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QUAND LA MISE À L'AGENDA RAVIVE LES MOBILISATIONS

FÉMINISTES
L'espace de la cause des femmes et la parité politique (1997-2000)
Laure Bereni

Presses de Sciences Po | Revue française de science politique


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2009/2 - Vol. 59

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pages 301 à 323

ISSN 0035-2950

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http://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2009-2-page-301.htm
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Pour citer cet article :


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Bereni Laure, « Quand la mise à l'agenda ravive les mobilisations féministes » L'espace de la cause des femmes et la
parité politique (1997-2000),
Revue française de science politique, 2009/2 Vol. 59, p. 301-323. DOI : 10.3917/rfsp.592.0301
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QUAND LA MISE À L’AGENDA RAVIVE


LES MOBILISATIONS FÉMINISTES
L’espace de la cause des femmes et la parité politique
(1997-2000)
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LAURE BERENI

’étude des rapports entre mouvements sociaux et processus de mise à l’agenda,

L située à l’intersection de la sociologie des mouvements sociaux et de l’action


publique, s’opère classiquement dans le cadre d’une analyse séquentielle 1. Selon
cette perspective, l’enjeu principal de l’analyse consiste à identifier le rôle des mouve-
ments contestataires dans l’émergence des problèmes publics 2, et la mise à l’agenda
est plus ou moins explicitement considérée comme la « fin » (au double sens de but et
de terme) des protestations collectives. Quand il s’agit d’étudier la phase de « dévelop-
pement du programme » 3, où des solutions institutionnelles au problème sont sélection-
nées par les acteurs politiques, et où des arbitrages s’opèrent jusqu’à la décision finale
(qui peut prendre la forme d’une loi), la focale tend à se déplacer des mouvements sociaux
vers les institutions publiques. Ce type de division analytique tend à reproduire l’idée
d’une frontière entre société et État, qui se décline en termes d’approches disciplinaires
(sociologie/science politique), de séquences temporelles (amont/aval de l’inscription sur
l’agenda formel), de types d’acteurs (outsiders/insiders) et de répertoires d’action (non
conventionnels/conventionnels).
Depuis plusieurs années, une série d’analyses a ébranlé les fondations de ce grand partage
entre État et société. Plusieurs travaux ont contesté la vision traditionnellement monolithique
de l’État, pointant son hétérogénéité et ses conflits internes 4. Les analyses en termes de réseaux
d’action publique ont, quant à elles, mis l’accent sur le rôle de configurations d’acteurs étati-
ques et non étatiques dans le développement des politiques publiques 5. Enfin, dans une pers-
pective assez proche, des recherches en sociologie du droit ont dévoilé le caractère de plus en
plus « co-construit » de l’action publique dans le cadre « d’ensembles politiques polycentri-
ques » impliquant une grande diversité de sites, de registres et de types d’acteurs 6. En

1. Voir Charles O. Jones, An Introduction to the Study of Public Policy, Belmont, Duxbury
Press, 1970 ; William Gamson, The Strategy of Social Protest, Homewood, The Dorsey Press, 1975.
2. Cf. Philippe Garraud, « Agenda/Emergence », dans Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot,
Pauline Ravinet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2006,
p. 51-59.
3. Ch. O. Jones, An Introduction to the Study of Public Policy, ibid.
4. Joel S. Migdal, State in Society : Studying How States and Societies Transform and Consti-
tute One Another, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.
5. Patrick Le Galès, Mark Thatcher (dir.), Les réseaux de politique publique : débat autour
des policy networks, Paris, L’Harmattan, 1995 ; Paul A. Sabatier, Hank C. Jenkins-Smith, « The
Advocacy Coalition Framework. An Assessment », dans Paul A. Sabatier (ed.), Theories of the
Policy Process, Boulder, Westview Press, 1999, p. 117-166.
6. Bruno Jobert, « La régulation politique : le point de vue d’un politiste », dans Jacques
Commaille, Bruno Jobert (dir.), Les métamorphoses de la régulation politique, Paris, LGDJ, 1998,
p. 119-144.

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Revue française de science politique, vol. 59, n 2, avril 2009, p. 301-323.
© 2009 Presses de Sciences Po.
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Laure Bereni
sociologie des mouvements sociaux, l’accent a été mis sur les continuités entre différentes
modalités et lieux de la « politique contestataire » (contentious politics) 1.
C’est dans le prolongement de ces travaux décloisonnant État et société qu’on a
élaboré le concept d’espace de la cause des femmes 2, afin de rendre compte des mobi-
lisations plurielles autour de la cause des femmes. On désigne par ce terme la confi-
guration des collectifs – et de leurs participantes – spécialisés dans la lutte pour la cause
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des femmes dans différents univers sociaux (associatif, partisan, académique, étatique).

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Au-delà de leur hétérogénéité, ces collectifs et leurs participantes sont liés par des
rapports d’imbrication et d’interconnaissance (par le biais d’emboîtements organisa-
tionnels, de multipositionnalités militantes, de lieux de socialisation communs...), ainsi
que par des schèmes de perception et d’action partagés (sentiment de lutter pour un
même enjeu, unifié par la référence à la catégorie de « femmes », maîtrise de certaines
dispositions militantes communes...). Ainsi, cet espace est doté une autonomie relative
par rapport aux champs sociaux qu’il traverse. L’espace de la cause des femmes se
distingue de la notion classique de « mouvement des femmes », dans la mesure où il
ne se réduit pas au monde des associations « féminines et féministes » 3 autonomes,
mais traverse plusieurs univers sociaux où les investissements pour la cause des femmes
sont – à des degrés divers – institutionnalisés. Ainsi, les associations féminines et fémi-
nistes constituent l’un des « pôles » de cet espace, aux côtés du pôle « partisan » (com-
missions femmes des partis politiques), du pôle « institutionnel » (instances chargées
de défendre les femmes à l’intérieur de l’État, également qualifiées de « féminisme
d’État » 4) et du pôle « académique » (fractions militantes du champ des études fémi-
nistes et sur les femmes).
En choisissant de placer au cœur de l’analyse la dimension de défense d’une
cause (advocacy), on s’inscrit dans une perspective de sociologie des mobilisa-
tions, tout en prenant pour acquis les apports de la sociologie de l’action publique
quant au rôle des mouvements sociaux dans la mise à l’agenda et le développe-
ment des politiques publiques. La focale sur les mobilisations permet toutefois
d’aborder une question souvent négligée par les analyses des rapports entre mobi-
lisations collectives et mise en loi des problèmes publics issues de la perspective
d’analyse de l’action publique, à savoir l’impact de la mise à l’agenda sur les
mobilisations. En particulier, les travaux sur le rôle des mobilisations féministes

1. Ronald R. Aminzade, Jack A. Gladstone, Doug McADam et al., Silence and Voice in the
Study of Contentious Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 2001 ; Doug McAdam,
Sidney Tarrow, Charles Tilly, Dynamics of Contention, Cambridge, Cambridge University Press,
2001 (trad. fr. : Politique(s) du conflit : de la grève à la révolution, Paris, Presses de Sciences Po,
2008).
2. Pour une présentation détaillée de l’espace de la cause des femmes, voir Laure Bereni,
« De la cause à la loi. Les mobilisations pour la parité politique en France (1992-2000) », thèse
de doctorat en science politique, Paris, Université Paris I-Panthéon Sorbonne, 2007, p. 23 et
suiv. (accessible sur le serveur TEL, thèses-en-ligne : <http://tel.archives-ouvertes.fr>). Cette
catégorie d’analyse emprunte certaines caractéristiques au concept d’« espace des mouvements
sociaux » élaboré par Lilian Mathieu, « L’espace des mouvements sociaux », Politix, 20 (77),
2007, p. 131-151.
3. On reprend ici la dénomination souvent utilisée par les militantes du champ des associations
luttant pour la cause des femmes. Un certain nombre d’entre elles refusent le label « féministe »,
qui fonctionne comme un stigmate dans l’espace public et se trouve associé aux franges les plus
radicales des mobilisations pour la cause des femmes.
4. Dorothy MacBride Stetson, Amy G. Mazur (eds), Comparative State Feminism, Thousand
Oaks, Sage, 1995.

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La cause des femmes et la parité politique


dans la fabrication des réformes institutionnelles relatives à l’égalité des sexes 1
ont rarement exploré cette dimension.
C’est donc une perspective inversant le questionnement classique de l’analyse
des rapports entre agenda-setting et mouvements sociaux que le présent article
s’efforce d’adopter à partir du cas de la genèse des lois dites « sur la parité poli-
tique », votées en 1999 et 2000. Au lieu d’étudier l’influence des mobilisations
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sur la première inscription de la parité à l’agenda des autorités publiques 2, il

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explore l’impact de la mise à l’agenda de la parité sur les luttes paritaires, ainsi
que, en retour, les effets de ces dernières – ainsi reconfigurées – sur le processus
de mise en loi. La focale est donc ici placée sur les interactions entre calendrier
institutionnel et mobilisations au cours de la séquence de mise en loi de la cause
paritaire, qui s’étend sur trois années, entre juin 1997 et juin 2000 : elle s’ouvre
avec l’annonce faite en juin 1997 par le nouveau Premier ministre Lionel Jospin
de sa volonté de réviser la Constitution pour y inscrire l’objectif de parité ; elle
se clôt avec la promulgation le 6 juin 2000 de la loi électorale dite sur la parité,
un an après la révision constitutionnelle relative à l’égalité entre les femmes et
les hommes, promulguée le 8 juillet 1999.
L’analyse de cette séquence conduit à montrer que l’inscription de la parité
sur l’agenda d’action du gouvernement, loin de provoquer un déclin des mobili-
sations paritaires, se traduit par un renforcement de celles-ci à travers une pro-
fonde transformation de leur morphologie. Le concept d’espace de la cause des
femmes permet de saisir les conditions de possibilité de ces reconfigurations sous
l’effet de la mise à l’agenda : il constitue en effet l’espace préalable des mobi-
lisations paritaires, au sens où la quasi-totalité de celles-ci en émanent. Ainsi, les
transformations des luttes pour la parité n’émergent pas de nulle part, mais résul-
tent de l’activation de propriétés structurelles de l’espace de la cause des femmes
– les liens objectifs existant entre ses différents « pôles » (associatif, partisan, ins-
titutionnel, académique).
L’annonce par le gouvernement de son projet de réformer la Constitution pour
y inscrire la parité, en juin 1997, a pour premier effet d’accroître l’attractivité de la
parité dans l’espace de la cause des femmes. Nombre de militantes qui avaient aupa-
ravant émis des réserves plus ou moins franches ou manifesté leur indifférence à
l’égard d’une cause jusque-là marginale dans l’espace public rejoignent les mobili-
sations pour la parité, désormais anoblie par la reconnaissance gouvernementale. En
deuxième lieu, la mise à l’agenda a pour effet de transformer ce qui s’apparentait
jusque-là à une nébuleuse de mobilisations dispersées en une coalition paritaire,
caractérisée par un accroissement du degré d’alignement des perceptions et de coor-
dination des luttes entre des actrices situées dans différents pôles de l’espace de la

1. Voir notamment : Virginia Vargas, Saskia Wieringa, « The Triangle of Empowerment.


Processes and Actors in the Making of Public Policy for Women », dans Geertje Lycklama à
Nijeholt, Virginia Vargas, Saskia Wieringa (eds), Women’s Movements and Public Policy in
Europe, Latin America, and the Caribbean, New York, Garland, 1998, p. 3-23 ; Sophie Stoffel,
« Politisation et féminisme : agents et stratégies dans la construction d’un débat politique »,
dans Bérangère Marques-Pereira, Petra Meier (dir.), Genre et politique en Belgique et en fran-
cophonie, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 49-59 ; Anne Revillard, « La cause des femmes dans
l’État : une comparaison France-Québec (1965-2007) », thèse de doctorat en sociologie,
Cachan, ENS Cachan, 2007.
2. Cette question est abordée en détail dans la thèse de doctorat dont est tiré cet article :
L. Bereni, « De la cause à la loi... », cité.

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cause des femmes, à l’intérieur et à l’extérieur de l’État 1. En troisième lieu, le pro-
cessus de mise en loi de la parité a pour effet de renforcer progressivement la cen-
tralité des actrices issues des pôles partisan et institutionnel de l’espace de la cause
des femmes (commissions femmes des partis politiques, appareils gouvernementaux
ou parlementaires chargés des droits des femmes) au sein de la coalition paritaire. Si
l’investissement croissant d’acteurs relevant de l’arène politico-institutionnelle est le
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corollaire attendu de toute mise à l’agenda, on voudrait montrer que cette évolution

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de la morphologie des mobilisations paritaires n’induit en aucun cas leur décroissance
et la dilution de leur dimension contestataire – dès lors que l’on souscrit, avec le
concept d’espace de la cause des femmes, à une vision élargie de la politique contes-
tataire, incluant des acteurs étatiques et non étatiques. Les actrices des pôles partisan
et institutionnel de l’espace de la cause des femmes, qui constituent de plus en plus,
au fil du processus parlementaire, le centre de gravité de la coalition paritaire, nouent
des liens étroits avec les composantes « associatives » de cette dernière et adhèrent
à des visions extensives de la parité, qu’elles s’efforcent d’importer et de traduire, en
tant que movement insiders 2, dans l’arène politico-institutionnelle.
Pour étayer cette démonstration, on adoptera une approche diachronique, distin-
guant quatre séquences successives : la phase préalable à l’inscription de la parité sur
l’agenda d’action du gouvernement, au cours de laquelle les mobilisations paritaires
forment une nébuleuse disparate (1992-1997) ; la séquence qui sépare l’annonce par
Lionel Jospin de son intention de réviser la Constitution au dépôt du projet de loi
correspondant, caractérisée par la convergence d’actrices aux profils divers autour de
la solution constitutionnelle (1997-1998) ; la phase d’examen parlementaire du projet
de loi constitutionnelle, au cours de laquelle le degré de coordination des luttes au
sein de la coalition paritaire connaît son apogée (1998-1999) ; enfin, la période
d’examen du projet de loi électorale, qui est marquée par un déplacement de l’épi-
centre des mobilisations paritaires vers des actrices inscrites dans les lieux de défense
de la cause des femmes à l’intérieur des institutions politiques et administratives
(1999-2000).

1. Cette notion emprunte certains éléments à la notion de « coalition de cause » (advocacy


coalition) qui désigne, selon Paul Sabatier et ses collègues, une configuration « d’acteurs provenant
d’une multitude d’institutions (leaders de groupes d’intérêt, agences administratives officielles,
législateurs, chercheurs et journalistes) qui partagent un système de croyances lié à l’action publique
et qui s’engagent dans un effort concerté afin de traduire des éléments de leur système de croyances
en une politique publique » (Paul A. Sabatier, Edella Schlager, « Les approches cognitives des
politiques publiques : perspectives américaines », Revue française de science politique, 50 (2), avril
2000, p. 209-234). Toutefois, la coalition paritaire se distingue à plusieurs égards du concept défini
par Paul A. Sabatier. Selon celui-ci, les coalitions de cause sont dotées d’une certaine stabilité (elles
fonctionnent sur une durée de dix ans ou plus) et l’une des idées maîtresses de ce cadre d’analyse
est l’existence d’un affrontement entre plusieurs coalitions au sein d’un même secteur de politique
publique. La coalition paritaire se caractérise au contraire par sa dimension conjoncturelle et, si elle
s’est heurtée à des oppositions multiples, elle n’est pas entrée dans une compétition systématique
avec d’autres coalitions de cause aussi structurées à l’intérieur du secteur de la politique d’égalité
hommes-femmes.
2. Lee Ann Banaszak, « Inside and Outside the State : Movement Insider Status, Tactics and
Public Policy Achievements », dans David Meyer, Valerie Jenness, Helen Ingram (eds), Routing
the Opposition : Social Movements, Public Policy, and Democracy, Minneapolis, University of
Minnesota Press, 2005.

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La cause des femmes et la parité politique

LA PARITÉ, « ATTRACTEUR » 1 DE MOBILISATIONS DISPARATES


(1992-1997)

L’inscription de la parité sur l’agenda gouvernemental, en 1997, intervient cinq ans


après la diffusion du slogan de parité et l’émergence de mobilisations collectives autour
de celui-ci. Dans le sillage de la publication d’un pamphlet en faveur de la parité 2 et
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d’une conférence européenne sur le thème « Femmes au pouvoir » (Athènes, novembre
1992), la parité donne lieu à une effervescence associative notable à l’échelle du mou-
vement des femmes plongé depuis une dizaine d’années dans un climat d’atonie. Plusieurs
associations (Parité, Elles Aussi, Réseau femmes pour la parité...) se forment spécifique-
ment autour du slogan, et d’autres préalablement constituées (par exemple, Choisir la
cause des femmes 3) inscrivent cette cause au centre de leur agenda. À partir de l’année
1993, ces associations mènent diverses actions (colloques, manifestations, pétitions, publi-
cations...) pour sensibiliser l’opinion, solliciter l’attention des médias et faire pression sur
les partis et les autorités publiques.
Dès leur émergence, les mobilisations pour la parité attirent des militantes issues
des différents « pôles » (associatif, partisan, académique, institutionnel) de l’espace de la
cause des femmes. Si, dans les premières années, le mouvement associatif constitue le
moteur et le cœur des mobilisations pour la parité, il attire un grand nombre de femmes
à la fois (ou préalablement) investies dans des commissions femmes de partis. Par ailleurs,
dès les premières années, plusieurs universitaires inscrites dans le champ des études
féministes et sur les femmes 4 placent leur légitimité savante au service de la cause pari-
taire, en intervenant dans des colloques associatifs ou par le biais de publications. Enfin,
la parité devient formellement l’une des préoccupations des instances défendant la cause
des femmes à l’intérieur de l’État à partir de la création, en 1995, de l’Observatoire de
la parité, une instance consultative et productrice d’expertise placée sous la tutelle du
Premier ministre (cf. encadré ci-dessous). Reproduisant à une échelle plus réduite la
structure de l’espace de la cause des femmes, les différentes composantes des mobilisa-
tions paritaires sont reliées entre elles par le jeu des emboîtements organisationnels et
des multipositionnalités militantes.
En dépit de ces imbrications, les luttes paritaires forment un mouvement disparate.
Cet éclatement constitue un obstacle à la visibilité publique de ces mobilisations déjà
desservies par des troupes numériquement restreintes et situées à la marge du champ
politique. En effet, les militantes de la parité manifestent initialement de profondes diver-
gences quant à la manière de définir l’objectif de leurs luttes. Pour une partie des asso-
ciations mobilisées en faveur de la parité, celle-ci désigne un horizon souhaitable, et non

1. Le terme d’attracteur est utilisé ici en référence aux travaux de Luc Boltanski sur la genèse
du groupe social des cadres. Il montre qu’un cercle restreint d’ingénieurs formés dans les grandes
écoles a constitué un « attracteur », ou « pôle d’attraction », en « attir[ant] à lui des agents et des
groupes disparates, dotés de propriétés objectives différentes qui, démunis jusque-là d’instances
spécifiques de représentation, sont amenés à se reconnaître dans la représentation officielle du
“cadre” » (Luc Boltanski, Les cadres : la formation d’un groupe social, Paris, Minuit, 1982, p. 52).
2. Françoise Gaspard, Anne Le Gall, Claude Servan-Schreiber, Au pouvoir, citoyennes !
Liberté, Égalité, Parité, Paris, Seuil, 1992.
3. Association dirigée par l’avocate Gisèle Halimi, créée en 1971 dans le contexte des luttes
féministes pour la libéralisation de l’avortement.
4. Pour une histoire de l’institutionnalisation de ce champ, voir Rose-Marie Lagrave,
« Recherches féministes ou recherches sur les femmes », Actes de la recherche en sciences sociales,
83, 1990, p. 27-39.

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un dispositif législatif pour y parvenir. L’une des plus importantes fédérations d’associa-
tions en faveur de la parité, Elles Aussi, prône ainsi la politique des « petits pas » pour
atteindre la parité, en menant des actions de sensibilisation circonscrites au niveau de la
politique locale : les « forums Conseillères municipales, pourquoi pas ? », organisés à la
veille des élections municipales de 1995 incitent les femmes à se porter candidates et
diffusent l’idée d’une « cogestion » des affaires de la cité par les « deux composantes de
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l’humanité », sans pour autant réclamer des quotas. Une autre partie des troupes mobi-

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lisées pour la parité, initialement minoritaire, définit le slogan comme un dispositif juri-
dique contraignant, visant à faire élire autant d’hommes que de femmes dans les assem-
blées élues. Mais même parmi ces militantes « intégralistes » 1 de la parité, aucun
consensus ne se dégage sur les modalités concrètes du dispositif paritaire. D’aucunes
prônent l’instauration immédiate d’un quota électoral de 50 %, alors que d’autres préco-
nisent des quotas menant progressivement à la parité ; certaines imaginent des dispositifs
garantissant la parité des élus, alors que d’autres s’en tiennent à réclamer l’imposition
de la parité parmi les candidats ; enfin, les partisanes de l’inscription de la parité dans la
Constitution s’opposent aux militantes d’une modification directe de la loi électorale.
La pluralité des perceptions sur le sens de la parité se double d’une absence de
coordination des luttes. Le réseau Femmes pour la parité constitué en janvier 1993, à
l’origine des premières actions les plus visibles en faveur de la réforme (notamment du
« Manifeste des 577 pour une démocratie paritaire », publié dans Le Monde en novembre
1993) éclate au bout de quelques mois, sous l’effet des rivalités personnelles de ses
participantes et de l’absence de consensus sur les modalités et l’objectif de la lutte.
Jusqu’en 1997, le « mouvement » pour la parité est marqué par une juxtaposition d’ini-
tiatives dispersées et concurrentes autour de quelques figures charismatiques.

L’acclimatation de la parité dans le champ politique : une chronologie (1992-2000)

Mai 1992 : parution de Au pouvoir, citoyennes ! Liberté, Égalité, Parité, par Françoise
Gaspard, Claude Servan-Schreiber et Anne Le Gall (Paris, Seuil).
Novembre 1992 : au cours de la conférence « Femmes au pouvoir » organisée par la
Commission européenne à Athènes, l’objectif de parité est affirmé.
1992-1994 : essor des associations et « réseaux » associatifs luttant principalement
pour la parité (Parité, Assemblée des femmes, Elles Aussi, Réseau femmes pour la
parité, Demain la parité).
Octobre 1993 : Michel Rocard, premier secrétaire du PS, annonce qu’il conduira une
liste strictement « paritaire » (alternant candidats hommes et femmes du haut en bas
de la liste) aux élections européennes de juin 1994. Son initiative sera suivie par cinq
autres listes.
Novembre 1993 : Publication du « Manifeste des 577 pour une démocratie paritaire »
dans Le Monde.
Printemps 1995 : interpellés par les associations paritaires, les trois principaux candi-
dats à l’élection présidentielle se prononcent en faveur de l’objectif de parité.
Édouard Balladur est toutefois le seul à se rallier à l’idée d’un quota électoral.

1. Ce qualificatif fut utilisé au début du 20e siècle pour désigner les militantes du suffrage
féminin immédiat et total pour les femmes, alors que certaines fractions du mouvement suffragiste
réclamaient l’accès progressif aux droits politiques formels. Voir Laurence Klejman, Florence
Rochefort, L’égalité en marche. Le féminisme sous la Troisième République, Paris, Des femmes/
Presses de Sciences Po, 1989.

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La cause des femmes et la parité politique

Octobre 1995 : mise en place de l’Observatoire de la parité, composé de 18 membres,


sous la tutelle du Premier ministre. Roselyne Bachelot est nommée rapporteure géné-
rale et Gisèle Halimi prend la tête de la commission « parité politique » en son sein.
6 juin 1996 : parution dans L’Express du « Manifeste des dix pour la parité », signé
par des anciennes ministres de droite (Michèle Barzach, Hélène Gisserot, Monique
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Pelletier, Simone Veil) et de gauche (Frédérique Bredin, Édith Cresson, Catherine

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Lalumière, Véronique Neiertz, Yvette Roudy, Catherine Tasca).
29-30 juin 1996 : Lors de sa convention nationale sur « Les acteurs de la démocratie »,
le Parti socialiste se rallie à l’idée de réviser la Constitution pour y inscrire la parité,
et annonce que 30 % des circonscriptions lors des élections législatives suivantes seront
attribuées à des candidates.
Janvier 1997 : Roselyne Bachelot et Gisèle Halimi remettent au Premier ministre Alain
Juppé le premier rapport de l’Observatoire de la parité, qui plaide en faveur d’une
révision constitutionnelle suivie d’une loi instaurant des quotas sur les listes
électorales 1.
Mars 1997 : débat sans vote à l’Assemblée nationale sur « La place des femmes dans
la vie publique ». Devant un hémicycle clairsemé et majoritairement hostile aux quotas,
Alain Juppé défend l’idée d’une révision de la Constitution permettant d’introduire
des quotas temporaires sur les listes électorales, sans pour autant s’engager sur un
calendrier précis.
Mai-juin 1997 : la gauche plurielle remporte les élections législatives anticipées, à la
suite de la dissolution de l’Assemblée nationale. Le pourcentage de femmes élues au
Palais Bourbon passe de 6 à 11 %.
Juin 1997 : dans son discours de politique générale, le nouveau Premier ministre Lionel
Jospin annonce son souhait de réviser la Constitution pour y inscrire « l’objectif de
parité ».
Juin 1998 : dépôt du projet de loi constitutionnelle « relatif à l’égalité des femmes et
des hommes ».
Octobre 1998 : constitution du réseau associatif Femmes et Hommes pour la parité.
8 juillet 1999 : promulgation de la loi constitutionnelle : est inséré dans l’article 3 un
alinéa disposant que « la loi favorise l’égal accès des hommes et des femmes aux
mandats électoraux et aux fonctions électives » ; un second alinéa, dans l’article 4 de
la Constitution précise que « les partis et groupements politiques contribuent à la mise
en œuvre de ce principe ».
Décembre 1999-Juin 2000 : dépôt puis examen du projet de loi « tendant à favoriser
l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions
électives » (loi dite « sur la parité »).
6 juin 2000 : promulgation de la loi dite sur la parité, qui impose que les listes élec-
torales soient désormais composées d’autant d’hommes que de femmes, avec un ordre
déterminé des candidats des deux sexes (pour les élections municipales dans les com-
munes de plus de 3 500 habitants, les régionales, les européennes, et une partie des
sénatoriales), et qui prévoit d’infliger des pénalités financières aux partis ne respectant
pas la parité des candidatures aux élections législatives 2.

1. Rapport de la commission pour la parité entre les hommes et les femmes dans la vie
politique, par Mme Gisèle Halimi, Paris, Observatoire de la parité, 1996.
2. Pour une présentation détaillée de la réforme paritaire, voir le site de l’Observatoire de la
parité.

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Laure Bereni

REMOBILISATIONS PARITAIRES ET ALIGNEMENT


DES PERCEPTIONS (JUIN 1997-JUIN 1998)

En juin 1997, dans son discours de politique générale, Lionel Jospin annonce sa
volonté de réviser la Constitution pour y inscrire l’objectif de parité. Si, dans les années
précédentes, la parité avait fait quelques percées dans l’espace public et dans le champ
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politique (cf. encadré ci-dessus), cette annonce inscrit pour la première fois le projet
d’une réforme institutionnelle de grande ampleur en la matière sur l’agenda d’action du
gouvernement. Cette initiative prolonge la consolidation récente de la cause de la repré-
sentation politique parmi les axes programmatiques du Parti socialiste, dans un contexte
de distanciation vis-à-vis de l’héritage marxiste et de ralliement de plus en plus net aux
thématiques de la deuxième gauche 1. L’idée de parité, défendue par une poignée de
militantes féministes à la marge du PS, longtemps ignorée et gaussée par ses élites, a en
effet reçu une consécration soudaine et inattendue lors de la convention sur « Les acteurs
de la démocratie » en juin 1996 : à cette occasion, le parti s’est engagé à présenter 30 %
de femmes aux prochaines élections législatives et s’est rallié à l’idée de réviser la Consti-
tution pour y inscrire la parité. Quelques mois plus tard, la victoire inattendue du PS aux
élections législatives anticipées de 1997, placée sous le signe de la féminisation (le nombre
de députées socialistes est multiplié par dix), vient confirmer cette nouvelle équation
stratégique entre parité et modernité.
Loin d’entraîner une décrue des mobilisations, l’inscription de la révision constitu-
tionnelle à l’agenda gouvernemental par Lionel Jospin en juin 1997 va avoir pour effet
d’étendre la surface sociale des mobilisations pour la parité et d’imposer la solution
constitutionnelle comme unique point de ralliement. Une dizaine de jours après l’annonce
de Lionel Jospin, l’une des principales organisations ombrelles du mouvement associatif
féminin français, la Coordination pour le lobby européen des femmes (CLEF), qui n’avait
jusque-là accordé qu’une importance secondaire à la parité et n’avait guère arrêté de
position précise sur les moyens d’y parvenir, se prononce officiellement en faveur de la
révision constitutionnelle 2. Quelques mois plus tard, la fédération Elles Aussi, jusque-là
restée en marge des mobilisations en faveur d’une parité « contraignante », se rallie éga-
lement à la solution constitutionnelle : elle confie à une agence de communication la
confection d’un logo (qui représente un « & ») symbolisant son nouvel engagement, qui
figure notamment sur une carte postale massivement diffusée dans les réseaux associatifs
féminins au cours de l’année 1998.
Parallèlement, l’accès au pouvoir de la gauche plurielle et la mise à l’agenda formel
de la révision constitutionnelle sur la parité suscitent l’accroissement des mobilisations
en faveur de ce thème parmi les porte-parole de la cause des femmes à l’intérieur du
Parti socialiste. Jusqu’à cette date, la campagne pour la parité, investie par des femmes
issues du PS, s’était déployée à l’extérieur et à la marge de celui-ci. Les luttes paritaires
menées par l’Assemblée des femmes, association regroupant des militantes socialistes à
l’extérieur du parti depuis 1992 sous la houlette d’Yvette Roudy (ancienne ministre « des
Droits de la femme » entre 1981 et 1986), n’avaient guère été relayées par les instances
intra-partisanes chargées des droits des femmes, affaiblies dans le contexte d’instabilité
qui caractérise le PS depuis la défaite de 1993. Ce n’est qu’à partir de 1997, après la

1. Rémi Lefebvre, Frédéric Sawicki, La société des socialistes : le PS aujourd’hui, Belle-


combe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2006.
2. « Les stratégies préconisées par la CLEF en France », document non daté, probablement
rédigé en juin 1997.

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La cause des femmes et la parité politique


victoire du PS aux élections législatives et la mise en place d’un gouvernement de la
gauche plurielle que les mobilisations en faveur de la cause des femmes – et notamment
de la parité – reprennent de l’ampleur au sein du parti. La commission femmes se réunit
de nouveau sous l’égide de Michèle Sabban, nommée secrétaire nationale chargée des
droits des femmes en 1997 après avoir participé à la mise en œuvre du quota de circons-
criptions « réservées » aux femmes aux élections législatives. Elle entame d’emblée une
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campagne de pression au sein du PS en faveur de la révision constitutionnelle.

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Par ailleurs, la cause de la révision constitutionnelle se trouve désormais relayée par
un groupe de femmes parlementaires socialistes. Les élections de juin 1997 ont vu
l’arrivée sur les bancs du Palais Bourbon d’une « masse critique » de députées socialistes,
leur nombre étant quasiment décuplé par rapport à la précédente assemblée (42 sont élues
en juin 1997, contre 4 dans l’assemblée précédente). C’est sous l’impulsion d’Yvette
Roudy, militante de la parité depuis le début de la décennie (notamment en tant que
présidente de l’Assemblée des femmes), élue à l’Assemblée nationale à la faveur du
renouvellement de 1997 1 que s’ébauche, au sein du groupe socialiste, un pôle de mobi-
lisation en faveur de la révision constitutionnelle. Dès le début du mois de juillet 1997,
l’ancienne ministre des Droits de la femme plaide la cause de la révision constitutionnelle
auprès d’une dizaine de députées nouvellement élues, qui sont par ailleurs déjà engagées
dans des réseaux associatifs féminins ou dans la commission femmes du parti, comme
Danièle Bousquet, Odette Casanova et Martine Lignières-Cassou 2.
À ce stade, la cause de la révision constitutionnelle ne bénéficie que d’un soutien
fragile à l’intérieur des instances gouvernementales chargées des femmes. L’Observatoire
de la parité, qui constitue un relais potentiel, est de facto mis en sommeil depuis la remise
de son premier rapport au Premier ministre en janvier 1997. Il ne dispose pas d’une
administration susceptible d’assurer la continuité de ses activités, et ses membres sont
toujours celles et ceux désignés par l’ancienne majorité en l’absence d’un décret de
renouvellement de sa composition. Quand au Service des droits des femmes, placé sous
la tutelle de Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, il reste campé sur
ses domaines de compétence traditionnels que sont l’égalité professionnelle et les « droits
propres » (contraception, avortement, lutte contre les violences faites aux femmes...) et
ne s’empare pas de la question de la parité politique 3. Cependant, cette cause retrouve
une certaine visibilité institutionnelle avec la création, en novembre 1997, d’une nouvelle
fonction gouvernementale spécialement dédiée à la question des femmes : à la mi-
novembre, sous la pression des associations féministes, Lionel Jospin nomme Geneviève
Fraisse déléguée interministérielle aux droits des femmes. Si son profil universitaire (elle
est alors chargée de recherches en philosophie au CNRS) et son absence d’ancrage dans
les champs politique et administratif fragilisent d’emblée Geneviève Fraisse – qui, de
surcroît, n’a pas autorité sur le Service des droits des femmes – son action en tant que
déléguée, jusqu’en novembre 1998, participe du processus de consolidation institution-
nelle de la parité. Elle s’est en effet engagée pour la parité depuis plusieurs années dans
l’arène intellectuelle. Lorsqu’elle prend sa nouvelle fonction, le dossier principal qu’elle
se voit confier est la préparation du projet de loi constitutionnelle sur la parité.

1. Députée en 1986 et 1988, Yvette Roudy avait perdu son siège en 1993. Élue maire de
Lisieux en 1995, elle est à nouveau élue à l’Assemblée nationale en 1997.
2. Compte rendu de la réunion du 8 juillet 1997 (Centre des archives du féminisme, fonds
Yvette Roudy, 5AF413).
3. Laure Bereni, Anne Revillard, « Des quotas à la parité : “féminisme d’État” et représen-
tation politique (1974-2007) », Genèses, 67, 2007, p. 5-23.

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Laure Bereni
Compensant sa faible légitimité politique et institutionnelle par un accès relativement aisé
à la presse (où elle intervient à la fois comme déléguée et comme intellectuelle), elle
multiplie, à partir de l’automne 1997, les plaidoyers publics en faveur de la parité 1.
Ainsi, contrairement à ce que tend à prédire le modèle séquentiel classique, la mise
à l’agenda gouvernemental de la réforme constitutionnelle sur la parité en juin 1997 ne
provoque pas une décrue des mobilisations paritaires. Au contraire, elle a pour effet
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immédiat d’accroître la force d’attraction de la parité dans l’univers des associations

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féminines et féministes et de susciter de nouveaux ralliements dans des pôles de l’espace
de la cause des femmes faiblement mobilisés jusque-là, en particulier dans les fractions
du pôle partisan qui relèvent de la majorité gouvernementale (commission femmes du
PS, réseau d’élues socialistes à l’Assemblée nationale) et, dans une moindre mesure, au
sein du pôle institutionnel de l’espace de la cause des femmes (déléguée interministérielle
aux droits des femmes).

UNE COALITION AUTOUR DE LA RÉFORME CONSTITUTIONNELLE


(JUIN 1998-JUIN 1999)

En juin 1998, avec le dépôt du projet de loi constitutionnelle, s’ouvre un nouvel


épisode de la mise en loi de la parité. L’analyse de cette nouvelle séquence démontre, là
encore, que la mise à l’agenda ne constitue pas la « fin » des mobilisations paritaires,
mais bien une nouvelle étape cruciale de leur histoire. En effet, c’est au cours de l’examen
de ce projet de loi, en 1998-1999, que les mobilisations pour la parité, impliquant des
actrices situées à l’extérieur comme à l’intérieur des institutions, vont connaître l’apogée
de leur coordination.

LES INCERTITUDES DU PROCESSUS PARLEMENTAIRE

Ce sont les ambiguïtés du projet de loi et les menaces pesant sur son aboutissement
qui constituent les moteurs les plus efficaces de la constitution d’une coalition paritaire.
D’une part, le projet de loi (qui prévoit d’insérer un alinéa supplémentaire à l’article 3
de la Constitution : « La loi favorise l’égal accès des femmes et hommes aux mandats et
fonctions »), rédigé au terme d’un compromis entre les deux têtes de l’exécutif, est, pour
nombre de militantes de la parité, une formulation trop souple, exposant une loi instaurant
des quotas sur les listes électorales à la censure du Conseil constitutionnel. Les militantes
paritaires réclament rapidement une formulation plus contraignante. Les deux avocates
les plus médiatiques de la révision constitutionnelle, Gisèle Halimi et Roselyne Bachelot,
confient ainsi à Lionel Jospin, qui les reçoit le 24 juin, leur déception de ne pas voir
inscrit le mot de « parité » et regrettent l’usage du terme « favorise » 2. Quelques jours
plus tard, Libération se fait l’écho des propositions de la CLEF, qui, de même, juge
« inadéquat, imprécis et ambigu » le terme « favorise » et réclame sa substitution par le

1. Voir notamment : « La parité n’est qu’un habit de l’égalité, et pourtant un outil formi-
dable », La Croix, 7 mars 1998 ; « La parité, c’est l’image de l’égalité des sexes », France-Soir,
8 mars 1998.
2. Laurence Despins, « Deux avocates de la parité à Matignon », Le Parisien, 25 juin 1998,
p. 7.

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La cause des femmes et la parité politique


terme « établit » 1. D’autre part, de sérieuses menaces pèsent sur l’aboutissement de la
réforme constitutionnelle. Tout projet de révision de la Constitution est une initiative
risquée, puisque son achèvement requiert le vote conforme des deux assemblées (ce qui
donne au Sénat un droit de veto) puis – s’il n’est pas soumis au référendum – son adoption
à la majorité des trois cinquièmes par les membres du Parlement réunis en Congrès. Or,
dans ce cas précis, le Sénat apparaît très vite comme l’un des obstacles les plus puissants
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au vote de la loi, fidèle à une longue tradition de résistance aux revendications d’inclusion

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politique des femmes 2. En effet, les états majors des partis de droite, qui constituent sa
majorité, expriment vis-à-vis de la parité des oppositions persistantes. En outre, des résis-
tances à la parité sont prévisibles y compris dans la minorité sénatoriale de gauche : l’une
des figures de la gauche sénatoriale, Robert Badinter, prend parti contre la réforme,
conformément à la position que son épouse, la philosophe et essayiste Élisabeth Badinter,
prend publiquement, dans la presse, depuis 1996 3. Au-delà du Parlement, l’annonce du
projet de loi constitutionnelle sur la parité a pour effet de raviver la controverse intellec-
tuelle dans l’espace public autour de cette cause, avec de nouvelles avocates (Sylviane
Agacinski et Blandine Kriegel sont les plus notoires) mais aussi de nouveaux et redou-
tables adversaires dotés d’un important capital médiatique ou intellectuel (tels qu’Alain
Finkielkraut, Alain Minc, Mona Ozouf ou Élisabeth Roudinesco). Entre la modification
par le Sénat des termes du projet de l’Assemblée nationale en janvier 1999 et l’adoption
d’un compromis entre les deux chambres en mars 1999, de vigoureuses critiques s’expri-
ment dans l’espace public à l’égard de la parité au nom des « principes » de l’universa-
lisme républicain 4.

« FEMMES ET HOMMES POUR LA PARITÉ »

Début octobre 1998, peu avant le début de l’examen de la loi constitutionnelle, la


CLEF invite les représentantes des grands réseaux d’associations féminines à débattre de
la stratégie à adopter pour faire entendre la voix du « mouvement associatif » au cours
du processus parlementaire. Au terme de la réunion, pour la première fois depuis l’essor
du « mouvement » pour la parité, toutes les associations engagées pour la parité décident
de se réunir au sein d’un nouveau « réseau », baptisé Femmes et Hommes pour la parité,
afin d’accroître leur force de pression sur le l’élaboration de la loi. Une militante de ce
réseau témoigne du lien direct entre sa genèse et le calendrier parlementaire :
« À ce moment-là, on est arrivé à une situation... [...] Jospin s’engageait sur la réforme
de la Constitution, et à partir du moment où il y avait ça, ce n’était pas possible de
subir un échec, ce n’était pas possible qu’on ne soit pas unanimes derrière. [...] On fait
une charte, on décide de créer le réseau Femmes et Hommes pour la parité, parce qu’on
s’est rendu compte qu’à partir du moment où cette réforme de la Constitution était
lancée, il fallait la gagner. Il n’était pas question de la perdre. [...] Donc nos dernières
résistances ont été vaincues devant l’absolue nécessité de gagner ce combat. » 5

1. « Parité : les associations féminines récriminent », Libération, 2 juillet 1998, p. 12.


2. Christine Bard, Les filles de Marianne. Histoire des féminismes, 1914-1940, Paris, Fayard,
1995.
3. Élisabeth Badinter, « Non aux quotas de femmes », Le Monde, 12 juin 1996, p. 15.
4. Pour une analyse approfondie de ces controverses, voir Éléonore Lépinard, L’égalité introu-
vable. La parité, les féministes et la République, Paris, Presses de Sciences Po, 2007.
5. Entretien avec une militante du réseau Demain la parité, Paris, 26 mars 2003.

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Laure Bereni
Ayant appris, au cours des années précédentes, les difficultés de lutter ensemble,
les initiatrices du réseau se bornent à constituer une coordination « informelle », dont il
suffit, pour être membre, de signer une « charte » qui « appelle à le rejoindre toutes celles
et tous ceux qui, groupés ou individuellement, veulent faire aboutir la parité dans les
instances élues » 1. Cette structure souple permet de fédérer un nombre important d’orga-
nisations 2 : non seulement des associations féminines et féministes, mais aussi des « com-
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missions femmes » de partis politiques, ce qui lui permet d’affirmer haut et fort sa mixité

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et son caractère transpartisan, même si, en pratique, le réseau est quasi exclusivement
investi par des femmes et ne parvient pas à attirer des représentantes d’autres partis que
ceux de la majorité parlementaire (PS, PCF, Verts, PRG).

« GARANTIR » PLUTÔT QUE « FAVORISER »

Femmes et Hommes pour la parité se fixe un objectif simple, celui d’obtenir « la


modification de la rédaction du projet de loi proposée en remplaçant le mot “favorise”
par “garantit” ou “établit” ou “institue” ». La première action du réseau est une campagne
de diffusion d’une « épinglette » bleu blanc rouge reproduisant le logo (« & ») conçu par
Elles Aussi l’année précédente, et d’une carte postale reproduisant – outre ledit logo –
l’article 3 de la Constitution de 1958 auquel est ajouté en style manuscrit, un alinéa :
« La loi garantit [souligné dans le texte] l’égal accès des femmes et des hommes aux
mandats et aux fonctions ». Dès la fin du mois de novembre 1998, l’épinglette et la carte
postale sont diffusées dans les réseaux associatifs féminins et envoyées par courrier au
président de la République, au Premier ministre et tous les députés et sénateurs, en pré-
vision des débats parlementaires de décembre.
Les revendications du réseau Femmes et Hommes pour la parité se trouvent relayées
dans le champ politique par les défenseuses de la cause des femmes issues des partis de
la gauche plurielle. Même si aucune structure formelle n’est à cette période mise en place
pour défendre les droits des femmes au Parlement, les réseaux informels de femmes
parlementaires investies en faveur de cette cause se sont étoffés, non seulement à l’Assem-
blée nationale, sous l’impulsion initiale d’Yvette Roudy, mais aussi au Sénat, où les élues
communistes (qui représentent presque la moitié de la poignée de femmes élues à la
Chambre haute) commencent à mener campagne en faveur de la parité. Lors des auditions
que la Commission des lois de l’Assemblée nationale organise en amont de son rapport
sur le projet de loi constitutionnelle, le 18 novembre 1998, Yvette Roudy, Odette Casa-
nova, Roselyne Bachelot (toutes trois députées – les deux premières socialistes, la troi-
sième RPR) et Gisèle Halimi (auditionnée en tant qu’auteure du premier rapport de
l’Observatoire de la parité) relaient les doléances des associations paritaires en plaidant
pour le remplacement du terme « favorise » par un terme plus contraignant, comme
« assure » ou « garantit ». Catherine Tasca, qui est à la fois présidente de la Commission
des lois de l’Assemblée nationale et rapporteure du projet de loi, offre alors un soutien
précieux, dans l’arène parlementaire, aux partisanes d’une vision maximaliste de la parité.
Même si elle n’est pas insérée dans les réseaux associatifs de l’espace de la cause des
femmes, elle soutient publiquement depuis l’année précédente les mobilisations pari-
taires : en juin 1996, elle faisait partie des dix anciennes ministres de gauche et de droite

1. Tract du réseau Femmes et Hommes pour la parité, non daté (archives de la CLEF).
2. À la mi-novembre, celui-ci affiche dans un communiqué de presse « plus de 100 associa-
tions, plus de trois millions de citoyen(ne)s » (archives de la CLEF).

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La cause des femmes et la parité politique


signataires du « Manifeste des dix pour la parité », qui a fait la couverture de L’Express.
De fait, à l’automne 1998, Catherine Tasca se rallie personnellement à une vision forte
de la réforme constitutionnelle. Elle parvient à faire adopter par la Commission un amen-
dement disposant que la loi « détermine les conditions dans lesquelles est organisé l’égal
accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions », alors que le texte du
gouvernement indiquait qu’il revenait à la loi de « favorise[r] » l’égal accès. Le
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15 décembre 1998, cette nouvelle version du texte est adoptée à la quasi-unanimité, mais

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dans un hémicycle clairsemé (83 députés participent au vote).

FAIRE CÉDER LE SÉNAT

Conformément aux anticipations du gouvernement et des militantes de la parité, la


majorité sénatoriale use de son pouvoir de blocage du projet de loi constitutionnelle. En
janvier 1999, les sénateurs de la majorité votent massivement le texte amendé par leur
Commission des lois, qui modifie l’article 4 de la Constitution (relative à l’organisation
des partis politiques) plutôt que l’article 3, vidant ainsi de son contenu le projet de loi
du gouvernement.
Dans ce contexte de blocage du Sénat et d’affrontement entre les deux chambres,
les mobilisations pour la parité s’accroissent dans les premiers mois de l’année 1999 :
pétitions, manifestations, communiqués de presse, courriers aux élus sont autant de
moyens utilisés par les militantes paritaires pour faire entendre leur voix. Un certain
nombre de femmes parlementaires de gauche, à l’Assemblée nationale et au Sénat, sou-
tiennent ostensiblement et participent à certaines mobilisations. Les initiatives les plus
marquantes de cette campagne conjointe sont deux manifestations organisées aux portes
du Sénat. Le 26 janvier, jour de l’examen du projet de loi en première lecture par le
Sénat, une centaine de manifestantes se réunissent devant le palais du Luxembourg à
l’appel des principales fédérations d’associations pour la parité (Elles Aussi, Femmes et
Hommes, la CLEF, le CNDF...) et des partis de la gauche plurielle. Militantes associatives
et de partis politiques brandissent des assiettes en carton avec au dos l’inscription
« PARITÉ » et crient, à l’adresse des sénateurs, des slogans tels que « Droite miso-
gyne ! », « Sénat au rancart ! » ou encore « Hélas, messieurs, vous survivrez à la
parité... », qui inscrivent la manifestation dans la tradition des luttes suffragistes dans
l’entre-deux-guerres et bénéficient, à ce titre, d’une certaine attention médiatique. L’expé-
rience est renouvelée le 4 mars 1999, lors de l’examen en deuxième lecture du projet de
loi par le Sénat. Ces deux manifestations constituent, dans le souvenir de leurs partici-
pantes, le moment paroxystique de la mobilisation conjointe des militantes associatives
et partisanes.
« Il y a un moment dont je me souviens bien, c’était au Sénat. C’était Élisabeth
Guigou qui est allée défendre le texte, et ça a été odieux. Et c’est là qu’on a eu une
action très belle, et on était très proches les unes des autres, avec Maya Surduts et
toutes les associations, même si nous n’étions pas nombreuses dehors, notre voix a
porté à l’intérieur. J’ai des photos d’ailleurs, assez drôles. Je me souviens, elles
avaient des assiettes en carton. .. Mais je crois qu’on a mené une très belle partie,
comme d’autres au moment du MLF... » 1

1. Entretien avec la secrétaire nationale chargée des femmes au PS en 1999, Paris, 9 décembre
2004.

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Contrairement à la situation qui prévaudra l’année suivante lors de l’examen de la loi
électorale, les actrices issues des instances du féminisme d’État sont toujours en marge de la
coalition paritaire au moment de l’examen de la loi constitutionnelle. Certes, la Délégation
interministérielle aux droits des femmes a été remplacée en novembre 1998 par une fonction
plus haute dans la hiérarchie gouvernementale, un secrétariat d’État chargé des droits des
femmes et de la formation professionnelle, confié à Nicole Péry. Si la parité fait désormais
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clairement partie de ses attributions (l’une des premières tâches du secrétariat est de travailler

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à la préparation de la future loi électorale sur la parité), Nicole Péry est nommée trop tard
pour s’impliquer dans le processus parlementaire de la révision constitutionnelle. Ce n’est
pas elle, mais Élisabeth Guigou qui défend le projet de loi devant le Parlement. Néanmoins,
la secrétaire d’État soutient publiquement les mobilisations de la coalition paritaire contre les
résistances du Sénat. Le 26 janvier 1999, elle se rend sur les lieux de la manifestation, devant
le palais du Luxembourg, et évoque devant les militantes « un possible référendum » (par le
recours à la procédure de l’article 11) au cas où le Sénat maintiendrait son refus 1.
Ces mobilisations, combinées à une campagne des principaux organes de presse
contre les positions « rétrogrades » du Sénat, et au travail de pression du chef de l’État
sur la majorité sénatoriale dans un contexte de « course à la modernité » avec son Premier
ministre, finissent par avoir raison des résistances du Sénat. En mars, un compromis est
trouvé entre les deux chambres : le projet de loi constitutionnelle adopté dans les mêmes
termes par les deux assemblées revient à la version initiale du gouvernement disposant
que « la loi favorise l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et
fonctions électives » (article 3), mais prévoit également que les partis politiques « contri-
buent à la mise en œuvre de la parité » (article 4). Ce texte est définitivement voté par
les parlementaires réunis en Congrès à Versailles le 28 juin 1999, à une large majorité 2.

L’INSTITUTIONNALISATION DE LA COALITION PARITAIRE


(JUIN 1998-JUIN 1999)

Le vote de la révision constitutionnelle n’est qu’une étape dans la mise en place de la


réforme paritaire. Il reste à adopter la loi qui déterminera les modalités pratiques de celles-ci.
Pour les militantes de la parité, ce nouveau chantier législatif est un enjeu important. Certes,
la réforme constitutionnelle a mis un terme aux vives critiques philosophiques prononcées à
l’encontre de la parité dans l’espace public et la lutte politique s’annonce moins ardue que
pour la réforme constitutionnelle, puisqu’il s’agit d’une loi ordinaire, ne nécessitant pas
l’accord du Sénat. Cependant, la révision a été acquise au terme d’une longue négociation
avec la majorité sénatoriale, imposant une formulation finale qui ne tranche pas quant à la
nature incitative ou contraignante des dispositions législatives destinées à « favoriser » l’égal
accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.
À l’occasion de cette nouvelle lutte qui s’engage dans l’arène parlementaire, les
mobilisations paritaires connaissent à nouveau une transformation qui, là encore, n’induit
pas une diminution de leur dimension protestataire. Certes, d’un côté, on assiste au déclin
relatif des mobilisations associatives, qui avaient constitué le cœur de la coalition en
faveur de la révision constitutionnelle l’année précédente. Le réseau Femmes et Hommes

1. Raphaëlle Bacqué, « La majorité laisse à M. Chirac la responsabilité de sauver le projet


de loi sur la parité », Le Monde, 28 janvier 1999.
2. 741 parlementaires votent pour, 42 contre, 48 s’abstiennent, et 67 ne prennent pas part au
vote.

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La cause des femmes et la parité politique


pour la parité, fondé sur l’anticipation de menaces sérieuses d’un blocage du Sénat à
l’égard du projet de loi constitutionnelle, ne survit pas à l’adoption de celui-ci. Même si
elles ne disparaissent pas, les mobilisations associatives en faveur de la parité renouent
ainsi avec la dispersion qui les caractérisait depuis le début de la décennie 1990. Mais
d’un autre côté, on assiste à partir de l’automne 1999 à la montée en puissance des
mobilisations émanant d’actrices du pôle institutionnel de l’espace de la cause des
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femmes, à la fois au niveau gouvernemental (Observatoire de la parité) et dans l’enceinte

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du Parlement (délégations parlementaires chargées des droits des femmes).

DE NOUVEAUX RELAIS INSTITUTIONNELS POUR LA PARITÉ

Par rapport au contexte du vote de la loi constitutionnelle, de nouvelles actrices insti-


tutionnelles sont susceptibles de rejoindre la coalition paritaire. À la faveur, précisément, de
l’examen de la loi constitutionnelle en 1998-1999, plusieurs innovations ont concerné les
instances du féminisme d’État. Tout d’abord, comme on l’a mentionné plus haut, Nicole
Péry, nommée secrétaire d’État chargée des droits des femmes et de la formation profes-
sionnelle en novembre 1998 reçoit, parmi les dossiers qu’elle doit traiter en priorité, la
mission de préparer un avant-projet de loi électorale déterminant les modalités concrètes du
dispositif paritaire. 1999 marque donc le point de départ de l’intégration – durable – de la
thématique de la parité dans les préoccupations de la fonction ministérielle chargée des
femmes 1. Mais, au cours de l’examen parlementaire du projet de loi électorale sur la parité,
ce sont surtout deux autres instances du féminisme d’État qui vont jouer un rôle crucial dans
les mobilisations en faveur d’une vision extensive de la réforme : l’Observatoire de la parité,
dont les missions, les moyens et les membres sont profondément renouvelés au début de
l’année 1999 ; les délégations parlementaires aux droits des femmes mises en place simul-
tanément, en novembre de la même année, à l’Assemblée nationale et au Sénat.
À partir du début de l’année 1999, l’Observatoire de la parité est remobilisé par le
gouvernement en prévision du projet de loi électorale sur la parité. Un décret émis en
octobre 1998 élargit ses attributions et ses moyens (il est désormais doté de locaux, d’un
poste de secrétaire générale et d’un poste de secrétaire). Par ailleurs, l’Observatoire
connaît un élargissement (il est désormais composé de 28 membres, au lieu de 18) et un
renouvellement complet de ses membres, qui lui confèrent un meilleur ancrage dans les
réseaux de l’espace de la cause des femmes, ainsi que dans les réseaux partisans et
parlementaires. Il inclut trois militantes du mouvement associatif féminin 2, ainsi que
deux universitaires spécialistes des femmes 3. Si les rapporteures successives, Dominique
Gillot (octobre 1998-septembre 1999) et Catherine Génisson (à partir de septembre 1999)
ne sont pas « marquées » par un engagement féministe préalable 4, l’Observatoire compte

1. L. Bereni, A. Revillard, « Des quotas à la parité... », art. cité.


2. Régine Saint-Criq est présidente de l’association Parité, Maya Surduts est porte-parole du
Collectif national pour les droits des femmes (CNDF) et Marie-Claude Vayssade est présidente de
la CLEF.
3. La politologue Janine Mossuz-Lavau et l’historienne Michelle Perrot, qui ont toutes deux
acquis une solide notoriété dans le champ des études féministes et sur les femmes, et se sont
engagées en faveur de la parité depuis le début de la décennie.
4. Dominique Gillot, élue députée en 1997, a été nommée à la tête de l’Observatoire après
avoir rendu un rapport sur la famille ; Catherine Génisson, qui lui succède en septembre 1999, a
été chargée par le Premier ministre, en décembre 1998, de rédiger un rapport sur l’égalité
professionnelle.

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toutefois plusieurs membres déjà engagées pour la cause des femmes dans le champ
politique, comme la sénatrice Danièle Pourtaud et les députées Marie-Hélène Aubert,
Christiane Taubira-Delannon et Muguette Jacquaint 1. Outre cet ancrage dans l’espace de
la cause des femmes, l’Observatoire comprend une proportion importante de parlemen-
taires susceptibles de constituer une force de pression dans le processus parlementaire
– contrairement au précédent qui comptait seulement une élue du Parlement. On compte
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10 parlementaires (soit un tiers du total), dont 7 sont des élues de la majorité plurielle.

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Ainsi, l’Observatoire connaît, au tournant de l’année 1999, une profonde mutation, sus-
ceptible de le transformer en un outil de transmission des visions militantes de la parité
à l’intérieur de l’État.
Les deux délégations parlementaires « aux droits des femmes et à l’égalité des chances
entre les hommes et les femmes » créées à l’Assemblée et au Sénat en novembre 1999
vont également constituer de nouveaux relais d’une vision militante de la parité au sein
des institutions publiques. L’initiative est née du lobbying de quelques parlementaires socia-
listes engagées pour la cause des femmes (notamment la sénatrice Danièle Pourtaud et les
députées Yvette Roudy, Martine Lignières-Cassou, Danielle Bousquet, Odette Casanova,
Catherine Génisson et Dominique Gillot). Faisant valoir que la France est le seul pays de
l’Union européenne, avec la Grèce, à ne pas s’être doté de telles structures, elles parviennent
à convaincre le groupe socialiste de l’Assemblée nationale de déposer, le 14 décembre
1998, une proposition de loi visant à les instituer. La loi du 12 juillet 1999 leur donne une
mission de veille et un rôle consultatif sur la législation en matière d’égalité des sexes.
Leur création institutionnalise et renforce la légitimité des réseaux de parlementaires défen-
dant la cause des femmes, réseaux qui s’étaient constitués informellement (au moins entre
les députées et sénatrices de la gauche plurielle) depuis le renouvellement de juin 1997.

IMPOSER LE « 50-50 » COMME ARITHMÉTIQUE PARITAIRE

Une forte incertitude pèse sur le degré de contrainte que le projet de loi sur la parité
promis par le Premier ministre va imposer aux partis politiques. Lors de l’université d’été
du Parti socialiste, fin août 1999 à la Rochelle, Lionel Jospin annonce son intention de
voir déposer le projet de loi sur ce thème dès l’automne. S’inspirant en partie du rapport
que Dominique Gillot s’apprête à lui remettre officiellement en septembre au nom de
l’Observatoire de la parité 2, il propose que, « pour les élections organisées tout ou partie
sur des scrutins de liste » (municipales, européennes, régionales, sénatoriales), « la loi
impos[e] un pourcentage minimum de candidatures féminines », sans pour autant indiquer
l’ordre de grandeur de ce seuil 3. Il ajoute que le dispositif serait progressif, afin d’aboutir
à la « parité totale » en 2005.
Cette annonce suscite les protestations de la part des militantes d’une parité
« réelle ». L’idée de parité, pour laquelle plusieurs associations se sont mobilisées tout

1. Danièle Pourtaud, sénatrice socialiste, est engagée dans la commission femmes du PS ;


Marie-Hélène Aubert, députée, a présidé la commission femmes des Verts ; Christiane Taubira-
Delannon, députée, fut l’une des signataires de la première proposition de loi sur la parité, en mars
1994 ; enfin, Muguette Jacquaint, députée communiste, s’est fortement mobilisée en faveur de la
parité lors de la discussion parlementaire sur le projet de loi constitutionnelle.
2. Dominique Gillot, Vers la parité en politique. Rapport à Monsieur le Premier ministre,
Paris, Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, 1999.
3. Cécile Cornudet, « Égalité hommes-femmes : un projet de loi sur la parité d’ici à la fin de
l’année » Les Échos, 1er septembre 1999, p. 5.

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La cause des femmes et la parité politique


au long des années 1990, désormais rejointes par des militantes à l’intérieur des partis
de gauche et des membres des instances du féminisme d’État, procède en effet d’une
rupture symbolique forte avec l’outil du quota 1. Dans cette perspective, nombre d’entre
elles fustigent l’idée d’imposer un « quota » de 30 % ou 40 % et non la « parité » qu’elles
entendent comme l’imposition immédiate de l’arithmétique du « 50-50 ». Pendant l’uni-
versité d’été de l’Assemblée des femmes, qui réunit quelque 200 femmes à Lisieux les
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24 et 25 août 1999 (peu avant celle du PS), Yvette Roudy défend la perspective du

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« 50-50 » devant les principales personnalités du Parti socialiste institutionnellement char-
gées des droits des femmes, notamment Dominique Gillot (rapporteure de l’Observatoire
de la parité), Martine Lignières-Cassou (députée pressentie pour mener la Délégation aux
droits des femmes en gestation à l’Assemblée nationale), Catherine Génisson (chargée
par le Premier ministre d’un rapport sur l’égalité professionnelle et pressentie pour rem-
placer Dominique Gillot à la tête de l’Observatoire) et enfin Nicole Péry (secrétaire d’État
aux droits des femmes). Au terme de l’université d’été, un consensus se dessine parmi
les participantes en faveur du durcissement du projet de loi et Yvette Roudy diffuse un
communiqué de presse dans lequel l’Assemblée des femmes réclame « la parité intégrale
pour les élections à la proportionnelle comme condition impérative de la recevabilité des
listes ». Portant ces demandes dans les instances dirigeantes du PS, Michèle Sabban,
secrétaire nationale aux droits des femmes, parvient à faire adopter par le bureau national
du parti, un mois plus tard, la proposition de présenter 50 % de femmes en position
éligible aux élections municipales de 2001, alors que le pré-projet de loi du gouvernement
prévoyait un seuil de 40 %. C’est au terme de ce travail de pression, au cours des Journées
parlementaires du groupe socialiste à Strasbourg le 27 septembre 1999, que Lionel Jospin
tranche en faveur du « 50-50 » : la version finale du projet de loi prévoit que les listes
de candidats aux élections devront être composées d’autant d’hommes que de femmes.

LES PORTE-VOIX D’UNE PARITÉ « RÉELLE » AU PARLEMENT

Toutefois, le texte déposé par le gouvernement sur le bureau de l’Assemblée natio-


nale reste très en deçà des revendications formulées par les militantes de la parité : en
particulier, il ne précise aucun ordre de candidature dans l’établissement des listes et il
évacue du dispositif une grande partie des assemblées élues (municipalités sous le seuil
de 3 500 habitants, assemblées cantonales). Ainsi, un nouveau bras de fer s’engage au
sujet de la parité, opposant les partisans de la parité « réelle » (ou « parité des élus »),
qui demandent un durcissement des dispositions législatives, aux partisans de la « parité
de candidature », qui souhaitent au contraire laisser une plus grande marge de manœuvre
aux partis politiques dans la désignation de leurs candidatures. Les partisans d’un dispo-
sitif souple, peu contraignant, sont nombreux dans les rangs de la droite, et parmi eux,
un certain nombre cherchent à renégocier à la baisse le projet de loi du gouvernement
(en revenant notamment sur le principe du 50-50). Mais les partisans d’une loi sur la
parité a minima sont également présents à gauche et disposent d’un soutien de poids en
la personne de Jean-Pierre Chevènement, le défenseur du projet de loi au nom du gou-
vernement, qui plaide tout au long de l’examen parlementaire pour le maintien de sa
formulation initiale au nom du « réalisme » et de la stratégie des « petits pas ». À l’inverse,

1. Voir Laure Bereni, Éléonore Lépinard, « “Les femmes ne sont pas une catégorie”. Les
stratégies de légitimation de la parité en France », Revue française de science politique, 54 (1),
février 2004, p. 71-98.

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les instances chargées des droits des femmes, en particulier l’Observatoire de la parité et
la Délégation de l’Assemblée nationale, vont s’imposer comme les principales avocates
d’un durcissement des dispositions du projet de loi à l’intérieur de l’enceinte parlemen-
taire, en particulier à travers les deux rapports qu’elles font paraître simultanément en
janvier 2000 1. Elles vont jouer un rôle de médiation institutionnelle 2, à la fois en tant
qu’organes de transmission de visions extensives de la parité, émanant de représentantes
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d’associations paritaires aussi bien que d’expert(e)s plaçant leur légitimité académique

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au service de la parité, et en tant que sites de traduction des perspectives « militantes »
dans une grammaire crédible et recevable dans l’arène parlementaire.

Une parité « effective »...

L’Observatoire de la parité et la Délégation de l’Assemblée nationale constituent en


premier lieu des sites privilégiés d’enregistrement et d’appropriation, dans l’arène parle-
mentaire, des demandes émanant des associations paritaires. Alors que les associations
féminines et féministes disposent traditionnellement de peu de points d’accès au Parle-
ment et qu’elles agissent désormais en ordre dispersé, les deux instances, qui comptent
plusieurs membres insérées dans les réseaux associatifs féministes, leur donnent l’oppor-
tunité de se faire entendre des législateurs. Entre juin et décembre 1999, l’Observatoire
et la Délégation consultent plusieurs associations engagées de longue date pour la parité 3,
recueillant à cette occasion des visions « militantes » de la réforme. Par exemple, en juin
1999, devant l’Observatoire, Françoise Ramond, présidente de Elles Aussi, suggère, pour
ce qui concerne les scrutins uninominaux, le « regroupement de deux circonscriptions et
la présentation sur le bulletin de vote d’une femme et d’un homme, les deux étant élus
au même titre » ou un système de « candidatures d’une femme et d’un homme sur le
même bulletin de vote, l’électeur choisira la candidate ou le candidat » 4.
Lieux de recueil des voix des associations paritaires, l’Observatoire et les Déléga-
tions parlementaires constituent également des lieux d’enregistrement d’une expertise
favorable à la parité. Ainsi, pour préparer son premier rapport, la Délégation de l’Assem-
blée nationale auditionne plusieurs universitaires spécialistes de la question des femmes
en politique engagées dans la campagne parité : la philosophe Geneviève Fraisse
(ancienne déléguée interministérielle aux droits des femmes et récemment élue parlemen-
taire européenne sur la liste de Robert Hue) et les politologues Mariette Sineau et Janine
Mossuz-Lavau (toutes deux chercheuses au Cevipof de Sciences Po). Elle consulte éga-
lement trois expert(e)s en droit constitutionnel : Guy Carcassonne (professeur de droit
public à l’Université de Nanterre), Marie-Cécile Moreau (juriste auprès de la Cour d’appel
de Paris) et Laure Ortiz (professeure de droit public à la faculté de droit et à l’Institut
d’études politiques de Toulouse), connus pour le soutien qu’ils ont prodigué à la reven-
dication de parité. Par exemple, Laure Ortiz prône une « interprétation féministe » du

1. Odette Casanova, Rapport d’information no 2074 fait au nom de la Délégation aux droits
des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur le projet de loi tendant
à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives,
Paris, Assemblée nationale, 2000 ; Catherine Génisson, La parité en politique. Rapport à Monsieur
le Premier Ministre, Paris, Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, 2000.
2. P. A. Sabatier, H. C. Jenkins-Smith, « The Advocacy Coalition Framework... », cité.
3. L’Observatoire et la Délégation auditionnent ou recueillent les observations écrites de :
Elles Aussi, l’Association des femmes de l’Europe méridionale (AFEM), l’UFCS, Parité, le CNDF,
Demain la parité et l’Association française des femmes diplômées des universités (AFFDU).
4. Audition de Françoise Ramond (Elles Aussi) devant l’Observatoire de la parité, juin 1999.

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La cause des femmes et la parité politique


projet de loi et préconise « d’aller très loin dans la mise en place des dispositifs » : elle
se prononce en faveur de l’abaissement du seuil d’application de la loi aux communes
de plus de 2 500 habitants, prône l’alternance stricte à toutes les élections par liste et
défend l’idée du « ticket » mixte candidat(e)-suppléant(e), proposition initialement for-
mulée par la députée RPR Marie-Jo Zimmermann. Cette expertise féministe fournit aux
instances chargées des droits des femmes des arguments susceptibles d’ébranler la hié-
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rarchie légitime des normes politiques et juridiques, dans laquelle l’égalité hommes-

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femmes occupe une place subalterne par rapport à d’autres principes « fondamentaux »
– comme, par exemple, la « liberté de l’électeur » 1.

... mais raisonnable

Les deux rapports publiés en janvier 2000 par la Délégation de l’Assemblée natio-
nale et par l’Observatoire de la parité attestent que ces instances sont réceptives aux
visions extensives de la parité et prônent un durcissement du projet de loi du gouverne-
ment. Mais simultanément, situées à l’intersection entre l’espace de la cause des femmes
et le champ politico-institutionnel, elles contribuent également à traduire les visions
maximalistes de la parité dans des termes politiquement et juridiquement acceptables.
Anticipant un certain nombre de résistances politiques (oppositions explicites de la droite
parlementaire et frein discret de la plupart des députés de gauche, ainsi que des porte-
parole du projet du gouvernement) et juridiques (la censure possible de la part du Conseil
constitutionnel), les préconisations de ces instances tendent à s’inscrire dans la grammaire
légitime de ces institutions, en s’efforçant de maintenir un équilibre entre la revendication
de parité et les « principes fondamentaux du droit ».
Par exemple, pour ce qui est des élections législatives, l’Observatoire et la Déléga-
tion acceptent le système de sanctions prévu par le projet de loi, qui consiste à ponctionner
la première fraction du financement public des partis politiques, qui dépend du nombre
de voix obtenues au premier tour des élections. Ainsi, les deux instances se rallient à la
raison juridique et politique, évacuant de l’éventail des solutions envisageables les pro-
cédures imaginées au cours de la décennie 1990 par certaines militantes de la parité pour
imposer la « parité des élus » aux élections législatives (telles que le « ticket homme-
femme » ou les « élections binominales » 2), en raison du « trop grand bouleversement
de la vie politique » et du « surcoût » qu’elles induiraient 3.

LE COMPROMIS FINAL : UNE PARITÉ PLUS CONTRAIGNANTE

Les instances chargées des femmes, porteuses d’une vision maximaliste de la parité,
rencontrent un contexte relativement favorable à l’Assemblée nationale. Même si Jean-
Pierre Chevènement, chargé de défendre le projet de loi devant le Parlement, est réservé

1. Éléonore Lépinard, « Faire la loi, faire le genre : conflits d’interprétations juridiques sur
la parité », Droit et société, 62, 2006, p. 45-66.
2. Le premier dispositif prévoit le regroupement de deux circonscriptions en une, qui élirait
deux députés de sexe différent ; le second procède selon le même principe, mais en doublant le
nombre de circonscriptions. Voir notamment F. Gaspard, A. Le Gall, Cl. Servan-Schreiber, Au pou-
voir, citoyennes !..., op. cit. ; Éliane Viennot, « Pour la parité », Le Monde diplomatique, mars 1997,
p. 6-7.
3. O. Casanova, Rapport d’information no 2074 fait au nom de la Délégation aux droits des
femmes..., cité.

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vis-à-vis d’une modification dans un sens plus contraignant, le gouvernement laisse une
certaine marge de manœuvre aux parlementaires. Conformément à une logique habituelle
dans le processus de fabrique des lois – notamment en période de cohabitation – qui
conduit la majorité parlementaire à durcir les textes proposés par le gouvernement, et
dans un contexte où la question des droits des femmes connaît toujours un état de grâce
au sein du PS, le premier secrétaire, François Hollande, fait connaître au début du mois
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de décembre l’intention de son parti de durcir le texte du gouvernement, en faisant déposer

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par le groupe socialiste à l’Assemblée un amendement imposant la parité tous les six
noms 1.
Au sein du groupe socialiste, les avocates de la parité « réelle » peuvent compter
sur le soutien de sa première vice-présidente, l’ancienne ministre (et signataire du « Mani-
feste des dix » pour la parité en juin 1996) Véronique Neiertz. Celle-ci déclare, le 19 jan-
vier 2000, lors d’une réunion du groupe, qu’elle ne votera pas le projet de loi sur la parité
tel qu’il est rédigé par le gouvernement : « Si le texte reste en l’état, je voterai contre !
[...] Avant d’être au PS, je militais à Choisir. Pendant trente ans, j’ai fait l’expérience
que le pire était le plus sûr. On n’a pas réformé la Constitution pour en arriver à un
quota », argumente-t-elle devant la presse 2. Par ailleurs, Catherine Tasca, toujours pré-
sidente de la Commission des lois, continue de soutenir les militantes d’une vision exten-
sive de la parité, s’exprimant très tôt favorablement à l’imposition d’un ordre sur les
listes de candidature. Enfin, le rapporteur du projet de loi, Bernard Roman, membre de
la toute nouvelle Délégation aux droits des femmes et entrepreneur de la cause de la
démocratisation institutionnelle au sein du PS (il milite notamment contre le cumul des
mandats 3), est un autre relais de cette vision extensive de la parité.
C’est finalement une version plus contraignante du projet de loi, imposant un ordre
de candidatures entre les sexes, qui va triompher au terme du processus parlementaire.
Le 25 janvier 2000, les députés adoptent à l’unanimité moins une voix le texte du gou-
vernement modifié par un amendement du groupe socialiste, qui impose la parité « par
groupe de six élus » pour les élections municipales et les régionales, et une stricte alter-
nance aux élections sénatoriales se déroulant au scrutin de liste et aux élections euro-
péennes. Les résistances renouvelées de la majorité sénatoriale à l’égard du dispositif
paritaire, jugé trop extensif, sont cette fois dépassées par le jeu de la procédure parle-
mentaire (l’Assemblée passant outre le désaccord du Sénat).

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Renversant la perspective classique des études d’agenda-setting, cet article a exploré
ce que la mise à l’agenda d’une cause fait aux mobilisations qui la portent, en s’appuyant
sur l’analyse de la séquence de mise en loi de la cause de la parité, entre juin 1997 et
juin 2000. On a montré que l’inscription de la parité sur l’agenda formel du gouverne-
ment, puis l’examen parlementaire de la loi constitutionnelle et de la loi électorale sur la
parité n’ont pas provoqué une décrue des mobilisations pour la parité, mais un renfor-
cement de celles-ci, à travers une reconfiguration de leur morphologie. Alors que les
luttes pour la parité nées au début de la décennie 1990 avaient été marquées par une forte

1. Discours de François Hollande devant la commission nationale femmes du PS le


11 décembre à Bordeaux, à l’occasion de la fête de la rose à Bordeaux (PS-Fax-Infos, 361,
13 décembre 1999).
2. Clarisse Fabre, « Parité. Conflit de générations entre les députées socialistes », Le Monde,
26 janvier 2000, p. 6.
3. Bernard Roman, La fin du cumul des mandats, Paris, Bruno Leprince, 2000.

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La cause des femmes et la parité politique


dispersion et étaient essentiellement menées par des associations féminines extérieures
aux partis et aux institutions, la mise à l’agenda a favorisé la constitution d’une coalition
paritaire, caractérisée par un accroissement du degré d’alignement des perceptions et de
coordination des luttes, ainsi que par l’implication d’actrices situées dans les pôles par-
tisan et institutionnel de l’espace de la cause des femmes, important et traduisant des
visions « militantes » de la parité à l’intérieur du Parlement.
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Au-delà de l’impact de la mise à l’agenda sur les mobilisations paritaires, on a mis

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au jour, grâce à l’adoption d’une démarche diachronique, les interactions entre la dyna-
mique du calendrier institutionnel et des mobilisations paritaires. En effet, on a pu voir
que les mobilisations pour la parité transformées sous l’impact de la mise à l’agenda ont
eu un impact, en retour, sur la fabrique de la loi. Il ne s’agit pas ici de prôner une vision
héroïque de ces mobilisations, ignorant l’enchevêtrement des facteurs politiques qui ont
conduit au dispositif final. Comme toute réforme, les lois sur la parité reflètent les rapports
de force entre les multiples acteurs impliqués dans le processus de la fabrique de la loi.
La traduction du slogan de parité en dispositif législatif s’est accompagnée d’une dilution
de certaines des aspirations portées par la plupart des militantes associatives engagées
pour la parité. Mais l’examen de chaque étape de ce processus a montré que la constitution
d’une coalition en faveur d’une vision extensive de la parité, impliquant des actrices
issues des différents pôles de l’espace de la cause des femmes – des associations paritaires
aux instances du féminisme d’État –, a joué comme un facteur de durcissement des termes
dans lesquels la revendication de parité a été traduite en droit.
Cette étude de cas sur la parité permet de formuler quelques hypothèses sur la spé-
cificité des rapports entre mouvements féministes et les processus de mise en loi de leurs
revendications. Les effets de la mise en loi de la réforme paritaire sur les mobilisations
paritaires (accroissement de leur surface sociale, de leur degré d’unification et de leur
audibilité auprès de l’arène parlementaire) sont en partie conditionnés par la transversalité
structurelle de l’espace de la cause des femmes. En effet, la coalition paritaire qui se
construit et se reconfigure sous l’effet du processus de mise en loi ne crée pas ex nihilo
mais active des liens préexistants entre des actrices situées dans différents pôles de l’espace
de la cause des femmes. En amont de la séquence de mise en loi, ces liens sont informels
et distendus, ce qui constitue un obstacle à l’efficacité des mobilisations ; après la phase
de mise en loi, ils se distendent à nouveau. Ainsi, à travers le cas de la parité, on a montré
que le caractère transversal et multipolaire de l’espace de la cause des femmes peut consti-
tuer, dans un contexte de mise à l’agenda et de consécration institutionnelle d’une cause
relative à l’égalité des sexes, une ressource stratégique, compensant ses faiblesses structu-
relles, notamment ses effectifs restreints et la marginalité politique de ses troupes. Cette
idée gagnerait à être testée par des études sur la carrière d’autres revendications féministes
et, au-delà, sur des causes émanant d’autres secteurs de mobilisations collectives dont les
composantes s’inscrivent également de multiples univers sociaux 1.

Laure Bereni est docteure en science politique et postdoctorante à l’Institut des


sciences sociales du politique (ISP-ENS Cachan). Elle a récemment publié : « Du “MLF”
au “Mouvement pour la parité”. La genèse d’une nouvelle cause dans l’espace de la cause
des femmes », Politix, 20 (78), 2007, p. 107-132 ; « French Feminists Renegotiate

1. Je tiens à remercier Anne Revillard pour les commentaires éclairants qu’elle a formulés
sur une version antérieure de ce texte.

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Laure Bereni
Republican Universalism : The Gender Parity Campaign », French Politics, 5 (3), 2007,
p. 191-209 ; (avec Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait, Anne Revillard) Introduction
aux gender studies. Manuel des études sur le genre, Bruxelles, De Boeck, 2008. Consa-
crée à la genèse des lois de 1999 et 2000 dites sur la parité, sa thèse explore les logiques
sociales de transformation d’une cause marginale en un dispositif institutionnel contrai-
gnant (<Laure.Bereni@ens.fr>).
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RÉSUMÉ/ABSTRACT

QUAND LA MISE À L’AGENDA RAVIVE LES MOBILISATIONS FÉMINISTES. L’ESPACE DE LA CAUSE


DES FEMMES ET LA PARITÉ POLITIQUE (1997-2000)

Cet article examine ce que deviennent les mobilisations pour une cause sous l’effet de sa mise
en loi, à partir du cas des lois de 1999 et 2000 sur la parité. Loin de provoquer une diminution
des luttes, l’inscription de la parité sur l’agenda gouvernemental en 1997 a favorisé le passage
d’une nébuleuse à une coalition de cause, caractérisée par un degré accru d’alignement des
perceptions et de coordination entre des actrices issues de différents univers : militantes asso-
ciatives, intellectuelles, femmes politiques et fémocrates. Cette coalition transversale a
influencé la manière dont les lois sur la parité ont été votées. Plus généralement, ces recon-
figurations reflètent les caractéristiques structurelles de l’espace de la cause des femmes, dont
les mobilisations pour la parité sont l’émanation.

WHEN AGENDA-SETTING REVIVES FEMINIST CAMPAIGNS. THE FIELD OF WOMEN’S ADVOCACY


AND THE MAKING OF THE GENDER PARITY REFORM (1997-2000)

This article examines how the campaigns for a claim are influenced by its transformation into
law, through the case of the 1999 and 2000 gender “parity” laws. Far from entailing a
decrease of the mobilizations, the inscription of parity onto the governmental agenda in 1997
transformed the dispersed mobilizations around the claim into an advocacy coalition, cha-
racterized by a higher degree of perception alignment and coordination between actors coming
from varied social fields : members of women’s autonomous organizations, femocrats, female
intellectuals and politicians. This transversal coalition has influenced the final content of the
parity laws. More generally, these transformations reflect the structural characteristics of the
“field of women’s advocacy”, from which the mobilizations for parity stemmed.

ANNEXE

LISTE DES SIGLES

ACGF : Action catholique générale féminine


CLEF : Coordination pour le lobby européen des femmes
CNDF : Collectif national pour les droits des femmes
UFCS : Union féminine civique et sociale

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MÉTHODES ET MATÉRIAUX D’ENQUÊTE

Cet article est tiré d’une thèse de doctorat qui a reconstitué la carrière de la parité
depuis son émergence comme revendication dans l’espace public à sa traduction institu-
tionnelle par les lois dites « sur la parité » (1999 et 2000). Cette recherche a reposé sur
le croisement de plusieurs méthodes et matériaux :
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1 – Une enquête par entretiens. 65 entretiens approfondis (semi-directifs, biogra-
phiques) ont été conduits avec des actrices et acteurs parties prenantes du processus de
légitimation de la parité au cours de la décennie 1990 : militantes des réseaux associatifs
pour la parité (32), membres des commissions femmes des partis politiques (24), membres
de l’Observatoire de la parité (7), membres des délégations parlementaires chargées des
droits des femmes (10), intellectuel(le)s ayant participé au débat public sur la parité (11),
journalistes de la presse nationale ayant couvert la parité (4) 1.
2 – Une enquête documentaire. L’analyse a porté sur : les publications et archives
des associations paritaires (bulletins, tracts, comptes rendus de réunion, brochures, cour-
riers... Ces documents ont été pour partie transmis par les interviewées et pour partie
consultés au Centre des archives du féminisme, Université d’Angers, Fonds Françoise
Gaspard et Yvette Roudy) ; les publications et archives de l’Observatoire de la parité
(1995-2000) ; les publications et archives des commissions femmes des partis politiques
(PS, PCF, Verts, RPR, UDF) ; les publications (articles, ouvrages) des intellectuel(le)s
engagé(e)s pour ou contre la parité (1992-2000) ; les travaux parlementaires ayant précédé
l’adoption des lois du 8 juillet 1999 et du 6 juin 2000 (compte rendu des séances publi-
ques, rapports, compte rendu des auditions) ; un corpus détaillé d’articles de presse sur
la parité entre 1992-2000 (constitué à partir de la base de données « Europresse »).
3 – Une enquête par questionnaire pour dresser une sociographie des militantes des
associations paritaires (N=122).

1. Certain(e)s interviewé(e)s ont des positionnements multiples et relèvent donc de plusieurs


catégories à la fois.

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