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Compte rendu

Ouvrage recensé :

FAMERÉE, Joseph, L’Ecclésiologie d’Yves Congar

par Gilles Routhier


Laval théologique et philosophique, vol. 51, n° 3, 1995, p. 691-693.

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COMPTES RENDUS

été différentes et peuvent encore changer. Elle si suggestifs sur une question si centrale dans
nous fait retrouver la structure de l'Église au- les dialogues œcuméniques et si importante pour
delà des aménagements qui appartiennent à la la vie de l'Égl ise elle-même : « Église et papau-
conjoncture, qui sont toujours finis et temporai- té ».
res. Fréquenter l'histoire en compagnie de Con-
gar est toujours ressourçant. Cela ouvre les ques- Gilles ROUTHIER
tions plutôt que de les fermer ; donne de l'ho- Université Laval
rizon et de l'espace à la réflexion plutôt que de
l'enfermer dans les limites du présent.
Joseph FAMERÉE, L'ecclésiologie d'Yves Con-
Ce même paragraphe continue ensuite par gar. Coll. « Bibliotheca ephemeridum theo-
une citation de Vladimir Soloviev. Voilà un troi- logicarum lovaniensium », CVII. Louvain,
sième trait de cette théologie si suggestive : son Presses Universitaires de Louvain, 1992.
ouverture œcuménique, aussi bien en direction
de l'Orient chrétien que des courants réforma-
teurs de l'Occident. Une pensée théologique Les études portant sur le P. Congar et son
capable d'intégrer les questionnements et les in- œuvre sont déjà nombreuses (bibliographie :
tuitions de ces Églises avec lesquelles l'Église 472-474). On pourrait donc légitimement s'in-
catholique doit toujours entretenir des échanges terroger sur la pertinence d'une nouvelle étude.
et des rapports si elle veut sans cesse nourrir et Celle que nous présente J. Famerée tient du
approfondir son trait de catholicité qui est à sa pari : retracer le cadre systématique d'écrits de
source. Là encore, la méthode Congar ouvre des circonstances. En effet, l'auteur le reconnaît vo-
chemins et inspire les théologiens. lontiers, les écrits de Congar sont souvent des
écrits de circonstance (p. 36) et sont largement
Pour finir, je ne voudrais que souligner l'é- marqués par la conjoncture (p. 19, n. 9). Il est
tonnante actualité du propos. Son article sur la ré- d'ailleurs significatif que Congar n'ait jamais
ception, publié en 1972, demeure encore incon- mené à terme son projet d'écrire un traité sys-
tournable pour peu que l'on veuille, à nouveaux tématique d'ecclésiologie qu'il avait esquissé
frais, reprendre cette question aujourd'hui. Il a (Vraie et fausse réforme..., p. 7), mais ce n'est,
ouvert la voie à plusieurs autres qui lui ont comme le dira Jean-Pierre Jossua, qu'« au gré
succédé et qui l'ont, sous certains aspects, dé- des circonstances, de ses engagements et des
passé. Toutefois, en raison de la méthode Con- interpellations de son temps » qu'il en exposera
gar et de la puissance d'intuition qu'il recèle, cet des fragments. Il est donc à la fois périlleux et
article n'a pas vieilli. On pourrait dire la même tentant de vouloir imposer un cadre systémati-
chose de son article qui traite des « formes du que à un théologien qui a été avant tout intuitif
"magistère" et de ses relations avec les doc- et capable de faire voir que la réalité ecclésiale
teurs », question encore actuelle et sur laquelle était plus complexe qu'elle n'apparaissait.
on n'a pas beaucoup avancé depuis. Que dire au
sujet de la question du « pape comme patriarche Dans son étude, Joseph Famerée ne manque
d'Occident ». Les récents colloques de Salaman- jamais de situer les écrits congariens dans leur
que, celui sur les conférences épiscopales et contexte particulier d'élaboration. Les introduc-
celui sur la catholicité des Églises locales repo- tions aux ouvrages et les transitions qu'il amé-
saient à nouveau la question, sans que son trai- nage entre chacun des chapitres rendent justice
tement systématique ait beaucoup progressé de- au caractère circonstancié des écrits étudiés. Il
puis l'étude de Congar (1983). veut cependant aller au-delà d'une analyse poin-
tue de chacun des ouvrages pour nous faire em-
Il n'est pas nécessaire de recommander un brasser l'œuvre dans son ensemble, comme si cha-
ouvrage de Congar. On ne peut qu'en saluer la que pièce appartenait à un édifice et s'intégrait
parution et exprimer dans cette revue la recon- dans une architecture que nous serions capables
naissance d'une génération de théologiens qui de reconstituer. Cette recherche d'une trajec-
ont été formés à son contact et à sa lecture. On toire qui traverserait les ouvrages de Congar ou
ne peut que s'associer à l'Église qui reconnaît de « schemes ecclésiologiques » sous-jacents à
l'ampleur de sa contribution à la théologie con- l'ensemble de sa production guide la lecture que
temporaine en lui conférant le titre de Cardinal. fait Famerée des volumes publiés par Congar
On ne peut que remercier les Éditions du Cerf de entre 1937 et 1959, date de convocation de
nous offrir, à cette occasion, ce recueil d'articles Vatican II.

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À plusieurs égards, le pari est tenu et l'entre- gue avec des synthèses ecclésiologiques (catho-
prise est bien menée. Non seulement nous pou- liques, orthodoxes et réformées) élaborées dans
vons aisément retracer l'évolution sur vingt ans des contextes de plus grande sérénité et à un
des grandes thématiques congariennes (Église moment où elles peuvent afficher un caractère
sacrement du salut ; le laïcat ; le Saint-Esprit et de plus grande maturité. Ce dialogue peut venir
l'Église ; Église comme mystère et sujet histori- corriger, interpeller, nuancer, prolonger les pro-
que ; diversité et unité ; catholicité, sainteté et positions de Congar. C'est d'ailleurs toujours en
apostolicité ; Église locale ; communion ; carac- dialogue et en discussion avec ces différentes
tère eschatologique de l'Église ; Église et servi- instances que l'œuvre de Congar s'est élaborée.
ce du monde ; ministère et communauté), mais J'aurais donc préféré que la présentation des ou-
l'A. dégage les schemes de pensée fondamen- vrages de Congar ouvre sur une mise en dialo-
taux qui déterminent la pensée de Congar en gue plutôt que sur des « réflexions critiques ».
matière d'ecclésiologie : structure et vie ; causa- En somme, que sont devenues les « esquisses »
lité et moyens de grâce ; unité et diversité ; his- de Congar au moment de leur réception par le
toireet Église (p. 401-436). Au-delà de ces sche- mouvement ecclésiologique contemporain ?
mes ecclésiologiques, il y a également les fidéli-
tés de Congar, qui sont certes bien identifiées De notre point de vue, cet ouvrage a un inté-
tout au long de l'ouvrage de Famerée, mais pas rêt plus grand que celui que lui assignait son
reprises systématiquement en conclusion : sa pas- auteur, celui d'introduire une nouvelle généra-
sion de l'unité et du dialogue ; sa fréquentation tion au renouveau ecclésiologique de notre siè-
des sources communes (Écriture, Pères, litur- cle. En effet, peu d'étudiants des premier et
gie) ; son attention à la vie ecclésiale contempo- deuxième cycles de nos facultés de théologie
raine et à son histoire. Cela, autant que les sche- ont lu ou liront plusieurs ouvrages de Congar.
mes théologiques fondamentaux, dont la con- Nous avons, avec l'étude de Famerée, un ou-
ceptualité est parfois dérivée de la scolastique, vrage capable d'introduire les étudiants à cette
est au fondement de l'œuvre de Congar. Ces œuvre monumentale de l'ecclésiologue français,
trois pointes du triangle nous donnent, en résu- un ouvrage apte à guider et à orienter leur re-
mé, la méthode de Congar et témoignent de cherche. Cet ouvrage, à travers la relecture d'un
l'originalité de l'œuvre. auteur, introduit à l'histoire fascinante de l'ec-
clésiologie au XXe siècle. À travers l'œuvre de
Congar, il donne accès à une nouvelle généra-
La présentation de chaque ouvrage de Con- tion aux débats ecclésiaux qui ont marqué la
gar est suivie de réflexions critiques. Celles-ci première moitié du vingtième siècle. Cela cons-
mettent souvent en dialogue la pensée de Con- titue un grand mérite de l'ouvrage.
gar avec les avancées ecclésiologiques que l'on
connaîtra par la suite ou encore avec l'ecclésio- L'ouvrage constitue également une excel-
logie des autres confessions chrétiennes, spécia- lente introduction à la compréhension des do-
lement la pensée orthodoxe (p. 406-409 ; 628- cuments de Vatican II. Famerée a raison de sou-
629 ; 745 ; 762-766), qui est familière à l'A., et par- ligner qu'au cours de la période qui va de 1954
fois aussi avec la théologie luthérienne (p. 1128- à 1959, « Congar y a abordé et traité, partielle-
1129 ; 1144-1146). Les remarques tombent géné- ment du moins, la plupart des thèmes qui forge-
ralement juste et il demeure important d'exami- ront la nouveauté du Concile Vatican II »
ner le destin des avancées ecclésiologiques pré- (p. 400, n. 1463). Notre expérience nous indique
conciliaires. Faut-il cependant parler de « ré- qu'en dehors de leur horizon historique et de
flexions critiques » ou faudrait-il adopter un con- leur contexte d'élaboration, les textes conciliai-
cept plus heureux ? En fait, il est risqué de juger res demeurent souvent hermétiques aux étu-
a posteriori une pensée qui est marquée du ca- diants pour qui l'histoire commence bien après
ractère provisoire et inachevé des « écrits d'oc- Vatican II. Il est rafraîchissant pour eux de se
casions ». De plus, l'A. nous le rappelle sans relier à la génération de leurs grands devanciers
cesse, les limites de cette époque grevaient fata- qui ont pris des risques, osé, patienté et souffert,
lement l'entreprise : un cadre conceptuel encore à la génération de ces passeurs de frontières qui
inadéquat pour penser le mystère de l'Église dans sont entrés en dialogue avec leurs contempo-
les termes qui sont les nôtres et les restrictions rains et qui ont affronté, avec sérieux et intelli-
disciplinaires qui limitaient sensiblement l'ex- gence, les questions de leur époque. Cela de-
pression. Dans ce contexte, nous croyons que meure stimulant pour des étudiants qui en sont
l'œuvre de Congar entre avec bonheur en dialo- au commencement de l'entreprise théologique.

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Il s'agit donc d'une étude menée avec fines- semblé, ce matériau jusque là épars, sera suffi-
se et intelligence qui met en évidence la richesse samment éloquent pour témoigner de l'évolu-
et la complexité de l'œuvre de Congar. Elle est tion de la pensée du Cardinal. À la lecture, on
tout au crédit de Joseph Famerée. On trouve là peut se montrer assez satisfait du résultat, même
une indication du fait que la génération mon- si la limite des sources laisse encore dans l'om-
tante des théologiens de Louvain pourra garder bre certains aspects de cette évolution.
vivante la tradition ecclésiologique qui a fait la
réputation enviable de cette institution. Dès les premières pages de l'ouvrage, une
clé d'interprétation de l'évolution de la pensée
Gilles ROUTHIER de Léger transparaît : « Héritier d'une formation
Université Laval ultramontaine, Mgr Léger arrive à Montréal à
l'apogée du pontificat du pape Pie XII et s'ap-
puie avec assurance sur le bastion indéfectible
Denise ROBILLARD, Paul-Émile Léger. Évolu- de Rome [...] » (p. 13). Cette référence capitale
tion de sa pensée : 1950-1967. Coll. « Ca- au pape est davantage élaborée des pages 29 à
hiers du Québec », 105. Montréal, Hurtubise 31 : au moment du séminaire, son premier con-
HMH, 1993. tact avec Pie XI, la vénération de Léger pour Pie
XII (p. 188) et sa familiarité avec Jean XXIII
La publication de la recherche doctorale de (p. 186-188). Bref, derrière l'évolution, parfois
Denise Robillard sur l'évolution de la pensée de jugée radicale, de la pensée de Léger, ne faut-il
Paul-Émile Léger estheureuse, à plusieurs égards. pas voir une continuité : l'alignement de sa pen-
D'abord, la figure elle-même du Cardinal Léger sée sur celle du Pape. L'évolution de sa pensée
est suffisamment importante pour que des étu- correspondrait alors aux changements de ponti-
des sérieuses lui soient consacrées. Non seule- ficats et aux changements de tendances qu'ils
ment a-t-il été vénéré par son peuple de Mont- entraînent : « il a adhéré à tout ce qui émanait de
réal et du Québec — la célébration de ses obsè- Rome avec une docilité aveugle qui s'interdisait
ques en témoignent — mais il a également été toute contestation [...] » (p. 276). Reste donc
un acteur de premier plan de notre histoire une énigme, un point d'ombre que n'éclaire pas
récente, jouant un rôle clé dans l'évolution ré- ce volume : les rapports entre Léger et Paul VI
cente de l'Église du Québec et, plus largement, qui ne sont pas suffisamment mis en lumière à
dans le devenir du Québec contemporain et de travers les allocutions de Léger. Pouvait-il, aussi
l'ensemble de l'Église, en raison de sa partici- facilement, correspondre aux orientations de ce
pation remarquée à Vatican II. Pour plusieurs, dernier ? De plus, à partir de 1965, Maurice Roy
« le cardinal Léger reste le témoin privilégié de n'apparaît-il pas, aux yeux de Montini, comme
l'évolution qui a balayé les institutions tradi- l'homme-clé de l'épiscopat québécois ? Ces
tionnelles du Québec » (p. 282). C'est pourquoi deux questions méritent, il me semble, un ap-
cette étude sera également bien accueillie par les profondissement si l'on veut voir plus clair dans
chercheurs, car elle vient combler deux lacunes l'évolution de la pensée de Léger.
importantes : des travaux sur l'Église du Québec
au tournant des décennies 1950-1960 et une étu- Par ailleurs, tout le volume est dominé par le
de critique de l'œuvre de Paul-Émile Léger. Les souci de « mieux comprendre les raisons pro-
travaux de Micheline Lachance ne répondant fondes, et peut-être peu conscientes, de son (de
pas à cette exigence de critique des sciences his- Léger) départ de Montréal » (p. 13 ; 273). Pre-
toriques. nant à revers la version officielle des faits, l'A.
prétend que Léger n'était pas en mesure de vivre
L'ouvrage de l'A. s'appuie sur une documen- dans un nouveau contexte social et était inca-
tation considérable, plus de 1 500 allocutions pable de vivre l'Église sous un autre mode que
(p. 14). Toutefois, nous regrettons avec l'A. (lire celui qu'il avait connu avant Vatican II. Cette
note 2, p. 18) le fait qu'elle n'ait pu avoir accès thèse ambitieuse, Denise Robillard l'appuie soli-
à certains documents d'archives mis pourtant à dement sur les discours qu'elle analyse (ch. VIII
la disposition de Mme Lachance. Le travail ne et surtout le ch. XI). Elle est donc bien étayée et
s'appuie donc pas sur des matériaux inédits, elle n'est pas gratuite. Il ne faut pas la rejeter
mais sur des sources appartenant déjà au domai- d'emblée, même si elle choquera ceux qui
ne public : allocutions, sermons, discours publics conservent une grande vénération pour Léger,
(p. 13). En somme, l'A. fait le pari que, ras- admirant sa sainteté et sa générosité. Toutefois,

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