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LES ORIGINES DE NOTRE-DAME DE PARIS 23

des cités épiscopales 51. Vers 754, Chrodegang, évêque de Metz,


rédigea une régula qui imposait aux clercs de sa cathédrale un
genre de vie analogue à celui des moines, mais toutefois moins
austère. On ne leur demandait pas de faire vœu de pauvreté,
mais ils devaient vivre et prier en commun. De 755 à 816, des
décisions conciliaires et des capitulaires visèrent à étendre la
réforme à tout le royaume. Bien que Charlemagne n'ait pas été
leur premier instigateur, les fondations de chapitres canoniaux
passent à bon droit pour les plus importantes de ses œuvres.
Rassemblés dans un cloître fermé de murs auprès de l'une des
églises du groupe episcopal, astreints à se rassembler chaque
jour dans le chœur de celle-ci pour réciter l'office en commun,
les nouveaux chanoines avaient assez de loisir pour se livrer à
l'étude, pour enseigner ou pour administrer. Ils devinrent ainsi
pour l'évêque d'actifs auxiliaires.
La fondation du chapitre de Paris eut lieu entre 754, date
de la réforme de Metz, et 829, année où fut institué un mense
capitulaire par l'évêque. Il faut noter que nous ne sommes pas
renseignés avec plus de précision pour beaucoup d'autres villes
épiscopales, la réforme du clergé des cathédrales étant un acte
d'administration qui ne nécessitait pas comme la fondation et
la dotation d'un monastère, la délivrance de chartes ou l'octroi
de privilèges. A tort ou à raison, d'après les traditions ou selon
les prétentions dont on trouve l'écho dans quelques actes du
xie siècle et du siècle suivant, les chanoines de Notre-Dame
de Paris faisaient remonter la fondation de leur chapitre jusqu'aux
premières années du règne de Charlemagne 52. Le fait que Notre-
Dame ait été citée avant Saint-Étienne dans le diplôme de 775
pourrait être invoqué en faveur de cette façon de voir. Quoiqu'il
en soit, c'est à l'institution canoniale que cette église Notre-
Dame, moins ancienne que Saint-Étienne et à l'origine beaucoup
moins importante, doit d'être devenue la seule cathédrale. D'une

51. J. Hubert, « La renaissance carolingienne et la topographie


religieuse des cités épiscopales », dans Settimane di Studio del Centro italiano
di Studi nellalto medio evo, t. I (Spolète, 1954), p. 218-225 ; « Évolution
de la topographie et de l'aspect des villes de Gaule du ve au xe siècle », ibid.,
t. VI (1959), p. 549 et suiv., « La vie commune des clercs et l'archéologie »,
dans La Vita comune del clero nel secoli XI e XII (Milan, 1962), p. 91 et suiv.
52. Diplômes de Louis le Pieux des 19 et 29 octobre 820 (R. de Lasteyrie,
op. cit., n° 32, p. 43 et n° 33, p. 45). Le premier de ces actes est probablement
interpolé. — Diplôme de Charles le Simple, 911 (R. de Lasteyrie, op. cit.,
n° 59, p. 80). — A Sens, la création du chapitre episcopal est antérieure à
la construction que fit faire Magnus, durant son épiscopat (avant 802-
avant 822), dans la banlieue de la ville, non loin de la basilique de Saint- Pierre- .
le- Vif, de l'église de Saint-Sauveur pour la sépulture des chanoines de sa
cathédrale (Clarius, Chronique, édit. Duru, Biblioth. histor. de l'Yonne, t. II,
p. 470. Cf. Abbé Bouvier, Histoire de l'Église et de l'ancien archidiocèse de
Sens, t. I (Paris-Sens, 1906), p. 182).
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part, un fait est hors de doute : après sa réforme, le clergé


episcopal fut groupé auprès de l'église Notre-Dame en un « cloître »
clos de murs, à l'intérieur duquel on autorisa bientôt les
chanoines à se loger dans des maisons particulières 53. D'autre part,
c'est à tort que Léon Levillain a supposé qu'à l'époque
carolingienne « une simple question de préséance à la cour céleste »
aurait suffi à faire substituer le vocable de la Vierge à celui de
saint Etienne 54. En effet, à l'intérieur même de l'ancien archi-
diocèse de Sens, aussi bien dans la métropole qu'à Auxerre et à
Meaux, c'est Etienne le martyr qui a été préféré à la Vierge pour
être le patron principal de l'église épiscopale. A Sens même, au
temps de l'évêque Ataldus (927-932), l'église Notre-Dame abritait
pourtant une statue de la Vierge particulièrement vénérée 55.
Quand on se reporte aux textes qui font connaître avec une
certaine précision l'histoire des églises des groupes épiscopaux
de Sens 56 et d' Auxerre 57, on y constate le rôle joué par des
événements fortuits, comme de fréquents incendies, qui ont pu
favoriser le développement de l'un des deux édifices aux dépens
de l'autre. Il faut donc se garder de toute idée a priori. Cependant,
pour Sens, Auxerre et Meaux, l'histoire et l'archéologie montrent
l'institution canoniale fonctionnant auprès de l'église Saint-
Étienne et c'est vraisemblablement la raison pour laquelle cette
église garda sa prédominance originelle. Il n'en fut pas de même
à Paris. Dans l'étroite île de la Cité, la place était mesurée auprès
de l'église Saint-Étienne. Il était plus commode d'établir le
chapitre au nord de l'église Notre-Dame, car le terrain était
assez vaste pour que l'on pût y disposer de nombreux logis
canoniaux 58. Des écoles réputées 59 ainsi qu'une juridiction
spirituelle fort étendue, qui mit dans la dépendance des chanoines

53. Diplôme de Charles le Simple, 811 (R. de Lasteyrie, op. cit., n° 59,
p. 80) ; Diplôme de Lothaire et de Louis V, 979-986 (L. Halphen et F. Lot,
Recueil des actes de Lothaire et de Louis F, Paris, 1908, n° LVI, p. 129). Cf.
B. GuÉRARD, Op. Cit., t. I, p. CVIII.
54. L. Levillain, op. cit., p. 459.
55. Geoffroy de Courlon, Chronique, édit. Julliot (Sens, 1876), p. 332.
56. Ch. Porée, « Les architectes et la construction de la cathédrale de
Sens », dans Congrès archéologique d'Avallon, 1907, p. 559 et suiv.
57. R. Louis, Les églises d' Auxerre des origines au XIe siècle. Autessio-
durum christianum (Paris, 1962), p. 14 et suiv.
58. Les chanoines disposaient de maisons particulières au moins dès le
Xe siècle (Diplôme délivré entre les années 979 et 986, L. Halphen et F. Lot,
Recueil des actes de Lothaire et de Louis V, Paris, 1908, n° LVI, p. 129). Au
début du xive siècle, il y avait 37 maisons canoniales à l'intérieur du cloître
du chapitre (B. Guérard, op. cit., t. I, p. cvm-cix). Mais le cloître
canonial n'était pas aussi étendu avant la construction de la cathédrale actuelle,
comme l'indique la position du mur de clôture révélé par la fouille de 1711.
59. Cf. E. Lesne, Histoire de la propriété eccleisiastique, t. V : Les écoles
(Lille, 1940), p. 155, 176, 199-201 ; Ch. Samaran, « La formation de
l'Université de Paris », dans Paris. Fonctions d'une capitale (Paris, 1962), p. 63. '
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l' Hôtel-Dieu et cinq sanctuaires de la Cité, accrurent peu à peu


le prestige du chapitre de Notre-Dame. Ce prestige explique que
l'on ait reconstruit Notre-Dame sur un plan plus vaste, comme
l'ont montré les fouilles de 1711 et de 1858. Mais peut-il suffire
à expliquer que l'on ait abandonné dès la fin de l'époque
carolingienne l'église Saint-Étienne, qui avait probablement été à
l'époque franque la plus grande des cathédrales de la Gaule ?
On a voulu justifier cet abandon par un incendie qu'auraient
allumé les Normands. Ce n'est qu'une hypothèse, comme je
l'ai déjà dit, car aucun texte n'y fait directement allusion 61.
D'ailleurs la vraie difficulté est de comprendre pourquoi rien
ne fut fait pour restaurer ou reconstruire un édifice dont une
partie des murs étaient encore debout vers l'année 1110. A notre
avis, ce surprenant abandon peut s'expliquer à la fois par le rôle
tout à fait exceptionnel qu'assuma le chapitre de Paris au
lendemain des invasions normandes et aussi par une tendance
tout à fait générale qui s'affirme à cette époque, celle de remplacer
par un édifice unique, aux proportions imposantes, les églises
épiscopales multiples de l'âge précédent.
Les faubourgs de Paris et les campagnes avoisinantes furent
mis à feu et à sang par les Vikings 62. Quand la paix fut revenue,
la restauration des sanctuaires et des paroisses représentait une
charge si lourde pour l'évêque que celui-ci s'en déchargea en
partie sur ses chanoines 63. Il est certain que dans l'ancienne province
ecclésiastique de Sens, aucun chapitre n'a joué un rôle aussi
important dans la renaissance d'un diocèse, et ceci explique
sans doute pourquoi l'église propre des chanoines est devenue
la seule cathédrale de Paris.
Telle que l'avait conçue l'évêque de Metz Chrodegang au
vine siècle, l'institution canoniale avait un caractère semi-
monastique qui destinait ses membres beaucoup plus à la prière

60. Cf. B. Guérard, op. cit., t. I, p. cix et cxxxv.


61. Cf. F. Lot, « La grande invasion normande de 856-862 », dans
Bibliothèque de l'École des chartes, t. LXIX (1908), p. 12, note 1.
62. L'étude la plus récente est celle de Marie de La Motte-Colas
(Mjne (je Vitasse-Thézy ) , « Les possessions territoriales de l'abbaye de Saint-
Germain-des-Prés du début du ixe siècle au début du xive siècle, » dan»
Revue d'histoire de l'Église de France, t. XLIII (1957), p. 49 et suiv.
63. Vers 856, Charles le Chauve avait donné à l'église Notre-Dame le
« pont de la ville » avec ses loges (?) et ses moulins (cum areis et molendinis)
(A. Giry, M. Prou, F. Lot, G. Tessier, Recueil des actes de Charles le Chauve,
t. I, Paris, 1943, n° 186). Par un acte non daté, délivré à la demande de
l'évêque Imbert, le roi Henri Ier (1031-1060) confia les églises de Saint-
Étienne, Saint-Julien, Saint-Séverin et Saint-Bacchus, situées dans le»
faubourgs de la ville et qui étaient alors ruinées et abandonnées, aux cha
noines de Notre-Dame (R. de Lasteyrie, op. cit., n° 94, p. 120 ; F. Soehnée,
Catalogue des actes de Henri Ier. Paris, 1907, n° 30, p. 74). Cf. A. Friedmann,
Paris. Ses rues, ses paroisses du moyen âge à la Révolution, p. 81 et suiv.

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