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LA 

PEUR DU REJET SOCIAL


La peur de l’exclusion est l’un des moteurs déterminants de nos
comportements humains, elle s’explique par le rôle de la proximité relationnelle.
Les travaux menés sur le sentiment de solitude et ce besoin de proximité sociale
montrent que nous avons tous un degré différent de sensibilité au sentiment
d’exclusion sociale, c’est-à-dire le sentiment d’être rejeté par d’autres ou d’être
exclu d’un groupe4. Chacun a déjà pu en faire l’expérience au cours de sa vie,
par exemple dans la cour de récréation lorsque des copains ont pu refuser de
vous inclure dans un jeu, ou encore à la cantine, lorsque vous vous apprêtez à
vous asseoir et que les autres vous disent : « Non, c’est réservé pour quelqu’un
d’autre. » Cette expérience de rejet ou d’exclusion du groupe est traitée par des
réseaux neuronaux similaires à ceux de la douleur physique5, ce qui a amené des
chercheurs à considérer ce phénomène comme pouvant générer une souffrance
sociale. Certaines personnes sont plus vulnérables à ces situations et peuvent
présenter des signes de détresse et/ou se montrer parfois agressives en réaction à
cette situation perçue comme menaçante pour elles. Cela a pour effet d’accroître
le risque d’exclusion sociale. D’une certaine façon, on peut décrire cette
sensibilité à l’exclusion sociale comme s’il s’agissait d’un thermostat interne qui
nous alerte lorsque notre besoin de ne pas être seul n’est pas satisfait. Des feux
de détresse s’allument alors, pour attirer l’attention des autres, dans l’espoir de
susciter leur intérêt.
Cependant, ces signaux de détresse sont parfois interprétés comme étant
exagérés, notamment par ceux qui ont moins besoin des autres ou y sont moins
sensibles. Par exemple, si vous êtes invités en couple à dîner et que certains des
convives ne vous saluent pas au moment de votre arrivée, vous allez avoir un
sentiment d’exclusion qui va vous rendre plus irritable et ne vous encouragera
pas à engager la conversation. À l’inverse, votre partenaire, moins sensible à ces
signaux, ne se sera pas aperçu du fait que certains convives ont poursuivi leur
conversation, et sera ensuite plus enclin à s’adresser à ces personnes de manière
ouverte et agréable. De retour à la maison, lorsque vous échangerez à propos de
cette soirée, vous raconterez à quel point vous avez trouvé ces convives mal
polis de ne pas saluer les invités alors que votre partenaire trouvera que cette
affirmation est vraiment exagérée.
PEUR DU REJET ET HYPERSENSIBILITÉ :
QU’EST-CE QUI EST NORMAL ?
Il n’est pas rare d’entendre des critiques à propos des personnes qui
présentent une forte sensibilité à l’exclusion sociale. Elles peuvent être taxées de
névrosées ou de manipulatrices, alors qu’il s’agit simplement d’une différence
de sensibilité au même titre que nous avons des différences de sensibilité à la
luminosité, au bruit ou encore à la douleur physique. Plus l’entourage fait preuve
de compréhension envers la personne, plus cela permet de la rassurer et donc de
diminuer ses réactions excessives. Par ailleurs, la capacité à réguler ses émotions
est déterminante pour ces personnes, car cela leur permet d’avoir des
comportements constructifs malgré leur réactivité intérieure face à la menace
d’exclusion. La régulation des émotions signifie que l’on est capable de
diminuer l’intensité d’une émotion lorsqu’on perçoit que l’on réagit de manière
exagérée au regard d’une situation. Ainsi, dans le cas du dîner évoqué plus haut,
lorsqu’on se connaît bien et que l’on a déjà expérimenté plusieurs fois cette
situation, on est capable
de prendre conscience du fait qu’il s’agit en partie d’une surinterprétation
des faits et d’une réaction excessive qui enclenchent des comportements menant
à l’inverse de ce qui est visé : ces comportements conduisent à l’exclusion
sociale. Notre capacité à prendre conscience de ces phénomènes et à les
observer de manière plus objective aide ensuite à éviter de les reproduire
régulièrement.
Notre sensibilité à l’autre est également modulée par l’environnement dans
lequel nous évoluons. Si nous nous sentons suffisamment entourés et acceptés
dans notre environnement social, ce socle stable favorisera davantage notre
confiance en soi et notre confiance en l’autre, ce qui diminuera le sentiment
d’exclusion sociale et les effets émotionnels, cognitifs et comportementaux qui
en découlent. À l’inverse, un environnement moins soutenant conjugué à une
plus grande sensibilité à l’exclusion sociale risque de générer des pensées
pessimistes et une vision plus angoissée du quotidien : « Que vont-ils penser de
moi ? Qu’est-ce que je vais pouvoir dire d’intéressant ? Je suis sûre que je vais
encore paraître ridicule ce soir… et en plus mon conjoint ne va pas me
soutenir… » Les mauvaises interprétations de certaines situations peuvent
ensuite se transformer en anticipations anxieuses, en reproches envers le
conjoint, ce qui en retour diminue d’autant plus son soutien et exacerbe le
sentiment d’exclusion.
Attention aussi aux réseaux sociaux : être (ou se sentir) rejeté sur Internet
ne diminue en rien la blessure émotionnelle ou l’impact sur nos
comportements.
De nombreuses études (et l’observation quotidienne que l’on peut en faire
sur soi, ses proches, ses enfants) montrent que ce n’est pas parce que des
relations sont virtuelles (des « amis » qu’on n’a jamais rencontrés en vrai) que la
mise à l’écart n’aura pas d’effet bien réel6.

SE SENTIR REJETÉ PERTURBE


NOS COMPORTEMENTS
L’attention accordée au regard des autres ainsi que le désir de plaire
peuvent conduire à établir de nouveaux liens. Toutefois, une importance
excessive accordée à l’évaluation sociale alimente l’autocritique, le jugement
négatif sur autrui, ainsi que des comportements plus agressifs7 et moins
altruistes8. Dans une série d’études menées par Jean Twenge, Roy Baumeister et
leurs collaborateurs, ces chercheurs ont généré un sentiment d’exclusion sociale
chez des participants. Par exemple, des participants sont conviés à une
expérimentation qui est censée se faire à plusieurs, mais ensuite on annonce au
participant qu’aucun autre n’a souhaité être avec lui pour réaliser l’expérience et
qu’il la fera donc seul. Ce sentiment d’exclusion sociale tend à diminuer les
comportements altruistes tels que la coopération, par exemple le fait de ramasser
les crayons renversés par « inadvertance » par l’expérimentateur. Dans d’autres
contextes, ce sentiment réduit la tendance à faire un don d’argent et de temps
(engagement bénévole)9. Ces effets s’expliquent notamment par une diminution
de l’empathie des personnes lorsqu’on génère chez elles un sentiment
d’exclusion sociale.
Au-delà des effets sur la réduction de l’empathie, l’exclusion sociale ou le
fait de se sentir seul et isolé affecte aussi d’autres processus cognitifs. Des
recherches ont mis en évidence l’impact sur les performances cognitives, ce qui
souligne l’effet potentiellement délétère sur la réussite scolaire ou
professionnelle lorsqu’une personne éprouve un sentiment d’exclusion sociale10
ou de solitude11. Par ailleurs, afin de diminuer leurs émotions négatives, les
individus se sentant seuls ou exclus ont davantage recours à des comportements
compensatoires tels que la consommation d’aliments sucrés qui apporte un
plaisir immédiat. Cette tendance est accentuée par le fait que les affects négatifs
diminuent la capacité à réguler ses comportements. Par exemple, dans une étude,
des chercheurs ont induit chez une partie des participants un sentiment
d’exclusion sociale en leur disant qu’aucun autre participant n’avait souhaité
faire l’exercice de test du goût avec eux. Les autres participants recevaient
l’information inverse : des participants souhaitaient faire l’exercice avec eux,
mais pour des raisons logistiques cela ne sera pas possible ; il leur est donc
proposé de faire l’exercice seuls. Comparativement au groupe qui n’était pas
dans la condition d’exclusion sociale, ceux qui l’étaient consommaient ensuite le
double de biscuits12.
De manière similaire, dans le cadre d’une autre étude, on a constaté que
plus les adultes – issus d’un échantillon représentatif de la population –
rapportaient un degré élevé de solitude, plus leur régime alimentaire comprenait
d’aliments gras13. Cette plus grande difficulté à réguler la consommation
d’aliments gras pourrait ainsi être considérée comme une manière de compenser
les affects négatifs liés à la solitude. Ainsi, même en dehors du fait de se sentir
exclu, le faible sentiment de proximité relationnelle (ici mesuré par le sentiment
de solitude) entraîne des comportements compensatoires visant à réduire la
détresse.
Dans la situation décrite précédemment où les partenaires d’un couple
n’ont ni le même degré de sensibilité ni de besoin de proximité sociale, cette
différence peut être à l’origine de tensions et d’incompréhensions. L’un des
partenaires considère que l’autre en demande trop, tandis que l’autre considère
que le premier n’en fait pas assez. Chacun a la possibilité de faire un pas en
direction de l’autre (ou plusieurs), et ce qui peut aider à le faire, c’est la
compréhension de nos différences plutôt que la stigmatisation des réactions
inappropriées. Reconnaître le besoin spécifique de l’autre rassure et diminue son
besoin. Mais cela peut prendre un peu de temps, car le sentiment de solitude non
seulement augmente la perception négative des interactions, mais aussi diminue
le plaisir qui découle des relations sociales14.
COMMENT NE PAS TOUT INTERPRÉTER
DE TRAVERS ?
Pour profiter pleinement des bienfaits des interactions positives, celui qui
est plus sensible au sentiment d’exclusion peut compenser cette vulnérabilité en
s’exerçant à ne pas faire des interprétations éloignées de la réalité objective ou à
ne pas ressasser des pensées négatives sur soi-même et sa valeur. Cela peut faire
l’objet d’un entraînement mental spécifique qui consiste à se concentrer
davantage sur les comportements concrets dans le présent. Des recherches ont
ainsi mis en évidence que des pratiques de méditation de pleine conscience
pouvaient réduire la tendance à surinterpréter ou à surréagir dans ces situations
sensibles15. Il est aussi proposé à la personne de focaliser son attention sur son
corps ou sur sa respiration tout en prenant conscience des pensées qui émergent.
Il peut s’agir de pensées à propos de l’activité (« Pourquoi je suis en train de
faire ça ? ») ou de pensées à propos de soi (« Je n’arrive même pas à maintenir
mon attention trente secondes ! ») ou toute autre pensée. L’exercice consiste
simplement à observer les pensées qui surviennent et à ramener l’attention vers
le point de focalisation choisi. Avec le temps, ce type d’entraînement permet de
prendre conscience plus rapidement de nos jugements et interprétations, et
entraîne à une meilleure gestion des émotions et du stress16. Ce type d’exercice
pourrait donc s’avérer particulièrement utile pour des personnes très sensibles au
sentiment d’exclusion sociale.
Notre tendance à interpréter les gestes de manière excessive nous joue
souvent des tours. Notre cerveau cherche à donner du sens à partir de petits
indices qui parfois n’ont pas le sens qu’on leur attribue. À titre d’exemple, dans
une expérimentation déjà ancienne17, on a montré à des participants une petite
vidéo présentant des formes géométriques se déplaçant aléatoirement sur
l’écran. À la suite de cela, il était demandé aux adultes participant à l’étude de
décrire ce qu’ils avaient perçu. Au lieu de raconter simplement qu’ils avaient vu
des carrés, des ronds et des triangles se déplacer sur l’écran, les participants
avaient tendance à raconter une histoire qu’ils s’étaient inventée en regardant les
formes géométriques bouger. Les histoires étaient simples, mais révélaient que
les personnes attribuaient aux formes géométriques des états mentaux (colère,
tristesse…) et des intentions (le triangle voulait mettre le rond dehors…).
Cette tendance à surinterpréter ce que l’on perçoit est exacerbée lorsqu’on
se sent menacé. Notre cerveau devient plus attentif à tous les signaux sociaux, et
ces derniers sont ensuite interprétés de manière exagérée. Entraîner son mental à
rester davantage centré sur la situation d’interaction sociale plutôt que sur le flot
de nos pensées facilite la fluidité et la compréhension dans les relations. C’est ce
qui a été mis en évidence par les recherches sur la flexibilité psychologique18 :
la tendance à « penser sur » nous rend plus rigide dans nos comportements et
diminue la qualité de nos relations. En étant davantage présent à l’échange avec
l’autre, il devient plus aisé de mettre en œuvre des réponses appropriées à la
situation. On en retire ainsi une plus grande satisfaction et un sentiment de
proximité sociale accru.
LE MEILLEUR ET LE PIRE DES RELATIONS
SOCIALES
Au contact des autres, nous sommes modelés par leurs attitudes, leurs
représentations et leurs comportements. Cette influence dans les relations est
réciproque. Ce constat a amené à développer le modèle de la ligne de base
sociale : le fonctionnement normal de l’individu se situe dans un contexte social,
tandis que le fonctionnement inhabituel (difficulté à retrouver son équilibre) se
situe dans un contexte de solitude. La relation peut être constructive lorsque
chacun s’intéresse aux caractéristiques positives de l’autre. Par exemple, dans la
relation de couple, des chercheurs ont observé la capacité des partenaires à faire
émerger le meilleur de l’autre19. De plus, une attitude encourageante et une
attention portée aux compétences du partenaire l’aident à atteindre plus
facilement les objectifs qu’il se fixe tels que suivre une formation pour obtenir
un diplôme ou réaliser une activité physique régulière pour retrouver la forme.
Cette attitude positive produit un sentiment de satisfaction au sein du couple
mais encourage aussi la mise en œuvre de projets importants pour chacun. C’est
cela l’interdépendance positive, elle se mesure aux bienfaits mutuels apportés
par la relation.
Toutefois, l’influence réciproque dans les relations avec nos proches peut,
au contraire, générer des comportements moins constructifs. C’est ce que l’on
constate notamment au cours de l’adolescence.
L’un des prédicteurs les plus importants des consommations de tabac ou
d’alcool chez les adolescents est le degré de consommation de leurs
amis20.
Les jeunes filles sont plus particulièrement influencées par leurs amies sur
la question de leur apparence physique et en particulier du poids et par
conséquent des régimes dans lesquels elles s’engagent hors de toute prescription
médicale21. Au-delà du sentiment d’exclusion sociale, les relations au sein des
groupes peuvent aussi avoir des conséquences négatives. Parfois la relation à
l’autre elle-même représente une source de souffrance. C’est ce que l’on observe
dans les situations de dépendance affective.

Dépendance affective ou  attachement


constructif  ?
Autre revers de l’interdépendance, la peur de l’exclusion peut générer une
tendance à s’agripper davantage aux autres. Cette attitude peut générer du rejet,
augmentant par là même le sentiment d’isolement. Il est donc utile d’apprendre
à distinguer les relations d’attachement constructif, c’est-à-dire les relations qui
aboutissent à des effets favorables pour les deux parties, des relations de
dépendance affective aux conséquences néfastes.
On parle de dépendance affective (ou d’addiction affective), lorsque
apparaissent des comportements destructeurs pour la personne et son entourage.
Et ce qui peut aider à distinguer une relation de dépendance néfaste d’une
relation d’attachement constructive est bien la présence ou non d’effets
bénéfiques pour les personnes concernées.
S’il est un exemple parlant de la notion de dépendance dans son versant
positif, c’est bien la relation du nourrisson avec ses parents. Cette dépendance
première est considérée comme positive en raison de son utilité pour le
développement de l’enfant. Et la qualité de l’attachement y joue un rôle central.
Cette dépendance ne comprend pas uniquement la dimension matérielle
(alimentation, soins, sécurité physique), elle se définit aussi par la dimension
affective (confiance, sentiment d’être aimé de manière inconditionnelle, d’être
accepté) et même la dimension existentielle.
La relation de l’enfant à ses parents l’aide à mieux se connaître, à avoir
confiance en sa valeur personnelle, à reconnaître ses forces et ses
compétences. Tout cela se construit grâce à l’attitude attentionnée et au
regard positif de l’adulte.
LA MÉFIANCE EXCESSIVE ENVERS
L’ATTACHEMENT
En dehors de cette relation première d’attachement, les situations
d’attachement relationnel développées par la suite sont parfois considérées
comme moins adaptées. Certains responsables d’établissements scolaires
indiquent ainsi qu’ils sont attentifs à ne pas laisser les amis « trop » proches
ensemble dans une classe d’une année sur l’autre, au grand désarroi des enfants
concernés et de leurs parents. Il arrive également que des responsables de
structures de travail social ou de petite enfance mettent en place un
fonctionnement institutionnel permettant d’éviter les « risques » d’attachement
d’un jeune à un adulte référent22. Ils proposent notamment de changer de
personne référente régulièrement pour éviter un lien d’attachement, car
l’attachement rappelle la dépendance de l’enfant envers son parent, ce qui
représenterait un signe d’immaturité ou de régression. Au cours de leur
formation, puis dans le cadre de leur pratique professionnelle, l’objectif est de
maintenir une « juste distance » pour éviter d’être « trop dans l’affect », comme
le souligne Mael Virat qui a réalisé des entretiens auprès d’éducateurs et
d’enseignants dans le cadre de sa thèse de doctorat23.
Une relation fondée sur cette supposée juste distance relationnelle, au lieu
de s’avérer utile, semble plutôt empêcher le jeune de s’appuyer sur un tuteur de
résilience qui l’aiderait à construire la confiance en soi, en l’autre et en son
avenir. Ainsi, les travaux menés sur les adultes référents dans les structures
d’accueil de jeunes enfants ont montré qu’une organisation dans laquelle chaque
enfant a un adulte référent permet à l’adulte de mieux répondre aux besoins de
l’enfant, améliorant ainsi la qualité de l’attachement, ce qui favorise un meilleur
développement de l’enfant24. Ainsi, les modes de garde favorisant le
développement d’un attachement sécurisant avec un professionnel sont
considérés comme étant les plus favorables. Une enquête menée auprès de
jeunes en décrochage scolaire révèle également que, pour ces derniers, le
manque de proximité relationnelle fait partie des motifs d’abandon scolaire25. Il
paraît donc plus pertinent d’encourager une bonne proximité humaine dans la
relation. Comme nous l’avons vu dans les travaux sur l’attachement (ici), plus
l’enfant développe un lien d’attachement sécurisant, plus il développe des
comportements d’exploration autonomes. Ainsi, il semble tout à fait infondé,
voire contre-productif, d’éviter l’attachement d’un enfant ou d’un adolescent à
un adulte référent.
La question de l’attachement et de l’affection dans la relation éducative
n’est pas récente. Ce sont probablement les craintes à l’égard de cette forme de
lien qui le sont davantage. Elles ont pu émerger de certains écrits
psychanalytiques comme le souligne Philippe Gaberan, éducateur spécialisé et
docteur en sciences de l’éducation, qui explique comment, sur la base de
certaines notions telles que la confusion ou la projection, le travail social s’est
davantage construit sur une « mise à distance de l’autre26 ».
ATTACHEMENT, PROXIMITÉ ET CONFIANCE :
À CULTIVER !
Pourtant, bien avant les travaux sur l’attachement et les recherches en
neurosciences, des penseurs tels qu’Érasme ont vanté les mérites de l’affection
dans la relation éducative : « Sans nul doute, ce sera grand profit si celui qui
entreprend à instruire un enfant se vêt, par une bonne inclination de courage,
d’une affection de père et de mère envers l’enfant. Car, en toute besogne,
l’amour ôte grande partie de la difficulté27. » Les éducateurs, travailleurs
sociaux et pédagogues ayant fondé des établissements d’accueil ou des écoles à
pédagogie nouvelle, tels que Neill fondateur de l’école de Summerhill,
rapportent ces mêmes constats et encouragent le développement de relations
proches permettant aux jeunes de créer un lien de confiance afin de se
construire.
Au regard des craintes liées à la proximité relationnelle d’une part, et de
ses effets bénéfiques constatés d’autre part, il apparaît utile de savoir distinguer
une relation d’attachement constructive d’une relation caractérisée par une
dépendance affective entravant le développement et l’épanouissement de la
personne.
Il semble qu’une relation d’attachement constructive comprenne trois types
de qualités fondamentales28. Tout d’abord l’ouverture et l’honnêteté qui font
référence à la possibilité d’échanger librement ses idées, opinions, émotions ou
préoccupations avec le partenaire. Le second type de qualités comprend
l’empathie et le caractère attentionné envers l’autre. Les deux partenaires sont en
mesure de comprendre ce que l’autre vit, d’accueillir ses émotions et prennent
soin de l’autre. Le troisième type de qualités comprend la confiance et le
sentiment de sécurité au sein de la relation. Cela implique le fait de pouvoir
annoncer des bonnes nouvelles, expliquer ses difficultés, formuler ses souhaits
en ayant confiance dans la réponse constructive du partenaire.

Les trois piliers de l’attachement constructif

L’ouverture et Efforts pour échanger librement ses idées,


l’honnêteté opinions, émotions ou préoccupations avec les
partenaires

L’empathie et Efforts pour prêter attention aux états


l’attention envers émotionnels et aux besoins des partenaires
l’autre

La confiance et le Sentiment que l’on peut exprimer des ressentis


sentiment de sécurité compliqués, ou dérangeants aux partenaires
dans la relation sans risque d’indifférence, de conflit ou de
rejet
LA DÉPENDANCE AFFECTIVE
Ce type de relation constructive n’est pas spécifique à la relation de couple.
Lorsque ces qualités font défaut dans la relation, ou que l’opposé est manifeste,
on parle alors de relation de surdépendance, de codépendance ou encore de
dépendance affective.
La dépendance affective est caractérisée par un manque d’affirmation de
soi, un caractère fortement influençable, une quête permanente de
réassurance quant à ses propres qualités et à propos de la relation, et se
traduit par des comportements visant toujours à aider l’autre alors que ce
dernier n’en a pas exprimé le besoin29.
Ces personnes cherchent toujours à faire plaisir à l’autre au détriment
d’une prise en compte de leurs propres besoins, et ce de manière systématique et
durable30. Il est bien sûr tout à fait agréable d’avoir un conjoint qui souhaite
vous faire plaisir et vous soutenir, mais lorsque chacun de ses gestes est guidé
par le seul objectif de faire plaisir aux autres, cela devient étouffant et irritant, et
vous donne plutôt envie de vous éloigner de lui. Cela peut même vous rendre
agressif à son égard espérant qu’il reprenne une place d’égal à égal dans la
relation, car la dissymétrie relationnelle n’est pas bonne pour l’entente
conjugale.
La codépendance – ou surdépendance – a été mesurée à l’aide d’un
questionnaire (voir ici) permettant de repérer trois dimensions. La première
concerne le besoin de confirmation de sa valeur personnelle par d’autres
personnes que soi pour tenter d’améliorer une estime de soi souvent très faible.
La deuxième dimension est la tendance à considérer systématiquement que les
besoins de l’autre sont plus importants que les siens. La troisième porte sur la
forte réactivité face aux comportements de l’autre, ces derniers ayant alors une
influence importante sur la confiance en soi, le bien-être et les comportements
de la personne surdépendante31. Par exemple, une personne ayant des scores
élevés à ce questionnaire a précisé qu’elle avait décidé de rester en couple pour
le bien des enfants, malgré des abus répétés de la part du conjoint.

Les trois caractéristiques de la dépendance affective

Besoin que les autres Recherche de réassurance, de compliments,


confirment notre de reconnaissance… au détriment de son
valeur propre avis et de son propre jugement

Tendance à faire Même si c’est à notre détriment, s’efforcer


passer les besoins des d’abord de prendre en compte les besoins des
autres avant les nôtres autres, avant de penser aux nôtres

Importance excessive Attention extrême portée aux paroles, gestes,


accordée aux regards des autres. Toute critique est
comportements des considérée comme juste, toute absence de
autres compliment ou de reconnaissance est
considérée comme une désapprobation
LA DÉPENDANCE AFFECTIVE EN PSYCHOTHÉRAPIE
Des psychothérapeutes rapportent comment les partenaires dans ce type de
couple cherchent en permanence à changer l’autre en espérant qu’il puisse
devenir la personne capable de combler leurs besoins non satisfaits32.
À l’inverse, dans une relation d’interdépendance, tout en étant conscients des
forces et des vulnérabilités de chacun, les partenaires expriment le sentiment de
former une équipe, avec un soutien mutuel, qui est source de joie et de
satisfaction. Dans ce type de relation, on est attentif aux besoins de chacun et on
cherche des compromis. Pour cultiver une relation constructive, il est utile de
prendre en compte la confiance, le soutien, la compréhension dont chaque
personne a besoin. Associer ces besoins humains à une forme de codépendance
qu’il faudrait fuir et ne pas y répondre détériorera la relation. Les partenaires ne
tarderont pas à se dire qu’ils ne sont pas faits l’un pour l’autre, que l’on n’est
jamais mieux servi que par soi-même, ou encore qu’il vaut mieux vivre seul
que mal accompagné.
Face à ce type de situation, des personnes en viennent à consulter des
psychologues en indiquant qu’elles souffrent de dépendance affective et
voudraient diminuer leur besoin des autres. Certains psychothérapeutes
rapportent que cette tendance peut se traduire ensuite par une attitude consistant
à donner moins et à attendre plus des autres33, ce qui n’arrange en rien la
relation. Chez d’autres, cela peut se manifester par des consommations de
substances visant à se sentir moins dépendant des autres : face à une contrariété,
une situation stressante, une frustration, l’alcool ou la cigarette apparaît comme
un moyen pouvant donner la sensation d’être capable de faire face seul à la
situation, sans demander d’aide à autrui34.
Avec un taux de divorce qui atteint 50 % des couples mariés, il est
important de prendre conscience des attentes que nous nourrissons à l’égard de
l’autre. En effet, nous avons peut-être tendance à attendre du partenaire qu’il soit
capable de combler tous nos besoins. Or, pour maintenir une relation équilibrée
– une relation d’interdépendance et non une relation de codépendance –, il
convient de ne pas tout attendre de la seule relation de couple. C’est pourquoi le
réseau relationnel, familial, amical est si nécessaire à l’équilibre affectif et à
l’épanouissement de chacun. En l’absence de relations sociales diversifiées, le
risque de dépendance affective est accru. Par ailleurs, il est essentiel d’élargir
également ses domaines d’intérêt avec et/ou sans le partenaire. Il ne s’agit pas de
faire obligatoirement des activités sans lui, mais simplement d’élargir ses
propres sources d’intérêt pour ne pas se focaliser uniquement sur le partenaire,
car cela augmente les risques de dépendance affective.
La dépendance affective génère également une tendance à compter
uniquement sur les autres pour gérer les situations délicates de la vie et à s’en
remettre essentiellement au regard de l’autre pour maintenir son estime de soi.
Elle comprend quatre dimensions : une dimension cognitive caractérisée par une
perception d’incapacité à agir sur les situations, une dimension affective
caractérisée par une angoisse d’abandon élevée, une dimension motivationnelle
caractérisée par la recherche de maintien d’une forte proximité avec des figures
potentiellement protectrices (parents, conjoints, enseignants, médecins…) et une
dimension comportementale caractérisée par des conduites visant à attirer les
figures potentiellement protectrices vers soi (comportements visant à plaire aux
autres, correspondre à leurs attentes, se conformer aux règles dictées par la
hiérarchie…35).

Les quatre dimensions de la dépendance affective

Dimension cognitive : ce Sentiment d’être incompétent et


qu’on se dit incapable d’agir seul(e) sur les situations
et de les modifier. « J’ai besoin des
autres, je n’y arriverai pas sans aide… »

Dimension affective : les Fréquence d’une angoisse d’abandon, et


émotions que l’on ressent hyper-réactivité émotionnelle à toute
forme de critique, de prise de distance, de
négligence, etc., de la part des autres

Dimension motivationnelle : Souci pour maintenir une forte proximité


ce qu’on tend (souvent avec des figures potentiellement
inconsciemment) à protectrices (parents, conjoints,
rechercher enseignants, médecins, amis…)

Dimension Conduites visant à attirer les figures


comportementale : ce potentiellement protectrices vers soi
qu’on tend (souvent (comportements visant à plaire aux
inconsciemment) à faire autres, correspondre à leurs attentes, se
conformer aux règles dictées par la
hiérarchie…)
Pour clarifier cette quête d’attention auprès de figures protectrices, une
équipe de recherche a réalisé deux études sur les formes de dépendance des
étudiants envers leurs enseignants. Ce travail a montré que les étudiants ayant un
degré élevé de dépendance affective étaient prêts à attendre deux fois plus de
temps que les autres étudiants pour parler au professeur à la fin du cours, sauf
s’il était précisé que cet enseignant allait quitter prochainement l’université36.
Dans ce cas, ces étudiants n’attendaient pas plus longtemps que les autres pour
chercher à parler au professeur. D’après ces études, on peut conclure que les
étudiants présentant un degré élevé de dépendance affective recherchent le
contact avec l’enseignant en vue de se rapprocher d’une figure protectrice et non
en vue d’obtenir des retours sur leur travail pour progresser. Dans une telle
situation, la quête d’attention et de proximité relationnelle ne joue pas un rôle
constructif dans le développement des personnes.
Autre situation : quand elles ne parviennent pas à réguler seules leurs
émotions, les personnes présentant une tendance à la dépendance affective
recherchent la proximité relationnelle. Les comportements visant le
rapprochement peuvent être impulsifs et se manifestent notamment par des
conduites à risque ayant pour fonction d’attirer l’attention (automutilations,
tentatives de suicide). Ces conduites sont le plus souvent contre-productives, car
elles réduisent la confiance de l’autre et pèsent sur la relation, ce qui augmente
le risque de séparation. Par ailleurs, l’angoisse d’abandon peut générer des
conduites agressives envers le partenaire dans le but d’éviter qu’il ne parte : les
hommes présentant un degré élevé de dépendance affective ont plus de risques
de perpétrer des actes violents envers leur partenaire37.
DÉPENDANCE AFFECTIVE ET ESTIME DE SOI
Pour rehausser leur estime de soi, les personnes ayant un degré élevé de
dépendance affective cherchent davantage à impressionner les figures d’autorité.
Dans une expérimentation, il avait été demandé à des étudiants, par groupes, de
deux, d’effectuer une tâche créative. Les binômes d’étudiants avaient été
sélectionnés au préalable, suite à la passation d’un questionnaire de dépendance
affective et d’interdépendance saine : l’un des deux étudiants présentait un
niveau élevé de dépendance affective et l’autre un niveau élevé
d’interdépendance dite « saine ». Lorsqu’il était précisé que l’expérimentateur
allait évaluer les candidats sur la base de leur réalisation, les étudiants présentant
un degré élevé de dépendance affective au questionnaire initial avaient tendance
à juger plus sévèrement la réalisation de leur collaborateur dans le but
d’impressionner l’expérimentateur en se faisant passer pour meilleur que l’autre
étudiant38. À l’inverse, dans la condition où il n’était pas précisé que
l’expérimentateur allait les évaluer, les étudiants ayant un niveau élevé de
dépendance affective restaient passifs et s’impliquaient peu dans la tâche.
La dépendance affective est associée à une faible estime de soi, elle rend
plus vulnérable à l’influence des autres, augmente la tendance au
conformisme et à la soumission à l’autorité.
Cela présente un avantage indéniable lorsqu’il s’agit de suivre un
traitement par exemple : les personnes à forte dépendance affective consultent
plus rapidement le médecin si elles suspectent une maladie et suivent mieux les
traitements prescrits39, elles assistent davantage aux séances de psychothérapie
et réalisent plus souvent les pratiques proposées entre les séances40.
Toutefois, elles auront tendance à rester passives dans les situations où
elles estiment que cela peut générer une attention accrue de la part d’autrui. On
repère ce type de comportements lorsqu’une personne vient vous voir pour vous
poser une question dont elle peut trouver par elle-même la réponse : « Je suis
vraiment désolée de vous déranger et je sais que vous êtes très occupée, mais je
voulais vérifier avec vous que j’ai bien compris les consignes du dossier à
rendre : il ne faut pas dépasser cinq pages, c’est bien cela ? » La réponse
figurant sur les consignes distribuées aux étudiants, cette interaction vise
simplement à générer un rapprochement avec l’enseignant.
Dans le cas d’une dépendance interpersonnelle « saine », l’interaction vise
à progresser et à enrichir l’échange ou la relation : « Je voulais juste revenir sur
un point qui m’a interpellé, parce que j’avais lu dans un article qu’il pouvait y
avoir un risque à chercher à augmenter l’estime de soi. Serait-il possible de
revenir sur ce point lors du prochain cours ? » Dans cet échange, l’étudiant
cherche à progresser grâce à l’expertise de l’enseignant sur cette question. Il ne
cherche pas à attirer uniquement l’attention sur lui ni à générer une proximité
relationnelle avec l’enseignant qui ne serait pas adaptée au contexte, puisqu’il
propose d’aborder cette question en cours et non en individuel. Cette interaction
est utile pour les deux parties, elle permet à l’étudiant de clarifier un point
important pour lui et permet à l’enseignant de le clarifier pour l’ensemble du
groupe d’étudiants ou de revoir la manière de présenter ces travaux dans son
cours.
On considère aujourd’hui que les personnes présentant une dépendance
interpersonnelle « saine » sont davantage conscientes de leurs besoins
spécifiques et de la manière dont l’autre peut y répondre ponctuellement. Les
demandes d’aide sont formulées d’une manière appropriée au contexte, au type
de relation, et aux besoins exprimés. Cela implique des compétences
relationnelles et une flexibilité dans la manière d’interagir avec autrui.
L’interlocuteur ne se sent pas envahi par la demande ainsi formulée et perçoit
son utilité au regard des progrès que cela peut générer chez l’autre.
L’INTERDÉPENDANCE POSITIVE
L’interdépendance positive se distingue ainsi de la dépendance affective
par la dimension cognitive, caractérisée par la conscience de son propre pouvoir
d’agir, par la dimension affective, caractérisée par l’appréciation des relations
sociales, par la dimension motivationnelle, caractérisée par l’entretien de
relations de qualité, respectueuse des besoins des deux parties, et par la
dimension comportementale, caractérisée par la mise en œuvre de conduites
visant à répondre au mieux aux besoins et buts personnels et partagés, dans le
respect de ses valeurs.
Imaginer ce que serait une relation fondée sur l’interdépendance positive
permet de quitter la vision manichéenne de la relation où il faudrait choisir entre
indépendance (au sens d’autosuffisance affective) et codépendance (au sens de
nécessité du partenaire pour se sentir exister). L’interdépendance positive
implique une forme d’acceptation de l’importance d’autrui et du soutien mutuel.
Comme l’écrit le docteur Marion Solomon dans son ouvrage sur la
dépendance positive, la maturité relationnelle ne dépend pas du degré
d’indépendance mais de la capacité à accepter le fait d’être relié aux autres. Il
s’agit donc de la première condition nécessaire au développement de
l’interdépendance positive.
Accepter l’interdépendance dépend en partie de sa culture, de son
éducation, des représentations véhiculées à ce propos, des expériences de vie,
des situations dans lesquelles on se trouve. Il s’agit à la fois d’une attitude
générale, mais aussi d’une représentation qui peut évoluer au cours de la vie.
Rien n’est figé dans le domaine des relations humaines. Chaque nouvelle
expérience relationnelle nous ouvre la possibilité d’accepter d’être relié
aux autres.
Ces relations représentent une source inestimable de soutien et augmentent
le sentiment que la vie a du sens.
UN QUESTIONNAIRE POUR ÉVALUER VOTRE DEGRÉ
D’INTERDÉPENDANCE POSITIVE
Si vous souhaitez mesurer votre degré d’acceptation de l’interdépendance,
nous vous proposons de répondre à quelques questions. Lisez chacune des
phrases ci-après attentivement. Pour chacune d’entre elles, entourez le chiffre
qui correspond à ce que vous pensez aujourd’hui. Il n’y a pas de bonnes ou de
mauvaises réponses. Il s’agit simplement de votre attitude actuelle. Pour calculer
le score total, additionnez l’ensemble des scores obtenus. Plus le chiffre est
élevé, plus votre vision (et donc vos comportements en ce sens) de
l’interdépendance est positive. Cela peut faciliter la possibilité de demander ou
recevoir de l’aide sans que cela affecte négativement votre sentiment de
compétence ou d’autonomie.
 
Bien que l’acceptation de l’interdépendance soit associée à une plus grande
propension à coopérer et à un soutien social plus élevé, des réserves peuvent
demeurer – à juste titre – concernant la demande de soutien. Si l’on ne souhaite
pas devenir un poids pour les autres ou s’épuiser en rendant service en
permanence, des questions se posent. Jusqu’à quel degré, à quel sujet et à quelle
fréquence demander du soutien ? À qui ? Dans quelles circonstances ? De quelle
manière et dans quel but ?
Questionnaire. Évaluez votre Pas du Tout à fait
interdépendance positive tout d’accord
d’accord

1. J’accepte volontiers de recevoir ❐ ❐ ❐


❐1 ❐5
de l’aide d’une personne. 2 3 4
2. J’aime effectuer une tâche ou un ❐ ❐ ❐
❐1 ❐5
travail collectif. 2 3 4
3. J’ai du mal à accepter d’être
aidé par quelqu’un même si j’ai ❐ ❐ ❐
❐5 ❐1
moi-même déjà rendu service à 4 3 2
cette personne.
4. Le partage des tâches avec
❐ ❐ ❐
d’autres personnes lors d’un travail ❐ 5 ❐1
4 3 2
en groupe est compliqué pour moi.
5. Quand on réussit quelque chose
personnellement, c’est grâce à nos ❐ ❐ ❐
❐1 ❐5
propres compétences ET à ce que 2 3 4
les autres nous ont apporté.
6. J’aime le travail de groupe car
❐ ❐ ❐
chacun peut apporter quelque ❐ 1 ❐5
2 3 4
chose à l’autre.
7. J’apprécie le fait de rendre
❐ ❐ ❐
service aux personnes qui en ont ❐ 1 ❐5
2 3 4
besoin.
8. Je n’aime pas dépendre des ❐ ❐ ❐
❐5 ❐1
autres pour mon travail. 4 3 2
9. Je ne me sens pas inférieur ❐ ❐ ❐
❐1 ❐5
quand je demande de l’aide. 2 3 4
10. Quand j’aide quelqu’un, je
❐ ❐ ❐
n’attends pas quelque chose en ❐ 1 ❐5
2 3 4
retour.
11. C’est naturel pour moi d’aider ❐ ❐ ❐
❐1 ❐5
les autres. 2 3 4
12. Je trouve inconfortable de ❐ ❐ ❐
❐5 ❐1
demander de l’aide. 4 3 2
13. Si on ne s’aidait pas les uns les ❐ ❐ ❐
❐1 ❐5
autres, la vie serait moins agréable. 2 3 4
14. Quand j’aide les autres, ça me ❐ ❐ ❐
❐1 ❐5
fait plaisir, je me sens utile. 2 3 4
15. Quand on s’entraide dans un
❐ ❐ ❐
travail, les résultats sont bien ❐ 1 ❐5
2 3 4
meilleurs.

Quand demander ou accepter de l’aide ?


« Un soir, un nouveau voisin est venu frapper à
notre porte pour nous demander des œufs afin
de faire des crêpes. Nous nous sommes
empressés de lui apporter une boîte afin qu’ils
puissent passer une bonne soirée entre amis.
Une heure plus tard, le voisin revient avec des
crêpes pour toute la famille ! Nous étions
surpris et ravis et avons pu faire plus ample
connaissance. C’est ainsi que grâce à un
service demandé, nous avons pu créer de
nouveaux liens. Toutefois, de manière
surprenante, quelques jours plus tard, nous
manquions d’ingrédients à notre tour. Notre
fils suggéra d’aller demander à des voisins,
mais nous étions gênés ou intimidés à cette
idée. À la réflexion, cette gêne nous sembla
absurde étant donné que le fait d’avoir donné
des ingrédients à nos voisins nous avait
procuré de la joie. En allant demander des
œufs à notre tour aux voisins, nous avons été
attentifs à d’éventuels signaux indiquant une
gêne de leur côté. Nous n’avons perçu aucun
signe de ce type. Au contraire, les voisins
avaient l’air ravis de la visite, enjoués et
souhaitant même nous donner plus
d’ingrédients que ce que nous demandions. »
Même un geste altruiste qui peut paraître simple ou anodin comme
ramasser le chapeau d’un passant, aider à porter une poussette dans un escalier
ou guider un malvoyant pour traverser la route, génère parfois une émotion de
joie et procure un sentiment de satisfaction. De plus, le fait de rendre service
entraîne souvent une réponse positive en retour, voire un geste altruiste, bien
plus qu’on ne le croit et cela permet de tisser de nouveaux liens. Malgré ces
renforcements positifs, demander de l’aide reste un acte coûteux pour la plupart
d’entre nous. L’impression de peser sur d’autres et le risque de rejet social
induits par la gêne occasionnée pourraient expliquer, au moins en partie,
pourquoi il nous est difficile de demander de l’aide.
DEMANDER DE L’AIDE, EST-CE HONTEUX ?
Pourquoi est-ce parfois si compliqué ? Demander de l’aide par moments
retirerait-il le sentiment de dignité et de liberté ? Soumia, maman de jumelles de
2 ans et demi, l’avait exprimé ainsi lors d’un atelier sur la parentalité : « Vous
savez, je crois que j’aurais honte de me faire aider par quelqu’un à domicile. Ça
voudrait dire que non seulement je ne suis pas capable d’avoir un travail, mais
qu’en plus je ne suis même pas capable de gérer mes enfants… Je n’oserais
jamais le dire à mes amies ! Et même mon mari ne comprendrait peut-être pas…
Si quelqu’un venait me rendre visite au moment où la professionnelle était là, je
ne saurais plus où me mettre ! » Plus tard dans la soirée, elle ajoute pourtant :
« J’en suis vraiment arrivée à un point où je n’ose plus me regarder dans le
miroir. Chaque jour je me demande si je ne vais pas en abandonner une des
deux. Ma mère me l’a même proposé, elle m’a dit : amène-moi une de tes petites
à Paris, je te la garde. » Cette proposition peut surprendre et, pourtant, elle
rejoint les observations rapportées par des anthropologues à propos de cultures
dites traditionnelles où les parents étaient aidés par toute une communauté pour
élever leurs enfants ! Ils ont été baptisés « éleveurs coopératifs41 ». La maman
de Soumia était d’ailleurs issue d’une culture différente, plus communautaire, où
il paraît plus naturel d’envisager de partager la lourde tâche qui incombe aux
parents.
Se sentir stressé, épuisé, anxieux, déprimé peut constituer un signal
indiquant qu’il est nécessaire de considérer de manière équilibrée les ressources
disponibles et les exigences de la situation42. Cela nécessite parfois une
demande de soutien. Nous ne sommes pas faits pour vivre en vase clos. Sans
aide mutuelle, le développement et l’équilibre sont menacés. En effet, des
recherches récentes dans le champ de la parentalité ont montré que l’épuisement
parental augmentait de plus de 30 % le risque de comportements négligents et
violents envers l’enfant43.
Pour améliorer la qualité de vie des parents et des familles, recevoir un
soutien permettant de soulager les personnes dans des périodes difficiles paraît
particulièrement utile. Toutefois, demander de l’aide à ses proches représente un
acte psychologiquement coûteux comme nous l’avons vu, et potentiellement
risqué si les demandes sont trop fréquentes ou trop importantes. L’on craint
alors l’éloignement des amis ou de la famille élargie, ou encore leur jugement
sur notre incompétence en tant que parent à gérer la famille. Lors d’un atelier
sur la parentalité, Karine évoque la difficulté à demander de l’aide : « C’est moi
qui ai choisi d’avoir des enfants, alors si je demande de l’aide à mes parents ils
vont me dire que maintenant il faut que j’assume ! »
De nombreux parents avec lesquels nous avons échangé au cours d’ateliers
ont un discours semblable à celui de Karine signalant la crainte d’être perçus
comme des adultes faibles ou incompétents. Pourtant, la majorité des parents ont
eu un jour ou l’autre besoin d’aide pour tenir, pour s’en sortir, pour éviter de
basculer dans un style éducatif qui ne correspondait pas à leurs valeurs ou à ce
qu’ils souhaitaient pour leurs enfants.
L’interdépendance positive, c’est aussi être capable de recevoir et
demander de l’aide lorsque cela est nécessaire pour agir de manière
constructive, dans le respect des besoins de chacun.
De toute évidence, l’entraide constitue un moyen essentiel pour prévenir
des situations d’épuisement qui se répercutent sur l’ensemble de la famille et
même de l’entourage. On peut observer des effets sur les comportements de
l’enfant à l’école, de même que sur les réactions du parent au travail et dans ses
relations aux autres. Malgré ce constat, constituer un réseau d’entraide n’est pas
évident, car les parents n’osent pas demander de l’aide : « Les autres doivent
être encore plus débordés que moi, parce que je n’ai qu’un seul enfant ! »,
raconte Karine.
OSER DEMANDER DE L’AIDE :
C’EST NORMAL ET ÇA FAIT DU BIEN À TOUT
LE MONDE
Pourtant, en regardant de plus près les moments où nous venons nous-
même en aide à d’autres, même dans des périodes où nous avons l’impression
d’être submergé, nous pouvons observer que cela contribue à notre satisfaction à
la fin de la journée écoulée. Nous percevons que ce geste est en cohérence avec
nos valeurs et cela augmente le sens de la vie. Nous constatons aussi que nous
avons encore suffisamment de ressources pour les mettre à disposition d’autrui,
ce qui est rassurant et améliore le sentiment de compétence et de contrôle sur la
situation. Comme nous l’avons vu, des recherches montrent que venir en aide à
autrui est aussi bénéfique pour soi. Dans une étude, les chercheurs ont demandé
aux participants de noter les actions visant à obtenir le soutien d’autrui et ayant
un coût pour la personne en termes d’efforts et de temps44. Par la suite, ces
mêmes chercheurs ont mesuré la qualité relationnelle perçue et la satisfaction
par rapport à la relation amicale ou conjugale. Ils ont constaté que les petits
« sacrifices » réguliers prédisaient de meilleures évaluations de la relation. Les
actes altruistes sont perçus par les amis ou partenaires comme une attention
bienveillante qui témoigne de l’importance accordée à la relation. Cela
consolide le lien de confiance et encourage à faire de même en retour.
Toutefois, ces effets bénéfiques ne surviennent que lorsque les actes sont
réalisés dans le but d’apporter plus de confort et de bien-être à l’autre, et non
pour éviter des tensions ou des émotions négatives telles que les réprimandes ou
la déception de la part de l’autre45. Dans une étude, il était demandé aux
participants de noter pendant deux semaines les « sacrifices », ou gestes
coûteux, qu’ils avaient réalisés au cours de la journée pour le bénéfice d’autrui,
ainsi que les motivations sous-jacentes à ces actions. Puis il leur était demandé
de rapporter leur niveau de satisfaction et leur sentiment de proximité
relationnelle. Les chercheurs ont constaté que les jours où la motivation au
sacrifice était dictée par la volonté d’éviter des conséquences négatives telles
que des remontrances ou de la mauvaise humeur, les participants rapportaient
une moindre satisfaction relationnelle et davantage de conflits. À l’inverse, les
jours où les actes coûteux ciblant les bienfaits pour autrui étaient motivés par le
bien-être de l’autre, cela générait plus d’émotions positives chez la personne
réalisant l’acte, et cela améliorait la qualité de la relation.
En plus des bienfaits apportés par les comportements altruistes, il existe
également des dispositifs professionnels favorisant l’aide des personnes faisant
face à des difficultés ou en situation d’isolement social. Cependant, comme l’ont
montré les enquêtes menées par l’Observatoire du non-recours aux droits et
services46, de nombreux individus en difficulté n’ont pas recours à l’aide dont
ils pourraient bénéficier. Recevoir de l’aide ou un don peut renforcer la
représentation négative que la personne a d’elle-même. Demander et recevoir de
l’aide restent donc des actions délicates. Changer la perception que l’on en a en
s’appuyant sur la représentation d’une interdépendance positive pourrait faciliter
le recours au soutien et à son acceptation.
Recevoir et accorder du soutien sont autant d’occasions de resserrer les
liens sociaux, et cela est bénéfique aux deux parties : celle qui donne et
celle qui reçoit.

L’altruisme, un bénéfice partagé


L’altruisme peut être défini comme le fait de favoriser, directement ou
indirectement, le bien-être des autres en mettant en œuvre des actions favorables
à leur survie, leur santé, leur liberté ou leur épanouissement47. Des chercheurs
ont réalisé des études expérimentales dans vingt-trois grandes villes du monde
afin d’étudier la fréquence des comportements altruistes48. Les études
s’intéressaient à des comportements courants que l’on peut rencontrer au
quotidien. Par exemple, prévenir un passant qu’il vient de faire tomber un objet
ou aider une personne malvoyante à traverser la route. Dans le cadre de ce
protocole de recherche standardisé effectué dans plusieurs pays, les chercheurs
ont observé un taux minimum de 40 % de comportements altruistes (à Kuala
Lumpur en Malaisie) et un taux maximum de 93 % (à Rio de Janeiro au Brésil).
Les taux de comportements altruistes plus élevés sont observés dans les pays de
culture latine et dans les pays présentant une moindre productivité économique.
À titre de comparaison, en France, le taux de bénévolat est estimé à 25 %
(enquête France Bénévolat 2016-2017) : si ce chiffre est un indice de nos
tendances altruistes, nous avons des progrès à faire !
AIDER FAIT AUSSI DU BIEN À LA PERSONNE
QUI AIDE !
Contrairement à la représentation sacrificielle que l’on peut se faire des
comportements d’aide, depuis plus de trente ans de nombreux travaux rapportent
leurs effets bénéfiques sur le bien-être de celui qui réalise l’action49. Des
recherches en neurosciences ont ainsi montré que le fait d’aider un proche active
le système de récompense au niveau du cerveau, ce qui stimule la sensation de
bien-être50. Ce ressenti a été qualifié de « shoot de l’aidant » pour souligner
l’importance de l’effet sur le bien-être de l’aidant51. Ces effets sur le bien-être
et la satisfaction générale ont été démontrés dans plusieurs études
expérimentales, notamment publiées dans la revue Science. Il s’agissait d’une
recherche sur le don d’argent.
À première vue, on pourrait imaginer que le fait de dépenser de l’argent
pour se faire plaisir augmenterait davantage le bien-être personnel que le fait de
donner cet argent à une autre personne dans le besoin. Lors d’une expérience,
des chercheurs ont donné de l’argent aux participants pour analyser de plus près
l’effet de l’utilisation de cette somme pour soi ou pour autrui. À la moitié du
groupe, ils demandèrent d’utiliser l’argent pour se faire plaisir à eux-mêmes, et à
l’autre moitié ils ont demandé d’utiliser cette somme au bénéfice d’une autre
personne. Le soir venu, lorsque les chercheurs ont téléphoné aux participants
comme convenu, ils ont mesuré leur degré de satisfaction de leur vie. Ils ont
alors constaté que ceux qui avaient utilisé l’argent au bénéfice d’une autre
personne se sentaient plus heureux que les participants qui avaient utilisé
l’argent pour eux-mêmes52. Ce résultat était contraire à ce que les participants
pouvaient imaginer au départ.
De manière similaire, l’on pourrait imaginer que le fait de recevoir du
soutien nous apporte plus de bienfaits sur les plans physique et mental que le fait
d’en donner, qui implique un coût en termes d’énergie et de disponibilité.
Pourtant, plusieurs études ont montré des effets supérieurs de soutien apporté à
autrui comparativement au soutien reçu. Dans une étude, il a été montré que le
fait d’apporter de l’aide à des proches, des amis, des voisins ou à son propre
conjoint constituait un facteur protecteur chez la personne âgée plus important
que le fait de recevoir soi-même de l’aide53. Dans une autre étude, en proposant
à des personnes souffrant elles-mêmes de douleurs chroniques de soutenir
d’autres personnes se trouvant dans une situation similaire, les chercheurs ont
constaté que 43 % des aidants rapportaient que leur énergie était plus grande
lorsqu’ils apportaient de l’aide et 13 % déclaraient que cela avait même réduit
leurs propres douleurs.
Des effets bénéfiques ont ainsi été observés aux différents âges de la vie.
Chez les adolescents, une étude a montré que ceux qui étaient plus altruistes
présentaient moins de risques de dépression et de suicide54. Cet effet bénéfique
de l’altruisme sur la santé physique et mentale s’observe même jusqu’à
cinquante ans plus tard55 ! De manière similaire, chez la personne âgée, des
enquêtes ont mis en évidence que les individus impliqués dans un travail
bénévole étaient davantage satisfaits de leur vie et présentaient une plus grande
envie de vivre que les personnes qui n’avaient pas ce type d’engagement56.
COMMENT S’EXPLIQUENT LES BIENFAITS
DE L’ALTRUISME ?
Les effets bénéfiques des actions altruistes s’expliquent par plusieurs
mécanismes. Tout d’abord, les actes altruistes, tout comme le bénévolat dans le
cadre d’une association, permettent de maintenir ou de développer un réseau
social de proximité. Ce réseau représente un facteur de protection important face
aux aléas de l’existence ou les événements de vie marquants tels que le départ à
la retraite, un déménagement ou encore une séparation57. En effet, comme nous
l’avons vu précédemment, le sentiment de proximité relationnelle constitue un
facteur protecteur clé pour la santé physique et mentale. De plus, il a été montré
que cela pouvait faciliter des comportements de santé ciblés. Par exemple, chez
des personnes dépendantes à l’alcool ayant suivi une période de sevrage, leur
propre engagement dans le soutien d’autres personnes en situation de sevrage
diminuait par trois les risques de rechute alcoolique58. De plus, 94 % des
personnes en cours de sevrage s’engageant dans le soutien des pairs pendant les
quinze mois de l’étude présentaient ensuite un degré moins élevé de symptômes
dépressifs comparé aux autres qui ne s’engageaient pas dans le soutien au
sevrage59.
Le groupement des Alcooliques Anonymes encourage ainsi cet
engagement pour soutenir les autres dans leur démarche de sevrage. L’efficacité
d’un tel soutien a été démontrée par les recherches portant sur l’engagement
dans l’action : plus les individus s’engagent, plus cet engagement est public, et
plus les efforts nécessaires sont importants, plus l’individu concerné a de
chances de suivre lui-même le comportement qu’il préconise. Cela s’explique
par un phénomène qui est appelé dissonance cognitive60 : il s’agit d’une tension
interne produite par la différence entre des attitudes ou des croyances et des
comportements effectifs. Lorsqu’on est publiquement engagé dans des
préconisations ciblant des comportements de santé, l’attitude positive envers le
produit concerné (ici l’alcool) diminue, ce qui réduit les tendances à la
consommation. Ainsi, si on se considère comme une personne individualiste et
que l’on participe à un programme qui nous propose de mettre en œuvre des
actes altruistes de notre choix, on aura tendance à modifier la perception que
l’on a de soi, ce qui en retour facilitera les comportements altruistes.
Les effets sur le bien-être ne sont pas uniquement liés à la création d’un
lien social, ils dépendent aussi d’une moindre attention portée à ses
préoccupations personnelles, ce qui diminue l’anxiété et le stress61.
Un effet important de l’engagement social est lié au sentiment d’utilité et de
sens de la vie qui en découle, et cela contribue au bien-être durable62.
Lorsqu’il s’agit d’une action que l’on a choisi de mettre en œuvre, cela
résulte généralement d’une motivation personnelle en lien avec ses propres
valeurs63. S’engager dans ce comportement contribue au sentiment d’être
cohérent dans sa vie. Cela renforce aussi l’estime de soi64, ce qui est bon pour
la santé mentale65. De plus, savoir mobiliser ses propres compétences et ses
ressources pour soutenir autrui révèle que l’on possède ces compétences, ce qui
augmente encore le sentiment de valeur personnelle. Cette capacité à agir sur
une situation donnée accroît ainsi le sentiment de maîtrise de soi et de sa vie, ce
qui diminue le stress, les symptômes dépressifs et favorise le sentiment de bien-
être. Par exemple, dans une étude menée auprès de 5 694 personnes présentant
des niveaux de vie variés, il a été montré que, même en situation de pauvreté, les
personnes qui gardaient le sentiment de maîtriser leur vie présentaient une
meilleure santé, une plus grande acceptation de leur vie et moins de symptômes
dépressifs66.
L’engagement social permet de conserver une activité et de s’exposer à
des situations nouvelles qui mobilisent des compétences adaptatives qui
elles-mêmes favorisent une bonne santé physique et mentale, et moins de
stress.
En raison de ses effets bénéfiques sur la réduction du stress perçu67, on
observe également des effets sur la santé physique et la qualité de vie,
notamment chez les personnes âgées68. L’engagement bénévole réduit le taux
de mortalité prématurée69, même lorsqu’on contrôle les autres facteurs ayant un
impact sur la mortalité précoce70. Des études ont également été menées auprès
d’adultes souffrant de maladies graves telles que le cancer et ont montré les
effets bénéfiques du soutien apporté à autrui. Des personnes atteintes de cancer à
qui les chercheurs avaient proposé de répondre pendant plusieurs semaines à une
ligne d’écoute téléphonique pour venir en aide à d’autres patients atteints de
cancer ont présenté des niveaux d’amélioration des marqueurs biologiques
nettement supérieurs aux autres patients. De plus, cette amélioration était
supérieure à celle des patients ayant reçu le soutien. Cela souligne ainsi
l’importance du sentiment de maîtrise, de compétence et d’utilité sociale dans la
santé physique et mentale des individus.
Ces constats vont à l’encontre de l’idée selon laquelle il faudrait se
préserver en évitant de donner du temps ou de l’énergie pour venir en aide à
d’autres lorsqu’on est soi-même fragilisé. Accorder de son temps et de son
énergie n’est donc pas nécessairement néfaste, mais peut, au contraire,
augmenter le sentiment de bien-être qui donne un sens à l’existence. Toutefois,
on ne peut ignorer que les personnes impliquées dans des relations d’aide ont été
repérées, depuis plusieurs décennies, comme étant aussi des populations plus à
risque d’épuisement professionnel. On parle du burn-out des soignants ou des
aidants naturels (les personnes soutenant un proche atteint d’une maladie
chronique). Ce risque survient lorsque les efforts à fournir dépassent les
ressources disponibles71, c’est-à-dire lorsque l’aidant n’a pas suffisamment
d’activités ou de relations permettant de se ressourcer. Ainsi, lorsque les aidants
maîtrisent la situation, venir en aide n’est pas considéré comme un « fardeau »,
mais augmente le degré de satisfaction de vivre72. Il en va de même pour la
parentalité. Il est donc très important de trouver un équilibre entre les ressources
disponibles et les exigences du quotidien.
Être parent :
entre dépendance et interdépendance
« Avant de devenir parent, j’avais une
représentation très naïve de la manière dont les
choses allaient se dérouler. Je pensais que,
contrairement aux parents que je voyais en
train de pester sur le trottoir pour faire
avancer leur enfant jusqu’à l’école, j’allais
faire des choix éducatifs qui seraient suivis par
mes enfants puisque j’allais leur en expliquer
le bien-fondé et l’intérêt. Je fus alors surprise
de découvrir que, dès la naissance, chaque
enfant avait sa propre manière de réagir et
d’agir en fonction de sa personnalité et de ses
motivations, qui n’étaient pas nécessairement
compatibles avec les choix éducatifs parentaux,
même si ces derniers nous semblaient bien
fondés ! Face à ce constat, j’ai eu l’impression
de devoir m’ajuster en permanence au
détriment de mon sentiment de liberté. Les
enfants sont demandeurs d’aide et d’attention
– à juste titre. »
Lorsqu’on devient parent, quelque chose change radicalement : on devient
indispensable au développement d’un autre être humain. Cette relation d’abord
perçue comme une forme de dépendance de l’enfant envers le parent peut se
rapprocher d’une forme d’interdépendance positive, c’est-à-dire une relation
source de bienfaits pour les deux parties. En effet, se sentir indispensable à
l’autre peut augmenter le sentiment d’utilité, de compétence et l’estime de soi,
ce qui contribue au bien-être du parent. Toutefois, se croire indispensable en
permanence est aussi à l’origine de tensions et représente en cela un facteur de
risque d’épuisement. Plus on se sent indispensable, plus on s’investit dans la
relation, ce qui est positif, mais jusqu’à un certain point. Lorsque le degré
d’investissement dépasse les ressources du parent et entraîne une surcharge
mentale due à la somme des tâches à accomplir pour contribuer au bon
développement de l’enfant, le parent peut avoir l’impression qu’un étau se
resserre autour de lui et qu’il perd totalement sa liberté. Il importe donc de
trouver un équilibre entre ses propres besoins et la réponse aux besoins de son
enfant.
PARENTS ET ENFANTS : UN ÉQUILIBRE À CULTIVER
Dans le contexte de la parentalité, les besoins liés à la relation parent-
enfant et ceux du parent se trouvent fréquemment en contradiction. Étant donné
la priorité que les parents accordent à leurs enfants, les autres besoins passent au
second plan. Toutefois, le déséquilibre peut être source de tensions et de
comportements parfois inadaptés, en raison de l’irritabilité qu’il crée. C’est la
raison pour laquelle il est conseillé aux parents de ne pas ignorer leurs besoins
psychologiques fondamentaux pour prendre soin de cet équilibre. Cela peut
passer par une mise en perspective de son rôle de parent : en quoi ce rôle répond
à des valeurs personnelles et des buts de vie importants pour la personne.
Bien que cela demande du temps, de l’énergie et des ressources
d’autorégulation importantes, prendre soin de ses enfants répond aussi, la
plupart du temps, à certains besoins psychologiques des parents. Au premier
rang desquels le besoin de proximité relationnelle. L’attachement de l’enfant
envers son parent entraîne une quête de proximité relationnelle qui permet de
répondre à ce besoin humain. Par ailleurs, le dévouement de la plupart des
parents pour prendre soin au mieux de leurs enfants répond à des valeurs
personnelles, renforçant ainsi le sentiment d’autonomie : le parent peut effectuer
des choix éducatifs en lien avec ses propres valeurs. De leur côté, les enfants ont
souvent des illusions positives à propos de leurs parents qu’ils imaginent être les
plus forts, les plus beaux ou les plus intelligents. Cela peut renforcer le
sentiment de compétence des parents. Si l’on prend du recul pour se reconnecter
à ses valeurs en tant que parent, cela peut aider à retrouver un sentiment
d’autonomie et de sens dans son rôle parental. En effet, les parents ont parfois
l’impression de perdre une forme d’autonomie et de passer beaucoup de temps à
être « au service » des enfants, avec très peu de reconnaissance en retour !
PRESSIONS SOCIALES SUR L’ÉDUCATION :
C’EST QUOI « ÊTRE DE BONS PARENTS ? »
Le sentiment de liberté et le sentiment d’autonomie sont particulièrement
importants pour tout un chacun. De surcroît, parvenir à se sentir libre et faire
preuve d’autonomie sont des caractéristiques

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