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Le déroulement

des combats
Cédric Chadburn

Les Germains commencent le combat généralement par un


affrontement à distance, et ils ont des armes terribles pour cela.
Ils chargent ensuite en masse, déferlant sur leurs ennemis.
Ils savent également se servir des ressources géographiques
qui les entourent et tendre des embuscades redoutables.

Le combat à distance maximum de blessés. Les pointes les plus meur-


Les guerriers germaniques se servent de leurs trières sont celles faites de barbelures dont les
javelines pour harceler les lignes adverses à crochets déchirent les chairs lorsqu’on essaie de
l’époque des influences romaines précoce (phase les retirer, agrandissant ainsi la plaie. Elles sont
B1 et B2). Selon Tacite, ils sont capables de les également dures à extraire des boucliers qui
projeter « à des distances énormes » (Tacite, La deviennent ainsi difficilement manœuvrables
Germanie, VI). Au IVe siècle, la situation semble voire inutilisables. Le pilum du légionnaire
toujours la même. Ammien Marcellin note, lors romain a un mode de fonctionnement assez
de la bataille de Strasbourg, que « pendant un proche. Lors de la conquête de la Gaule, les
temps, on se lança des javelots et les Germains se Helvètes ne parviennent pas à se débarrasser des
précipitèrent avec plus de hâte que de prudence » pila romains enfoncés dans leur bouclier, les obli-
(Ammien Marcellin, XVI, 12, 36). Le poème geant à les abandonner et à combattre sans pro-
épique carolingien Waltharius, daté du IXe siècle, tection. Le récit d’Agathias exprime clairement
exprime parfaitement ce moment d’extrême ten- les dégâts provoqués par ce type de pointes :
sion : « Déjà les deux formations, après s’être avan- « Dans la mêlée, le Franc lance, quand il le faut, cet
cées à portée de javelot, s’étaient arrêtées. Alors, de angon, et si l’arme atteint le corps le dard naturel-
toutes parts, une clameur s’élève dans les airs, les lement s’y enfonce, et ni celui qui a été frappé ni
trompettes guerrières entremêlent leurs voix terri- personne ne peuvent aisément en retirer la pique,
fiantes ; aussitôt, une grêle de javelots s’abat de tous empêché qu’on se trouve par les pointes crochues
cotés. Le frêne et le cornouiller se confondaient en ayant profondément pénétré dans les chairs où elles
une même danse, et les pointes qui s’agitaient, étin- causent de cruelles douleurs ; de sorte que, même si
celaient comme la foudre. Et de même qu’une l’ennemi n’a pas été sérieusement touché, il meurt
masse de flocons se disperse sous le souffle de l’aqui- tout de même de sa blessure. Si le trait s’est fixé
lon, de même on décochait des flèches meur- dans le bouclier, il y reste suspendu, promené par-
trières ». L’objectif est évidemment de désorgani- tout avec lui, son extrémité traînant sur le sol.
ser les lignes adverses en provoquant un L’homme frappé ne peut ni retirer la pique à cause

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des crochets qui y ont pénétré, ni la couper avec cheval ne sorte pas trop tôt de sa piste, mais seule- Charge des Germains contre
les soldats de l’armée
l’épée parce qu’il ne peut atteindre le bois sous son ment lorsque, après le lancer du javelot, l’escadron romaine. Photo Limitis/Rémi
Rostaing.
enveloppe de fer » (Agathias, Histoires, II, 3, 3). À amorce une conversion qui le ramène loin de l’ad-
l’époque des influences romaines tardives, les versaire pour entamer une autre charge ». D’après
archers semblent participer plus souvent à la les expériences menées au XIXe siècle, « un cava-
désorganisation des lignes adverses. lier pouvait atteindre son objectif dans un rayon
moyen de 25 mètres. À treize pas, il peut percer une
Les cavaliers germaniques participent également planche de chêne de un centimètre et demi, bordée
au harcèlement des lignes adverses par des de tôles sur les deux flancs » (Paul Vigneron, Le
manœuvres circulaires par la droite. Selon Tacite, Cheval dans l’Antiquité gréco-romaine, 1968). La
leurs chevaux sont dressés principalement « pour conversion à gauche n’est probablement pas pra-
tourner à droite seulement, serrant si bien leur tiquée par les Germains car seul s des cavaliers
manœuvre circulaire que personne ne reste en très expérimentés sont capables de la réaliser. En
arrière» (Tacite, La Germanie, VI). Cette charge effet, elle exige un changement de pied du cheval
particulière (la conversion à droite) consiste à tandis que le cavalier doit déplacer son bouclier
présenter le flanc gauche du cheval protégé par le sur la droite, alors qu’il le tient toujours de la
bouclier. Lorsque les cavaliers sont à portée de tir, main gauche, tout en lançant sa lance de la main
ils projettent alors leur lance dont le « fer étroit et droite. Les cavaliers romains, pourtant très bien
court mais si pointu et si bien adapté à son usage entraînés, sont peu nombreux à la réussir. La pré-
que la même arme, selon les besoins, leur sert à sence de 17 éperons dans la tombe de Mušov, sur
combattre de près ou de loin ». Selon l’historien le territoire de l’actuelle République tchèque,
français Jean-Marie Lassère, l’action de la cavale- datant de la fin du IIe siècle, avec des pointes de
rie n’est efficace que si « les traits restent groupés, flèches indique peut-être l’existence d’archers
pour avoir sur la formation ennemie l’effet d’une montés dans les armées des Marcomans. Cette
sorte de mitraille concentrée. Il faut pour cela que le technique de harcèlement se révèle très efficace.

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DOSSIER : LES PEUPLES GERMANIQUES

Le combat au corps à corps.


Photo Limitis/Rémi Rostaing.

La charge et le combat corps à l’époque des influences romaines précoce


au corps à corps (phase B1 et B2).
Après avoir épuisé leurs traits, les fantassins ger- Lors de l’invasion de l’Écosse par les armées
maniques chargent avec leur lance qu’ils tiennent romaines, commandées par le général romain
à une ou deux mains. C’est sans doute à ce Agricola, beau père de Tacite, les auxiliaires ger-
moment que la cavalerie lourde des Quades mains de l’armée romaine « se mirent à cogner
engage également le combat car l’absence d’étrier avec la bosse (umbo) de leurs boucliers, à labourer
ne permet pas aux cavaliers de briser une forma- les visages et, une fois abattus les ennemis (les
tion de fantassins serrant les rangs. Bretons) » (Tacite, Vie d’Agricola, XXXVI, 1). La
Les lances des guerriers germaniques sont suffi- fixation horizontale des poignées, notamment
samment longues pour maintenir l’ennemi à dis- pour les boucliers hexagonaux, rectangulaires et
tance et lui infliger de graves blessures ou trans- ovales, permet à son porteur soit de frapper vio-
percer un homme. C’est la stratégie adoptée par lement son adversaire avec la bordure inférieure
les troupes d’Arminius, lors de l’embuscade de de son bouclier soit de donner un coup latéral
Teutoburg en Allemagne, en 9 de notre ère, où terriblement efficace avec des umbos coniques ou
des milliers de légionnaires romains furent mas- à pointes. D’ailleurs, on observe parfois quelques
sacrés par les Germains. Ils peuvent aussi s’en ser- exemplaires avec une pointe déformée probable-
vir comme des javelines. Cependant, elles sont ment à la suite d’un choc. La morphologie des
trop longues dans le combat rapproché. Tacite épées d’un seul tranchant facilite aussi les frappes
rapporte qu’elles sont peu maniables entre les d’estoc comme l’indique indirectement Tacite au
arbres et les broussailles. Dion Cassius fait la sujet des auxiliaires germains en Écosse : « les
même remarque lors de l’affrontement entre les
Germains d’Arioviste et les soldats romains au Ier ÉTRIERS
siècle av. J-C., en précisant que les épées à double Ils permettront d’ajouter à l’énergie cinétique
tranchant du type celte présentent le même procurée par la course du cheval, la force des
inconvénient. Par contre, la forme et la taille des combattants sans qu’ils risquent d’être désarçon-
boucliers et des épées d’un seul tranchant sont nés. Lors d’une charge, l’absence d’étriers est
donc de moindre effet.
parfaitement adaptées pour le combat au corps à

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Le combat au corps à corps.
Photo Limitis/Rémi Rostaing.

glaives des Bretons (leurs ennemis), dépourvus de les Alamans se déchainent sur les boucliers des
pointe acérée, ne leur permettaient pas de croiser le soldats romains avec les tranchants de leur lame :
fer et de lutter au corps à corps » (Tacite, Vie « […] les barbares, à qui la violence et la colère ins-
d’Agricola, XXXVI, 1). Ces coups d’épée sont sou- piraient le désordre, s’enflammèrent comme un feu
vent mortels. Dans les tombes, elles sont toujours et se mirent à briser sous les coups redoublés de
associées, comme les glaives, à des boucliers leurs épées l’assemblage qui joignait nos boucliers
ovales ou hexagonaux surmontés d’umbos entre eux et protégeait les nôtres comme une
coniques ou à pointe. L’usage d’épées à double tortue » (Ammien Marcellin, XVI, 12, 44). Les
tranchant (spathae), dans la seconde moitié du guerriers combattent donc à une distance plus
IIe siècle (phase C1a) ne semble pas révéler un
changement des techniques de combat car elles
sont découvertes avec des umbos à pointe quelle
que soit leur dimension. D’ailleurs, cette impres-
sion est renforcée par l’usage de boucliers hexa-
gonaux (sarcophage Ludovisi) ou rectangulaires
(boucliers miniatures) jusqu’au milieu du
IIIe siècle. En outre, l’absence de poignards
romains dans le monde germanique, à l’excep-
tion de quelques exemplaires rarissimes, montre
que les Germains n’adoptent que des armes cor-
respondant à leur technique de combat.

Au début du IIIe siècle, les spathae sont désormais


les seules épées des guerriers germaniques. Dans
la seconde moitié du IIIe siècle (phase C2) et au
IVe siècle (phase C3), elles deviennent plus
longues et plus lourdes, favorisant ainsi les
La fonction des boucliers
frappes de taille. Lors de la bataille de Strasbourg, hexagonaux. Photo Limitis.

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DOSSIER : LES PEUPLES GERMANIQUES

Les embuscades.
Photo Limitis.

importante, limitant ainsi le rôle des boucliers à frappes d’estoc : « ils perçaient de leur épée tendue
une fonction plus défensive. Cependant, rien le flanc des barbares que découvrait leur ardente
n’interdit des frappes d’estoc comme le rappor- colère » (Ammien Marcellin, XVI, 12, 49).
tent les auteurs romains au IVe siècle. En effet, si Ammien Marcellin précise que les guerriers ger-
le légionnaire romain, lors des deux premiers maniques continuent de se servir de leurs bou-
siècles de notre ère, se sert de son glaive principa- cliers circulaires comme d’une arme : « Mais avec
lement pour des frappes d’estoc, c’est parce qu’il un acharnement extrême on en vint au corps à
combat en rang serré, protégé d’une armure et corps, les boucliers se heurtaient bosse contre bosse
d’un lourd bouclier. Rien ne l’empêche, lorsque et le ciel résonnait des grands cris poussés par les
les circonstances l’exigent, de donner des frappes vainqueurs et les blessés » (Ammien Marcellin,
de taille. Lors de la bataille de Strasbourg, les sol- XVI, 12, 37). D’ailleurs, au IVe siècle, ces boucliers
dats romains se servent de leur spatha pour des sont désormais surmontés d’umbos coniques.

Les embuscades.
Photo Limitis.

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Les embuscades
Les Germains s’appuient sur leur connaissance
du terrain pour multiplier les embuscades afin
d’affaiblir leurs adversaires, profitant ainsi du
milieu naturel (forêts et marécages). L’épisode le
plus célèbre est évidemment le guet-apens, tendu
par le Chérusque Arminius, que certains histo-
riens situent à Kalkriese au nord d’Osnabrück en
Allemagne, contre les soldats du gouverneur
romain Quinctilius Varus, dans la forêt de
Teutoburg (Varusschlacht) en 9 de notre ère. Le
rebelle Arminius, auxiliaire de l’armée romaine,
réussit à attirer les Romains dans la forêt de
Teutoburg où se sont cachés des milliers de guer-
riers germaniques. Pendant plusieurs jours, les
soldats romains, ne pouvant se mettre en forma-
tion de combat à cause des arbres, sont constam-
ment harcelés. Au pied du mont Kalkriese,
Arminius a même fait construire des murets de
également parsemé de passages relatant les Les embuscades.
tourbe, en forme d’arc de cercle, et des remparts Photo Limitis.
embuscades des guerriers germaniques contre
de sable, pour dissimuler ses guerriers et réduire
l’armée romaine : « […] les barbares qui avaient
le passage emprunté, entre la colline et un marais,
établi leur domicile en deçà du Rhin, effrayés par
par les Romains. Lorsque les légionnaires
l’approche de nos armes (les Romains), se mirent
romains arrivent à proximité de la colline, leurs
les uns à barrer les routes difficiles et naturellement
armes sont inefficaces contre les Germains posi-
accidentées en y abattant avec adresse des arbres
tionnés en hauteur. En désespoir de cause, ils se
d’une taille énorme » (Ammien Marcellin, XVI,
lancent probablement à l’assaut des murets l’épée
11, 8). En 356, les Alamans multiplient les
au poing. Ceux-ci s’effondrent alors sur eux
embuscades contre l’armée de Julien dans le
enterrant vivant plusieurs légionnaires. Les
Germains se jettent ensuite sur les Romains nord-est de la Gaule : « Comme le jour était si plu-
désemparés par les passages aménagés dans les vieux et couvert qu’il empêchait d’y voir même de
murets ou en escaladant les parties effondrées. près, l’ennemi, s’aidant de la connaissance des
Une partie des Romains a sans doute tenté de lieux, suivit un sentier détourné et, attaquant dans
s’échapper à travers les marais sans succès car les le dos de César deux légions qui fermaient la
Chérusques sont expérimentés dans le combat marche, il les aurait détruites, peu s’en fallut, si la
dans les marais. clameur qui s’éleva subitement n’eût attiré nos
Au IIIe siècle, Hérodien rapporte que sous l’em- alliés à la rescousse » (Ammien Marcellin, XVI, 2,
pereur Maximin (235-238), à la suite d’une 10). Les Germains sont également d’excellents
offensive de l’armée romaine en Germanie, les nageurs. Comme les Romains, ils peuvent se ser-
« Barbares s’étaient retirés dans leurs bois et dans vir de leur bouclier pour traverser des fleuves. Ils
leurs marais pour dresser des embûches aux sont également capables d’organiser des missions
Romains, et pour combattre avec plus d’avantage « coup de poing » la nuit contre l’armée romaine.
dans ces lieux couverts où il était difficile de les for- L’historien byzantin Zosime constate que Julien,
cer, les flèches et les javelots n’étant guère d’usage au en 357, a du mal à « s’opposer avec son armée aux
travers de ces épaisses forêts, et les marais étant si furtives attaques des Barbares (Alamans), car ils se
profonds que ceux qui ne connaissent point le pays livraient au pillage en petit nombre non sans livrer
courent le risque de s’y noyer, au lieu que les en de multiples groupes et, quand il faisait jour, il
Germains, qui y passent tous les jours à gué, savent était tout à fait impossible d’en apercevoir un seul :
les endroits qui sont ou sûrs ou dangereux » ils se cachaient en effet dans les bois qui entourent
(Hérodien, VII, 2). les champs et se nourrissaient du produit de leurs
Au IVe siècle, le récit d’Ammien Marcellin est brigandages » (Zosime, III, 7, 4).

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