Récit La féministe Algérie-Maroc Bruno Le Maire Sale temps

préférée d’Hélène Jusqu’où ira Son projet pour pour le

Carrère d’Encausse le conflit ? (Macron) 2022 bisou

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www.lepoint.fr Hebdomadaire d’information du jeudi 11 novembre 2021 n° 2570 - 5 €

Chine - États-Unis
ALLEMAGNE : 6,40 € - BENELUX : 5,30 € - CANADA : 8,30 $CAN – SUISSE : 7,20 CHF - DOM : 5,20 € - TOM : 920 CPF - ESPAGNE/GRÈCE/ITALIE/PORTUGAL CONTINENTAL : 5,50 € - MAROC : 48 MAD – TUNISIE : 9 TND - CÔTE D’IVOIRE/CAMEROUN/GABON/SÉNÉGAL : 3 900 CFA

Veillée d’armes
Reportage à Taïwan, où l’on se prépare à la guerre
Les clés d’un choc mondial

LENIN NOLLY/NURPHOTO VIA AFP. LI XUEREN/XINHUA VIA AFP. LI ZIHENG/XINHUA VIA AFP

Joe Biden et Xi Jinping.

Au centre, une frégate
chinoise.

Spécial spiritueux : à la découverte des distilleries françaises

BREGUET.COM

breguet
inventeur du tourbillon MARINE 5887
 L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert
La droite doit se méfier de… sa droite
et la gauche… de sa gauche
La droite couve souvent en son sein une en-
nemie mortelle : sa droite. L  a gauche, elle, a une
grande ennemie : sa gauche. La preuve vient encore
d’en être faite aux États-Unis. Moins d’un an après son
élection, Joe Biden est dans une situation très délicate.
Pour la gauche du Parti démocrate, Biden est
l’ennemi public numéro un, comme François
­Hollande l’était, pendant sa présidence, pour les fron-
deurs, ramassis de sycophantes marxistes et de grim-
pions à la Rubempré qui ont tous été battus (sauf un,
devenu ministre) aux législatives de 2017, les autres
s’étant pour beaucoup recyclés chez Macron, gau-
chiste bien connu.
Les ailes gauche (ou droite) ont souvent
­tendance à clouer les grands partis au sol. Il y
a un an, Biden avait réussi à s’affranchir des démocrates
d’extrême gauche durant sa campagne réussie contre
Donald Trump. Aujourd’hui, ils lui font la danse du
scalp à la Chambre des représentants, où il doit tout
négocier pied à pied avec eux. Ils lui reprochent, entre
autres, de n’être pas assez « social », écolo ou dépensier.
La victoire d’un trumpiste modéré, Glenn
Youngkin, q ui a raflé le poste de gouverneur de la
­Virginie – État où Biden l’avait emporté haut la main
en 2020 –, est plus qu’un revers pour le président amé-
ricain. C’est une catastrophe : comme le mauvais score
du sortant démocrate dans le New Jersey, réélu d’un
cheveu, elle montre que Trump est désormais en posi-
tion de prendre sa revanche à la présidentielle de 2024.
Quelle est la gauche la plus bête du monde ?
Certainement pas la gauche allemande, qui, dans un
pays apaisé et un climat serein, s’apprête à prendre la
succession d’Angela Merkel à la chancellerie. Rien à
voir avec l’hystérie ambiante en France et aux États-
Unis, où les gauches concourent pour le bonnet d’âne
de la planète. Voyez comme toutes deux « déparlent »,
minées qu’elles sont par le racialisme, le décolonia-
lisme, l’indigénisme et le wokisme. Sans parler de la
bigoterie islamiste et des dénis sur l’immigration ou
l’insécurité. La Révolution racialiste et autres virus idéolo-
giques, de Mathieu Bock-Côté (Presses de la Cité), un
ouvrage ravageur et réjouissant, met au jour le cata-
logue des délires made in USA qui contaminent déjà
une partie non négligeable du spectre politique de notre
pays, mais aussi ses médias, ses lycées, ses universités.
Si la gauche française s’est rendue inéligible
à la présidentielle, comme le confirment tous les
sondages, c’est moins à cause de ses divisions qu’à cause
de sa complaisance crasse envers le lavage de cerveau
qui, venu des États-Unis, prétend « désoccidentaliser »
notre civilisation : tout y serait à jeter, au nom du racia-
lisme qui n’est rien d’autre qu’un racisme à l’envers,
une injonction à la haine de soi. Selon cette engeance,
observe Bock-Côté, l’Europe est ontologiquement « co-
loniale ». Dans la foulée, elle serait coupable d’être
« blanche, trop blanche » : « Elle ne se décolonisera donc qu’en
se déblanchissant. » Au fou ! Au fou !
Si Éric Zemmour et Donald Trump sont les
­enfants de beaucoup de choses, ils le sont no-
tamment de ce mouvement racialiste qui ne cesse de
marquer des points des deux côtés de l’Atlantique. Em-
manuel Macron lui paie souvent son écot quand, sen-
sible à l’air du temps, il se met à genoux afin de
demander pardon à l’Algérie pour les « crimes contre l’hu-
manité » que la France aurait perpétrés contre elle. Puisse-
t-il guérir un jour. Ce sont les avancées de ce fascisme
wokiste de gauche qui, avec le sentiment de déclin
confirmé par toutes les courbes, font prospérer les popu­
listes néopatriotes de la droite dure qui a aujourd’hui
le vent en poupe.
Nos fascistes de gauche et leurs nombreux
­alliés par faiblesse ou moutonnerie sont les
« idiots utiles » d’Éric Zemmour auquel ils pré-
tendent barrer la route, de la fausse morale plein la
bouche. S’ils voulaient vraiment faire reculer le « presque
candidat », ils remiseraient leur jobarderie antifran-
çaise et célébreraient tout ce que notre cher et vieux
pays a apporté au monde : sa culture, son universa-
lisme, son modèle républicain. Retrouvant leurs esprits
et leur conscience, ils pourraient même finir par chan-
ter la douce France. Mais ils ne le feront pas : il leur fau-
drait revoir tous leurs logiciels. En attendant, si elle ne
veut pas boire jusqu’à la lie le calice de l’agonie, la gauche
française serait bien inspirée, comme la droite, de sur-
veiller de très près son extrême §
Le Point 2570 | 11 novembre 2021 | 5
 À nos lecteurs
Que vaut la droite française ?
L
a meilleure méthode pour jauger les candidats à
l’investiture des Républicains pour l’élection pré-
sidentielle est peut-être de se mettre à la place d’un
socialiste allemand ! Olaf Scholz, successeur désigné
d’Angela Merkel, est certes un socialiste particulier, vu
d’ici : il est depuis trois ans ministre des Finances de
« Mutti », partage globalement sa conception de la ri-
gueur budgétaire et a activement soutenu les réformes
radicales de Gerhard Schröder en 2003…
Première leçon, au passage, pour la droite et le centre :
ils n’ont pas de monopole en matière de courage réfor-
mateur. Gerhard Schröder comme le Premier ministre
suédois Göran Persson, qui transforma son pays dans les
années 1990, étaient des sociaux-démocrates.
Le regard de Scholz n’est pas important seulement
pour son expertise, mais aussi parce qu’il dirigera le gou-
vernement allemand. L’équation est connue : sans re-
dressement des finances publiques françaises, pas de
soutien de Berlin pour faire avancer l’Europe. Comment
exister alors face aux États-Unis et à la Chine ? Là, notre
déclin prendrait une autre pente…
À ce titre, on pourrait s’inquiéter de ce qu’aucun des
prétendants à l’investiture des Républicains, interrogés
sur LCI à propos de leur premier déplacement de pré-
sident, n’ait mentionné l’Allemagne comme destination.
Les quatre derniers hôtes de l’Élysée en ont pourtant fait
un usage (et la réciproque est vraie aussi). Mauvais signe ?
Il ne faut certes pas surinterpréter cette séquence. La
question ne précisait pas s’il était question d’une visite
en France ou à l’étranger, et surtout il s’agit ici d’une com-
pétition auprès des militants du parti : le vainqueur aura
le temps d’ajouter à son programme une visite à Berlin.
Par ailleurs, Valérie Pécresse a souligné lors du débat l’im-
portance de prendre les Allemands au sérieux pour la
bonne marche de l’Europe. Mais tout de même…
Sur le fond, les candidats LR s’accordent sur un âge de
la retraite à 65 ans et proposent tous – avec certes des am-
bitions très diverses – des réformes du travail, de l’État
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Les Ateliers du polar
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Thilliez. Inscriptions : www.
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8 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
ou des normes bureaucratiques. Mais dans quelle mesure
sont-ils habités par cette cause ? Il y a quelques semaines,
nous nous enquérions, dans ces colonnes, de leurs préfé-
rences philosophiques. L’une des questions leur offrait
un choix entre Turgot, contrôleur général des Finances
de Louis XVI, qui conseillait au roi « point de banqueroute ;
point d’augmentation d’impositions ; point d’emprunts », et
Colbert, l’antilibéral forcené, adepte du monopole, du
protectionnisme, du dirigisme à outrance (une vraie ma-
chine à fabriquer des normes) et qui eut recours… à la
banqueroute, pour effacer ses dépenses. Les trois favoris,
à notre grand étonnement, ont choisi Colbert… Malédic-
tion française ? L’erreur est pardonnable : après tout, la
légende frelatée du bon Colbert est tenace, et tous n’ont
probablement pas eu le temps de lire l’excellent livre de
François d’Aubert intitulé Colbert, la vertu usurpée (1).
La question n’est d’ailleurs pas seulement celle de l’in-
tention, mais aussi de l’exécution. Les candidats seraient
bien inspirés de se souvenir de ce que disait Alain Juppé,
candidat malheureux à la primaire de la droite et du
centre en 2016 : il avait proposé de prendre l’essentiel
des mesures sous forme d’ordonnances, juste après son
élection. Car, par la suite, des événements paralysants
surviennent toujours (les Gilets jaunes et la pandémie
en sont deux exemples récents), les corporatismes re-
prennent des forces, et l’immobilisme ses droits…
C’est ainsi que Turgot a doublement perdu : dans l’ima-
ginaire français, mais avant cela dans l’exercice de ses
fonctions, car il ne put mener à bien son projet. Chamfort
rapporte que « l’abbé Baudeau disoit de M. de Turgot que
c’étoit un instrument d’une trempe excellente, mais qui n’avoit
pas de manche ». On sait comment tout cela s’est terminé
pour Louis XVI…
La droite gagnerait sûrement à retrouver la mémoire
de ce héros largement oublié, ainsi que la route de Ber-
lin, pour y écouter les leçons de courage et d’efficacité
d’un socialiste allemand § ÉTIENNE GERNELLE
1. Perrin, 2010.
« La ville, nouveaux horizons » Primaire LR
Rudy Ricciotti, Muriel Mayette- Suivez sur Lepoint.fr
Holtz, Patrick Blanc et toute l’actualité de la
une dizaine d’autres invités bataille pour l’investiture
participent au colloque, du candidat des
vendredi 19 novembre à Nice. Républicains.

40
5 L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert
8 L’éditorial d’Étienne Gernelle
11 La chronique de Patrick Besson
12 Les éditoriaux de Gérard Araud,
Nicolas Baverez, Pierre-Antoine
Delhommais, Laetitia Strauch-Bonart
18 Le point de la semaine
FRANCE
30 Le projet de Bruno Le Maire
pour (Macron) 2022  116 Spécial spiritueux - Spiritourisme
36 Éric Ciotti : « Je veux un
Guantanamo à la française »
EN COUVERTURE
40 Chine - États-Unis : veillée d’armes
50 Face à Pékin, Biden fait du Trump
56 Kevin Rudd : « On peut encore éviter
la guerre »
MONDE
60 Algérie-Maroc : jusqu’où ira
le conflit ?
SOCIÉTÉ
64 Mystères et péchés de la confession
70 Hélène Carrère d’Encausse :
« Le féminisme d’Alexandra
Kollontaï n’était pas une guerre
contre les hommes »
74 Les métropoles françaises sont-elles
dépassées  ?
ÉCONOMIE
78 Austin, le nouveau miracle
américain
85 État-major : Deloitte France et
Afrique francophone
86 Spécial emploi - Le travail, moteur
de l’inclusion
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SOMMAIRE2570
SCIENCES
90 La révolution James-Webb
CULTURE
92 Interview - Catherine Deneuve :
« Mon petit coup de foudre… »
98 Cinéma - Nicole Garcia : le noir est
mis
100 Livres - L’automne sera proustien
102 Livres - #BalanceTonMédicis
103 Le palmarès de la Fnac
103 La Minute antique
104 Brèves
STYLE
106 Évasion - Sur les grands chemins
de Paris
110 Évasion - Biarritz en toute saison
113 Mode - Loewe, luxe lettré
114 Auto - Mercedes Classe C : par le haut
115 Montres - Breitling, cœur de
vainqueurs
à travers la France
136 Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy
138 Bridge et mots croisés
LE POSTILLON
139 Dans les idées aussi, la France est un
pays de rentiers, par Sébastien Le Fol
139 Eric Kaufmann : « Forcer les
individus à célébrer la diversité a
l’effet inverse »
142 À l’est, un automne démographique
143 Les prophéties de Kundera
144 Sale temps pour le bisou
146 Avancer seul, par Kamel Daoud
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 Le ticket nostalgie
Patrick Besson
L
ongtemps, je n’ai pas voulu accorder foi à
cette rumeur jusqu’à ce qu’elle devienne
une certitude : dans quelques mois, on ne
pourra plus acheter un ticket de métro à Paris.
On aura une carte. Une de plus. La vie de l’homme
du XXIe siècle : un château de cartes. Je sais pour-
quoi notre société ne tourne plus rond : les gens
intelligents se sont occupés à jouir de la vie, lais-
sant le pouvoir aux imbéciles qui n’ont fait que
des bêtises. On a une carte pour entrer dans son
parking, une autre pour prendre de l’argent au
distributeur, une troisième pour acheter des mé-
dicaments, une quatrième pour la Fnac, une cin-
quième pour le supermarché, une sixième pour
le spa, etc. Voyage sans cartes, avait écrit Graham
Greene en 1936 à propos de son expédition, dans
l’entre-deux-guerres, en Sierra Leone. Pour nous,
ce sont cartes sans voyage. Elles gonflent notre
portefeuille, devenu un porte-cartes, comme ce-
lui des marchands de bœufs des abattoirs de la
Villette au siècle dernier.
Vieillir, c’est assister au décès de ses parents,
puis à celui de ses amis plus âgés, et enfin à la dis-
parition des artistes qui nous aidaient à vivre,
qu’ils fussent musiciens, cinéastes, peintres ou
écrivains. Et, aujourd’hui, à celle du ticket de mé-
tro. Je ne me souviens plus de la première fois où
j’ai pris le métro seul, mais je n’avais sûrement pas
acheté tout un carnet, mon
père ne me donnait pas assez
d’argent de poche. J’ai dû em-
prunter un ticket à ma mère,
ce qui ne sera bientôt plus
possible. Je l’ai ensuite fait
poinçonner par le poinçon-
neur, autre disparu (en 1973).
MAGALI COHEN/HANS LUCAS VIA AFP
RIP le ticket.
Je te regarde avec mélancolie, mon ami ticket de métro,
le compagnon de mes allers discrets et de mes retours intraçables
dans Paris et sa banlieue.
Je te regarde avec mélancolie, mon ami ticket
de métro, le compagnon de mes allers discrets et
de mes retours intraçables dans Paris et sa ban-
lieue. J’étais le seul à connaître ma destination,
renseignement que je partagerai désormais avec
ma carte. Tu étais le sésame qui m’ouvrait toutes
les lignes : la 9 qui me sortait de Montreuil pour al-
ler dans son contraire – Auteuil –, la mystérieuse
7 b et son losange – Botzaris-Danube-Pré-Saint-Ger-
vais-Place des Fêtes –, la 10 qui sillonne le Sud et la
2 qui traverse le Nord, la 4 qui me laisse à Saint-Mi-
chel où j’achète des livres et à Saint-Germain-des-
Prés où j’en publie, la 12 qui me déposait chez ma
première épouse (Vaugirard), la 7 chez la deuxième
(place d’Italie), la 13 chez la troisième (place de Cli-
chy). Tu as longtemps hésité entre plusieurs cou-
leurs (écru, gris, jaune) avant de t’en tenir au blanc,
la couleur du deuil chez les reines et celle du bon-
heur chez les roturières qui se marient.
Le nombre de fois où, insouciant, je t’ai glissé
dans un composteur de la RATP avant de te voir
en ressortir, guilleret et comme neuf, heureux de
m’ouvrir tout Paris. Et ces pauvres touristes étran-
gers pour qui la vie parisienne était facile : ils ache-
taient un carnet de tickets et, quand il était épuisé,
en achetaient un autre. Il leur faudra désormais
discuter avec un fonctionnaire impatient pour
savoir quel type de carte de transport ils devront
acquérir à l’aide de leur carte
de crédit. Tu compliques tout
ce qui est simple, me disait
un jour une jeune femme
énervée. Alors que j’avais
l’impression inverse : je sim-
plifiais tout ce qu’il y avait
de compliqué chez elle.
Le Point 2570 | 11 novembre 2021 | 11
ÉDITORIAUX
L’Europe n’a rien à gagner à s’aligner sur la politique
américaine d’endiguement de l’influence de la Chine.
Face à Pékin, restons réalistes
par Gérard Araud
T
oute la zone de l’Indo-Pacifique,
de New Delhi à Los Angeles, est
le théâtre d’une gigantesque par-
tie d’échecs à l’initiative des États-Unis.
Face à l’émergence en apparence irrésis-
tible de la Chine, Washington joue sur
les inquiétudes que celle-ci suscite chez
ses voisins pour essayer de nouer avec
eux des relations de coopération qui
peuvent aller, comme avec l’Australie,
jusqu’à une alliance militaire de fait.
L’objectif évident des États-Unis est de
constituer dans l’environnement de la
Chine une série de coalitions sous leur
direction afin d’endiguer son influence.
La France doit s’interroger sur son rôle
en Asie ; il serait absurde d’espérer que ce
qui s’y passe n’aura aucune conséquence
en Europe. Sans débat au Parlement ni,
plus largement, dans le pays, la France a
envoyé en Asie, bien avant les Britan-
niques, un groupe aéronaval et un
sous-marin nucléaire d’attaque ; elle a
procédé à des opérations navales en mer
de Chine du Sud pour prouver qu’elle n’y
acceptait pas les prétentions territoriales
de Pékin ; elle a développé une active coo-
À l’anniversaire de Gérald Darmanin.
12 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
pération militaire et industrielle avec
l’Inde ; enfin, elle avait conclu un contrat
majeur d’armement avec l’Australie. Or
la voilà, aujourd’hui, exclue d’une coali-
tion militaire clairement antichinoise
dirigée par les États-Unis. Faut-il pour au-
tant le regretter ? Rejoindre le partena-
riat stratégique que viennent de conclure
Américains, Australiens et Britanniques
serait adhérer à une sorte d’ébauche
d’Otan asiatique dont l’ennemi est clai-
rement identifié. Déjà, certains à Paris se
font les avocats de cette politique : la Chine
prendrait la place de l’URSS de jadis. Il
s’agirait de s’aligner sur les États-Unis.
Ce n’est pas l’intérêt de la France.
Certes, nous sommes, par nos valeurs,
Nous pouvons consi-
dérer la Chine comme
un « rival systé-
mique » mais pas
comme un « ennemi ».
L’autre moitié du monde.
plus proches des États-Unis que de la
Chine ; certes, le régime de Pékin est dé-
testable ; certes, ses pratiques dans le Xin-
jiang et à Hongkong sont inacceptables,
mais la Chine n’est pas une menace di-
recte pour la sécurité de notre continent
comme l’étaient les Soviétiques. Nous
pouvons donc considérer la Chine, pour
citer l’UE, comme un « rival systémique »
mais pas comme un « ennemi ». Nous ne
devons manifester aucune naïveté face
aux intrusions chinoises dans les sec-
teurs sensibles de notre économie ; nous
ne devons pas rester sans réagir face aux
distorsions commerciales ; nous devons
rappeler nos valeurs, mais rien ne nous
oblige à doubler cette fermeté d’une pos-
ture militaire agressive en Asie.
De toute façon, à notre époque, la
­puissance ne se limite pas à l’envoi de
canonnières. Les enjeux politiques, éco-
nomiques, technologiques et financiers
sont aussi et sans doute plus détermi-
nants. Là comme ailleurs, rien ne nous
oblige à aligner notre politique dans la
région sur celle des États-Unis. La plu-
part des pays asiatiques nous en seront
ILLUSTRATION : JEAN POUR « LE POINT » – JU PENG/XINHUA VIA AFP
reconnaissants. En effet, ils ne veulent
pas d’un « rideau de bambou » en Asie
entre deux camps qui se feraient face.
Enfin, un dialogue direct avec Pékin
s’impose à nous, qu’il s’agisse de la France
ou de l’UE. La diplomatie, c’est parler
avec le diable si nécessaire. Nous sommes
parvenus, en d’autres temps, à un mo-
dus vivendi avec l’URSS. Il était fait de
vigilance et de fermeté, mais aussi pro-
gressivement de dialogue et de compré-
hension des « lignes rouges » de
l’adversaire. C’est à un même exercice de
réalisme que nous appelle la nécessité
de définir nos relations avec la Chine §

Emmanuel Macron dispose
de trois mois pour affirmer
son leadership européen.
Avec quatre priorités :
relance, gouvernance,
croissance, défense.
Les enjeux de la
présidence fran-
çaise de l’Union
par Nicolas Baverez
ILLUSTRATION : XAVIER GORCE POUR « LE POINT »
U
n an après la réussite exception-
nelle de la présidence allemande
– ponctuée par les accords sur
la mutualisation des vaccins contre le
Covid, le plan de relance de 750 milliards
d’euros, le budget de l’Union pour les
années 2021 à 2027 et le Brexit –, la France
s’apprête à prendre la tête du Conseil
européen au cours du premier semestre
2022. Et ce dans un moment à la fois sin-
gulier et critique.
Après avoir été tétanisée par la pre-
mière vague de l’épidémie de Covid,
l’Union a joué un rôle clé pour réassu-
rer les États et les banques, organiser
l’achat des vaccins, soutenir la relance
à travers le plan NextGenerationEU.
Mais, dans le même temps, les clivages
se sont creusés autour des principes de
gestion de l’euro, du respect des valeurs
démocratiques, de la réponse aux me-
naces stratégiques émanant des djiha-
distes, du totalitarisme chinois ou des
démocratures russe et turque. Les diver-
gences sont tout aussi fortes autour des
relations avec les États-Unis de Joe Bi-
den – après le désastre de Kaboul et la
trahison de Canberra – comme avec le
Royaume-Uni de Boris Johnson – qui
multiplie les violations des traités orga-
nisant le Brexit.
La présidence de l’Union coïncidera
par ailleurs avec l’élection présidentielle
française et avec la mise en place de la
nouvelle coalition qui gouvernera l’Al-
lemagne. Elle influera inévitablement
sur la campagne élyséenne, dès lors que
l’engagement européen est constitutif
de l’image d’Emmanuel Macron et s’af-
firme comme le principal actif de son
bilan en politique étrangère. Elle sera
aussi décisive pour le leadership de
l’Union après le départ d’Angela Mer-
kel, qui s’était imposée en Europe comme
dans le monde comme le seul pilote de
l’Union.
La présidence française se déroulera
dans un calendrier très contraint. Sa par-
tie utile s’achèvera en effet fin mars, en
raison de l’enchaînement des élections
présidentielle et législatives d’avril à
juin. S’il faut rester prudent, puisque
Emmanuel Macron ne dévoilera son
programme qu’au sommet européen
des 16 et 17 décembre, quatre priorités
devraient émerger : la consolidation de
la relance ; la gouvernance de la zone
euro ; la construction d’un modèle de
croissance plus soutenable et résilient ;
la sécurité du continent.
Après un démarrage laborieux, le dé-
ploiement du plan de relance s’est accé-
léré de manière très positive. Sa réussite
reste cependant loin d’être acquise et se
trouve menacée tant par l’opposition de
principe des Pays-Bas que par le conflit
ouvert avec la Pologne et la Hongrie au
sujet des principes de l’État de droit. Le
premier objectif de la France devra donc
être de regrouper les Vingt-Sept autour
de l’exécution efficace et rapide du plan
NextGenerationEU.
Dans la zone euro, la hausse de l’in-
flation – qui atteint 4,6 % en Allemagne –
exacerbe les tensions au sein de la BCE
concernant la poursuite des rachats de
dette, dont la Fed a annoncé la réduc-
tion. C’est dans ce contexte tendu qu’il
reviendra à la France d’engager la révi-
sion du pacte de stabilité, puisque la
clause d’exemption actionnée le 23 mars
2020 prendra fin le 1er janvier 2023. Les
critères fixés à Maastricht limitant à 3 %
du PIB le déficit et à 60 % du PIB la dette
publique sont caducs alors que leur ni-
veau moyen chez les Dix-Neuf dépasse
6 % et 100 % du PIB en 2021. L’euro ne
peut pas plus survivre sans discipline
budgétaire que sans solidarité finan-
cière. Mais les économies européennes
sont confrontées à de formidables be-
soins d’investissement pour s’adapter à
la révolution numérique et à la transi-
tion écologique. La seule solution
consiste dès lors à remplacer le …
Le Point 2570 | 11 novembre 2021 | 13
ÉDITORIAUX

… pacte de stabilité par un pacte de

soutenabilité. Encore convient-t-il d’en
imaginer les termes et les procédures.
Troisième chantier : l’adaptation du
modèle productif européen, dont la dé-
pendance aux États-Unis et à la Chine a
été soulignée par la pandémie. Côté nu-
mérique, l’accent sera mis sur la régula-
tion et la taxation des plateformes ; côté
transition écologique, sur la mise en
œuvre de la réduction de 55 % des émis-
sions d’ici à 2030 et sur la définition du
mécanisme d’ajustement carbone aux
frontières, qui a vocation à être opéra-
tionnel en 2023.
La France, de par son statut de membre
permanent du Conseil de sécurité, sa
maîtrise de la dissuasion et son modèle
complet d’armée, dispose enfin d’une
légitimité et d’une responsabilité parti-
culières dans le domaine de la sécurité Tu connais l’adage : son père en a sans doute une toute petite.
du continent. Ni le renforcement des
menaces ni le désengagement des États-
Unis du continent et leur instabilité po- Selon l’Insee, le taux de Ses partisans voient au contraire en
litique croissante n’ont convaincu nos pauvreté monétaire est lui un président des pauvres ayant mené,
partenaires, et notamment l’Allemagne, de la crise des Gilets jaunes jusqu’à celle
resté stable en 2020. En
de passer des paroles aux actes. Chacun du Covid, une politique extraordinaire-
donne sa propre interprétation de la no- partie grâce au « quoi qu’il ment active, généreuse et efficace de
tion d’autonomie stratégique euro- coûte »… et en dépit d’un soutien au pouvoir d’achat des Français
péenne, avec pour seul point commun les plus modestes. Ils en veulent pour
d’en exclure la dimension militaire. La
ressenti contraire. preuve les derniers indicateurs publiés
France ne doit pas renoncer à ses propo- par l’Insee qui contredisent l’estimation
sitions, qui sont justes, mais les faire
mieux partager, notamment à l’occa- Macron, des associations caritatives, largement
reprise dans les médias, selon laquelle
sion du sommet sur la défense annoncé
par Ursula von der Leyen, qui se tiendra président la pandémie aurait fait basculer dans la
pauvreté 1 million de personnes sup-
vraisemblablement à Toulouse en mars. plémentaires. D’après l’institut, le taux
En matière de diplomatie, la méthode des pauvres de pauvreté monétaire est resté stable
et le style comptent autant que le en 2020, à 14,6 %, le nombre de pauvres
contenu. La réussite de la présidence al- demeurant inchangé, à 9,3 millions.
lemande fut le fruit de la forte légitimité par Pierre-Antoine Cependant, comme en matière d’in-
d’Angela Merkel, de la solidité écono- ­Delhommais flation et de pouvoir d’achat, le ressenti
mique et financière de l’Allemagne, de de la pauvreté diffère sensiblement de
sa culture du consensus. La France a la réalité statistique. C’est ainsi que plus
beaucoup à apprendre dans ces trois do- de la moitié des pauvres, selon le critère

I
maines. Sa présidence de l’Union, dans l n’est au fond guère étonnant que du revenu, ne se déclarent pas, dans les
le contexte à haut risque de l’élection le bilan économique du quinquen- enquêtes, en situation de « privation ma-
ILLUSTRATION : TARTRAIS POUR « LE POINT »

présidentielle, ne produira de résultats
que si Emmanuel Macron passe de l’in-
jonction à la conviction, s’il rassure sur
la soutenabilité des finances publiques
de notre pays en mettant fin pour de bon
au « quoi qu’il en coûte », s’il se com-
porte en homme de compromis plutôt
qu’en facteur de discorde. La reconstruc-
tion de l’Europe comme puissance ne
se fera ni sans ni contre les Européens §
nat d’un président revendiquant une
« pensée complexe » se prête à des lectures
diamétralement opposées. Depuis le dé-
but de son mandat, Emmanuel Macron
est accusé par ses adversaires d’être le
président des riches pour avoir supprimé
l’ISF, instauré la flat tax sur les revenus
financiers, mesures à leurs yeux iniques
et inspirées par la funeste théorie du
ruissellement.
térielle » ; à l’inverse, plus de la moitié des
ménages disant être dans ce cas ne sont
pas des pauvres au sens monétaire.
Que le nombre de pauvres n’ait pas
augmenté durant la récession ne cons­
titue pas une réelle surprise au vu des
moyens financiers considérables ­engagés
par l’État pour en amortir le choc a­ uprès
des Français les plus modestes. L’Insee
estime que, sans l­ ’indemnisation …

14 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570

ÉDITORIAUX
… de l’activité partielle ni les aides
exceptionnelles accordées aux travail-
leurs indépendants et aux m ­ énages à
bas revenus, le taux de pauvreté aurait
augmenté de 0,6 point. Sans la politique
du « quoi qu’il en coûte », notre pays
compterait 400 000 pauvres de plus.
Ce n’est toutefois pas suffisant pour
faire d’Emmanuel Macron un champion
de la lutte contre la pauvreté. S’il est resté
stable en 2020 après avoir baissé en 2019,
le taux de pauvreté avait, en revanche,
nettement augmenté en 2018 (de 14,1 à
14,8 %) en raison de la baisse des alloca-
tions logement. Il apparaît surtout que
seuls l’assistanat et la distribution d’argent
public ont permis de contenir la pau-
vreté, mais que ses racines profondes, au
premier rang desquelles la sous-qualifi-
cation de la main-d’œuvre et le chômage
de masse, n’ont, elles, pas disparu.
Au petit jeu cruel des comparaisons,
le bilan d’un Donald Trump, par exemple,
se révèle bien meilleur. Le taux de pau-
vreté a reculé de 2,7 points aux États-
Unis en 2020 (à 9,1 %), grâce aux mesures
fiscales et sociales déployées face à la
crise. Et, sur l’ensemble de son mandat,
grâce cette fois à la forte croissance éco-
nomique et à la création de millions
d’emplois avant l’arrivée du Covid, il a
reculé de 5 points, une baisse sans pré-
cédent. Comme quoi les amis des pauvres
ne sont pas forcément ceux que l’on croit.
Être « en même temps » le président
des riches et le président des pauvres
n’est certes pas chose aisée. Même pour
Emmanuel Macron, et surtout dans un
pays comme la France, obsédé par les
inégalités et rongé par le virus du res-
sentiment, où s’attaquer aux grandes
fortunes paraît plus urgent et plus ver-
tueux que de combattre la misère et où
réduire le nombre de riches semble im-
porter davantage que de diminuer le
nombre de pauvres §
Le taux de pauvreté a
reculé de 2,7 points
aux États-Unis en
2020, à 9,1 % – contre
14,6 % en France.
16 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
L’écart de salaires entre
hommes et femmes n’est
pas forcément le fruit
d’injustices, mais résulte de
choix de vie différents.
Non, les femmes
ne travaillent pas
gratuitement
par Laetitia
Strauch-Bonart
C
omme chaque année, la lettre
d’information féministe Les Glo-
rieuses nous alerte sur la date fa-
tidique – en l’occurrence le mercredi
3 novembre à 9 h 22 – à partir de laquelle
les femmes travaillent supposément
« gratuitement » du fait des inégalités
salariales entre les sexes. Ce « calcul »
est cependant fondé sur un présupposé
fallacieux.
Pour appuyer leur assertion, Les Glo-
rieuses citent la différence de rémuné-
ration horaire brute moyenne des
hommes et des femmes salariés (en pour-
centage du salaire horaire brut moyen
des hommes salariés) telle que calculée
par Eurostat, qui s’élève cette année à
16,5 %. Cet indicateur agrège les reve-
nus des hommes et des femmes dans
tous les secteurs d’activité, à tous types
de postes, à tous niveaux de diplômes,
tout en ramenant l’ensemble de ces re-
venus au salaire horaire.
L’écart de 16,5 % s’explique essentiel-
lement par le fait que les femmes tra-
vaillent dans des secteurs moins
rémunérateurs que les hommes, et que
les postes de direction, mieux payés,
sont majoritairement occupés par des
hommes. Mais il ne permet en rien d’af-
firmer que les femmes, arrivées à 83,5 %
de l’année (100 % – 16,5 %), travaillent
gratuitement. Le prétendre reviendrait
à estimer que quels que soient leur ni-
veau de diplôme, leur secteur d’activité
et leur type de poste, les individus de-
vraient tous gagner le même revenu. À
Au bord de la crise de nerfs.
partir du moment où les revenus sont
différenciés selon ces critères, moins ga-
gner qu’une autre personne ne signifie
pas travailler pour rien, mais plutôt que
le jeu de l’offre et de la demande attri-
bue une valeur distincte à votre travail.
« Travailler gratuitement », dans ce
contexte, n’aurait de sens que si l’on exa-
minait la différence de salaires entre
hommes et femmes « à travail égal ». Cet
écart existe, mais il est bien inférieur à
16,5 %, puisqu’il se situe entre 5,7 % et
9 % selon les calculs. S’il peut en partie
s’expliquer par de possibles discrimina-
tions entre les sexes, deux autres hypo-
thèses semblent tout aussi pertinentes.
Comme il est d’autant plus important
que les revenus sont élevés, on peut sup-
poser qu’il provient de la propension des
hommes à davantage négocier leur sa-
laire dans les niveaux hiérarchiques éle-
vés. Deuxième possibilité, selon
l’économiste américaine Claudia Goldin,
la quasi-entièreté de l’asymétrie salariale
peut être ramenée à la différence de temps
accordé par les femmes à leurs enfants
dès la grossesse. En d’autres termes, il n’y
a pas tant inégalité entre hommes et
femmes qu’entre hommes et mères.
Cette analyse implique deux observa-
tions. Que les femmes se dirigent vers
des secteurs et postes moins rémunérés
(les secteurs relationnels, liés aux « per-
sonnes », plutôt que les secteurs techno-
logiques, liés aux « choses ») n’est pas tant
le signe d’une injustice que le fruit d’un
choix authentique. Par ailleurs, on re-
SEBASTIEN CALVET/REA
marque qu’en moyenne les hommes sont
davantage prêts à sacrifier leur vie per-
sonnelle à leur carrière. L’écart de reve-
nus tous postes confondus n’est donc que
le reflet de ces différences de préférences §
 Photo : Flavien Carlod et Baptiste Le Quiniou, non contractuelle. TASCHEN.

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 Le point de la semaine
Par Michel Revol, Fabien Roland-Lévy et les services du « Point »

EN FORME

Martin Bouygues
69 ans - Son groupe réalise
la plus grosse opération
de son histoire en rachetant Equans,
filiale d’Engie, pour 7, 1 milliards
­d’euros. L’activité de services
­devient son premier métier.

Frédéric Soulier
55 ans - Le maire de Brive
peut se féliciter du succès À Touques (Calvados),
de la 39e Foire du livre dans sa ville, le 23 octobre.
qui a accueilli 300 auteurs,
dont les lauréats du Goncourt
et du Renaudot. Protection renforcée pour Zemmour
Kahina Bahloul Pour assurer la sécurité du candidat potentiel à la présiden-
42 ans - L’imame a reçu
le premier prix Mare Nostrum, tielle, un appel à candidatures a été lancé au sein du service
qui veut ­promouvoir la production
littéraire méditerranéenne,
de la protection (SDLP). Jusqu’à présent, le polémiste
pour Mon islam, ma liberté était classé au niveau 4 de la menace. À ce titre, seuls deux
(­Albin Michel).
­policiers l’accompagnaient : un conducteur au volant
d’un véhicule du ministère de l’Intérieur et un officier

HAMILTON/RÉA – SAGET/AFP – GUAY/AFP – APS MEDIAS/ABACA – BALTEL/SIPA – DAHER/HANS LUCAS – ALLARD/RÉA

EN PANNE
Alexandre Benalla
30 ans – L’ex-chargé de mission
à l’Élysée écope de trois ans
de prison (deux avec sursis)
pour les violences commises
le 1er mai 2018 et l’usage de faux
­documents. Il fait appel.
Brigitte Bardot
87 ans – L’actrice, qui avait
qualifié en 2019 les Réunionnais
d’« autochtones ayant gardé
leurs gènes sauvages »,
a été condamnée à 20 000 euros
pour injures raciales.
Rokhaya Diallo
43 ans – La militante féministe a
perdu son procès contre l’essayiste
Céline Pina, qui avait dénoncé
son « racisme », son « sexisme »
et sa « proximité avec la mouvance
islamiste » dans une tribune.
de sécurité (OS)*. Son poids dans le débat politique modifie
la donne : le SDLP lui alloue désormais deux OS de plus
lorsqu’il se déplace en province. L’appel à candidatures a
remporté un franc succès : près de la moitié des 75 policiers
de la division des missions temporaires (DMT) a postulé.
« Ils ne partagent pas tous les idées de leur VIP, mais pour eux
c’est un pari : tous les candidats victorieux ont intégré leurs OS
au groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR),
c’est le graal lorsqu’on est au SDLP », précise un officier.
Éric Zemmour n’a pourtant pas bonne réputation au sein
du SDLP. En septembre, une fonctionnaire de police
s’est plainte à sa hiérarchie que « Z » r­ echigne à porter
un masque sanitaire en voiture. De même, il sortait
du véhicule de manière intempestive, sans laisser le soin
à l’OS d’évaluer la situation avant d’ouvrir la portière.
Un commissaire a dû le raisonner § A. Z.
*
La Cour des comptes évalue à 72 000 €/an le coût d’un OS. Le carburant est à la charge de la police.

18 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570

 8 %
TWEETOSCOPIE LE CHIFFRE DE PIERRE-ANTOINE DELHOMMAIS

@SANDRINE ROUSSEAU SE PREND LES PIEDS DANS LE VOILE

À l’ex-candidate à la primaire écolo, qui défend face à elle la campagne
pro-hijab du Conseil de l’Europe *, la féministe laïque Fatiah
­Agag-Boudjahlat lance  : « Madame, essayez de déconstruire votre privilège
de blanche bourgeoise ». (LCP, 4 novembre).
Ce que @sandrousseau admet :
« JE SUIS EN EFFET UNE BOURGEOISE BLANCHE.
ET CELA ME PERMET D’AVOIR DES PRIVILÈGES. »
(Twitter, 5 novembre )
Après cette concession, la combattante écoféministe
retrouve ses bons vieux réflexes du wokistan :
des Européens ne peuvent se chauffer suffisamment
Selon Eurostat, 8 % de la population de l’Union
européenne n’a pas eu les moyens de chauffer
convenablement son logement en 2020.
Cette proportion s’élève à 27 % en Bulgarie,
23 % en Lituanie, 17 % au Portugal et en Grèce, mais elle
n’est que de 1,8 % en Finlande, 2,2 % en République
tchèque et 2,7 % en Suède. Elle se situe à 6,5 % en France,
où, d’après une étude de la société de rénovation
énergétique Effy, la facture de chauffage moyenne
des ménages s’est établie à 1 684 euros en 2020.

« DEPUIS 2 JOURS EN TT ** POUR AVOIR DÉFENDU L’«indice baguette» au fil des années
Évolution du prix d’une baguette de 250 grammes
LE DROIT DES FEMMES À S’HABILLER COMME ELLES en France et temps de travail nécessaire
LE SOUHAITENT LE RACISME ET LE SPECTRE pour en acheter une
1€
DU FASCISME SONT LÀ ET… JE NE ME TAIRAI PAS. » Prix en euros
10
(Twitter, 6 novembre )
0,8 €
Raciste et fasciste, la républicaine Fatiah Agag-Boudjahlat ?
7,2
*
Retirée sous la pression de l’Allemagne et de la France. 0,6 €
6 6 5,7
**
TT pour « trending topics », sujets dominants. 5,2
0,4 €
Temps de travail
Hidalgo refuse refusé de s’y intéresser en 2012 : pour acheter
de comploter contre Faure « François Hollande m’avait proposé 0,2 € une baguette,
Au début de l’été, Hélène Geoffroy, de devenir première secrétaire », en minutes*
maire de Vaulx-en-Velin, a proposé confie-t-elle. Se décidera-t-elle
à Anne Hidalgo (à dr.) de s’allier au prochain congrès, fin 2022 ? 0€
à elle pour renverser Olivier Faure 1970 1980 1990 2000 2010 2021
* Basé sur le smic horaire brut au premier
(à g.) au congrès du PS, en semestre des années indiquées. Source : Statista.
septembre. « On pouvait gagner grâce Barnier fait peur… à Ferrand
aux grands maires qui la soutiennent », Faut-il avoir peur de Michel
assure un proche de Geoffroy. Barnier ? Un pilier de la macronie, « Je suis décidé
Mais Hidalgo n’aime pas se mêler où l’on se méfie généralement
des affaires du parti. Elle avait déjà davantage de Xavier Bertrand, à taper au portefeuille. »
répond oui : il s’agit de Richard Arnaud Montebourg, p  rovoquant l’indi-
MONIER/AFP – DE SAKUTIN/AFP – SAGET/AFP (x2)

Ferrand. Le président de gnation de la gauche pour avoir proposé

l’Assemblée nationale a fortement
mis en garde son camp,
ces derniers temps, sur le profil
à risque de l’ancien négociateur
du Brexit. Ferrand considère
que l’expérience et la volonté
d’apaisement du candidat à
la primaire LR peuvent en faire
un rival très dangereux pour
le chef de l’État. Pas les autres ?
de bloquer les transferts d’argent privé
vers les pays qui refusent de rapatrier
leurs ressortissants visés par une
mesure d’expulsion du terri-
toire français. Il a depuis évo-
qué une « incompréhension »
(Grand Jury
LCI/RTL/
Le Figaro,
7 novembre).
LE POINT DE LA SEMAINETECH&NET

La french tech attire de plus en plus les investisseurs étrangers Les plus gros acquéreurs de start-up
Part des levées de fonds dans les start-up françaises par origine géographique françaises sont américains
Étrangers Top 10 des plus gros acquéreurs de start-up
35 % françaises depuis 2017, en milliards d’euros

30 % Permira 1,45

BlackRock 1,32
25 %
SilverLake 1,30

20 % Eurazeo 0,62
Répartition des
Tikehau Capital 0,51 investissements du
15 %
top 10 depuis 2017,
Amérique du Nord Cegid 0,45 en milliards d’euros
10 % BC Partners 0,38
Royaume-Uni
Américains 2,89
5% Boe 0,36
Allemagne Français 1,86
Asie Britanniques 1,83
Altice 0,28
0%
Chinois 0,36
2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021** Getaround 0,27

315 Ces sociétés pourraient bien devenir des licornes

Top 20 en fonction du montant de leur dernière levée de fonds, en millions d’euros
142 140
104 100 100 100 90 84 82

80 77 72 72 70 70 63 63 50 36

* Entreprises non cotées valorisées plus d’un milliard de dollars. **Seulement les trois premiers trimestres pour 2021. Source : Avolta Partners.

Ces pépites que le monde entier nous envie

Connaissez-vous In-Q-Tel ? Créé en 1999
par la CIA, ce fonds a pour mission de re-
pérer et de financer des entreprises conce-
vant des technologies originales pouvant
être adaptées à la communauté améri-
caine du renseignement. Basé en Virgi-
nie, In-Q-Tel a par le passé déjà investi, en
France, dans Viadeo ou le spécialiste du
paiement Gemalto. D’après Les Échos, In-
Q-Tel serait également entré au capital de
Prophesee, une start-up qui fabrique des
rétines artificielles capables de percevoir
des choses qui échappent aux caméras
traditionnelles, et a lorgné un temps le
champion de l’analyse d’images Preligens.
«  Déverser des fonds, c’est bien, mais il faut
surtout donner à ces entreprises stratégiques
vation de rupture. Bonne nouvelle, notre
pays voit se multiplier en ce moment le
nombre de licornes, ces entreprises non
cotées et valorisées plus de 1 milliard de
dollars. « Leur nombre pourrait atteindre 25
avant la fin de l’année», estime Patrick ­Robin,
cofondateur de la banque d’affaires Avolta
Partners, qui a identifié 20 futures pro-
bables licornes (voir ce « next 20 » dans le
graphique). Si leur financement est moins
avancé, d’autres sociétés ont un potentiel
stratégique de la plus haute importance,
Le robot
pompier
de Shark
Robotics va là
qu’il faut protéger. C’est le cas par exemple
de CybelAngel, un champion de la cyber­
sécurité au même titre que Hackuity,
­Sekoia ou Tehtris, créé par l’ex-agent se-
cret Éléna Poincet. La société de visuali-
sation Linkurious a joué un rôle de tout
premier plan dans les Panama Papers, tout
comme Unseenlabs, qui détecte les si-
gnaux de radiofréquence depuis l’espace
pour identifier par exemple les bateaux
pirates. À suivre également : ­Deepomatic,
qui, s’appuyant sur l’expertise de l’Inria,
permet de reconnaître le terrain avant
une intervention, le fabricant d’automates
Shark Robotics, fabricant de robots ter-
restres qui sont intervenus dans l’incen-
die de Notre-Dame, ou encore Quandela
SHARK ROBOTICS

un réel marché domestique européen, et utili- où l’homme et CryptoNext-Security, qui planchent

ser massivement la commande publique », ex- ne peut aller. sur la cryptographie quantique de demain,
plique André Loesekrug-Pietri, le président une technologie clé pour protéger nos
de Jedi, une initiative européenne d’inno- données § PAGE RÉALISÉE PAR GUILLAUME GRALLET
20 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
MHD - RCS NANTERRE 337 080 055

LA QUINTESSENCE DU WHISKY
Seuls les fûts les plus rares de distilleries ancestrales sont suffisamment précieux pour entrer dans la composition
de Blue Label. Un travail de sélection minutieux qui, associé au génie du Maître Assembleur, font de Blue Label
un whisky à la profondeur et la complexité aromatique rares… et lui confèrent son statut d’icône internationale.

L’A B U S D ’A LC O O L E S T D A N G E R E U X P O U R L A S A N T É . À C O N S O M M E R A V E C M O D É R A T I O N.
LE POINT DE LA SEMAINESCIENCES

Chine : la conquête spatiale, tambour battant !

Wentian Shenzhou
La station spatiale Module d’expérimentation. Véhicule de transfert
chinoise Tiangong, Lancement prévu en mai-juin 2022. des équipages,
en cours de construction amarré à la station.
37 mètres de longueur
100 tonnes environ
(moins d’un quart
de la masse de l’ISS)
Panneaux
Au moins dix ans de durée de vie
solaires

Tianzhou
Vaisseau-cargo ravitailleur,
vu en position d’amarrage.

Tianhe Mengtian
« Harmonie céleste » Module d’expérimentation
Module central et de contrôle, scientifique. Lancement prévu
Panneaux lieu de vie des astronautes (50 m3). en août-septembre 2022.
solaires C’est le seul module en orbite
à ce stade.

La fusée Longue Marche 5B Sources : Nature, médias d’État chinois, AFP, Reuters.
et le futur lanceur Longue Marche 9

LONGUE MARCHE 9
(PROJET POUR 2030) Cette fusée devrait LONGUE
10 mètres de diamètre être réutilisable au
Alors que l’avenir de la Station tiale habitée de l’empire du
MARCHE 5B spatiale internationale (ISS), Milieu. Quant à la feuille de
98 à 108 mètres de hauteur moins en partie
5 mètres de diamètre au-delà de 2024, est encore route de ces taïkonautes, elle
Troisième étage 54 mètres de hauteur très incertain, la Chine, cava- consiste essentiellement à
Quatre moteurs Deux moteurs lier solitaire de la conquête ­superviser la construction de
à hydrogène liquide à hydrogène liquide spatiale, a déjà pris la relève. la station, qui doit être dotée
cryogénique Grâce à son lanceur lourd de deux modules supplémen-
Deuxième étage
Longue Marche 5B, elle a posé, taires dévolus à l’expérimen-
Deux moteurs Quatre boosters le 29 avril, la première pierre tation d’ici à octobre 2022. Un
à hydrogène liquide au kérosène de sa nouvelle station spatiale projet qui offre à la République
Premier étage nationale. Bien qu’encore populaire de nouveaux tro-
Quatre moteurs constituée de son seul module phées symboliques, comme
au kérosène principal Tianhe (« Harmonie la première sortie extravéhi-
céleste »), cette base orbitale culaire d’une Chinoise dans
Charge utile, en tonnes
modulaire en devenir a déjà l’espace – qui a duré plus de
130 En orbite basse 22 accueilli ses deux premiers six heures dans la nuit du 7 au
15 à 50 Vers la Lune équipages. Le premier, com- 8 novembre. Un premier pas
12 à 44 Vers Mars posé de trois hommes, y a avant le débarquement chinois
Poussée au décollage ­séjourné durant trois mois du sur la Lune, en vue d ­ uquel le
Quatre boosters
10 573 kN* 17 juin au 17 septembre, le pays planche sur un nouveau
au kérosène
Être humain ­second – deux hommes et une lanceur super lourd Longue
Poussée au décollage femme – a pris la relève le Marche 9, qui conserve encore
Environ 55 000 kN* à l’échelle
15 octobre pour six mois, soit une bonne part de m ­ ystère §
* 1 kN (kilonewton) : force égale au poids d'un objet de 100 kg. la plus longue mission spa- CHLOÉ DURAND-PARENTI

22 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570

 Le temps du CO2 est révolu.
Il est temps d’accélérer la transition
vers un monde post-carbone.
La COP26 représente une opportunité
unique pour notre génération.
Chez Lombard Odier, nous développons
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la CSSF au Luxembourg et sa succursale en France par l’ACPR et l’AMF. ©2021 Lombard Odier Tout investissement est exposé à une diversité de risques. Veuillez vérifier avec votre conseiller en investissement avant d’effectuer une quelconque transaction.
LE POINT DE LA SEMAINE
CARNET
Prix
Pour sa 10e édition,
le prix Émile-
Perreau-Saussine,
qui récompense
l’œuvre d’un
chercheur de moins
de 40 ans en sciences politiques
publiée en français, a été décerné
à Adrien Louis pour Les meilleurs
n’auront pas le pouvoir (PUF).
Le prix de Flore a été remis à Abel
Quentin pour Le Voyant d’Étampes
(L’Observatoire).
Honneur
Jean-Paul Agon, président de
L’Oréal, a reçu le prix du « Cou-
rage contre la haine » de l’Anti-De-
famation League. Il récompense
l’engagement du groupe français de
cosmétiques en faveur de la diver-
sité et de la lutte contre les discrimi-
nations. C’est la première fois qu’un
dirigeant et une entreprise française
obtiennent ce prix prestigieux.
Vatican
Nommée par le pape François, la
sœur franciscaine Raffaella Petrini
devient la première femme à la tête
du gouvernorat du Vatican.
Lumières
La chanteuse Clara
Luciani donnera
le coup d’envoi
des illuminations
de Noël sur
les Champs-Élysées
le 21 novembre.
Enchères
Quentin Tarantino va mettre
aux enchères sept scènes inédites
de son film culte Pulp Fiction
sous la forme de NFT (certificat
d’authenticité numérique).
Tennis
Vainqueur pour la sixième fois
du tournoi de Paris-Bercy,
Novak Djokovic a décroché
un 37e titre en Masters 1000.
Il terminera l’année n°1 mondial
pour la septième fois.
PAGE RÉALISÉE PAR JEAN-MARC TURC
24 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
DÉCÉDÉS
Jacques Limouzy
95 ans. Après des études de droit, il intègre
l’ENA (1958) et commence une longue car-
rière en politique. Nommé secrétaire d’État
chargé des R­ elations avec le Parlement dans
le gouvernement de Jacques Chaban-Del-
mas en 1969, puis dans celui de Raymond
Barre en 1978, il fut également secrétaire
d’État auprès du ministre de l’Éducation na-
tionale en 1974 dans le gouvernement Mess-
mer, sous la présidence de Pompidou. Figure
du gaullisme, il était très impliqué au niveau
local. Maire de Castres, sa ville natale, entre
1971 et 1977 puis entre 1989 et 1995, il a éga-
lement été député RPR du Tarn et conseiller
général. Journaliste et écrivain, il a fondé
l’hebdomadaire départemental d’informa-
tion politique La Semaine de Castres.
Jean Pierson
80 ans. Diplômé de l’École nationale supé-
rieure de l’aéronautique, il débute comme
ingénieur à Sud-Aviation en 1963, où il par-
ticipe au projet Concorde. Il devient admi-
nistrateur gérant du consortium Airbus
Industrie de 1985 à 1998. Surnommé l’Ours
des Pyrénées, cet homme à la stature impo-
sante, réputé pour ses coups de gueule, su-
pervise le lancement des programmes A330
et A340 et la mise en service de l’A320, court-
moyen-courrier aux commandes de vol élec-
triques, en 1988. Également à l’origine du
gros-porteur A380 lancé en 2000, il a contri-
bué à faire d’Airbus l’un des deux acteurs
majeurs de l’aviation commerciale.
Marilia Mendonça
26 ans. Chanteuse brésilienne.
Le décès, dans un a­ ccident
d’avion, de cette étoile du ser-
tanejo – un genre musical
proche de la country et très
populaire au Brésil – a suscité
une vague d’émotion et de
nombreux hommages, du président Bolso-
naro au footballeur Neymar.
Francis Darroze
85 ans. Figure de la gastronomie, petit-fils
du fondateur du restaurant Darroze à
­Villeneuve-de-Marsan. Il était le père de la
cheffe étoilée Hélène Darroze.
WILL DIAS/AP/SIPA – JEAN BERNARD VERNIER/SYGMA VIA GETTY IMAGES – AFP
François Yvinec
89 ans. Homme d’affaires et ancien président
du Stade brestois de 1981 à 1991. Poursuivi
en justice après le dépôt de bilan du club en
1991, il avait été condamné à un an de pri-
son avec sursis en 1999.
François Alaphilippe
79 ans. Cocréateur du Centre de droit et
­d’économie du sport et président de la
­Fédération française de cyclisme entre 1989
et 1993.
Dean Stockwell
85 ans. Le héros de la série Code Quantum
avait remporté deux prix d’interprétation à
Cannes.
pour que le monde change,
il faut changer les matériaux.

Pour prendre la route d’un monde plus durable, il faut aussi faire le plein de matériaux innovants.
Chez Arkema, nous proposons une large gamme de matériaux pour l’écosystème des batteries
et des solutions qui participent au développement de l’hydrogène. Ainsi, dans la mobilité comme
dans bien d’autres domaines, Arkema allie innovation et contribution positive.
Arkema. Matériaux innovants pour un monde durable.

©Hervé Plumet |

arkema.com
LE POINT DE LA SEMAINEARGENT

Deux premiers fonds BOURSE

de crowdfunding immobilier
La palette de placements pour investir dans pour le moment, le seul établissement à pro-
la pierre ne cesse de s’élargir. À côté de l’in- poser de tels fonds, est de distribuer au terme
vestissement en direct, des placements dits de quatre ans, prolongeable un an, un taux
« pierre papier » (SCPI, OPCI) ont fleuri des de rendement annuel de 6 % net de frais de
clubs deals, du crowdfunding immobilier gestion. Sachant qu’aucune distribution
et, depuis peu, des fonds investissant dans n’intervient quasiment avant le terme, sauf Steve Freedman
les obligations émises par les promoteurs remboursements non réinvestis des actifs Pictet A. M.
de programmes financés par l’intermé- sous-jacents. Les frais d’entrée sont de 0 %
diaire d’une plateforme de crowdfunding en cas de souscription directe, mais peuvent Après une performance
(appelé aussi financement participatif). Tous aller jusqu’à 1,5 % si l’épargnant passe par un peu décevante
ces derniers instruments ont pour caracté- un autre distributeur (banque privée, conseil- au premier semestre,
ristique de participer au financement d’opé- ler en gestion de patrimoine…). pourquoi investir dans
rations immobilières réalisées par des Comme pour une opération en direct, le un fonds « smart cities » ?
promoteurs en quête d’un autre mode de risque de perte en capital existe si le promo- Ce fonds investit sur une

408,1
­financement que le crédit ban- teur fait faillite ou si l’opération ­tendance longue : la nécessité
caire. Ils ont aussi comme parti- financée se révèle désastreuse. de répondre au défi d’une
cularité – ce qui n’est pas « Il est parfois difficile de savoir si ­urbanisation toujours
commun pour un placement im- le financement accordé conforte le croissante – 70 % de la
mobilier – de ne pas générer de promoteur en lui augmentant sa population mondiale vivra
revenus fonciers et, donc, de ne millions d’euros trésorerie, met en garde Quentin dans des ­métropoles en
pas entrer dans le patrimoine C’est le montant collecté Romet. La mutualisation permet 2050, contre 55 % en 2020 – en
imposable à l’impôt sur la for- par le crowdfunding de diminuer le risque. » réduisant les émissions de gaz
tune immobilière (IFI). immobilier au Le premier fonds, aujourd’hui à effet de serre et en améliorant
er
L’initiative revient à la société 1  semestre 2021 (+ 122 % clos à la souscription, a recueilli la qualité de vie des habitants.
de gestion Tikehau Capital qui par rapport aux six 25 millions d’euros auprès d’in- Une thématique qui, dans
a construit des fonds d’obliga- premiers mois de 2020). vestisseurs dits « avertis ». Le les prochains mois, devrait
tions à partir de programmes ­second vise 50 millions. profiter de la mise en place des
de promotion immobilière figurant sur la D’autres intervenants préfèrent maîtri- plans de relance liés à
plateforme de financement participatif ser l’intégralité de l’opération et construire l’infrastructure verte ainsi que
­immobilier Homunity, plateforme qu’elle un placement à partir des investissements d’une reprise plus ample de la
a rachetée en janvier 2019. L’intérêt du qu’ils réalisent. Que ce soit sous la forme construction.
­crowdfunding pur et dur est que ses clients d’un fonds professionnel de capital inves- Le développement
accèdent à une soixantaine de programmes tissement (FPCI), qui regroupe trois ou quatre du télétravail ne modifie-t-il
au travers d’un seul véhicule, là où il fau- opérations, ou d’un club deal autour d’une pas la donne ?
drait que l’épargnant se connecte soixante seule opération. Leur performance annon- Il ne remet pas en cause la
fois pour saisir les mêmes opportunités. cée est légèrement supérieure (respective- croissance des villes, il plaide
« La rapidité avec laquelle il faut se ­décider rend ment 7 à 8 % pour les premiers, 10 % pour seulement pour une urbanisa-
très souvent ces investissements compliqués et, le second), mais le montant d’investisse- tion plus décentralisée.
donc, difficilement accessibles », commente ment requis est lui aussi beaucoup plus Sur quelles thématiques
Quentin Romet, président et c­ ofondateur élevé : 100 000 euros au minimum pour les vous êtes-vous renforcés ?
de Homunity. FPCI et plus de 300 000, voire 500 000 euros Les bâtiments intelligents et
L’ambition de Tikehau Capital, qui est, pour le second § PAGE DIRIGÉE PAR LAURENCE ALLARD les solutions financières.
Mais nous investissons aussi
sur les groupes qui proposent
Le poids du crowdfunding immobilier des solutions d’aide à la
construction, de mobilité…

468  115,2  9,2 %  302  52 %  Des exemples de titres ?

Sika, une entreprise qui amé-
liore la durabilité du béton,
GUILLAUME MEGEVAND/SP

C’est le nombre millions d’euros C’est le taux C’est le nombre C’est la part Carrier, une société spécialisée
de projets C’est le montant de rendement moyen de l’immobilier dans le chauffage et l’air condi-
financés au remboursé aux annuel moyen. d’investisseurs dans le financement tionné, Schneider Electric qui
1er semestre 2021 investisseurs par collecte. participatif. optimise la gestion de l’éner-
(+ 104 %). (+ 50 %). gie, ou Upstart, une fintech
SOURCE : BAROMÈTRE DU CROWDFUNDING IMMOBILIER. qui facilite l’accès au crédit §
26 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
LE POINT DE LA SEMAINEARCHITECTURE/IMMOBILIER
65 %
C’est la part que représentent les stu-
dios et les deux-pièces dans le parc
d’habitation du 2e arrondissement
de Paris, selon une étude du groupe
immobilier Engel & Völkers.
28 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
La nouvelle aile a permis
l’ajout des silos au parcours
muséal. Un espace
monumental à parcourir
via un escalier en terracotta.
Paris : moins c’est plus.
Au cœur de la capitale, vers
les grands boulevards et à la
pointe du compas de la Ville
Lumière, la moitié des appar-
tements du 2e arrondisse-
ment n’excèdent pas
40 mètres carrés. « Les petites
surfaces les plus abordables se
Duisbourg :
les silos muséaux du MKM
Rouge dehors, blanc dedans. Dans le port intérieur de Duisbourg,
à la confluence de la Ruhr et du Rhin, les « starchitectes » suisses
Jacques Herzog et Pierre de Meuron viennent d’agrandir le mu-
sée Küppersmühle (MKM), écrin industriel qu’ils avaient déjà
réinventé il y a une vingtaine d’années. Parée de briques, la nou-
velle aile, déployée sur 7 500 mètres carrés, s’est greffée à l’extré-
mité des hauts silos à grains fraîchement rénovés et désormais
intégrés au parcours muséal. Elle y ajoute 36 salles d’exposition
réparties sur 2 500 mètres carrés, célébrant toujours l’art alle-
mand des années 1950 à nos jours. La séquence architecturale
alterne trois parties différentes étagées sur une trentaine de
mètres de hauteur. L’approche minimaliste et l’exigence des fi-
nitions pour chaque matériau employé ? La marque de fabrique
du duo bâlois, couronné du prix Pritzker, le Nobel du genre, en
2001. Les visiteurs pourront arpenter la spirale sans fin d’un es-
calier en terracotta, et rejoindre des plateformes situées au som-
met des silos, belvédères offrant de splendides vues panoramiques §
situent dans le quartier de
Bonne-Nouvelle, accessibles à
11 900 €/m2, indique Magali
Benhaim, directrice commer-
ciale Engel & Völkers Paris
de la rue de la Paix et de la place
Vendôme. Ici, les prix
de la pierre dépassent souvent
15 000 €/m2. Mais les records
sont atteints aux abords des jar-
Centre. Place des Victoires, dins du Palais-Royal et des Tui-
SIMON MENGES
galerie Vivienne, quartier Gail- leries, où le seuil des 20 000 €/
lon… Le triangle d’or du 2e ar- m2 peut être franchi » §
rondissement bénéficie de l’aura PAGE DIRIGÉE PAR BRUNO MONIER-VINARD
Nouvelles Perspectives
Imaginez un garde-temps mécanique conçu avec minutie,
inspiré de la tradition japonaise,
intégrant une touche de modernité.
Cette montre est là.
Presage

Un garde-temps mécanique, qui rend

hommage à la tradition japonaise.
FRANCE
Le projet de Le Maire
Exclusif. Le ministre de l’Économie et des Finances publie un livre
surprise, Un éternel soleil (Albin Michel). Menace des Gafam sur
la démocratie, malaise occidental, atouts de la France… Entretien.
PROPOS RECUEILLIS PAR ÉTIENNE GERNELLE ET SÉBASTIEN LE FOL
«L
’automne, déjà ! – Mais pourquoi regretter un éternel soleil,
si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine,
– loin des gens qui meurent sur les saisons. » C’est sous le
signe de Rimbaud que Bruno Le Maire a placé son nouveau
livre, Un éternel soleil (Albin Michel), le deuxième ouvrage qu’il
publie cette année. L’annonce de cette parution a surpris jusqu’à
l’Élysée. Ce manifeste contre « la funeste obsession pour le déclin »
veut servir de corpus pour l’élection présidentielle. Le ministre
de l’Économie et des Finances, qui soutiendra Emmanuel Macron,
croit aux vertus de la « tempérance ». Celle-ci l’emportera, selon
lui, sur la radicalité. Le Maire avance des pistes pour rendre le
gouvernement du pays plus efficace et plus simple. Et dessine
une nouvelle mission pour la France : résister aux géants du nu-
mérique. Il s’en expliquera à Futurapolis Planète, le grand évé-
nement que Le Point organise à Toulouse du 25 au 27 novembre.
Le Point : Humble et modeste, ainsi vous dépeignez-vous
dans votre nouveau livre. À vous lire, vous seriez devenu
le porte-parole des chauffagistes, des shampouineuses et
des secrétaires de direction, que vous mettez en scène.
Bruno Le Maire : Le livre s’ouvre par la rencontre avec une
femme, Annie, qui était venue me voir avec ses factures im-
payées lorsque j’étais député. Quelques années plus tard, elle
a rejoint les Gilets jaunes. N’est-ce pas une leçon ? Lorsqu’on
est un responsable politique, on doit écouter et entendre. La
corde de rappel de la vie politique, ce sont les Français.
Et l’humilité ?
Plus je vois le débat politique aller vers la confrontation, le
clash, le buzz, plus je suis convaincu que nous avons besoin
de simplicité et d’humilité. Je crois de plus en plus à la tempé-
rance. La vie politique est saturée par l’excès.
Pourquoi le bilan du quinquennat est-il si peu débattu ?
Nos adversaires ne parlent pas de notre bilan car il est bon !
Dans le champ économique, nous avons le taux de chômage le
plus faible depuis 2008 et un des meilleurs niveaux de crois-
sance de la zone euro. Nous sommes devenus le pays le plus at-
tractif pour les investissements étrangers en Europe. Nous
avons obtenu une taxation des géants du numérique pour la-
quelle je me suis battu depuis 2017. Enfin, avec le président de
la République, nous venons de dégager au G20 100 milliards de
dollars pour les pays en développement, résultat essentiel pour
30 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
éviter des flux migratoires massifs dans les années qui viennent.
Est-ce que, pour autant, nous avons tout fait bien ? Bien sûr que
non. Nous avons commis des erreurs : faire converger le prix
du diesel vers celui de l’essence tout en mettant en place une
augmentation de la taxe carbone a été vécu comme une double
peine par les Français les plus modestes. Les catégories popu-
laires ne doivent pas payer le prix de la transition énergétique.
Je fais d’ailleurs des propositions dans mon livre en ce sens.
Vous évoquez vos regrets. Mais la réforme de l’État n’est-
elle pas plutôt un remords ?
Non. Nous avons supprimé l’ENA et le cumul des mandats,
lancé le grand débat, réuni une convention citoyenne sur le
climat, relocalisé les services publics dans les territoires… Ces
décisions sont encore partielles, mais elles vont dans la bonne
direction. Il est impératif de transformer en profondeur le
fonctionnement de nos institutions. Elles doivent être plus
exemplaires, plus rapides et plus efficaces.
Vous pensez que le fait de déplacer le Conseil des
ministres le lundi, comme vous le préconisez, ou de
réduire le nombre de ministres peut réellement
transformer le fonctionnement de l’État ?
Tout a changé dans la vie des Français. Le seul endroit où rien
ne change, c’est la vie politique. Trouvez-vous normal que le
Parlement passe trois mois pleins à examiner le projet de loi
de finances mais quelques jours seulement sur la loi de règle-
ment, celle qui contrôle l’application de la loi de finances ? On
doit pouvoir raccourcir le délai d’examen des lois et renforcer
le pouvoir de contrôle des parlementaires.
Ne faudrait-il pas surtout davantage disperser le pouvoir,
sortir de cet « absolutisme inefficace », selon l’expression
de Jean-François Revel ?
Disperser le pouvoir, est-ce vraiment efficace ? La France a be-
soin d’un chef. Mais elle a aussi besoin de contre-pouvoirs puis-
sants. L’Assemblée nationale a perdu en prestige et en pouvoir.
Il faut réduire le nombre de députés et leur donner les moyens
de travailler avec efficacité. Nous devons aussi faire vivre une
concertation permanente en amont des décisions. Écouter les
chefs d’entreprise, les organisations syndicales, les élus locaux
évite les conflits et, en définitive, fait gagner du temps à la
France. Il faut aussi permettre une expression plus ­directe des
citoyens : je propose dans mon livre que, si 100 000 Français le
souhaitent, ils puissent déposer un amendement à une loi en
cours d’examen. …
 pour (Macron) 2022

Lumière !
Bruno Le Maire,
le 5 novembre,
au ­ministère des
­Finances, à Paris.
ÉLODIE GREGOIRE POUR « LE POINT »

Le Point 2570 | 11 novembre 2021 | 31

FRANCE

… Votre livre est un plaidoyer pour la grandeur nir par tuer nos médias et nos démocraties. Regardez Amazon :
française. Mais ne sommes-nous pas devenus une l’entreprise récupère toutes les données des PME et des grandes
« puissance moyenne », selon l’expression de l’ancien entreprises qui vendent leurs produits sur sa place de marché.
président Valéry Giscard d’Estaing ? Ces données lui permettent de connaître les produits qui
La France ne sera jamais une puissance moyenne. France rime marchent. Sur la base de ces données, Amazon peut commer-
avec grandeur. Mais comme toutes les démocraties occiden- cialiser ses propres produits. Est-ce acceptable ? Non. Et de quel
tales, notre pays est bouleversé par des évolutions rapides : la droit Facebook ou Twitter décident-ils que telle personne peut,
révolution numérique, la grande bascule du pouvoir occiden- ou non, poster un message ? Je ne suis pas un grand admirateur
tal vers l’Asie. Le message de mon livre est clair : la France doit de Trump, mais cela me choque que ce soit Twitter seul qui dé-
être sûre de son destin. cide si Donald Trump est autorisé ou non à s’exprimer sur ce
Jeff Bezos, le créateur d’Amazon, réseau social. Seul le peuple souve-
vous a dit un jour : « You are not rain doit en avoir le pouvoir.
late, you are out » (« Vous n’êtes On a renoncé à avoir nos propres
pas en retard, vous êtes champions dans ce domaine ?
dépassés ») ! N’avait-il pas Rien n’est impossible ! Douze start-up
raison ? françaises sont devenues des licornes
Que voulait-il dire ? Vous, les États, cette année. Et elles vont encore se
vous avez perdu la partie. Nous, Face- développer. Nous pouvons aussi
book, Amazon, les Gafam sommes avoir des champions sur le cloud, le
désormais plus puissants que vous. stockage des données. Chacun voit
Au sortir de la crise, le niveau de ca- bien que les données sont la richesse
pitalisation de ces géants du digital du XXIe siècle.
dépasse le PNB de 90 % des États de Dans le plus surprenant des
la planète ! Ces nouveaux géants mo- chapitres de votre livre, vous
difient nos comportements et nos établissez un parallèle entre
modes de pensée. Ils poussent leurs Robert de Molesmes et Steve
pions partout : la monnaie, les don- Jobs. Expliquez-nous !
nées, les connaissances, le com- Cet été, j’ai lu un livre extraordinaire :
merce, rien ne leur échappe. Un des Le Cloître des ombres. C’est le premier
grands enjeux stratégiques des dé- livre qui donne accès à ce que pou-
cennies à venir est de rétablir l’équi- vait être l’univers mental d’un
libre des pouvoirs entre les États Au travail. Avant la parution, le 10 novembre, de son livre. homme du XIIe siècle. Cet univers
démocratiquement élus et des mul- est double. Le moine accomplit ses
tinationales privées qui défendent tâches quotidiennes mais il a une
des intérêts privés à des fins privées.
Acceptons-nous que Facebook ait sa
« Il faut sanctionner autre vie intérieure, peuplée de dé-
mons, de diables, de prophètes. Le
propre monnaie ? Ou sommes-nous les comportements monde digital obéit à la même lo-
capables, comme nous l’avons fait gique : nous avons tous notre vie quo-
avec Olaf Scholz, de dire que le pro- ­monopolistiques des tidienne, mais aussi une autre vie,
jet de monnaie Libra ne verra pas le
jour ? La France a été le premier État géants du digital, numérique, qui existe sur notre té-
léphone portable. Il y a un jeu de mi-
en Europe à taxer au niveau natio-
nal les géants du numérique. Elle en
qui vont finir par tuer roir fascinant entre le XIIe et le
XXIe siècle. Le drame, c’est que ce
a payé le prix avec les sanctions de
Donald Trump. La victoire contre
nos médias et double de notre vie quotidienne peut
être le double de rien. Face à ce défi,
les empires du digital est possible. nos ­démocraties. » la France a un rôle majeur à jouer.
John Sherman, le père du Elle peut expliquer que le double est
Sherman Antitrust Act, disait : très bien si, derrière, il y a une culture,
« le monopole est incompatible avec notre forme de une création, des livres, de la mémoire, du partage. La France
gouvernement ». Faut-il démanteler les Gafam ? doit remplir le vide numérique par sa culture.
Oui, il faut laisser la porte ouverte à un démantèlement des Marcel Gauchet parle d’un « malheur français » qui se
géants du numérique. Mais je veux des avancées, pas de simples serait aggravé depuis le début du quinquennat : « Macron
ÉLODIE GREGOIRE POUR « LE POINT »

déclarations de principe. Nous venons de marquer un point
avec la taxation. Nous en avons marqué un deuxième avec la
sanction de 500 millions d’euros contre les abus de position do-
minante de Google. Nous voulons en marquer un troisième
sous la présidence française de l’Union européenne en adop-
tant des textes qui contrôleront plus sévèrement les contenus
et l’accès au marché des plateformes. Il faut sanctionner les com-
portements monopolistiques des géants du digital, qui vont fi-
32 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
n’a pas discerné ses véritables causes, il est resté pris
dans la grille de lecture du milieu dont il est issu », dit-il.
Je suis en désaccord avec la grille de lecture de Marcel Gauchet.
Elle est trop étroite. Pour la première fois depuis le début du
XIXe, le monde bascule de l’Occident vers l’Asie. Cette évolution
inquiète nos peuples, qui ont le sentiment de sortir de l’His-
toire. Je viens de passer quelques jours à Washington. Les Amé-
ricains n’ont qu’un seul mot à la bouche : la Chine, la …
FRANCE
… Chine, la Chine. La vraie question est : nous, Occiden-
taux, qui sommes-nous ? Que voulons-nous ? La France est un
grand peuple politique qui voit la démocratie, dont elle a été un
des inventeurs, menacée par des régimes autoritaires vantant
leur efficacité. Il faut mesurer l’ampleur et la violence de ces
chocs. Je ne crois pas au malheur français. Je crois au malaise
occidental lié à ces grands bouleversements. La véritable singu-
larité française tient davantage au principe de laïcité sur lequel
repose notre unité nationale et que conteste l’islam politique.
Vous voulez une « nation nationale et européenne » : ça
veut dire quoi ? Éric Zemmour ne dit-il pas la même
chose ?
Éric Zemmour répète sans cesse que la France doit rester la
France. Mais il ne cesse de la trahir ! Quand on met sur un pied
d’égalité de Gaulle et Pétain, Londres et Vichy, on trahit la France.
Je ne crois pas au fédéralisme européen, mais je crois dans le
rassemblement des forces européennes. Ce serait une erreur
historique que de vouloir singer les États-Unis pour aller vers
un modèle fédéral. Voulons-nous imiter un autre continent ?
Ou bien voulons-nous être nous-mêmes ? La voie européenne
doit être originale, et elle reste en par-
tie à inventer. Le président de la Ré-
publique a fixé l’enjeu dès 2017 dans
son discours de la Sorbonne.
« L’espace politique
« Il faut savoir vaincre son
Histoire », disait Mitterrand, que
de Michel Barnier, ­
vous citez. Qu’est-ce que cela de Valérie Pécresse
signifie aujourd’hui ?
François Mitterrand visait alors le na- et de Xavier Bertrand
tionalisme. Quand l’Allemagne a fait
son examen de conscience, elle a est un ­décalque du
vaincu son histoire. Aujourd’hui,
l’Histoire que l’Europe doit dépasser,
nôtre, la modernité
c’est l’atlantisme. L’Europe, durant
cinquante ans, s’est construite face à
en moins. »
la menace soviétique et a fait du lien
transatlantique le nœud de son histoire. Désormais, l’Europe
doit vivre sa propre vie. Elle doit avoir pour ambition d’être la
troisième des grandes puissances mondiales du XXIe siècle. Elle
ne doit pas se laisser influencer par les impasses culturelles amé-
ricaines. Quand je vois la vision raciale américaine ou la cancel
culture débouler chez nous, je me demande : pourquoi accepte-
rions-nous que cette culture, qui nous est étrangère, vienne ré-
gir nos comportements ?
Vous prononcez souvent le mot « chef ». Et vous
commencez votre livre en affirmant votre soutien à
Emmanuel Macron. Ce n’est pas une faiblesse française,
ce rapport au chef ? Et vous-même, vous avez renoncé à
l’être ?
Pas du tout. Je suis un homme simple. Si on veut être chef, on
le dit. J’ai voulu être le chef de l’UMP, je me suis présenté face
à Nicolas Sarkozy. J’ai voulu être président de la République
au nom du renouvellement de la classe politique, je me suis
présenté à une primaire. Est-ce que je me suis planqué ? Ja-
mais. Est-ce que je me suis dissimulé ? Pas davantage. Je ne vais
pas commencer à porter un masque à 52 ans. En politique
comme ailleurs, il est bon de jouer cartes sur table. Dans les
circonstances où nous sommes, je ne vois pas de meilleur chef
pour la France qu’Emmanuel Macron. Il a un bilan et une am-
bition pour la France. Donc je souhaite sa réélection.
34 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
Et vos anciens camarades de LR, il n’y a pas de chef
parmi eux ?
La vraie question pour Les Républicains est moins celle du
chef que celle du projet : proposent-ils vraiment quelque chose
de différent de ce que nous faisons ? Non. Ils défendent la laï-
cité, des entreprises compétitives, des finances publiques te-
nues, nous aussi. Ils veulent lutter contre l’immigration illégale,
nous le faisons. Michel Barnier, Valérie Pécresse et Xavier
Bertrand sont trois personnes estimables, mais ils surjouent
la différence avec Emmanuel Macron. Leur espace politique
est un décalque du nôtre, la modernité en moins.
Dans votre livre, vous dites « nous ». Mais ce « nous »,
c’est successivement avec Chirac, Sarkozy puis Macron. Il
y a une continuité ?
Il y a des continuités évidentes : la construction européenne,
l’économie de marché, l’ordre républicain, le rétablissement
des finances publiques. Je rappelle que nous sommes la seule
majorité depuis dix ans à avoir sorti la France de la procédure
pour déficits publics excessifs.
Donc la droite, c’est Macron ?
Ne revenons pas au clivage droite/
gauche. Il semble simple, mais en
­réalité il crée de la confusion. Sur-
tout, ce clivage ne permet plus de
penser les grands défis contempo-
rains : la lutte contre les inégalités
dans le capitalisme, les migrations,
le réchauffement climatique, la puis-
sance des géants du numérique.
Qu’est-ce que le macronisme,
sinon Emmanuel Macron ?
Le macronisme est un dépassement
et une volonté. Il refuse les extrêmes
mais défend une radicalité lorsqu’il
s’agit de s’attaquer à la racine des
problèmes. Il valorise l’émancipa-
tion de chacun. Il doit aussi être un projet clair pour tous les
Français : mon livre veut y contribuer.
Le pragmatisme peut-il être une finalité politique ? De
Sandrine Rousseau à Éric Zemmour, on voit resurgir des
discours très idéologiques.
Sandrine Rousseau comme Éric Zemmour sont des impasses
pour la France. En 2022, nous nous présenterons avec un pro-
jet concret. Réduire la dette ou rétablir la balance commerciale ;
ouvrir de nouveaux réacteurs nucléaires, former des jeunes à
de nouvelles compétences ; refonder notre modèle éducatif, re-
penser la formation et la carrière des enseignants : tout cela est
sans doute moins polémique qu’un débat sur les prénoms ou
sur la déconstruction de la masculinité, mais plus utile. Et cela
ne nous interdit pas de défendre notre culture, notre Histoire,
notre mémoire. Ma seule idéologie, c’est la France.
Vous n’êtes pas un homme déconstruit ?
Absolument pas. Je suis un homme construit, avec des convic-
tions.
Politiquement, n’êtes-vous pas un homme seul ?
Je ne suis plus un homme de parti. Je ne serai jamais un homme
de clan. Je connais la solitude du pouvoir, mais je suis bien ac-
compagné : par ma famille, par mes amis, par tous les élus avec
qui depuis près de vingt ans je partage une même ambition
pour la France §
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FRANCE
Éric Ciotti : « Je veux un
Guantanamo à la française »
Immigration. Les
­propositions chocs
du député des Alpes-­
Maritimes, candidat
à l’investiture LR
pour la présidentielle.
PROPOS RECUEILLIS PAR JACQUES PAUGAM
ET NATHALIE SCHUCK
I
l est l’ailier droit de la compétition,
l’homme aux propositions radicales
qui ne cache pas son amitié pour Éric
Zemmour. Depuis son bureau ovale de
la questure de l’Assemblée, le député des
Alpes-Maritimes Éric Ciotti se défend
de flirter avec les idées d’extrême droite
et se targue d’être resté fidèle au RPR de
Philippe Séguin et de Charles Pasqua.
­Crédité d’un score à un chiffre pour le
congrès qui doit désigner début dé-
cembre le champion des Républicains,
l’éternel « M. Sécurité » de LR parie qu’il
peut créer la surprise. Pour Le Point, il
développe sa vision, sans concession,
sur les questions migratoires.
36 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
Outsider. Éric Ciotti,
dans son bureau de
l’Assemblée nationale,
à Paris, le 4 novembre.
Le Point : Vous préconisez d’ouvrir
un « Guantanamo à la française »
outre-mer. On parle d’une juridiction
d’exception ! Qui y serait détenu ?
On rouvre le bagne de Cayenne,
on l’installe dans les îles Kerguelen
au milieu des manchots ?
Éric Ciotti : Le combat contre l’islamisme
ne peut supporter la naïveté. Il faut des
lois spécialement adaptées au terrorisme,
comme le Patriot Act aux États-Unis. Nous
devons mettre en œuvre la rétention de
sûreté pour les personnes condamnées
pour terrorisme ­représentant toujours
une menace très grave ­lorsqu’elles sortent
de prison, comme Nicolas ­Sarkozy l’avait
fait pour les grands prédateurs sexuels.
Depuis 2018 et d’ici à 2022, 2 540 détenus
condamnés pour ­terrorisme islamiste ou
radicalisés en prison ayant purgé leur
peine sont sortis ou vont ­sortir de prison.
Pour la plus grande partie d’entre eux,
nous ­devons aller plus loin que ce que
prévoit la législation avec des bracelets
géolocalisés. Mais, pour les cas extrême-
ment graves, il faut des mesures d’excep-
tion avec un centre de rétention dédié.
À l’été 2020, le Conseil
constitutionnel a alerté sur le fait
que les mesures de sûreté devaient
être « proportionnées ». Votre pro­
position ne tient pas juridiquement !
C’est pourquoi, si j’étais élu président,
ma première mesure serait un décret de
convocation d’un référendum pour mo-
difier la Constitution sur plusieurs su-
jets relevant de la souveraineté nationale
afin de reprendre le contrôle de notre
­destin. S’agissant de la rétention, il s’agit
d’empêcher d’agir des bombes humaines,
des individus dangereux fichés au FSPRT
[Fichier de traitement des signalements pour
la prévention de la radicalisation à caractère
terroriste, NDLR], pas des enfants de chœur.
Vous promettez de diviser par deux
les flux migratoires. Michel Barnier,
lui, préconise carrément un
moratoire sur l’immigration.
La copie a dépassé l’original ?
Un moratoire, c’est une pause. Je propose
de sortir de l’immigration de masse, dé-
finitivement. Et j’ai cru comprendre qu’il
avait amendé sa proposition puisqu’il
en a exclu les demandeurs d’asile et les
étudiants, qui, en 2019, représentaient
la moitié des entrées et étaient la source
de nombreuses fraudes ! On ne peut pas
raisonnablement dire qu’il n’y aura plus
d’immigration, mais il faut réduire consi-
dérablement les flux en s’attaquant à
tous les grands vecteurs d’immigration.
Il faut d’abord rendre notre modèle so-
cial moins attractif grâce à une mesure
très concrète, la priorité nationale : pas
de prestations sociales avant six ans de
présence sur le territoire ; suppression
de l’aide médicale d’État, sauf pour les
urgences, parce que nous n’avons pas à
financer le tourisme médical ; priorité
nationale pour les logements sociaux,
ÉLODIE GREGOIRE POUR « LE POINT »
occupés à 34 % par des étrangers ou des
personnes nées à l’étranger ; et priorité
dans les emplois comme cela existe à
­Monaco et en Suisse, qui ne sont pas
connus pour leurs ­régimes autoritaires !
C’est ce que proposait Jean-Marie
Le Pen dans son programme en
2002, à cela près qu’il parlait …
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FRANCE

… de « préférence nationale ».
Vous assumez de reprendre le
« Quand la droite est qu’ils purgent leur peine dans leur pays
d’origine dès qu’elle dépasse un an. Il
vocabulaire du FN ?
C’est surtout Édouard Balladur, un im-
à droite, il n’y a pas faut rétablir la double peine.
En 2012, le politologue Patrick
mense homme d’État, qui l’a proposée besoin de l’extrême Buisson avait suggéré à Nicolas
en 1998, puis Nicolas Sarkozy, qui était
favorable à la préférence communautaire droite. » Sarkozy de dénoncer les accords de
1968, qui accordent des facilités aux
en 2012. Mes références sont dans ma ressortissants algériens en matière
­famille politique. Moi je parle de « prio- de visa. Vous les révoqueriez ?
rité nationale et européenne ». Je veux Là encore, c’est une proposition de la Oui, car ils donnent des privilèges aux
être le candidat qui abat les tabous du po- droite et de Valéry Giscard d’Estaing en Algériens en matière de séjour qui ne
litiquement correct. On ne peut pas dire 1991 dans les colonnes du Figaro contre sont plus acceptables. Notre relation
qu’il y a un problème migratoire et ne ce qu’il appelait une « immigration avec l’Algérie ne doit pas être naïve. Si
pas prendre des mesures fortes. Je veux ­invasion ». L’adhésion aux valeurs de la je suis le seul candidat à droite à ne pas
par exemple instituer un permis à points République est contestée dans des pans avoir voté pour Emmanuel Macron au
pour les migrants en ­imposant des ­quotas entiers du territoire. Nous devons refon- second tour en 2017, c’est parce qu’il
migratoires par métiers et par origines, der notre nationalité. On ne peut plus avait parlé de « crimes contre l’huma-
comme le pratiquent le Québec ou le Ca- devenir français par le hasard du droit nité » commis par la France en Algérie.
nada. S’agissant de l’asile, dont deux tiers du sol, mais par la filiation ou un par- Cette approche historique de la repen-
des demandes sont frauduleuses, il faut cours totalement refondé comme une tance, cette culture de l’excuse font du
empêcher les a­ rrivées en étudiant les consécration. Plus de nationalité auto- mal à notre pays. Les manuels d’histoire
­demandes aux frontières dans nos repré- matique à 18 ans. Il est temps d’inver- doivent se détourner d’une approche
sentations diplomatiques à l’étranger, ser la logique. critique de la nation, et je reprends à
près des zones de guerre comme à Erbil, Quid de Schengen ? Le RN veut mon compte la proposition de François
en Irak, où je m’étais rendu. Quant au re- renforcer les contrôles aux frontières Fillon en 2017 de faire réécrire les pro-
groupement familial, il doit êtres­ upprimé, après l’attaque commise à Nice par grammes d’histoire par des académi-
sauf cas humanitaires. Presque 40 % des un ressortissant algérien doté d’un ciens. La présence française en Algérie
titres de séjour sont délivrés pour un titre de séjour italien. a amené le progrès.
­motif familial, et seuls 7 % le sont pour Schengen est mort, il faut totalement le Au même titre que vous pourriez
un motif économique. S’agissant des renégocier et remettre des douaniers voter Zemmour, accepteriez-vous
­clandestins, enfin, aucune prestation ni aux frontières pour les non-ressortis- de devenir son Premier ministre ou
aucun droit à la s­ colarisation des enfants. sants de l’UE. Ayons le courage de dire celui de Marine Le Pen ?
La seule solution, c’est l’expulsion en que l’immigration de masse a provoqué J’appartiens à la famille gaulliste aux
­rétablissant le délit de séjour illégal. une augmentation de la délinquance ! côtés de mes compagnons : François
Vous souhaitez aussi revenir sur Il y a une surreprésentation des étran- ­B aroin, Christian Jacob, Laurent
le droit du sol, autre proposition gers en prison : 25 %. Je propose qu’on Wauquiez ou Bruno Retailleau. Je peux
historique du FN. négocie des accords diplomatiques pour partager des constats avec Éric Zem-
mour, il n’est pas un ennemi – c’est même
un ami –, mais c’est ma famille politique
qui doit tracer le chemin du redresse-
« Un Guantanamo n’est pas la bonne solution » ment. Quand la droite est à droite, il n’y
a pas besoin de l’extrême droite ou
Najwa El Haïté, avocate au barreau innocents enfermés sans procès prévisibles. d’autres offres politiques. C’est ce que
de Paris et vice-présidente de Je comprends que l’on soit en cam- je veux défendre dans cette campagne
Territoires de progrès (macro- pagne présidentielle, mais il ne faut pour l’investiture des Républicains. La
nistes de gauche), réagit à la pas tomber dans une dénonciation fusion du RPR et de l’UDF au sein de
proposition d’Éric Ciotti. facile qui laisse à penser que la l’UMP en 2002 s’est faite sur le plus pe-
« Il devrait mieux se renseigner, France ne se serait pas dotée d’un tit dénominateur idéologique : au centre.
même si je lui reconnais une cohé- arsenal juridique suffisant contre Il faut que la droite républicaine retrouve
rence dans ses engagements. Un le terrorisme. Certes, il y a des trous une colonne vertébrale sans se laisser
Guantanamo à la française n’est Najwa El Haïté. dans la raquette, mais, cet été en- culpabiliser par le camp du bien qui
pas la bonne solution, ne serait-ce core, de nouvelles dispositions ont ­décerne des brevets de respectabilité.
que juridiquement parlant. Pourquoi Ba- été votées. Les djihadistes n’attendent qu’une J’ai conservé ma carte du RPR de 1981 avec
rack Obama a-t-il cherché à fermer ce centre ? chose : que la France, patrie des Lumières, le bonnet phrygien, et, quand je lis le
C’était d’abord un centre d­ ’internement renie son âme en allant vers une politique programme du RPR à l’époque où Alain
­militaire placé sous une juridiction d’excep- du tout-sécuritaire au détriment de ses va- Juppé en était le secrétaire général, il y
tion du fait de son extraterritorialité. Il y a leurs. Promouvoir un camp de nature mi- a de quoi faire hurler tous les zélateurs
eu des tortures, des atteintes à la dignité litaire n’est certainement pas le bon choix de la pensée unique. Si on avait suivi
­humaine, des abus de pouvoir et des gens de société pour prévenir les radicalisations. » Charles Pasqua et Philippe Séguin, on
AFP

n’en serait pas là ! §

38 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
 EN COUVERTURE

Chine – États-Unis
Veillée d’armes
Choc mondial. Une simple étincelle peut déclencher la foudre dans
le détroit de Taïwan, où les deux superpuissances massent troupes,
navires et avions. Reportage à Taipei, en première ligne.

Arsenal. Ces deux

dernières années, les
États-Unis ont vendu
plus de 5 milliards
d’armement à Taïwan,
comme cet avion-radar.

40 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570


DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL À TAÏWAN,
JÉRÉMY ANDRÉ
«S
ésame, ouvre-toi ! » Dans le
dédale du sous-sol du
Grand Hôtel de Taipei, la
guide fait répéter la formule ma-
gique aux enfants des touristes lo-
caux venus visiter ce bijou de
l’architecture néoclassique
chinoise, bâti durant la guerre
froide. Et, soudain, les murs cou-
lissent et s’ouvrent sur un escalier
caché… Surnommé le palais du Dra-
gon, l’imposant bâtiment, sculpté
par les meilleurs artisans du conti-
nent au milieu du XXe siècle, com-
prend une suite présidentielle
autrefois destinée au général
Tchang Kaï-chek, d ­ irigeant natio-
naliste chinois qui s’était replié sur
l’île de Taïwan après la victoire com-
muniste de 1949.
À l’époque, tout était prévu face
à la menace constante d’une inva-
sion de l’Armée populaire de libé-
ration (APL) de la « Chine rouge » :
deux tunnels avaient été creusés
sous les fondations, dans le pro-
montoire rocheux sur lequel se
dresse le Grand Hôtel, pour évacuer
le président du Kuomintang, le
parti nationaliste chinois exilé à
Taïwan.
PIB : la Chine se rapproche des États-Unis
PIB en 2020, PIB par habitant
en milliards de dollars en 2020, en dollars
courants courants
20 936 63544
SAM YEH/AFP – EYEPRESS VIA AFP
Mds $ $
14723
Mds $
10500
Chine États-Unis Chine États-Unis
Source : Banque mondiale.
Ces souterrains, conçus par un
mystérieux spécialiste germa-
no-américain des bunkers,
condensent le nec plus ultra de l’in-
génierie militaire du siècle passé :
entrées dissimulées, tracé en zig-
zag pour arrêter les balles, piste la-
térale pour que le vieux chef puisse
s’enfuir en glissant, revêtement an-
tibruit, lampes incassables, et sor-
ties extérieures camouflées dans la
falaise. Longtemps, ces cryptes
dignes d’un palais d’empereur sont
restées secret-défense, même après
la mort de Tchang en 1975.
Après de complexes autorisa-
tions, le Grand Hôtel les a restau-
rées et ouvertes au public l’année
Une interdépendance
déséquilibrée
Commerce de marchandises
en 2020
124 milliards de dollars
Chine 435
milliards
de dollars
Sources : OMC, US Census Bureau.
dernière. Une aubaine en raison
de la subite disparition de ses
clients internationaux due à la
pandémie, les frontières de Taïwan
étant strictement fermées. Le pre-
mier tunnel, à lui seul, a attiré plus
de 170 000 visiteurs en 2020. En ce
week-end de fête nationale, célé-
brée à Taïwan le 10 octobre (l’an-
niversaire de la 1re république de
Chine, fondée en 1912), le hall d’en-
trée est plein à craquer.
Dictature. « Dès que cela concerne
Tchang Kaï-chek, les Taïwanais sont
friands de détails », confie l’une des
Flotte. La marine guides, Jennifer Lee, volontaire
taïwanaise inaugure payée en coupons-cadeaux. Cette
une nouvelle corvette retraitée de 69 ans a elle-même
furtive Tuo Chiang, grandi sous la dictature du Kuo-
le 9 septembre dernier. mintang, qui a régné sans partage
grâce à une loi martiale levée seu-
lement en 1987. Longtemps expa-
triée aux États-Unis et en Europe,
elle est revenue pour ses vieux jours
dans cette île devenue démocra-
tique, où il fait désormais bon vivre.
« Aujourd’hui, quand j’explique les dé-
tails militaires, ajoute-t-elle, personne
ne comprend parce que nous n’avons
pas d’expérience de la guerre. » Et pour-
tant, la menace n’a pas disparu.
Superpuissance naissante, la
Chine montre de nouveau …
La course à l'armement
Dépenses militaires en 2020
Le budget militaire chinois
a été multiplié par 6
en 20 ans et va croître
de 6,8% en 2021.
778
milliards
252 de dollars
milliards de
États-Unis dollars
Chine États-Unis
Sources : Sipri, Statista.
Le Point 2570 | 11 novembre 2021 | 41
 EN COUVERTURE
Attraction. Les tunnels secrets du Grand
Hôtel de Taipei, creusés pour permettre
au président Tchang Kaï-chek de s’enfuir
discrètement, sont aujourd’hui ouverts
à la visite. Une guide accompagne
les touristes (ci-dessus) qui posent
volontiers en famille (ci-dessous) dans
ces vestiges de la guerre froide.
… les crocs. Début octobre
2021, en cinq jours à peine, elle a
envoyé 150 avions de guerre aux
abords de l’île, une démonstration
de force inédite. Et tandis que Xi
Jinping parle toujours de « réunifi-
cation pacifique », la communauté
internationale ne manque pas de
remarquer d’intenses et croissants
préparatifs militaires, manœuvres
et exercices de débarquement d’une
armée chinoise dont le budget a
été multiplié par six en vingt ans.
Les analystes qui jugeaient alar-
miste la thèse d’une invasion de
Taïwan la considèrent désormais
comme possible, voire probable, à
la fin de la décennie, quand Pékin
pourrait avoir dépassé Washing-
ton sur les plans économique et mi-
litaire. Malgré les menaces, le
gouvernement taïwanais, lui, veille
encore à laisser la porte ouverte à
la négociation et au commerce avec
son voisin. Issu de la « république
de Chine » importée par Tchang
42 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
Kaï-chek en 1949, le petit État sans
reconnaissance internationale est
coincé depuis des décennies dans
les limbes d’un entre-deux unique
au monde, baptisé le « statu quo »
par les spécialistes : ni indépen-
dance ni rattachement à la Chine,
dont l’empire l’a colonisé entre le
XVIIe et le XIXe siècle, et qui la re-
vendique encore aujourd’hui.
Combien de temps cela peut-il
durer ? Auditionné récemment par
l’Assemblée, le ministre de la Dé-
fense taïwanais, Chiu Kuo-cheng,
s’est carrément risqué à donner une
date pour une invasion : 2025,
quand la Chine pourrait en « rame-
Début octobre 2021, en
cinq jours à peine, la Chine
a envoyé 150 avions de
guerre aux abords de l’île.
ner le coût et l’attrition à son mini-
mum ». Le danger résonne bien
au-delà de l’île. Officiellement, les
États-Unis maintiennent une posi-
tion ambiguë… Mais, interrogé par
CNN le 21 octobre, Joe Biden n’a
pas écarté un « engagement » de son
pays pour voler au secours de
Taïwan ! Et, cet été, un sondage in-
diquait qu’une majorité d’Améri-
cains était désormais favorable à
un engagement militaire dans le
cas où la Chine envahirait l’île. Dans
les années 1990-2000, ce soutien ne
dépassait jamais un tiers des ­sondés.
« Hérisson ». Refroidie par le re-
trait précipité des troupes améri-
caines d’Afghanistan, l’île est
consciente de la nécessité de comp-
ter d’abord sur elle-même. Elle rê-
verait de se transformer en
« hérisson », armé jusqu’aux dents,
impossible à digérer même pour
les légions chinoises. Les autori-
tés taïwanaises ont commandé
pour 5 milliards de dollars d’armes
lourdes aux États-Unis en 2020, et
encore pour 750 millions de dol-
lars à l’été 2021. Elles mettent aussi
WALID BERRAZEG POUR « LE POINT » (X4)
le paquet sur les programmes na-
tionaux, avions de combat,
sous-marins, drones et missiles en
tête, afin de regonfler le moral des
Taïwanais. La parade militaire tra-
ditionnelle du 10 octobre a été l’oc-
casion d’exhiber quelques
nouveautés, comme des missiles
air-air guidés Sky Sword II, …
 EN COUVERTURE

Forces navales en 2020*, hors CHINE JAPON TAÏWAN ÉTATS-UNIS Total démocraties :
navires auxiliaires et de soutien 333 navires 81 navires 86 navires 296 navires 463 navires
2 porte-avions 12 porte-avions
33 croiseurs 155 croiseurs
et destroyers et destroyers
58 navires amphibies 48 navires amphibies
6 sous-marins nucléaires 18 sous-marins nucléaires
lanceurs d’engins** lanceurs d’engins**
4 sous-marins nucléaires 50 sous-marins nucléaires
46 sous-marins 23 sous-marins
conventionnels conventionnels
184 autres navires 124 autres navires
de guerre de guerre
* Données 2019 pour le Japon.

Le dragon chinois,
** Sous-marins à propulsion nucléaire
équipés de missiles balistiques 
RUSSIE stratégiques à charge nucléaire.

l’aigle américain et
les tigres asiatiques
Face à l’explosion de la puissance
militaire chinoise, à la militarisation
de la mer de Chine méridionale,
Pékin
et aux menaces contre Taïwan, CORÉE
DU NORD
M ER
D U JA P O N
les États-Unis renforcent leurs alliances Missile
CORÉE
et leur présence en Indo-Pacifique, antiaérien
Portée : DU SUD
Qingdao JAPON
maintenant un équilibre, précaire, 400 km
entre les deux superpuissances.
Shanghai
Ningbo M ER
CHINE D E CH I NE
O R I ENTA L E
NÉPAL BHOUTAN
Fuzhou Okinawa
BANGLADESH
Hongkong TAÏWAN
INDE «Ligne en neuf traits »
Zhanjiang
MYANMAR Selon Pékin, délimitation de la zone sous
Missile de
LAOS croisière antinavire souveraineté chinoise. Cette revendication
Portée : 400 km est largement contestée et inclut des îles
contrôlées par six de ses voisins.
THAÏLANDE Îles Paracels
Missile balistique 
CAMBODGE MER DE CHINE antinavire DF-21D Guam
MÉRIDIONALE
Portée : 1 500 km
VIETNAM PHILIPPINES
OC ÉA N PAC IFIQUE
Îles Spratleys
PALAU
OCÉAN Bombardier H-6K
INDIEN BRUNEI Portée : 3 300 km
MALAISIE Missile balistique 
MALAISIE antinavire DF-26
Portée : 4 000 km
SINGAPOUR
INDONÉSIE

CHINE : ÉTATS-UNIS : PAPOUASIE-

QG de la flotte chinoise
Bases et installations
de la marine chinoise hors
de la Chine continentale
Bases aériennes sur le littoral
Missions d’«entraînement»
de l’aviation chinoise
autour de Taiwan
Pays pris dans la lutte d’influence entre la Chine et les États-Unis
NOUVELLE-GUINÉE
Principales bases et
installations de l’armée
américaine dans la région
0 1 000 km
Pays alliés, accords Darwin
Sources : Office of the Secretary of Defense,
de défense Annual Report to Congress, «Military and
AUSTRALIE Security Developments Involving the People’s
Japon, Australie et Inde, Republic of China » (2021), Congressional
membres du Quad Aukus : alliance militaire tripartite Research Service, China Naval Modernization:
avec les États-Unis Implications for U.S. Navy Capabilities,
avec les États-Unis et le Royaume-Uni, CSBA, military.com, The Economist,
annoncée le 15 septembre 2021 Le Figaro, Reuters.

44 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570

 … pour descendre les chas-
seurs chinois, ou les lance-ro-
quettes ­multiples Thunderbolt
2000, montés sur camion, de l’ar-
tillerie d
­ e s­ aturation, destinée à
pleuvoir sur les troupes au sol. De
quoi faire le poids face à l’APL ?
Avec sa flotte devenue la plus im-
portante au monde et ses essais de
véhicules hypersoniques à capa-
cité nucléaire potentiellement im-
parables, Pékin montre les muscles
pour tenter de dissuader Washing-
ton d’intervenir dans la région.
et libre pour Taïwan, ni la souverai- Parade. ficiels : les Taïwanais eux-mêmes.
Mobilisation. À Taïwan, une neté pour ses 23 millions d’habitants. » Les célébrations de « Leur vraie faiblesse, c’est la mobili-
très large majorité des habitants Cette technocrate et son Parti la fête nationale, sation de la population », reconnaît
ne se sentent plus du tout chinois, démocrate progressiste sont arri- le 10 octobre 2021, Jean-Pierre Cabestan, spécialiste
bien que parlant le mandarin et vés au pouvoir en 2016. Autrefois ont été l’occasion pour de la Chine et de Taïwan, directeur
descendant de l’ethnie Han. 66 % indépendantistes, ils se sont repliés l’armée taïwanaise de recherche au CNRS et à l’Inalco,
des habitants de l’île se considèrent depuis une vingtaine d’années sur de faire défiler de et auteur d’un récent ouvrage sur
comme seulement taïwanais, 28 % une position de survie, le respect nouveaux équipe- le risque d’un conflit avec la Chine
à la fois chinois et taïwanais, et du fameux statu quo, pour éviter ments, sous l’œil atten- (Demain la Chine : guerre ou paix ?,
seulement 4 % uniquement de fournir à Pékin un casus belli. tif de la présidente Gallimard, 2021). « Les Taïwanais
chinois. « Personne ne peut forcer Et font de la démocratie locale, Tsai Ing-wen. sont dans une psychologie en décalage
Taïwan à prendre le chemin tracé par exemplaire, leur argument phare par rapport à la menace. » D’après
la Chine pour nous, prévient la pré- pour engranger des soutiens inter- un sondage récent réalisé par la
sidente Tsai Ing-wen. Car celui-ci nationaux. En coulisse, un élément Brookings Institution, un groupe
n’offre ni un mode de vie démocratique inquiète cependant analystes et of- de réflexion ­américain, seuls …

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 EN COUVERTURE
… 57,6 % des Taïwanais consi-
dèrent la guerre comme une « pos­
sibilité ». Paradoxe : 79 % se rendent
compte que les activités militaires
chinoises se sont accrues dans les
six derniers mois, mais seulement
30 % se disent plus inquiets. « Les
Taïwanais ont conscience de cette
­montée de la menace, mais ils ne pani­
quent pas », analyse Lev Nachman,
chercheur à Harvard, et l’un des
auteurs de l’étude.
L’explication la plus courante :
après trois générations en butte à
l’hostilité chinoise, les Taïwanais
sont blasés. En 1995, avant la pre-
mière grande élection démocra-
tique sur l’île, les canons chinois
avaient brièvement tonné, avant
d’être tenus en respect par la simple
venue d’un porte-avions améri-
cain. En comparaison, les pres-
sions aujourd’hui sont plus
discrètes, ciblées dans la « zone
grise ». « Même si 20 chasseurs chinois
rôdent chaque jour autour de l’espace
Répétition. Le Han
Kuang, les manœuvres
militaires annuelles
de l’armée, a
notamment été
l’occasion de simuler
une attaque chinoise.
vantage l’armée, afin d’obtenir des
budgets plus importants », conclut
le taïwanologue américain.
Sur place, les observateurs s’in-
terrogent tous sur ces mystères de
l’âme taïwanaise. « Cela montre qu’ils
ont confiance dans la politique du gou­
vernement Tsai », assurent, ou plu-
tôt rassurent, un diplomate et une
chercheuse, interviewés pourtant
séparément. L’économiste d’une
grande banque étrangère, qui
connaît les deux rives du détroit et
craint un conflit dans la décennie,
s’étonne de voir encore les prix de
l’immobilier flamber à Taipei et les
familles s’endetter sur trente ans.
La faute à de jeunes générations
dorlotées et insouciantes ? Pour leur
tanner le cuir, les appels à muscler
le service militaire, autrefois de
deux ans et réduit à quatre mois en
2013, se multiplient. Les jeunes
hommes, seuls appelés, moquent
en privé ce « camp de vacances » in-
suffisant pour les préparer à com-
1,6 million d’anciens toujours en
âge de combattre. « Ces dernières an­
nées, le nombre de conscrits en service
alternatif a décliné », explique Chen
Tsung-yen, ministre adjoint de l’In-
térieur, chargé de superviser
l’agence de la conscription. « Le gou­
vernement a réfléchi à ce que nous pour­
rions faire pour tirer le maximum de
ces quatre mois. » Premier pas : de-
puis 2019, tous les conscrits et an-
ciens conscrits se voient fournir
une formation avancée aux pre-
miers secours. Pas juste l’habituelle
leçon de massage cardiaque, mais
un vrai entraînement à la prise en
charge de blessés graves en masse,
des techniques développées par
l’armée américaine pour trier un
afflux ingérable de patients, stop-
per les hémorragies et gagner de
précieuses minutes avant d’at-
teindre les urgences.
Colères. « Cette île est frappée par
des catastrophes naturelles régulière­
ment, des tremblements de terre, des
inondations durant la saison des pluies
d’avril à juin, des typhons de juin à
octobre », ajoute le ministre adjoint.
L’habitude des colères de la nature
explique pour lui le calme des
Taïwanais face aux gesticulations
du puissant voisin. « Depuis l’école,
nous avons des exercices pour les trem­
blements de terre, rappelle-t-il. Et ces
exercices ne sont pas limités aux ca­
tastrophes naturelles. Le contenu est
un mélange pour préparer aux dé­
sastres et aux attaques humaines. »
En outre, chaque année, des
manœuvres militaires à grand spec-
tacle, le Han Kuang, impliquent la
population, sommée de quitter les
rues durant une alerte sonnée aux
sifflets et aux sirènes. Chen Tsung-
WALID BERRAZEG POUR « LE POINT » (X3) – /EYEPRESS VIA AFP

aérien de Taïwan, cela n’empêche pas
les gens d’aller au Starbucks », ré-
sume Lev Nachman. « Les Taïwanais
n’ont pas l’air de réaliser que la Chine
a connu ses 40 glorieuses et que le rap­
port de force des années 2020 est dan­
gereusement déséquilibré. 35 %
d’entre eux admettent que Taïwan est
moins capable de se défendre qu’avant,
contre 25,8 % qui pensent le contraire,
et une masse d’indécis. » « C’est un
énorme défi pour l’administration
Tsai, qui voudrait que les Taïwanais
soient plus inquiets et soutiennent da­
46 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
battre l’armée la plus nombreuse
du monde. Car, en cas d’invasion,
l’armée professionnelle de
165 000 hommes ne suffira pas, et
il faudra mobiliser la réserve de
Après trois générations
en butte à l’hostilité
chinoise, les Taïwanais
sont blasés.
Compte à rebours. Le yen ne croit pas qu’il soit utile de
ministre de la Défense, rétablir un service de plusieurs an-
Chiu Kuo-cheng, nées, comme cela existe dans cer-
prévoit une invasion tains pays faisant face à des menaces
chinoise pour 2025. exceptionnelles, comme Israël ou
la Finlande. « Dans les trente der­
nières années, la démocratie a énor­
mément progressé à Taïwan, nous ne
sommes plus au temps de la loi mar­
tiale, la ­préparation à un conflit doit
être différente », objecte le cadre du
ministère de l’Intérieur.
Les jeunes Taïwanais sont-ils
« fragiles comme le verre », …
“ C’ÉTAIT
LE PIRE MOMENT
POUR OUVRIR
MA LIBRAIRIE,
ALORS JE N’AI
PAS HÉSITÉ ”
 EN COUVERTURE
… comme s’en plaignent leurs
aînés ? Certains tentent de se pré-
parer, même hors de l’armée. Né
en 1980, Enoch Wu, figure mon-
tante du Parti démocrate progres-
siste dans la capitale, a tenu à faire
un service militaire d’un an dans
les forces spéciales, « à l’âge très mûr
de 34 ans », en rit-il encore, alors
qu’il rentrait au pays après des
études aux États-Unis et une pre-
mière vie à Hongkong. Dans son
unité de parachutistes, ses cama-
rades étaient allés jusqu’à organi-
ser eux-mêmes des cours du soir
pour compléter leur entraînement,
centré sur les sauts. « La population
civile veut être préparée », croit-il.
Faux sang. Avec d’autres mili-
tants, il a fondé Forward Alliance,
une association qui vise à éveiller
les civils à la sécurité nationale et
donner des formations aux soins
pour les blessés en masse. « Quand
nous avons lancé notre première ses-
sion à l’été 2020, nous avons eu des
milliers d’inscrits, se réjouit-il. Et il
n’y avait pas seulement des mecs de
25 ans qui font de la muscu. C’était
équilibré filles-garçons, et on a même
eu des personnes âgées de 50-60 ans. »
Forward Alliance a réussi à orga-
niser une deuxième session en
mars 2021, à chaque fois avec 80 à
100 participants, et une équipe de
120 volontaires, des techniciens
de premiers secours, des pompiers,
des policiers, des médecins, et des
acteurs amateurs chargés de jouer
les blessés, maquillés avec du faux
sang et portant même de fausses
plaies ouvertes en viande de porc.
L’initiative a été difficile à mettre
en œuvre, reportée plusieurs fois
à cause du Covid, et désormais in-
terrompue à cause du variant Delta.
« Mon but était de démontrer que c’est
faisable, explique Enoch. Mainte-
nant, le gouvernement doit prendre le
relais. » Et d’admettre : « Nous aime-
rions que les politiques publiques soient
plus avancées. » Il assure que, parmi
la jeunesse, il y a des « désespérés »,
qui jugent la menace chinoise « in-
surmontable », des « cyniques », mar-
qués par la défiance envers les
politiques, mais très peu de « pas-
sifs », qui « s’en fichent vraiment ».
« D’après un sondage que nous avons
48 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
réalisé, 70,2 % des jeunes soutien-
draient un service militaire de six à
douze mois s’ils y obtenaient un vrai
entraînement », avance-t-il.
Entre-temps, lui est passé à un
autre projet : inventorier les abris
souterrains de Taipei et les renfor-
cer en prévision d’une éventuelle
attaque aérienne. « Taipei a été bom-
bardée une fois… par les Américains,
au temps de la guerre avec le Japon,
note-t-il, amusé. Les îles les plus
proches de la Chine, Kinmen et Matsu,
ont plein de tunnels et d’abris. C’est
ce à quoi Taipei devrait ressembler. »
Son groupe a donc établi une carte
des 27 000 sites qui pourraient s’y
prêter, parkings, stations de mé-
tro, galeries souterraines… Le sous-
sol du Grand Hôtel est d’ailleurs
l’un de ceux-là. « Si 10 % de ces sites
étaient adaptés et équipés, cela suffi-
rait pour les 2 millions d’habitants de
Parmi la jeunesse, il y a
des « désespérés », des
« cyniques », mais très peu
« s’en fichent vraiment ».
Taipei, explique-t-il. Mais il faudrait
ensuite développer des exercices pour
préparer la manière dont des milliers
de gens s’engouffreraient dans ces es-
paces confinés. » Il espère que son
lobbying mènera d’ici à « un ou
deux ans » à prendre des mesures
concrètes. Une étape nécessaire
pour développer la résilience des
civils au choc d’une entrée en
guerre : « Les abris changeront l’état
d’esprit de la population », espère-t-il.
Bunker. Entre-temps, Taipei
Autonome. Taïwan semble avoir refoulé son passé de
a investi aussi dans capitale en première ligne de la pre-
sa propre industrie mière guerre froide, celle du
militaire. La présidente XXe siècle. Non loin du Grand Hô-
visite ici une usine tel, un bosquet d’arbres tropicaux
de turbopropulseurs occupe le centre d’un rond-point
sur une base militaire, autour duquel danse une circula-
à Kaohsiung. tion frénétique. En pénétrant le
sous-bois, on découvre d’abord une
stèle, qui annonce un arbre planté
par Tchang Kaï-chek. Puis appa-
raissent les imposants coffres de
béton avec des meurtrières. « Des
milliers de voitures passent autour et
Mythe. Tchang ne le remarquent pas », commente
Kaï-chek, ici avec Qin Zhengde, 50 ans, artiste qui a
son épouse en 1957, retrouvé ce « bunker présidentiel » il
est resté à la tête de y a quelques années et réalisé une
la république de Chine exposition autour des sites oubliés
(Taïwan) jusqu’à de la guerre froide, lors de la Bien-
sa mort, en 1975. L’île nale de Taipei, au début de l’année.
a vécu sous la loi À travers les broussailles et les
martiale jusqu’en 1987. nuages de moustiques, il s’en-
gouffre dans le bunker désaffecté,
lampe torche en main, et montre
un panneau : « Armurerie. Ceux
qui seront pris à voler et à revendre
seront condamnés à mort. » Il l’a
surnommé « le blockhaus de la guerre
froide en fleur de prunier », en raison
de sa forme, un imposant bunker
à trois pétales et trois niveaux, pièce
maîtresse de la défense de la colline
où se trouve l’ancien palais prési-
dentiel de Tchang Kaï-chek et le
Grand Hôtel. Le ministère de la Dé-
fense lui-même n’est qu’à quelques
centaines de mètres. « Ces bunkers
sont totalement abandonnés parce que
les gens ont oublié la guerre froide, ana-
lyse-t-il. Mes projets ont pour but de
rappeler aux gens qu’il faut rester en
SAM YEH/AFP – AFP
alerte. […] Il faut que la communauté
internationale et les Taïwanais se de-
mandent : est-ce que nous entrons dans
une nouvelle guerre froide ? » §
 EN COUVERTURE
Ambigu. Le 21 septembre,
à l’ONU, Joe Biden affirme
ne pas vouloir entamer
une ­nouvelle guerre
froide avec la Chine.
Face à Pékin,
Biden fait du Trump
Stratégie. Depuis le début de son mandat, le président américain mène,
vis-à-vis de la Chine, une politique agressive et parfois incohérente.
DE NOTRE CORRESPONDANTE
AUX ÉTATS-UNIS, CLAIRE MEYNIAL
N
ew York, le 21 septembre 2021.
À la tribune de l’ONU, Joe
­Biden livre sa première inter-
vention en tant que président.
« Nous défendrons nos alliés et nos
amis et nous nous opposerons aux
­tentatives d’autres pays forts pour en
dominer de plus faibles, par des chan-
gements territoriaux obtenus de force,
par la coercition économique, par l’ex-
ploitation technique ou par la désin-
formation. Mais nous ne cherchons
pas, je le répète, nous ne cherchons pas
une nouvelle guerre froide ou un monde
divisé en blocs rigides. » Ses propos
50 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
n’ont rien d’évident : six jours plus
tôt, l’alliance Aukus, incluant
l’achat par l’Australie de sous-ma-
rins nucléaires d’attaque de tech-
nologie américaine, a été annoncée
au prix de la rupture d’un contrat
avec la France, « alliée et amie ». La
Maison-­Blanche, au nom des trois
dirigeants, explique : « Guidés par
nos idéaux persistants et notre enga-
gement commun pour l’ordre inter-
national fondé sur des lois, il s’agit
d’approfondir la coopération diplo-
matique, de sécurité et de défense dans
l’Indo-Pacifique, pour faire face aux
défis du XXIe siècle. »
Le plus important est ce qui
n’est pas nommé : la Chine. C’est
bien pour la contrer que l’Aukus
a été créée. Le Global Times, qui
­relaie les positions du Parti com-
muniste chinois, ne s’y est pas
trompé : il a accusé Washington
de « perdre la tête en tentant de ral-
lier ses alliés contre la Chine, au risque
d’engendrer un antagonisme et une
destruction incontrôlables ». C’est
donc à Pékin que Biden s’adresse
à la tribune de l’ONU. « Les diri-
geants chinois accusent constamment
les États-Unis d’avoir une “mentalité
de guerre froide”, explique le cher-
EYEPRESS VIA AFP
cheur David Sacks, spécialiste des
relations entre les États-Unis et la
Chine. Je ne pense pas que ce discours
les convainque. » …
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 EN COUVERTURE
… Depuis son arrivée, Biden
s’est montré au moins aussi com-
batif envers la Chine que Donald
Trump : il a maintenu les tarifs sur
les échanges commerciaux, quali-
fié de « génocide » la répression
contre les Ouïgours au Xinjiang et
décrit la Chine comme « le concur-
rent le plus ­sérieux » des États-Unis.
« Ils veulent devenir le premier, le plus
riche et le plus puissant pays du monde.
Ça n’arrivera pas tant que je serai là,
car les États-Unis vont continuer à
croître et à prospérer », a-t-il assuré
en mars. La continuité avec Trump
est frappante. « La différence, c’est
que Biden insiste sur les alliances pour
contrer la Chine », note Sacks.
Tournant. Comment en est-on
arrivé là ? Ce niveau de tension
est-il inévitable étant donné la
­c roissance vertigineuse de la
Chine ? Dès 2008, la crise finan-
cière a entamé l’image de supério-
rité des États-Unis, tandis qu’à Pékin
se tenaient de fastueux Jeux olym-
piques d’été. Mais le vrai tournant
date de 2016. « Ce qui raidit Was-
hington, c’est que Xi Jinping annule la
limite du nombre de mandats. La même
année est lancé le plan “Made in China
2025”, dans lequel la Chine dit vou-
loir dominer le marché dans certaines
technologies, rappelle Ethan Paul,
chercheur à l’Institut Quincy. Elle
devient aussi plus agressive envers
Taïwan. L’apparition des camps dans
le Xinjiang pour les Ouïgours, très
­médiatisée, choque même l’Américain
moyen. La comparaison avec l’Alle-
magne nazie apparaît. Et, ces deux
dernières années, il y a eu le Covid, qui
a affecté la vie q­ uotidienne des Amé-
ricains. » L’ensemble entraîne une
remise en cause de la politique
­lancée lors de la visite du président
Richard Nixon à Pékin en 1972. Il
y a quelques mois, Kurt Campbell,
coordinateur pour l’Indo-Pacifique
au Conseil national de sécurité, a
formalisé ce changement. Dans un
discours à l’université Stanford, il
évoque les accrochages militaires
à la frontière indienne, la « cam-
pagne économique contre l’Australie »,
la diplomatie agressive des « loups
guerriers », l’adoption par Pékin
d’un « pouvoir dur ». Il ajoute : « La
période généralement décrite comme
52 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
celle de l’engagement a pris fin… Le
paradigme dominant va être la com-
pétition. Notre objectif est de lancer
une compétition stable, pacifique, qui
fasse émerger le meilleur de nous. »
Les conséquences sont immenses.
« Cette “compétition stratégique”
contre la Chine va définir la politique
étrangère des États-Unis pendant des
décennies, comme la guerre contre le
terrorisme », prédit Ethan Paul. Fin
2001, le gouvernement s’était or-
ganisé en conséquence : la NSA
s’était agrandie, le département de
la Sécurité intérieure et l’Adminis-
tration de la sécurité des transports
avaient été créés. « Aujourd’hui, la
CIA, la défense, le département d’État,
« La période généralement
décrite comme celle de
l’engagement a pris fin. Le
paradigme dominant va être
la compétition. »Kurt Campbell
branches majeures du gouvernement,
ont lancé de nouvelles institutions et
initiatives axées sur la Chine. Tout ça
crée un élan », explique Ethan Paul.
Un élan vers quoi ? Qu’est-ce qui
succède à l’engagement ? C’est ce
qui inquiète les experts de la Chine,
qui ne voient aucune politique
claire se dessiner. Le gouvernement
Biden multiplie les slogans. Le der-
nier remonte au 4 octobre, lorsque
Katherine Tai, représentante au
Commerce extérieur, a parlé de
« coexistence durable ». Joe Biden a
aussi évoqué la « compétition ex-
trême », le « recouplage compé­titif »,
la « démocratie contre l’autorita-
risme », et Jake Sullivan, conseiller
à la Sécurité nationale, la « compé-
tition sans catastrophe ». Susan
Thornton, trente ans de carrière
dans la diplomatie – elle a été en
poste à Pékin et fait partie de
l’équipe du département d’État
­dictant la stratégie pour l’Asie et le
Pacifique –, est très préoccupée :
« J’ai travaillé un an et demi pour le
gouvernement Trump et j’étais au pre-
mier rang pour observer son approche
de la Chine, dans un inexplicable chaos.
La plupart pensaient qu’avec Biden
Faux-semblant. Bien les choses rentreraient dans l’ordre.
loin de la coexistence Cela n’a pas vraiment été le cas. » Elle
pacifique prônée par évoque le sommet catastrophique
Zhou Enlai et ­Richard à Anchorage, en Alaska, en mars
Nixon en 1972, ­les rela- 2021, où le ton est monté entre les
tions ont toujours été représentants des deux pays, sous
tendues entre Donald les regards interloqués des journa-
Trump et Xi Jinping listes. « Les interactions avec la Chine
(ici à Osaka, en 2019). semblent se réduire à des gesticula-
tions publiques, au lieu de discussions
diplomatiques où l’on négocie. Ces
­déclarations belliqueuses devant les
­caméras sont contre-productives et
nuisibles à terme : il est plus difficile
de revenir dessus. »
Couacs. Les dirigeants chinois
sont sûrement les plus étonnés, eux
qui espéraient un retour à la nor-
male. « Je pense qu’ils sont surpris que
Biden maintienne autant ces politiques,
AFP – BRENDAN SMIALOWSKI/AFP
même si elles ne rendent pas service à
l’économie américaine, d’autant que
les États-Unis ont toujours été le chantre
de la liberté des échanges », dit-elle.
Elle ne s’explique pas les couacs des
dernières semaines. « Et la façon de
traiter la France ? Ce gouvernement
n’a qu’un mot à la bouche, les …
 EN COUVERTURE
… alliés, et ils annoncent l’Aukus ?
Je pense que c’est un énorme raté, ils
ne se sont pas parlé », fulmine-t-elle.
L’ensemble donne une image d’ama-
teurisme ou, du moins, de désorga-
nisation, sous un président pourtant
présenté comme un routier de la
politique étrangère.
Les nominations manquantes
y sont sûrement pour quelque
chose, de même qu’une commu-
nication défaillante. Selon Michael
Green, qui fut directeur des affaires
asiatiques au Conseil de sécurité
nationale puis assistant spécial du
président pour l’Asie sous George
Bush, « l’Aukus était si secret qu’il
n’y a pas eu de réunions à plusieurs
agences ». Il poursuit : « S’ils avaient
élargi le cercle, un responsable de la
stratégie Europe au département
d’État aurait dit : “Attendez, vous ne
pouvez pas annoncer ça le jour où les
Européens sortent leur stratégie dans
l’Indo-Pacifique.” » Il note que Kurt
Campbell dirige vingt-deux per-
sonnes pour l’Asie, quand Amanda
Sloat, son homologue pour l’Eu-
rope, en chapeaute… six. L’obses-
sion pour la Chine, encore. Green
attribue aussi les bourdes à l’ho-
mogénéité de l’équipe Biden. « Le
cabinet d’Obama était appelé “l’équipe
des rivaux”, il y avait Hillary Clin-
ton, ils débattaient. Sous Trump, les
frictions étaient légendaires. Mais il
y a une blague à la Maison-Blanche
sur Biden : “Son premier cercle est très
diversifié, il y a des Irlandais de Sligo,
des Irlandais du comté de Clare, des
Irlandais de Dublin…” »
Taper sur la Chine est aussi
­politiquement rentable. Depuis
les années 1990, le Chicago Coun-
cil sonde les Américains sur les
­alliances en Asie. En 2012, 70 %
­affirmaient que la Chine représen-
tait l’avenir et devait être favori-
sée, contre 27 % pour le Japon. En
2020, 78 % pensaient qu’il fallait
cultiver les alliances tradition-
nelles (le Japon), même au détri-
ment de la Chine. Le Pew Research
Center interroge les Américains
sur leur perception de la Chine de-
puis 2005. Cette année-là, les opi-
nions défavorables étaient de 35 %.
En mars 2020, elles ont atteint le
score record de 66 %. Pour David
Sacks, cela explique l’attitude de
54 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
Biden : « Sa priorité est de passer des
lois d’investissement dans l’infrastruc-
ture, la recherche et le développement,
les sciences et les technologies. Il les
vend en disant qu’on en a besoin pour
concurrencer la Chine. Son calcul est
que c’est le meilleur moyen d’obtenir
le soutien des deux partis au Congrès. »
Katherine Tai a affirmé qu’il fal-
lait être en position de force vis-à-
vis de la Chine, donc investir. Le
consensus semble général sur la
politique des « faucons ».
Bouc émissaire. Il n’y a qu’à
l’extrême gauche que des voix dis-
sonantes s’élèvent. C’est aussi à elles
que Joe Biden s’adresse, à l’ONU. En
juin dernier, le Sénat a voté une loi
­empêchant le financement de
­certaines entreprises chinoises ou
contrôlées par la Chine. Un texte
qui a soulevé un mouvement
­d’indignation, et pas seulement à
Pékin. Une soixantaine d’organisa-
tions et d’élus américains ont pro-
testé contre cette loi. Ilhan Omar,
élue démocrate du Minnesota, a
tweeté : « Il faut différencier les cri-
tiques justifiées envers le bilan de la
Chine en termes de droits humains et
une mentalité de guerre froide qui se
sert de la Chine comme bouc émissaire
pour nos problèmes internes et diabo-
lise les Sino-Américains. Le racisme
n’a pas sa place en politique. » Selon
une étude relayée par le groupe Jus-
tice is ­Global, 6 603 attaques contre
des ­Asiatiques ont été recensées
aux États-Unis entre mars 2020 et
mars 2021. Un phénomène qui se-
rait lié aux déclarations de Trump
sur le « virus chinois » et que certains
comparent aux attaques contre des
­musulmans ou des Arabes après le
11 ­septembre 2001.
Le camp dit « progressiste » s’op-
pose aussi au gonflement du ­budget
de la défense. Peter Beinart, chro-
niqueur et professeur de sciences
politiques à l’université de la ville
« Construire l’unité face
à des menaces étrangères
est très facile mais très
­dangereux. » Bernie Sanders
de New York, parlait dans The Atlan­
tic de « fantasme chauvin » au sujet
des publicités de la campagne de
­Biden, où il assurait qu’il ferait plier
la Chine. Aujourd’hui, il dénonce
l’influence à Washington du com-
plexe militaro-industriel qui, « de-
puis que la guerre contre l’État
islamique a été gagnée, se cherche une
nouvelle cible » et évoque des en-
quêtes sur les chercheurs chinois
et sino-­américains qui « relèvent du
maccarthysme ». « L’antagonisme
croissant entre les deux pays m’inquiète
beaucoup, dit-il. Les conséquences pour-
raient être terribles, car il rend la coo-
pération sur le changement climatique
et les pandémies plus difficile. » Mat-
thew Duss, jeune conseiller à la po-
litique étrangère de Bernie Sanders,
vu comme l’architecte de la pensée
progressiste pour les affaires inter-
nationales, appuie : « Comme San-
ders l’a écrit, construire l’unité face à
des menaces étrangères est très facile
mais très dangereux. On ne devrait
pas avoir à expliquer ça après vingt
ans de guerre contre le ­terrorisme. »
Lui aussi souligne la nécessité de
coopérer sur le climat. « Biden a beau
dire qu’il ne cherche pas la guerre froide,
sa politique parle pour lui », assène-t-il.
De fait, au sommet sur le climat à
Glasgow, Biden s’en est pris à la
Expectative. Avec Chine, absente. « C’est le sujet qui
l’élection de Joe Biden, préoccupe le monde entier, c’est juste
Xi Jinping ­aurait pu un sujet gigantesque, et ils dispa-
­miser sur une normali- raissent. ­Comment on peut faire ça et
sation des ­relations exiger d’avoir un statut de leader ? »
­sino-­américaines. Il existe pourtant un contexte
Il n’en a rien été. dans lequel même Bernie Sanders
concède que les États-Unis de-
vraient intervenir militairement :
l’invasion par la Chine de Taïwan.
Le lien avec l’île est ancien, et
l’abandonner nuirait à l’image des
États-Unis auprès de ses alliés. « Ils
produisent aussi beaucoup de semi-­
conducteurs », note Duss. Le consen-
sus sur Taïwan à Washington est
MANDEL NGAN ANTHONY WALLACE/AFP (X2)
total, alors que la tension monte.
Il se dit qu’un changement de nom
du Bureau économique et cultu-
rel de Taipei, qui deviendrait le
­Bureau de Taïwan, est envisagé.
Certains tremblent devant ce qu’ils
voient comme une provocation
inutile à l’égard de la Chine. Et re-
doutent que la « compétition » n’aille
pas « sans catastrophe » §
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Kevin Rudd : « On peut

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est l’un des grands experts de la Chine contemporaine.
Il appelle à se montrer ferme sans rompre avec Pékin.
idéologique que politique. La politique économique s’est
PROPOS RECUEILLIS PAR JÉRÉMY ANDRÉ ET JULIEN PEYRON gauchisée en s’éloignant de l’économie de marché, tan-
Le Point : La France et l’Europe doivent-elles dis que la diplomatie s’est droitisée en devenant de plus
se montrer plus vigilantes avec la Chine ? en plus nationaliste. Ces changements constituent des
Kevin Rudd : La montée en puissance de la Chine n’af- défis considérables pour le monde entier. L’équilibre des
fecte pas seulement la région Asie-Pacifique. Le pays va puissances a été profondément modifié. On découvre
devenir la première puissance économique et cham- que le parti marxiste-léniniste au pouvoir est adepte de
bouler les règles de l’ordre mondial. Toutes les écono- « la politique de la puissance », comme la définissait Ray-
mies européennes vont être touchées, y compris celle mond Aron. Confrontés à cela, nous devons avoir les
de la France. L’émergence de la Chine est à la fois un idées claires, définir des objectifs à long terme ration-
défi et une opportunité pour nous tous. nels et chercher à collaborer avec Pékin là où on peut.
Une opportunité ? Mais l’Occident doit aussi définir des lignes rouges stra-
La Chine représente le plus grand marché émergent pour tégiques avec nos alliés, notamment les États-Unis.
les biens et les services. Toutes les économies ont intérêt L’Occident doit-il faire de Taïwan une ligne rouge ?
à intensifier leurs liens avec elle. Concernant l’un des Xi Jinping, clairement, veut faire revenir Taïwan « à la
GLENN HUNT/EPA/MAXPPP

grands défis du siècle, la lutte contre le changement cli-
matique, le pays a un rôle clé à jouer, vu son importance.
L’Occident a-t-il été trop naïf avec Pékin ?
L’Occident a mis du temps à comprendre la nature des
changements en Chine. Le président Xi Jinping a changé
le script interne du Parti communiste tant au niveau
56 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
mère patrie ». Pour parvenir à ses fins, il a mis au point
une stratégie : des pressions politiques, tout en laissant
planer la menace d’une solution militaire. Il veut for-
cer les partis politiques taïwanais à solliciter une solu-
tion négociée. Je ne pense pas que cette stratégie sera
couronnée de succès.
Comment l’émergence de la Chine se matérialise-t-
elle dans la région Asie-Pacifique ? « La terre a des
limites, mais la
Pour tous les pays d’Asie orientale, y compris l’Austra-
lie, la Chine s’est imposée comme le principal parte-
naire économique. Xi Jinping utilise cette position
dominante pour rendre les autres pays toujours plus
dépendants, de façon à changer les règles qui régissent
le monde. L’Australie subit depuis longtemps de telles
pressions. Le Japon et la Corée encore davantage, car ils
bêtise humaine
est infinie. »
possèdent des territoires revendiqués par les Chinois.
Assistons-nous au début d’une nouvelle guerre
froide entre la Chine et les États-Unis ?
Je ne pense pas que ce terme soit correct pour comprendre
la situation. La dernière guerre froide, entre l’Union so-
viétique et les États-Unis, se caractérisait par des menaces
de destruction nucléaire quasi quotidiennes, l’absence
de relation économique entre les deux blocs, des guerres
par procuration aux quatre coins du monde et un com-
bat idéologique. Entre l’Amérique et la Chine, seule cette
dernière caractéristique est vérifiée. Elles ne se menacent
pas quotidiennement d’annihilation nucléaire, alors que
Pékin dispose d’un arsenal suffisamment important et
sophistiqué pour mener une « seconde frappe » [la capa-
cité de répondre à une attaque nucléaire par une autre attaque
nucléaire, NDLR]. Leurs relations économiques bilaté-
rales sont très importantes. Enfin, elles ne se livrent pas
à des guerres par procuration dans des pays en dévelop-
pement, du moins pas encore. Donc, soyons prudents
avant d’utiliser ce terme de « guerre froide ».
Et, dans la décennie qui vient, va-t-on être le témoin
d’un conflit majeur entre Washington et Pékin ?
Est-ce possible ? Oui. Est-ce probable ? Pas dans la pre-
mière partie de la décennie, selon moi. Car la Chine sait
qu’elle ne dispose pas d’une écrasante supériorité mili-
taire dans le détroit de Taïwan si elle doit y affronter les
États-Unis, Taïwan ou le Japon. Cependant, les experts
militaires chinois estiment que, à la fin de la décennie,
leur pays sera largement supérieur, militairement, aux
forces américaines dans la région. Je pense que le risque
de conflit entre les deux puissances sera plus important
à ce moment-là.
Qu’est-ce qui pourrait dissuader Xi Jinping Ne vous privez pas de l’une
des meilleures armes
d’utiliser la force ?
Cela ne dépend que de deux facteurs. Le premier : la ca-
pacité de l’Amérique à conserver un équilibre des puis-
sances militaires dans le détroit de Taïwan. Elle l’a contre la bêtise, le conformisme
et les idées toutes faites.
compris, elle semble décidée à restaurer sa force de
frappe dans la région. Le second : la réaction du reste du
monde en cas d’invasion chinoise de Taïwan. …

« Le risque de conflit

entre les deux puissances En vente en kiosque et sur
que sont Washington et boutique.lepoint.fr
Pékin sera plus important
à la fin de la décennie. »
 EN COUVERTURE
… Une alliance militaire contre la Chine est-elle
une solution ?
Tout dépendrait des circonstances. Ce ne serait pas la
même chose si le conflit était déclenché par une agres-
sion de Pékin ou par une proclamation unilatérale d’in-
dépendance d’une nouvelle République de Taïwan. Il
serait illusoire de penser qu’une guerre dans le détroit
de Taïwan pourrait être restreinte à un engagement de
courte durée. Tous les scénarios militaires implique-
raient les territoires souverains américains de Guam et
Hawaï, des bases américaines au Japon, ainsi que, bien
sûr, la flotte américaine, de même que les sites de lan-
cement de missiles chinois dans la province du Fujian,
face à Taïwan. Cela dégénérerait aussitôt en guerre gé-
nérale, à un niveau de violence pas vu depuis la Seconde
Guerre mondiale ou la guerre de Corée, selon moi.
Les deux superpuissances peuvent-elles malgré
tout établir une relation pacifique et fructueuse ?
Oui. Je publierai l’an prochain un livre intitulé La Guerre
évitable. J’y préconise un cadre que j’appelle la « concur-
rence stratégique gérée », fondée sur trois éléments. Pre-
mièrement, les deux gouvernements devront d’abord
identifier leurs lignes rouges stratégiques fondamen-
tales, de sorte qu’il n’y ait aucune ambiguïté. Deuxiè-
mement, le reste de la relation doit
être régi par les principes de la
concurrence ouverte, dans tous les
domaines : politique étrangère,
« Les briefings du
commerce, affaires, technologie et ministère chinois
même idéologie. Enfin, il doit y
avoir de la place pour une coopéra- des Affaires étrangères
tion internationale bilatérale dans
des défis majeurs, comme le chan- parlent d’une voie de
gement climatique, la stabilité fi-
nancière mondiale et la gestion de
dialogue qui se renoue. »
la pandémie. Ce qui est encoura-
geant, c’est que, depuis la deuxième visite de Kerry à Pé-
kin, l’appel téléphonique de Xi Jinping à Biden en
septembre, et la rencontre ultérieure à Zurich entre
Yang Jiechi et Jake Sullivan, la température a baissé de
quelques crans. Les briefings du ministère chinois des
Affaires étrangères parlent d’une « voie de dialogue en
train de se renouer ». On peut encore éviter la guerre,
mais rétablir le dialogue ne suffira pas. Le nouveau cadre
stratégique de la relation doit être réaliste, pas utopique.
Le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire,
a déclaré récemment que l’Union européenne
devrait essayer de coopérer avec la Chine plutôt
que de l’affronter comme les États-Unis…
Il existe des domaines, valeurs universelles et intérêts
stratégiques, où nous, démocraties, aurons toujours des
positions différentes de la Chine, entraînant inévitable-
ment de la confrontation. Mais la solution la plus simple
est le plus souvent une dissuasion mutuelle efficace.
L’annonce d’une alliance en Indo-Pacifique pour
contenir la Chine a été un choc en France. Paris
a-t-il encore un rôle à jouer dans la région ?
En tant que Premier ministre australien, j’ai toujours
soutenu l’engagement de la France dans notre région, où
vous avez des territoires, en Nouvelle-Calédonie, en
58 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
­ olynésie, à Wallis-et-Futuna, et même des départements,
P
Mayotte et La Réunion, dans l’océan Indien. La France
est une puissance mondiale, membre permanent du
Conseil de sécurité. Mon opinion est que la politique
étrangère française est bien alignée avec des pays comme
l’Inde, le Japon, la Corée et aussi l’Australie, malgré la ré-
cente implosion résultant de la mauvaise décision du
gouvernement de Scott Morrison sur les sous-marins.
Quelle stratégie adopter pour éviter d’être écrasé
dans le combat entre les deux superpuissances ?
Inévitablement, certains pays seront toujours l’objet de
la colère chinoise. Nous avons intérêt à y opposer une
réponse commune. Vous ne savez jamais qui sera le pro-
chain ! La Chine cherchera toujours à changer les règles
de l’ordre mondial, elle l’a écrit noir sur blanc. Face à elle,
les grandes démocraties doivent adopter une stratégie
commune pour défendre les institutions de la gouver-
nance mondiale. Et la France serait précieuse pour cela.
N’y a-t-il pas eu un manque de solidarité avec
l’Australie lorsqu’en 2020 elle s’est attiré les
foudres de la Chine en demandant une enquête sur
les origines du virus ?
Oui. Dès qu’un pays prend des mesures punitives, pour
des raisons politiques ou géopolitiques, cela sape les prin-
cipes du commerce ouvert. D’ail-
leurs, qui a profité des interdictions
chinoises sur l’importation du bœuf
australien ? Les États-Unis. Mais cet
égoïsme ne vous sert que tant que
vous n’êtes pas en difficulté. On ou-
blie trop souvent que nous vivons
dans une de ces rares périodes de
l’Histoire où nous avons un système
et un droit internationaux. Il faut
agir de concert pour défendre ce sys-
tème, sinon il s’effondrera.
Le débat sur la Chine agite l’Australie, il commence
en France. Comment gérer les divisions internes
dues à la montée en puissance de la Chine ?
Le débat est inévitable. Le premier État non occidental,
non anglophone et non démocratique depuis deux cent
cinquante ans va devenir la première économie du monde.
Pour en parler, j’ai appliqué moi-même en Australie une
série de principes. Primo, ne jamais s’excuser pour notre
adhésion aux droits humains universels. Secundo, main-
tenir l’alliance avec nos amis américains, qui, même s’ils
sont capables de choses folles – prenez l’Irak –, ont été
une source abondante de bien dans le monde depuis leur
entrée en guerre en 1941. Tertio, n’avoir aucune honte à
maximiser son intérêt économique, et donc son accès au
marché chinois. Quarto, travailler avec les Chinois sur
les questions de gouvernance mondiale. Quinto, main-
tenir une solidarité entre démocraties. La Chine tend à
agir selon l’expression chinoise « sha yi jing bai », « en tuer
un pour en avertir cent ». Nous devons répliquer par le
« Tous pour un, un pour tous » de Dumas. Dernière règle,
enfin : ne laissez jamais le débat légitime sur la stratégie
face à la Chine dégénérer en attaque raciste contre les
Chinois et les citoyens chinois de nos propres pays. On
l’a trop vu aux États-Unis. C’est laid §
NOUS NE DONNONS PAS DE LEÇON,
NOUS COMPENSONS NOS ÉMISSIONS
Depuis 2019, nous compensons les émissions de carbone provenant
du carburant utilisé sur tous nos vols en soutenant des projets
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MONDE

Algérie-Maroc : jusqu’où ira

Surenchère.
Au Sahara, le ton
monte entre les
frères ennemis
du Maghreb.
DE NOTRE CORRESPONDANT À ALGER,
ADLÈNE MEDDI

C
’est une terre aride (hamada),
un désert rocailleux inhospi-
talier aux confins de la ­frontière
entre l’Algérie, la Mauritanie et les
territoires sahraouis. Une piste fa-
çonnée par les poids lourds depuis
des décennies trace son sillon dans
ces terres « non autonomes », offi-
ciellement sous contrôle de l’ONU
et de sa mission sur place, la Mi-
nurso, créée après le cessez-le-feu
entre le Front Polisario et les Forces
armées royales (FAR) marocaines
en1991 pourpréparerl­ ’organisation
d’un référendum sur un s­ tatut fi-
nal de l’ancienne colonie espagnole.
C’est sur cette piste, en pleine
zone de tensions d’un des plus 3 novembre, d ­ énonçait un « bom- Meurtrier. La carcasse « Nous n’attendons malheureuse-
vieux conflits de l’Afrique, que bardement barbare » à l’aide calcinée d’un poids ment pas grand-chose de l’ONU », ad-
trois routiers algériens ont trouvé d’« armes sophistiquées » et mena- lourd, touché selon les met un analyste algérois, qui
la mort le 1er novembre dans ce çait de ne pas laisser cet « assassi- Algériens par un drone rappelle la colère de l’Algérie après
qui semble être une frappe de nat impuni », côté marocain, des de l’armée marocaine, l’adoption par le Conseil de sécu-
drone marocain. Achtam Ahmed, sources officielles anonymes ne le 1er novembre, alors rité, le 29 octobre, de la résolution
Brahim Larbaoui et Hmida Bou- cessaient de dire aux médias que qu’il circulait en « terri- 2602 prolongeant le mandat de la
mediene revenaient de ­Mauritanie les camions avaient dû « sauter sur toire sahraoui ». Minurso. «  [L’Algérie] ne soutiendra
à bord de leurs deux camions après des mines ». pas cette résolution partiale qui a pour
avoir livré du ciment blanc. Ils « Alger est dans son droit de de- effet de conforter les prétentions exor-
avaient choisi de ne pas emprun- mander des explications à l’ONU car bitantes de l’État occupant [le Maroc,
ter la piste qui passe directement ce territoire est sous sa responsabi- NDLR] », ont annoncé les Affaires
de la Mauritanie à l’Algérie, crai- lité », explique au Point Abdelaziz étrangères algériennes, refusant
gnant les risques d’ensablement. Rahabi, ancien ambassadeur et même le retour au format de table
Ils avaient pris la piste rocailleuse, ex-ministre, qui connaît bien cette ronde incluant Alger, Rabat,
« très fréquentée par les transporteurs, région. Face au silence officiel de Nouakchott et le Polisario. « Le Ma-
algériens, mauritaniens et sahraouis », Rabat, l’Algérie a saisi le secrétaire roc n’a qu’à négocier directement avec
selon l’expert en questions mili- général de l’ONU, Antonio le Polisario, il ne réussira pas à nous
taires Akram Kharief, et qui tra- ­Guterres, le président de la Com- forcer à participer à des négociations
verse une petite portion du mission de l’Union africaine, la en maintenant ces tensions », défend
territoire sahraoui contesté. C’est Ligue des États arabes (dont le mu- un diplomate algérien.
MENADEFENSE

là que la frappe balistique de faible tisme sur cette affaire a choqué Par deux fois, ces négociations
intensité a mis brutalement fin à Alger) et l’Organisation de la coo- quadrilatérales sous l’égide de
leurs jours. Alors qu’Alger, dès le pération islamique. l’ONU, en 2007 et 2018, ont débou-
60 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
le conflit ?
ché sur des impasses, Rabat refu-
sant d’autres options que son plan
d’autonomie proposé comme so-
lution au conflit qui traîne depuis
quarante ans, alors que le Polisa-
rio, soutenu par Alger, milite pour
l’organisation d’un référendum
d’autodétermination pour régler,
selon lui, le conflit né au moment
du départ des colons ­espagnols.
Crispations. Sur le terrain, le
Polisario ne reconnaît plus le ces-
sez-le-feu de 1991 depuis une in-
tervention de l’armée marocaine,
en novembre 2020, dans le sud du
territoire pour en déloger des com-
JEAN-CHRISTOPHE BOTT/AP/SIPA
battants sahraouis qui bloquaient
le point de passage routier de
Guerguerat vers la Mauritanie. Il
multiplie désormais les attaques
dites de « harcèlement » contre les
FAR stationnées le long du mur de
défense marocain.
Mission impossible ? Formellement, le début de l’es-
L’ONU a nommé l’Italo-­ calade entre les deux voisins ma-
Suédois Staffan de ghrébins remonte à décembre
­Mistura émissaire pour 2020. Donald Trump annonce alors
le Sahara occidental, un que le Maroc s’engage à normali-
poste laissé vacant de- ser ses relations avec Israël, dans
puis mai 2019. Aupara- le sillage de trois autres pays arabes,
vant, le diplomate les Émirats arabes unis, Bahreïn
chevronné avait repré- et le Soudan, en échange de la re-
senté l’ONU en Syrie, en connaissance de la « marocanité »
Irak et en Afghanistan. du Sahara occidental. Alger réagit
immédiatement en dénonçant
« l’arrivée de l’entité sioniste » à ses
frontières. En juillet, l’Algérie ex-
primera encore sa « profonde préoc­
cupation » après les révélations sur
le ciblage, par le Maroc, de dizaines
de responsables et de personnali-
tés algériennes au moyen du logi-
ciel d’espionnage israélien Pegasus.
À la même période, nouvelle
crispation : une note diffusée par
la représentation diplomatique
marocaine à New York aux pays
membres du Mouvement des
non-alignés provoque le rappel
pour « consultations » de l’ambas-
Le Polisario ne reconnaît plus
le cessez-le-feu depuis une
intervention de l’armée ma-
rocaine en novembre 2020.
Le Point 2570 | 11 novembre 2021 | 61
sadeur algérien à Rabat. Dans cette
note, le représentant marocain à
l’ONU, Omar Hilale, répondant à
une intervention du chef de la di-
plomatie algérienne, Ramtane La-
mamra, écrit : « L’autodétermination
n’est pas un principe à la carte. C’est
pourquoi le vaillant peuple kabyle
mérite, plus que tout autre, de jouir
pleinement de son droit à l’auto­
détermination. » « L’abandon par l’un
des parrains de la région, les États-
Unis, de sa neutralité dans le conflit
algéro-marocain et l’irruption d’Is­
raël comme allié assumé de Rabat a
poussé Alger à se sentir en danger im­
minent », commente un éditoria-
liste algérois.
D’ailleurs, lors de sa visite au
Maroc, les 11 et 12 août 2021, le chef
de la diplomatie israélienne, Yaïr
Lapid, manifeste son « inquiétude
au sujet du rôle joué par l’Algérie dans
la région, son rapprochement avec
l’Iran et la campagne qu’elle a menée
contre l’admission d’Israël en tant que
membre observateur de l’Union afri­
caine ». « Il faut bien se rendre compte
que jamais depuis 1948 un membre
d’un gouvernement israélien n’a été
entendu émettre des jugements et pro­
férer des messages contre un pays arabe
à partir du territoire d’un autre pays
arabe », a réagi Ramtane Lamamra,
le 24 août, lors de l’annonce de la
rupture des relations diploma-
tiques entre l’Algérie et le Maroc.
« En Israël, nous ne voulons pas nous
ingérer dans ce type de dispute [entre
Alger et Rabat, NDLR] et je pense
qu’il est très clair qu’il s’agit d’une ten­
tative du régime algérien d’essayer de
détourner l’attention des problèmes
intérieurs », insiste, en octobre, Da-
vid Govrin, le représentant du bu-
reau de liaison d’Israël au Maroc.
Entre-temps, la rupture des re-
lations diplomatiques entre Alger
et Rabat débouche sur d’autres me-
sures de rétorsion, comme la fer-
meture de l’espace aérien algérien
aux vols marocains et la non-re-
conduction du contrat du …
MONDE
Les forces en présence au Sahara occidental
Les armées sont comparables, Moscou équipant l’Algérie et Washington
le Maroc. Mais, en matière militaire, les hommes et les matériels
ne sont qu’une partie de la question !
Les budgets de la défense
en 2021, en milliards d’euros
7,7*
5,59
Maroc Algérie
*En 2020, au cours du dinar du 26/11/2021
Tanger
Rabat
Oran
Océan Atlantique MAROC
Marrakech
El-Aiun S A
SAHARA
OCCIDENTAL
MAURITANIE
Source : Sipri, IISS, Jean Guisnel.
… gazoduc Maghreb-Europe
(GME), ­reliant depuis 1996 les gi-
sements algériens à Cordoue, en
Espagne, en traversant le Maroc
et le détroit de Gibraltar. Rabat est
ainsi privé de 1 milliard de mètres
cubes de gaz naturel (97 % de ses
besoins) et des droits de passage
sur son territoire. Alger accusera
également le Maroc et Israël de
complot et d’être à l ’origine des
incendies criminels qui ont ravagé
le nord du pays au mois d’août. Is-
raël a réfuté ces accusations.
Représailles. Ces tensions entre
les deux pays sont condamnées à
durer, notent plusieurs observa-
teurs. « Il ne faut pas oublier qu’il
s’agit de deux nationalismes concur-
rentiels en compétition depuis près de
soixante ans », explique Nordine
Azzouz, directeur du quotidien al-
gérien Reporters. « Le conflit du Po-
lisario, depuis trente ans, et les
évolutions actuelles n’ont fait qu’exa-
cerber cette ancienne concurrence »,
précise ce spécialiste des affaires
maghrébines. Et de rappeler que
le premier conflit entre les deux
pays date d’octobre 1963 quand le
Maroc, désireux de récupérer des
62 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
Les dépenses militaires
en 2020, en % du PIB
6,7 %
4,3 %
Maroc Algérie
Alger
ALGÉRIE
H A R A
Tamanrasset
territoires au sud et à l’ouest de
l’Algérie, décida de passer à l’ac-
tion armée. La guerre dura trois
semaines, faisant 850 morts côté
algérien, et marqua durablement
les imaginaires des deux côtés de
la frontière. Ce souvenir tenace
plane de plus en plus sur les fron-
tières ouest de l’Algérie à chaque
importante manœuvre militaire,
dont le rythme s’est intensifié ces
dernières années. En face, la no-
mination, en septembre, du géné-
ral de corps d’armée Belkhir El
Farouk, commandant de la zone
sud, où il a servi pendant quarante
ans au poste d’inspecteur général
des FAR, a été interprétée comme
un message fort à l’adresse du voi-
sin de l’Est. « Rabat serait disposé à
réagir par voie de représailles si ja-
mais les généraux algériens décidaient
d’élever le ton et d’enclencher les hos-
tilités », note l’analyste marocain
Aziz Chahir dans Middle East Eye.
« Je ne crois pas à l’option
militaire. » A
 bdelaziz Rahabi,
ex-diplomate algérien
Effectifs et matériels
MAROC ALGÉRIE
195 800 130 000
hommes hommes
dont : dont :
Armée de terre Armée de terre
175 000 hommes 110 000 hommes
656 chars de combat 1 500 chars de combat
800 autres blindés 2 000 autres blindés
2 300 tubes d’artillerie 1 150 tubes d’artillerie
70 missiles sol-air 36 missiles sol-air
Armée de l’air Armée de l’air
13 000 hommes 14 000 hommes
90 avions de combat 110 avions de combat
31 hélicoptères de combat 59 hélicoptères de combat
76 hélicoptères de transport 147 hélicoptères de transport
Marine Marine
7 800 hommes 6 000 hommes
3 frégates, 4 corvettes 6 sous-marins, 6 frégates
Autres Autres
2 satellites espions 12 missiles sol-sol Iskander
Ira-t-on pour autant vers l’af-
frontement armé ? « Je ne crois pas
à l’option militaire face à la stratégie
de la tension permanente du Maroc »,
déclare l’ancien ambassadeur Ab-
delaziz Rahabi. Alger semble se
diriger vers « l’inscription de ces ten-
sions dans le sillage de la légalité in-
ternationale en jetant la balle dans
le camp de l’ONU », observe aussi
un diplomate. L’interdiction de
survol militaire du territoire
sahraoui imposée par l’ONU se-
rait, selon des sources algériennes,
une des options avancées par
Alger, avec le renforcement de la
coordination sécuritaire avec la
Mauritanie le long des frontières
comme décidé le 8 novembre.
« Une guerre ouverte n’est pas à
l’ordre du jour d’autant que les par-
rains de la région – États-Unis et
France – et les nouveaux acteurs qui
s’imposent, comme la Russie, ne don-
neront pas l’aval pour une telle dés-
tabilisation de cette zone », analyse
Nordine Azzouz. Pour lui, « la
guerre froide se poursuivra entre
Alger et Rabat et débordera sur
d’autres théâtres d’opérations pou-
vant générer des tensions, comme le
Mali par exemple » §
SOCIÉTÉ

Mystères et péchés
Aveux. Le secret garanti au
pénitent est remis en cause
dans le rapport Sauvé.
Enquête sur ce qui se
­chuchote au confessionnal.
PAR VIOLAINE DE MONTCLOS

C
’est une vaste église de banlieue balayée par les
courants d’air. À gauche en entrant, assis au m ­ ilieu
d’une pièce entièrement vitrée, le curé, dont le
site Internet de la paroisse précise qu’il reçoit chaque
vendredi de 17 heures à 19 heures, pique du nez dans
son aquarium. Dans toutes les églises de France, les
prêtres sont tenus, un peu comme les députés, de te-
nir des « permanences » destinées, notamment, aux
confessions de leurs paroissiens. Les mystérieux
confessionnaux de bois, objets d’inépuisables fan-
tasmes littéraires et cinématographiques, ne sont
quasiment plus utilisés. Désormais, le prêtre confesse
au beau milieu de l’église, si celle-ci est assez vaste
pour que le murmure du pénitent soit inaudible pour
les visiteurs, ou bien dans ces drôles de cages de verre
où le conciliabule peut se dérouler à la vue de tous.
On pousse la porte et le curé sursaute, l’air déjà
agacé. « Il fait un froid terrible », grommelle-t-il… Ça
commence mal. D’autant que, comme le maire
­Peppone venu faire pénitence mais avouant au bon
Don Camillo qu’il ne s’est pas confessé depuis des
lustres, il faut bien avouer à ce curé qui grelotte que
le ­dernier exercice du genre remonte pour nous, au
bas mot, à trente-huit longues années… « Tu as dû en
commettre, des péchés… » répond Fernandel à Peppone
en ouvrant des yeux ronds mais en lui montrant tout
de même le confessionnal. Notre curé est moins
amène, désignant quant à lui la porte et un petit guide
du pénitent que l’on trouvera à la sortie de l’église.
« Trente-huit ans ? Faites d’abord votre examen de conscience,
madame. Et revenez éventuellement demain. »
SÉBASTIEN LEBAN POUR « LE POINT »

Le père Laurent Lemoine – dominicain et auteur

de Désabuser. Se libérer des abus spirituels (Salvator) –
nous avait prévenue : les candidats à ce qu’il est
­désormais convenu d’appeler le « sacrement de ré- Isoloir. Confession avec
conciliation » sont à la merci du style, rigoriste ou le père ­Julien Durodié,
non, du prêtre sur lequel ils tombent… D’ailleurs, à l’église Saint-Eugène,
­aucune autre religion ne confère à ses ministres du rue Sainte-Cécile, dans le
culte le pouvoir, à vrai dire inouï, dont sont … 9e arrondissement de Paris.
64 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
de la confession
SOCIÉTÉ
Mitoyen.Emmanuelle Riva et Jean-Paul Belomondo dans « Léon Morin, prêtre » (1960).
… ­investis, par leur hiérarchie, les prêtres catho-
liques et orthodoxes : celui d’accorder ou non à d’autres
hommes le pardon de Dieu, interprétant à la lettre
l’adresse du Christ à ses apôtres dans l’Évangile de
Jean : « Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur
seront pardonnés. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur
seront retenus. »
Baptême à sec. L’invention de cette pratique
­remonte au IIIe siècle alors qu’on réalise, au sein des
­premières communautés chrétiennes, que de plus en
plus de candidats au baptême retardent celui-ci au
maximum afin d’avoir toutes les chances d’être «­  la-
vés » de leurs fautes – sans avoir le temps d’en com-
mettre d’autres – juste avant de mourir. La pénitence
publique, ne concernant que les fautes graves, est alors
instituée comme une sorte de second baptême
­permettant de réintégrer l’Église après avoir péché :
un baptême « à sec », comme on dit parfois ; un genre
de seconde chance… Puis, à partir du VIe siècle, les
moines instaurent tout un système de pénitences
66 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
dites « tarifées »… « À telle faute correspond telle ou telle
pénitence. Pour un crime, ce sera par exemple trois pèleri-
nages, explique le père Gilles Drouin, directeur de l’Ins-
titut supérieur de liturgie. Les tarifs sont extrêmement
précis et consignés dans des livres que l’on nomme des
­pénitenciers. Ce n’est qu’au XIIe siècle que naît la pénitence
dite moderne, celle qui a grosso modo encore cours au-
jourd’hui : il n’y a plus de “tarifs”, car l’Église considère que,
ce qui coûte au pénitent, c’est l’aveu de ses fautes… C’est cet
aveu que l’on valorise, d’où ce terme de “confession”. »
Il semble, même si les chiffres sont impossibles à
vérifier, que les demandes de confession soient ­depuis
quelques années en nette augmentation dans les
­paroisses. Il faut dire que cette valorisation de l’« aveu »
« Il ne faut pas jouer au psy.
Ce que l’Église évalue, c’est
la responsabilité morale.
On ne fait pas de thérapie. »
Père Laurent Lemoine
est assez raccord avec notre époque qui prône la
­contrition permanente, chacun étant sommé de battre
sa coulpe et de présenter ses excuses publiques au
moindre faux pas s’il ne veut être banni de la commu-
nauté de ses pairs… Mais le quatrième des sacrements
­catholiques est en même temps en décalage absolu
avec nos v­ aleurs contemporaines, d’abord et avant
tout parce que le droit canon le protège d’un secret in-
violable, quelle que soit la nature de la faute avouée,
d’un secret que le président de la Conférence des
évêques, Mgr de Moulins-Beaufort, a récemment eu
la ­maladresse de définir, provoquant l’ire du ministre
de l’Intérieur, comme « plus fort que les lois de la Répu-
blique » (voir encadré p. 69).
Les quatre « L’Église est évidemment coupable d’avoir dissimulé
étapes du les faits de pédocriminalité, tempère le père Thomas
sacrement Poussier, recteur du séminaire Saint-Luc à Aix-en-­
- L’aveu des fautes. Provence et auteur du Secret de la confession (Salvator),
- Le repentir, ou mais il ne faut pas confondre ce silence, très grave, de l’ins-
contrition, c’est-à-
dire l’attitude inté-
titution avec le secret qui est garanti au pénitent et permet
rieure de regret à ce dernier d’être en vérité avec lui-même. Et puis il y a
profond de la faute beaucoup de fantasmes autour du secret de la confession :
et le désir de s’amé- les pédophiles ne se confessent pas plus que les pervers
liorer, de réparer, sexuels ne se dénoncent à la police, vous savez… » La liste
dont le confesseur des péchés dits « réservés » par le droit canon, c’est-à-
RAYMOND DEPARDON/MAGNUM PHOTOS
doit s’assurer autant
qu’il est possible. dire des péchés considérés comme si graves qu’ils ne
- L’absolution don- peuvent être absous que par un évêque et non par un
née par le prêtre, qui simple prêtre, laisse malgré tout pantois : on n’y trou-
est le « don du par- vera ni le meurtre, ni le viol, ni la pédophilie, mais
don sacramentel ». l’apostasie et la profanation de l’hostie…. Jusqu’à ce
- La pénitence : le que le pape ­François, il y a trois ans, autorise tous les
prêtre demande au
croyant de poser un prêtres à l’absoudre, l’avortement y figurait aussi. C’est
geste qui atteste son dire si le droit canon, à l’aune duquel sont en théorie
désir de conversion. jugées les fautes avouées en confession, n’a que …
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prêtre est libre, nuance un curé désirant rester anonyme.
En théorie, si un paroissien vivant en couple homosexuel et ne

Paris  ! souhaitant pas changer de vie se présente à moi et demande

Historique, moderne,
majestueuse et intimiste
le pardon pour tout autre chose, je ne peux l’absoudre, parce
que l’on est censé absoudre le pénitent de “tous” ses péchés.
Mais je considère que, mon boulot, c’est d’assurer à ces gens
qui viennent si courageusement à moi que Dieu les aime, que
Dieu est pardon. Alors, comme beaucoup de prêtres, je prends
mes distances avec la théorie… Et puis, la grande folie de
l’Église, c’est de s’être tellement focalisée sur les questions
sexuelles que les paroissiens, en confession, ont tendance à ne
parler que de sexe. L’exercice peut alors devenir complètement
névrotique. » On songe à l’abbé Mugnier, ce fameux confes-
seur du Tout-Paris littéraire et mondain du d­ ébut du
XXe siècle, notant dans son journal avec une délectation
certaine les aventures sexuelles confessées par ses
ouailles : « Hier, au confessionnal, une femme m’a révélé
l’existence de brasseries à Paris où, après une consommation
élevée, on fournit, au premier, dans des salons d’un luxe inouï,
des femmes à des femmes, des femmes à des hommes. »

Criminel de guerre. Comme elles peuvent être

­redoutables, ces rencontres furtives entre des croyants
qui livrent ce qu’ils ont de plus intime – et sans doute
aussi de plus sombre – à des prêtres que la possibilité
­d’accorder ou non le p ­ ardon met potentiellement dans
une ­situation de toute-puissance ! « Tout ce qui nous est
confié nous affecte, on ne peut pas faire cela sans empathie,
mais il faut absolument rester à sa place, se garder d’être
­intrusif, beaucoup travailler sur soi-même, témoigne le père
Lemoine. Et il ne faut surtout pas jouer au psy. Les fidèles
ont tendance à psychologiser l’aveu, mais, ce que l’Église éva-
lue, c’est la responsabilité morale, on ne fait pas de thérapie… »
À Pau, le père Jean-Jacques Dufau, curé de la paroisse du
Christ sauveur, constatant depuis trois ans un accrois-
sement très net de la demande de confession, a dû étendre
les plages horaires des permanences. Il entend lui-même
de 15 à 20 confessions par semaine, un véritable mara-
thon qu’il mène le cœur en paix, jamais las de ces confi-
dences et convaincu, vraiment, d’être utile. « Ces vies
Retrouvez les secrets humaines qui se racontent humblement, souvent très dures,
me bouleversent et nourrissent ma vie de prêtre. On me parle
les mieux gardés de la beaucoup d’adultères, d’avortements, de vols, mais je n’ai
­jamais reçu de confession de pédophiles… La raison me pa-
capitale, les adresses raît simple : pour demander pardon, je crois qu’il faut quand
même avoir conscience d’avoir fait le mal, dit il. Je vois beau-
que se murmurent coup de jeunes revenir à ce sacrement, mais le plus éprouvant,

les Parisiens.
vous savez, c’est de confesser les personnes âgées. Au début,
voyant arriver un monsieur âgé, je pensais : “Oh, ce bon vieux
n’aura rien de bien méchant à m’avouer”, mais je sais main-
tenant que c’est tout l’inverse : à l’approche de la mort, les gens
veulent se laver de ce qui encombre leur cœur, et c’est quelque-
fois très difficile à écouter. » Ainsi, cet autre curé d’une pa-
En vente en kiosque et sur roisse du sud de la France raconte a­ nonymement que
boutique.lepoint.fr l’une des premières confessions qu’il eut à entendre,
alors tout jeune prêtre, fut celle d’un criminel de guerre,
juste après le conflit indochinois : « Il était au seuil de la
mort, sa ­demande de pardon était sincère, et cela l’a libéré.
Mais moi, franchement, je n’ai jamais pu l’oublier… »
 Les Bonnes Adresses du
Puisque notre tatillon curé de banlieue nous a sans
façon renvoyée, direction Saint-Sulpice, à Paris, l’une
des quelques églises de la capitale à offrir au ­visiteur la
possibilité de demander le sacrement de réconciliation
sans rendez-vous et à toute heure du jour : un prêtre est LES GRANDS
là, en permanence, un genre de « SOS confesseur » qui
attend, lui aussi, derrière une vitre. Celui du jour est JOURS*
tout jeune. Et ce prêtre-là, qu’importent les trente-huit
années passées loin du confessionnal, accepte volon-
tiers d’écouter et de pardonner, au diable l’examen de
conscience ! Mais, à son air las, à sa manière de jeter de
fréquents coups d’œil à son iPhone éteint, difficile de
ne pas deviner l’ennui, terrible, qu’il y a probablement
à accueillir en continu le récit de vies ordinaires qui se
ressemblent toutes. Et l’on songe alors à cette figure de
notaire qui croise celle du malheureux curé d’Ambri-
court dans Journal d’un curé de campagne, de Georges
­Bernanos. Un bon notable qui ne croit plus guère en
rien, mais qui, comme tant d’autres, au cas où, préfère
tout de même au seuil du trépas ­soulager sa conscience.
« Fina­lement, la veille de sa mort, je l’ai confessé », raconte *OPÉRATION EXCLUSIVE À PARIS !
Conditions exceptionnelles sur toute la collection
le jeune curé dans son journal. Avant d’ajouter, avec ce jusqu’au 30 novembre
qui ressemble à une pointe de déception : « Que dire ? Ce
n’est pas grand-chose, ça tiendrait parfois en peu de mots, ©
une vie de notaire. » §

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­d’avocat ou de médecin, relève, selon les lois de
la ­République, du secret professionnel. Celui-ci
s’applique non seulement à la confession, mais
également à l’accompagnement spirituel ou
aux simples confidences de paroissiens faites
dans le cadre sacerdotal. Au même titre qu’un
médecin ou qu’un avocat, un prêtre qui brise
le secret ­professionnel s’expose donc à des
­poursuites ­pénales, à une notable exception
près : lorsqu’il a connaissance d’une mise en
Photos non contractuelles.

danger de mineurs ou de personnes vulné-

rables. Il peut, dès lors, ­briser ce secret sans
­s’exposer à des poursuites. Mais il s’agit là des
lois de la République. Tandis que le droit canon
pose comme principe absolu le secret invio-
lable de la confession, tout prêtre le brisant Bibliothèque modulable Charlotte, fabrication italienne
­s’exposant, lui, à l’excommunication. Dans une ©
note de 2019 approuvée par le pape François,
le Vatican déclarait même que toute ­action
­politique ou initiative législative visant à forcer Le plus grand espace mobilier composable à Paris 15 • 7j/7
l’inviolabilité du secret de la confession ­serait 147 rue Saint-Charles et 60 bis rue de la Convention
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Carrère d’Encausse : « Le
féminisme de Kollontaï n’était pas
une guerre contre les hommes »
Pionnière. Avec « Alexandra
Kollontaï » (Fayard), la grande
historienne fait revivre la
flamboyante féministe russe.
PAR ÉTIENNE GERNELLE ET CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT
P
remière femme ministre, première femme am-
bassadeur, partisane de l’égalité totale entre les
hommes et les femmes dans un monde ultra-
masculin – celui des bolcheviques, qui n’étaient pas
des tendres… Polyglotte, aristocrate devenue révo-
perpétuel de
lutionnaire, théoricienne de l’« amour-camaraderie »,
pourfendeuse de l’hypocrisie des lois tsaristes sur
la prostitution, réclamant pour les femmes la liberté
d’avoir des enfants mais aussi celle de ne pas sacri-
fier leur vie professionnelle en les élevant… Essayiste
70 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
Icône. Alexandra Kollontaï,
en privé (à g., en 1921)
et en public, ici lors d’un
congrès de femmes
communistes,
à Moscou, en 1921.
brillante, oratrice de choc, romancière superstar et
survivante à toutes les purges staliniennes… Et belle
avec ça… Quelle vie digne d’une trépidante série de
Netflix que celle d’Alexandra Kollontaï (1872-1952),
la « Walkyrie de la révolution » ! Et quelle passionnante
SPUTNIK VIA AFP – R. POPOVKIN/SPUTNIK VIA AFP – KHANH RENAUD
et salutaire résurrection que celle que lui offre la
grande historienne dans son nouveau livre ! Alexan-
dra Kollontaï ? Qui, en 2021, se souvient de ce nom ?
Son effacement des mémoires par Staline y est sans
doute pour quelque chose. Et pourtant, à l’heure où
Hélène les combats féministes actuels prennent parfois des
­ arrère
C airs de règlement de comptes et de jeu de « décon-
­d’Encausse struction » avec les hommes, Alexandra Kollontaï,
Secrétaire
qui ne les détestait pas et choquait Lénine par sa fa-
l’Académie çon d’affirmer qu’on peut faire l’amour « comme on
française avale un verre d’eau », a bien des leçons à transmettre
à notre époque, qui croit souvent, comme le pointe
malicieusement Hélène Carrère d’Encausse, que
tout commence avec elle. Entretien.
 Un livre acheté =
Le Point : Avec ce livre, vous faites votre
aggiornamento féministe ?
4 repas distribués
Hélène Carrère d'Encausse  : Ah, si c’est le féminisme
d’Alexandra Kollontaï, oui ! Mais il faut comprendre ce
qu’était le féminisme pour Kollontaï. Elle était une révolu-
tionnaire, et son féminisme se situe à l’intérieur de sa vision
révolutionnaire : c’est la révolution qui émancipera la femme
5€

SATTOUF
et lui permettra d’avoir une vie épanouie conforme à ses
vœux. En outre, Kollontaï ne rejette pas les hommes ; elle
vise avant tout l’épanouissement des femmes dans tous les
domaines, professionnel, politique, social, maternel, senti-
mental et sexuel, car Alexandra Kollontaï a été une grande

Illustration de Riad
amoureuse. Ce féminisme, qui suppose d’abord un change-
ment politique et social radical, a été conçu par une femme
très éduquée, très cultivée. Pouvons-nous le comprendre
alors qu’aujourd’hui certaines féministes pensent que tout
commence avec elles, qu’il n’y a plus de mémoire, comme
si rien n’avait été fait avant elles ? Le féminisme est souvent
aujourd’hui une guerre contre les hommes, une revanche.
Il va jusqu’à vouloir changer, voire déconstruire les hommes.
Alexandra Kollontaï, elle, pensait qu’il fallait changer le
monde pour que la femme puisse être l’égale de l’homme
et qu’elle puisse vivre une relation d’égalité avec lui.
Et pourtant, elle va se heurter à un certain machisme,
notamment de la part de Lénine. Il faut envoyer
d’urgence votre livre à Sandrine Rousseau ou à Alice
Coffin, qui pensent que c’est le capitalisme qui
asservit les femmes. Le communisme aussi !
Oui, on peut être de gauche, révolutionnaire, et être
terriblement conservateur ! Les bolcheviques formaient une
société très masculine. Les femmes luttaient à leurs côtés,
elles s’engageaient à fond, mais elles n’eurent pas ensuite
15 nouvelles inédites
SPUTNIK VIA AFP

un rôle de premier plan. Voyez la famille de Lénine avant la

révolution : sa mère le subventionnait, sa sœur lui servait
de courrier et sa femme, Nadedja Kroupskaïa, était sa
écrites par
collaboratrice irremplaçable, traduisant les ouvrages … Tonino BENACQUISTA Cyril LIGNAC
Françoise BOURDIN Agnès MARTIN-LUGAND
Marina CARRÈRE d’ENCAUSSE
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de 6 millions de repas
Altruiste. Alexandra Kollontaï aux côtés de sans-abri, en 1918.
ont été distribués

« On peut être de gauche,

­révolutionnaire, et être
­terriblement conservateur ! »
LE POINT SOUTIENT LES RESTOS DU CŒUR
SOCIÉTÉ
… qui ­l’intéressaient, préparant et corrigeant ses
écrits, toujours disponible pour lui. Nombre de
bolcheviques venaient de la bonne société – les
prolétaires ne faisaient que grossir les rangs –, d’un
milieu plutôt traditionaliste où l’on considérait que
les femmes devaient rester à la place qu’on leur avait
définie. Songeons que Lénine, exilé en Sibérie, s’était
marié avec Kroupskaïa et se déclara – le registre de
l’église en témoigne – noble héréditaire ! Lénine
désapprouvait la liberté sexuelle prônée par Kollontaï
et plus encore la vie libre qu’elle menait. Il lui reprochait
d’affirmer : « On fait l’amour comme on avale un verre
d’eau. » Il en oubliait ­l’essentiel. Pour Kollontaï, l’amour
reposait sur l­’égalité parfaite entre la femme et
l’homme. Cela explique son jugement sévère sur le
mariage, institution qu’elle trouvait dénuée de sens.
Un couple existait tant que l’amour était là. Et, surtout,
ce devait être un « couple de camarades », où la curiosité
pour l’autre, le désir, naît aussi du fait qu’on partage
les mêmes idéaux et les mêmes combats politiques.
Le même épanouissement…
Qui ne doit pas être entravé par le fait d’élever
des enfants…
La maternité était importante pour Kollontaï, qui fut
une mère et une grand-mère passionnée. Mais elle
considérait, elle l’a montré dans sa vie, que l’enfant
ne doit pas être un obstacle à l’épanouissement de la
« Lénine lui repro-
chait d’affirmer :
“On fait l’amour
comme on avale
un verre d’eau.” »
72 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
femme. Il est légitime d’avoir des enfants, mais la
femme ne doit pas assumer seule leur charge, elle doit
être relayée par la société. Les femmes doivent être li-
bérées des charges de la maternité afin d’exercer une
activité, un métier, car ce n’est qu’en participant à la
vie sociale qu’elles peuvent s’épanouir et être libres.
La mère donne la vie à l’enfant, elle le nourrit un bref
moment, puis la société, à qui elle offre un nouveau
membre, doit prendre le relais. Pour Kollontaï, la
charge matérielle, financière de la maternité devait
incomber à l’État. Elle exigeait que les mères céliba-
« Alexandra Kollontaï. taires jouissent des mêmes droits et avantages que les
La Walkyrie de la femmes mariées, tandis que pour la majorité des so-
­Révolution », d’Hélène cialistes, fidèles alors à une conception traditionnelle
Carrère d’Encausse de la maternité, on ne pouvait supprimer la distinc-
(Fayard, 312 p., 23 €) tion entre mères mariées et mères célibataires en ma-
tière de droits sociaux, sous peine d’encourager un
« comportement dépravé ». Kollontaï préconisait des
congés de maternité de huit semaines avant et après
la naissance de l’enfant. Sans perte de salaire, ni consé-
Multiple. Avec son quences professionnelles en termes d’ancienneté. Elle
compagnon Pavel militait aussi contre les réglementations de la prosti-
­Dybenko (à g., en haut) tution qui existaient sous le régime tsariste, car, pour
dans la famille de ce elle, c'était une hypocrisie qui ne sanctionnait que les
dernier, en 1919. femmes des classes pauvres…
Ci-dessous, toujours Chez les femmes, pourtant, elle n’a pas trouvé
élégante, en 1905. que des alliées…
En Russie, non, en effet. Contrairement à l’étranger,
où elle a trouvé des appuis, notamment en Allemagne,
avec Rosa Luxemburg et Clara Zetkin. Que lui repro-
chait-on en Russie ? D’abord, pour des raisons straté-
giques, les bolcheviques ne souhaitaient pas créer,
comme elle le voulait, des sections féminines à l’inté-
rieur du Parti. Le Parti était dirigé par des hommes qui
considéraient qu’y donner une place aux femmes,
prendre leurs revendications en charge, affaiblissait
leur lutte. C’était considéré comme un luxe, et les
femmes du Parti étaient d’accord. Par exemple, Véra
Zassoulitch – révérée dans toute la Russie pour avoir
tiré un coup de pistolet sur un haut fonctionnaire de
l’Empire à l’époque du terrorisme triomphant, et qui
était le symbole de la lutte féminine contre le pouvoir
– avait laissé tomber ce jugement sur Kollontaï et ses
propositions : « Elle ne comprend pas qu’elle va divi-
ser le mouvement révolutionnaire. » Kollontaï susci-
tait aussi une méfiance de classe. Elle venait d’un
milieu aristocratique, elle réussissait absolument tout
ce qu’elle entreprenait, c’était à la fois une organisa-
SPUTNIK VIA AFP – R. POPOVKIN/SPUTNIK VIA AFP – SP
trice et un tribun, qui avait une aura magnifique quand
elle parlait en public. Elle le montra quand elle dut,
pour aider Lénine, haranguer les marins de Kronstadt,
qui étaient des hommes peu féministes. Elle a connu
aussi un succès littéraire considérable.
« Les Amours des abeilles travailleuses »
lui ont vraiment assuré la gloire ?
Oui, cela lui a été reproché par les féministes avec qui
elle avait travaillé à créer un département dédié aux
femmes au sein du Parti. Ses propositions furent at-
taquées notamment par Polina Vinogradskaia, qui lui
opposa que l’heure n’était pas aux réflexions littéraires
 alors que les ouvriers se débattaient avec
des problèmes cruciaux de survie, et que
les femmes dont Kollontaï avait fait un su-
jet littéraire étaient plus anxieuses de trou-
ver de quoi nourrir leurs enfants que de
réformer l’amour. Peu après, la même Vino-
gradskaia s’est livrée à une attaque beau-
coup plus violente des thèses de Kollontaï,
l’accusant de « faire souffler dans les voiles
du bateau socialiste le vent des problèmes
sexuels ». Elle expliquait que Kollontaï
avait été et était restée une petite-bour-
geoise imbue de « george-sandisme ». Et
pourtant, Kollontaï a réussi à faire prendre
en considération le sort des femmes par
un Parti qui n’y était pas disposé, elle a
réussi à faire créer des sections féminines
dans le Parti, elle a été ensuite la première
femme ministre, la première femme am-
bassadeur, et surtout elle a survécu à toutes
les purges… Pour une « petite-bourgeoise »,
ce n’est pas si mal…
Vous admirez le féminisme de
Kollontaï, mais vous tenez à secrétaire perpétuel
au masculin ?
Par respect pour l’usage. Je ne vois pas pourquoi j’irai
le tuer. Le principe qui veut que les fonctions soient
dites au masculin ne me gêne pas. L’essentiel est que
des femmes les occupent. Il y a aussi un problème
de langue : secrétaire au féminin a long-
temps désigné une collaboratrice, mieux,
celle qui apporte le café au patron. Au mas-
culin, c’était le secrétaire du Roi, le rapport
au « secret ». À l’Académie, dès l’origine,
le secrétaire est celui qui tient les registres,
qui garde la mémoire de l’institution, et il
est perpétuel car il y faut la continuité. Et
puis, vous savez, j’appartiens à une géné-
ration où les femmes avaient déjà com-
mencé à s’imposer par leurs mérites. Je
considère que l’égalité est en partie réali-
sée, même s’il reste des choses à faire sur
les salaires, par exemple. En s’imposant
par leurs mérites, les femmes se sont obli-
« Il pourrait y avoir gées, et y ont réussi, à être les meilleures.
dans un gouverne- Faut-il simplement avoir un gouverne-
ment où il y aurait autant de femmes que
ment plus de femmes d’hommes ? Alors qu’il pourrait y avoir
dans ce gouvernement plus de femmes
que d’hommes. » que d’hommes, si on prend les meilleurs !
Pour moi, la chance historique des femmes
est d’avoir dû se battre pour conquérir les
Ambassadrice. postes, les fonctions, pour être utiles à la société et
La diplomate Alexandra ainsi s’épanouir. Mais il leur a fallu être supérieures
Kollontaï au palais royal aux hommes pour cela. C’est une idée peu conforme
de Stockholm, en 1930. à celle de notre époque, mais c’est aussi ce que pen-
sait Kollontaï des rapports hommes-femmes, et je
pense que c’est la vraie modernité §

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sont-elles dépassées ?
Exode. Échaudés par
les confinements, les u
­ rbains
couperaient les ponts avec
leur vie d’avant. Vraiment ?
PAR ROMAIN GONZALEZ
S
ujet récurrent depuis dix-huit mois, la « fuite des
métropoles » va passer l’épreuve du feu, alors que
la vie est revenue à un semblant de normalité.
Après que l’opérateur Orange a évoqué le départ de
plus de 1 million de Franciliens au début du premier
confinement, beaucoup ont glosé sur le déclin de ces
villes parfois jugées sales, dangereuses, e­ mbouteillées
et stressantes. Qu’en est-il dans les faits ? Rencontre
avec la géographe et sociologue Chloë Voisin-­Bormuth.
Le Point : En France, la métropolisation est-elle
un processus centrifuge (étalement urbain)
ou centripète (concentration des populations) ?
Chloë Voisin-Bormuth : À l’origine de toute métro-
pole, il y a une agglomération de populations autour
d’une ville centre, avec, peu à peu, un grignotage de
terres auparavant non urbaines. On constate donc un
double mouvement : d’un côté, une densification de
la ville centre ; de l’autre, la croissance de communes
périphériques et une densification progressive des
villes de la première couronne, les faubourgs, où les
petites maisons font place à des immeubles ­collectifs.
Mais où s’arrête une métropole aujourd’hui ?
On ne peut pas se contenter d’une définition institu­
tionnelle en affirmant, par exemple, que la métro-
pole de Lyon s’arrête à ses limites politiques. Il faut
aborder cette question sous un angle fonctionnel. Et
c’est là que des problèmes se manifestent : parfois,
les bassins de vie dépassent les limites politiques, ce
qui crée des situations complexes, notamment au
niveau des transports. Certaines villes sont exclues
du réseau de transports collectifs métropolitain alors
qu’elles font pleinement partie du bassin de vie. Dans
tous les cas, il est difficile de tracer une limite ­définie.
On a beaucoup commenté le départ massif
des urbains vers les villes moyennes
et les campagnes lors du premier confinement.
Les métropoles ont-elles perdu la bataille ?
Il est difficile de répondre à cette question, car on traite
plus de l’imaginaire des métropoles, des villes
74 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
moyennes et des campagnes que de leur réalité. L’avan-
tage concurrentiel de la métropole étant de permettre
des rencontres entre inconnus, elle a perdu de son
charme à partir de mars 2020. Aujourd’hui, b
évoquent un « moment des villes moyennes », lié à
­ eaucoup
l’image « chaleureuse » entourant ces villes. Récem-
ment, lors de la 2e édition des Rencontres des villes
moyennes organisée par La Fabrique de la cité à Ca­
hors (Lot), François Bayrou a évoqué la ville moyenne
Chloë Voisin-­ comme réponse à l’isolement. Le maire, Jean-Marc
Bormuth Vayssouze-Faure, l’a présentée comme plus capable
Géographe et de faire face au défi climatique. C’est très ­certainement
sociologue, vrai. Pourtant, si l’on s’en tient aux faits, la donne est
directrice plus complexe : les emplois continuent à se créer
des études massivement dans les métropoles, et l’emploi est tou-
et de la
recherche de jours le premier déterminant du lieu où l’on habite !
La Fabrique Les villes moyennes n’ont donc rien à gagner
de la cité. de ces longs mois de confinement ?
Si, car elles peuvent attirer des firmes pour lesquelles
faire partie d’un cluster métropolitain d’entreprises
n’est pas prioritaire. Elles peuvent aussi attirer des
populations à la recherche d’un autre cadre de vie, ou
d’un foncier plus disponible. Pour ces entreprises et
ces populations, une gare, une autoroute ou un p ­ etit
aéroport suffisent. Plutôt que d’insister sur la bataille
entre les métropoles d’un côté, les villes moyennes
de l’autre et la campagne plus loin, nous devrions
célébrer la diversité de notre armature urbaine. La
France a une chance extraordinaire : les villes peuvent
y accueillir des habitants aux attentes différentes.
L’effervescence métropolitaine n’intéresse pas tout
La ville, le monde, tout comme une vie jugée plus « douce ».
nouveaux Le principal risque de notre époque est d’opposer des
horizons modes de vie, ce qui conduit à un certain moralisme.
Retrouvez Chloë
Voisin-Bormuth
Ne confond-on pas l’image d’Épinal
et d’autres invités du « retour à la terre » avec une simple
­prestigieux – Patrick mobilité entre métropoles ?
Blanc, David Djaïz, En novembre 2020, nous avons mené avec les ins­
Muriel Mayette- tituts Kantar et Potloc un sondage révélateur. Les
Holtz, Rudy Ricciotti ­Parisiens y déclaraient massivement vouloir fuir la
– dans le cadre
du colloque du Point capitale. En revanche, dans les métropoles ­régionales,
« La ville, nouveaux les habitants se déclaraient satisfaits de leur ­existence
horizons », le 19 no- et ne désiraient pas déménager. Nous constatons donc
vembre au Centre – et ce n’est pas nouveau – un mouvement vers les
universitaire médi- métropoles régionales plutôt qu’un retour à la terre.
terranéen, à Nice. C’est ce que l’on peut appeler l’effet TGV. Ces urbains
Informations
et billetterie sur : sont à la recherche de logements plus vastes mais ne
https ://evenements.­ veulent pas obligatoirement adopter un mode de vie
lepoint.fr alternatif ou acheter une maison avec jardin §
SP
Comment recycler
le CO2 pour faire
un béton plus solide ?
LE BÉTON DURCI
AU CARBONE
BREVET NO US 10,894,743 B2

Le béton est le matériau artificiel le plus utilisé sur terre1.

Mais avant qu’il puisse être exploité, il faut qu’il soit durci.

Nous avons développé une nouvelle technique de durcissement

par laquelle nous pouvons stocker jusqu’à 200 kg de CO2 dans
chaque tonne de ciment. Il est ainsi possible de le rendre aussi
résistant que le béton ordinaire en 3 jours au lieu de 28, ce qui
accélère le processus de construction et le rend plus efficace.

Si tout le secteur du béton préfabriqué optait pour notre

technologie, nous serions en mesure de recycler jusqu’à
246 millions de tonnes de CO2 par an2,3, soit l’équivalent des
émissions de 53 millions de voitures4.
Découvrez comment nous continuons à innover pour un avenir
meilleur sur aramco.com/betterfuture-carbon-curing

1
Source : Association mondiale du ciment et du béton
2
Production mondiale annuelle de ciment en 2019 : 4,1 milliards de tonnes. Source : IEA.
3
L’industrie de la préfabrication représente 30 % du total. Sources : The Business Research
Company & Fortune Business Insights.
4
Un véhicule de tourisme type émet environ 4,6 tonnes de CO2 par an. Source : EPA.
Comment diminuer
l’empreinte carbone
d’un poids lourd ?
CAPTURE DU CARBONE
EN MOUVEMENT
BREVET NO US 9,486,733 B2

Plus d’un tiers desUS9486733B2

émissions de CO2 générées par le transport
sont dues au fret routier1. Au cours de récents tests en
laboratoire, nous avons capturé jusqu’à 40 % du CO2 des gaz
d’échappement d’un camion, et nous l’avons stocké à bord
de manière sûre en vue de le réutiliser ou de le stocker en
profondeur ultérieurement.

Si tous les poids lourds du monde disposaient de notre

technologie, nous pourrions réduire les émissions de CO2
jusqu’à 473 millions de tonnes par an2, ce qui équivaut à
planter 80 milliards de nouveaux arbres3.

Découvrez comment nous continuons à innover

pour un avenir meilleur sur
aramco.com/betterfuture-mcc

1
IEA (2017), L’avenir des camions, IEA, Paris
2
IEA (2020) Émissions de CO2 des véhicules lourds dans un contexte
de développement durable, 2000-2030
3
Un jeune arbre absorbe 5,9 kg de CO2 par an. Source : Urban Forestry Network.
ÉCONOMIE

Austin, le nouveau
« En dix ans, Austin a crû
de 500 000 habitants, soit
l’équivalent de la population
de Washington. » 
Steven Pedigo, économiste

Attractive. Vue depuis

Lou Neff Point sur
la skyline texane et
le chantier de la tour
Google, en forme de voile.

78 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570

miracle américain
Boom. La capitale du Texas, autrefois
repaire « de hippies et de rednecks »,
ÉTATS-UNIS
affiche une croissance insolente et
NOUVEAU-
MEXIQUE Dallas
attire les génies de la tech.
TEXAS
Austin Houston DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE À AUSTIN,
CLAIRE MEYNIAL
MEXIQUE
S
0 500 km Brownsville Golfe du ous des néons blafards, devant
Mexique des cibles en carton, sont po-
sées une dizaine d’armes et des
boîtes de munitions. « Laquelle je
préfère ? Impossible de répondre »,
sourit Kyle Murphy avec gourman-
dise. Crâne rasé, pectoraux sail-
lants, l’ancien militaire de 32 ans,
qui a connu l’Afghanistan et fait le
tour du monde, a quitté San Fran-
cisco il y a un an et fondé le Bitcoin
Club, à Austin. Depuis trois mois,
il réunit des possesseurs de bitcoins
autour de conférences et d’activi-
tés. « On était une trentaine à la pre-
mière soirée, le double la deuxième,
une centaine la troisième », dit-il. Il
estime la communauté de bitcoi-
ners d’Austin à « des milliers ». En ce
samedi, il a organisé un après-midi
de tir avec une vingtaine de
membres. Prix des deux heures :
200 dollars. Mais qu’est-ce que cette
somme ridicule quand le cours du
bitcoin frôle les 62 000 dollars ? Il
prend son temps, troue la cible, re-
pose l’arme. Tout Austin est là : c’est
un mélange entre ce que la fintech
(technologie financière) fait de plus
BOB DAEMMRICH/ZUMA-RÉA POUR « LE POINT »
moderne et ce qu’il y a de plus texan
– revolvers, fusils AR-15 et kalach-
nikovs. Quant à Matthew A., éga-
lement présent, il a quitté l’Arizona.
Son profil d’ex-marine qui a dirigé
53 hommes en Irak a plu à Ama-
zon, qui l’a embauché pour super-
viser ses entrepôts là-bas, puis à
Apple. Il a toujours boudé la Sili-
con Valley. « En 2012, Apple propo-
sait des bonus de 30 000 dollars pour
Le Point 2570 | 11 novembre 2021 | 79
aller bosser en Californie. Personne
n’en voulait ! C’était imposé à 40 %,
contre 4,2 % en Arizona. » Il a été em-
bauché à Austin par AMD, le fabri-
cant de semi-conducteurs, comme
directeur des opérations d’appro-
visionnement. Pour lui, l’avenir
est ici : « La tech est là depuis long-
temps, on est en plein boom, il y a
l’exode de la Californie et le côté bi-
zarre d’Austin, qui attire des gens in-
téressants. » La présence historique
de la scène rock, la cohabitation
entre « les hippies et les rednecks
[ploucs, fermiers] », selon l’expres-
sion consacrée pour décrire la ville,
en fait un pôle de créativité unique.
Amazon, Apple, Facebook,
Google…Austin est la ville qui
a attiré le plus d’employés de la
tech pendant le Covid. Selon Lin-
kedIn, entre mai 2020 et avril 2021,
217 usagers du réseau social sur
10 000 s’y sont installés, devant
Nashville, Tennessee (154). La
grande perdante était San Fran-
cisco (80 départs), suivie de Boston
(54). Austin a aussi recréé 97 % de
ses emplois entre février 2020 et
juillet 2021. La chambre de com-
merce ne boude pas son plaisir.
« 2020 est notre meilleure année en
termes de nouveaux emplois, souligne
Laura Huffman, sa présidente. Qua-
rante-cinq entreprises se sont instal-
lées, 109 se sont agrandies. » Les
postes perdus dans l’hôtellerie ou
la restauration ont été compensés
par ceux qui ont été créés dans la
tech. Le taux de chômage est de
3,5 %. Certaines annonces ont mar-
qué, comme celle d’Elon …
ÉCONOMIE
… Musk. À l’été 2020, il signe
avec le comté de Travis (où est si-
tuée Austin) un contrat pour y ins-
taller sa « giga-usine » de camions
et de SUV. Le mois dernier, coup de
théâtre : il révèle qu’il y déplace son
siège. « L’expansion d’une entreprise
est limitée dans la baie de San Fran-
cisco », explique-t-il. Il a surtout pro-
testé publiquement contre les
fermetures d’usines exigées par le
gouvernement de Californie à
cause du Covid. Les États républi-
cains sont moins stricts… Mais
l’écosystème est ancien. Amazon,
Apple, Facebook et Oracle sont là.
La skyline du centre est dominée
par le chantier du nouvel im-
meuble de Google, en forme de
voile, entre les bars tex-mex et leurs
tacos à 3 dollars, les saloons, les bar-
becues et les salles de concert de
rock. Même si le gouvernement
vient d’annoncer une reprise de
l’emploi, l’économie américaine
peine à repartir après le Covid – ce
qui vient de coûter les élections
­locales au parti démocrate. Austin,
elle, affiche une forme insolente.
Qualité de vie. L’explosion
d’Austin ne détonne pas au Texas.
En 2019, le PIB de l’État a dépassé
celui du Brésil et l’a placé au neu-
vième rang mondial, derrière l’Ita-
lie. C’est la deuxième économie des
États-Unis derrière la Californie, et
le magazine Forbes la donne pre-
mière pour les prévisions de crois-
sance dans les cinq ans, alors que
80 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
Communauté. Kyle Murphy, fondateur du Bitcoin Club, qui réunit
des possesseurs de bitcoins autour de conférences et d’activités
comme le tir (à g.), à Austin.
le reste du pays rame. Steven Pe- 35 000 dollars d’impôts par an.
digo, expert en développement éco- Cet élan ne sort pas de nulle part.
nomique et urbain à l’Université En 1957, un groupe de dirigeants
du Texas à Austin (UT), a signé sur du public et du privé planifie le
le site du New York Times une tri- ­développement d’Austin. L’usine
bune, « Le Texas est l’avenir de d’IBM y ouvre en 1967, celle de
l’Amérique », qui a fait un tel car- ­Motorola, en 1974. Dans les an-
ton que le quotidien l’a republiée nées 1980, le gouverneur attire les
dans sa version papier. « Ces dix der- investisseurs et pousse la recherche
nières années ont marqué la croissance à UT. En 1984, l’étudiant Michael
démographique la plus lente des États- Dell y lance l’entreprise PC’s Li-
Unis, sauf dans le Sud, Texas, Floride, mited. Les entreprises s’installent,
Utah… En vingt ans, la population du comme Microsoft en 2000 ; les sa-
Texas a crû de 40 % : 8,2 millions de lariés les quittent ensuite pour mon-
personnes, deux fois plus que le reste ter des start-up. L’incubateur d’UT,
du pays. En dix ans, Austin a crû de fondé en 1989, en a lancé plus de
500 000 habitants, soit l’équivalent de 300. La capitale d’un État conserva-
la population de Washington », déve- teur, où la faible intervention du
loppe-t-il dans un café du centre- gouvernement est un tel credo que
ville. Les raisons ? « La migration le Congrès ne se réunit que cent
depuis la Californie est réelle. Dans quarante jours d’affilée tous les
mon quartier, toutes les plaques d’im- deux ans, est un environnement
matriculation sont de là-bas. Il y a une idéal pour les entreprises et attire
forte population latino qui a plus d’en- les génies de la tech. « Austin est le
fants. Comme la Floride, c’est moins troisième pilier de la création de
cher que la Californie ou que New York, start-up, avec Boston et la Silicon Val-
et il n’y a pas d’impôt sur le revenu. ley, assure Chris Jacobson, directeur
Enfin, notre économie est diversifiée. » de l’incubateur d’UT. Car le nombre
BOB DAEMMRICH/ZUMA-RÉA POUR « LE POINT » (X2)
Malgré des taxes foncières élevées, de talents sortis des universités dans
il calcule que lui et son mari, venus un rayon de 240 kilomètres est supé-
de New York, économisent rieur à n’importe où dans le pays. »
180 000 étudiants planchent dans
27 universités, et le nombre monte
« C’est moins cher que à 422 000 si on étend le rayon à
322 kilomètres. Et ça se voit. Les ca-
la Californie ou que New York, fés sont pleins de jeunes en short
et en tongs qui bossent sur leur bu-
et il n’y a pas d’impôt sur siness-plan. C’est l’autre secret
d’Austin : la qualité de vie.
le revenu. »S. Pedigo Ce sont les Français qui …
ÉCONOMIE
… en parlent le mieux.
Alexandre Raguet, associé chez En-
ergy Impact Partners, préside La
French Tech d’Austin, qui aide les
start-up françaises à s’implanter. Il
a découvert la ville en 2005, après
être resté treize ans à New York.
« Passer Noël en short, en comparai-
son avec les hivers new-yorkais, c’est
appréciable, raconte-t-il dans un café
au bord du fleuve Colorado. Il y a
encore quelques années, on ne pouvait
pas travailler ici. Aujourd’hui, tous les
métiers y sont. » À lui la verdure, les
trois minutes de vélo pour aller au
foot avec son fils, « les daims dans le
parc ». « Pendant le Covid, le télétra-
vail a permis à certains de louer un ou
deux mois une maison à Austin, pour
voir. Et ils sont restés », ajoute Alexis
Aimard, fiscaliste chez Expedia.
L’entreprise s’agrandit dans un
quartier neuf appelé The Domain,
à vingt-cinq minutes de la ville, avec
son café français, son magasin
Apple, ses marques de luxe. Aus-
tin, c’est aussi la piscine naturelle
de Barton Springs, le parc Zilker et
ses joggeurs, le kayak sur le fleuve…
« Myrtille dans une soupe
à la tomate ». En plein centre,
l’incubateur Capital Factory est un
symbole de dynamisme que Barack
Obama, alors président, a visité en
2013. Les entrepreneurs en herbe
y pianotent sur leur portable, en-
tourés des photos des personnages
de La Guerre des étoiles masqués
contre le Covid. On y rencontre
Luke Thorssen, Philippino-Cana-
dien de 23 ans qui lance un réseau
social ayant pour ambition de ré-
pondre aux inquiétudes du mo-
ment. « Toute ma génération a grandi
avec les réseaux sociaux… Tout le
monde se compare sans arrêt, c’est nui-
sible. Le mien fera du bien », expose-t-il.
Sur Vlogmi, les contenus ne vien-
dront que de la caméra de l’appli-
cation (et non de la galerie du
téléphone), sans aucun filtre em-
bellissant, contrairement à TikTok
ou à Instagram, par exemple, où les
filles postent des vidéos de leur vi-
sage totalement retouché et rêvent
de standards de beauté irréalistes.
Thorssen a derrière lui des stars de
la chanson des Philippines, avec
lesquelles il a monté un label, et en-
82 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
Plein air. Séance de yoga au parc Zilker.
Musique live. Austin est mondialement réputée pour ses festivals.
tend toucher les jeunes Américains
grâce au rachat d’une autre appli,
Gumdrop, déjà utilisée par 400 étu-
diants d’UT. Montée par Kangle Lin,
21 ans, elle crée des groupes de
quatre à six amis, par affinités.
Kangle a quitté San Francisco, trop
chère. « L’écosystème est énorme, mais
la culture politique est horrible, à moins
d’être une start-up super woke. Leur
histoire de racisme antiasiatique, c’est
très exagéré, je déteste qu’on mêle ma
couleur de peau à tout. Et ça freine le
business », ajoute-t-il.
Comme Miami, Austin, « myr-
tille dans une soupe à la tomate » (point
bleu, démocrate, dans un État rouge,
républicain), attire la tech fatiguée
des excès du progressisme de San
Francisco, vue comme woke et
« Des clients arrivent avec
30 millions de dollars à dépen-
ser en un week-end, on n’avait
jamais vu ça. » S . Schmitz
laxiste en termes de sécurité. Wal-
greens, épicerie haut de gamme, y
a annoncé la fermeture de cinq ma-
gasins, devant les vols à l’étalage
systématiques et impunis. « San
Francisco, qui se targuait d’être ou-
verte, est devenue monoculturelle,
constate Michael Smerklo, capital-
risqueur cofondateur de Next Coast
Ventures, qui a quitté la Silicon Val-
ley en 2015, au bout de dix-sept ans.
Et il y a le choc de la misère, à côté de
cette attitude moralisatrice qu’est le
wokisme. San Francisco, à la fin des
années 1990, changeait le monde, il y
avait une énergie contagieuse, c’est ce
qui arrive ici maintenant, à Austin. La
ville s’est agrandie, la communauté
d’entrepreneurs et de jeunes profession-
nels aussi, tout ce qu’il faut pour que
naissent des start-up : du talent et de
l’argent. »
L’explosion d’Austin n’est pas
sans défi. Les prix de l’immobilier
se sont envolés avec l’arrivée des
Californiens. « Ils ont plus d’argent
et ils paient cash, car ils ont vendu leur
bien là-bas », commente Shannon
Schmitz, agent immobilier. Ils
achètent plus grand et avec piscine.
Pendant le Covid, ils étaient soula-
Le Woodstock gés que les écoles soient ouvertes
de la high-tech ici, quand elles étaient fermées en
Le festival South Californie. « Des clients arrivent avec
by ­Southwest
(« SXSW »), créé en
30 millions de dollars à dépenser en
1987, initialement un week-end, on n’avait jamais vu ça »,
dédié à la musique, ajoute-t-elle. Les demeures somp-
puis au cinéma, est tueuses rachetées au bord du lac
devenu l’un des plus Travis donnent une idée de ces ar-
gros événements rivants, qui changent la physiono-
high-tech au monde.
Il a contribué au lan- mie d’Austin. Des problèmes ont
cement de Twitter surgi, tels que l’augmentation du
en 2007. Il a réuni nombre de sans-abri. La mairie,
BOB DAEMMRICH/ZUMA-RÉA POUR « LE POINT » – MAGGIE BOYD/SIPA USA
417 400 personnes après avoir autorisé les tentes dans
en 2019, a été virtuel les rues, a tout rasé et les loge dans
en 2020 et 2021 et se des hôtels. « On espère y abriter
tiendra à nouveau
en mars 2022. 3 000 personnes dans trois ans », pro-
jette Kevin Adler, le maire d’Aus-
tin, qui aimerait compléter le
dispositif par des solutions de long
terme. Il parle d’investissements
dans les routes et les transports en
commun, quasi inexistants, ainsi
que dans l’énergie renouvelable,
après la monstrueuse coupure de
courant de l’hiver dernier.
Qu’est-ce qui pourrait freiner
Austin ? Sa politique, estime Steven
Pedigo. « La promesse était celle d’un
environnement favorable aux …
Qualité de vie
Mobilité
Culture
ÉCONOMIE

… affaires, or le gouverneur
républicain vient d’interdire aux
entreprises d’imposer le vaccin à leurs
salariés », note-t-il. Récemment,
le Texas a aussi adopté des lois
très conservatrices : l’une interdit
l’avortement après six semaines,
l’autre autorise le port d’armes sans
permis, d’autres encore rendent
l’accès au vote plus difficile pour
les minorités ou interdisent la
participation des adolescents
transgenres aux équipes de sport
du genre qu’ils ont choisi. Les
entreprises de la tech craignent
que cela ne dégoûte les jeunes
employés, libéraux.
Bitcoin et crypto. Pour l’ins-
tant, l’attraction ne faiblit pas. Jo-
nathan Lacoste, qui avait monté les
logiciels Jebbit en sortant de Har-
vard, à Boston, a quitté le Massa-
chusetts pour fonder l’entreprise
de capital-risque Space VC à Aus-
tin. Le coût de la vie, « encore de 40
à 50 % moins cher », n’est pas la seule
raison qui l’a mené ici. Il s’est spé-
cialisé dans l’espace, et Brownsville,
au Texas – à la frontière mexicaine,
où Elon Musk a placé son entre-
prise Space X –, n’est pas loin. « Le
triangle Austin-Houston-Brownsville
s’est installée à 95 kilomètres au
nord-est d’Austin. « Je voudrais que
le Texas devienne le centre de l’Univers
pour le bitcoin et la crypto », a dit le
gouverneur Greg Abbott aux 700
participants du Texas Blockchain
Summit, le 8 octobre. De fait, la
communauté s’agrandit à Austin.
Depuis que la Chine a interdit leur
activité, les « mineurs » de bitcoins
chinois se ruent dans la capitale
d’un État où la faible intervention
du gouvernement colle à leur men-
talité libertarienne.
Dans ses locaux de la Capital
Factory, Kyle Murphy a affiché un
poster du Salvador, pays qui a
adopté le bitcoin comme monnaie
nationale. Il résume l’attrait d’Aus-
Déménagement.
Le patron de Tesla,
Elon Musk (à dr.),
a déménagé le siège
de son entreprise de développeurs, ils aiment bricoler, fa-
Palo Alto (Californie) çonner. Le bitcoin ne permet pas ça, car
à Austin où se ce n’est pas une entreprise, c’est un or-
construit également ganisme qui vit, respire. Il n’a pas
une nouvelle usine d’équipe de marketing, pas de conseil
(ci-dessus). de direction. C’est un protocole mathé-
matique. » Il n’avouera pas combien
il en possède, ni à combien cela
équivaut en dollars, cette « monnaie
10 000
C’est le nombre
qui fond comme neige au soleil », dit-il
avec la moue méprisante de ceux
d’emplois que qui pensent que les devises tradi-
va créer l’usine tionnelles s’effondreront. En atten-
de Tesla. Selon dant que le monde (et l’argent)
la chambre de
changent, il vit dans un camion de

va devenir une économie en soi. D’autres
entreprises liées à l’espace s’installent,
une chaîne d’approvisionnement se
crée. » Arrivé en juin, il a déjà investi
dans six start-up, dont une sorte
d’Uber des satellites et une entre-
prise qui imprime en 3D dans l’es-
pace. La spécificité d’Austin se
dessine, « l’espace, les biens de consom-
mation et le bitcoin », selon Merklo.
Dire qu’elle est la prochaine Sili-
con Valley est donc à la fois faux et
injuste pour Paul O’Brien, direc-
teur de Media Tech Ventures. « La
première phase de la tech, AOL, Yahoo !,
Google, c’était de l’agrégation, ana-
lyse-t-il. On a construit ce gigantesque
annuaire mondial, connecté les gens.
La phase d’après, c’est la décentralisa-
tion : l’intelligence artificielle, les cryp-
tomonnaies. » C’est la force d’Austin.
La plus grande usine d’extraction
de bitcoins des États-Unis (proces-
sus par lequel de nouveaux bitcoins
entrent en circulation, grâce à des
ordinateurs qui résolvent une opé-
ration mathématique complexe)
84 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
BOB DAEMMRICH/ZUMA-RÉA POUR « LE POINT » – BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES – SUZANNE CORDEIRO/SHUTTE/SIPA
­commerce, chaque
tin : « À San Francisco, ils ne com- emploi en générera livraison FedEx. Et il profite d’Aus-
prennent pas le bitcoin. Ce sont des quatre autres. tin, ville de tous les possibles §
Sarah Puil, Boxt Wine
Un soir, Sarah Puil (photo) s’est demandé « pourquoi
personne ne mettait du vin de qualité en boîte, pour
­permettre aux amateurs de boire un verre, un soir de
­semaine, sans ouvrir une bouteille ». Elle a quitté San
Francisco et créé Boxt Wine à Austin. Elle commer-
cialise neuf vins (trois blancs, un rosé, cinq rouges)
issus des vignobles de la Napa Valley, dont elle ne
révèle ni les cépages ni l’année et dont les noms
sont… des numéros. Elle préfère « le 4, voire le 4,5 »,
mélange des rouges 4 et 5, qui ressemble à un pinot
noir jeune. Le modèle économique ? Le client
­remplit un questionnaire afin qu’on lui suggère un vin en accord avec ses goûts. Puis
il paie un abonnement mensuel de 74 dollars pour recevoir une boîte en bois fermée
par un robinet et contenant l’équivalent de quatre bouteilles. La cible est un public fé-
minin, qui écluse du chardonnay dans les clubs de lecture. « Quand le Covid-19 est ar-
rivé et que tout a fermé en Californie, j’étais soulagée d’être ici. Il y a une énergie qui rappelle
San Francisco dans les années 2000, la sensibilité du Sud en plus. » En février 2020, Sarah
Puil avait levé 3,5 millions de dollars. La première livraison est partie il y a un an. L’en-
trepreneuse vient d’annoncer avoir levé 9,35 millions de dollars supplémentaires §
 État-major Deloitte France et Afrique francophone
Gianmarco Monsellato David Dupont-Noel Rédouane Bellefqih
Véronique Laurent Charlotte Vandeputte Damien Leurent
Ce géant de l’audit et du conseil, englobant consulting, ­financial
SP (x6) – CHRISTOPHE GUIBBAUD – AUGUSTIN DÉTIENNE (x2)
advisory, risk advisory et tax & legal, emploie, en France, 7 000
MONSHOOTINGPHOTO – CAROLINE DOUTRE/ZAPAPICTURES
personnes. Gianmarco Monsellato (54 ans, HEC Paris), prési­
dent de Deloitte France et Afrique francophone depuis le 1er juin,
a constitué un nouveau comité exécutif. Il a notamment créé
la fonction de directeur général adjoint, confiée à l’expert-comp­
table et commissaire aux comptes David Dupont-­Noel (53 ans,
ESC Paris), qui est aussi responsable du pôle audit et assurance.
Rédouane Bellefqih (50 ans, Inseec, IMD Lausanne), qui a re­
joint Deloitte en 1998 et travaillé dans le secteur financier ainsi
que dans le secteur pétrole et gaz, est responsable consulting.
Sophie Blégent-Delapille (55 ans, Institut de droit des affaires,
université Paris-2), avocate au barreau des Hauts-de-Seine spé­
cialisée en fiscalité internationale, est responsable tax & legal.
Marc Van Caeneghem (50 ans, ESCP, Oxford College, univer­
DÉMARRAGE DES TRAVAUX 
Sophie Blégent-Delapille Marc Van Caeneghem Brice Chasles
Éric Meistermann Emmanuel Gadret
sité de Berlin) a la charge des activités risk advisory et est res­
ponsable mondial des équipes climat et développement durable.
Brice Chasles (53 ans, HEC, LSE, Stern NYU), expert-­comptable
et commissaire aux comptes, s’occupe du financial advisory.
Véronique Laurent (51 ans, université Paris Dauphine), qui
possède une grande expérience auprès de groupes du secteur
de l’énergie et de l’environnement, est directrice des opérations.
Charlotte Vandeputte (43 ans, École normale ­supérieure
­Paris Saclay, université Paris-2) est responsable talents.
­ amien Leurent (59 ans, université Paris Dauphine, MBA de
D
Baruch College à New York) est responsable qualité et réputa­
tion. Éric Meistermann (56 ans, ISFA Lyon), qui connaît bien
le secteur de l’assurance, est responsable clients et industries.
Emmanuel Gadret (51 ans, ESC Amiens, Columbia ­University)
est responsable Afrique francophone § MARIE BORDET
SPÉCIAL EMPLOI
Le travail, moteur
de l’inclusion
Coup de pouce. De nouvelles mesures
facilitent l’insertion des personnes han­
dicapées, mais le chemin est encore long.
PAR NATHALIE LAMOUREUX
«O
n venait de recruter 19 équi-
piers en CDI quand la
France s’est confinée, ra­
conte Yann Bucaille, patron fonda­
teur de Café joyeux. Certains avaient
quitté leur institut médico-éducatif
pour venir travailler dans notre éta-
86 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
blissement. On a organisé des visio­
conférences, des jeux en ligne, des
concours de photos de cuisine pour
qu’ils ne perdent pas espoir. Fin mars,
quand nous avons pu faire de la vente
à emporter, nous avons sollicité nos
amis, les membres de notre famille.
Cette dynamique a permis aux équi-
piers de continuer à travailler en cui-
sine. » Dynamique anéantie en
octobre avec la remise sous cloche
de la France. Pour les équipes, c’est
un coup de massue au moral. « Ce
fut très dur. » Aujourd’hui, tout est
rentré dans l’ordre, les 51 équipiers
sont toujours là, fidèles au poste,
avec ce large ­sourire que l’on de­
vine derrière le masque. Mais
­combien ont eu cette chance de
­retrouver un emploi ?
Dynamique collective. La
crise sanitaire a été vécue comme
une épreuve par une majorité de
personnes en situation de handi­
cap pour qui le travail est un ou­
til ­d’épa­nouissement. Une enquête
Ifop-Agefiph, réalisée en avril 2021
avec près de 8 000 répondants, ré­
vèle leur impatience « à sortir de
l’isolement et à retrouver une dyna-
mique collective ». Le pire scénario,
tant redouté, a cependant été évité.
Si le taux de chômage des per­
sonnes handicapées, d’après les
chiffres de l’Agefiph (16 % en 2020),
reste deux fois plus élevé que ce­
lui de la population active en gé­
néral (8 %), il a davantage baissé.
Le nombre de personnes en situa­
tion de handicap inscrites à Pôle
emploi est repassé sous la barre
des 500 000, qui avait été franchie
en 2018. Elles représentent au­
jourd’hui 8,2 % de la totalité des
demandeurs d’emploi, contre 8,6 %
fin 2019. Cette amélioration
­s’explique par une dynamique en­
clenchée fin 2019, avec la réforme
de l’obligation d’emploi, qui incite
les entreprises à recruter directe­
ment les personnes handicapées
plutôt que de passer par des entre­
prises sous-traitantes, par la signa­
ture du « Manifeste inclusion »,
qui a mobilisé 140 entreprises, et
par le boom de l’apprentissage, qui
a aussi facilité leur insertion.
Les entreprises sont de moins
en moins « handi-réticentes ». Elles
font de l’intégration et du ­maintien
dans l’emploi un enjeu majeur de
leur stratégie managériale. Chez
Visibles. Café joyeux, Michelin France, 6,8 % des salariés
restaurant solidaire, sont en situation de handicap, soit
CAFE JOYEUX/SP
emploie principale- presque un point de plus que l’obli­
ment des personnes gation légale. Accor (Novotel, Mer­
en situation de handi- cure, Ibis) caracole à 8 %. Travailler
cap mental et cognitif. dans un hôtel, ce n’est pas ­seulement
 Un diplôme avec
100 % de réussite
L’entreprise Café Joyeux a ouvert son propre
centre de formation des apprentis (CFA). En
janvier, le diplôme délivré sera reconnu par
l’État et les apprentis pourront postuler dans
d’autres entreprises. La particularité de ce
­certificat de qualification professionnelle
­préparé en six modules (accueil, réception
­marchandise, hygiène, caisse, cuisine) est qu’il
n’est pas sélectif. « L’idée, c’est de redonner

Crédits photo : Sylvie Lancrenon

confiance, de développer le talent de chacun en fonc-
tion de ses capacités, et ne pas dire : tu es mauvais
là, tu es très bon là. Si un jour, on devait leur re-
mettre un diplôme du sourire, ils auraient tous
­mention très bien », explique Yann Bucaille §

faire les chambres, plier le linge ou passer ­l’aspirateur.

Derrière, de nombreux postes administratifs sont
proposés : comptable, chargé de ressources humaines,
community manager… FM Logistic compte égale-
ment 8 % de personnes handicapées dans ses effec-
tifs, bien au-­dessus de la moyenne nationale, qui se
situe autour de 4 %. Dans les Hauts-de-France, le logis­
ticien a créé quatre filiales qui ont le statut d’entre-
prise adaptée, usant des leviers mis en place par le
gouvernement (CDD tremplin, fonds du plan de re-
lance, recours au conseiller en emploi accompagné). Je t’ai raconté ?
Rock star. Le monde du luxe n’est pas en reste.
J’ai pris un café
LVMH et Kering ont signé une convention avec l’Age- avec Monie, une
fiph qui vise à pérenniser et à développer les actions
déjà entreprises par leurs missions handicap respec- spécialiste comme
tives. Hermès a nommé 12 référents qui relaient les
engagements de la maison au sein de ses métiers et moi de théâtre
les achats auprès d’établissements adaptés ont été
renforcés. Il y a quelques mois, Mavryck, 23 ans, est
classique du 17ème
devenu le premier salarié autiste de la maison Guer- siècle.
lain. Son talent ? Aucune aversion pour ce qui rebute
les gens ordinaires : les gestes répétitifs. Il peut pas-
ser plusieurs heures concentré sur une tâche. Après Le handicap est plus que jamais l’affaire de tous : un Français
une période d’essai de six mois, il a été embauché sur 5 est concerné, soit 12 millions de personnes en France. 80%
comme opérateur de conditionnement. « C’est tout de ces handicaps sont invisibles et 85% surviennent au cours de
la vie. En nous mobilisant, nous pouvons améliorer le quotidien
nouveau pour nous, reconnaît avec modestie Caroline de tous, et accélérer la construction d’une société plus inclusive.
Courtois, PDG de Guerlain. Mais j’avais à cœur de voir Portons avant tout notre regard sur ce qui nous rassemble. Cette
ce qu’on pouvait faire. Quand Mavryck est arrivé, il a été unité est ce qui fait notre force. Car quand les enjeux du handicap
progressent, c’est toute la société qui avance ! En savoir plus :
accueilli comme une rock star. On a même aménagé une www.handicap.gouv.fr
salle de repos où, chaque mercredi, il invite une personne
de l’usine à venir déguster une part de son gâteau, confec-
tionné au cours de son atelier pâtisserie. Cela crée une am-
biance incroyable et les équipes retirent une très grande
fierté d’avoir contribué à son intégration. » Émile, a­ utiste
également, a rejoint l’équipe en septembre. D’ici VOYO N S L E S P E R S O N N E S
2025, l’ambition de la maison est d’intégrer huit per- AVA N T L E H A N D I C A P !
sonnes atteintes d’autisme sévère sur le site de la
Ruche, l’usine de fabrication des produits de …
RÉALISÉ DANS LE RESPECT DES PROTOCOLES SANITAIRES. CONTINUONS DE RESPECTER
LES GESTES BARRIÈRES. CONTINUONS DE PORTER UN MASQUE PARTOUT OÙ IL EST
RECOMMANDÉ PAR LES AUTORITÉS SCIENTIFIQUES.
SPÉCIAL EMPLOI

… maquillage et de soins,
­basée à Chartres.
Les regards changent, mais les
recrutements ont baissé de 19 %
en un an et les difficultés d’inser-
tion persistent. Le chômage de
longue durée demeure préoccu-
pant. Il reste élevé, avec une an-
cienneté moyenne d’inscription
de 883 jours, soit 215 jours de plus
que pour l’ensemble des publics.
Ces personnes cumulent un faible
niveau de formation et un âge élevé
(50 % ont plus de 50 ans). Cette
particularité a été prise en compte
dans le plan de relance. « L’accès au
travail, c’est la clé, insiste Yann
­Bucaille. Il faut oser, car, en essayant,
on crée des ponts qui brisent le mur
de la peur. Moi aussi j’ai peur, j’ai vu
des gens entrer dans nos cafés, prendre
une commande et ressortir immé­
diatement sans rien dire. Ce n’est pas
grave, on accepte de prendre ce
risque. » Une entreprise respon- Concentré. Mavryck, 23 ans, est le premier salarié autiste de la maison Guerlain. Il est opérateur de conditionnement
sable et durable n’est pas seule- en CDI dans l’usine de cosmétique de Chartres, un poste parfaitement adapté à son handicap.
ment celle qui réalise des actions
pour réduire les déchets et les fac-
tures énergétiques, c’est aussi celle
qui intègre la dimension sociale
dans sa stratégie organisationnelle.
80 %
des personnes en
adaptées. « De manière très ironique,
les recruteurs m’ont demandé si la
personne venue avec moi m’accompa­
une personne qui, par son vécu de
la maladie, a acquis des savoirs et
qui intervient avec un théoricien
situation de handi- gnait pour tout. Les encadrants étaient de la pathologie. Sa mission est de
cap sont touchées
Transparence. Si l’inclusion par des troubles très durs. On m’a même découragée faire évoluer les pratiques, de sen-
est une obligation légale, la diver- invisibles. de continuer mon métier de gra­ sibiliser au changement de pos-
sité au ­travail exige que les équipes phiste. » Depuis, S­ olenn travaille ture. Partager son quotidien, c’est
accueillantes soient formées. Pour
le salarié, la transparence ne paie
pas toujours, surtout pour les
12 
millions
dans un atelier de reprographie de
l’Esat Cotra de Fontenay-le-Fleury,
dans les Yvelines, où elle a trouvé
aussi l’objectif de Duoday, qui per-
met à une personne handicapée
de s’associer avec un profession-
troubles psychiques. Les a priori de Français sont « une forme d’équilibre », même si nel pour découvrir son travail.
ont la vie dure, même dans les touchés par un « ce n’est pas parfait », dit-elle. Elle 10 % des duos formés aboutissent
handicap, mais la
­m ilieux professionnels semi-­ moitié seulement ­aspire à devenir formateur-pair, à une offre de stage ou d’emploi §
protégés. Diagnostiquée bipolaire, s’en déclareraient
­Solenn a demandé à être licenciée porteurs.
après un burn-out. « À force de re­
chutes, je ne supportais plus le regard
de mes collègues. » Orientée vers un
hôpital de jour, elle fait reconnaître
80 %
des handicaps
Amortisseur étatique
Pendant le confinement, 230 millions d’euros ont ainsi été c­ onsacrés
son handicap. Puis, une fois sa se déclarent au aux établissements et services d’aide par le travail (Esat). Pour se
cours de la vie
­maladie stabilisée, mais encore professionnelle. préparer à la reprise, les sociétés adaptées ont bénéficié d’un fonds
fragile, elle se met en quête d’un spécial de 350 millions d’euros, partagé avec les entreprises de
emploi en ciblant les entreprises l’économie sociale et solidaire. Une enveloppe de 100 millions
d’euros a été prévue pour favoriser le recrutement et le maintien
en poste des personnes en situation de handicap. Une prime à
« Il faut oser, car, l’emploi de 4 000 euros a été attribuée aux employeurs pour toute
LISE DELAGREE/GUERLAIN

embauche en CDI ou en CDD de trois mois minimum, quel que

en e­ ssayant, on crée des soit l’âge des personnes concernées. Elle a permis 17 750 ­recrutements,
dont la moitié engagée en CDI. Concernant l’apprentissage, une
ponts qui brisent le mur aide de 8 000 euros est accordée à la signature du contrat, toujours
sans limite d’âge §
de la peur. »Yann ­Bucaille
88 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
TotalEnergies s’engage pour l’insertion
professionnelle
et les meilleures conditions de travail
des personnes en situation de handicap.

L’énergie est notre avenir, économisons‑la !

SCIENCES

La révolution James-Webb
Œil de lynx. Le plus puissant Instruments scientifiques

des télescopes spatiaux NIRCam

Imageur principal dans l’infrarouge proche.
s’apprête à scruter l’Univers. Il est optimisé pour observer les objets
cosmiques les plus éloignés. Crucial pour
l’alignement des segments du miroir primaire.
NIRSpec
PAR CHLOÉ DURAND-PARENTI Ce spectrographe opérant dans l’infrarouge proche

I
l s’est fait longuement attendre mais devrait bientôt
être à pied d’œuvre, à 1,5 million de kilomètres de la
Terre. Après de nombreux retards et quelques rallonges
budgétaires, le télescope James-Webb – digne successeur
d’un Hubble vieillissant mais encore actif – sera lancé le
18 décembre par une fusée Ariane 5. Fruit d’une
­collaboration entre l’Agence spatiale européenne, la Nasa
et leur homologue canadienne, il est le plus grand et le
plus puissant jamais envoyé dans l’espace. Une prouesse
qui repose surtout sur son miroir principal pliable et dé-
pliable façon origami. Un bijou de technologie qui pro-
met un bond scientifique §
peut observer 200 objets cosmiques simultanément
(température, masse, composition chimique).
MIRI
Caméra grand champ, spectromètre et
coronographe : c’est le seul instrument à opérer
dans l’infrarouge moyen. Il permettra notamment
la caractérisation d’atmosphères exoplanétaires.
FGS/NIRISS
Instrument double composé d’un spectromètre
imageur infrarouge proche et d’un « gouvernail »
capable de pointer le télescope avec une précision
de l’ordre du millionième de degré !

Webb versus Hubble

• Un coût de 9,7 milliards de dollars
(plus du double de ce qui était initialement
prévu) contre 2 milliards pour Hubble.
• 21 mètres de long pour 14 de large
contre 13 mètres par 4 pour Hubble.
• 6,4 tonnes contre 11.
• Les images de Webb nous parviendront 9 fois plus vite.
• Il permettra de voir plus loin et de remonter
13,5 milliards d’années en arrière contre 12,5 milliards
d’années pour son prédécesseur.
• Dédié à l’observation de l’infrarouge, proche
et moyen, alors que Hubble scrute le Panneaux solaires
­cosmos en lumière visible, dans l’ultra- Toujours orientés face au
violet et le très proche infrarouge. Soleil, ils produisent toute
l’électricité nécessaire
à l’observatoire.

Pourquoi observer le ciel dans l’infrarouge ?

Bien qu’adaptées à l’observation de nombreux objets célestes – planètes
et exoplanètes comprises –, ces longueurs d’ondes sont particulièrement
indiquées pour étudier ceux qui se sont formés très tôt dans l’Univers. Plateforme de contrôle
Premières étoiles, premières galaxies : la lumière de ces Graal de l’astrophysique Elle gère l’alimentation électrique,
subit un décalage vers le rouge à mesure qu’elle traverse le cosmos pour le contrôle de l’orbite et de la température
nous parvenir. Or l’atmosphère terrestre fait barrage à ces émissions de sorte ainsi que les communications avec la Terre
qu’on les observe bien mieux, depuis l’espace, avec un télescope dédié ! et entre les équipements du télescope.
DR

90 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570

 Miroir primaire
Fait de béryllium plaqué or, il mesure 6,50 m
de diamètre pour 705 kilogrammes. Cet organe 6,5 m
principal du télescope capte la lumière des objets
cosmiques. Composée de 18 segments hexagonaux 2,4 m
réglables, sa structure en nid-d’abeilles lui permet
de se plier pour rentrer dans la fusée Ariane. Webb Hubble

Miroir secondaire
Avec ses 74 centimètres de diamètre,
son rôle est de réfléchir la lumière
recueillie par le miroir primaire
vers les instruments scientifiques.

Cinq cibles
scientifiques
L’Univers
Le cycle de vie
très jeune, les
des étoiles, de
premières étoiles
leur naissance
et les premières
à leur mort.
galaxies.

La formation
et l’évolution La formation
des systèmes et l’évolution
planétaires, Les des galaxies et
Système solaire exoplanètes, des trous noirs.
Bouclier thermique inclus . leurs atmosphères
De la taille d’un court de tennis, ses cinq couches et la potentielle
protègent le télescope de la lumière et de la chaleur présence de gaz
du Soleil, de la Terre, de la Lune, ainsi que de ses liés à la vie.
équipements. Alors que la température moyenne
à laquelle il est exposé est de 85 °C, l’observatoire
pourra opérer, dans son ombre, à - 233 °C !

8 mètres
d’épaisseur.

1,5 million de km Où se positionnera Webb ?

Lune Alors que Hubble orbite autour de la Terre à 570 kilomètres
Soleil 150 millions de km d’altitude, Webb s’établira à 1,5 million de kilomètres,
(Échelle non respectée) Terre au point de Lagrange 2. Une zone d’équilibre gravitationnel
Orbite de Hubble Point de qui suit notre planète dans sa course autour de son étoile
Lagrange 2 tout en restant immobile par rapport à ces deux corps.

Le Point 2570 | 11 novembre 2021 | 91

CULTURECINÉMA

Catherine Deneuve
« Mon petit coup
de foudre… »
« J’ai déjà fait la fée,
­tellement de fois… Et la
reine… Qu’est-ce que vous
voudriez que je sois ? » 

DELAHAYE CATHERINE/SIPA

Reine. Catherine
­Deneuve, à l’hôtel Plaza
Athénée, à Paris.
92 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570

La vie, la mort, son r­ egard
sur la société… Le symbole
de la femme française se
confie au Point.
PROPOS RECUEILLIS PAR FLORENCE COLOMBANI
ET CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT
R
arement film aura si bien porté son titre. De son
vivant, d’Emmanuelle Bercot, exploration de
la maladie et du chemin vers la mort avec dans
son propre rôle l’extraordinaire oncologue libanais
Gabriel Sara, a failli ne jamais
être terminé, interrompu d’abord
par l’AVC ischémique dont a souf-
fert Catherine Deneuve sur le
tournage, puis par la pandémie
et le premier confinement. Bou-
leversante, habitée, cette histoire
d’un médecin face à une mère
(Deneuve) et son fils (Benoît Ma-
gimel), qui souffre d’un cancer
inguérissable, sort sur les écrans
le 24 novembre. Soit deux ans
quasiment pile après le « coup de
tonnerre » qui s’est abattu sur l’ac-
trice alors que le film se tournait
– hasard incroyable et salvateur
– à l’hôpital de Garges-lès-Gonesse. Aussitôt prise
en charge, Deneuve s’est remise et n’a pas tardé à re-
prendre le travail, comme à l’accoutumée. Car, loin
de son image de grande bourgeoise glacée, l’icône
est une travailleuse, une acharnée des tournages,
constamment entre deux projets et à l’affût de nou-
veaux talents. Nous l’avons rencontrée dans ce quar-
tier de Saint-Sulpice, qu’elle habite depuis les
années 1970 et dont les habitants ne la dérangent
pas quand ils la croisent, en général sur le chemin
d’une salle de quartier où elle va tout voir – premiers
films, dessins animés ou blockbusters – avec la
même gourmandise. Vive, drôle, sans langue de
bois, Deneuve va contre les idées reçues et pratique
avec délectation l’art si français de la conversation §
LAURENT CHAMPOUSSIN/LES FILMS DU KIOSQUE
Le Point : On ressort bouleversé de ce film… Et
vous êtes exceptionnelle en mère d’un adulte
qu’elle va devoir laisser partir avant elle.
Catherine Deneuve : Merci… Oui, c’est un très beau
film, ce film d’Emmanuelle… Et vous avez raison
de le formuler ainsi. Cela ne devrait pas exister,
cette situation : un enfant, même adulte, qui part
avant ses parents. En l’occurrence, ici, avant sa
mère. Et puis ç’a été si délicat à faire, pour moi, ce
film, entre le moment où l’on a commencé à tour-
ner et ce qui m’est arrivé. Cette espèce, comment
le dire, de coup de tonnerre… J’ai reçu la foudre,
voilà, et on s’est arrêtés. Emmanuelle a décidé
qu’on allait attendre puis reprendre. Et je souhai-
tais moi aussi que ça reprenne, j’y étais très atten-
tive. Sauf qu’au moment où ça allait reprendre, il
y a eu le Covid ! Et là, on a replongé dans quelque
chose d’autre… J’ai confiné, comme tout le monde,
j’ai fait ce qu’il fallait faire. Et on a repris…
Comment s’est passée cette reprise ?
Ç’a été très délicat pour moi. Pas la reprise en soi,
mais le sujet. Alors que j’avais adoré le scénario à la
lecture, quand je l’ai relu, je me suis dit : mais c’est
trop triste, ce n’est pas possible ! Parce qu’il y a eu
cette convalescence, et puis le Covid, qui a été un
moment tragiquement proche
pour moi. Qui m’a mise dans un
état… J’ai perdu quelqu’un, qui
était chez moi, dans mon appar-
tement. Mais je voulais faire ce
film, parce qu’il n’est pas ce qu’il
paraît. Il raconte toute l’approche
de ce médecin libanais, qui joue
son propre rôle, qu’Emmanuelle
Bercot a rencontré à New York
et qui lui a donné l’envie d’écrire
cette histoire, pour aider ce jeune
homme à se préparer à mourir. Ce
film donne envie de pleurer, mais
il va au-delà du chagrin… On doit
se sentir régénéré aussi. Même
« De son si, encore une fois, pour ces raisons personnelles,
­vivant » cela a été vraiment difficile.
(((( Parce que ça vous a rappelé trop de choses…
Benjamin (Benoît Ma- En effet : on m’a fait venir une semaine avant pour
gimel) n’a pas 40 ans, voir le décor, j’ai eu un choc, évidemment. Le stu-
et il va ­mourir. Il ac-
cepte de se faire dio imitait parfaitement l’hôpital. La même lumière,
suivre par le docteur le même couloir… Mais ce qui me plaisait, la chose
Sara (dans son propre à laquelle je tenais et Emmanuelle aussi – elle a
rôle), un médecin dé- quelque chose de très courageux –, c’est raconter
bordant de compas- comment on peut vivre ça, comment on peut aider
sion. Comme il le fait à l’affronter. Le cancer, la maladie, c’est une tragé-
avec ses patients,
­Emmanuelle Bercot die épouvantable, mais ce n’est pas pour autant
accompagne ses per- cruel de dire à quelqu’un qu’il va mourir, et qu’il
sonnages – Benjamin faut qu’il s’y prépare. La maladie véhicule tellement
et sa mère, Crystal de mensonges ! Tout le monde le sait, mais personne
(Catherine ­Deneuve), ne veut en parler : le malade, pour ne pas faire souf-
qui résiste de toutes
ses forces à l’idée de le
frir davantage ceux qui vont rester et affronter la
laisser partir –, avec disparition, et ceux qui vont rester, pour ne pas faire
sobriété et humanité. souffrir davantage celui qui va partir et souffre déjà
Le ­résultat est un film tant. Toute la douleur qu’on cache à celui ou celle
qu’on n’oubliera pas qui sait que vous savez, mais qui ne dit rien. Et vous,
de sitôt, une œuvre vous ne dites rien non plus, vous sortez, vous pleu-
profonde sur ce che-
min vers la mort rez dans le couloir. Et tout se sent, se sait… Oui, je
qu’on appelle la vie. l’ai vécue, cette confrontation, et à cause de cela je
En salle voulais faire ce film, participer à cette révélation
le 24 novembre. qu’il offre. Tout ce que ce médecin explique …
Le Point 2570 | 11 novembre 2021 | 93
CULTURECINÉMA
… est très important : se mettre en paix, « ran-
ger le bureau de sa vie », comme il dit. Ça peut être
un cousin ou une femme qu’on a aimée il y a vingt
ans… Pour tout ça, on est obligé de trouver malgré
tout, dans cette immense douleur physique mais
aussi morale, une forme d’apaisement.
Et le fait de vivre vous-même ce coup de
tonnerre, qu’est-ce que cela a changé ?
Vous savez, pour moi, c’est assez rare d’ailleurs, ç’a
été une chose extrêmement légère qui a duré très
peu de temps. Quand j’ai eu ce pépin, mon petit
coup de foudre, comme je dis, je tour-
nais à l’hôpital. C’était inouï, ça n’est
jamais arrivé à personne comme ça.
Ça n’a pas été profond mais ç’a été
lent et long pour moi, dans ma tête.
Après, c’était dur de jouer. Quand on
a eu ça, on est passé de l’autre côté.
Pas longtemps, et puis on a été ra-
mené, mais on a approché quelque
chose auquel on ne pense pas dans
la vie parce que – et heureusement !
– dans la vie, on est dans l’énergie, on
vit comme des immortels. Sauf quand
on est très déprimé…
Ce qui n’est pas votre cas…
Je ne crois pas, non… Mais, de toute
façon, ce ne serait pas à vous que je
le dirais !
En fait, vous êtes très drôle.
Je ne sais pas… Vous vous attendiez
à quoi ?
C’est à cause de cette image que
vous traînez depuis les « Bourgeoise, il faudrait
années 1970. Celle de « blonde
glacée », comme on lit dans la ­savoir ce que ça veut dire.
presse de cette époque.
Oui, mais, ça, c’est à cause de « Belle Et puis je m’en fiche, je crois. » Et puis non : je l’ai fait, parce que je
de jour ». Depuis ce film, c’est vrai
que ça m’a bien accompagnée, la
« blonde glacée »… « Belle de jour »
est devenu une image modèle, une référence sur la
sexualité des femmes, à laquelle on pouvait s’iden-
tifier. Je n’ai jamais lutté. Si les gens me perçoivent
comme ça, qu’est-ce qu’on peut faire ? Cela a empê-
ché beaucoup de cinéastes de me voir autrement.
Les étrangers me voient toujours comme une créa-
ture parisienne extrêmement sophistiquée.
Une bourgeoise ? Vous avez dit dans une
ancienne interview qu’on a retrouvée : « Je ne
suis pas une bourgeoise, j’ai eu des enfants
hors mariage, j’ai déclaré avoir avorté. » En
fait, vous avez été de tous les combats pour la
liberté des femmes. Vous avez même signé le
manifeste des 343 salopes.
Oh bourgeoise, je le suis sûrement pour beaucoup
de gens, mais faudrait savoir ce que ça veut dire…
Et puis je m’en fiche, je crois. Quant au manifeste,
je me suis dit récemment, quand il y a eu l’anniver-
saire, puisqu’il a été publié dans « Le Nouvel Obser-
94 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
vateur » en 1971, qu’en vérité les gens ne s’en
souviendraient pas aussi fortement si l’appel n’avait
pas été repris par « Charlie Hebdo » avec un dessin
et cette nouvelle appellation : « Le manifeste
des 343 salopes ». D’un seul coup, ça a imprimé, car
la formule était frappante. Mais on n’avait jamais
proposé aux femmes de signer un texte avec le mot
« salopes » !
Des années après, quand vous avez signé
l’article sur la « liberté d’importuner » avec
Catherine Millet, vous avez été choquée par
les réactions ?
Je peux comprendre que cela ait cho-
qué. Mais ç’a été signé par des
femmes qui sont pour la majorité
des femmes de ma génération et qui
ont connu d’autres rapports avec les
hommes. Bien sûr que c’est arrivé à
beaucoup d’actrices que je connais,
des hommes qui se comportent avec
excès… Je ne parle pas de viol, bien
évidemment… Mais on envoie bou-
ler, ce n’est pas dramatique. Au-
jourd’hui, ça prend des proportions !
J’ai été étonnée de l’emballement
autour de ce texte. Certaines fémi-
nistes, et je me considère comme fé-
ministe, ont déclaré des choses que
j’estime catastrophiques de la part
d’une femme. Excessives, encore
une fois. Alors j’ai dû écrire quelque
chose ensuite pour essayer de cor-
riger ce qui pouvait apparaître
comme de la désinvolture. Il a fallu
que je m’explique, au point qu’un
moment j’ai regretté, je me suis dit :
il aurait mieux valu ne pas signer.
Catherine Deneuve voulais le faire ! Ce qui m’a énervée,
c’est que des hommes américains
ont réagi en disant « c’est bien, elles
l’ont fait », comme si ce texte avait été écrit pour dé-
fendre les hommes contre les femmes. Mais non,
ce n’était pas ça du tout : c’était vraiment pour les
femmes !
Est-on moins libre qu’avant ?
Malheureusement, aujourd’hui, tout est regardé à
la loupe, filmé, et ça prend des proportions abso-
lument catastrophiques avec le téléphone, c’est ef-
frayant. Je me souviens de choses que j’ai pu faire
avec mes amis, quand on était jeunes, dans des en-
droits publics… Quand il y avait toute la bande de
COLLECTION CHRISTOPHEL VIA AFP
Christian Marquand, avec le père de mon fils [Ro-
Éclat. Dans « Belle de ger Vadim, NDLR]. Les choses qu’on a faites, non
jour », de Luis Buñuel, mais des trucs… Si cela avait été filmé au téléphone…
elle incarne la call-girl Je n’ose imaginer. On arrivait, alors, à avoir des vies
Séverine. Un rôle mar- privées vraiment très animées et jamais photogra-
quant, mais qui fut phiées. Ça a changé sur beaucoup de choses. Au-
éprouvant pour la jourd’hui, tout le monde se tient à carreau. On est
­comédienne. obligé de faire beaucoup plus attention. …
 Raising the flag on Iwo Jima © Joe Rosenthal - Réalisation : Direction de la communication, Ville de Versailles

SAM. 20 & DIM. 21 NOVEMBRE 2021

HÔTEL DE VILLE • HÔTEL DU DÉPARTEMENT • PRÉFECTURE DES YVELINES • HÔTEL DU BARRY (CCI)
ENTRÉE LIBRE / 14H-18H30 / ANIMATIONS • DÉBATS • BD • JEUNESSE

Secrétariat général
pour l’administration
Direction des patrimoines,
de la mémoire et des archives
 D’une façon excessive qui ne correspond plus telle-
LES ATELIERS DU
…
ment à la vie.
Vous avez pourtant expliqué que le tournage de
« Belle de jour » avait été compliqué, parce que vous
étiez très pudique…
Mais cela n’empêche pas ! Et puis ce n’était pas seulement
une question de pudeur, c’est que ce n’était pas écrit comme
VEC ça dans le scénario. Je trouvais tout beaucoup plus intéres-
sant, plus érotique si on ne voyait pas cette femme dans la
chambre, si on restait de l’autre côté de la porte.

FRANCK
Mais Buñuel vous a demandé de vous déshabiller ?
Ah non. Buñuel ne m’a rien demandé directement. Ce sont
les producteurs, les frères Hakim, qui insistaient. S’ils avaient

THILLIEZ
pu, ils auraient fait un film plus charnel. Ç’a été très difficile
pour moi. Heureusement, ma sœur était là, elle m’a beau-
coup aidée à me protéger, elle voyait que j’étais très abattue,
je lui disais : si ça se trouve, on va devoir arrêter…
Aujourd’hui, il faut que l’homme soit « déconstruit »,
nous dit-on, qu’il se débarrasse des « stéréotypes

6 séances de 3 heures du
masculins » qu’on lui a inculqués. Vous pensez quoi de
ce programme, vous, la première dame du cinéma

4 janvier au 8 février 2022

français ?
Ah non, ne dites pas ça. Dame, c’est si moche comme mot !
Moi, je continue à vivre dans un monde de filles et de gar-
çons. Enfin, il n’y a pas que des garçons, certains sont des
hommes quand même, heureusement ! Déconstruits, je ne
pense pas… De toute façon, on dit que je suis assez mascu-
line avec mes amis hommes, parce que j’ai un rapport qui
n’est pas un rapport de séduction. J’ai souvent eu envie
d’avoir un frère. Alors j’ai des amis-frères.
Joli concept. Vous évoquiez votre sœur, Françoise
Dorléac. Pourquoi avoir mis trente ans à parler de sa
mort ?
Je l’ai fait parce que c’était une femme que j’aimais beau-
coup qui me l’a proposé. Une réalisatrice, Anne Andreu. Un
projet pour Canal+. Je la connaissais bien, elle avait fait des
interviews formidables sur le cinéma, alors j’ai accepté.
Après, elle m’a demandé de faire le livre. J’ai hésité. Les choses
écrites, ce n’est pas du tout pareil. Mais comme Patrick Mo-
diano avait accepté d’écrire un texte, car il aimait beaucoup
Françoise, qu’il avait lui aussi perdu un frère très jeune, je
me suis dit que ce serait bien qu’il y ait quelque chose. Quelque
chose de concret… Un livre. Alors que c’était une histoire
très ancienne pour tout le monde… Pas pour moi, mais pour
les autres. Je me suis dit c’est bien qu’elle revive comme ça.
Quand on regarde vos films, il y a souvent une
cigarette pas loin de vos lèvres…
On a perdu cette liberté-là. Quand on voit les films anciens,
c’est incroyable, toujours une cigarette ! On nous le disait,
même, sur les tournages : si vous avez une scène dans un
Scannez ce QR code
film où vous ne parlez pas, prenez une cigarette, cela vous
pour vous inscrire donnera l’air de quelqu’un qui réfléchit. La cigarette était

« Aujourd’hui tout le monde se

tient à carreau. On est obligé de
faire beaucoup plus attention. »
Catherine Deneuve
le partenaire idéal. Bon, un peu trop. J’avais été affolée, d’ail-
leurs, en voyant toutes ces photos de moi avec une ciga-
rette, dès 17 ans, et j’avais décidé de m’arrêter… J’ai arrêté
pendant douze ans. Et maintenant, ce sont les téléphones
que les gens ont toujours à la main dans les films. Et dans
Un festival
la vie. Au restaurant, on voit même des bébés devant un
écran pendant que leurs parents dînent. Pour qu’ils se
tiennent tranquilles. J’en suis navrée… D’autant que les in-
de vacheries
venteurs de ces technologies, aux États-Unis, ne laissent ja-
mais leurs propres enfants toucher à ça.
En parlant des États-Unis, vous pourriez jouer dans un
film de super-héros ?
J’ai déjà fait la fée, tellement de fois… Et la reine… Qu’est-ce
que vous voudriez que je sois ?
Rosalie Varda a sorti un très beau livre sur « Peau
d’âne », l’année dernière, avec des archives
magnifiques. Il plaît toujours aux enfants d’aujourd’hui.
Et à vous ?
Ah, ils n’arrêtent pas de ressortir « Peau d’âne ». Je suis très
contente que le film plaise, que les enfants aillent le voir…
C’est un si beau film !
C’est peut-être un signe que notre époque, où l’on
privilégie l’histoire vraie, a un peu soif de merveilleux…
Peut-être. Mais Jacques Demy était si particulier. Beaucoup
de choses n’ont pas été dites sur lui avant très tard [il était ho-
mosexuel tout en vivant avec Agnès Varda, NDLR]… C’était com-
pliqué. Il s’était donc réfugié dans un monde imaginaire.
Ensuite, c’est vrai, les choses ont tellement changé… La mort
s’est approchée des gens jeunes. Avec le sida, on a perdu l’in-
souciance qu’on avait. Je n’ai pas été touchée par ce fléau
parce que j’ai vécu très seule, parce que j’ai eu un enfant très
jeune… Mais le nombre d’amis qui partaient dans des élans,
des rencontres, et qui n’en sont pas revenus…
Vous avez tourné avec Polanski. Avez-vous été
choquée de ce qui lui est arrivé aux César, à travers la
sortie d’Adèle Haenel, notamment ?
Je ne vais pas aux César. Depuis longtemps. Et je n’irai pas.
Et je n’y vote pas. Roman, il était possible qu’il soit récom-
pensé pour son film. Elle, elle était là pour protester. Cha-
cun fait ce qu’il veut.
Et l’ambiance en France, en ce moment ? L’atmosphère
populiste, ça ne vous pèse pas ?
Mais quelle question déplacée ! On n’est même pas convales-
cent, après tout ce qu’on a traversé, alors il y a des excès,
c’est normal. Avec des gens très maladroits. Beaucoup de
gens très déprimés aussi, et d’autres qui le cachent. Mais
on n’est pas obligé de se laisser plomber.
Vous ne trouvez pas le contexte un peu rance,
scrogneugneu, à parler de nation, de frontières, tout le
temps ?
Moi, je suis très française, donc je suis assez râleuse. Je suis
française, mais j’aime vraiment l’Europe. Je ne pourrais pas
vivre aux États-Unis. Regardez leurs dernières élections, les
actes d’une violence inouïe auxquels on a assisté. En Eu-
rope, on est quand même plus civilisés. Oui, je me sens très
française et très européenne. Franchement, pareil ! Et je
connais plein de gens qui font des choses pas scrogneugneu
du tout !  §
« De son vivant », d’Emmanuelle Bercot. Avec Catherine Deneuve, Cécile
de France, Benoît Magimel, Gabriel Sara.
CULTURECINÉMA
Nicole Garcia, le noir est mis
Dans son nouveau film,
Amants, la cinéaste se glisse
dans l’univers du thriller,
sur fond de triangle
­amoureux. Infernal.
PAR JEAN-LUC WACHTHAUSEN
I
l y a des moments dans la vie où tout arrive en
même temps, s’accélère, se bouscule, se ­cristallise.
C’est le cas pour Nicole Garcia, tout à la fois ac-
trice-réalisatrice, scénariste et comédienne de théâtre,
qui se retrouve sous le feu des projecteurs avec un
nouveau film, Amants – écrit avec son fidèle scéna-
riste, Jacques Fieschi –, une rétrospective à la Ciné-
mathèque française et un seule-en-scène qu’elle
joue actuellement dans les théâtres de province.
« J’ai un peu la tête qui tourne », avoue-t-elle de sa
voix voilée au débit saccadé, parfois en suspens. Le
soir, elle est sur scène à Royan, dans La Professeure
Accros. Lisa (Stacy de français, poignant monologue écrit pour elle par
­Martin) aime Simon Marie NDiaye – « le plus grand texte contemporain
(Pierre Niney) qui aime que j’aie eu à interpréter », dit-elle ; la journée, elle la
Lisa. Mais il y a aussi consacre au cinéma. Il y a quarante ans, elle fut
Léo qui aime Lisa. l’une des premières actrices à tenter l’aventure de
98 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
la réalisation. Sa filmographie est très personnelle,
Un week-end sur deux, Le Fils préféré, Place Vendôme
et, récemment, Mal de pierres, adapté d’un livre de
Milena Agus. Des films brillants, devenus des clas-
siques, portés par un style sensuel et un thème fé-
tiche, les relations amoureuses, qu’elle e­ xplore
chaque fois en se renouvelant. Son neuvième
long-métrage ne déroge pas à la règle : Amants, dont
le titre sonne comme une menace, est « un film noir
sans ses personnages ­stéréotypés », explique la réalisa-
trice. Un triangle amoureux banal qui tourne à la
tragédie en trois actes, trois lieux (Paris, Genève et
l’île Maurice) et trois personnages : une femme et
deux hommes enfermés dans le piège implacable
des sentiments. Avec une inconnue : le destin. Et
une certitude : le crime.
L’histoire ? Lisa (Stacy Martin) et Simon (Pierre
Niney) sont amoureux depuis l’adolescence. Elle
suit une formation dans une école hôtelière, il vend
de la coke à de riches clients. À la suite de la mort
par overdose d’un ami, Simon prend subitement la
fuite. Trois ans plus tard, les amants se retrouvent
sur une plage de l’océan Indien… Lisa est désormais
mariée à Léo, un riche assureur (Benoît Magimel).
ROGER ARPAJOU/SP
« Lisa aime Simon qui aime Lisa, mais il y a aussi Léo
qui aime Lisa, résume Nicole Garcia. Ils sont mysté-
rieux, ambivalents, à la fois minéraux et charnels, à la
recherche de cet amour inconditionnel que, selon chacun
 d’eux, la vie vous doit. L’intensité du récit guide leurs
actes, qui les racontent et les exemptent de psychologie. »
Simon est un dealeur sans avenir, Léo, un homme
qui a réussi, et Lisa, une jeune femme transformée
en objet de désir. Capable d’avoir aimé passionné-
ment un premier homme et de se laisser aimer par
un deuxième. « C’est une sorte d’héroïne pirandellienne,
qui est comme on veut qu’elle soit, “come tu mi vuoi” »,
précise la cinéaste, qui suit ce trio à la trace, i­ nstillant
le poison de l’argent entre eux. Intermittences du
cœur sur fond de lutte des classes. « L’argent et le luxe
permettent de les qualifier, de tendre leurs relations, d’ex-
plorer la notion de domination et d’humiliation, ajoute
Nicole Garcia. Ils sont présents dans beaucoup de mes
films, dans mon premier, Un week-end sur deux, comme
dans Place Vendôme et Le Fils préféré. C’est un thème
qui raconte quelque chose de moi, d’intime, de palpable,
de mon enfance. L’argent comme arbitre des ­humiliations. »

Élan. L’enfance renvoie Nicole Garcia à son Algé-

rie natale, qu’elle a quittée à 16 ans, heureuse de tro- « Amants »
(((()
quer les rives du Sud pour les brumes du Nord et Nicole Garcia a le
d’accomplir son rêve : devenir comédienne. « Ça m’a chic pour filmer au
été égal d’en partir. Je voulais aller à Paris. » Si l’Algé- plus près ce triangle
rie est une blessure qu’elle a du mal à évoquer – ­sinon amoureux où rôde
par la fiction, comme dans Un balcon sur la mer –, la mort et reprend
avec soin quelques
elle dit « avoir reçu en héritage la douleur de ses parents codes du film noir,
forcés à l’exil et considérés en France comme des migrants dont on retrouve
débarquant sur les côtes, sans cellule psychologique l’atmosphère, les
comme aujourd’hui. » Cette Algérie « complexe, aus- ­cadrages au fil d’une
tère, difficile à pénétrer », elle continue de la porter en réalisation fluide et
elle. Elle dit se reconnaître dans les chroniques « mer- sensuelle. Elle est
servie par un beau
veilleuses et intelligentes » que l’écrivain et journaliste casting, en phase
Kamel Daoud livre chaque semaine au Point. avec le mystère et
Pas de nostalgie pourtant chez Nicole Garcia, Pre- l’ambivalence des
mier prix du Conservatoire de Paris à 21 ans et ac- personnages. Stacy
trice pour les plus grands réalisateurs (Alain Resnais, Martin, Benoît Magi-
mel, Pierre Niney,
Claude Sautet, Claude Lelouch, Bertrand Tavernier, Roxane Duran,
Philippe de Broca). Elle avance de projet en projet Christophe Monte-
sans prendre le temps de souffler. Sa rétrospective nez sont au top.
à la Cinémathèque, au cours de laquelle Jean Dujar­ En salle
din (Un balcon sur la mer) et Catherine Deneuve le 17 novembre.
(Place Vendôme) viendront présenter les films à ses
côtés, lui rappelle qu’elle a construit une belle œuvre.
JEAN MICHEL NOSSANT/SIPA

Flattée par ce coup de projecteur, qui lui permet de

partager ses émotions avec le public, elle préfère
encore aujourd’hui, à 75 ans, regarder devant elle,
avancer. « Sinon ça brise l’élan », lâche-t-elle §
Rétrospective à la Cinémathèque française,
du 15 au 26 novembre.

« L’argent et le luxe
­permettent de tendre leurs
relations, d’explorer
la notion de domination et
d’humiliation. »Nicole Garcia
CULTURELIVRES

L’automne sera proustien

Historique. Corrections
d’épreuves de la main
de Marcel Proust, le
31 mars 1913 : quand
« Les Intermittences
du cœur » deviennent
« À la recherche
du temps perdu ».

Un événement : la toute qui ne l’avait pas lu non plus. Automne 1912. À la

recherche d’un éditeur. Proust, qui jusqu’alors don-
première version de nait au F­ igaro quelques critiques littéraires et
« La Recherche », refusée quelques pages de Du côté de chez Swann, vient
d’achever un roman de 712 pages commencé en
en 1912 par trois éditeurs, 1908, après la mort de sa mère. Titre : Le Temps
est p
­ ubliée chez Bouquins. perdu. Sous-titre : Les intermittences du cœur. Il ne
s’agit pas d’esquisses ou de brouillons mais d’une
version complète prête à être éditée.
Elle ne comprend que trois parties de la future
PAR MICHEL SCHNEIDER Recherche : « Combray », « Un amour de Swann » et

C
hute de feuillets manuscrits, bris de branches « Noms de pays ». Côté éditeurs, il s’adresse à La Nou-
émondées par Proust dans ses nombreuses ré- velle Revue française. Gaston Gallimard lui laisse en-
RUE DES ARCHIVES/TALLANDIER – UNIVERSITE DE GENÈVE

écritures et amassées par les proustophiles et
les proustolâtres… Cette année encore, l’automne
sera proustien. De quoi lire pour les mois d’hiver
dans l’éclairage secret d’une vie tout entière consu-
mée dans le papier noirci. Mais on ne saura jamais
toute la vérité sur la vie de Proust, si nombreux et
diligents soient les biographes. On ne connaîtra
jamais non plus son œuvre intégrale, tant appa-
raissent sans cesse des inédits. Événement de cette
rentrée, la publication par Bouquins de la toute
première version d’À la recherche du temps perdu.
Histoire d’un roman refusé par deux éditeurs,
qui ne l’avaient pas lu, et accepté par un troisième,
100 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
tendre qu’une publication est possible. Il propose
aussi le roman à Fasquelle, que Proust, persuadé du
succès, met cependant en garde contre son person-
nage de « pédéraste viril », mais auprès de qui Gaston
Calmette, le directeur du Figaro, le recommande. Il
contacte enfin la maison Ollendorff, spécialisée
dans le roman naturaliste. Las ! À la Noël 1912, Proust
essuie trois refus. Fasquelle juge le roman « dépourvu
de toute intrigue et plein de phrases embrouillées dont il
est impossible d’en pouvoir rien dire ». Le comité de lec-
ture de la NRF, entraîné par Gide, qui cherche à as-
seoir par son intransigeance sa position dans la
revue, est unanime. Jean Schlumberger ironise sur
 Les enjeux
,du monde
un livre « plein de duchesses ». « Mal composé, mal
écrit », juge André Ruyters. Henri Ghéon y voit « une
,
d aujourd hui
œuvre de loisir, le contraire d’une œuvre d’art » et Jacques
Copeau refuse de publier des extraits de Swann dans
la revue. Plus tard, Gide se dira « beaucoup respon-
sable » de cette décision. En fait, il n’a pas lu le ro-
man. Refus encore d’Ollendorff : « Je ne puis comprendre
qu’un monsieur puisse employer trente pages à décrire
et de demain
comment il se tourne et se retourne dans son lit avant de
trouver le sommeil. » À quoi Proust répond : Voilà un
homme (…) qui vient d’avoir entre les mains 700 pages
où vous verrez que bien de l’expérience morale, de la pen-
sée et de la douleur est non pas diluée, mais concentrée. »

À compte d’auteur. D’où cette phrase du Temps

retrouvé : « Bientôt je pus montrer quelques esquisses.
Personne n’y comprit rien. » Nullement découragé,
Proust propose à Bernard Grasset, qui vient d’obte-
nir les deux derniers prix Goncourt, d’éditer le livre
à compte d’auteur. Celui-ci accepte avant même
d’avoir lu le manuscrit. Du côté de chez Swann, pre-
mier volume d’À la recherche du temps perdu, sera
publié en novembre 1913. Gide proposera alors de
publier la suite et Proust finira par rejoindre la NRF.
Événement que la présente publication, qui an-
ticipe l’année 2022, 100e anniversaire de la mort
de Proust, même si le texte est fort proche de celui
qui fut finalement publié. De toute façon, selon le
mot de feu Bernard de Fallois, éditeur de deux iné-

Disponible en librairie
dits proustiens majeurs, Jean Santeuil et Contre
Sainte-Beuve, « l’œuvre inédite de Proust n’existe pas ».
En somme, tout a fini refondu et sublimé dans
La Recherche, et les textes antérieurs ne font que
l’annoncer. Notons que Vinton, nom plus appro-
prié pour un musicien, deviendra ensuite Vinteuil,
qui convient mieux à la scène de voyeurisme dans
laquelle la fille du personnage sera prise. On re-
grettera quand même certaines coupes dans …

TRAIT
EX

Le Temps perdu (1908-1912),

de Marcel Proust
L’ÉCLAIRAGE DES EXPERTS
« Et je crois que si un jour, entré dans la chambre
enfantine de quelque petit ami, je reconnaissais sur le
mur ou sur la porte leurs belles taches lumineuses et Plus de 150 CARTES
bleues pareilles à celles que l’on voit sur les ailes de et INFOGRAPHIES inédites
certains papillons, et qui bougent avant de disparaître
comme si palpitait une dernière fois au moment de
s’envoler l’aile invisible qu’elles décorent, je m’enfuirais Les meilleures analyses de
en me couvrant les yeux. Aile inconnue aux yeux la PRESSE INTERNATIONALE
d’azur et de feu, retourne à ces ténèbres dont je suis
déjà si loin. Ne m’en rapporte pas mes tristesses
d’alors : elles me feraient courir comme autrefois sous
la lampe paisible qui s’est éteinte, vers les bras fermés
à tout jamais qui seuls savaient me guérir. »
Pour feuilleter un extrait, rendez-vous sur :
qrco.de/Atlas2022
CULTURELIVRES
… de beaux passages ­éliminés, mais on se
consolera en voyant entrer en scène, dans La Re-
cherche publiée par Grasset, Albertine, Saint-Loup
et Elstir, absents du manuscrit refusé.
Mais pourquoi Proust a-t-il recours au compte
d’auteur, alors qu’il est sûr de son génie littéraire ?
« J’ai tellement l’impression, écrit-il, qu’une œuvre est
quelque chose qui est sorti de nous-mêmes, vaut cepen-
dant mieux que nous-mêmes, que je trouve tout natu-
rel de me démener pour elle, comme un père pour son
enfant. »
D’autres Proust. Complétant cette rentrée
proustienne, un étonnant Proust amoureux de Pa-
trick Mimouni, qui trace un parallèle entre la vie
spirituelle (catholique) et la vie sexuelle de Proust.
On y apprend que Marcel n’est jamais parvenu à
avoir une érection et n’eut de rapports physiques
(passifs) qu’avec des hommes, comme il le confia
à Gide. La Recherche n’est-elle que le roman d’un
#BalanceTonMédicis
« Bianca » ou la flamboyante
résurrection, par Carol Ann
et Patrick de Carolis, d’une
héroïne de la Renaissance.
F
in de la Renaissance, entre Venise et Florence.
Avec son teint blanc comme le lys, ses lèvres ver-
meilles et « son regard d’une ardeur indomptable »,
écrivent Carol Ann et Patrick de Carolis, une jeune
beauté de 17 ans à peine consume le cœur du prince.
Bianca Cappello n’est rien sinon sublime (et mariée
à un fieffé débauché qu’on ne tardera pas à élimi-
ner). Alors que François est un Médicis, promis au
grand-duché de Toscane, et marié à Jeanne d’Au-
triche, de lignée royale. De maîtresse « mue par l’es-
prit de lucre », Bianca deviendra dame d’honneur de
Jeanne, puis épouse légitime à sa place, couronnée
grande duchesse. Libre, secrète, mauvaise politi-
cienne mais proche des artistes – Titien lui tire le
portrait, Le Tasse lui consacre des poèmes –, elle fut
détestée mais tint bon. « Hâte-toi lentement », dit la
devise des Médicis, personne ne le fit mieux qu’elle.
Jusqu’à ce soir d’octobre 1587 où, juste après son
mari, elle est emportée par un mal mystérieux. Hy-
dropisie, malaria fulgurante, ou, peut-être, comme
chez les Borgia, un bon usage de l’arsenic. Même
post mortem, la haine du clan Médicis s’abat en-
core : pour le grand-duc, les funérailles sont somp-
tueuses, mais pour Bianca, c’est la fosse commune.
102 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
Amants. « Bianca
Cappello et ­François Ier
de Médicis fuyant vers
­Florence » (détail, 1824),
de Jean-Louis Ducis
(1775-1847).
impuissant qui ne trouva la puissance de créer et
d’engendrer que dans la transposition dans une
œuvre profondément érotique grâce à laquelle le
lecteur entre dans la chair des personnages ?
Abondance de biens, Jean-Yves Tadié nous gra-
tifie d’un nouveau Proust, qu’il arrache au culte
passéiste de l’enfance. Homme de son temps, très
avisé de la vie politique, militaire et diplomatique,
Proust ne se contente pas du « beau monde », il ob-
serve le monde tout court.
Leçon de ces publications : lisons, relisons Proust.
À chaque relecture, il semble changé car nous
avons changé. Comme conclut Tadié : « L’éternel
­retour est une garantie d’immortalité. » §
Le Temps perdu, de Marcel Proust. Édition établie par Jean-Marc
Quaranta (Bouquins, « La Collection », 1 088 p., 30 €). À paraître
le 18 novembre.
Proust amoureux. V,ie sexuelle, vie sentimentale, vie spirituelle, de Pa-
trick Mimouni (Grasset, 632 p., 29 ¤). À paraître le 17 novembre.
Proust et la société (Gallimard, 256 p., 18 ¤), de Jean-Yves Tadié.
À paraître le 11 novembre.
« Tout signe de son existence est effacé, banni du duché. »
À jamais, elle restera « Pessima Bianca », « la damnée
des Médicis ». Son histoire d’amour avec François est
une légende, et leur fin, une énigme que quatre
LEEMAGE/BRIDGEMAN IMAGES
siècles de recherche n’auront pas suffi à dénouer.
Fort documenté et d’une grande sensibilité, le récit
de Carol Ann et Patrick de Carolis rend justice à
cette femme hors du commun, flanquée à la porte
de la postérité § MARINE DE TILLY
Bianca, l’âme damnée des Médicis, de Carol Ann et Patrick
de Carolis (Éditions de l’Observatoire, 304 p., 20 €).
 Gallimard présente
Les meilleures ventes de la Fnac
Fnac/Le Point du 29 octobre au 5 novembre 2021
Rang Nombre de semaines de présence continue
FRANZ-OLIVIER GIESBERT
Genre Classement précédent

Titre Auteur Éditeur

Histoire intime de la Ve République
1 R L'inconnue de la Seine Guillaume Musso Calmann-Levy 1 7
2 E Dieu, la science, les preuves
Michel-Yves Bolloré,
Olivier Bonnassies
Tredaniel 2 4 LE SURSAUT
Gérard Davet,
3 E Le Traître et le Néant Fayard 6 4
Fabrice Lhomme
4 E La Clé de votre énergie Natacha Calestrémé Albin Michel 4 18
5 R La plus secrète mémoire des hommes Mohamed Mbougar Sarr Philippe Rey - 1
6 R Premier sang Amélie Nothomb Albin Michel 23 12
7 R Après Stephen King Albin Michel - 1
8 E La France n’a pas dit son dernier mot Éric Zemmour Rubempre 5 8
Le Grand livre des 12 libérations
9 E Stéphanie Abellan Courrier Du Livre - 1

Photo F. Mantovani © Gallimard

énergétiques
10 R S’adapter Clara Dupont-Monod Stock 13 2
Le Pouvoir rhétorique.
11 E Apprendre à convaincre et Clément Viktorovitch Seuil 3 4 GALLIMARD

à decrypter les discours

12 E Trouver ma place Natacha Calestrémé Albin Michel 7 4
Barack Obama,
13 E Born in the USA Fayard - 1
Bruce Springsteen
La Traversée des temps.
14 R Éric-Emmanuel Schmitt Albin Michel - 1
Tome 2 : La Porte du ciel
Réinventer l’amour. Comment
15 E le patriarcat sabote les relations Mona Chollet  Zones 10 8
FRANZ-OLIVIER

GIESBERT
hétérosexuelles
Kahina Bahloul,
16 E Des femmes et des dieux Emmanuelle Seyboldt, Les Arènes - 1
Floriane Chinsky
La France sous nos yeux. Économie, Jérôme Fourquet,
17 E Seuil 9 5
paysages, nouveaux modes de vie Jean-Laurent Cassely
18 E Burn after writing Sharon Jones Contre-Dires 11 35
19 R Les Promises Jean-Christophe Grangé Albin Michel 15 9 Histoire intime de la Ve République
20
21
R
R
Le Secret
Glen Affric
Morgane Ortin
Karine Giebel
Albin Michel
Plon
-
-
1
1 Le sursaut
22 E Le Guide de la répartie Laurent Baffie Kero - 1
Presses « J’ai beaucoup aimé le livre de Franz-
23 R Code 612. Qui a tué le Petit Prince ? Michel Bussi 14 3
de la Cité
24 R Chevreuse Patrick Modiano Gallimard 17 5 Olivier Giesbert. Un passionnant portrait
25 R La Toute Petite Reine Agnès Ledig Flammarion 12 3 psychologique, politique et même spirituel
d’un homme qui domine son temps de la
R : Romans et nouvelles E : Essais et documents Entrée ou retour dans la liste
tête et du képi. »
Jacques Julliard, Marianne
La minute antique
« Le journaliste fait œuvre d’historien dans
PLATON DANS « MATRIX ». Lorsque Mark Zuckerberg a cette remarquable saga puisant aux meilleures
­annoncé qu’il rebaptisait Facebook « Meta » parce qu’il misait sources ainsi que dans ses souvenirs personnels.
désor­mais sur le « metaverse » (un monde virtuel et immersif où Ce premier volume insiste sur le génie du
il faudra vivre sous la forme d’un avatar), Lana Wachowski, Général sans en occulter les zones d’ombre.
­réalisatrice de Matrix, dont le prochain épisode arrive en dé- Passionnant. »
cembre, a publié un tweet aux airs d’avertissement : « Mainte- Jacques de Saint Victor, Le Figaro
nant, c’est basé sur des événements réels : faites votre choix », y lisait-on
au-dessus de deux pilules, une bleue et une rouge. En effet, dans
Matrix, qui raconte comment on a forgé autour des hommes un « Franz-Olivier Giesbert nous invite à remonter
monde illusoire (la « Matrice ») dont ils sont sans le savoir les le temps dans des allées qu’il arpente depuis
prisonniers, tout est affaire de choix. Entre la pilule bleue, qui plus de cinquante ans, celles du pouvoir.
permet de s’abandonner à cette vie confortable mais factice, et Explosif. »
la pilule rouge, qui permet de rejoindre la vraie vie, âpre mais François-Guillaume Lorrain, Le Point
libre. Un choix que proposait déjà Platon à travers son mythe
de la caverne, décrivant une humanité enchaînée dans une grotte
et ne voyant du monde que son ombre projetée sur la paroi, à
moins qu’elle n’accepte, grâce à la philosophie, d’en f­ inir avec
les illusions. Mais la caverne n’était qu’une image : la puissance
de contrôle des Gafam menace d’en faire une réalité § C. O.-D.-B.
gallimard.fr I facebook.com/gallimard
CULTURELIVRES
>BD
Largo Winch,
milliardaire éthique !
Franchise parmi les plus lucratives de la bande dessinée fran-
co-belge (11 millions d’albums vendus, deux films, une série
télévisée…), Largo Winch connaît une sérieuse remise à neuf
sous l’impulsion de Philippe Francq, son dessinateur histo-
rique, et d’Éric Giacometti, le romancier à succès (le commis-
saire franc-maçon Marcas, c’est lui) qui a succédé au légendaire
Jean Van Hamme. Dans son dernier album, Largo Winch, or-
phelin yougoslave devenu play-boy milliardaire, défenseur
de la veuve, de l’orphelin et d’une finance éthique, se retrouve
confronté à des entrepreneurs 3.0 – décalques à peine voilés
d’Elon Musk. Largo relève le défi de la conquête des étoiles,
après avoir balayé la lubie du tourisme spatial. Tandis que son
complice Simon, séducteur un peu lourdingue, est la victime
d’un clin d’œil (un tantinet) appuyé à #Balancetonporc. Bien-
venue dans le nouveau monde, Largo ! § ROMAIN BRETHES
Largo Winch. La Frontière de la nuit, de Philippe Francq et d’Éric Giacometti
(Dupuis, 48 p., 14,95 €).
104 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
in du po
co
Le
lar
Sombre et belle Finlande
Le Serment, d’Arttu Tuominen. Traduit du finnois par
Anne ­Colin du Terrail (La Martinière, 448 p., 21 €).
Qu’est-ce qui a mal tourné cette nuit-là ? Un temps de
chien, une fête dans un cottage au fond des bois, où des
hommes se soûlent sans plaisir, où l’un d’eux, Nieminen,
va être retrouvé mort, lardé de coups de couteau. Le cou-
pable est tout trouvé : Mielonen est couvert
de sang et ne se souvient de rien. Le rideau
se lève lentement sur l’intrigue sise à Pori,
la ville de l’auteur. Paloviita, commissaire
en intérim, enquête en parallèle de ses deux
adjoints, Linda la fine et Oksman l’énigma-
tique. Mais peu à peu, le temps s’ouvre en
deux. Pour remonter vers l’adolescence des
enfants de Pori. Vers une Finlande à la bru-
talité insoupçonnable, vers des gosses qui poussent
comme des mauvaises herbes, vers l’alcool qui embrume
tout. On s’attendait à un polar façon Antti Tuomainen,
chez Fleuve, vif, drôle, mais c’est Arto Paasilinna que
Arttu Tuominen ressuscite dans ce texte grandiose, très
remarqué chez lui et en Scandinavie, bouleversant par
sa justesse et son enfer, qui allie la beauté de la nature à
la longue dépression de l’identité nationale § JULIE MALAURE
poche
En
Balzac, « roi de la foirade »
Honoré et moi, de Titiou Lecocq
(Le Livre de poche, 216 p., 7,40€).
Ceci n’est pas une biographie de Balzac par Lecocq. Nulle
analyse assommante de l’œuvre du « grantécrivain » mais
de brillantes observations et, surtout, une certaine proxi-
mité entre camarades. « Parce qu’il a réussi sa vie en passant
son temps à la rater, Balzac est mon frère », écrit
la journaliste. Au moment de commencer ce
récit, elle est au fond du seau, même si son der-
nier livre (Libérées !) a cartonné –­ son compte
Insta hypercool ne console pas plus son cœur
SP (X2) – PHILIPPE FRANCQ - ÉRIC GIACOMETTI/DUPUIS
rabougri. Son pote Honoré pourrait bien s’être
souvent senti aussi « nulle, moche et déprimée »
qu’elle. « Ultracomplexé, édenté, court sur pattes,
joufflu, robuste, avec une tête à vendre des saucis-
ses sur un marché du Tarn » et « rincé par les femmes de sa vie
qui épongeaient ses dettes », le génie du réalisme n’était-il
pas aussi un peu « le roi de la foirade » ? Pas étonnant que
les lecteurs du Livre de poche aient donné à ce livre le
Prix 2021 (catégorie document). C’est un vrai gueuleton.
Sous la plume de Lecocq, Honoré le pauvre type huma-
nise, décoince et défrise Balzac l’inaccessible § MARINE DE TILLY
 19 28 NOV.

FESTIVAL 19

TOULOUSE 28
INNOVANTE NOV.

ET DUR BLE EN T R ÉE
G R AT U I T E

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FUTURAPOLIS PLANÈTE
VILLAGE D’ANIMATIONS :
ALLÉES JULES-GUESDE
© Getty

Programme sur toulouse.fr

EN PARTENARIAT AVEC
STYLE

Sur les grands

chemins de Paris
Plusieurs itinéraires de grande randonnée permettent de découvrir ses quartiers pittoresques,
ses anciens villages, ses parcs et ses espaces verts. Nous en avons exploré deux. PAR NATHALIE LAMOUREUX

À deux pas du Moulin-Rouge, la cité du Midi,

une impasse qui abritait les anciens bains-douches de Pigalle.

106 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570

 P
aris compte au moins 6 000 voies –
avenues, boulevards, cités, im-
passes, passages – et bien des
manières d’y mettre ses pas, selon
son âge, son humeur, son habileté,
son rythme. Pourtant, lorsque l’on envi-
sage de partir en randonnée, on n’ima-
gine pas s’échapper en cheminant sur un
trottoir noir de monde. Beaucoup
l’ignorent, Paris propose ainsi trois
grandes traversées, balisées en jaune et
rouge (« GR Pays »), qui sillonnent les
rues et les espaces verts de la capitale sans
pour autant négliger les monuments
prestigieux. Nous avons choisi d’explo-
rer les traversées n° 2 et n° 3. La n° 3, comme
la n° 1, relie le bois de Boulogne au bois
de Vincennes, mais son itinéraire en
forme de croissant de lune permet d’en-
chaîner toutes les buttes et collines de la
capitale. Ces belles échappées nous
mettent sous l’emprise de la ville et de DE LA VILLETTE confection ont été remplacés par des res-
son histoire. Une ville qui mute, se végé- À LA PORTE D’ARCUEIL taurants, boutiques, ateliers d’artistes
talise, ronchonne. À la différence du pro- qui ont repris en partie le contrôle des
1
meneur des grands espaces, l’arpenteur lieux, cible des promoteurs. À décou-
urbain évolue dans un univers touché RUE SAINTE-MARTHE vrir : La Tête dans les olives, une épice-
par le mal des profondeurs, qu’illustrent 10e arrondissement rie consacrée à l’huile d’olive de Sicile
de mystérieuses et déroutantes inscrip- (cedriccasanova.com) et Le Dixième
tions murales. On saute de « Seule ivre je ­Degré, un restaurant réputé pour ses
veux rentrer chez moi » à « Nik la peau lisse », À deux pas du canal Saint-Martin, les burgers au cantal et ses plats créoles.
FREDERIC VIELCANET/ALAMY STOCK PHOTO – CECILE MARION/ALAMY STOCK PHOTO – MANUEL COHEN/AFP

en passant par « Le virus, c’est l’État » et ­façades de bois colorées de cette ruelle
« Dérèglement climatique, inaction crimi- éclaboussent la rétine. Édifiées au XIXe, 2

nelle ». Les rues sont également couvertes
d’ex-voto laïques qui rappellent en de très
nombreux endroits le souvenir d’un
homme qui y a vécu, qui y est né.
Une traversée s’accomplit en une
bonne journée, car il faut être attentif
aux balisages jaune et rouge sur les ré-
verbères ou les feux rouges, ainsi qu’aux
indications du topoguide, et prévoir de
nombreuses haltes pour admirer toutes
sortes de curiosités –porches, façades,
plaques… Le pittoresque de cette randon-
née réside dans ses boucles, variantes et
chemins de traverse, que nous n’aurions
pas l’idée d’emprunter dans nos routines
quotidiennes, faute de temps. Selon
Georges Balandier, sans routine, la vie se-
rait invivable : on passerait son temps à
changer les choses de place. Mais pas de
routine sans « arrière-monde ». Le « pays
de Paris » ou l’arrière-plan extraordinaire
de nos vies très ordinaires. À éprouver
sans attendre.
elles composent avec celles des rues
adjacentes l’un des tout premiers en-
sembles de logements ouvriers de la ca-
pitale, la cité du comte de Madre. Ce
notaire parisien était attentif à l’habitat
social, mais aussi soucieux de contrôler
les bonnes mœurs en rassemblant cette
classe dans un ensemble clos. Au fil
des décennies, les anciens ateliers de
LE PONT TOURNANT
DE LA GRANGE-AUX-BELLES
10e arrondissement
Situé à l’angle du quai de Jemmapes et
de la rue de la Grange-aux-Belles, ce
­célèbre pont routier, classé monument
historique et doublé d’une passerelle
destinée aux piétons (ci-dessus), est
­s itué à proximité des écluses des
­Récollets. Il traverse le canal Saint-­
Martin, mis à l’honneur dans le film de
Marcel Carné Hôtel du Nord, et s’ouvre
en tournant pour laisser passer bateaux
et péniches. …
Ces belles échappées
nous mettent sous
l’emprise de la ville et
de son histoire.

Le Point 2570 | 11 novembre 2021 | 107

STYLE
3

L’ENCEINTE DU BOIS DE BOULOGNE

DE PHILIPPE AUGUSTE AU BOIS DE VINCENNES

5e arrondissement 5

Afin de protéger Paris d’éventuelles at-
taques, notamment venues du nord et
de l’ouest, le roi de France Philippe Au-
guste, avant de partir pour la troisième
croisade, ordonne la construction d’une
muraille de pierre. Au fil des siècles, la
capitale sera ceinturée par sept enceintes
successives accompagnant son exten-
sion. Situé rue Clovis, ce pan de mur de
3 mètres de largeur sur 9 mètres de hau-
teur est l’un des rares remparts encore
debout observables directement depuis
la chaussée.
LA CATHÉDRALE
SAINT-ALEXANDRE NEVSKY
8e arrondissement
Byzantine à l’intérieur, moscovite à l’ex-
térieur, la curiosité du 12, rue Daru se
distingue par ses belles tourelles sur-
montées de flèches ornées de bulbes
­dorés et sa grande fresque centrale en
mosaïque. Classée monument histo-
rique en 1981, elle a consacré l’union de
Macha Méril et de Michel Legrand le
18 septembre 2014.
6

LE PARC MONCEAU
8e arrondissement

Ce bel espace de 8 hectares nous vient

du duc de Chartres, qui, en 1769, construi-
sit sa « folie », appelée ainsi en raison du
coût démesuré des décors, de tous les
styles et de toutes les époques : ruine de
temple, château gothique, minaret,
­pagode chinoise, moulin hollandais…
Après la Révolution, le « pays d’illusion »
du duc est réaménagé par A ­ lphand en
1861, en vue de son ouverture au public.
Symbole du parc, la r­ otonde à colonnes,
dite « pavillon de Chartres », marque
­l’entrée des lieux ; elle servait autrefois
de poste d’observation sur la plaine. À
voir : le plus gros arbre de la capitale, un
platane d’Orient de 7 mètres de circonfé-
rence et âgé de plus de 200 ans.

TARDY HERVÉ/HEMIS.FR – RIEGER BERTRAND/HEMIS.FR – AUGUSTIN LAZAROIU/ALAMY STOCK PHOTO/HEMIS

4

LA BUTTE-AUX-CAILLES
13e arrondissement

Ce mini-quartier percé de venelles pa-

vées et bordé de maisons fleuries réunit
tous les attributs d’un village, en marge
de l’agitation parisienne. Toutefois, ses
murs graffés rappellent l’indiscipline
d’un territoire annexé à Gentilly en 1861.
Engagés dans les luttes ouvrières au
siècle dernier, ses habitants ont aussi
participé aux combats de la Commune,
en 1871. La place de la Commune-de-­
Paris, à l’angle des rues Buot et de l’Es-
pérance, en perpétue le souvenir. Mais,
bizarrement, « c’est une place sans adresse
ni habitant, et bien loin du mur des Fédérés,
situé au cimetière du Père-Lachaise », sou-
lignent les historiens de la capitale Mau-
rice Garden et Jean-Luc Pinol dans leurs
Seize Promenades historiques dans Paris
(Éditions du Détour, 2017).
108 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
 Titre traversée de Paris par ses chemins de grande randonnée
7

MONTMARTRE Porte
de la Villette
18e arrondissement Sacré-Cœur
Traversée N° 3
7
8
On ne présente plus la butte Montmartre.
Mais on reste sous le charme de ce quar- Porte Maillot 6
5 Canal
tier mythique, avec ses charmantes Saint-
Opéra 1
­impasses, ses maisons de style anglo-nor- Place Martin 2 9
mand et ses îlots de verdure. La balade Bois de de l’Étoile République
rappelle la dimension historique d’un Boulogne
Père-
Sei
site autrefois couvert de frais bosquets, Tour ne Notre- Lachaise
agrémentés de sources propices à la vé- Eiffel Dame
Bastille
nération des dieux, dont il ne reste que Jardin du
10
les toponymes (rue de l’Abreuvoir, de la Luxembourg
3
Fontaine-du-But et du Ruisseau). Son Traversée N° 2
point culminant (130,53 m) se situe dans
le cimetière du Calvaire. Montparnasse
Place Bois de
4
d’Italie Vincennes
UN « GRAND TOUR »
Deuxième es-
cale de la nou- Porte d’Arcueil Source : FFRandonnée.
velle collection
de hors-séries
du Point, 9

« Grand Tour » : Traversée n° 2 : de la porte de la

Paris. On y dé-
couvre ses
adresses secrètes en suivant les
itinéraires des artistes, des créa-
teurs, des fleuristes, des illustra-
teurs, mais aussi des personnages
historiques qui ont fait et font
encore la capitale. Plus de 150 re-
pères font résonner les pavés de
la Ville lumière. Et, chaque jour,
une offre enrichie sur lepoint.fr
MÉNILMONTANT
20e arrondissement
À l’extérieur du mur des Fermiers géné-
raux et donc de la zone de l’octroi (taxe
marchande), le vin était moins cher, et
de nombreuses guinguettes ont pros-
péré ici au XVIIIe siècle. Après l’annexion
de Ménilmontant par Paris en 1860, l’an-
cien hameau s’est construit une image
de quartier populaire et revendicatif. Le
Villette, au nord-est de Paris, à la porte
d’Arcueil en passant par Notre-Dame,
au centre de l’île de la Cité.
Traversée n° 3 : du bois de Boulogne
au bois de Vincennes, en passant uni-
quement par la rive droite de la Seine.
Topoguide : Paris… à pied, Fédération
française de randonnée pédestre,
16,40 €, www.ffrandonnee.fr
10

avec nos Envies de Paris.
En kiosque, 8,90 €.
8 Le GR y chemine dans un entrelacs d’im-
LA GOUTTE-D’OR
18e arrondissement
Le quartier tire son nom d’un vin divin
servi à la cour du roi. Zola y a situé son
Assommoir. Dans le roman, le débit de
boissons du père Colombe se trouve au
coin de la rue des Poissonniers et du bou-
levard Rochechouart. La rue des Pois-
sonniers, quant à elle, fait partie de
KRINITZ HARTMUT/HEMIS.FR
22, rue de la Mare abrite Le Jargon libre,
une bibliothèque consacrée à tous les
thèmes contestataires (anarchisme,
marxisme, surréalisme, situationnisme).
passes, de passerelles et de tracés sécu-
laires tortueux. À s’y perdre, pour ne pas
oublier l’expérience.
RUE D’AVRON
20e arrondissement
Au nord de cette rue du quartier de Cha-
ronne se trouve le jardin Casque-d’Or,
créé au début des années 1970 en hom-
mage à Amélie Hélie, dont c’était le sur-
nom. Cette fille de joie incarnait la zone
et ses bandes d’apaches, terme générique
servant à désigner les bandes criminelles
du Paris de la Belle Époque.
La n°3 relie le bois de Bou-

l’antique route de la marée, qui reliait logne au bois de Vincennes.

le nord de la France et les halles de Paris Son itinéraire en forme de
et était empruntée par les marchands croissant de lune permet
de poisson. La promenade révèle un
quartier de couleurs flamboyantes et d’enchaîner les buttes et
d’odeurs épicées. collines de la capitale.
Le Point 2570 | 11 novembre 2021 | 109
STYLE

La Cité de l’océan et du surf de l’architecte new-yorkais Steven Holl.

Biarritz en toute saison

Fooding, concept stores, coffee shops et autres nouveaux lieux… Biarritz a le vent en poupe
et s’impose comme le nouveau repère des citadins. PAR VICKY CHAHINE

L
’océan habité par des surfeurs, une
population hétéroclite, le cool de la
Californie infusé au chic à la fran-
çaise… Cela fait plusieurs années que
Biarritz fait fantasmer. Pour les vacances,
et plus si affinités. Des petites adresses
labellisées Fooding, des concept stores
séduisants, des vêtements aux couleurs
locales, des coffee shops aux latte végé-
taux, la ville est une extension plein air
des quartiers bobos parisiens, l’âme
basque en plus. Ainsi, ils sont plusieurs
vient inaccessible pour beaucoup. » Dans
sa vitrine, l’agence immobilière Pres-
tant, spécialisée dans les produits haut
de gamme, décline les piscines sur fond
de ciel bleu, comme celle de cette villa
de 360 mètres carrés proposée à
3 500 000 euros, soit plus de 9 700 euros
le mètre carré. « On a évidemment vu des
clients qui ont repensé leur schéma de vie
après le confinement, mais cela fait déjà trois
ans que le marché immobilier grimpe. Il y
a notamment beaucoup de jeunes retraités
qui viennent s’installer ici pour le cadre de
vie, les golfs, la proximité avec les Pyrénées,
les bonnes infrastructures hospitalières. Nos
produits partent très vite », remarque-t-on
à l’agence. Pour les jeunes qui débutent
dans la vie active, c’est moins évident.
Il faut arriver avec un projet, comme le
jeune couple derrière la nouvelle adresse
en vogue Colors of Surfing, un coffee
shop-boutique-location de planches de
surf. « Il n’y a pas beaucoup d’opportuni-
tés, donc il faut télétravailler ou alors créer
RIEGER BERTRAND / HEMIS.FR

à avoir choisi d’y télétravailler et même
de s’y installer. De Paris bien sûr, mais
aussi de Tours, Lille, Toulouse…, on vient
tenter sa chance sous les embruns. « Ça
se voit aux plaques d’immatriculation ! note
en souriant un Biarrot de naissance. Mais
aussi au niveau immobilier : le centre de-
quelque chose, note Louisa Rucinski, la
cofondatrice. Mais après cet été, où l’on a
« On voit de plus en plus accueilli un grand nombre de visiteurs, on
d’urbains, qui cherchent voit de plus en plus d’urbains, des Parisiens
notamment, qui cherchent un pied-à-terre
un pied-à-terre ici. » Louisa ici. » Et ces nouvelles adresses devraient
Rucinski (Colors of Surfing) finir de les convaincre.

110 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570

 Le Café basque au Café de Paris
Posté devant l’imposante sculpture de
Jorge Oteiza, le mythique hôtel biarrot a
repensé sa brasserie sous la houlette de
l’architecte d’intérieur Sarah Lavoine.
Son nouveau nom : Le Café basque, un
clin d’œil au restaurant étoilé du chef
­Cédric Béchade, qui en chapeaute la carte.
À la carte, justement, des classiques un
brin twistés, servis dans la salle aux dif-
férents tons de bleu, imaginée par Sarah
Lavoine, avec sa clientèle de bon goût et
vue sur l’océan. L’architecte parisienne
ne devrait pas tarder à redécorer les
19 chambres, toutes tournées vers la mer.
De 18 € à 32 € le plat. 5, place Bellevue,
www.hotel-cafedeparis-biarritz.com.
Made in Pays basque chez Arima
C’est un nouveau lieu qui a une âme, et
c’est justement la signification basque
de son nom. Centrée sur la culture du
Pays basque (sous-entendu des sept
­provinces réparties des deux côtés de la
frontière), cette boutique propose une
sélection très fine et intelligemment
­pensée. Les céramiques graphiques de la
marque A Dream in a Hat, fondée par une
enfant du pays, de l’huile de tournesol
d’une coopérative, de la gelée de piment
d’Espelette, mais aussi un coin librairie
avec des livres en version originale, pour
les enfants notamment. Derrière chaque
produit, une histoire racontant ce que re-
présente l’identité basque aujourd’hui.
On peut même boire un kafea (café) ou
une garagardoa (bière) au comptoir.
21, avenue de Verdun, 06 86 53 59 75.
Cool californien
au Colors of Surfing
RIEGER BERTRAND / HEMIS.FR – COLORS OF SURFING – CAFÉ DE PARIS
Ouvert par Louisa et Antonin, un
couple tombé amoureux du coin, ce mé-
lange réussi entre cool californien et bon
goût français est rapidement devenu un
lieu emblématique de la ville. Ici, on boit
du latte fait par le torréfacteur australien
Sunday avec un banana bread, conforta-
blement installé sur un canapé moelleux.
On peut aussi s’acheter une casquette si-
glée Colors of Surfing, des bougies arti-
sanales L’Atelier Jüni, made in Hossegor,
et même louer des planches de surf fabri-
quées par des shapers, comme on les ap-
pelle, locaux. Un bon spot pour sentir la
nouvelle vibe biarrote.
22, avenue de Verdun, www.colorsofsurfing.com.
Prendre la vague chez Carlos
Biarritz
C’est une institution de la Côte des
Basques, la plus ancienne plage de surf
en Europe. La légende dit qu’elle doit son
nom à la visite du musicien Carlos San-
tana, tombé amoureux des lieux dans les
années 1980. Elle vient d’être reprise dans
un esprit vagues & sunset. Qu’on adhère
ou non, l’endroit reste incontestablement
l’un des meilleurs lieux pour regarder le
­soleil se coucher par les grandes baies vi-
trées. Et, si le temps est doux, on peut
aussi commander au take away et filer
pique-niquer sur la plage.
De 18 € à 25 € le plat.
7, boulevard du Prince-de-Galles,
www.carlosbiarritz.com.
Le goût de la ville
au Musée historique
À deux pas des halles, l’ancienne église
anglicane Saint-Andrew, du XIXe siècle,
a depuis plusieurs années troqué la lec-
ture de la Bible pour l’histoire de la ville.
Le lieu vient d’être entièrement rénové :
restauration des vitraux et du plancher
d’origine en point de Hongrie ainsi qu’une
nouvelle scénographie signée Sylvain
Roca (derrière, entre autres, celle de l’ex-
position « Pompéi », au Grand Palais). Di-
visée en sept parties, la narration mêle
vestiges de la chasse à la baleine, photo
de Sissi l­ ’impératrice en ville, costumes
de bain d’époque et, évidemment, un es-
pace consacré à l’impératrice Eugénie,
qui donna le goût de la station balnéaire
à son époux, Napoléon III.
Église Saint-Andrew, rue Broquedis,
www.musee-historique-biarritz.fr
5D à la Cité de l’océan
Si l’aquarium vaut le détour pour ses
8 000 résidents, son aile tropicale et son
architecture Art déco, la Cité de l’océan
offre aussi une bonne occasion de balade
pour les familles en goguette. On y parle
de la mer et de ses habitants à travers des
dispositifs ludiques et interactifs, dont
plusieurs ont été mis en place récem-
ment. Plongée avec les requins grâce à
un casque de réalité virtuelle, nouveau
film en 3D sur les lions de mer, disposi-
tif 5D pour déambuler en Antarctique…
Il y a de quoi occuper les petits comme
les grands.
1, avenue de la Plage, www.citedelocean.com.
Le Point 2570 | 11 novembre 2021 | 111
STYLE
Cuisine affûtée chez Aiete
Nicolas Breton fait partie de ces jeunes
chefs cool qui préfèrent la casquette à
la toque. Passé par plusieurs maisons,
dont celle d’Hélène Darroze à Londres,
il a ouvert il y a quelques mois son pre-
mier restaurant dans Bibi-Beaurivage,
le quartier historique des pêcheurs, qui
monte. À deux pas de la cave à manger
emblématique du coin, Chéri Bibi, il
concocte des recettes finement exécu-
tées aux saveurs maîtrisées, telles que
la truite du coin avec nori, yaourt et ci-
trus ou le porc de Brigitte façon katsu et
sa salade de chou au sésame.
De 8 € à 28 € le plat.
22, rue Harispe, 05 59 43 82 27.
Gourmandise historique
chez Maison Adam
En 1660, lors du mariage de Louis XIV à
Saint-Jean-de-Luz, la mère du souverain
et l’infante d’Espagne Marie-Thérèse
eurent un coup de cœur pour les maca-
rons de M. Adam. Ces bouchées à base
d’amandes Valencia, d’origines espa-
gnole et californienne, deviennent alors
célèbres sous le nom de « Paré Gabéa »
(« sans pareil », en basque). Toujours
confectionnés artisanalement à Saint-
Jean-de-Luz, les macarons, mais égale-
ment le traditionnel gâteau basque,
décliné à la cerise et au chocolat, sont
désormais disponibles dans une nou-
velle boutique place Clemenceau avec
boiseries et peintures aux murs.
16 € la boîte de 12 macarons.
3, place Clemenceau, www.maisonadam.fr.
Croquer la fève
chez Monsieur Txokola
Le jeune chocolatier de Bayonne vient
d’ouvrir une antenne en ville. L’occa-
sion de découvrir ses crus exigeants pour
tous les palais. Du Venezuela au Pérou
en passant par Bali, du noir au piment
d’Espelette au lait aux noisettes du Lot-
et-Garonne… Des pourcentages de ca-
cao pour tous les goûts. Et si la visite a
éveillé l’appétit, on peut aussi comman-
der une mousse au chocolat, un milk-
shake ou un chocolat au lait entier à
emporter.
17, rue des Halles,
www.monsieurtxokola.fr.
112 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
Cocooning chez Ama
Dans un bâtiment classé qui abritait pré-
cédemment l’hôtel Les Alcyons, ce
3-étoiles vient d’être entièrement ré-
nové dans un esprit plus cocooning
– ama signifiant « maman » en basque.
Réception devant le bureau de l’arrière-
grand-mère du nouveau propriétaire,
salle de petit déjeuner avec grandes fe-
nêtres sur la rue et 15 chambres, dont
certaines avec balcon. Un emplacement
idéal, dans le centre, et un bon rapport
qualité-prix.
À partir de 79 € la nuit avec petit déjeuner.
8, rue de la Maison-Suisse,
www.amahotel.fr.
Parfums d’Asie chez Epoq
Les fins gastronomes qui ont déjà poussé
jusqu’à Bidart n’ont pas pu passer à côté
d’Elements. Le chef Anthony Orjollet a
remis le couvert à Biarritz avec une for-
mule des plus séduisantes. Dans un loft
aux murs transformés en bibliothèque,
on s’installe pour déguster les plats du
jour, étonnants et bien vus, avec des in-
fluences du coin mais aussi d’Asie.
Poulpe-hibiscus-nectarine-raifort ou
gyoza bœuf-tomate fermentée-laksa. Le
plus : le coin épicerie et sa fine sélection.
De 7 € à 29 € le plat. 11, rue du Helder,
www.restaurant-epoq.com.
Éthique chic
chez Venitz Conscious Creation
Morgane Catteau a passé quatorze ans
chez Chanel comme petite main. Elle a
lancé en mai dernier cette boutique dont
le nom est la contraction de Venice Beach
et de Biarritz. Avec son compagnon,
Rudy Cohen, elle y propose des pièces
vintage qu’elle retravaille à partir de
chutes de tissus de grandes maisons.
Tout le reste de la boutique est une sé-
lection de marques engagées qui res-
pectent leur charte éthique, écologique
et responsable. Parmi les heureux élus,
VENITZ – COLIN DUTTON – HOTEL AMA
les cosmétiques du Pays basque Oskol,
à base d’algues, et les baskets Lissier, qui
recyclent les tissus d’ameublement.
5, avenue de Verdun,
https://venitz.fr.
Se renseigner
Office de tourisme de Biarritz,
www.tourisme.biarritz.fr.

Sous l’impulsion de son directeur artistique, Jonathan Anderson, l’Anagram de Loewe
s’impose comme un véritable signe iconique. PAR VICKY CHAHINE
L’Anagram, l’élégant sigle de la maison espagnole dirigée par Jonathan Anderson, sur un modèle Amazona.
C
’est l’une des maisons dont les col-
lections sont les plus regardées. Les
plus célébrées aussi, pour une griffe
qui réussit le grand écart entre mode
conceptuelle et mode commerciale. Son
maître d’œuvre ? Le directeur artistique
Jonathan Anderson, qui a rejoint en 2013
Loewe (prononcez « lo-weh-vay »), dé-
sormais sous l’égide de LVMH. Fondée
à Madrid en 1846, la marque de luxe es-
pagnole, l’une des plus anciennes, est
connue à l’origine pour sa maroquine-
rie d’excellente facture qui a séduit la
bourgeoisie et les têtes couronnées ibé-
riques – le roi Alfonso XII lui attribue
d’ailleurs le titre de fournisseur de la
maison royale. Puis, comme d’autres,
elle étend son marché en développant
la parfumerie et le prêt-à-porter, sous la
houlette créative notamment de Karl
Lagerfeld, Giorgio Armani, Narciso Ro-
driguez ou encore Stuart Vevers. Mais
c’est l’arrivée de Jonathan Anderson, et
sa vision nourrie d’influences artistiques,
qui propulse véritablement Loewe au
rang de marque de mode. Le jeune créa-
teur pose les bases d’un nouveau voca-
bulaire précis, aux volumes maîtrisés,
LOEWE (X2)
aux matières aussi nobles que le cuir qui
a fait la réputation de la maison. Et il
Luxe lettré
épure toute l’image, les campagnes et
l’identité visuelle, qu’il confie au duo de
graphistes parisiens M/M, connus dans
le monde de la mode pour leur travail
pour Givenchy, Prada et les Galeries La-
fayette Champs-Élysées. En jeu, entre
autres, la réinvention du signe iconique
de Loewe. Jusque dans les années 1960,
la maison utilise plusieurs signatures,
dont un simple L. C’est un artiste espa-
gnol qui va lui dessiner une nouvelle
identité. Recommandé par son ami ­Javier
Carvajal, l’architecte des boutiques mai-
son, Vicente Vela, fraîchement diplômé
d’une école d’art, rejoint Loewe en 1958
et y restera jusqu’en 1999. Très influencé
par la culture espagnole, du musée du
Prado, à Madrid, à l’architecture moder-
niste de Barcelone, il va jouer avec la
lettre en la quadruplant en miroir. Lancé
en 1970, le signe formé des quatre L à la
typographie baroque habille tout d’abord
Anderson épure toute
l’image, les campagnes
et l’identité visuelle,
qu’il confie au duo de
­graphistes parisiens M/M.
la ligne de bagages « Canvas Jacquard »,
puis s’étend à d’autres produits. Lors-
qu’il rejoint la maison, Jonathan Ander-
son s’en empare avec son regard moderne.
« Quand je suis arrivé, la mention “Madrid,
1846” sur les collections me gênait, car elle
me semblait trop littérale. Je me suis entouré
du duo des M/M et du photographe Steven
Meisel pour qu’ils épurent le logo afin de le
réduire à un signe iconique », explique le
créateur. La version plus minimaliste
de ce que la maison appelle « Anagram »
sigle alors le prêt-à-porter, des écharpes
mais aussi les nombreux sacs best-sel-
lers de Jonathan Anderson, dont les
Puzzle, Éléphant, Gate et Hammock.
Sans oublier le nouveau modèle
­Amazona, lancé pour la collection
­automne/hiver 2021, une forme puisée
dans les archives puisqu’il est la réinter-
prétation d’un sac conçu dans les années
1970 pour accompagner l’émancipation
des femmes, d’où son nom de baptême.
En plus d’une palette de couleurs auda-
cieuses, Jonathan Anderson a imaginé
deux versions du sac Amazona tissées
dans une toile jacquard. Une bonne fa-
çon de l’inscrire dans la postérité §
Jonathan Anderson vient de réinventer la bou-
tique Loewe du 46, avenue Montaigne, à Paris.
Le Point 2570 | 11 novembre 2021 | 113
STYLE
Archétype de la berline familiale premium, la nouvelle Mercedes Classe C
profite des principales innovations de la limousine Classe S. PAR YVES MAROSELLI
H
éritière de la 190, surnommée « Baby
Benz » dans les années 1980, la
­Mercedes Classe C a bien évolué
­depuis la première génération lancée en
1993. Plus petit modèle de la gamme
(4,42 m), elle en est depuis devenue un
pilier et, par la même ­occasion, l’une des
voitures préférées des cadres supérieurs
avec enfants. L’évolution continue avec
cette cinquième génération, qui, si elle
ressemble fort à la quatrième, n’en re-
prend pourtant aucun élément. Et pour
cause : plus longue que la précédente de
6,5 cm (à 4,75 m), la Classe C de 2021 a été
développée sur une nouvelle plateforme
et conçue de telle sorte qu’elle puisse être
« hybridée » sans compromis en matière
d’habitabilité ou de ­modularité.
Inspiré de celui de la Classe S, l’inté-
rieur propose une interface 100 % nu-
mérique constituée d’un écran central
vertical tactile de 11,9 pouces légère-
ment tourné vers le conducteur, tandis
que l’instrumentation utilise une dalle
de 12,3 pouces pouvant être complétée
par un affichage tête haute de grande
surface. La position de conduite est
114 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
Par le haut
e­ xcellente car réglable en tous sens,
jusqu’à l’approche de l’appuie-tête. Les
passagers arrière ne sont pas oubliés
avec un généreux espace pour les jambes.
Comme il se doit désormais, toutes
les Classe C sont partiellement é­ lectrifiées
pour réduire leurs émissions de CO2. Les
C200 essence de 204 ch et C220 d diesel
de 200 ch proposées à l’occasion du lan-
cement du modèle intègrent une hybri-
dation légère constituée d’une machine
électrique de 20 ch alimentée en 48 V
par une petite batterie lithium-ion. Ce
système autorise une fonction stop and
start silencieuse idéale en ville et p
­ ermet
L’intérieur offre
une interface
100 % numérique
et la position
de conduite
est réglable
en tous sens.
de récupérer une partie de l’énergie ci-
nétique de la voiture en décélération,
réutilisable dans une fonction boost qui
améliore les reprises tout en réduisant
la consommation. La version C300e
pousse le curseur de l’électrification
beaucoup plus loin avec une chaîne de
traction hybride rechargeable capable
d’une autonomie zéro émission de
100 km, là encore comme la Classe S.
Largement suffisant au quotidien, le
moteur électrique de 129 ch est suppléé
lorsque le besoin s’en fait sentir par un
4 cylindres turbo essence portant la puis-
sance de l’ensemble à 312 ch, ce qui ga-
rantit un niveau de performances élevé.
Mieux, l’autonomie électrique peut être
restaurée en une demi-heure seulement
sur une borne rapide. En action, cette
300e se montre très convaincante, aussi
silencieuse en mode EV que vigoureuse
en fonctionnement hybride, et son
confort de suspension est remarquable,
conforme à sa vocation de grande rou-
MERCEDES (X2)
tière. Le prix de la Mercedes Classe C
­démarre à 49 550 € (version C200) et
grimpe jusqu’à 59 800 € (C300e) §
 Cœur de vainqueurs
Une Breitling et des champions pour soutenir l’association Premiers de cordée. PAR HERVÉ GALLET
Breitling Premiers
de cordée, collection
Superocean. Acier,
diamètre 42 mm. Mou-
vement automatique
certifié chronomètre,
étanchéité 500 m.
P
our toutes les maisons horlogères,
l’enjeu est souvent le même : parve-
nir au fil du temps à se forger un
style, une signature visuelle, une image
de marque. Avec l’ambition de préemp-
ter un territoire d’expression, qu’il
s’agisse par exemple de l’innovation, de
la complexité, de l’élégance, du dyna-
misme ou de tout autre facteur de diffé-
renciation. Breitling a ainsi pris position
très tôt sur l’échiquier des montres spor-
tives, en inventant dès 1934 le premier
chronographe à deux poussoirs – qui
donna au passage à ce type de compli-
cation sa configuration actuelle. En 1952,
Breitling s’inscrivit à nouveau dans l’his-
toire horlogère lorsqu’elle créa la Navi-
timer, équipée d’une règle à calcul
circulaire permettant aux pilotes d’avion
d’effectuer les opérations nécessaires à
la navigation aérienne.
La marque aurait pu continuer à sur-
fer ad vitam aeternam sur cette double
expertise dans les domaines du sport et
de l’aéronautique. Mais depuis 2017, elle
a choisi d’infléchir le cap et d’afficher
un trait de caractère reposant sur un
concept distinctif : la cool attitude. Sans
renoncer aux atouts liés à ses origines,
DR
Breitling s’est ainsi rapprochée du monde
du surf, nouant notamment un parte-
nariat avec la star des vagues, Kelly Sla-
ter. Elle s’est impliquée par ailleurs dans
la préservation de la planète en favori-
sant l’utilisation de matériaux recyclés
dans la fabrication de ses modèles.
Aujourd’hui, c’est dans un autre re-
gistre que Breitling a décidé de s’expri-
mer, en soutenant Premiers de cordée.
Fondée en 1999, cette association fran-
çaise parvient chaque année à initier au
sport près de 8 000 enfants, malades ou
souffrant d’un handicap, grâce à 150 bé-
névoles, éducateurs sportifs, athlètes de
haut niveau et personnalités, parmi les-
quelles figurent le footballeur Kylian
Mbappé, la présidente de la Fédération
française des sports de glace, Nathalie
Péchalat, le rugbyman Maxime Médard,
Depuis 2017, Breitling
a choisi d’afficher un trait
de caractère reposant sur
un concept distinctif :
la cool attitude.
le handballeur Thierry Omeyer, le
porte-drapeau de l’équipe de France aux
Jeux paralympiques de Tokyo, Stéphane
Houdet, la directrice du Tour de France
féminin, Marion Rousse, l’entraîneur
Arsène Wenger, le danseur Christophe
Licata ou le journaliste Christian Jean-
pierre.
Alors que ses revenus sont à 90 %
d’origine privée, Premiers de cordée bé-
néficie désormais de l’appui de Breit-
ling France. « Le sport, ce n’est pas
simplement les champions et les grandes
compétitions, c’est aussi une idée du collec-
tif et de la générosité », estime Édouard
d’Arbaumont, directeur de Breitling
pour l’Europe du Sud. La maison horlo-
gère s’est engagée de différentes façons :
tout d’abord en lançant une montre en
édition limitée de 250 exemplaires, dont
une grande partie des bénéfices sera re-
versée à l’association. D’autre part, un
dîner de charité et une vente aux en-
chères caritative, organisés en octobre
sous le patronage de la marque, ont per-
mis de réunir 240 000 euros. Une somme
BREITLING (X2)
conséquente qui va permettre à Pre-
miers de cordée d’agir plus vite, plus
haut, plus fort §
Le Point 2570 | 11 novembre 2021 | 115
STYLESPIRITUEUX

SÉBASTIEN ORTOLA/REA POUR « LE POINT » – PHOTO911/REA POUR « LE POINT »

Les producteurs de spiritueux, calvados château du Breuil ou cognac Frapin, font découvrir leurs châteaux et leurs caves.

116 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570

 Spiritourisme
à travers la France
Débarrassés de l’image surannée du digestif de grand-papa, les alcools de terroir
ouvrent leurs domaines aux visiteurs. DOSSIER RÉALISÉ PAR OLIVIER BOMPAS
A
vec plus de 120 distilleries ou-
vertes au public et une vingtaine
de musées, les producteurs de
spiritueux ont emboîté le pas
aux vignerons, qui ont depuis
longtemps inventé l’œnotourisme avec
les routes des vins, l’accueil dans les do-
maines et les manifestations festives au
cœur des vignobles. Les responsables de
la Fédération française des spiritueux
sont formels autant qu’enthousiastes :
« Les visites de sites permettent de découvrir
un fabuleux patrimoine culturel, gastrono-
mique et paysager, ancré dans les territoires,
et qui attire désormais plus de deux millions
de visiteurs par an ! » Un nouveau mot est
apparu : le « spiritourisme ». Une façon
ludique et instructive de faire redécou-
vrir les spiritueux français, de métropole
et d’outre-mer, remis au goût du jour de-
puis quelques années grâce à la mixolo-
gie, l’art de confectionner des cocktails.
Parmi les plus impliqués dans cette pe-
tite révolution, les producteurs de co-
gnac. Grande eau-de-vie de dégustation,
le cognac est historiquement un produit
d’exportation, relativement peu
consommé en France, et essentiellement
comme digestif – terme que les moins
de 20 ans sont peu nombreux à connaître.
Claire ­Caillaud est la directrice de la com-
munication de l’appellation : « On a pris
conscience, il y a déjà quelques années, qu’il
fallait faire évoluer l’image. Il est vrai que
les barmen nous y ont beaucoup aidé. On a
commencé avec la création d’un cocktail, le
Summit, il y a plus de dix ans, ça a permis
de lancer une dynamique. Et le spiritourisme
est un très bon moyen pour faire passer ce
message de modernité. »
Le Bnic (Bureau national interprofes-
sionnel du cognac) vient tout juste de
lancer le programme Explore Cognac,
qui réunit, outre les marques de l’appel-
lation, toutes les entreprises en lien avec
le cognac, et qui propose des « expériences
touristiques » propres à valoriser la
­production locale et son patrimoine.
« Dès lors que le cognac est mis en valeur,
tout le monde peut nous rejoindre. Ça va du
chocolatier au bar à cocktails, explique
Claire Caillaud. Jusque-là, il existait des
offres, mais elles étaient dispersées. Doréna-
vant, on ­fédère. »
Alambic. En même temps que le spi-
ritourisme se développe, l’offre s’étoffe.
Le petit musée familial, avec le vieil
alambic du grand-père attenant à la bou-
tique, ne suffit plus pour attirer les vi-
siteurs. Selon Philippe Jouhaud,
coprésident de la commission commu-
nication du Bnic et directeur commer-
cial et marketing de Château de Cognac,
« il y a deux attentes : l’histoire de la marque
et le savoir-faire, d’abord, puis la décou-
verte du patrimoine, les activités de plein
air, ensuite. Avec le cognac, on a beaucoup
de chance, on allie la vigne et la distillation,
on est à la fois sur l’œno et le spiritourisme ».
Une alliance qui devrait séduire les
­esthètes éclairés  §
Le Point 2570 | 11 novembre 2021 | 117
STYLE

Dans un château de Charente, au paradis

Au cœur de la Grande Champagne, premier cru de l’appellation cognac, la m ­ aison Frapin
fait remonter le temps aux visiteurs et déguster les meilleures cuvées.

Au programme du circuit VIP : visite du vignoble, du château Fontpinot et des chais, avant les dégustations.

L
a maison Frapin présente l’origina-
lité d’être la seule à pouvoir revendi-
quer un nom de château, le château
de Fontpinot, sur le terroir de la Grande
Champagne, le cru le plus prestigieux
de l’appellation cognac, où elle possède
l’histoire de la maison et du vignoble
et les techniques de distillation, avant
de visiter les chais Eiffel et de déguster
quatre cognacs.
Le second, en 2 h 30, offre un pro-
gramme beaucoup plus copieux : par-
la plus prestigieuse de la maison, qui
justifie à elle seule la visite. Thomas So-
ret affirme ne pas vouloir à tout prix sa-
craliser le cognac : « Bien sûr, il y a les
cuvées prestigieuses, très haut de gamme,
mais l’image évolue, notamment au travers
SEBASTIEN ORTOLA/REA POUR « LE POINT » (X2)

240 hectares de vignoble. Un atout de
taille pour qui veut se lancer dans le spi-
ritourisme. « C’est assez récent, nous avons
commencé en 2018, explique Thomas So-
ret, responsable de la communication.
Pour ça, on a créé un musée, il fallait mo-
derniser, embellir, on voulait une touche de
modernité. Pour le moment, nous proposons
deux circuits de visite. » Le circuit décou-
verte, et le circuit VIP. Le premier per-
met, durant une heure, de découvrir
cours dans le vignoble, visite de la
distillerie et des chais, puis arrêt au châ-
teau de Fontpinot, suivis d’une pause
cocktail et, privilège suprême, accès au
paradis. En langage des gens du cognac,
le chai où sont conservés en dame-jeanne
(bonbonnes en verre) les plus vieux co-
gnacs, ceux qui rentrent dans les assem-
blages des plus grandes eaux-de-vie. La
dégustation de quatre cognacs se ter-
mine par la cuvée Rabelais, l’étiquette
des cocktails. Au moment de l’apéritif, on
propose un cognac ginger ale, c’est simple
mais ça étonne et ça plaît. Quand on reçoit
des professionnels, on propose aussi des
­accords, c’est souvent une découverte, le
VSOP, après trois jours au congélateur,
­devient très liquoreux, on le sert avec un
carpaccio de poisson, et Fontpinot sur une
viande rouge. » §
Cognac Frapin, Segonzac (16). 05.45.83.40.03.
www.cognac-frapin.com

118 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570

- Photo © P. Grenet

Lorem ipsum
STYLE
Sur les terres des côtes-de-provence, la Liquoristerie et son musée mettent l’absinthe à l’honneur.
Les cabinets de curiosités de Provence
La Liquoristerie de Provence met en scène des expériences sensorielles qui fleurent bon le Sud.
R
enaud et Adeline de Barry possèdent
le château de Saint-Martin, dans le
terroir des côtes-de-provence :
« L’œnotourisme, on est dedans depuis des
années : dans les caves souterraines du châ-
teau, on a créé les Vinoscénies, un parcours
audiovisuel qui permet de découvrir l’his-
toire de la région et du domaine. Alors, quand
les spiritueux sont revenus à la mode, on
s’est dit que le spiritourisme était une bonne
façon de se développer. » En 2017, ils se
portent acquéreurs de la Liquoristerie
de Provence. À l’origine de cette enseigne
fleurant bon le Sud : Pascal Rolland, qui
se fit connaître à la fin des années 1990
en remettant à l’honneur l’absinthe,
une liqueur qui se consomme à la façon
120 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
du pastis et tient son nom de la princi-
pale plante dont elle est issue. Cette bois-
son tonique, apéritive et rafraîchissante,
mais soupçonnée de provoquer démence
et criminalité, a été interdite à l’issue de
la guerre de 1914 et réhabilitée ensuite,
après l’identification de la molécule res-
ponsable de tous ces maux. Elle reste
l’un des produits phares de l’enseigne,
tout comme le P’tit Bleu, un incontour-
nable parmi les pastis de Marseille, mais
gin, vodka et whisky sont venus étoffer
la gamme. « La famille de mon mari était
propriétaire d’une grande distillerie à Bor-
deaux, raconte Adeline de Barry. Il ne
reste de cette époque qu’un petit carnet noir
de moleskine avec 200 recettes… On a fait
notre amer avec une de ces recettes et on a
repris l’étiquette d’origine. »
À grands projets, grands moyens. Une
société de scénographie a été mise à
contribution pour créer onze cabinets
QUENTIN FOUCQUE – LIQUORISTERIE DE PROVENCE
de curiosités, qui correspondent à toutes
les catégories de spiritueux. À chaque
étape des VinoSpirit Expériences, quatre
sens sur cinq sont sollicités, le goût étant
réservé pour l’étape ­finale, la ­dégustation
au caveau. L’originalité du projet réside
dans le fait que tout est centralisé à
Saint-Martin, qui réunit musée i­ nteractif
et production de vins et de spiritueux §
Liquoristerie de Provence, château
de Saint-Martin, Taradeau (83). 04.94.99.76.76.
www.liquoristerie-de-provence.com
STYLE

Visite des chais de whisky Rozelieures affiné en fût de moscatel, du domaine et des vergers de mirabelliers.

La Lorraine, gorgée d’orge et de mirabelles

Productrice à la fois de petites prunes et de céréales, la famille Grallet-Dupic élabore de la Mirabelle
de Lorraine et des whiskys « de terroir », à découvrir dans un parcours muséographique.

À
la Maison de la mirabelle, on sait
recevoir. Sabine Grallet-Dupic l’as-
sure : « Si j’ai eu envie de reprendre
l’exploitation familiale, c’était avant tout
pour développer l’accueil, on a beau être
dans un tout petit village de 190 habitants,
on peut proposer une attraction de qualité. »
Créée en 2002, la Maison de la mirabelle
a pour mission de promouvoir ce petit
fruit originaire d’Orient mais dont les
trois quarts de la production mondiale
catement fruitée ainsi que deux parfums :
« Un pour femme et un pour homme, pour-
suit Sabine Grallet-Dupic, les arbres en
fleur, ça dure une dizaine de jours, c’est un
enchantement, on en a parlé à un nez de la
région de Grasse, il nous a conseillés. »
Sélections parcellaires. Également
producteurs de céréales, Sabine et son
mari Christophe ont entrepris de pro-
duire du whisky à partir de leur orge. Ils
de sols présents sur les 300 hectares que
compte la propriété. Côté accueil, un
parcours muséographique conduit à la
salle de projection, où l’on apprend tout
sur la mirabelle, puis à la distillerie, où
l’on peut se plonger dans l’ambiance
d’un son et lumière mis au point par
quatre étudiants de la Sorbonne qui cher-
chaient un sujet de mémoire de fin
d’études. « Nous assurons l’accueil des vi-
siteurs, c’est important qu’ils rencontrent
MAISON DE LA MIRABELLE (X3)

sont concentrés aujourd’hui dans la ré-
gion. « Au départ, on a retapé une ancienne
grange, installé une salle de projection et re-
tracé l’histoire de la mirabelle et tout le tra-
vail qui nous occupe durant les quatre
saisons. » La maison produit de la Mi-
rabelle de Lorraine, une eau-de-vie déli-
se sont lancés dans l’aventure au début
des années 2000, et la première bouteille
a été commercialisée en 2017. « Un vrai
produit de terroir », assurent-ils, à tel point
que les deux nouveautés du moment
sont deux sélections parcellaires qui
mettent en valeur deux des quatre types
les producteurs. Lorsqu’on reçoit les élèves
de l’école hôtelière de Nancy, on se rend
compte qu’ils sont sensibles à notre discours,
au moment de la dégustation, pour eux, ce
qu’ils ont dans le verre a du sens. » §
Maison de la mirabelle, Rozelieures (54).
03.83.72.32.26. www.maisondelamirabelle.com 

122 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570

 LE CALME APRÈS LA TEMPÊTE
Tout comme les tempêtes qui façonnent les magnifiques flancs escarpés
de l’île de Skye, l’intensité iodée du whisky Talisker laisse ensuite place à l’accalmie.
Aujourd’hui, la bouteille Talisker se pare de nouvelles couleurs
rappelant les rivages de l’île qui l’a vu naître.

MHD - RCS NANTERRE 337 080 055 - 105 BOULEVARD DE LA MISSION MARCHAND - 92400 COURBEVOIE.

LES MOTS TALISKER, TALISKER SKYE ET LES LOGOS ASSOCIÉS SONT DES MARQUES PROTÉGÉES. © DIAGEO 2021

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.

STYLE
Séculaire distillerie martiniquaise
La maison Saint-James offre l’un des plus beaux circuits de visite, sur les traces
du patrimoine historique et de l’univers du rhum insulaire.
L
a Martinique est en tête du peloton
en matière de spiritourisme. Les dis-
tilleries de l’île, qui produisent le seul
rhum au monde bénéficiant d’une
­appellation d’origine contrôlée, l’AOC
Martinique, comptent à l’année plus de
visiteurs que les maisons de cognac.
Marc Sassier est, entre autres, pré-
sident de l’appellation et responsable
de la production de la distillerie Saint-
James : « Les gens qui viennent en Marti-
nique veulent absolument voir une
distillerie, il y en a partout, chacune a son
style, ses traditions, son savoir-faire. Saint-
James est une marque très ancienne, j’ai re-
marqué que les visiteurs se souviennent
toujours de la première distillerie qu’ils ont
visitée, alors il faut soigner l’accueil. » À
proximité de l’imposante distillerie, l’ha-
bitation Saint-James, le musée du Rhum,
le musée de l’Alambic, la cave à millé-
simes (avec une collection qui com-
124 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
mence en 1885), la boutique et le
restaurant permettent de découvrir l’his-
toire et l’univers du rhum. « On a égale-
ment rénové une ancienne sucrerie du
XVIIe siècle, l’habitation La Salle, qui est le
témoignage du passé. On a tout remonté et
restauré à l’identique, on y découvre les dé-
buts de l’élaboration du rhum. » On y éla-
La ­sucrerie
du XVIIe siècle
et les lieux
de ­distillation
(ci-dessous)
ont été rénovés
à l’identique..
borait autrefois du jus de canne à sucre
utilisé pour la distillation du tafia, l’an-
cêtre du rhum. Ouverte dorénavant au
public, au cœur des plantations de
cannes, elle est structurée en différents
espaces qui évoquent le cheminement
et la transformation de la canne à sucre,
des moulins en bois pour le broyage à
la guildiverie, lieu de la distillation. En
fin de parcours, il est possible de se rendre
à l’espace de vente et de déguster les dif-
férents rhums. On y accède en emprun-
tant le train des plantations, tracté par
une locomotive à vapeur de 1925, qui
permet de parcourir le domaine. « Le
rhum est aujourd’hui à son apogée, même
si l’histoire liée à l’esclavage est un peu triste.
Il faut le valoriser, mettre en avant son iden-
JORDAN BEAL (X2)
tité liée au terroir. C’est le plus bel atout de
la Martinique. » §
Saint-James, Sainte-Marie, Martinique.
05.96.69.50.37. www.rhum-saintjames.com 
 Le vieillissement
de nos fûts s’accomplit
dans les hauts plateaux
du Guatemala à 2300 mètres
au-dessus du niveau de la mer.
À cette altitude, les conditions
sont idéales pour donner
le temps au rhum de vieillir
délicatement et développer
des arômes exceptionnels,
riches et profonds.
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STYLE

Le château du Breuil abritera bientôt des suites de luxe pour transformer la visite des chais et des vergers en une expérience unique.

Pèlerinage normand
Un projet un peu fou, la Spiriterie française, a fait du château du Breuil, grand classique du calvados,
l’un des creusets de la production de spiritueux premium et un incontournable du spiritourisme.

R
éférence incontournable dans l’uni-
vers du calvados, le château du
Breuil est, depuis 2020, le fleuron
de la Spiriterie française, société créée
les rhums bruts partout dans le monde et qui permettront de repartir avec une cuvée
on fait l’affinage. » Tout au long de ­l’année, personnalisée, ainsi qu’une rhumerie, dans
le domaine accueille les amateurs et laquelle les visiteurs pourront aussi créer
propose de nombreuses visites au cours leurs propres assemblages, ou encore un CHATEAU DU BREUIL (X2) – PHOTO911/REA POUR « LE POINT »

par Frédéric Dussart. L’idée : s’appuyer
sur l’image porteuse de l’une des
marques de spiritueux français les plus
connues pour développer une gamme
premium, du calvados du pays d’Auge
au whisky, en passant par le rhum et le
gin. « Nous voulons être les champions dans
les quatre catégories, explique Frédéric
Dussart. Aujourd’hui, on travaille avec
deux alambics, qui nous permettent de dis-
tiller calvados et whisky ; le gin est élaboré
à Caen par la microdistillerie C’est nous,
qui ne propose que des eaux-de-vie haute
couture. Pour le rhum Explorer, on achète
desquelles il est possible de découvrir
distillerie et chais, mais aussi le ­château,
classé monument historique, le parc de
28 hectares, un verger de 22 000 pom-
miers et le lac, qui offre une ambiance
paisible, propre à la dégustation.
Cuvée personnalisée. Mais l’essen-
tiel du programme reste à venir : « Les
événements de ces derniers mois n’ont rien
facilité, mais dès 2022 les projets vont se
concrétiser. Il y aura bien sûr les séances de
dégustation, qui sont déjà en place, mais
aussi des ateliers de création de calvados,
jardin botanique, pour mieux appréhender
l’univers du gin… »
Avec l’ouverture prochaine de cinq
suites de luxe, chambres d’hôte pre-
mium installées au sein du château, la
volonté est de positionner le lieu comme
une destination incontournable du spi-
ritourisme à la française : « Notre but est
de convaincre les amateurs de venir nous
voir, comme certains vont en Écosse, en vé-
ritable pèlerinage, goûter les whiskys. » §
La Spiriterie française, château du Breuil,
Le Breuil-en-Auge (14). 02.31.65.60.00.
www.spiriterie.com

126 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570

STYLE
Les Bretons à l’avant-garde
Maison familiale depuis 1900, la distillerie Warenghem a su imposer son style sur le marché du whisky français.
Elle vient d’ouvrir une structure d’accueil flambant neuve pour prolonger l’expérience gustative.
S
ous la direction de David Roussier,
aux commandes depuis 2016, cette
distillerie est à l’avant-garde des
whiskys bretons et français. Longtemps
comparés aux écossais, ils ont dû trou-
ver leur style, c’est chose faite. La gamme
Armorik, qui regroupe les single malt,
s’est imposée en quelques années au-
près des amateurs les plus exigeants.
« J’ai le sentiment que l’on a pris nos marques,
reconnaît David Roussier, un gros travail
a été fait entre autres sur les single malt, les
ventes ont explosé ces dernières années. De-
puis 6-7 ans, on a redéfini le profil d’Armo-
rik, on a vraiment opéré un virage, nos
eaux-de-vie de base ont une vraie personna-
lité. Ce qui est intéressant, c’est de tester dif-
128 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
férents types de fûts, avec le vieillissement,
le style s’affirme. » En même temps que
Warenghem s’installe sur le marché des
whiskys d’amateurs, l’endroit se moder-
nise. Une structure d’accueil flambant
neuve est sortie de terre en 2019, com-
prenant salles de projection, d’exposi-
tion, de dégustation, boutique, ainsi
qu’une vaste terrasse paysagée.
Nuances. Des installations qui per-
mettent de proposer à l’année un solide
programme de visites. Un circuit « Clas-
sic » d’une heure, avec, à la clé, la dégus-
tation de deux whiskys en comparaison ;
la visite « Brut de fût », qui donne accès
à la dégustation de 4 références ; et nec
Au cours du circuit
« Maître de chai »,
Erwan ­Lefebvre
­raconte et fait goûter
les whiskys
qu’il ­élabore.
plus ultra, une fois par mois, la formule
« Maître de chai ». Comme l’intitulé
l’indique, c’est Erwan Lefebvre en per-
sonne qui est chargé durant deux heures
WARENGHEM – MICHEL GAILLARD/REA POUR « LE POINT »
de parler des whiskys qu’il élabore, avec
dégustation des produits en bouteille
et en fût. En préparation : des visites
nocturnes, des ateliers accords whiskys
et mets, et des ateliers d’assemblage.
« Le but, c’est que les visiteurs prennent
conscience des nuances des whiskys, de l’in-
fluence des élevages, pour ça on a voulu une
salle de dégustation chaleureuse et confor-
table, on a de très bons retours, les clients
se sentent en confiance. » §
Distillerie Warenghem, Boutill, Lannion (22).
02.96.37.00.08. www.distillerie-warenghem.bzh 
 QUAND

le miel de
bruyere
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les epices
fruitees
ET

la fumee de
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Les prix mentionnés nous
ont été communiqués à titre
indicatif par les marques.
SÉLECTION
WHISKY
17,5/18 - Armorik (France)
Whisky single malt
Double maturation bio. Vieilli en
fûts de chêne des forêts de Bretagne,
puis en fûts de sherry oloroso, nez
riche, expressif, ­marmelade, caramel,
bouche élégante, boisé fin, touche de
céréales. 55 €.
17 - Rozelieures (France)
Whisky single malt
Parcelle Clos des Champs. L’un
des deux premiers whiskys parcel-
laires de la marque, ici sol limoneux,
délicat, fin, note de céréales, floral,
fruits jaunes, savoureux, boisé, per-
sistant, touche épicée en finale. 74 €.
16,5/17 - Roborel de Climens
(France)
Whisky single malt
Finition Merlot. Chaque cuvée de
la marque fait l’objet d’un affinage
en fûts de vin, ici du château Guadet
à Saint-Émilion. Nez de pruneau,
gelée de cerise, bouche puissante,
fraîche, persistante. 56 €.
17 - Ergaster (France)
Whisky single malt
Tourbé N°002. Vieilli en fûts
de banyuls, cognac et pineau-­des-
charentes, nez de céréale fraîche,
fruits secs, note tourbée, boisé
fondu en bouche, cacao, tabac,
viennoiseries, agréable fraîcheur
­végétale. 69 € (50 cl).
16/16,5 - Whisky Bellevoye
(France)
Whisky triple malt
Finition Calvados. Nez séduisant,
fruits jaunes, épices douces, note
exotique, bouche très onctueuse,
tonique, complète, boîte à cigare,
­finale très longue. 79 €.
17 - Distillerie des Menhirs
(France)
Whisky pur blé noir
Eddu Gold. Un whisky de 10 ans
d’âge, expressif, boisé fin, pot-
pourri, épices douces à l’aération,
bouche souple, savoureuse,
longue et bien relevé, finale pain
d’épices. 89 €.
17/17,5 - Domaine des Hautes
Glaces (France)
Single Rye Organic Whisky
À base de seigle bio, nez typé, fruits
confits, notes d’agrumes, bouche
onctueuse, bien épicée, originale,
cacao, terre humide, très
­harmonieux et persistant. 92 €.
15,5/16 - Whisky d’Arche (Écosse)
Blended Malt Whisky
Distillé en Écosse et affiné à
­Sauternes, nez délicat et frais
d’agrumes confits, de céréale
fraîche, de cire d’abeille, bouche
ronde, harmonieuse, finale relevée
sur les épices douces. 59 €.
17,5/18 - Bowmore (Écosse)
Single malt scotch whisky
12 ans. Emblématique de la
marque, nez délicat, floral, note
tourbée bien intégrée, agrume,
bouche souple, harmonieuse, cacao,
raffinée, touche saline en finale. 42 €.
16 - Glenfiddich (Écosse)
Single malt scotch whisky
12 ans Triple Oak. Assemblage de
trois types de fûts, bourbon, sherry
et chêne français, nez frais, fruits
blancs, agrumes, bouche onctueuse,
boisé fin, amande, très épicé, finale
relevée. 39 €.
15 - Glen Turner (Écosse)
Single malt scotch whisky
Double Cask. Vieilli en fûts de bour-
bon, nez d’épices, touche exotique,
bouche complexe, suave, pruneau,
raisin sec, banane séchée, finale
­relevée, un peu poivrée. 20 €.
18 - BenRiach (Écosse)
Speyside single malt scotch whisky
The Smoky Twelve. Assemblage
de trois types de fûts, bourbon,
­xérès et marsala, puissant, fumé,
écorce d’orange, bouche ample,
pleine, cacao, finale persistante,
whisky de caractère. 60 €.
18 - Glen Moray (Écosse)
Single malt scotch whisky
18 ans. Symbole du savoir-faire
de la marque, vieilli en fûts de
­bourbon, nez toasté, fruits confits,
épicé à l’aération, bouche riche,
ample, complète, toffee, boisé
­élégant, très long. 80 €.
16,5/17 - Highland Park (Écosse)
Single malt scotch whisky
Loyalty of The Wolf. Quatorze ans
en fûts américains de xérès,
nez doux, délicat, riche, expressif,
beaucoup d’épices, fruits jaunes
à l’aération, touche fumée,
iodée, très persistant, du caractère.
80 €.
17 - Aberlour (Écosse)
Speyside single malt scotch
whisky
12 ans. Double Cask Matured.
Vieilli en fûts de bourbon puis de
xérès, nez gourmand, doux, pomme
cuite, bouche dense, puissante,
typée, fumée, caramel au lait, cacao
et épices en finale. 47 €.
17,5/18 - Kilchoman (Écosse)
Single malt scotch whisky
Machir Bay. Vieilli en fûts de
­bourbon puis de sherry oloroso, nez
puissant, complexe, fruits blancs,
tourbé, bouche fraîche, typé, fumée,
note exotique, finale bien iodée,
un peu saline. 55 €.
18 - Talisker (Écosse)
Single malt scotch whisky
10 ans. Nez typé, puissant, tourbé,
iodé, de la fraîcheur, beaucoup
d’épices, poivre, joli fruit en bouche,
céréales, de la rondeur, très long,
­relevé, finale une peu saline.
47 €.
16/16,5 - Glenglassaugh
(Écosse)
Single malt scotch whisky
PX Sherry Wood Finish. Vieilli
en fûts de bourbon puis de xérès,
nez délicat et frais, fruits blancs,
bouche tendre, savoureuse, vanille,
boîte à cigare, épices douces,
note de poivre. 76 €.
SP (X6) – FRED MARVAUX/REA POUR « LE POINT »

Whisky Aberlour Whisky Bowmore Whisky Glen Turner Whisky Highland Park Whisky Johnnie Walker Whisky Talisker
130 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
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STYLE
17 - Torabhaig (Écosse)
Single malt scotch whisky
Allt Gleann - The Legacy Series.
Nez typé, tourbé, touche florale,
racé, du caractère, bouche
ample, profonde, note de miel,
de fumée, très long, un peu salin
et finale sur les épices douces.
60 €.
16/16,5 - Johnnie Walker
(Écosse)
Blended whisky
Gold Label Reserve. Un assem-
blage issu des whiskys préférés
du maître assembleur de la marque,
nez un peu fumé, fruits blancs,
bouche suave, cire d’abeille, boisé
délicat, complexe, finale épicée.
46 €.
16,5 - Woodford Reserve
(États-Unis)
Kentucky Straight Rye Whiskey
Nez expressif, note de céréales, très
épicé, bouche suave, harmonieuse,
fruits blancs, finale délicate et bien
parfumée. 53 €.
16,5/17 - Hatozaki (Japon)
Single malt whisky
Pure Malt. Vieilli en fûts
de bourbon, de xérès et de
­mizunara (chêne blanc japonais),
nez raffiné, pur, céréale, note
de malt délicate, fumée, bouche
­savoureuse, veloutée, finale pain
d’épices. 49 €.
16/16,5 - Togouchi (Japon)
Single malt whisky
Vieilli en fûts de bourbon puis
de xérès, nez fin, fruits jaunes,
­mandarine confite, bouche
onctueuse, du moelleux, boisé
fin, épices douces en finale,
­gourmand. 70 €.
Rhum La Perle Rhum Eminente
132 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
RHUM
16 - Liquoristerie de Provence
Tartuga. Le premier rhum de la mai-
son, assemblage de rhums des Ca-
raïbes et Panama, nez délicat, frais,
prune confite, rond, velouté, choco-
lat, finale sur les épices douces. 39 €.
17 - Trois Rivières (Martinique)
Triple millésimes 2001, 2005,
2011. Nez complexe, racé, fruits
confits, épices douces, pot-pourri,
bouche bien bâtie, relevée, boîte à ci-
gare, tonique, en longueur, finale sa-
pide sur un boisé harmonieux. 61 €.
18 - Maison La Mauny (Martinique)
Millésime 2005. Une édition
limitée pour un grand rhum de dé-
gustation aux notes de fruits confits,
de cannelle, de girofle, gras et
­harmonieux, très long, finale sur
un boisé fondu et élégant. 139 €.
18 - Saint-James (Martinique)
Très vieux rhum agricole XO. Un
rhum de dégustation vieilli en fûts de
bourbon, nez riche, typé, tabac,
touche fumée, café, bouche ample
et persistante, gourmands arômes
de fruits secs et d’épices. 55 €.
Rhum Isautier
17 - Distillerie A1710 (Martinique)
La Perle. Un rhum blanc pur jus
de canne au nez expressif, note
de truffe blanche, litchi, bouche
­originale, suave, sucre de canne,
­finale fraîche, un peu saline. 42 €.
16 - Isautier (Réunion)
Barrik. Rhum brun vieilli en majo-
rité en fûts neufs, boisé fin au nez,
cire, amande, miel, bouche fraîche,
fruits secs, finale persistante sur
les épices douces. 30 €.
15 - Rhum Charette (Réunion)
Rhum blanc. Utilisé pour réaliser
des rhums arrangés ou consommé
en cocktail, ce grand classique offre
un nez floral et vanillé, bouche
fraîche, moelleuse, note végétale
agréable, finale salivante. 16 €.
16 - Eminente (Cuba)
Reserva 7 ans. Nez fin, chocolat,
fruits secs, moka, bouche bien bâtie,
un peu toastée, sucre roux, fruits
jaunes confits, de la rondeur, finale
persistante et gourmande sur une
note de vanille. 47 €.
16,5/17 - Zacapa (Guatemala)
Solera 23. Élevage en solera de fûts
de whiskys américains, de xérès et
pedro ximenez, rhum puissant et
structuré, nez de cire, fruits confits,
de caramel, bouche grasse au boisé
fondu, fruits secs et épices. 58 €.
COGNAC
18 - Cognac Frapin
Millésime 1989. Nez délicat, racé,
profond, besoin d’aération, marme-
lade, pain d’épices, bois précieux,
bouche souple, très harmonieuse,
notes toastées, tabac, finale sur une
touche de rancio très raffinée. 175 €.
Rhum Zacapa Cognac Decroix
17 - Merlet
Brothers Blend Cognac. Un cognac
au nez typé, riche, marmelade,
épices douces, bouche vive, com-
plète, bien fruitée, boisé fondu, per-
sistant, évolue vers une note de
tabac et d’encens, finale relevée.
42 €.
16 - Hennessy
Very Special. Pour cette nouvelle
édition, Hennessy a confié
­l’habillage du V.S. au duo d’artistes
français Les Twins. Un cognac
frais et aromatique, note
de pâtisserie au nez, fruité délicat
en bouche, ­floral, rond et vanillé.
40 €.
16/16,5 - Camus
Île de Ré Fine Island. Nez frais de
fruits blancs, poire, pêche, bouche
ronde, fraîche, amande amère,
note épicée, long, finale marquée
par une note iodée et un peu saline.
39 €.
16/16,5 - Vivant
Decroix XO. Un cognac bio au nez
complexe de noisette, toffee,
­cannelle, fleurs blanches, bouche
pleine et bien équilibrée, veloutée,
beaucoup de finesse, note
de fruits secs, long et salivant.
69 €.
SP (X7) – JORDAN BEAL
Cognac Hennessy
STYLE
17 - Domaines Francis Abécassis
ABK6 Artist Reserve N°2. Nez
­expressif, séduisant, arômes de
fruits blancs, notes d’épices, boisé
élégant, bouche ronde, onctueuse,
persistante, finale relevée, un peu
vanillée. 65 €.
ARMAGNAC
16 - Domaine Tariquet
Blanche d’Armagnac
Pure Folle blanche. Nez frais,
floral, fruits blancs, amande amère,
bouche vive, souple, gourmande,
­finale relevée, un peu épicée,
­rappelant le poivre blanc. 25 €.
15,5/16 - Château Arton
Blanche d’Armagnac
Fine Blanche 2017. Nez expressif,
délicat, caractère fruité, raisin
frais, bouche relevée, riche, sapide,
finale vive et épicée. 37 €.
16 - Rabastas
Armagnac
6 ans. Nez gourmand, épices
douces, fruits confits, vanille,
bouche onctueuse, moelleuse,
note de caramel au lait, beaucoup
d’harmonie, long et séduisant.
41 €.
17 - Château de Laubade
Bas Armagnac
L’Occitan. Affiné en fûts de
­rivesaltes ambré, prune confite, bois
précieux, onctueux, élégant,
­confiserie, long, charmeur. 53 €.
CALVADOS
17 - La Spiriterie française
Calvados pays d’Auge
Château du Breuil, 12 ans d’âge.
Nez très pur, fruits secs, écorce
Calvados Rollon Gin The Botanist
134 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
d’orange, notes épicées, bouche
­savoureuse, boisé élégant, bien
­expressif, persistant. 57 €.
16 - Calvados Garnier
12 ans. Nez expressif, un peu toasté,
relevé d’épices, pomme au four,
bouche savoureuse, riche,
très longue sur les fruits secs et
une note boisée élégante. 50 €.
16 - Père Magloire
Cuvée 200 ans XO. Nez fruité,
gourmand, vanillé, bouche expres-
sive, complexe, pomme au four,
fruits secs grillés, pot-pourri, ronde,
du volume, toute en longueur. 71 €.
16,5/17 - Rollon
Hors d’Âge. Nez typé, riche, tarte
tatin, charmeur, bouche
­harmonieuse, note d’épices, fruits
secs, ample, en longueur, finale
nette et sapide. 55 €.
GIN
16 - Ôdevie (France)
Generous Gin. Gin bio au nez subtil
et frais, sur des notes d’agrumes,
une touche discrète de genièvre,
bien expressif en bouche, saveur
amère agréable. 45 €.
Gin Le Tribute
16 - Anaë (France)
Nez fringant de fruits blancs,
d’agrumes, de fenouil, bouche bien
aromatique, florale, toute en
­longueur, note végétale fraîche,
amande amère, finale un peu
­mentholée. 45 €.
16,5/17 - Fords Gin (Angleterre)
London Dry Gin. Premier nez typé
de genièvre, floral et agrumes à
­l’aération, fraîcheur, bouche suave,
équilibrée, ronde, finale sur agréable
amertume. 32,90 €.
17 - The Botanist (Écosse)
Distillé dans la distillerie de
­Bruichladdich sur l’île d’Islay, un gin
de caractère, riche et expressif, aux
notes florales et végétales fraîches,
bouche capiteuse et persistante.
45 €.
16/16,5 - Le Tribute Gin (Espagne)
Fresh. Nez très net de genièvre,
agrumes, épices douces, bouche
­rafraîchissante soutenue, une note
citronnée, touche amère salivante
en finale. 42 €.
VODKA
16,5/17 - Guillotine (France)
Heritage. Issue du vignoble
­champenois, cette vodka vieillie
en fûts de chêne offre une robe am-
brée, un nez relevé, touche boisée,
épicée, originale, bouche souple,
onctueuse, note pâtissière. 65 €.
17 - Le Philtre (France)
Organic Vodka. Édition limitée
Lapis-Lazuli, produite dans la région
de Cognac, au nez discret et frais,
bouche veloutée, lait d’amande,
fruits secs toastés, finale douce,
­vanillée. 49 €.
Vodka Grey Goose Vodka Le Philtre
16 - Grey Goose (France)
La Poire. Produite dans la région
de Cognac, c’est la version­
aromatisée avec de la poire
­produite en ­Anjou de cette marque
renommée, ­parfum très pur
du fruit, notes ­florales, longue
et veloutée. 47 €.
17 - Cobalte (France)
Originaire de Champagne,
une vodka au nez d’agrumes,
touche florale, bouche tendre,
­délicate, harmonieuse, amande
amère, épices douces.
48 €.
AUTRES EAUX-DE-VIE
17 - Philippe Pacalet (France)
Marc de Bourgogne
À base de marc de pinot noir,
une eau-de-vie riche au nez de
fruits confits, de raisins secs, touche
florale, bouche ample et
­harmonieuse, finale relevée.
69,50 €.
18 - Goyard Distillerie
(France)
Marc de Champagne
Boréas. Nez complexe, racé,
prune confite, écorce d’orange,
pain d’épices, bouche ample,
­harmonieuse, fruits secs grillés,
note de cacao, très persistant,
finale relevée. 49,95 €.
15,5/16 - Les Bienheureux
(France)
Thoreau. Une boisson spiritueuse
originale confectionnée à base
de rhum et de cognac, parfums
de pâtisserie, d’épices,
de pot-pourri, bouche ronde,
­séduisante, fruits secs, orangette.
49 €.
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Les Bienheureux
 Riesling d’Alsace.
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unique. *

Tant de personnalité (s)

* La diversité des sols du vignoble alsacien, unique au monde, rend le Riesling d’Alsace absolument unique

L’A B U S D’A LCO O L E S T DA N G E R E U X P O U R L A S A N T É, À CO N S O M M E R AV E C M O D É R AT I O N

 Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy
Journal d’Amérique, suite
R
etour à New York après ces presque deux années de
pandémie. Ville blessée. Ville mortifiée. Ville en
train de ressusciter, mais encore loin de sa liberté
unique et prodigieuse. Des masques partout. Des regards,
chez les passants, d’anxiété et de méfiance. Dans mon hô-
tel préféré, les liftiers désuets, qui contribuaient au charme
du lieu, sont cloués au sol et n’ont plus pour fonction que
d’aider les maladroits à glisser leur clé magnétique sur le
bouton de l’étage souhaité. Et au Temple Emanu-El, la pre-
mière synagogue libérale de New York, dans cette salle
immense où ils furent 2 000, avant le Covid, à venir rendre
hommage à Claude Lanzmann, une audience plus clair-
semée pour écouter l’auteur de The Will to See débattre
avec la grande reportrice de guerre, rencontrée à l’époque
de la Bosnie, Janine di Giovanni – et, avant cela, Henry
Kissinger présenter, avec le patron historique de Google,
Eric Schmidt, leur livre à quatre mains sur « l’âge de l’in-
telligence artificielle ». Les chiffres ne veulent rien dire,
nous rassure le rabbin Joshua Davidson : les gens ont peur ;
ils se confinent ; mais ils sont cinq fois plus nombreux à
n’être pas, comme dit le Livre, « ici, aujourd’hui, avec nous »
mais à nous écouter, en live stream, dans tous les États-Unis
et au-delà. Un judaïsme Zoom ? Sans présence réelle ? Et,
les soirs d’étude, plus de milhama chel Torah, de guerre de
la Torah, autour d’un savoir partagé ? Ceci ne me console
pas de cela. Mais tous les amis seront là, en revanche, pour
découvrir le film à l’invitation de Jérémie Robert, consul
général de France, et de Richard Plepler, le dernier produc-
teur américain à sortir d’un roman de Scott Fitzgerald –
n’est-ce pas sur la Riviera française qu’il a, par une tendre
nuit, et tel un dernier tycoon, proposé à Lisa, sa femme, de
l’épouser ? Et il y aura foule des grands jours pour assister
à notre discussion, à la librairie Albertine, sous l’égide
d’Octavian Report, avec Jonathan Tepperman, l’ancien ré-
dacteur en chef de Foreign Policy et auteur d’un livre, hé-
las non traduit, sur le bon usage des grandes crises.
Le « docteur Kissinger » a 98 ans. Il est devenu tout ­petit.
Tout fragile. Et ne détache plus les yeux, quand il se ­déplace,
des roues d’un de ces déambulateurs qui ont envahi les
rues de New York et sans lequel il ne sort plus. Mais il se
souvient d’un dîner à Gdansk, il y a quinze ans, avec un
Lech Walesa ivre mort ; à Paris, il y a trente ans, chez un
Jean-Luc Lagardère qui, encore immortel, s’amusait à nous
opposer en tout ; il se souvient même, en 1978, au moment
de la sortie américaine de La Barbarie à visage humain, de
notre première rencontre, à l’hôtel The Hay-Adams, à
­Washington, avec Marty Peretz, alors propriétaire du très
mythologique New Republic, où je l’avais saoulé de mes
théories de jeune normalien cuistre sur le philosophe-roi
selon Platon. Et, devant cette mémoire totale, ce désir de
136 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
savoir inentamé, cette joie d’être encore consulté comme
l’oracle qu’il n’a jamais vraiment été, on lui pardonne tout :
la Chine, le Bangladesh, la realpolitik considérée comme
un des beaux-arts, le Chili, les généralités qu’il profère, tel
un Norpois proustien, sur l’Occident en déclin, l’Orient
compliqué ou la faillite mondiale du leadership – ainsi
que ce jour, à Baltimore, où nous étions venus, avec Chris-
topher Hitchens, perturber sa conférence et où il n’avait
pas hésité à nous faire évacuer par la force. Soudain, je
pense à Hitchens. J’ai la nostalgie de ses provocations ma-
gnifiques, de ses beuveries folles et de l’indomptable éner-
gie avec laquelle il tenait, lui, l’homme de gauche, la ligne
du droit d’ingérence, de l’interventionnisme humanitaire
et politique, et de cet universalisme lumineux qui était
déjà la réponse à la frilosité du wokisme naissant. Bien
sûr qu’il était anglais : mais ne fut-il pas, comme Edgar Poe
selon Baudelaire, l’un des Américains les plus poétiques
qu’il ait été donné de rencontrer ?
Le rabbin Arthur Schneier, lui aussi, est très vieux. Il
préside aux destinées de la Park East Synagogue qui est,
soit dit en passant, la congrégation de Kissinger, et il n’a,
comme en témoigne son récent conflit avec son jeune ad-
joint, le rabbin Benjamin Goldschmidt (qui s’est soldé par
le vidage pur et simple de celui-ci), aucune intention de
dételer. La presse est pleine de cette histoire. Je n’arrive
pas bien à savoir si elle jouit du spectacle du vieux Lion
fatigué, mais indétrôné et toujours rugissant. Ou si elle
est fatiguée, au contraire, de l’activisme d’un pasteur hors
normes que l’on voit, depuis cinquante ans, discuter un
jour du Pakistan avec Nixon ; un autre de la crise des otages
avec Carter ; un autre encore des migrants avec Mme Mer-
kel, du Tibet avec Xi Jinping ou recevoir, en sa demeure,
le pape Benoît XVI… Y a-t-il un autre pays au monde où
une guerre de succession entre rabbins ferait ainsi la une
des journaux ? Pour l’heure, c’est, ici, le premier vrai dîner
de shabbat depuis la pandémie. Les gens, peut-être parce
qu’ils sont plus religieux, sont venus, cette fois, nombreux
et la salle à manger est pleine à craquer. Les chants sont
joyeux. L’appel, par le doyen de l’assemblée, des noms des
nouveaux entrants dans le sein de la communauté est poi-
gnant. La voix du rabbin Schneier, quand il prend, sans
micro, la parole pour dire que ce 5 novembre se trouve
être le jour de mon anniversaire ainsi que, cinquante ans
plus tard, par un impénétrable tour du destin, la nuit de
la mort de mon père, est redevenue forte, impérieuse et
pleine d’une vigueur que l’on pensait enfuie. Et je ne suis
finalement pas fâché que le hasard – mais y a-t-il, en ces
matières, des hasards ? – m’ait fait conclure ici, en cette
compagnie, un tour américain dont le point d’orgue sera
ce moment très étrange de recueillement et de c­ ommunion.
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 JEUX

MOTS CROISÉS PAR ALBERT D’AUNAC

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
HORIZONTALEMENT I.  Pathos. II.  N’éclateras pas.
I G A L I M A T I A S Solution de la grille
III. Donne du cran. IV. À point. En 2e classe, on doit le faire du numéro 2569
II R I O T E R A S T souvent. V. On le cherche parfois trop tard. En 76. VI. Épuisés. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
III A G U E R R I S S E VII. Cela est à Rome. Paysan blanc. Quartier d’Arles. VIII. On I I N T E N T I O N S
monte avec lui. Donc refusé. IX. Dont on ne peut se passer. II N O U V E A U A E
IV M U R S A L U E R III F R E I N S O N
V M I D I C L E O N VERTICALEMENT 1.  A des règles douloureuses. IV E M E T I Q U E T

VI A S S E C H E S A 2. N’ont pas perdu le fil. 3. Peu spirituels. Figure. 4. Tirée V R A S E E T I T I

VI N U M S T N O M
VII I E B O E R R L avec un extra. Sigle bouddhique. 5. Il y en a de toutes les
VII A X E E U S M E
couleurs. Pièce écossaise. 6.  Extorquent. 7.  Rafraîchirai.
VIII R E A I N A P T E VIII L G N A N G N A N
8.  Conclusions. Ça fait beaucoup avec un trou. 9.  Trois IX E M O T T E R O N T
IX E S S E N T I E L S cardinaux. Périphérique. 10. Près des côtes.

BRIDGE P AR MICHEL LEBEL

LE PROBLÈME DE LA SEMAINE LE TEST D’ENCHÈRES

Voici les jeux de Nord-Sud : II. Jeu de la carte Le test d’enchères du Point Réponses
Vous jouez 4 • en Sud. est fondé sur La Nouvelle Majeure 5 e, A 3 SA = 20 ; 4 ¿ = 10 ; 4 \ = 5.
¿ A D V 10 Ouest entame du Valet de \. de Michel Lebel. L’ouvreur ne possède pas
• 9753
\ AR Réponse Le début des enchères a été : quatre cartes à ¿, concluez à 3 SA.
±852 B 4 ¿ = 20 ; 4 \ = 10 ; 3 SA = 5.
Avec un total de six levées maîtresses
Sud Ouest Nord Est
N – quatre à ¿ et deux à \ –, vous n’avez En face d’une ouverture de 2 SA,
besoin que de quatre levées à l’atout. 2 SA passe 3± passe il n’y a pas d’espoir de chelem. Le fit 4-4
OE Dans ce genre de situation, avec 3¿ passe ? est trouvé, demandez la manche à 4 ¿.
S le Roi de ± troisième en face de trois C 4 • = 20 ; 4 \ et 5 ¿ = 15.
petits, vous devez penser à protéger Je vous conseille d’adopter
¿ R74
Vous êtes en Nord.
votre Roi. Voici le bon plan de jeu : prenez « l’autre majeure », une convention
• AR862 Quelle doit être votre deuxième
le Valet de \ du Roi et avancez le 3 de • pour joueurs expérimentés
\ 85 réponse avec chacun des cinq jeux
dans le but de couvrir le • d’Est. (lire La Nouvelle Majeure 5 e, p. 190)
±R73 suivants ?
Sur la donne, Est fournit le 4 et vous, le 6. utilisée après une ouverture à sans-atout.
Il s’agit d’une double sécurité ! D’abord ¿ • \ ± Annoncez 4 • – l’autre majeure –
I. Enchères contre le partage 4-0 de la couleur, A 762 R863 DV873 6 pour indiquer un espoir de chelem à ¿.
Sud donneur. et également contre trois cartes à • en Est B 10 9 7 3 10 8 2 AD985 7 D 4 ± = 20 ; 4 SA = 10 ; 3 SA = 5.
Faites les enchères de Nord-Sud, et l’As de ± mal placé. Grâce à cette Annoncez 4 ± – nouvelle couleur
manœuvre, Ouest est en main à la Dame C D 10 9 7 3 R863 AV 86
qui se déroulent dans le silence D au palier de 4 – pour indiquer un espoir
adverse. – le Roi de ± est protégé. Ouest rejoue \ 9 R 10 6 5 A 9 8 A 10 9 7 3
de chelem et une longueur dans la couleur.
pour l’As, enlevez les atouts adverses E D 10 9 7 R865 ADV8 6
et encaissez vos ¿ maîtres. Vous pouvez E 4 • = 20 ; 4 \ = 10 ; 4 SA = 5.
Réponse
ensuite jouer ± vers le Roi ! Ici encore, annoncez l’autre majeure
La bonne séquence : – 4 • – pour indiquer un soutien à ¿
Sud Nord et un espoir de chelem. Attention,
Voici les quatre jeux : 4 SA n’est pas un Blackwood !
1• 1¿
1 SA 4• ¿ A D V 10
• 9753 ¿ AR85
Quelques commentaires : \ AR • AD
Retrouvez Jeu de Sud :
1 • : Sud ouvre de sa majeure ±852 \ R62
cinquième. ¿ 9653 N ¿ 82 prochainement ±RD54
1 ¿ : changement de couleur •D • V 10 4
\ V 10 9 2
OE
\ D7643 les Infos
avec un jeu trop fort S
pour un soutien direct à 4 •. ± A 10 6 4 ±DV9 de Michel Lebel. VOTRE RÉSULTAT :
1 SA : avec un jeu régulier de 13 points H. ¿ R74 De 90 à 100 : un excellent résultat. De 70 à 85 :
• AR862 un bon résultat. De 50 à 65 : assez bien,
4 • : en face d’une redemande minimum, \ 85 travaillez davantage vos enchères.
Nord se contente de la manche. ±R73 Moins de 50 : lisez « La Nouvelle Majeure 5e ».

LE POINT Dépôt légal : à parution - n° ISSN 0242 - 6005 - n° de commission paritaire : 0625 C 79739
1, boulevard Victor, 75015 Paris – Tél. : 01.44.10.10.10 – Fax : 01.43.21.43.24 Impression : Maury Imprimeur SA (45330 Malesherbes). Diffusion : MLP.

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138 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570

 Eric Kaufmann : « Forcer
les individus à célébrer la
diversité a l’effet inverse »
Alors que l’extrême droite thématise un « grand remplacement » démographique, le chercheur canadien
montre que l’existence de mariages mixtes permet à terme l’intégration de nouvelles populations.

U
ne substitution de la population française et euro-
péenne par un peuple non européen, originaire en
premier lieu d’Afrique subsaharienne et du Maghreb,
orchestrée par l’élite : telle est la théorie du « grand rem-
placement », popularisée en France par l’écrivain d’ex-
trême droite Renaud Camus. Elle aurait pu en rester au
stade de proposition paranoïaque, mais depuis l’émer-
gence d’une potentielle candidature du journaliste Éric
Zemmour à la présidentielle, elle a le vent en poupe. Il
semble donc indiqué de faire un détour par la démogra-
phie pour comprendre la réalité des changements de po-
pulation en France. Pour ce faire, nous nous sommes
entretenus avec Eric Kaufmann, professeur de sciences
politiques à l’université Birkbeck de Londres. Dans un
livre remarqué, Whiteshift. Populism, Immigration and the
Future of White Majorities (Harry N. Abrams, 2018), …

Dans les idées aussi, la France est un pays de rentiers

PAR SÉBASTIEN LE FOL

Il y a quelques semaines, Emmanuel Macron
accusait le système « politico-militaire »
­algérien d’entretenir une « rente mémo-
rielle » en proposant depuis l’indépendance
une « histoire officielle ». S’agissant des
rentes intellectuelles, la France n’a guère de
leçons à donner : elles pèsent autant sur
notre débat public que les rentes de situa-
tion sur notre économie.
Le rentier dans le domaine des idées tire
profit du thème qu’il a accaparé. Rarement
en raison de son expertise, souvent en
pensant jouir d’une supériorité morale qui
doit lui conférer un monopole. Il existe des
rentiers sur à peu près tous les sujets : école,
nucléaire, théâtre public, environnement,
décroissance, port du col roulé… Il en existe
beaucoup aux extrêmes (gauche et droite).
Ce sont ces rentiers de l’immatériel qui
­distribuent les bons et les mauvais points.
Il ne fait pas bon braconner sur leurs terres.
Avant de vous autoriser à débattre avec eux,
ils exigent votre pass idées. Si votre propos
ne leur convient pas, ils vous déclarent
­illégitime.
Prenons quelques exemples. L’immigration ?
Entre les tenants du « grand remplacement »
et les thuriféraires du multiculturalisme,
il devient impossible de faire entendre un
diagnostic rationnel, posé, lucide. La panne
de « l’ascenseur social » et la crise de la méri-
tocratie en France ? Difficile de s’emparer
du sujet sans se heurter aux penseurs uni-
voques, biberonnés aux paroles de Bour-
dieu, opposant « dominants » et « dominés ».
Toutes les familles d’idées abritent des com-
portements de rentiers : l’écologie, le socia-
lisme, le souverainisme et même parfois le
libéralisme. Le catastrophisme, le complo-
tisme, le « quoi-qu’il-en-coûtisme » consti-
tuent de nouvelles sources de profit.
Le wokisme s’impose quant à lui comme le
nouveau confort intellectuel. Il n’impose
­aucun effort : il suffit de se revendiquer
­victime.
Balzac concédait au rentier « 0,001 d’esprit,
0,001 de jugement, 0,001 de goût, 0,069 de
bonasserie », et le reste en envie de vivre
d’une façon quelconque. Sa morale,
­résumait l’écrivain, « consiste à n’avoir de
discussion avec personne ».
La rente triomphante dans le domaine de
l’esprit consacre le pilotage automatique
des cerveaux et l’épicerie en gros §

Le Point 2570 | 11 novembre 2021 | 139

 DÉMOGRAPHIE
… ce Canadien spécialiste du nationalisme et de la dé-
mographie politique et religieuse a montré que la diversité
ethnique des pays occidentaux, sous l’effet de l’immigra-
tion internationale, ne cessait de s’accroître. Kaufmann
offre un tableau à la fois factuel et sage de la situation ac-
tuelle : selon lui, si l’intégration de personnes d’origine eth-
nique étrangère finit souvent par se réaliser sur plusieurs
générations, il n’en reste pas moins nécessaire, pour les
pays occidentaux, de calibrer l’ampleur et la rapidité de
l’immigration, précisément pour que cette intégration se
fasse dans les meilleures conditions § G. B. ET L. S.-B.
Le Point : En France, la théorie du « grand
remplacement » est volontiers mise en avant par
certaines personnalités d’extrême droite. Existe-t-elle
aussi dans la sphère anglophone ?
Eric Kaufmann : Cette théorie est courante à
l’extrême droite dans de nombreux pays. À
gauche, on trouve un récit similaire mais po-
sitif : lorsque le dernier recensement améri-
cain a montré que le nombre de personnes
se considérant comme « blanches » avait
baissé, beaucoup y ont vu le plus beau jour
de l’histoire du pays. Ensuite, le concept de
« remplacement de population » est utilisé
par les démographes ; selon les experts, une
population peut en remplacer une autre sur
une période de cinquante à cent ans. Bien
sûr, cela dépend en grande partie de la façon À contre-courant.
dont on définit la population remplacée et Eric Kaufmann en 2018.
celle qui la remplace, et les frontières qui
existent entre elles, raciales ou identitaires.
L’ambiguïté de cette théorie ne vient-elle pas du flou
qu’elle entretient entre race et culture ?
La culture peut être décrite comme telle : qui considérez-vous
comme vos ancêtres et à quelles mémoires collectives et
traditions faites-vous remonter votre lignée ? Votre iden-
tité s’est-elle construite par opposition à celle de la majo-
rité ? La race est, en revanche, plus une question d’apparence
physique.
Diriez-vous que la France est victime d’un « grand
remplacement » ?
Dans tous les pays occidentaux, y compris la France, la pro-
portion des minorités ethniques augmente et celle de la
majorité ethnique décline ; d’une part, à cause de l’immi-
gration, d’autre part, en raison d’un taux de natalité supé-
rieur chez les minorités. Cette configuration produit un
changement ethnique au fil du temps. Mais la France est
quelque peu différente en raison de son taux de natalité re-
« Le facteur d’assimilation le plus important reste la descendance
des mariages mixtes entre les minorités et la majorité ethnique. »
140 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
lativement élevé par rapport aux autres pays occidentaux.
Par ailleurs, la population musulmane, principalement
d’origine nord-africaine, y est plus susceptible de se marier
à l’extérieur de son groupe d’origine que les musulmans
d’autres pays européens. Cela signifie probablement que,
à long terme, la proportion de musulmans, en France, n’aug-
mentera pas autant que certains le prédisent, car les ma-
riages mixtes musulmans ont tendance à conduire à une
plus grande sécularisation.
À quel niveau se situe la diversité ethnique française ?
La France n’inclut pas de question sur l’ethnicité ou la race
dans ses recensements, ce qui rend l’analyse difficile, mais
on peut tout de même faire des projections. Le Pew Re-
search Center évalue par exemple la part des musulmans
dans la population française entre 12,7 % et 18 % en 2050,
en fonction des taux de migration. D’autres
projections suggèrent qu’à la fin du siècle la
majorité ethnique française passera sous la
barre des 50 % – une situation que les États-
Unis, le Canada et la Nouvelle-Zélande at-
teindront vers 2050.
Si des gens d’une origine ethnique
différente s’assimilent à part entière, ne
deviennent-ils pas des Français ?
Le facteur d’assimilation le plus important
reste la descendance des mariages mixtes
entre les minorités et la majorité ethnique.
Généralement, sur une période suffisam-
ment longue, si l’on met l’accent sur l’assi-
milation, les descendants de ces unions
finissent par s’identifier progressivement à
la majorité. Dans son livre The Great Demographic Illusion,
le sociologue américain Richard Alba montre ainsi que les
« Blancs-Asiatiques » ou les « Blancs-Latinos » sont au-
jourd’hui deux sur trois à se considérer comme des Blancs,
donc faisant partie de la majorité, plutôt que comme des
Hispaniques ou des Asiatiques. Il existe bien sûr des contre-
exemples : les Anglo-Saxons ont conquis la Grande-Bre-
tagne celtique et ont remplacé cette culture par une nouvelle
identité. Par ailleurs, les identités culturelles dépendent
aussi de la reconnaissance de la population majoritaire.
Aux États-Unis, par exemple, les catholiques et les juifs, ve-
nus principalement d’Italie ou de Pologne, n’appartenaient
pas à la majorité ethnique en 1920 ; mais, en 1970, ils étaient
considérés comme des membres de la majorité blanche.
ERIC KAUFMANN/SP
L’identification à la majorité ethnique dépasse la seule
appartenance nationale. Vous pouvez vous sentir français
dans votre identité nationale tout en étant marocain mu-
sulman dans votre identité ethnique et religieuse. Quand
 je parle d’intégration à la majorité, je pense à une personne
ethniquement marocaine et française, mais qui se défini-
rait ethniquement française tout en étant considérée par
les autres comme faisant partie de cette majorité. Dans l’en-
semble, un pays comportant des groupes ethniques dis-
tincts, même quand ils partagent une identité nationale,
n’est pas le même qu’un pays à majorité ethnique ouvert
aux mariages mixtes et aux mélanges.
Ne pensez-vous pas que, dans le cas de la France,
ce qui joue vraiment dans la peur d’un « grand
remplacement », c’est le rapport à l’islam ?
L’islam est évidemment important, car il porte en lui un
défi culturel de taille pour l’Occident. Mais cela n’explique
pas tout : si un grand nombre de personnes venaient s’ins-
taller en France depuis la Chine ou l’Inde, celles-ci, même
non musulmanes, ne seraient pas considérées comme eth-
niquement françaises en raison de leur façon d’envisager
leur propre ascendance.
Les musulmans des pays occidentaux semblent avoir
ILLUSTRATION : XAVIER GORCE POUR « LE POINT »
intégré les normes culturelles des pays dans lesquels
ils vivent : un musulman de France se distingue d’un
musulman de Grande-Bretagne. On pourrait donc être
prudemment optimiste et penser que la tendance est
à l’assimilation.
Prenons un exemple : quelqu’un qui vit en France, ayant
un accent du Vietnam ou du Congo, mais qui souscrit aux
valeurs de la France, est entièrement français. Il y a une dif-
férence entre dire que, quel que soit votre accent, vous êtes
aussi français qu’un autre, ce que je crois, et dire que tous
les accents sont des accents français. Si la majorité des per-
sonnes, en France, parlaient avec des accents étrangers, la
spécificité française y perdrait.
La ligne de crête est délicate : il devrait être possible d’af-
firmer qu’une masse critique de personnes doit avoir un
accent français en France sans pour autant en conclure
que celui qui ne l’a pas est moins français. De même, à mon
avis, les gens devraient certes pouvoir continuer à vivre
dans un groupe ethnique fermé sans subir d’assimilation
forcée, mais les habitants d’un pays devraient également
pouvoir s’exprimer sur le seuil et le rythme de la diversité
ethnique qu’ils préfèrent sans être immédiatement taxés
de racistes.
Comment déterminer le bon degré de diversité ?
Il faut du temps pour qu’une fusion ethnique majoritaire
se produise. Aux États-Unis, la migration des catholiques
de la fin du XIXe siècle au début du XXe, jusqu’à ce qu’ils
constituent environ un tiers de la population, a été suivie
de restrictions à l’immigration. Il a fallu environ trois gé-
nérations, de la fin du XIXe siècle au milieu des années 1970,
pour que les quartiers ethniques se désagrègent, que les
mariages mixtes augmentent et que les gens se recombinent
réellement en une nouvelle majorité. L’immigration à
grande échelle provoque une forte augmentation du ni-
veau de diversité et plusieurs générations sont nécessaires
à une bonne intégration. À l’heure actuelle, les pays occi-
dentaux font face à l’augmentation de leur diversité eth-
nique du fait de l’immigration, et cela va se poursuivre dans
les décennies à venir. La bonne stratégie politique serait de
réduire le taux d’immigration dans les prochaines décen-
nies pour favoriser l’intégration et la cohésion. Une …
Le Point 2570 | 11 novembre 2021 | 141
 DÉMOGRAPHIE
… fois que la « fusion » aura eu lieu, ces pays pourront,
s’ils le souhaitent, ­s’ouvrir à nouveau.
Au fond, pourquoi les individus se soucient-ils de
savoir si leurs voisins vivent différemment d’eux, tant
qu’ils respectent la loi ?
Les gens sont plus ou moins attachés à ce que j’appellerais
des formes quotidiennes du patriotisme – le paysage, les
pratiques culturelles, les formes d’habillement – qui ne sont
pas toujours explicitement énoncées. Certaines personnes
aiment le changement, quand d’autres le considèrent comme
une perte. Certaines estiment que la différence est un fac-
teur de désordre, quand d’autres la voient comme stimu-
À l’est, un automne démographique
Dans une Europe centrale et orientale qui se vide de ses habitants,
l’immigration est perçue comme une menace.
PAR BRUNO TERTRAIS
F
in septembre, Éric Zemmour était – avec Marion Maré-
chal – l’un des invités d’honneur du 4e « Sommet démo-
graphique » organisé à Budapest par le président hongrois,
Viktor Orban, et qui réunissait le gratin de la droite conser-
vatrice chrétienne d’Europe de l’Est, ainsi que l’ancien
vice-président américain Mike Pence. Devant une salle
conquise, le polémiste-presque candidat a notamment dé-
noncé la « démographie exubérante islamique ».
La crise démographique à l’est (et au sud) du continent
a fait passer celui-ci, pour la première fois de son histoire
moderne, en situation de « dépopulation ». Depuis le mi-
lieu des années 2010, sa population augmente encore – c’est
pour cela que l’on ne parle pas de « dépeuplement » – mais
seulement du fait de l’immigration.
Certains pays ont connu une véritable saignée depuis
1990. Les Roumains étaient 23 millions à la chute de
Ceausescu, ils sont 19 millions aujourd’hui. La Bulgarie est
exsangue : elle comptait 9 millions d’habitants en 1989, et
elle en recense moins de 7 aujourd’hui.
Et cela ne va pas s’arranger. Aux termes des projections
de l’ONU, c’est sur notre continent que se trouve la qua-
si-totalité des États appelés à perdre plus de 15 % de leur
population d’ici 2050, au premier rang desquels la Litua-
nie et la Bulgarie (– 23 %), la Lettonie (– 22 %) et l’Ukraine
(– 20 %). L’étude proposée par The Lancet en 2020 prévoit,
elle, une Europe de 308 millions d’habitants en 2100, contre
446 aujourd’hui. Certains États membres sont promis à l’ef-
fondrement : Bulgarie, Lettonie, Roumanie, Slovaquie –
mais aussi Espagne et Portugal – avec une réduction de leur
population de plus de la moitié.
À Budapest, le président serbe, Aleksandar Vucic, a es-
142 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
lante. On sait que ces différences d’orientation psychologique
profonde sont partiellement héritables. Or, comme l’ont
montré les travaux de Karen Stenner sur l’autoritarisme,
notamment The Authoritarian Dynamic, ces différences psy-
chologiques, sur lesquelles les individus n’ont qu’un contrôle
limité, commencent à devenir de plus en plus déterminantes
pour le vote. Forcer les individus à célébrer la diversité a
souvent l’effet inverse, provoquant des réactions plus né-
gatives encore chez les personnes déjà hostiles. Il vaut mieux
y préférer un message rassurant : les immigrants vont finir
par se fondre dans la masse, comme ils l’ont fait par le passé §
PROPOS RECUEILLIS PAR GABRIEL BOUCHAUD ET LAETITIA STRAUCH-BONART
timé que « c’est notre survie qui est en jeu ». Les commenta-
teurs sont prompts à dénoncer l’exploitation de la question
migratoire par les gouvernements populistes. Mais si ces
États ont porté au pouvoir de telles forces, c’est largement
du fait de la crainte de leur disparition. Loin d’être perçue
comme une solution au déclin démographique, l’immigra-
tion y est considérée comme une menace identitaire.
Vucic s’est dit aussi perplexe quant à la priorité donnée
selon lui par Bruxelles à la lutte contre le changement cli-
matique. Le Premier ministre tchèque, Andrej Babis, a ren-
chéri en qualifiant « d’absurde » l’idée selon laquelle la
relance de la natalité serait nocive à la réduction des émis-
sions de gaz à effet de serre.
Trois racines. « La famille n’est pas le problème, mais la so-
lution », proclame la ministre Katalin Novak, organisatrice
du sommet. C’est loin d’être certain. D’une part, parce que
la crise démographique n’a pas une mais trois racines, et
qu’elles sont profondes : baisse de la natalité, bien sûr, mais
aussi hausse de la mortalité et de l’émigration. D’autre part,
parce que faire remonter le taux de fécondité est particuliè-
rement ardu lorsque celui-ci est descendu à des niveaux très
faibles. Et que contrairement à ce que l’on pense souvent sur
les rives du Danube, la valorisation de la « mère au foyer »
n’est nullement une recette au succès assuré : ce sont juste-
ment les pays qui ont su favoriser et valoriser le travail fémi-
nin qui ont maintenu un taux de fécondité relativement
élevé. Et ont même pu le faire remonter (Suède). Il reste la
possibilité pour nos voisins d’accueillir les militants d’une
« Europe blanche et chrétienne » qui émigrent désormais de
sa partie occidentale, trouvant à l’est ce qu’ils estiment être
un paradis perdu et qui y sont généralement accueillis à bras
ouverts. Mais ce mouvement demeure anecdotique §
 EUROPE
Les prophéties de Kundera
Alors que les populismes de l’Est minent l’Europe, deux textes de l’écrivain tchèque écrits en 1967 et 1983,
que Gallimard édite, peuvent être lus comme une mise en garde.
PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN
I
l y a trente-huit ans, la revue Le Débat publiait un texte
de Milan Kundera sur l’Europe centrale, « Un Occident
kidnappé », qui sonnait comme un cri d’alarme. Ce texte,
les éditions Gallimard l’éditent en volume séparé. Que di-
sait en 1983 l’auteur de La Plaisanterie ? Que cette Europe
centrale, composée de petits États dont l’existence, mena-
cée, n’avait rien d’une évidence, avait été liée à l’Occident
par la culture, par les innombrables richesses
que les terres natales de la Contre-Réforme,
de Mozart, de Haydn, de Schönberg, de Kafka,
de Gombrowicz, de Musil, de Hasek nous
avaient données. Mais cette culture commune
avait été balayée par les deux guerres mon-
diales et le communisme. Pire, l’Occident,
amnésique de sa propre culture, avait renié
cet héritage partagé, laissant l’Europe cen-
trale en tête à tête avec son bourreau, l’ogre
soviétique. Et Kundera de citer l’appel au se-
cours absurde lancé en 1956 par le directeur
de l’Agence de presse de Hongrie : « Nous mour-
rons pour l’Europe. » Un appel obsolète qui Acuité. Milan Kundera à Belle-
n’avait aucune chance d’être entendu. Île, en novembre 1976.
Kundera s’est toujours fait une certaine
idée de l’Europe, avant tout culturelle. La tournure libérale
et technocratique qu’elle prenait déjà dans les années 1980
ne pouvait que le désespérer, lui qui, comme certains his-
toriens, était convaincu que l’Europe avait pris conscience
d’elle-même à partir du XVIe siècle dans une circulation et
un échange d’idées, d’œuvres et d’artistes. On peut certes
objecter que cette Europe de la culture, qui par de multi-
ples détours, déboucha sur l’Europe bigarrée des Lumières,
n’empêcha nullement le triomphe de la barbarie et un sui-
GAMMA-RAPHO VIA GETTY IMAGES
cide collectif au XXe siècle. Mais, a contrario, sans ce terreau
enrichi par un legs chrétien, il paraît incontestable que l’Eu-
rope n’aurait pu, après 1945, se reconstruire politiquement.
Déçu, désabusé, Kundera l’était en 1983. Il l’est plus en-
core en 2021, où l’Histoire et ses soubresauts l’ont conforté
dans cette idée de divorce entre les deux Europe, mais dans
des circonstances qu’il n’avait sans doute pas prévues. Si
l’Europe centrale a pu donner l’impression qu’elle renais-
S’il existe une Europe centrale, son ciment prend avant tout sous
l’effet d’un double scepticisme, à l’égard de Bruxelles et de Moscou.
sait avec le groupe de Visegrad, fondé en 1991, si elle a paru
se rapprocher de cet Occident qui l’avait abandonnée, les
dernières années démontrent que le fossé n’a pas été com-
blé et que, sous couvert d’un mariage de raison, les deux par-
ties font chambre à part au sein de la même maison. D’autres
murs désormais se dressent, notamment celui de l’Histoire,
convoquée à Varsovie, à Budapest, à Prague, d’une manière
quasi inaudible pour l’Europe de l’Ouest. S’il existe une Eu-
rope centrale, son ciment prend avant tout sous l’effet d’un
double scepticisme, à l’égard de Bruxelles et
de Moscou. Et les multiples symptômes d’un
nationalisme exacerbé en Pologne, en Hon-
grie, en Slovaquie, en République tchèque
ou en Slovénie confirment l’intuition de Kun-
dera, qui s’inquiétait des conséquences de la
misère identitaire des petits États.
Dérive fatale. Dans une conférence iné-
dite prononcée en 1967 et ouvrant le volume,
l’écrivain mettait en garde contre le provin-
cialisme des Tchèques et un vandalisme dé-
fini comme « une fière étroitesse d’esprit qui se
suffit à elle-même, prête à tout moment à réclamer
ses droits ». Il faut certes affirmer sa culture
nationale, mais en la tirant vers le haut, vers
un dialogue avec la culture européenne, ce qui ne semble
guère le souci des dignitaires actuels de l’Europe centrale. La
culture a disparu de leur horizon, sinon pour revenir sous
la forme d’une réécriture revancharde de l’Histoire, risquant
de transformer leur pays en un désert sans mémoire. Kun-
dera souligne que ces pays ont toujours été hantés par leur
propre survie. Dans un tel contexte, il n’est donc pas difficile
de convaincre aujourd’hui les populations que cette survie
passe par un repli identitaire, puisque l’Autre, l’étranger, a
été perçu depuis des siècles comme un oppresseur. Telle est
la dérive fatale de ces nations, enfin débarrassées des jougs
passés, qui s’empressent de verser du côté du nationalisme
claquemuré où les notions de partage, de solidarité, de-
viennent des vues de l’esprit. Que fait l’Occident, lui-même
tenté par ces sirènes ? Quels sont ses arguments pour dissua-
der l’autre Europe de pratiquer la politique du pire ? La ques-
tion posée par Kundera en 1983 demeure d ­ ’actualité §
Le Point 2570 | 11 novembre 2021 | 143
 SOCIOLOGIE
Sale temps pour le bisou
À l’heure de la distanciation physique, « Ce qu’embrasser veut dire » (Payot),
de Jean-Claude Kaufmann, retrace les fortunes contrastées du baiser au fil des siècles.
PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN
S
e refait-on autant la bise qu’avant la pandémie ? Au doigt
mouillé, ou devrait-on dire plutôt, à la joue mouillée, il
semble que non, quand on constate par ailleurs l’ame-
nuisement de la poignée de main, qu’on ne pratique plus
qu’avec la crainte refoulée de passer pour un criminel en
puissance. On se dit « Bisous », mais la parole a remplacé le
geste. On s’étonnera cependant qu’aucun sondeur fran-
çais n’ait encore songé à interroger nos compatriotes sur
ce ­sujet si hexagonal. Exhibe-t-on son pass sanitaire avant
d’oser « conclure » ? Les Jean-Claude Dusse ont désormais
des ­excuses toutes trouvées : « Je n’avais pas mon pass. » Pen-
dant que les Français se faisaient des bises 2.0, le sociologue
Jean-Claude Kaufmann, friand de ces gestes du quotidien
qui en disent tant, s’est penché sur l’histoire du baiser, aussi
vieille que l’humanité.
Quand le gouvernement nous a expliqué qu’il fallait
­arrêter avec les embrassades – en famille, entre amis ou entre
amoureux –, nous n’avons pas compris, car nous n’avions
pas lu le livre de Kaufmann (qui n’était pas écrit), qu’Olivier
Véran et ses docteurs renouaient avec une très ancienne tra-
dition, pré-Renaissance, où c’était le politique qui réglemen-
tait ce genre de contact. Baiser virils et fraternels entre
chevaliers, baisers de paix entre rois et princes, baisers d’hom-
mage entre le vassal et son suzerain, baisers chrétiens spiri-
tuels : très longtemps, le baiser fut ritualisé, codifié, sacralisé,
solennisé. Rien d’intime encore, rien de sensuel dans cette
pression labiale réciproque qui servait d’abord et avant tout
à structurer la société. Il produisait du lien social, le symbo-
lisait, le certifiait. Il s’y jouait des rapports de force horizon-
taux comme verticaux tel ce droit des seigneurs ou des
cardinaux de pouvoir embrasser les dames à bouche que
veux-tu, ce dont se désolaient et Montaigne et Voltaire : « C’est
une déplaisante coutume, et injurieuse aux dames d’avoir à prê-
ter leurs lèvres à quiconque a trois valets à sa suite. » #MeToo ne
démentirait probablement pas cette phrase des Essais. De ce
baiser public, socialisé, il nous reste quelques avatars : le bi-
sou de la mairie pour l’échange de vœux marital, l’accolade
présidentielle lors de remises de médailles…
Baisers virils entre chevaliers, baisers de paix entre rois, baisers
d’hommage, jadis le politique réglementait ces contacts.
144 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
Ce n’est qu’à la Renaissance que le baiser, progressive-
ment, se désacralise, devient obscène en public, gagne la
sphère privée, s’adoucit, se sentimentalise, se spiritualise,
s’érotise – comme chez le marquis de Sade, où il prend l’al-
lure d’une pénétration furieuse. Glissons sur les différences
culturelles qui font passer les Européens baisophiles pour
de voraces cannibales aux yeux des Asiatiques, très absti-
nents sur la chose. Et soulignons plutôt que la partie ne fut
pas gagnée d’avance pour le baiser. Si les vertus médicales
du bouche-à-bouche sont établies dès le XVIIIe siècle, il faut
attendre la moitié du XXe siècle pour qu’il soit pratiqué sans
prévention. Ce n’est que dans les années 1920, avec l’appari-
tion du flirt – codifié aux États-Unis par le dating – que le
­baiser a des chances de précéder le premier rapport sexuel
conjugal. Par ailleurs, chaque région française avait
jusqu’alors ses spécialités locales pour manifester sa ten-
dresse : dans le Morvan, on se frottait hanche contre hanche,
en Ille-et-Vilaine, on frappait sur le genou, en Gascogne, on
lançait des tisons enflammés (olé !), et, si les bouches étaient
requises, c’était pour y cracher dedans, comme en Vendée,
en Bretagne et en Gironde… À votre bon cœur !
Antisocial. L’essentiel, dans cette pandémie, c’est qu’un
gouvernement aura légiféré dans un domaine qu’on croyait
intouchable, désocialisé et dévolu à une joyeuse anarchie :
d’« embrassez qui vous voudrez », on est passé à « j’embrasse
plus » ou au « baiser qui tue », pour reprendre le titre d’un
film à succès de 1928 qui entendait lutter contre la tuber-
culose et les maladies vénériennes. N’a-t-on pas calculé
­récemment que 80 millions de bactéries circulaient d’une
bouche à l’autre lors d’un french kiss – du reste francisé de-
puis peu, car on préférait naguère le qualifier de florentin,
de napolitain ou de colombin, en référence aux colombes
qu’on croyait voir se bécoter ?
Mais l’autre idée force de Kaufmann, martelée depuis plu-
sieurs ouvrages, est l’autonomisation de la société, pour ne
pas dire son atomisation. Les sphères personnelles ont pris
le dessus, éparpillant le lien social façon puzzle. Sur le lieu
de travail, on veut pouvoir décrocher à discrétion. Dans
les loisirs, on choisit à la carte. Question engagement, fini
 l’embrigadement à vie, on milite de manière ponctuelle et
contrôlée. Sur le plan des croyances, on se bricole son petit
autel. Et, concernant les rencontres, on trie, on checke, on
zappe, y compris dans le couple, où il s’agit de pouvoir se ré-
server des aires de solitude, des zones de quant-à-soi, des bases
de repli, des cordons sanitaires. La pandémie et ses multi-
ples barrières auront eu un effet loupe sur ces mises à dis-
tance déjà à l’œuvre. Mais que devient le baiser là-dedans ?
Incorrigible romantique, Kaufmann le perçoit comme une
stratégie de résistance, un îlot de tendresse humaine dans
« une société tellement froide et invivable qu’aussitôt un contre-mou-
vement s’est formé en réaction, une réaction amoureuse ». Dans
une société où il n’y a plus de lien, où la distance est prônée,
le baiser est devenu antisocial.
Prendre ses distances : cette expression, jusqu’ici mal vue,
a pris aujourd’hui du galon, constate la sociologue Anne
Muxel dans L’Autre à distance (Odile Jacob). Elle y rappelle
que l’expression « distanciation sociale » a gagné le langage
commun en 1918, à l’occasion de l’épidémie de grippe espa-
ILLUSTRATION : TARTRAIS POUR LE POINT
gnole, sous la houlette de Max Starkloff, commissaire à la
Santé de la ville de Saint-Louis, dans le Missouri. Un terme
employé d’abord le 14 mars 2020 par Édouard Philippe avant
qu’il ne fasse marche arrière, lui préférant la formule plus
neutre et politiquement correcte de «  distanciation physique ».
Cette euphémisation, passée inaperçue, est un bel exemple
de l’idéologie douce : elle tend à nier l’effet de ces mises à dis-
tance sur le lien social. Or c’est de la société que le politique
doit entretenir l’unité, du moins son illusion. Il en va de
même de l’expression « gestes barrières », qui résonne avec
cet autre mantra, « les gestes qui sauvent », absorbé par notre
inconscient. Il est frappant de constater que c’est assez tar-
divement, dans les années 1960, que l’on a commencé à ana-
lyser le rapport à l’espace comme un produit culturel. Dans
La Dimension cachée (1966), où l’anthropologue américain
Edward Hall se fit le chantre de la « proxémie », quatre sortes
de distances étaient distinguées : intimes, privées, sociales
et publiques. Les mesures de chacune d’entre elles varient
bien sûr selon les sociétés et les relations qu’y entretiennent
les individus. Or, à chaque fois que nous reculons, que nous
sommes mis à distance, nous perdons une masse d’informa-
tions, d’abord tactiles, puis olfactives et visuelles, qui nour-
rissent notre relation à autrui. Cet appauvrissement,
impossible bien sûr de le quantifier ou de mener des son-
dages pour diagnostiquer ses effets. Dans ce domaine, le
contrôle a un bel avenir. On connaît les logiciels de surveil-
lance basés sur les QR codes en Chine ou le bracelet intelli-
gent qui bipe quand son porteur empiète sur la zone de
sécurité d’une autre personne. Le recours aux robots dans
les secteurs de la restauration ou de la livraison va dans le
même sens d’une société sans contact. Mais, comme le rap-
pelle Kaufmann, nous avons, depuis la pandémie, renforcé
notre contrôle sur nous-mêmes et notre propension à nous
rapprocher d’autrui. Nous vivons la main sur la marche
­arrière. Plus de contact volé. Plus de baiser volé §
Ce qu’embrasser veut dire, de Jean-Claude Kaufmann (Payot, 260 p., 19 €).
L’Autre à distance, d’Anne Muxel (Odile Jacob, 300 p., 22,90 €).
Le Point 2570 | 11 novembre 2021 | 145
 CHRONIQUE
Avancer seul
PAR KAMEL DAOUD
Et si la réconciliation entre la France et l’Algérie ne passait pas forcément par un acte bilatéral…
L
a réconciliation franco-algérienne, on en désespère. Mais
de quoi ce vœu est-il l’otage ? Et si, au fond, cet acte n’était
qu’un chemin solitaire pour la France ? Résumons : la
­réconciliation franco-algérienne est d’abord victime d’un
pessimisme profond et d’un comparatisme discret : l’exemple
de la réconciliation franco-allemande. Là, malgré la d ­ ouleur,
la mémoire, on est arrivé à s’entendre et regarder vers le
­futur. La preuve, par contraste, que du côté algérien il s’agit
plus de mauvaise foi, d’une autre guerre. Ce pays, ex-­colonie,
ne veut pas, dit-on, la paix des mémoires, mais la guerre per-
manente. Les gestes forts ou la réconciliation ­macronienne
ne servent donc à rien ? Non, si on attend que
le fruit de ces actes d’une mémoire assumée
en France dépende de ce qu’en fera Alger au
lieu d’y voir ce qu’on peut d’abord en tirer
comme bénéfice en France : réduire les gise-
ments de soutien des communautarismes et
des identitarismes et du décolonial radical au
nom de l’histoire coloniale.
Et ensuite ? La « réconciliation » est prise
en otage dans sa définition même par une
­génération entière de chercheurs, d’académi-
ciens, d’éditocrates qui en excluent, souvent
férocement, toute possibilité de relecture par
la ­génération qui n’a pas vécu la guerre de dé-
colonisation. Il suffit de tenter l’expérience de dire l’époque
concernée à travers sa condition d’enfant des indépen-
dances pour voir se lever une armée de procureurs, de mé-
prisants en droit. Comme si les générations algériennes ou
françaises d’aujourd’hui n’étaient que les produits défini-
tivement ­secondaires d’une épopée figée et qu’on ne pou-
vait penser que ce que l’on a vécu. Tenter de discourir sur
cette époque est une atteinte au champ d’honneur édito-
rial, à la biographie (arrangée de part et d’autre) d’une gé-
nération. Et ceux qui n’ont pas vécu cette guerre ou qui n’en
font pas leur spécialité – tout en en payant la facture – sont
refoulés de facto, et leur avis ne pèse guère, sauf comme
voix d’amplification des convictions de la génération
« ­glorieuse ». Aux Français nés « après » on reproche l’in-
Ne vaut-il pas mieux garder au récit français son prestige nar-
cissique au lieu de le soumettre à l’inutile épreuve de la vérité ?
146 | 11 novembre 2021 | Le Point 2570
conscience, à certains enfants de l’Algérie d’aujourd’hui on
diagnostique l’infidélité.
Mais encore ? Cette « fin d’une histoire » est piégée par la
surenchère inévitable : à chaque pas macronien, même tré-
buchant, vers la réconciliation, la réponse en Algérie est
une surenchère extrême. De quoi nourrir le pessimisme
dans la chapelle des incroyants : « À quoi sert tout cela
puisque de l’autre côté on refuse tout ? Ne vaut-il pas mieux
garder au récit français son prestige narcissique au lieu de
le soumettre à l’inutile épreuve de la vérité ? » Oui, si on
considère que la réconciliation est nécessairement un acte
bilatéral, et c’est là toute l’erreur, selon l’au-
teur. Ne faut-il pas voir les choses autrement ?
Considérer que cette réconciliation est, au
plus intime, un acte de solitude, une ren-
contre avec soi-même plutôt qu’avec l’autre
qui tourne le dos ? Peut-être la fin de la guerre
est-elle à mener par chaque pays seul, pour
lever la malédiction du faux souvenir dans
le récit de sa propre histoire, se réparer soi-
même. Peut-être est-ce cette séparation qui
va aider chacun et l’obliger à assumer au lieu
d’attendre la bénédiction de l’autre. Et peut-
être toute cette réconciliation est-elle prise
à rebours : au lieu d’espérer raisonnablement
l’entente à la fin, on la pose comme contrainte au début.
Assumée comme une marche dans la solitude, la récon-
ciliation avec sa propre mémoire refroidira les détracteurs
et laissera sans moyens ceux qui nourrissent encore l’affect,
ILLUSTRATION DUSAULT POUR « LE POINT »
le déni ou le rejet de tout acte dans ce sens. Une fois seul,
chacun sera en face de son histoire. Menteur ou courageux.
N’en déplaise à ceux qui vivent de la rente de la mémoire
ou du confort de l’oubli. La réconciliation ? Que chacun en
imagine le bénéfice pour soi : né pendant, né après ou pas
encore né à cause de ceux qui vous refusent le droit à la pa-
role au nom de la guerre perdue, de la guerre gagnée ou du
monopole du décolonial permanent. Peut-être faut-il que
la France avance seule. On cessera alors avec le « cela ne sert
à rien » et, de l’autre côté, avec le « cela sert à tout » §