le total admissible de captures. En vue de réaliser les objectifs indiqués, la convention a
créé la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique, autorisée à formuler
des recommandations qui deviennent contraignantes pour les parties six mois après leur notification, sous
réserve des objections présentées entre-temps. La Commission a institué à partir de 1995 un système de
quotas pour réglementer la pêche au thon rouge dans l’Atlantique et dans la Méditerranée ; depuis 1997, il
s’applique également aux États membres de l’Union européenne. Sur les conflits surgis au sein de celle-ci
en conséquence de l’application des quotas CICTA aux États membres, voy. G. ANDREONE, Les conflits de
pêche en Méditerranée, in G. CATALDI (ed), La Méditerranée, op. cit., pp.216 et s.
108. Ce n’est qu’à partir de 1979 que les pouvoirs exclusifs en matière de pêche ont été exercés plei-
nement par la Communauté européenne, ce qui a eu pour effet d’interdire aux États membres d’exercer
une compétence législative autonome dans ce secteur et d’assumer des obligations internationales à l’égard
des États tiers. Toutefois, la mise en application le contrôle des mesures demeurent de la compétence
principale de chaque État exerçant la juridiction sur ses propres navires. Sur les fondements juridiques et
sur l’évolution de la politique commune de la pêche, voy. F. LEITA / T SCOVAZZI, Il regime della pesca nella
Comunità economica europea, Milano, Giuffré, 1979 ; R.R. CHURCHILL, EEC Fisheries Law, Dordrecht,
1987, pp. 69 et s. ; A. DEL VECCHIO, « La politique commune de la pêche: axes de développement », in
Revue du Marché Unique Européen, 1995, pp. 27 et s. ; L. LUCCHINI / M. VOELCKEL, Droit, op. cit, pp. 590
et s. ; G. CATALDI, « Les principes généraux de la politique commune de la pêche à l’aube du troisième
millénaire », in G. CATALDI (ed), La Méditerranée, op. cit, pp. 413 et s.
109. Il s’agit des États suivants : Espagne, France, Italie, Slovénie, Grèce, Malte, Chypre.
110. Pour une évaluation de l’influence exercée par l’UE et ses États membres sur les États non
membres, qui pourrait restreindre l’exercice des pouvoirs reconnus à tous les États par la convention de
1982, voy. D. VIDAS, « The UN Convention on the Law of the Sea, the European Union and the Rule of
Law : What is going on in the Adriatic Sea ? », International Journal of Marine and Coastal Law, 2009, pp.
1 et s. La critique adressée à l’UE concerne sa réaction, attribuable surtout aux intérêts de l’Italie et de la
Slovénie, à la proclamation d’une zone mixte écologique et de pêche par la Croatie en 2004. Suite à cette
réaction politique assez forte qui aurait pu remettre en discussion sa future adhésion à l’UE, la Croatie a
dû suspendre deux fois – en 2004 et en 2008 – l’application de sa décision aux navires communautaires,
limitant donc l’application de la réserve de pêche aux navires non communautaires. Pour la suspension
adoptée par le Parlement croate en 2008, voy Annuaire du Droit de la Mer, 2007, p. 603.
111. Ces États sont tout d’abord poussés à modifier leur législation en matière de pêche, suivant le
modèle européen. La Croatie a par exemple incorporé dans son ordre juridique les dispositions de la PCP,
et la Turquie se prépare à incorporer l’acquis communautaire en matière de pêche.
112. C’est le cas du Maroc, le seul État méditerranéen à avoir conclu un accord de coopération en
matière de pêche avec l’UE en 1995 et qui l’a renégocié en 2007 dans le cadre de la nouvelle politique
de coopération de l’UE en la matière. Celle-ci est fondée sur le paiement d’une contrepartie financière
pour garantir aux pêcheurs communautaires la possibilité d’avoir accès aux ressources excédentaires
de pêche situées dans les eaux soumises à la souveraineté ou à la juridiction du Maroc cependant que
Rabat doit adopter une politique de pêche responsable, conforme à la législation européenne et aux actes

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26 REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE

S’agissant des navires européens qui pêchent en Méditerranée, la réglementa-


tion européenne applicable s’appuie sur des dispositions qui ont été spécifiquement
adoptées pour cette mer 113, et en partie seulement sur la politique commune de pêche
(PCP) 114. Un règlement récent modifie les mesures de conservation des ressources
en Méditerranée conformément à une approche écosystémique, à la lumière de
la nouvelle stratégie adoptée par l’UE dans la répression de la pêche illicite non
déclarée et non réglementée (INN) 115. Il tente, du moins partiellement, d’intégrer la
protection environnementale des habitats marins dans la politique de la pêche 116.
Ces principes généraux sont encore mieux mis en lumière dans les instruments
européens qui ont lancé la nouvelle réforme de la PCP, en cours d’élaboration auprès
des institutions européennes 117.
Concernant par ailleurs le contrôle de la mise en œuvre et de l’application effec-
tive des dispositions européennes en matière de pêche 118, l’UE a toujours été dotée
d’un pouvoir indiscutable de contrôle direct et surtout de sanction des activités
illégales de pêche imputables directement ou indirectement à ses États membres,
même s’il est vrai que c’est à ceux-ci que revient en premier lieu la responsabilité
de mettre en application les règles et d’en sanctionner les violations.
En dépit de la réglementation européenne existante, la pratique a été toujours
caractérisée par les fréquentes infractions des États membres qui ne veulent, ou
ne peuvent, contrôler efficacement leurs ressortissants et leurs espaces maritimes.
Récemment confrontée à de telles carences, l’UE a introduit des recours en manque-
ment contre les États qui ne respectaient pas leurs obligations communautaires 119.
Deux affaires judiciaires récentes ont ainsi mis en cause le contrôle, respectivement

internationaux en matière de gestion rationnelle et de conservation des ressources. Pour un examen plus
approfondi de la nouvelle politique extérieure de pêche de l’UE et en particulier de l’accord UE/Maroc,
voy. S. IHRAI, « L’Accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et
le Royaume du Maroc », Annuaire du Droit de la Mer, 2006 et G. ANDREONE, « La nouvelle génération des
accords de pêche conclus par la Communauté européenne avec les Pays tiers », Annuaire du Droit de la
Mer, 2007, pp. 326 et s.
113. Le règlement 1967/2006, du 21 décembre 2006, est entré en vigueur avec un rectificatif en mars
2007 (JOUE L 36/7, 8 février 2007). Il abroge le règlement précédent 1626/94 et modifie le règlement
2847/93 en matière de contrôle. Ce dernier règlement a été ensuite abrogé et remplacé par le règlement
1224/2009 du 20 novembre 2009. Pour une analyse critique des nouveautés introduites par le règlement
1967/2006, voy. R. CASADO RAIGON « La politique commune de la pêche en Méditerranée », Annuaire du
Droit de la Mer, 2007, pp. 349-373.
114. Les règlements instituant la politique commune de la pêche remontent à 1983 et ont été remplacés
par le règlement 3760/92 du 20 décembre 1992, modifié par le règlement 2371/2002 du 20 décembre 2002
introduisant l’actuelle politique commune de la pêche.
115. La lutte contre la pêche INN au sein de l’UE est organisée par les règlements 2005/ 2008 du
28 septembre 2008, 1006/2008 du 29 septembre 2008 et 1010/2009 du 22 octobre 2009. Pour un commen-
taire, voy. M. TSAMENYI / M. A. PALMA, « The European Council Regulation on Illegal, Unreported and
Unregulated Fishing : An International Fisheries Law Perspective », International Journal of Marine and
Coastal Law, 2010, pp. 5 et s.
116. Voy. A. REY ANEIROS / E.M. VAZQUEZ GOMEZ, L’Union européenne face à l’approche écosystémique
comme instrument de gestion en matière de pêche, in R. CASADO /G. CATALDI (a cura di), L’évolution, op. cit.,
pp. 735 et s.
117. La réforme de la PCP a été lancée par le Livre Vert du 22 avril 2009 et son entrée en vigueur
est prévue pour 2013. Il reste à savoir si la future PCP sera totalement applicable à la Méditerranée ou
si des dispositions spécifiques pour cette mer seront encore nécessaires.
118. La réglementation de base de la politique de contrôle européenne a été établie, tout d’abord, par
le règlement 2847 de 1993, enrichi ensuite par les dispositions et principes introduits par les nombreux
règlements adoptés au fil du temps, avant d’être récemment remplacé entièrement par le règlement
1224/2009 du 20 novembre 2009, entré en vigueur le 1er janvier 2010.
119. Il s’agit des recours présentés par la Commission au titre de l’article 226 CE (aujourd’hui article
258 TFUE) devant la Cour de Justice de la Communauté européenne (aujourd’hui Cour de Justice de
l’Union européenne).

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REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE 27

par la France 120 et l’Italie 121, de la mise en œuvre des règles communautaires rela-
tives à la pêche en Méditerranée ; elles sont révélatrices des pratiques auxquelles
ont recours la plupart des États riverains 122.
Les condamnations infligées par la Cour et les justifications invoquées par les
États témoignent de la difficulté qu’éprouvent ceux-ci, même dans des contextes qui
ne sont pas identiques, à assurer le respect de certaines mesures de conservation.
Cela met en lumière la faiblesse d’un système bicéphale où les règles sont édictées
par les institutions communautaires, alors que leur mise en application, en ce
compris la phase d’application judiciaire, demeure entre les mains des États. Enfin,
il est évident que la législation européenne sur la pêche en Méditerranée, toute
nécessaire qu’elle soit pour préserver les ressources, excède sans doute la capacité
réelle des États de la mettre effectivement en œuvre, sachant qu’elle pénalise
en outre les pêcheurs européens par rapport à leurs concurrents qui ne sont pas
soumis à des restrictions comparables. Cela dit, c’est à la pratique d’application
du nouveau régime de contrôle qu’il appartiendra demain de vérifier si un système
plus efficace peut ou non être mis en œuvre ; dans l’immédiat, on ne peut que
constater, en s’en réjouissant, que l’UE a la ferme intention de faire usage, même
en Méditerranée, de tous les instruments législatifs ou judiciaires qui devraient
permettre de contraindre ses États membres à adopter des politiques nationales
plus strictes et plus respectueuses de la PCP, en ce compris le recours à de fortes
amendes 123.

120. Dans son arrêt du 5 mars 2009 Commission c. France (affaire relative au manquement d’État
pour l’utilisation des filets de pêche dénommés « thonnailles ») la Cour de Justice de l’Union européenne a
reconnu que la France a manqué à ses obligations communautaires pour ne pas avoir contrôlé, inspecté
et surveillé de façon satisfaisante le respect de l’interdiction d’utiliser certains filets maillants dérivants
dénommés « thonnailles » pour la capture du thon rouge en Méditerranée. La procédure précontentieuse,
commencée en 2003, se fondait sur la divergence d’interprétation entre la Commission et la France en ce qui
concerne la classification de la thonnaille comme filet maillant dérivant, interdit par les règlements 345/92
et 1239/98. La Cour a jugé que la thonnaille constituait un filet dérivant. La dérogation aux dispositions
communautaires accordée par les autorités françaises et leur tolérance envers les violations de l’interdiction
des thonnailles ont été jugées par la Cour contraires aux obligations communautaires de la France, même
si elles résultent d’une fausse interprétation de la définition de filet maillant dérivant.
121. Dans son arrêt du 29 octobre 2009, Commission c. Italie (affaire relative au manquement d’État en
matière de contrôle sur l’interdiction des filets maillants dérivants) statuant sur le manquement de l’Italie
à ses obligations communautaires relatives à l’interdiction de l’usage des filets maillants dérivants en
Méditerranée, la CJUE a essayé de régler une vieille question, qui était devenue en 1996 un différend
international (voir l’arrêt de la US Court of International Trade, dans l’affaire The Human Society of the
United States and others vs. Ron Brown, Secretary of Commerce, and Warren Christopher, Secretary of
State – Federal Supplement, vol 920, p. 178 ; cf. G. ANDREONE, Les conflits, op. cit., pp. 217 et s.). Lors de la
procédure en manquement, l’Italie n’a pu nier l’évidence des carences structurelles du système de contrôle
de l’activité de pêche en Italie, exercé presque exclusivement par les capitaineries des ports. La Cour a
conclu que, dans la période visée, le contrôle des activités de pêche par les autorités italiennes n’avait
pas été suffisamment garanti, et que l’Italie avait donc manqué à son obligation de mettre en place des
procédures administratives ou pénales efficaces pour sanctionner les responsables des infractions et pour
les priver des bénéfices économiques découlant de leurs activités illicites.
122. Sur cette jurisprudence, voy. G. ANDREONE, « Chronique », op. cit. pp. 562 et s.
123. On rappellera que la procédure, très peu utilisée, qui est prévue par l’article 228 CE (aujourd’hui
article 260 TFUE), en cas de non-respect d’un précédent arrêt en manquement de la Cour de Luxembourg,
qui prévoit la condamnation au paiement d’une amende, fut pour la première fois activée par la Commission
en matière de pêche en 2005, avec la condamnation de la France au paiement d’une somme très élevée
(environ 70 millions d’Euro). La France a été condamnée au paiement d’une amende pour ne pas avoir
respecté un précédent arrêt de la Cour constatant la violation des mesures techniques communautaires
pour la conservation des ressources de pêche prévues par les règlements 171/83 et 3094/86 dans l’Atlan-
tique nord oriental.

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28 REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE

VI. – LA PROTECTION DE LA VIE HUMAINE EN MER


LE TRAFIC DES IMMIGRÉS CLANDESTINS

Toute étude sur la Méditerranée, dans le contexte actuel, ne peut négliger la


dimension humaine de cet espace marin, sillonné tous les jours par les bateaux
ayant à bord des citoyens ressortissants du sud du monde qui tentent d’arriver en
Europe pour y trouver les refuge, liberté ou opportunités de vie qui leur sont niées
dans leur pays d’origine 124. Ces derniers temps, on constate souvent des réactions
de fermeture de la part des États de la rive nord, au détriment de la protection de
la dignité humaine qui inspire pourtant beaucoup d’instruments internationaux
liant les États européens 125.
Conscient de ces difficultés, il convient sans doute de reconstruire synthétique-
ment les pouvoirs que les États peuvent légitimement exercer à cette fin en mer et
les limites qui leur sont imposées par le droit international.
Il y a lieu de prendre tout d’abord en considération à ce propos la convention
de Montego Bay, qui autorise l’interception et la visite en haute mer des navires
dépourvus de nationalité, comme il en va souvent pour des canots et autres embar-
cations ayant des migrants à bord. Un tel pouvoir ne peut pas être exercé à l’égard
d’un navire battant le pavillon d’un État étranger, sauf s’il y a des raisons de croire
que ce navire se livre à des activités illégales, telles que la traite d’esclaves, ou qu’il
y ait été autorisé, par voie diplomatique, par l’État d’immatriculation du navire a
été immatriculé. Il faut souligner à ce propos qu’il devient de plus en plus fréquent
que les États fixent par avance les règles à suivre en pareille hypothèse 126.
S’agissant de la traite d’esclaves, la doctrine a exclu qu’un transport de migrants
puisse être constitutif d’un tel commerce, visé à la lettre b) du paragraphe 1er de
l’article 110 de la convention de 1982. Quand bien même les personnes à bord du
bateau seraient en condition d’esclavage, l’article 99 en prévoit d’ailleurs sans
ambiguïté la libération 127.

124. Il faut cependant préciser que, selon les données de l’agence européenne Frontex, seule une très
petite partie des personnes qui se trouvent irrégulièrement sur le territoire européen arrivent par mer,
la plupart d’entre elles arrivant par voie terrestre ou aérienne, souvent avec un visa de tourisme (voy. le
document Annual Risk Analysis 2011, du 15 mai 2011, disponible sur <www.frontex.europa.eu>).
125. Un exemple significatif est offert par la pratique de refoulement en mer, mise en œuvre par le
gouvernement italien de mai à octobre 2009, qui a fait l’objet de fortes contestations de la part des orga-
nisations internationales, gouvernementales et non, lesquelles ont mis en évidence plusieurs violations
des règles internationales. Sur cette question on renvoie, parmi les nombreuses contributions, à A. DEL
GUERCIO, « Respingimenti di migranti verso la Libia e obblighi dell’Italia in materia di rispetto dei diritti
umani », Gli Stranieri, n. 2/2010, pp. 73 et s. ; F. DE VITTOR, « Soccorso in mare e rimpatri in Libia: tra diritto
del mare e tutela internazionale dei diritti dell’uomo », Rivista di Diritto internazionale, 2009, pp. 800 et s. ;
A. LIGUORI, « I respingimenti in mare e il diritto internazionale », disponible sur le site <www.europeanri-
ghts.eu> ; F. SALERNO, « L’obbligo internazionale di non-refoulement dei richiedenti asilo », Diritti Umani
e Diritto Internazionale, 2010, pp. 487 et s. ; A. TERRASI, « I respingimenti in mare di migranti alla luce
della Convenzione europea dei diritti umani », ibidem, 2009, pp. 591 et s. ; S. TREVISANUT, « Immigrazione
clandestina via mare e cooperazione tra Italia e Libia dal punto di vista del diritto del mare », ibidem,
2009, pp. 609 s. Des pratiques de refoulement systématique des migrants et des demandeurs d’asile à la
frontière sont également mises en œuvre par l’Espagne et par la Grèce.
126. Voy. à cet égard S. TREVISANUT, op. cit., pp. 611 ss.
127. A cet égard, il faut prendre aussi en considération le protocole sur la prévention, la suppression
et la punition du trafic d’êtres humains, notamment des femmes et des enfants, adopté le 15 novembre
2000 et entré en vigueur le 29 septembre 2003, annexé à la convention de Palerme (2000), qui invite les
parties contractantes à introduire dans leurs ordres juridiques des lois visant à offrir un accueil tempo-
raire aux victimes du trafficking, en faisant montre d’une « appropriate consideration to humanitarian
and compassionate factors » (art. 7). Pour un examen du protocole, voy. G. MICHELINI, « I Protocolli delle
Nazioni Unite contro la tratta di persone e il traffico di migranti: breve guida ragionata », Diritto Immigra-
zione e Cittadinanza, 2002, pp. 37-47 ; V. MUNTARBHORN, Combating migrant smuggling and trafficking
in persons, especially women: the normative framework re-appraised, in T.A. ALEINIKOFF (ed.), Migration

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REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE 29

Des pouvoirs plus importants sont attribués à l’État côtier pour la prévention
et la répression d’activités contraires à la réglementation en matière d’immigra-
tion dans les limites de la zone contiguë. Une proclamation ad hoc est toutefois
nécessaire pour qu’une telle zone existe ; force est de constater qu’à ce jour une
partie seulement des États riverains de la Méditerranée ont agi en ce sens, à savoir
l’Algérie, Chypre, l’Égypte, l’Espagne, la France, Malte, le Maroc, la Syrie et la
Tunisie. En Italie, on discute pour savoir s’il est possible de déduire l’existence d’une
zone contiguë de l’article 12, alinéa 9 bis, de la loi unique sur l’immigration 128.
Dans le cadre des activités de secours aux migrants et de lutte contre l’immi-
gration clandestine, c’est d’évidence la protection de la vie humaine en mer qui doit
primer. L’obligation coutumière de porter secours est codifiée à l’article 98 de la
convention de Montego Bay 129, et elle est aussi prévue par la convention internatio-
nale pour la sécurité en mer (SOLAS) de 1974 (article 33.1) et par la convention
SAR (Search and Rescue) de 1979. Dans le cadre de celle-ci, les États riverains de
la Méditerranée ont procédé à la détermination de leurs propres zones SAR, selon
les règles approuvées par l’OMI au cours de la conférence de Valence, en 1997 130.
Malte ne se conforme toutefois pas à ces règles ; en effet, elle a unilatéralement
établi une très vaste zone SAR, qui se superpose, au nord et à l’ouest, à celle qui
a été a établie par l’Italie, et en arrive même à couvrir les eaux territoriales des
îles italiennes de Lampedusa et Lampione, tout en touchant, à l’ouest, les eaux
territoriales de la Tunisie 131.

and International Legal Norms, La Haye, TMC Asser Press, 2003, pp. 151-166. Plus généralement, voy.
R. CASADO RAIGÓN, Trafic illicite des personnes et criminalité transnationale organisée, in J. M. SOBRINO
HEREDIA (dir.), Sûreté maritime et violence en mer, op. cit., pp. 3 et s.
128. Cette disposition prévoit que « [l]e navire italien chargé d’un service de police, qui rencontre
dans la mer territoriale ou dans la zone contiguë un navire, à propos duquel il y a un motif sérieux de
croire qu’il se livre au transport illicite de migrants, peut l’arrêter, le soumettre à une inspection et, si l’on
trouve des éléments qui confirment l’implication du navire dans un tel trafic, le saisir en l’amenant dans un
port de l’État » (italiques ajoutés). La Cour de Cassation semble encline à admettre l’existence de la zone
contiguë italienne : dans son arrêt du 5 mai 2010 (Sect. I pénale, Kircaoglu Mehemet et Sinaga Mehemet,)
sur la base d’une argumentation a contrario, dès lors qu’elle déclare, par une affirmation surprenante, que
la zone contiguë n’est pas opposable à la Turquie, État qui n’a pas ratifié la convention de 1982, tout en
oubliant la nature coutumière de cet espace maritime. Sur ce point, voy. le commentaire de G. ANDREONE,
« Immigrazione clandestina, zona contigua e Cassazione italiana: il mistero si infittisce », Diritti umani e
diritto internazionale, 2010, pp. 183-188.
129. voy. aussi, à ce propos, la circulaire du comité pour la sécurité maritime de l’OMI, Interim
Measures for Combating Unsafe Practices Associated with the Trafficking or Transport of Migrants by
Sea, MCS.1/Circ.896/Rev.1, du 19 juin 2001, disponible sur <www.imo.org>. En doctrine, voy. la note de
F. LENZERINI, dans l’Italian Yearbook of International Law, vol. XIX, 2009, pp. 424 ss., qui commente la
décision du Tribunal d’Agrigento (Sect. I pénale), du 15 février 2010, Schmidt, Dachkevitch et Bierdel ;
F. VASSALLO PALEOLOGO, « Il caso Cap Anamur. Assolto l’intervento umanitario », Diritto, Immigrazione
e Cittadinanza, n. 2/2010, pp. 87 et ss. ; T. TREVES, « Codification », op. cit., pp. 9 et s., notamment p. 58 ;
S. TREVISANUT, op. cit., p. 615.
130. L’Italie a institué sa propre zone SAR par le D.P.R. 630/1994 et a ensuite conclu, au cours de la
conférence d’Ancône du 19 mai 2000, des Memorandums of Understanding (MOU) spécifiques de la coopé-
ration lors des opérations de recherche et secours avec la Slovénie, la Croatie, l’Albanie et la Grèce. Voy., à
cet égard, F. CAFFIO, Glossario di diritto del mare, III éd., mai 2007, disponible sur <www.difesa.it>.
131. Voy. infra, carte n° 6, p. 39. La situation qui en résulte donne lieu à des problèmes de coordination
entre les forces navales de ces pays dans le déroulement des opérations de sauvetage ; même Malte, qui
revendique cette vaste zone, admet qu’elle n’est pas en mesure d’intervenir dans toutes les situations
relevant de son ressort spatial. Une situation emblématique est celle du navire marchand Pinar, qui a
sauvé, le 16 avril 2009, dans le canal de Sicile, 154 migrants qui risquaient de se noyer. Quand il a secouru
les deux embarcations, le navire se trouvait dans les eaux soumises à la juridiction de Malte, mais les
autorités de La Valette, qui coordonnaient les opérations, ont ordonné au commandant de faire route vers
le port plus proche, à savoir Lampedusa (Italie), et non vers Malte. Le navire est donc resté à la limite
des eaux territoriales italiennes dans l’attente d’une autorisation. La question s’est résolue après un long
conflit de compétence entre l’Italie et Malte, qui s’attribuaient réciproquement la responsabilité de devoir
porter secours. D’après le gouvernement italien, qui invoquait les amendements apportés en 2004 aux
conventions SAR et SOLAS (voy. les résolutions MSC.153 (78) et MSC.155 (78) du 20 mai 2004 entrées en

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30 REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE

La pratique récente en Méditerranée a montré que l’insécurité juridique et


l’inefficacité de la coopération dans la gestion du flux migratoire peuvent avoir pour
conséquence, paradoxalement, que ceux qui se portent au secours des migrants en
danger de mort en haute mer peuvent se voir accusés de connivence ou de complicité
avec les organisations qui se livrent au trafic illicite de personnes 132.
Ce qui précède montre clairement que le navire qui a opéré le sauvetage ne peut
que provisoirement être considéré comme un « lieu sûr » (place of safety). Même
les lignes directrices adoptées en 2004 par le Comité pour la sécurité maritime de
l’OMI et les amendements aux conventions SOLAS ou SAR 133, ne permettent pas
d’identifier l’État sur lequel pèse l’obligation d’accueillir les personnes secourues
en haute mer. Le document insiste certes sur la responsabilité primaire de l’État
dans la zone SAR duquel a eu lieu le sauvetage, sachant que c’est à cet État qu’il
incombe de fournir un « lieu sûr » ou de s’assurer qu’un tel lieu soit trouvé. Toutefois
ce document rappelle l’obligation pour les autres États de coopèrer à la recherche
du lieu le plus approprié pour le débarquement et de prendre en compte à cette fin
tous autres facteurs importants, notamment la proximité géographique du port
d’un État autre que celui qui est responsable de la zone SAR dans laquelle a été
opéré le sauvetage 134.

vigueur en 2006), la responsabilité aurait dû être celle de l’État dans la zone SAR duquel avait été effectuée
l’interception, en l’espèce Malte ; celle-ci soulignait, par contre, qu’elle n’était pas liée par les amendements
susmentionnés, ayant exercé son droit d’opting-out (admis par les conventions SAR et SOLAS, voy. l’article.
8(b)(vii)(2) de la convention SOLAS et l’article III, par. 2 lettre h de la convention SAR) et que partant
la responsabilité était celle de l’État du port plus proche, en l’espèce l’Italie (sur l’affaire Pinar et sur les
incertitudes liées au lieu de débarquement après le secours, voy. F. De VITTOR, op. cit., pp. 801-804). La
question est indicative de la faiblesse du régime juridique en vigueur (même l’organisation Human Rights
Watch s’est exprimée dans ce sens dans son rapport de septembre 2009, Scacciati e schiacciati. L’Italia e il
respingimento di migranti e richiedenti asilo. La Libia e il maltrattamento di migranti e richiedenti asilo,
p. 46) qui ne suffit pas, à lui seul, à régler, en raison aussi de la marge de discrétion reconnue aux États,
les épineuses questions que soulèvent les flux de migrants par mer.
132. Certains cas sont exemplaires, qui ont notamment intéressé l’Italie, par suite de sa position
géographique. Par exemple, l’affaire où ont été impliqués le commandant et le second du navire de l’associa-
tion Cap Anamur, arrêtés en flagrant délit sous l’accusation de « complicitée aggravée dans l’immigration
clandestine » pour avoir sauvé et amené à Lampedusa, en juin 2004, trente-sept migrants de différentes
nationalités qui se trouvaient à bord d’un canot pneumatique à la dérive dans les eaux internationales,
entre la Libye et Lampedusa. Le procès à l’encontre des accusés s’est conclu le 7 octobre 2009 par un acquit-
tement « parce que le fait ne justifie pas une sanction pénale », du capitaine et du président de l’association,
et parce qu’il « [n’a] pas commis le fait », pour le second (Tribunal d’Agrigente, v. supra, note 129). Une
affaire analogue a concerné sept pêcheurs tunisiens qui, en août 2007, avaient sauvé en eaux interna-
tionales et amené à Lampedusa quarante-quatre migrants. Acquittés de l’accusation de complicité dans
une immigration clandestine, les commandants des deux navires impliqués ont toutefois été condamnés
par le Tribunal pour résistance à un officier public. Il ne manque pas d’épisodes analogues dans des zones
autres que la Méditerranée ; voy. à cet égard M. FORNARI, « Soccorso di profughi in mare e diritto di asilo:
questioni di diritto internazionale sollevate dalla vicenda della nave Tampa », La Comunità internazionale,
2002, pp. 61 et s., M. CROCK / B. SAUL / A. DASTYARI, Future seekers II: refugees and irregular migration
in Australia, Sidney, Federation Press, 2006, en ce qui concerne l’Océanie, et I. CASTROGIOVANNI, « Sul
refoulement dei profughi haitiani intercettati in acque internazionali », Rivista di diritto internazionale,
1994, pp. 1198 et s., s’agissant du continent américain.
133. Dans ces lignes directrices, on qualifie de place of safety le lieu où les opérations de sauvetage
peuvent être considérées comme conclues et où l’on peut garantir aux personnes sauvées non seulement
une première assistance (soins médicaux d’urgence, nourriture, hydratation), mais aussi la protection
contre le refoulement (voy. la résolution MSC. 167(78), Guidelines on the Treatment of the Persons Rescued
at Sea, adoptée le 20 mai 2004 par le Comité pour la sécurité en mer et les amendements aux conventions
SAR et SOLAS entrés en vigueur en 2006).
134. Face aux difficultés que même les amendements adoptés par l’OMI en 2004 n’ont pas réussi à
résoudre, l’Italie et l’Espagne ont proposé d’imposer, par une modification des lignes directrices, à l’État
dans la zone SAR duquel aurait été porté le secours, l’obligation d’accueillir les personnes sauvées. Voy.
le document Compulsory guidelines for the treatment of persons rescued at sea, Submitted by Spain and
Italy, FSI 17/15 janvier, du 13 février 2009.

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REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE 31

Il est important de souligner qu’en matière d’immigration par mer les obliga-
tions qui s’imposent ne sont pas seulement celles qui découlent du droit interna-
tional de la mer, mais aussi toutes celles qui peuvent être déduites d’autres sources,
régulièrement applicables, telle la convention européenne des droits de l’homme
(CEDH). Bien que la Cour de Strasbourg ne se soit jusqu’à présent pas prononcée
sur la question des refoulements en mer 135, on estime en effet que cette convention
doit être reconnue applicable dans ce contexte, du moins si le bateau s’est trouvé
sous le contrôle effectif d’une partie à la convention 136.
S’agissant spécifiquement des opérations menées en haute mer, il faut rappeler
la décision Xhavara c. Italie et Albanie 137, rendue par la Cour européenne des droits
de l’homme. Celle-ci y précise que l’État est responsable des actes accomplis par
ses organes (notamment un navire de la marine militaire) dans le contexte spatial
précité et qu’elle ne subit aucune atténuation du seul fait d’accords comparables
à ceux qui ont été conclus entre les autorités italiennes et les autorités albanaises
à propos du contrôle de l’Adriatique. Les circonstances de l’espèce concernaient le
naufrage, le 28 mars 1997, du navire albanais Kates I Rades, qui avait été éperonné
par un navire de guerre italien, le Sibilla, ce qui avait causé la noyade de cent huit
personnes dans le canal d’Otrante 138.
Cette gestion des migrations, même par mer, est suivie avec attention par
l’Union européenne, laquelle, depuis 1999, est en principe compétente dans le
secteur « Visas, asile, immigrations et autres matières reliées avec la libre circu-
lation des personnes ». La construction d’un espace de liberté, sécurité et justice,
où serait garantie la libre circulation des personnes, rend nécessaire la mise en
œuvre de politiques particulières et la mise au point d’instruments de contrôle des
frontières pour lutter contre l’immigration irrégulière. Au nombre de ceux-ci figure
Frontex, agence européenne pour la gestion de la coopération active aux frontières
externes, qui a été instituée par le règlement 2007/2004/CE et est entrée en fonction

135. Il faut toutefois signaler qu’à l’heure où nous écrivons, est attendue la décision sur le recours
n° 27765/09 Hirsi et autres c. Italie, présenté par les migrants impliqués dans le premier refoulement
effectué par le pays défendeur vers la Libye après l’entrée en vigueur du traité d’amitié, de coopération et
de partenariat signé le 30 août 2008 entre la Libye et l’Italie.
136. En ce sens, F. DE VITTOR, op. cit. ; A. DEL GUERCIO, op. cit. ; A. FISCHER-LESCANO /T LÖHR. /
T. TOHIDIPUR, « Border Controls at Sea: Requirements under International Human Rights and Refugee
Law », International Journal of Refugee Law, 2009, pp. 256 et s. ; G. S. GOODWIN-GILL/ J. MC ADAM, The
Refugee in International Law, Oxford, Oxford University Press, 2007 ; A. LIGUORI, I respingimenti in mare,
op. cit. ; M. TONDINI, Fishers of Men? The Interception of Migrants in the Mediterranean Sea and Their
Forced Return to Libya, INEX Paper, octobre 2010, disponible sur <www.inexproject.eu> ; S. TREVISANUT,
« The Principle of Non-Refoulement at Sea and the Effectiveness of Asylum Protection », Max Planck
Yearbook of United Nations Law, vol. 12/2008, pp. 205-246. En effet, bien que la compétence ratione loci
de l’État soit essentiellement territoriale, la Cour de Strasbourg a admis que cette compétence peut être
étendue, « in exceptional cases », aux actes étatiques « performed, or producing effects, outside their terri-
tories », et en particulier aux « activities of its diplomatic or consular agents abroad and on board craft
and vessels registered in, or flying the flag of, that state » (CEDH [GC], Bankovic c. Belgique et autres,
requête n° 52207/99, décision du 12 décembre 2001, §§ 59, 67 et 73). Sur l’interprétation de la notion de
juridiction de la part des organes de Strasbourg, voy. P. DE SENA, La nozione di giurisdizione statale nei
trattati sui diritti dell’uomo, Turin, Giappichelli, 2002. En matière de contrôle sur un navire étranger, il
faut signaler que la Cour a récemment affirmé, dans l’arrêt Medvedyev et autres c. France (CEDH [GC],
requête n° 3394/03, arrêt du 29 mars 2010, § 67) que « compte tenu de l’existence d’un contrôle absolu et
exclusif exercé par la France, au moins de facto, sur le Winner et son équipage dès l’interception du navire,
de manière continue et ininterrompue, les requérants relevaient bien de la juridiction de la France au
sens de l’article 1 de la Convention ».
137. CEDH, Xhavara et autres c. Italia e Albania, requête n° 39473/98, décision du 20 septembre
1997. Voy. aussi Rigopoulos c. Espagne, requête n° 37388/97, décision du 12 janvier 1999.
138. Voy. E. LAGRANGE, « L’application de la Convention de Rome à des actes accomplis par les États
parties en dehors du territoire national », RGDIP, 2008, pp. 544-545 ; T. SCOVAZZI, Le norme di diritto inter-
nazionale sull’immigrazione illegale via mare con particolare riferimento ai rapporti tra Italia e Albania,
in A. DE GUTTRY / F. PAGANI (a cura di) La crisi albanese del 1997, Milan, Franco Angeli, 1999, p. 255.

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32 REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE

en octobre 2005 139. Les opérations coordonnées par l’agence ont néanmoins suscité
dès le début de nombreuses perplexités, tant sous l’aspect du respect des droits
des personnes impliquées qu’en ce qui concerne des questions étroitement liées au
droit de la mer 140.
Les règles en vigueur pour l’agence Frontex prévoient que priorité pour le débar-
quement revient à l’État d’où est parti le navire ou à celui dont le navire a traversé
les eaux territoriales ou la région de recherche et secours. Si cela n’est pas possible,
il faudrait privilégier le débarquement dans l’État membre accueillant l’opération
Frontex, pourvu que soit ainsi garantie la sécurité des personnes sauvées. Beau-
coup de réserves ont été formulées à ce propos. Le fait d’avoir accordé priorité au
débarquement dans l’État dont le navire a traversé les eaux territoriales ou la zone
de recherche et secours a suscité de nombreuses difficultés, l’Italie et Malte devant
assumer la responsabilité principale à l’égard des migrants qui arrivent par mer
sans qu’aient été prévues des formes obligatoires de burden-sharing pour l’accueil
temporaire des migrants et pour l’examen des demandes de protection éventuelle-
ment présentées. La décision 2010/252/UE n’apporte pas de réponse claire à l’une
des questions les plus épineuses que soulèvent les débarquements par mer : quel
est l’État qui doit être tenu pour responsable des demandes d’asile présentées à la
suite de l’interception et du débarquement ? Le texte ne fournit aucune indication
à cet égard. La solution logique, au sens du règlement 343/2003 (dit Dublin II) 141,
paraît bien être néanmoins que cet État est celui auquel est rattaché le navire qui
a dirigé l’opération et qui a porté secours aux migrants, sauf à faire application des
dispositions contenues au chapitre III (« Hiérarchie des critères »), et notamment
ses articles 5-8, qui accordent priorité au critère du droit à l’unité de la famille 142.
La décision 2010/252/UE n’a pas été, par conséquent, bien accueillie par l’Italie
et par Malte ; l’une et l’autre ont souligné le fait que les orientations en matière

139. On renvoie aux informations disponibles sur le site web de l’agence <www.frontex.europa.eu>.
Sur l’agence Frontex et sur les perspectives de réforme, voy. G. ARIAS FERNANDEZ, Frontex and Illegal
Immigration in the European Union, in J. M. SOBRINO HEREDIA (dir.), Sûreté maritime et violence en mer,
op. cit., pp. 29 et s. ; E. DE CAPITANI / L. BARGIOTTI, « A Chronicle of a European Freedom Security and
Justice Space », octobre 2010, p. 21 et ss., disponible sur <www.europeanrights.eu> ; voy. aussi A. BALDAC-
CINI, « Extraterritorial Borders Control in the EU: the Role of Frontex in Operations at Sea », in B. RYAN /
V. MITSILEGAS (eds.), Extraterritorial Immigration Control, Leiden-Boston, Nijhoff, 2010, pp. 229 et ss.
140. A cet égard il est intéressant de lire la communication de la Commission au Conseil de l’Union
européenne du 30 novembre 2006: « Renforcer la gestion des frontières maritimes méridionales. Proposition
de règlement du Parlement européen et du Conseil portant modification du règlement (CE) n. 2007/2004 du
Conseil instituant une Agence européenne pour la gestion de la coopération active aux frontières externes
des États membres de l’Union européenne (Frontex) » (COM (2010) 61 def.). En vue de fournir une solution
aux questions soulevées, une proposition de règlement – qui intégrerait le règlement 2007/2004/CE – a été
présentée, dont l’objectif principal est d’améliorer les capacités d’action de Frontex, de clarifier son cadre
juridique et de résoudre quelques problèmes spécifiques. Même le code des frontières Schengen, qui attribue
à l’agence Frontex la tâche de coordonner les activités de surveillance aux frontières externes, a subi des
modifications lors de l’adoption, le 26 avril 2010, de la décision du Conseil 2010/252/UE, qui impose, dans
la partie I de son annexe, des règles – contraignantes – pour les opérations aux frontières maritimes coor-
données par l’agence (Frontex, n.d.A.) et, dans la Partie II, des orientations – non contraignantes – pour
les situations de recherche et de secours et pour le débarquement dans le cadre d’opérations aux frontières
maritimes coordonnées par l’agence. Le 25 juin 2010, le Parlement européen a appelé la Cour de Justice
de l’UE à se prononcer sur la validité de cette décision, en lui demandant toutefois de « preserve the effects
of the measure until a new legislative act has been adopted ». Voy. Parlement européen c. Conseil de l’Union
européenne, C-355/10, JOUE, 11 septembre 2010. Sur la décision, voy. A. DEL GUERCIO, « Controllo delle
frontiere marittime nel rispetto dei diritti umani. Prime osservazioni sulla decisione che integra il Codice
delle frontiere Schengen », Diritti umani e diritto internazionale, 2011, pp. 193 et s.
141. Ce règlement établit les critères et les mécanismes de détermination de l’État compétent pour
l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par le ressortissant d’un Etat
tiers. Voy. à cet égard S. PEERS / N. ROGERS, EU Immigration and Asylum Law, Leiden – Boston, Nijhoff,
2006, pp. 221-258.
142. À ce sujet, le troisième considérant du préambule de la décision 2010/252/UE, qui nous semble
important, rappelle que les États membres sont liés par les dispositions de l’acquis en matière d’asile.

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REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE 33

de débarquement des personnes interceptées en haute mer ne prêtent aucune


attention à la position géographique des deux États situés sur la route des prin-
cipaux flux migratoires qui traversent la Méditerranée. Les autorités maltaises,
en engageant une polémique avec les institutions de l’UE, se sont donc refusé à
participer à l’opération Hermes II entamée par Frontex, en mars 2011, en vue de
fournir un soutien aux unités navales italiennes assurant une surveillance rendue
nécessaire par les évènements survenus dans les pays d’Afrique du Nord qui sont à
l’origine des débarquements intervenus dans les premiers mois de 2011. Suite aux
protestations des autorités maltaises, il a été décidé de ne pas appliquer la décision
2010/252/UE aux opérations en cours et d’établir à chaque fois les règles à suivre.
Une fois de plus, ce sont donc les intérêts particuliers des États qui l’emportent, au
mépris de la sécurité juridique – que l’application de la décision précitée aurait, du
moins pour une toute petite partie, garanti –, ainsi que des situations juridiques
des personnes impliquées dans les opérations de surveillance 143.

VII. – CONCLUSIONS

Au cours de notre analyse on a cherché à démontrer que la pratique suivie en


Méditerranée rejoint désormais celle des autres mers et océans. Il se confirme que
les développements et les évolutions du droit international de la mer conditionnent
aussi la gestion de la Méditerranée. Il suffit de penser au processus d’extension
progressive de la juridiction nationale et à la tendance à réglementer toujours plus
la navigation, dans et même au delà des zones nationales, en vue de réaliser l’en-
forcement écologique. Bientôt, la « spécificité » méditerranéenne sera moins liée à la
présence de couloirs de haute mer près des côtes ou à la variété des dénominations
ou régimes applicables dans chacune des zones soumises à la juridiction de l’État
côtier, qu’à un taux élevé de conflits, pour les diverses raisons, politiques, économi-
ques et sociales, qui ont été relevées. Certains exemples récents sont très significa-
tifs. Ainsi, la déclaration espagnole de « zone spéciale de conservation » (ZSC), faite
conformément au droit de l’Union européenne, concerne une zone située devant les
côtes de Gibraltar qui est, comme chacun le sait, sous la souveraineté du Royaume-
Uni 144. Et la note dans laquelle la Turquie a contesté la légitimité de l’accord sur les
frontières maritimes conclu le 17 février 2003 entre Chypre et l’Égypte est surtout
motivée par la négation par Ankara de la souveraineté de Nicosie sur la partie
nord de l’île 145. À ces conflits, il faut ajouter, on l’a dit, les difficultés qui résultent

143. En effet, la décision rappelle dans la partie I les obligations relatives aux droits de l’homme et
à la protection des réfugiés qu’il faut respecter au cours des opérations de surveillance, obligations qui
pèsent déjà sur les États membres de l’UE en vertu d’autres sources internationales, mais qui ont été
réaffirmées au début des règles contraignantes en tant que principes fondamentaux.
144. L’Espagne, dont l’initiative fut appuyée (peut-être inconsciemment) par la Commission de
l’Union, décida de créer une ZSC selon la directive 92/43/CEE (directive habitats-faune-flore) du 21 mai
1992, qui coïncidait largement avec les eaux territoriales de Gibraltar. Par une décision du 12 septembre
2008, la Commission adopta une liste nouvelle des ZSC pour la zone méditerranéenne, sur la base des
indications fournies par les États. Dans cette liste il y avait aussi l’Estrecho Oriental, zone maritime
espagnole destinée à la protection de la nature (JOUE, 13 février 2009). Le Royaume-Uni protesta, et
introduisit un recours devant la Cour de Luxembourg. Entre-temps, le commissaire à l’environnement a
tenté une médiation en proposant un plan commun de gestion entre les deux pays, qui fut repoussé par
le Royaume-Uni en décembre 2009. La controverse s’inscrit donc dans le différend plus large relatif à
la souveraineté sur Gibraltar, exercée par le Royaume-Uni en vertu du traité d’Utrecht de 1713, qui est
contestée par l’Espagne.
145. Voy. en particulier la note d’information de la Turquie du 2 mars 2004, dans le Bulletin du droit
de la mer, n° 54, p. 130, et la réponse du gouvernement de la République de Chypre, en date du 28 décembre
2004, ibidem, n° 57, pp. 126 s.

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34 REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE

des négociations sur les délimitations et surtout les complications découlant d’un
manque de clarté dans les proclamations nationales. Il faut en outre rappeler que
les exigences de sécurité, qui sont communes à toute zone maritime, se font sentir
d’une manière bien plus marquée dans une mer semi-fermée, de grande importance
stratégique, comme l’est la Méditerranée. La réponse interne et internationale à
de telles exigences entraîne souvent des restrictions graves et inhabituelles à la
liberté de navigation 146.
Enfin, il ressort clairement de l’analyse de la pratique que la fragmentation et
l’incertitude de la politique nationale et internationale des États du bassin ont un
impact significatif sur la gestion de la Méditerranée ; elle explique des réponses
insuffisantes aux défis de la protection environnementale, aux exigences de la
conservation des ressources marines, et aux urgences humanitaires liées à l’immi-
gration par mer. La coopération dans la gestion et dans la protection de cette mer
semi-fermée constitue donc, une fois encore, la « grande absente ». Il faut dès lors
souhaiter que soit « normalisée » et coordonnée, dans le futur, l’adoption de zones
maritimes nationales, et que soient effectivement mis en œuvre les engagements
internationaux ratifiés.

146. Voy. E. PAPASTAVRIDIS, « The right of visit on the high seas in a theoretical perspective : Mare
Liberum versus Mare Clausum revisited », Leiden Journal of International Law, 2011, pp. 45-69 ; J. BEER-
GABEL, Preservation de l’environnement marin et passage des navires, in Le Passage, Indemer, Monaco,
Pedone, Paris, 2009, pp. 61 et s. et J.M. VAN DYKE, « The disappearing right to navigational freedom in
the exclusive economic zone », Marine Policy, 2005, pp.107-121.

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REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE 35

Carte n° 1 : Carte générale de la Méditerranée (source : D. ORTOLLAND / J. P. PIRAT, Atlas


géopolitique des espaces martitimes, Paris, Technip, 2007).

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36 REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE

Carte n° 2 : Délimitation de la zone croate (source : archives du Professeur G. Cataldi).

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REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE 37

Carte n° 3 : baie de Piran (source : Wikipedia).

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38 REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE

Carte n° 4 : List and geographical situation of marine protected areas in the Mediter-
ranean (source : <http.www.rac-spa.org>)

Carte n° 5. Priority conservation areas in the open seas, including the


deep sea, likely to contain sites that could be candidates for the SPAMI list
(source : <http.www.rac-spa.org/node/597>)

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REGARDS SUR LES ÉVOLUTIONS DU DROIT DE LA MER EN MÉDITERRANÉE 39

Carte n° 6. Maritime Search and Rescue Regions (source : <http://nms.ukho.gov.uk/2008/


Week/47_6291-6429NP285-WK47-08-PAGE364.pdf>)

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