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EXÉGÈSE ET
HERMÉNEUTIQUE
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Collection « Parole de Dieu »

XAVIER LÉON-DUFOUR
Les Évangiles et l'histoire de Jésus, 1963.
XAVIER LÉON-DUFOUR
Études d'Évangile, 1965.
CHARLES HAROLD DODD
Conformément aux Écritures, 1968.
WILLIAM DAVID DAVIES
Pour comprendre le Sermon sur la montagne, 1970.
GÜNTER STEMBERGER
La Symbolique du bien et du mal
selon saint Jean, 1970.
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ROLAND BARTHES, PAUL BEAUCHAMP,


HENRI BOUILLARD, JOSEPH COURTÈS,
EDGAR HAULOTTE, XAVIER LÉON-DUFOUR
LOUIS MARIN, PAUL RICŒUR,
ANTOINE VERGOTE

EXÉGÈSE
ET
HERMÉNEUTIQUE

Parole de Dieu

ÉDITIONS DU SEUIL
27, rue Jacob, Paris VI
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© Éditions du Seuil, 1971.


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AVANT-PROPOS

Du 3 au 7 septembre 1969, à Chantilly, l'Association catholique


française pour l'étude de la Bible (A.C.F.E.B.) a tenu son second
Congrès national. Il groupait quelque 170 participants, parmi
lesquels une vingtaine de non-spécialistes en Ecriture Sainte,
invités à divers titres : compétence en matière philosophique, psycho-
logique, structuraliste, catéchétique ou dogmatique. En plus de l'in-
térêt qu'ils auraient à rencontrer les exégètes dans leur travail, ils
devaient les aider à entrer plus aisément dans les perspectives nou-
velles qui allaient leur être ouvertes. Notons que, parmi les exégètes,
il yavait un certain nombre de protestants de langue française, pour
la plupart collaborateurs dans la Traduction œcuméniquede la Bible
(TOB).
Ce volume reproduit dans leur intégralité les conférences et les
Tables rondes du Congrès. Cependant il faut apporter une nuance.
Les dernières communications de la dernière matinée n'ont pas
trouvé place ici, pour divers motifs. Nous espérons tous que le sujet
alors abordé sera repris lors d'un prochain congrès. Pour les tables
rondes, l'enregistrement n'en a pas été excellent, si bien que leur
transcription a posé de difficiles problèmes; ceux-ci ont été résolus
tant bien que mal, sauf pour la première partie de la table ronde
de la première journée.
En fin ou en cours de volume sont publiés les documents qui
avaient été envoyés aux participants pour les aider à préparer notre
rencontre : fiches de travail sur le chapitre 1 de la Genèse et sur le
chapitre 7 de l'Epître aux Romains, études concernant l'herméneu-
tique ou l'exégèse des chapitres 10 et 11 des Actes des Apôtres.
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De chaleureux remerciements sont adressés d'abord aux prin-


cipaux conférenciers, sans lesquels les exégètes n'auraient pu être
initiés à de nouvelles méthodes: Paul Ricœur, Antoine Vergote et
Roland Barthes avant tout, mais aussi à tous les participants des
tables rondes et aux auteurs des diverses communications, pour ne
point parler des secrétaires et de ceux qui ont aidé à lire les bandes
magnétiques.
Les textes en italique qui ne sont pas précédés de noms d'auteur
ont été rédigés par l'organisateur du Congrès, signataire de cet
Avant-propos.
Lyon, le 6 janvier 1971 XAVIER LÉON-DUFOUR
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SIGLES

Ac
Am
Actes des Apôtres
Amos
J1 Joël
Jn Évangile selon Jean
Ba Baruch Le Évangile selon Luc
I Co 1 aux Corinthiens Lv Lévitique
Dn Daniel Mc Évangile selon Marc
Dt Deutéronome Mt Évangile selon Matthieu
Ex Exode Pr Proverbes
Ez Ezéchiel Ps Psaumes
Ga Épître aux Galates Qo Qohélet (Ecclésiaste)
Gn Genèse Rm Épître aux Romains
Is Isaïe Sg Sagesse
Jb Job Si Siracide (Ecclésiastique)
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PRÉSENTATION

Ce n'est pas sans difficultés qu'a pris forme le Congrès dont nous
présentons les Actes. Sa préhistoire est significative pour en com-
prendre le déroulement et la portée.
Enseptembre 1967,auterme dupremier Congrèsdel'A.C.F.E.B.
les exégètes français ont pris une conscience plus nette qu'il ne leur
suffisait plus de se documenter sur les points chauds de l'exégèse,
mais qu'il leur fallait sans tarder se renouveler dans leur manière
de lire et de présenter les textes bibliques. En effet une certaine
désaffection se fait sentir en divers milieux à l'endroit du texte ins-
piré : pourquoi revenir encore à ces vieux textes, dont le langage
est devenu pour nos contemporains à peu près inintelligible? La
cause de cette inappétence ne proviendrait-elle pas pour une grande
part dela manière dont les exégètes et les prédicateurs lisent le texte,
àsavoir commeunmonumentdupassédont onrépète les affirmations
et non comme une Parole qui vient me trouver aujourd'hui dans
mon propre langage? Ainsi se manifeste une tension entre l'enquête
historique et l'actualisation herméneutique. Il a donc été décidé de
lancer un Congrès sur Exégèse et herméneutique.
Or, durant sa préparation, deux courants se sont fait jour parmi
les exégètes eux-mêmes, selon que prédominait l'intérêt à la méthode
historique ou l'attention à l'exigence herméneutique. Ecoutons parler
les uns et les autres.
1. La Résurrection du Christ et l'exégèse moderne, par P. de SURGY,P. GRE-
LOT, M. CARREZ, A. GEORGE,J. DELORMEet X. LÉON-DUFOUR,Lectio divina
n° 50, Le Cerf, Paris 1969.
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«Restons-en, dit l'un d'entre eux, à la bonne vieille méthode


historique telle que l'a si bien exposée le Père Lagrange. Que
vaudraient des séminaires de travail dirigés par des gens qui ne
connaîtraient pas Schürer et ces mille faits du 1 siècle qui per-
mettent de revivre les problèmes de cette communauté primitive
et de saisir les textes où elle donne sa solution... Pour faire travail
constructif, il me semble qu'il faudrait centrer très nettement sur la
méthode historique: le langage apocalyptique, le langage des sectes
juives, la langue des mystères, le problème du salut pour les Juifs
du 1 siècle... Ne réserver que des séminaires secondaires pour
initier à la problématique et à la terminologie de certains courants
modernes contestables et contestés. »
Un autre exégète prend le contre-pied : «Le rôle de l'exégèse
consiste-t-il à se mettre dans la peau desgensdupassé? Actuellement
on met en question la méthode historique formulée anciennement,
qui pensait ce transfert possible et significatif. Nous ne voulons pas
combattre la méthode historique, mais la sauver. Du temps de
Lagrange, on a cherché à passer d'une méthode dogmatique à une
méthode historique. Aujourd'hui, semblablement, il faut découvrir
la dimension philosophique de la méthode historique, situer le
sujet qui interprète. Un nouveau problème deméthodologie s'impose
à nous.»
Laplupart insistent dans le mêmesens. Il ne s'agit pas seulement
de reconstituer les événements tels qu'ils ont dû se passer, mais de
comprendre d'abord le langage dans lequel ces événements nous ont
été transmis et ensuite le langage dans lequel moi-même je puis
aujourd'hui le transmettre. La distance entre eux doit être respectée
si l'on ne veut pas sombrer dans de faux problèmes ni s'évader dans
des solutions illusoires. Comment Dieu peut-il tuer les Cananéens?
Voilà un scandale qui ne peut être résolu en attribuant à Dieu une
volonté permissive de ce massacre. Mais faut-il pour autant, avec
Bultmann, parler de langage mythique? Cette définition ne servirait
pas à grand'chose, sinon à faire reculer le problème qui est dans
le langage : le langage de jadis peut-il être aujourd'hui traduit en
un langage accessible à nos contemporains?
Enfin le problème ultime est celui de l'accès à la vérité. Quelles
sont les méthodes qui permettent d'accéder au sens? Demeurent-elles
comme des lignes parallèles, ou convergent-elles en définitive?
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L'exégète n'est pas seul de son espèce. Pour sortir de son ghetto, il
doit regarder commentles autres travaillent. C'est ainsi que l'analyse
structurale a attiré notre attention, commeune méthode qui permet
de mieux déterminer le rapport des éléments du récit. Les méthodes
d'analyse psychologique ont aussi leur mot à dire : qu'est-ce que le
sujet interprétant? En quel sens est-il conditionné? Enfin, couvrant
le tout, il s'agit de poser les conditions de toute interprétation en
recourant au philosophe.
Peu à peu un accord était établi entre exégètes. Le constat d'où
il faut partir : il ne suffit plus de dire le sens qu'a eu jadis le texte,
il faut interpréter, c'est-à-dire manifester le sens qu'il a aujourd'hui
pour nous, ouplus exactementouvrir ausensquechacun doit trouver
au texte interprété. Des trois dimensions que présente notre activité
dans l'ordre de l'Ecriture Sainte (exégèse, réflexion, pastorale), nous
voudrions insister sur la seconde, sans perdre de vue les deux autres.
En pratique, il s'agit donc de confronter les méthodes de l'exégèse
avec les apports que peuvent fournir des disciplines connexes et des
méthodes apparentées. Ce n'est pas renier la méthode de critique
littéraire et historique à laquelle nous sommes habitués; c'est l'ouvrir
à une efficacité plus grande en nous sensibilisant aux méthodes
actuelles que pratiquent des sciences humaines autres que la science
historique. L'entreprise est courageuse; elle est même traditionnelle,
car l'Eglise n'a cessé de s'assimiler les progrès des sciences.

Rappelonsdonc quelques étapes de la critique exégétique. Pendant


dix-huit siècles, elle se contente de dire le sens en vertu de sa foi,
tandis que les rationalistes le contestent au nom de leur raison. Tel
est l'âge dogmatique. Lui succède l'âge critique qui soumet les livres
saints aux lois de la critique littéraire. Enfin, au début du XXsiècle,
se pose le rapport de l'exégèse et de la critique historique. Ainsi
a-t-on pu énumérer trois âges de l'interprétation : dogmatique, litté-
raire, historique. Lentement, avec sagesse, l'Eglise catholique a
reconnu officiellement le droit de l'exégèse à pratiquer la critique
littéraire et historique, aussi bien dans le domaine de l'Ancien Testa-
ment (1943) que dans celui du Nouveau Testament (1964). Or
voici que maintenant sont soulevées des questions plus radicales
encore. Onnedemandeplus seulement : «Est-ceque cela eut lieu? »,
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ni même «Comment cela eut-il lieu? », mais «Qu'est-ce que cela


veut dire? ». Le problème ne concerne pas tant l'événement que la
connaissance de cet événement et la transmission qui en est faite :
c'est un problème de langage auquel nous sommes affrontés et que
nous ne pouvons résoudre par la seule méthode de critique littéraire
et historique. Ayant perçu la distance qui sépare le langage de notre
temps et le langage des écrivains bibliques, nous sommesconvaincus
que l'idéal de la lecture des textes ne consiste pas à se transporter
illusoirement dans le passé, s'imaginant qu'on peut le revivre sans
plus; il consiste à interpréter et à actualiser le langage du passé en
reconnaissant la distance qui nous en sépare pour toujours, et en
découvrant le rapport qui unit les diverses interprétations fournies
au cours des siècles.
C'est dans cet esprit ecclésial que nous avons eu l'ambition
d'amorcer le tournant herméneutique dans l'exercice de notre métier
d'exégète. Nous osions penser qu'une telle attitude rétablirait le
contact avec l'auditeur contemporain qui repousse instinctivement
l'orgueil de celui qui s'imagine dominer le cours de l'histoire et
donner le sens des textes en répétant le langage de jadis.
Pour atteindre cet objectif, nous avons fait appel à des spécialistes
en trois méthodes plus caractéristiques. Paul Ricœur a accepté de
conduire notre réflexion dans le domaine de la philosophie hermé-
neutique. Antoine Vergote, professeur à l'université de Louvain,
nous ferait réagir sur la méthode psychologique. Roland Barthes,
professeur à l'Ecole pratique des Hautes-Etudes, montrerait comment
un structuraliste interprète un récit biblique. Autour de ces trois
maîtres à chacun desquels une journée entière était attribuée, une
mise en train serait faite par des témoins de celui qui entend parler
les exégètes et les prédicateurs; un retour à l'exégèse s'opérerait par
la confrontation avec la théologie dogmatique.

Avisée nouvelle, méthode nouvelle, du moins pour nous. Au lieu


d'entendre des conférences sur un même thème, au lieu de simple-
ment participer à quelque séminaire de travail, nous aurions un
seul centre d'intérêt par journée, dont le déroulement serait le
suivant. Une conférence donnée par le spécialiste du jour est suivie
d'une table ronde qui groupe autour du conférencier trois exégètes
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et deux hommes compétents dans la méthode examinée. Mis en


train par la table ronde, des congressistes discutent le même sujet
durant l'après-midi par groupes de six à dix. En fin d'après-midi, la
table ronde se charge derépondre aux questions posées par les divers
groupes. Elles sont relatées dans ce volume pour les deux premières
journées.
Pour que le travail soit plus efficace, on a cherché à trouver un
auditoire plus homogène en l'invitant à travailler à l'aide de ques-
tionnaire et de fiches. Ces documents sont reproduits à la fin de ce
volume. Ajoutons à cela qu'une vingtaine d'entre nous avaient
profité de ce que le Congrès avait dû être reporté de 1968 à l'année
suivante : une rencontre avait été organisée avec A. J. Greimas et
son école, spécialistes de l'analyse structurale. A la phase de dépay-
sement avait succédé chez les participants celle de la sympathie,
sans pour autant nous rendre compétents en la matière : un monde
apparaissait, qui élargissait notre horizon et notre manière de pro-
céder dans la lecture des textes. Grâce à ces vingt débutants, le choc
que devait causer Roland Barthes fut moins brutal.

Tel était notre propos. Quelle fut la réalité? Les participants


peuvent le dire. Le lecteur de ce volume pourra s'essayer à la saisir.
Pour l'y aider, je voudrais indiquer sommairement quelques-uns des
résultats du Congrès.
Lapremière journée (à partir de Gn 1, poser le problème hermé-
neutique) manifesta clairement que l'interprétation d'un texte ne
dépend pas d'une seule méthode, mais de plusieurs. L'intérêt aux
problèmes méthodologiques éclipsa quelque peu le but dela journée,
à savoir l'appropriation du sens, l'herméneutique proprement dite.
La conférence de conclusion de la dernière journée a compensé un
peu ce manque.
La deuxième journée visait à mettre en question la naïveté avec
laquelle le sujet se croit en position dominante par rapport au
texte dont il fait la lecture. L'initiation fut bonne, même s'il a été
difficile demesurer la valeur del'apport desméthodespsychologiques
à l'ensemble des textes dont nous faisons l'exégèse.
Avec la troisième journée s'est opéré un retour au texte comme
texte. Plus question de sujet (puisque par hypothèse l'auteur est
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laissé de côté), plus question de sens ultime à chercher (puisqu'on ne


s'occupe que designifications à l'intérieur d'un tout, quedescorrélats,
des fonctions qu'ont les divers éléments du récit dans le tout), mais
le texte seul. Si l'analyse structurale a paru devoir apporter des élé-
ments importants qui manquent à l'analyse génétique, elle ne doit
pas nécessairement s'accomplir en une théorie qu'on nommestructu-
ralisme.
Enfin, au cours de la dernière matinée, nous avons entendu deux
spécialistes de la dogmatique montrer le rapport que celle-ci entre-
tient avec l'herméneutique, ainsi qu'avec la théologie biblique. Le
temps a manqué malheureusement pour pouvoir confronter à loisir
exégèse et dogmatique sur un cas particulier : la compréhension
qu'offrent dela personne deJésus, soit le NouveauTestament, soit le
concile de Chalcédoine, deux langages qui mériteraient une ample
confrontation. Si elle n'a pu être faite correctement, faute de temps,
pourquoi n'envisagerions-nous pas dans un avenir pas trop éloigné
une rencontre qui aurait pour thème «Exégèse et dogmatique»?

Au terme de ces quatre journées pleines, passées ensemble à che-


miner à travers plusieurs méthodes et à viser le sens, quelque chose
a eu lieu, un événement qui a transformé les nombreux participants.
De la Parole originaire, est-il résulté une symphonie? En écoutant
les autres, nous avons mieux saisi comment mieux écouter la Parole
de Dieu. Puissions-nous la faire résonner aux oreilles de nos contem-
porains! Puissions-nous surtout écouter aujourd'hui et toujours!
LeSeigneur m'a donné une langue de disciple
Pour que je sache répondre à l'épuisé, il provoque une parole.
Tous les matins il éveille mon oreille pour que j'écoute en disciple.
LeSeigneur m'a ouvert l'oreille.
Puisse-t-elle demeurer ouverte!
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SOIRÉE PRÉLIMINAIRE

INTRODUCTION Les témoins de l'auditeur.


AU CONGRÈS
Du conflit à la convergence des
méthodes en exégèse biblique,
par Paul Ricœur.
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LES TÉMOINS DE LA
' UDITEUR

Durant les quelques heures qui précèdent notre rencontre avec les
spécialistes de diverses méthodes, nous allons nous mettre au contact
de l'auditeur, de celui qui entend parler le prédicateur, qui écoute
le professeur d'exégèse, qui lit les ouvrages des exégètes. Ce n'est
point là occupation vaine, mais mise en disposition fondamentale
d'accueil. En effet le risque est grand pour nous, professeurs et écri-
vains, de nous estimer satisfaits lorsque nous avons communiqué une
science péniblement acquise, sans nous soucier davantage de savoir
si nous avons été entendus, si notre langage était accessible à nos
contemporains. En écoutant les témoignages émanant de tel ou tel
milieu, nous sentirons se creuser plus profondément en nous l'appel
à un renouvellement de notre métier. Sans doute les témoins vont-ils
nous décerner quelques éloges, mais je suis convaincu qu'ils ne vont
pas ménagerla critique à l'endroit denotre méthode, denotre travail,
de nos productions. Ainsi naîtra en nous une exigence pastorale qui
nous rendra plus accueillants à la requête herméneutique.
Nous espérons donc entendre l'écho de plusieurs milieux. Tous
n'ont pu répondre à notre demande. En particulier, font défaut les
séminaristes et les cercles bibliques. Par contre, le milieu ouvrier, le
milieu scientifique et la catéchèse sont représentés. Il leur a été
demandé de se situer à deux niveaux. D'abord en montrant où le
témoin en est lui-même ainsi que son milieu (ses acquisitions, ses
déficiences, ses déceptions à notre endroit...). Ensuite en manifestant
le stade où lui apparaît le prêtre (témoignage direct ou indirect
d'après les sermons ou les cercles entendus), fruit de l'enseignement
des biblistes; en apportant enfin des exemples d'une interprétation
qui a été reçue au séminaire et n'a pu passer dans le public (une
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parabole, une phrase, un récit). Quelques points d'accrochage


étaient indiqués. Sur les connaissances bibliques, apprécier l'ensei-
gnementduséminaireàtravers la prédication et indiquers'il ya des
notions oudes secteurs trop peu connus. Concernant la méthodede
lecture d'un texte, apprend-on àécouteruneParoledeDieuàtravers
untexte? Ya-t-il uneméthodeouplusieurs? Celava-t-il auhasard?
Sur quels points (formes d'initiation: sermons, cercles, livres) sou-
haite-t-on unenette modification? Qu'entend-onparl'actualisationde
l'Ecriture? Enfin il convient d'aller jusqu'aux motifs de ces diffi-
cultés. A-t-on réellement le sens que l'Ecriture est la normeguidant
celui qui transmet la Parole de Dieu? A-t-on le sentiment que la
Bible est un domaine piégé, réservé aux exégètes? N'attend-on pas
trop de ces derniers? Telles étaient un certain nombre de questions
destinées à émoustiller la réflexion.

L'Unioncatholique desscientifiques français (U.C.S.F.) ademandé


à saSecrétaire derefléter la réaction dumilieu scientifique face aux
exégètes1 M Christiane de Lozé est chargée de recherches au
C.N.R.S. et travaille à la faculté des sciences de Paris dans le
domainede la chimiephysique. Ecoutons-la.
CHRISTIANEDELOZÉ: Pour vous mettre au courant de ce que les
scientifiques pensent du travail des exégètes, je vous propose de
commencer par des réflexions sur le langage, problème complexe,
sur lequel je serai obligée denepas épuiser le sujet.
Le langage scientifique est destiné à rendre compte de connais-
sances rationnelles, de certitudes objectives; c'est un langage précis,
qui évite toute ambiguïté, et dont le champ opératoire limite les
significations. Je dirai quec'est unlangageconvergent,enfermanten
lui-même les vérités qu'il cherche à exprimer.
Seulement, n'exagérons rien. Lesscientifiques se rendent parfaite-
1. Le témoignage de Christiane de LOZÉ fait écho à une réflexion menée en
commun à l'U.C.S.F., publiée par la suite dans le Bulletin de l'U.C.S.F. n° 111
sous le titre «Lettre à un exégète »; François-Paul DREYFUS a publié dans le
n° 113 du Bulletin la «Réponse d'un exégète » : tout en disant son accord global
avec l'auteur, il exprime son désaccord sur certains points, par exemple sur le
langage ou sur le rôle de l'exégète.
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ment compte que ce langage est trop pauvre pour exprimer des
expériences esthétiques ou des faits de la vie profonde et qu'il faut
avoir recours au langage symbolique. Afin d'éviter tout malentendu
sur ce mot souvent employé à tort et à travers, j'évoquerai, pour le
définir, des réminiscences de Paul Ricœur : j'entends par langage
symbolique celui où un sens premier renvoie à une série de sens
seconds, par ondes de choc successives; c'est un langage qui diverge
vers des évocations, au lieu de converger vers une expression.
Vous me direz que ces deux langages n'ont rien à voir entre eux,
et en effet c'est bien ce qui gêne les scientifiques. Je crois qu'une des
raisons du succès de Teilhard est d'avoir réussi à jeter un pont entre
les deux, à passer d'un langage scientifique à une poésie qui ouvre
sur une vision du monde, infiniment dense de significations, sans
s'éloigner trop de l'univers scientifique. Bien sûr, il ne faudrait pas
être dupe de cette facilité à se retrouver en pays connu, mais on ne
peut qu'être reconnaissant à Teilhard de cette tentative. Je me
demande d'ailleurs si l'on tire assez parti de la richesse symbolique
du monde technique. Avez-vous vu cette photo du débarquement
sur la lune où il n'y a que l'ombre du LMet des traces de pas? Il y a
de quoi rêver longuement; cette prise de possession de l'homme sur
une planète marquée par l'empreinte de l'homme dans toute sa
stature verticale qui est un de ses attributs : non plus le pied nu que
Robinson Crusoé découvrait sur son île déserte, mais une empreinte
ronde, striée par le harnachement qui lui donne pouvoir sur la nature
tout en le séparant d'elle...
Mais je m'arrête et j'en reviens à la Bible. Bien sûr, il y a un
certain dépaysement de l'homme moderne devant le langage biblique,
d'abord à cause du texte lui-même et aussi à cause des conditionne-
ments qu'une catéchèse plus ou moins adroite a déposés en lui.
L'homme moderne a l'impression que la Bible lui parvient à travers
un brouillard d'interprétations plus ou moins bizarres, emboîtées les
unes dans les autres au cours des siècles, et réservées à des initiés
dont il ne fait pas partie. Il souhaite retrouver un vrai contact avec
le texte.
Il est important de dépasser ce sentiment d'étrangeté, car autre-
ment cette étrangeté risque, en ce qui concerne le Nouveau Testa-
ment, d'être projetée sur l'époque évangélique elle-même : elle trace
une sorte d'univers décalé, comme celui des contes de fées, et l'on
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a tendance à croire que, pour les disciples aussi, Jésus se présentait


dans cet univers décalé, entouré d'une sorte d'aura qui révélait sa
transcendance et qui aurait dû induire les disciples à croire en lui
au premier coup d'œil. Alors que la question fondamentale qui est
posée, l'est à l'intérieur d'une vie partagée. Le laïc souhaite donc
retrouver un texte à la fois proche de ceux qui l'ont écrit et proche
de son monde à lui.
Dans ce texte, il y a plusieurs niveaux de langage, tout comme
dans le monde actuel, et qui ne réclament pas les mêmes niveaux
d'explication. Il y a bien sûr des termes que l'on pourrait dire tech-
niques, qui résultent du contexte socio-culturel et qui relèvent de
simples définitions. Il ya aussi le niveau des concepts : le scientifique
est souvent irrité par l'imprécision des littérateurs et des philosophes
à définir ce dont ils parlent, même s'il sait qu'un concept ne se
définit qu'au terme d'une recherche intuitive plus ou moins longue.
Mais tout ceci est assez secondaire. Cequi est le plus important dans
la Bible, ce qui fait sa présence omnitemporelle et sa richesse de
sens, c'est le langage de l'Alliance. Ce langage, le laïc le pressent
très proche du langage de l'amour, d'un dialogue entre deux per-
sonnes ayant en commun une histoire pleine de mots et de gestes
chargés d'une signification commune, assez largement ouverte pour
que l'une et l'autre puissent inventer sans cesse des sens nouveaux.
Ceque le lecteur voudrait qu'on lui suggérât, c'est ce poids commun
de sens, afin d'entrer dans ce dialoge et d'inventer, avec ses frères
chrétiens, la suite des significations pour notre temps.
Voilà bien la tâche de l'exégète, medirez-vous: assurer cepassage
d'un langage à un autre. C'est vrai, mais croyez-vous qu'il s'agisse
d'une simple traduction? Et quel doit être le langage de l'exégète?
Prenons par exemple le Vocabulaire de théologie biblique. C'est
un livre que j'utilise souvent, car c'est un excellent instrument de
travail pour repérer à travers la Bible les passages qui m'intéressent.
Mais on demeure perplexe devant le langage dece livre, langage qui
semble dépendre du vocabulaire qu'il devrait expliquer et qu'il ne
fait que rétrécir, s'enfermant dans un champ clos qui coupe court à
l'interprétation.
Cherchons, parmi d'autres possibles, le mot «gloire», un mot
difficile à comprendre, qui a mauvaise presse à l'heure actuelle, et
cependant si important, puisque tout saint Jean meparle de la gloire
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de Dieu manifestée à travers Jésus-Christ. Sous ce mot je trouve sept


colonnes dans le V.T.B. Lisons au hasard : «... la gloire de Yahweh
est donc épiphanique...; c'est sous l'aspect d'une gloire royalequ'Isaïe
contemple la gloire de Yahweh.. La manifestation plénière de la
gloire divine de Jésus aura lieu à la parousie... La gloire de Dieu
s'est manifestée dans la vie, le ministère et la mort de Jésus, les
évangiles sont des doxophanies.. »
Le V.T.B. est-il vraiment un livre pour laïcs? Les commentaires
de A. George sur les psaumes, le lexique de Jeremias à la fin de son
livre sur les paraboles de Jésus sont beaucoup plus accessibles; il
faudrait un V.T.B. dans ce langage, tout en gardant son érudition
et son projet. Peut-être même faudrait-il un livre sur chacun de ces
grands symboles bibliques sur lesquels voyage notre foi : pauvreté,
royaume, justice...
Ne levez pas les bras au ciel. Je vous affirme que le laïc, scienti-
fique ou non, est accessible au langage symbolique de la Bible,
mais réfractaire au langage théologique. Il a l'impression que ce
dernier est un jargon de spécialistes, un langage figé qui rétrécit
les vérités chrétiennes. Peut-être est-ce pour cela que je n'aime pas
toujours saint Paul : j'aime ses témoignages et les grandes phrases
profondes comme celle où il fait allusion à la création en attente
de la glorification des fils de Dieu; mais il m'est étranger dans ses
tentatives de premier théologien pour enfermer son expérience dans
une rationalité qui m'échappe et me semble tout imbibée d'un
juridisme rabbinique. La théologie de saint Jean est peut-être plus
difficile, mais elle me parvient à travers une vibration de souvenirs
de Jésus et de méditation qui font longuement écho. De grâce, que
les exégètes ne nous traduisent pas la Bible en langage théologique!
Qu'ils nous restituent ses symboles et leur contexte culturel dans un
langage lui-même culturellement situé, et donc évolutif, toujours
ouvert. Et pardonnez-moi si je vous demande l'impossible.

Comment donc est-ce que je vois le rôle de l'exégète? Peut-être


faut-il que je dise tout d'abord comment je vois le laïc face aux
textes bibliques .
En face de ces textes, le laïc peut avoir une démarche intellec-
tuelle qui dépenddu niveau de l'individu. Lesintellectuels en général
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ont le souci que les textes religieux soient abordés avec le même
sérieux, et même plus de sérieux, que les questions profanes qui
les intéressent. C'est pourquoi le scientifique attache beaucoup d'im-
portance à l'existence des exégètes, au sérieux de leurs travaux. Il
souhaite prendre connaissance de ces travaux par des livres, des
articles; ce travail intellectuel gratuit lui sera une base vers laquelle
retourner dans sa vie de foi. Il souhaite que les exégètes lui ensei-
gnent une méthode de travail pour les moments où il aura le loisir
d'approfondir unequestion,commele fait le livre duP. Léon-Dufour,
Etudes d'Evangile. Il souhaite que ce genre d'apprentissage fasse
partie de la catéchèse des adolescents. Enfin, il utilisera des livres
pour répondre à un certain nombre de bêtises qui ont cours dans
certains domaines, commedes outils polémiques entre lui et d'autres,
ou même pour une polémique à l'intérieur de lui-même. Mais il
sait que l'exégèse est un domaine de spécialistes et que son accès à
cette science sera toujours limité.
En outre le rapport primordial à l'Evangile est un rapport spiri-
tuel. L'Evangile n'est vraiment lu qu'à partir d'une question vitale,
non d'un souci historique. La foi ne se situe pas dans le passé et le
laïc est certainement sensible à cette idée deBultmann selon laquelle
l'historicité est la capacité de conditionner ma propre histoire. Lire
la Bible, c'est se trouver en présence de questions qui nous inter-
pellent, et les mots et les faits sont évacués par l'enjeu de cette
interpellation.

Ce que je demande à l'exégète, c'est une restitution, non un com-


mentaire. Je vais vous donner deux exemples. Jeremias, dans sa
plaquette sur le Sermon sur la Montagne, est peut-être incomplet
dans ses commentaires exégétiques, mais il brosse un tableau des
diverses interprétations, puis m'ouvre des pistes, me provoque à
accepter ou rejeter celles qu'il envisage, à lire moi-même le texte.
Le deuxième exemple est emprunté au livre du P. Léon-Dufour
indiqué plus haut. A propos de la Tempête apaisée, je veux bien
que l'exégète me parle de s'embarquer dans le navire Eglise pour
aller sans crainte évangéliser les païens, dans la mesure où c'était
l'intention de l'un des évangélistes; mais je souhaite aussi connaître
l'intention des autres, et surtout je nevoudrais pas qu'on mesuggérât
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ceci commeconclusion de lecture : j'aurais tendance à croire que l'on


veut arracher cet épisode à la contingence, à l'anecdote, en le rendant
universel par un commentaire plus ou moins dérivé. Il est sans doute
difficile de déconditionner le laïc par rapport à de fausses interpré-
tations, de l'enrichir par l'apport de tout ce qu'on sait sur le texte,
sans glisser vers le commentaire. Cequ'il souhaite, c'est d'être placé
sur une piste d'envol correcte, remis en face du sens profond d'un
texte nu dans toute sa force, face à face avec l'espace que le texte
ouvre en lui et où il attend la Parole de Dieu.
L'exercice courant des prédicateurs et des équipes de réflexion
biblique consiste à appliquer un texte aux circonstances actuelles.
C'est un exercice utile, difficile, souvent mal pratiqué d'ailleurs. Mais
l'essentiel me semble être dans la démarche inverse : l'accueil de
l'Evangile n'est complet que lorsque la vie vous a renvoyé à un
texte brusquement compris parce que vécu. Entre les deux, se place
un certain silence des textes, connus, familiers, mûrissant en secret.
Le rôle de l'exégète est irremplaçable pour aider le laïc à retrouver
la démarche de l'auteur sacré, qui allait, elle aussi, d'une expérience
de Jésus à un récit, d'une prédication longuement méditée de ce
témoignage à un texte écrit.
L'exégète joue donc un rôle très important d'authentificateur dans
la lecture des sources de notre foi. Mais je dirai brutalement que,
d'une certaine manière, la Bible n'est pas la Parole de Dieu, mais ses
mots, et que l'exégète n'est pas le spécialiste de la Parole de Dieu,
celui qui a fait le tour de tout ce qu'on peut dire d'un texte. Lerôle
de l'exégète est latéral par rapport à celui du prédicateur, celui du
prédicateur latéral par rapport à celui du saint, celui du saint latéral
par rapport à celui de la communauté (non que je veuille exclure
pour un exégète la possibilité d'être un bon prédicateur et même un
saint!). Les mots de Dieu deviennent parole lorsqu'ils sont vécus
par le saint et compris, sous l'action de l'Esprit, par la communauté
rassemblée aunomduChrist. Untexte commecelui dela Bible édifie
unecommunauté; il est source, mais non Parole. Car, qu'est-ce qu'une
parole, sinon un dialogue, ou au moins quelqu'un qui parle et quel-
qu'un qui écoute? Et comment une Parole s'insère-t-elle dans un
langage humain? Question profonde, à laquelle je reçois une réponse
que je voudrais comprendre, lorsque Jésus medit qu'il est Verbe.
Telle est ma façon de répondre aux questions posées. Vous avez
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compris, je l'espère, que je ne minimise pas le rôle de l'exégète, bien


au contraire. Je pense que son travail peut remettre la foi en présence
de ses sources authentiques, enlever aux dogmes leur juridisme et leur
rigidité. Le renouveau biblique peut nous aider à comprendre que la
foi est une vie, si les exégètes nous apprennent que langage, histoire,
textes, ne sont pas clos, mais ouverts.

Puisse ce témoignage, entendu une fois et relu souvent plus tard,


aider les exégètes à remplir plus exactement leur rôle! Même s'ils ne
se sentent pas toujours compris dans leur intention, ils ont à tenir
compte de ce que l'auditeur a en fait compris, et, dans le cas présent,
de ses exigences radicales.

Dans un autre ordre de témoignage, l'abbé Roger Macé, Directeur


de l'enseignement religieux du diocèse de Laval, membre du Comité
national du Catéchisme, nous dit la manière dont se conçoit aujour-
d'hui la catéchèse et le rapport qu'elle entretient avec l'exégèse.
ROGER MACÉ: La catéchèse, dont il est question ici, ne fait pas
nombre avec les autres témoins : action en monde ouvrier ou cercles
bibliques. Elle est un aspect général de l'action de l'Eglise, elle est
l'exercice de cette fonction de l'Eglise qui facilite le cheminement
de quelqu'un ou d'un groupe dans la foi en Jésus-Christ.
Elle est donc multiforme et s'adresse à tous les croyants; sa meil-
leure réalisation est auprès des adultes; le catéchisme, auquel on
l'identifie parfois, n'en est qu'une forme institutionnelle. Il faut savoir
aussi que l'Eglise de France a organisé un réseau de serviteurs de
la catéchèse : directeurs d'enseignement religieux, catéchistes, etc.

Les bons voisinages de la catéchèse et de l'exégèse


Le renouveau de la catéchèse s'est appuyé sur la vitalité de l'exé-
gèse, qui, secouant le joug d'une scolastique sclérosée, avait remis en
honneur l'Histoire révélante du Salut.
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Lacatéchèse a fait un effort de redécouverte de la source biblique


de la foi; elle s'est recentrée sur l'Histoire du Salut et a retrouvé
le langage biblique; elle a, pour sa part, contribué à faire lire et
faire servir les ouvragesdesexégètes.
Maintenant, la catéchèse est commeun enfant qui a grandi auprès
de sa grande sœur, l'exégèse; désormais, il faut promouvoir un dia-
logue fraternel entre catéchètes et exégètes.
Lalecture de la Bible en catéchèse
Il faut bien comprendre la situation de la catéchèse : elle est
une action et non un simple exposé, elle réunit des personnes plus ou
moins christianisées déjà, elle est une mise en présence de sujets
concrets et de Dieu qui se fait connaître aujourd'hui en Eglise, elle
adopte nécessairemen la formed'un cheminement.
Si donc il faut accorder une grande importance à la fidélité à la
Révélation, il faut en reconnaître une très grande aussi à l'existence
des personnes et du groupe, à leurs possibilités concrètes d'adhésion,
à leur créativité en particulier dans le domaine du langage.
Quelle est donc l'attitude de la catéchèse vis-à-vis de la Bible?
Dans l'expression biblique, comme dans le langage de la liturgie
ou du magistère, et même dans la pratique de l'Eglise, la catéchèse
trouve ses références authentiques. Mais son cheminement propre est
différent de celui de l'exégèse : c'est de la confrontation de l'exis-
tence personnelle et de la foi ecclésiale que naît la catéchèse, la
première s'ouvrant à la seconde, et la seconde éclairant la première.
Concrètement, il ne s'agit pas d'abord pour la catéchèse de cher-
cher à «traduire» en termes actuels les textes bibliques, mais de
susciter la création d'un langage de la foi qui corresponde authenti-
quement à ce que la Bible exprime dans un autre langage. C'est seu-
lement ensuite, et si cela est possible, qu'il y aura une initiation au
langage biblique et à la lecture de la Bible elle-même; et c'est bien
uneintention detoute catéchèse.
Ledialogue dela catéchèse et de l'exégèse
La Parole de Dieu est réalité trop essentielle pour qu'un spécia-
liste quelconque prétende la monopoliser. Dieuavoulu quesa Parole
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nous soit livrée en vérité, mais sous certaines modalités : le catéchète


ne livre pas la Parole de Dieu «en soi », mais pour la croissance
de la foi d'un être déterminé, donc limité; l'exégète ne livre pas la
Parole de Dieu «en soi », mais dans son expression biblique, telle
que lui, homme du XX siècle, peut la retrouver et la redire. Il nous
faut abandonner le schéma simpliste selon lequel l'exégèse dévoi-
lerait la Parole de Dieu, laissant au théologien le soin d'y réfléchir
et au catéchète le soin de la traduire.
Catéchètes et exégètes, nous avons les uns et les autres notre place
dans l'Eglise, au service d'une même Parole de Dieu. Une des condi-
tions de notre dialogue est que chacun reconnaisse les richesses origi-
nales de l'autre.
Cela est facilité par le fait qu'il y a un aspect commun au travail
de l'exégète et à celui du catéchèse : les uns et les autres nous sommes
attentifs à la façon dont la Parole de Dieu se saisit d'une situation
humaine particulière pour finir par s'exprimer dans un langage
authentique; les uns et les autres, nous nous demandons : comment
la Parole de Dieu peut-elle s'exprimer authentiquement dans un
langage humain?
Ne pourrions-nous pas nous aider réciproquement dans cette
difficile recherche? Ce serait tout bénéfice pour le Peuple de Dieu.

Voici un troisième témoin de l'auditeur, l'abbé Albert Hari, qui,


à nos yeux, a une double qualité. Il a été professeur d'Ecriture Sainte
à Metz pendant plusieurs années, il sait donc quel est notre métier;
il est aujourd'hui aumônier national de la JOC, il sera un écho
fidèle du milieu ouvrier. A ce double titre, nous écoutons la requête
d'un monde qui, plus qu'un autre, a droit à entendre la Parole de
Dieu.
ALBERT HARI: Je vais essayer d'être témoin fidèle, d'une part, du
monde ouvrier avec ses conditions d'insécurité, ses aspirations pro-
2. Albert HARIvient de publier aux Editions Ouvrières un ouvrage: Lire la
Bible.. Comment?, Paris 1970.
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fonde et sa lutte; d'autre part, de l'Eglise qui, par la JOC et


l'ACO, naît et grandit au cœur de la vie ouvrière. Cette interven-
tion différera des précédentes pour deux raisons : —elle part du
monde ouvrier (adultes, jeunes, enfants) avec son histoire, ses soli-
darités, son espérance, les organismes qu'il s'est donnés, son action;
—elle ne prendra jamais la Parole de Dieu en soi, mais toujours
en lien avec le peuple de Dieu qui germe et grandit dans la classe
ouvrière.

1. Lemonde ouvrier face à la Parole de Dieu


Il n'est pas utile de rappeler ici que le monde ouvrier est loin
de l'Eglise pour des raisons d'ordre historique et d'ordre culturel :
on ne parle pas le même langage, on ne se réfère pas aux mêmes
valeurs. Onentend encore cette remarque: «L'Eglise? Non! L'Evan-
gile, Jésus-Christ? Oui. » De fait, nous sentons des harmoniques
profondes entre le monde ouvrier et l'Evangile.
Au niveau de la vie ouvrière, elles se font sentir :
—le sens de la solidarité d'un peuple. Cela se traduit par des
expressions comme: «Tout seul, on est paumé», «Tout seul, on
ne peut rien faire », «Ensemble on est plus fort ». N'y a-t-il pas
là déjà une pierre d'attente pour découvrir un jour qu'on est non
seulement un peuple ouvrier, mais qu'on est appelé à devenir peuple
de Dieu? L'un dans l'autre. L'un dépassant l'autre.
—le sens de la dignité. Il suffit d'écouter ce travailleur nord-
africain : «On n'a peut-être pas vos diplômes, mais on a un cœur
comme tout le monde», ou de regarder certains slogans lors des
manifestations ouvrières : «Nous ne sommes pas des cerveaux à
remplir, mais des hommes.» Les «cris d'hommes» martèlent la
vie ouvrière: «On n'est pas des bêtes» — «On n'est pas des
robots » — «On vaut autant qu'eux. » Est-on loin de certains
psaumes? Est-ce un hasard qu'un livre comme Cris d'hommes
(F. Chalet, Editions ouvrières) permette à beaucoup de travailleurs
de prier avec les paroles mêmesdes psaumes?
—le sens de l'histoire. 1936.. 1948.. Paris 1967.. 1968.. telle
grève, tel rassemblement, autant de dates qui restent gravées dans
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la mémoire ouvrière. Souvenir de lutte, d'écrasements, de victoires.


Ce sens de l'histoire est aussi tourné vers l'avenir. «On se bat pour
nos gosses ». Le monde ouvrier produit son histoire. Cela va moins
vite que des révolutions d'idées. Une histoire faite de «souvenir »,
«progrès », «espérance », «patience », «durée », «moments mar-
quants »: ne sont-ce pas là l'hypomonè, l'elpis, les aiônes, les kairoi?
Une pierre d'attente pour se situer un jour dans une histoire
sainte.

Au niveau de la construction de l'Eglise


C'est à la fois par l'action et la Parole que gars et filles décou-
vrent l'Ecriture. Il s'agit beaucoup plus d'une connaissance vitale
que d'une saisie simplement intellectuelle. Ils ne disent pas : «On
comprend », mais : «On se retrouve ».
Cette découverte se fait souvent ensemble. Ils se disent simple-
ment leur foi. Cela se fait depuis certaines rencontres de jeunes
travailleurs sur le terrain jusque dans des retraites d'une semaine.
Souvent l'accès à l'Evangile se fait en deux étapes. D'abord on
fait «comme le Christ » : il est passé par là; c'est une découverte
importante pour quelqu'un pour qui le Christ était loi. Puis on
vit «avec le Christ ». Ne retrouve-t-on pas ici les deux versions de
l'épître aux Philippiens 2,5?
Il y a dans le monde ouvrier un sens de l'Ecriture, découverte
par l'intérieur, qui est une grande espérance. A une retraite de
militantes aînées, on pose la question : «Pour vous, qui est le
Christ? » La plus pauvre, à moitié paralysée, s'exprimant avec peine,
dit : «Pour moi, c'est celui qui fait la volonté du Père. J'ai compris
dans ma vie qu'il ne suffisait pas de répondre aux aspirations des
copains et copines, que derrière moi il y avait quelqu'un ». Gene-
viève, employée de maison, handicapée physique, n'avait pas besoin
de grosses concordances pour découvrir cela.
Parfois des militants disent : «On écrit les Actes des Apôtres
aujourd'hui » — «On écrit l'Evangile aujourd'hui » (avec toutes
les nuances que le théologien y mettra). En effet, ne font-ils pas
une expérience semblable (non identique) à celle du Peuple de Dieu
qui a abouti à écrire les textes bibliques? Ils ne communient pas
seulement au texte. Ils se retrouvent parfois dans la genèse du texte.
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Ceci sans passer par les dédales de la Formgeschichte pour voir quel
est le Sitz im Leben. Ils le vivent.

2. Lesappels adressés aux exégètes


Il ne faut rien renier de ce que nous sommes. Le travail scienti-
fique restera toujours nécessaire. Mais être pleinement ce que nous
sommes, c'est-à-dire pas seulement savants, mais hommes, prêtres
au service du monde et de l'Eglise d'aujourd'hui.
Un appel à être plus attentifs à la vie des hommes, à celle du
monde ouvrier et de l'Eglise en monde ouvrier. Le plus souvent ce
n'est pas notre milieu habituel, ni notre horizon pastoral. Cela
demande une démarche de notre part. Pour écouter les travailleurs,
pour prendre le temps de parler, d'écouter des militants, des prêtres
qui se consacrent à la JOC ou à l'ACO. Dans certaines villes, des
exégètes travaillent régulièrement avec des aumôniers jocistes, pour
le bien des uns et des autres.
Un appel à des orientations de travail. Qu'est-ce qui influence
les points que nous relevons dans notre enseignement? Qu'est-ce
qui guide le choix des travaux que nous dirigeons? N'y a-t-il pas
dans la vie de l'Eglise en monde ouvrier des appels à approfondir
tel aspect plutôt que tel autre? Ces pistes jaillissent d'une confron-
tation régulière avec la vie et l'action humaine et apostolique en
monde ouvrier. Mais dans les milieux scientifiques cela paraît-il
sérieux de se laisser provoquer par la vie pour choisir un sujet de
thèse, pour le cerner, le conduire jusqu'au bout et le faire accepter?
Un appel pour aider prêtres et laïcs à découvrir le milieu de vie
d'où est née l'Ecriture. De façon à ce que l'on ne retrouve pas
seulement l'expression biblique, mais ce qui est derrière. Combien
de gens très simples se retrouvent dans le psaume 22, pas seulement
dans son expression actuelle, mais dans l'histoire de ce texte depuis
le cri et la libération de départ jusqu'à la mort et la résurrection
du Christ.
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Authentifier les intuitions de la foi. Non pas juger, mais regarder


avec sympathie les richesses que les gens les plus simples nous
révèlent dans l'Ecriture. Ils sont souvent nos maîtres. Que notre
science ne fasse pas périr le faible, mais qu'elle soit vraiment
servante!
Accepter la multiplication d'exégètes à mi-temps. Cela veut dire
qu'ils travailleront la moitié de ce qu'ils auraient fait à plein temps.
Une moitié pour l'étude, une moitié pour un travail de pasteur, pas
n'importe lequel : en contact avec la vie, celle des plus défavorisés
et avec l'effort missionnaire de l'Eglise dans ces milieux. C'est de
là que jailliront non seulement les questions, mais beaucoup de
lumière.
«Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre : ce que tu as
caché aux sages et aux savants, tu l'as révélé aux tout-petits»
(Mt. 11,25).
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INTRODUCTION AU CONGRÈS

M. Paul Ricœur, professeur de philosophie à la faculté de Nan-


terre, a bien voulu non seulement nous faire part de ses perspec-
tives sur l'herméneutique, mais aussi vivre avec nous ces quatre
journées de recherches, car elles seraient pour lui, selon sa propre
expression, un «poumon d'aération » au milieu des soucis adminis-
tratifs qui ne lui manquent pas. Nous allons donc respirer ensemble.
Avant de lui donner la parole, je tiens à rappeler aux auditeurs
que tous sont supposés avoir lu et étudié l'article qu'il a publié l'an
passé dans la Revue de théologie et de philosophie : «Contribution
d'une réflexion sur le langage à une théologie de la parole1» Ils y
auront vu que notre conférencier domine l'ensemble des méthodes
auxquelles nous désirons être sommairement initiés afin de renou-
veler notre métier d'exégète.

1. L'article de Paul RICŒUR est publié, avec la bienveillante autorisation de


la Revue de théologie et de philosophie, dans cet ouvrage aux pages 301-319.
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DU CONFLIT
A LA CONVERGENCE DES MÉTHODES
EN EXÉGÈSE BIBLIQUE

Notre congrès veut être un congrès de confrontation méthodo-


logique; son déroulement dira s'il débouche sur un conflit irréduc-
tible ou sur une certaine convergence des méthodes. Je voudrais,
pour ma part, suggérer une voie qui ne serait ni celle du fanatisme
de la pureté, ni celle du compromis éclectique à tout prix.
Dans les trois premiers paragraphes je me bornerai à présenter
côte à côte des méthodes concurrentes, en tenant compte moins de
leur technicité que des principes d'intelligibilité qui leur sont sous-
jacents. Dans le quatrième paragraphe, plus personnel, je voudrais
suggérer, dans la perspective d'une convergence sans éclectisme, par
quel jeu de renvois une méthode en appelle une autre; cette sugges-
tion encore trop abstraite trouvera dans mes réflexions sur
Gn 1,1—2,4a une application concrète.
On considérera ici l'exégèse biblique comme le lieu même de la
confrontation, comme le champ polarisé par la constellation des
méthodes qui l'attirent dans des sens divers. L'exégèse biblique n'est
pas elle-même un des pôles de la confrontation; son unité, au départ
de cette investigation, est seulement celle d'un métier, d'une disci-
pline définie formellement par son objet, la littérature biblique. Je
propose de repérer ce champ ainsi organisé par trois de ses pôles :
la méthode historico-critique, la méthode structurale, l'herméneutique.
La première ne sera pas véritablement traitée; on la prendra plu-
tôt comme toile de fond sur laquelle les deux autres se détachent.
On se bornera à énoncer les apories qui s'attachent moins à la
méthode en elle-même qu'aux principes philosophiques sous-jacents
à sa pratique.
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En ce sens, seule la seconde et la troisième méthodes sont ici


traitées avec l'ampleur qu'elles méritent.

1. La méthode historico-critique: ses «apories » philosophiques


C'est elle qui, aujourd'hui encore, a les faveurs de la plupart des
exégètes. Je dirai assez dans la conclusion pourquoi cette méthode
est irremplaçable, même si elle doit faire une place à des approches
concurrentes. Le point important, pour la comparaison qui nous
occupe ici, est l'incidence de l'histoire dans toutes les méthodes par-
tielles groupées sous ce titre commun: histoire de la langue, du
sens des mots, de leur emploi, —histoire des institutions sociales,
politiques et religieuses, des modes de vie, des milieux rédaction-
nels, —histoire des influences, des emprunts, des assimilations et
des rejets, histoire rédactionnelle, histoire des sources et histoire cri-
tique des formes. Cette prédominance de l'historique, au sens de
l'historisch, pose le problème de l'affinité de cette méthodologie avec
l'historicisme philosophique. Celui-ci, dirigé contre le dogmatisme,
prend son parti de la variabilité et de la relativité des croyances.
L'historicisme est essentiellement lié à l'effondrement de l'hégélia-
nisme; il est philosophiquement l'aveu que l'histoire ne peut être
totalisée dans une logique du sens où toutes les figures seraient
récapitulées et éternisées dans un savoir qui porterait le sceau de
l'absolu. A cet historicisme se joint, d'une façon plus ou moins
déclarée, un psychologisme et un sociologisme. Si, en effet, l'histo-
rique ne peut être surmonté dans une logique du sens, il reste à
chercher, dans les croyances religieuses, l'expression des mentalités
(«animiste», «magique», etc.) ou des types d'organisation socio-
politiques ou socio-économiques (nomadisme, monarchie, clans et
classes). L'historicisme prend acte de cet éparpillement de l'esprit
humain dans des témoignages successifs enchaînés de façon irration-
nelle. Il oscille finalement entre deux extrêmes : soit un évolution-
nisme de l'esprit humain en marche vers une spiritualité de plus en
plus épurée, soit la reconnaissance du surgissement irrationnel de
formes de vie qui viennent s'exprimer dans des styles d'écriture.
Nulle méthode n'est innocente : la méthode historico-critique a,
qu'elle le veuille ounon, partie liée avec l'historicisme philosophique.
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2. Le modèle sémiologique
Ce nouveau venu dans le champ exégétique est à vrai dire d'ori-
gine étrangère. Autant la méthode historico-critique est congénita-
lement liée à l'histoire des sciences bibliques, autant ce nouveau
modèle lui est par essence étranger. C'est d'abord en linguistique
que ce modèle s'est constitué et plus précisément dans la partie de
la linguistique consacrée aux systèmes phonologiques de base des
langues naturelles. Ces nouveaux modèles se sont étendus de proche
en proche à la sémantique lexicale, puis à la théorie du récit et plus
largement à la théorie de l'écriture, pour constituer une théorie
générale des signes ou sémiologie. Ils commencent seulement à
entrer en contact avec les sciences bibliques, soit indirectement, par
le détour de leur application au domaine mythologique (générale-
ment dans d'autres champs culturels que l'ancien Moyen-Orient),
soit plus directement, à la faveur d'une théorie générale du récit,
chez les théoriciens formalistes du conte russe ou les analystes
français du récit.
Confrontés au précédent groupe de méthodes que nous avons placé
sous le signe de l'historique, les modèles ici considérés ont un
caractère nettement anti-historique. La séparation saussurienne de
la langue et de la parole a pour corollaire la séparation de l'orga-
nisation synchronique et des transitions diachroniques. Cette sépa-
ration signifie beaucoup plus qu'un simple partage de compétences
selon les exigences de la division du travail; elle implique, philo-
sophiquement, la priorité du synchronique sur le diachronique; et
cette priorité est une priorité dans l'ordre de l'intelligibilité; ce que
l'on comprend d'abord, ce sont les arrangements de signes dans une
tranche de présent, dans une couche de simultanéité, dans un état
de langue; si l'on a présente à l'esprit la comparaison saussurienne
entre le langage et le jeu d'échecs, on dira que l'intelligibilité va
d'abord à la règle du jeu; un «coup » n'est pas autre chose que
le passage d'un état de partie à un autre état de partie.
Second corollaire de la séparation de la langue et de la parole :
dans la synchronie les éléments n'ont aucune valeur absolue, aucune
signification propre; ils tirent leur sens de leur position dans le
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système et de leur opposition aux autres termes; leur valeur est donc
seulement négative, différentielle, oppositive. Dans la langue, disait
Saussure, il n'y a que des différences.
Troisième corollaire : la langue doit être considérée comme un
système, c'est-à-dire comme un ensemble clos d'éléments dans un
état de dépendance mutuelle : le système n'a pas de dehors, mais
seulement un dedans; il ne se rapporte pas au monde; il ne fait
référence à rien en dehors de lui-même; toutes les relations lui sont
internes.
Les implications philosophiques de ce modèle sont considérables.
La subordination du point de vue historique au point de vue systé-
matique l'éloigne des considérations évolutives ou évolutionnistes
et donc des apories de l'historicisme. L'accent est mis bien plutôt sur
les possibilités combinatoires de l'esprit humain, sans souci histo-
rique. C'est vers l'idéal leibnizien d'une «caractéristique universelle»
que la méthode structurale fait retour.
Anti-historiciste, la méthode n'est pas moins anti-psychologiste.
Cette pointe anti-psychologique est présente dès le dédoublement
de la langue et de la parole. Si la parole est l'exercice de la langue
par un sujet parlant dans une communauté donnée, la langue est le
code non-psychologique de tous les emplois psychologiques. Ces
considérations, étendues des codes de langue aux codesmis enœuvre
dans un texte, inclineront à mettre entre parenthèses toute considé-
ration du sujet, tant comme destinataire que commeauteur. Le texte
sera érigé en objet absolu, considéré pour lui-même et en lui-même.
Laméthode structurale ne sera pas moins méfiante à l'égard de tout
traitement du texte comme expression d'une mentalité individuelle
ou collective. Toute psychologie de locuteur, d'auteur, de mentalité
individuelle ou collective sera à éliminer comme extra-linguistique.
Cette décision méthodologique est capitale pour le destin de la
notion de «sens»: le sens ne saurait être l'intention de l'auteur,
sous peine d'imposer à l'interprétation la tâche impossible de se
transférer dans un psychisme étranger à jamais inaccessible. Lesens
sera plutôt à chercher dans le jeu mutuel des éléments, comme cir-
culation interne ou comme intersignification de ces éléments eux-
mêmes. Cet anti-psychologisme de méthode trouve un renforcement
dans l'anti-psychologisme philosophique, issu aussi bien de la critique
psychanalytique des illusions du sujet que des critiques marxiste
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L'intelligence des textes bibliques demande


sans doute aujourd'hui un dépassement de la
méthode historique qui pourtant ces derniè-
res décades avait complètement renouvelé le
problème.
Aussi ne suffit-il plus de dire le sens qu'a
eujadis le texte, il faut aussi tenter de l'inter-
préter, cequiestproprementl'herméneutique.
C'est pourquoi des exégètes, des théologiens
et des philosophes venus parfois d'horizons
différents se sont réunis (lors du II Congrès
de l'Association catholique française pour
l'Étude de la Bible) afin de confronter les
méthodes de l'exégèse avec celles de diverses
disciplines des sciences humaines autres que
la science historique.
Problèmes du langage et du sens, problè-
mes du texte et de son analyse structurale,
problèmes du sujet et des données psychana-
lytiques qui l'éclairent, ont été abordés à
partir de ces différentes disciplines, sous la
direction de Xavier Léon-Dufour, avec le
concours notamment de Paul Ricœur,Antoine
Vergote, Roland Barthes, Louis Marin, Paul
Beauchamp, Jules Gritti, Edgar Haulotte,
Joseph Courtès et Henri Bouillard.
Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès
par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement
sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012
relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au
sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.
Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire
qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections


de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

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qui dispose d’une licence exclusive confiée par la Sofia
‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒
dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.

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