Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
MAGHREB ?
Thierry Le Roy
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
THIERRY LE ROY
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 15/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.70.106.73)
I – DES CONSTITUTIONS
Pourtant, ces pays d’Afrique du Nord ont tous, peu à peu, cédé à la
mode des constitutions. Que ce soit à des fins de politique interne, ou
pour marquer l’intégration dans une communauté internationale de plus
en plus friande de constitutions, on a vu les dirigeants multiplier les
révisions constitutionnelles : cinq constitutions nouvelles se sont succédé
au Maroc de 1962 à 1996 ; la mise en place d’une « petite constitution »
en Algérie en 1965 (alors seulement pour régler les relations entre les
organes du pouvoir) a été suivie de nouvelles chartes ou constitutions en
1976, 1989, 1996, 2008 ; il y a les lois constitutionnelles tunisiennes de
1959, 1987, 1995, 1998, 2008… Si on révise tant les textes constitu-
tionnels, c’est qu’on y croit.
9. Sur cette partie, voir Sabine Lavorel, Les Constitutions arabes et l’Islam. Les enjeux du plu-
ralisme juridique, Presses universitaires du Québec, 2005.
10. Voir, par exemple, sur la compatibilité de la charia avec la Convention européenne des
droits de l’homme : arrêt CEDH, 31 juillet 2001, Affaire Refah c/Turquie 41340/58 (cons. 72).
550 Thierry Le Roy
a, dans ces pays plus qu’en Égypte par exemple, un consensus pour ne
pas soulever des contradictions insolubles en posant des questions de
principe, et pour regarder, comme le suggère Ghassan Salamé, le cadre
de la vie politique comme un « simple arrangement institutionnel »,
comme « le fruit involontaire de rapports de forces indécis plutôt que
l’incarnation idéalisée de la pensée des philosophes »13.
Aussi suis-je tenté de présenter l’état de la question dans les pays du
Maghreb autour de trois propositions : les constitutions font ample réfé-
rence à l’Islam ; mais le principe de la conformité de la législation à la
charia n’y est pas inscrit ; en même temps, les lois peuvent s’inspirer de
la charia sans rencontrer d’obstacles constitutionnels.
C’est le cas notamment bien sûr pour ce qui relève du statut person-
nel, du droit familial, du statut de la femme. On l’a vu à partir des
années soixante-dix. Un bon exemple est sans doute le code familial
algérien de 1984. Un autre exemple, contrasté mais également présenté
par son auteur comme directement inspiré du Coran, est le code familial
marocain de 200415.
14. M.-C. Foblets et J.-Y. Carlier, Le code marocain de la famille : incidences au regard du
droit prive international en Europe, Bruylant, 2005.
15. Voir B. Dupret, « Le juge, le prince et l’Islam : à propos de la charia en Égypte »,
Mélanges Delpérée, Bruylant, 2007.
Le constitutionnalisme dans les pays du Maghreb 553
16. Voir par exemple à ce sujet Michael Schoiswohl, The new Afghan Constitution and inter-
national law : a love-hate affair, Oxford University Press, 2006.
554 Thierry Le Roy
IV – L’HÉRITAGE FRANÇAIS
Il faut, pour finir, en dire un mot, même si cet héritage français est
plus souvent dénié qu’assumé.
Comme le veut la tradition française, l’état de droit doit peu au
constitutionnalisme dans les pays du Maghreb.
Les Constitutions du Maghreb sont toutes construites, principale-
ment, sur le modèle des Constitutions françaises, plus particulièrement
de la Constitution de 1958. Le « parlementarisme rationalisé », alors
imposé en France par le général de Gaulle après des décennies de régime
d’assemblée, a convenu à ces pays dont les élites avaient souvent une
expérience parlementaire mais où la prédominance nécessaire de l’auto-
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 15/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.70.106.73)
plus marqué les États du monde arabe (le domaine le plus résistant étant
le droit des personnes).
En effet, dans cette influence, il y a la place reconnue au principe de
hiérarchie des normes, mais pas vraiment celle du constitutionnalisme
(et, encore moins, dans le Maghreb autrefois colonisé, bien sûr). Comme
d’ailleurs dans l’Empire ottoman, la France a, dans son histoire, l’expé-
rience de Constitutions sans constitutionnalisme. Le contrôle de la consti-
tutionnalité des lois est venu fort tard, et, à la différence des pays anglo-
saxons ou de l’Allemagne fédérale, il ne pouvait être exercé, par voie
d’exception, devant les tribunaux ordinaires. Les Conseils constitutionnels
n’ont pas, en Afrique du Nord, le rôle de Cour suprême de leur homo-
logue égyptien. On l’a vu : tous les pays du Maghreb devenus indépen-
dants ont suivi ce modèle, qui offre peu d’espace au constitutionnalisme.
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 15/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 196.70.106.73)
18. V. note 2.