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L'ISLAM CONTEMPORAIN

avait été administrativement séparée du des Royaumes Indo-javanisés et naissance


nord de l'île en 1960). des États musulmans dans l'Archipel »
Aujourd'hui, les conséquences désastreu- (parue en 1968) avait de façon novatrice, et
ses de la rébellion de Kahar Muzakar se font en s'appuya'nt sur des matériaux malheu-
encore sentir sur l'économie du pays bugis- reusement difficilement contrôlables (ils
makassar, et ce, malgré l'énorme effort auraient disparu depuis), mis en valeur le
entrepris par l'administration indonésienne rôle joué par les Chinois dans la propaga-
pour rétablir les communications inté- tion de l'islam à Java. Cette nouvelle vision
rieures, redonner un nouvel essor à l'agri- de l'histoire, allant à l'encontre de la version
culture et développer un commerce mari- orthodoxe, n'était pas pour plaire aux
time local en déclin. Mais de nouvelles autorités musulmanes et après de longues
données se sont conjuguées depuis pour polémiques, l'ouvrage du professeur Slamet
rendre compte de la situation présente. Muljana fut retiré de la circulation (1971).
Aussi, nombreux sont ceux qui conservent Depuis cette, date, plus personne en Indoné-
de cette époque le souvenir ambigu d'un sie ne s'était penché sur ce délicat problème.
temps certes extrêmement difficile, mais En deuxième lieu, elle est à mettre en
aussi d'un temps héroïque « où l'on savait rapport avec une certaine volonté des
se battre ». autorités indonésiennes d'encourager les
ressortissants d'origine chinoise à se conver-
G. HAMMONIC tir à l'islam en vue de mieux s'assimiler à la
société locale. Le bulletin mensuel, émanant
d'une institution semi-officielle fondée en
décembre 1977 sous le patronage du minis-
Amen BUDIMAN, Masyarakat Islam Tiong- tre des Affaires intérieures — le Bakom
hoa di Indonesia (La communauté mu- PKB ou « Comité pour répandre l'apprécia-
sulmane, chinoise d'Indonésie), Sema- tion de l'unité nationale » — et intitulé
rang, Tanjung Sari, 1979, 75 p., 10 plan- Pembauran «Assimilation » ( 1er n° : oct.
ches. 1978) ne manque pas une occasion de
montrer que les conversions facilitent l'inté-
On notera avec grand intérêt la parution gration. Et ce n'est sans doute pas par
de la petite étude cursive de Amen Budiman hasard si Junus Jahja (alias Lauw Chuan
sur l'histoire de la communauté musulmane Tho), un des membres du Bakom PKB qui
chinoise d'Indonésie. En premier lieu, elle a se trouve être en même temps le rédacteur
le mérite d'attirer l'attention des chercheurs du bulletin Pembauran et un tenant du
sur un aspect de la communauté musul- mouvement d'assimilation a, au cours de
mane qui, jusqu'à présent, était resté passa- l'année 1979, abandonné la religion chré-
blement négligé et ce, pour diverses raisons. tienne pour embrasser l'islam. Enfin, le
Pendant toute la période coloniale, les même bulletin donne fréquemment des
fonctionnaires hollandais n'ont jamais réel- informations sur la vie d'une association
lement pris au sérieux les conversions à regroupant des musulmans d'origine chi-
l'islam des Chinois nés sur place ou venus noise, la PITI ou Persatuan Islam Tionghoa
de Chine, même lorsque celles-ci se firent en Indonesia, « Union des musulmans chinois
grand nombre comme au milieu du d'Indonésie» qui, en 1972, a changé son
xvme siècle, à la suite de la répression nom en Pembina Iman Tauhid Islam,
brutale par les autorités coloniales d'un « Action pour la foi et l'unicité de l'islam »,
soulèvement chinois à Batavia (1740) , ou afin de montrer que les Indonésiens d'ori-
lorsque les convertis tentèrent de s'organi- gine chinoise tenaient à renoncer à leur
ser en formations politiques dans les années sinité pour mieux se fondre dans la frater-
1930. Après l'Indépendance, un historien nité de l'islam.
indonésien, le professeur Slamet Muljana Quelle peut être l'importance de la
(catholique), dans son étude intitulée « Fin communauté musulmane chinoise ? Une

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COMPTES RENDUS

note émanant du chef de la PITI, Haji Oei niques se retrouve aussi dans la tradition
Tjeng Hien, parue dans la presse locale en orale de même que dans la littérature en
1969 avançait pour toute l'Indonésie le malais des Chinois d'Indonésie ; une nou-
chiffre de 10 000, dont 2 500 rien qu'à velle parue en 1932 s'intitule précisément :
Jakarta. Un article tout récent {Pembauran, « Raden Patah, le fils d'une princesse
15 févr. 1980) rapporte qu'on aurait enre- chinoise. » Pour le siècle suivant, les liens
gistré 54 000 convertis pour tout le pays entre l'élite locale au pouvoir et des Chinois
entre 1936 et 1942 et qu'entre 1953 et 1977 venus du dehors sont également rapportés
le nombre total serait passé à 84 000. On dans les chroniques locales, tel le cas du
voit donc avec quelle précaution il faut capitaine de bateau Wintang (alias Pange-
manier ces chiffres et c'est sans doute la ran Hadiri) qui, arrivé à Java, se convertit à
raison pour laquelle Amen Budiman s'est l'islam et épouse la Ratu Kalinyamat ; leurs
bien gardé de toute estimation quantitative. tombes, considérées comme sacrées, font
L'auteur retrace la difficile histoire des encore l'objet d'un culte à Mantingan (près
musulmans chinois d'Indonésie. Le premier de Japara, Java central).
chapitre nous introduit à Java au début du Avec le xviie siècle, on a accès aux
xve siècle. On est guidé par le récit du sources européennes (surtout hollandaises)
Chinois musulman Ma Huan qui en 1413- qui nous fournissent de nombreux rensei-
1415 accompagna le célèbre eunuque gnements sur certains Chinois musulmans
Zheng He (1371-1433) dans sa quatrième jouant un rôle alors important auprès des
expédition vers les mers du sud. Il rapporte chefs locaux,' qu'il s'agisse du sultan de
que lors de leur passage à Java-Est, se Banten (Java-Ouest) ou de celui d'Aceh
trouvaient trois catégories dans la popula- (Sumatra), mais ceux-ci ont été in-
tion : les indigènes, les Hui-hui ou musul- suffisamment exploités ici. L'auteur n'a pas
mans ainsi que des Chinois parmi lesquels remarqué qu'à cette époque, comme d'ail-
un bon nombre étaient musulmans. Le leurs aux siècles suivants, les Européens ont
deuxième et le troisième chapitre s'appuient tendance à décrire les Chinois convertis à
sur des sources et des traditions javanaises l'islam comme des opportunistes. Pourtant
ainsi que sur les mystérieuses archives en Wang Dahai, un voyageur chinois qui
chinois conservées, jusqu'en 1928, dans le séjourna à Java à la fin du xvme siècle était,
bureau du chef de la communauté chinoise quant à lui, frappé par 1' « acculturation »
de Semarang (Java central) et dont on a ou la « déculturation » de ces Chinois
depuis perdu les traces. C'est l'utilisation de musulmans qui lisaient et écrivaient les
ces archives qui avait permis à Slamet langues locales, mangeaient et s'habillaient
Muljana d'avancer la théorie, rapportée de selon les coutumes de l'endroit, ayant tout
nouveau par Amen Budiman, selon laquelle oublié de la culture de leurs ancêtres. Au
quelques-uns des « Neuf Saints » ( Wali xixe siècle encore, on trouve de petites
Songo dont les « décès » s'échelonnent entre communautés musulmanes chinoises en
la fin du xve et la fin du xvie siècle) seraient divers points de l'Archipel, mais très vite
d'origine chinoise. L'affaire se corse avec le elles se fondent dans les populations locales,
fondateur du sultanat de Demak au de sorte qu'après quelques générations elles
xve siècle (sur la côte nord de Java), connu ne se distinguent plus guère que par
sous le nom de Raden Patah. Selon Slamet quelques traits culturels, parfois d'ailleurs
Muljana, il serait le fils d'une Chinoise et du partagés avec la population locale (certaines
roi de Majapahit, Kertabhumi. Selon d'au- influences dans l'architecture des mosquées,
tres histoires locales, ce serait un Chinois né le décor des sculptures des tombes, notam-
en Chine et venu accompagner son père ment sur la côte nord de Java et à Madura).
envoyé en mission par l'empereur. Quoi C'est ce que suggère le développement, trop
qu'il en soit, on voit que les débuts du rapide, consacré à la culture : on aurait pu,
pouvoir islamique à Java sont associés avec par exemple, étudier quelques textes malais
des Chinois. Ce fait attesté dans les chro- dont on sait qu'ils ont été écrits par des

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L'ISLAM CONTEMPORAIN

Chinois musulmans du xixe, voire même du Abdul Karim, né en 1905 à Padang,


début du xxe siècle. Il serait bon aussi Sumatra, et converti en 1930) a été proche
d'étudier dans le détail quelques-uns des du résident Sukarno pendant la période
villages de pêcheurs originaires de la pro- révolutionnaire et est à l'heure actuelle un
vince du Fujian et convertis de longue date grand homme d'affaire. Il aurait pu retracer
à l'islam qui se trouvent sur la petite île de l'histoire de cette organisation depuis ses
Barang en face de Makassar (Célèbes) pour origines en 1936,puisqu'un de ses membres
voir comment la fusion des cultures s'est fondateurs, Haji Yap A Siong (alias
faite. H. Abdussomad), né à Canton en 1885,
Les chapitres six et sept nous amènent arrivé à Sumatra en 1894 et converti en
sans transition au xxe siècle, avec la fonda- 1929, se trouve encore être à l'heure
tion en 1936, respectivement à Sumatra actuelle dans le comité de gestion de la PITI.
(Medan) et à Célèbes (Makassar) de la Enfin, l'auteur évoque la question de
Persatuan Islam Tionghoa « Association des l'origine sociale de ceux qui désirent se
musulmans chinois » et du Portai Tionghoa convertir. Si, pour le passé, seules quelques
Islam Indonesia « Parti islamique chinois grandes figures émergent, pour le présent,
indonésien ». Malheureusement l'auteur ne en revanche, ce serait essentiellement la
nous donne guère de renseignements sur partie la plus démunie de la communauté
l'arrière-fond économique et social de ces chinoise qui se convertirait, ce que les
deux organisations politiques. Il est à penser Chinois-indonésiens non musulmans res-
qu'elles se sont créées à cause des difficultés sentent comme quelque chose d'humiliant
rencontrées par les Chinois d'Indonésie à et de peu apprécié. Il y a pourtant de
être acceptés dans les organisations poli- brillantes exceptions. A côté de Haji Abdul
tiques nationalistes des Indonésiens. A Karim, mentionné plus haut, on pourrait
Java-Est, quelques années plus tôt, les également citer les noms de plusieurs autres
minorités .arabes et chinoises favorables aux éminentes personnalités comme Lie Kiat
Indonésiens avaient été obligées de fonder Teng (né à Sukabumi en 1912 et converti en
leurs propres partis : Portai Tionghoa Indo- 1946) qui fut un temps ministre de la Santé
nesia « Parti chinois indonésien » (1932) et (1953-1955), Tan Kim Kiong (né à Kaliman-
Portai A rab Indonesia, « Parti arabe indoné- tan) qui en 1964 était ministre des Finances,
sien » (1934) afin de pouvoir les soutenir ou encore Tjia Kouw Sen, directeur de la
dans leur lutte anticoloniale. On sait seule- fabrique de produits pharmaceutiques Bin-
ment que ces deux organisations musulma- tang Tujuh.
nes chinoises sont venues militer à Java en Ce petit opuscule représente la première
1938 et qu'elles y ont remporté un assez tentative pour envisager de façon globale la
faible succès. Ce n'est qu'après l'Indépen- question de l'existence et du rôle trop
dance que le mouvement reprit, que la souvent méconnus de la communauté chi-
Persatuan Islam Tionghoa'déplaça son siège noise musulmane d'Indonésie, et il faut déjà
de Medan à Jakarta (1953) et qu'elle prit le en féliciter son auteur. En outre, elle fait
nom de PITI mentionné plus haut. Il est à une mise au point des études sur cette
regretter que l'auteur n'ait pu interviewer question et, en conséquence, constitue un
les membres actuels de la PITI. Il aurait pu point de départ pour des recherches plus
ainsi cerner davantage les aspects écono- approfondies.
miques de cette organisation dont le pré-
sident, Haji Oei Tjeng Hien (alias Haji Claudine SAI.MON

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