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Revue théologique de Louvain

Benoît Standaert, L'Évangile selon Marc. Composition et genre


littéraire., 1978
Alice Dermience

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Dermience Alice. Benoît Standaert, L'Évangile selon Marc. Composition et genre littéraire., 1978. In: Revue théologique de
Louvain, 14ᵉ année, fasc. 1, 1983. pp. 101-104;

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«concubinage» (p. 345-352), puis à celle que suppose la traduction officielle


française: «union illégitime», reflétant une opinion défendue par J. Bonsirven et
surtout par H. Baltensweiler (p. 353-383), et enfin à l'hypothèse de J.Moingt,
envisageant que la rédaction de Mt aurait été influencée par la lex Iulia de
adulteriis coërcendis (p. 383-395). Les discussions sont bien menées, à partir d'une
bonne information; nous nous demandons cependant si l'A. ne se laisse pas
entraîner trop loin quand, dans son examen de la thèse de Baltensweiler, il croit
devoir donner un sens «moral» à pomeia, même dans l'usage qui est fait de ce
terme au concile de Jérusalem (Ac 15).
Voici donc une étude sérieuse visant à appuyer solidement l'exégèse des
clausules matthéennes la plus communément admise aujourd'hui par les
spécialistes, même catholiques: dans la communauté judéo-chrétienne à laquelle
s'adresse l'évangile de Matthieu, la très haute idée qu'on a de la sainteté du
mariage a conduit à introduire une dérogation au principe de l'indissolubilité
énoncé par Jésus, et l'on autorise le divorce non seulement en cas d'adultère
flagrant, mais, plus largement, dès que la conduite de la femme est de nature à
porter préjudice à l'honneur de son mari. En soi, cette exception n'est pas plus
choquante que celle qui avait été faite par Paul dans un contexte helléno-chrétien.
En pareil domaine, on ne peut pas s'attendre à ce que l'interprétation du
P. Marucci rallie tous les suffrages. Nous souhaitons cependant qu'elle alerte
utilement les théologiens sur l'ecclésiologie qu'elle sous-tend. Le Nouveau
Testament n'a pas été donné à l'Eglise pour dispenser les pasteurs de la
responsabilité de la charge qui leur est confiée. Le principe affirmé par Jésus n'a
pas empêché Paul d'envisager des dérogations destinées à procurer le bien des
âmes dans des situations nouvelles, et on ne voit pas pourquoi, a priori, Matthieu
n'aurait pas pu adopter la même attitude. De tels exemples font autorité pour
l'Église: les directives qu'elle a reçues de son Seigneur, elle a à les appliquer dans
l'Esprit du Seigneur. C'est évidemment beaucoup plus difficile que de s'en tenir à
des principes abstraits («indissolubilité») et à des prescriptions juridiques. Le
P. Marucci n'a pas tort de dire, dans le sous-titre de son ouvrage, que sa
recherche exégétique constitue une invitation à une reconsidération théologique,
canonique et pastorale de la doctrine catholique de l'indissolubilité du mariage.
Sous, cet angle, sa portée nous paraît considérable.
Le livre est austère. Cela tient sans doute d'abord à la nature de sa recherche et
à la rigueur scientifique de sa démarche. Mais peut-être aussi à une ordonnance
qui n'est pas toujours heureuse et à un style souvent lourd : on peut espérer que,
rentré en Italie, l'A. y réapprendra à s'exprimer d'une manière plus conforme au
génie de sa langue maternelle.
B - 1340 Ottignies-Louvain-la-Neuve , J. Dupont
abbaye de Clerlande.

Benoît STANDAERT, L'Évangile selon Marc. Composition et genre littéraire.


Bruges-Zevenkerken, 1978. 679 p. 21 x 15,5.
Dans cette dissertation doctorale, défendue à la Faculté de théologie de
Nimègue en juin 1978, B. Standaert s'attache à étudier le second évangile comme
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entité littéraire. Pour introduire ce type particulier d'approche, il commence par


situer Marc dans son milieu culturel, une période où les textes étaient destinés à la
lecture orale, à la déclamation. Obéissant aux impératifs d'une pratique parente
de l'art oratoire, l'évangéliste a composé son œuvre de manière fort
conventionnelle et s'est conformé, jusque dans les moindres subdivisions, aux règles en usage
(p. 8). La première partie de la dissertation est consacrée à la vérification de cette
thèse, à montrer que le récit évangélique répond à la fois aux critères des genres
oratoire, dramatique et narratif (p. 9). Puis, l'A. «essaie de déterminer la position
précise du récit évangélique sur la toile de fond des textes contemporains, grecs et
latins». Il s'interroge enfin sur la fonction de ce long récit unifié, qui n'était pas
conçu pour être lu de manière fragmentaire, mais en une fois. A son avis, il s'agit
d'un texte initiatique, proclamé lors de la veillée pascale, immédiatement avant la
célébration du baptême (ibid.): le Sitz im Leben du deuxième évangile serait donc
pascal et baptismal.

Les conclusions obtenues par l'étude littéraire du texte s'inscrivent en faux


contre l'opinion des exégètes qui dénient à Marc toute valeur littéraire et tiennent
son évangile pour un genre à part, sans «rien de commun avec les productions
proprement littéraires de l'Antiquité»; seule la Redaktionsgeschichte, encore
récente, «lui reconnaît une pensée théologique» (p. 12-13). Pour qu'on lui
suppose ainsi une formation rhétorique, il faut d'abord que la chose soit
vraisemblable. L'A. prévient l'objection en affirmant que, même éduqué en
Palestine, et a fortiori ailleurs, Marc pouvait bénéficier d'une bonne formation
hellénistique: rien n'empêche donc de confronter son évangile aux modèles
antiques de composition. Or, nous en connaissons deux, l'un rhétorique, l'autre
dramatique, qui sont moins différents qu'il n'y paraît : leur schéma fondamental
comporte, en effet, trois parties (les faits, le développement et les conséquences)
encadrées par une introduction et une conclusion. Il convient, selon l'A., d'y
ajouter «un troisième schéma, la disposition concentrique, qui joue un rôle
incontestable dans la pratique, même si la théorie littéraire ancienne ne l'a pas
traité formellement» (p. 37). Pourtant, «récit marqué par une référence non
ambiguë à des événements passés, l'évangile de Marc se présente comme une page
d'histoire. Est-on en droit de lui appliquer deux modèles de composition qui
appartiennent à d'autres genres?» (p. 39), Comme il n'y a pas de théorie littéraire
du récit chez les anciens, mais que les théoriciens de l'éloquence et du drame
l'envisagent du point de vue qui leur est propre, l'A. estime la démarche
suffisamment justifiée.
Quand on applique au texte de Marc une grille de lecture rhétorique, «il se
laisse diviser en cinq grandes parties, qui correspondent aux divisions
traditionnelles du discours, même si une influence de la composition dramatique y est
également observable» (p. 42). 1) Me 1,1-13, qui constitue l'introduction,
présente Jésus en le situant dans un réseau de relations théologiques; 2) Me 16, 1-
8, qui clôture l'évangile, combine conclusion (référence à 8, 35, centre de
l'évangile, et à d'autres passages importants) et renvoi. L'introduction et la
conclusion se correspondent, grâce aux deux messagers, porteurs d'une bonne
nouvelle qui s'adresse aussi aux destinataires de l'évangile. Le corps du récit se
subdivise en trois parties: a) la narration (1, 14 à 6, 13), b) l'argumentation (6, 14
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à 10,52) et c) le dénouement du drame (11, 1 à 15,47). Chacune des parties est


organisée autour d'un centre : le grand discours en paraboles pour la narration, le
discours du chapitre 13 pour le dénouement. L'argumentation se subdivise à son
tour en trois sections: 6, 14 à 8, 26 constitue une «reprise de la narration», 9, 14 à
10,52 prépare le dénouement, tandis qu'au centre de l'évangile, 8,27 à 9,13
réunit les thèmes des deux autres sections et rassemble tous les motifs importants
de l'évangile. L'ensemble se déploie de façon concentrique: comme l'introduction
et la conclusion, la narration et le dénouement se correspondent, avec en leur
centre les deux seuls grands discours de Marc. Il en va de même pour
l'argumentation. Les deux sections extrêmes se correspondent par l'antithèse de
leur thématique, tandis que la section centrale est elle-même articulée de façon
parfaitement concentrique: l'exhortation générale à la sequela, en 8, 34 - 9, 1,
constitue le point central de toute la composition du récit. Le schéma d'ensemble
«est renforcé par plusieurs procédés rhétoriques conventionnels dont la fonction
est d'articuler davantage les grandes parties du discours»: proposition en 1, 14-
15, digression entre la narration et l'argumentation en 6,17-29, «propositio-
partitio»1 constituée par la triple identification de Jésus au début de
l'argumentation, exhortation (9,14 à 10,52) située après le moment central,
comme il était d'usage dans un discours épidéictique. Ces articulations
concourent à unifier la composition de l'évangile, organisé selon un modèle
concentrique, autour de la question christologique et de la condition du disciple.
Pourtant, le schéma qui sous-tend le récit de Marc n'est pas purement
rhétorique: l'A. y perçoit une composante dramatique, le dénouement (11, là
15,47) qui occupe la place de la réfutation. En outre, tout l'évangile porte la
marque d'une double dramatisation. Dans les deux récits de passion (celle de
Jean-Baptiste, en 6, 17-29 et celle de Jésus, de 14, 1 à 15,47), la dramatisation
profonde est manifeste; par ailleurs, le prologue, la «reconnaissance» qui
constitue le pivot central de l'évangile, et l'épilogue avec son jeune homme-
messager-deus ex machina, relèvent du procédé dramatique. On peut donc tenir
l'introduction du récit pour un exorde ou un prologue, tandis que la finale
correspond aussi bien à la conclusion d'un discours qu'à un épilogue dramatique;
la narration est en même temps «protase», l'argumentation représente le moment
crucial de l'action, lequel est suivi d'un dénouement en deux phases (la seconde, à
partir du chapitre 14, formant un drame en soi). Les deux schémas, rhétorique et
dramatique, qui se superposent ou se complètent, assurent au deuxième évangile
une unité de composition remarquablement cohérente.
En examinant ensuite l'organisation des grandes parties du récit, tout comme
des petites unités qui le constituent, l'A. découvre la même recherche de
disposition concentrique, d'articulation des éléments et de gradation dramatique.
Cette longue et patiente analyse, qui se développe de la p. 109 à la p. 367, révèle la
présence de modèles littéraires conventionnels dans toutes les composantes du
deuxième évangile, aussi bien que dans sa structure d'ensemble.
Soigneusement élaborée et unifiée, l'œuvre de Marc n'en reste pas moins
difficile à classer dans la production littéraire de son époque, C'est le problème
auquel l'A. consacre toute la deuxième partie de son étude. Après avoir souligné
la double influence exercée par la rhétorique et le drame sur l'histoire, il évoque
longuement le précédent que constitue à ses yeux le livre de Judith. Refusant par
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ailleurs de définir Marc comme un drame apocalyptique ou une biographie de


type hellénistique, déçu par le témoignage de Papias, il s'attache alors à préciser
quels sont les destinataires de cet évangile. La tradition, la critique interne et
l'archéologie convergent pour le situer à Rome. Ainsi se trouve expliquée la
discordance entre la composition savante et la simplicité, voire la pauvreté de la
langue marcienne, laquelle n'est autre que le grec parlé à Rome dans les
communautés juives. On peut donc dire que l'évangile de Marc relève de la
littérature contemporaine par la formation de son auteur, mais qu'il s'en
distingue aussi par sa fonction liturgique, comme l'A. s'efforce de le montrer dans
la dernière partie de son étude.
A son avis, la thématique baptismale, bien présente à l'intérieur du texte, d'une
part, les témoignages de la patristique et certains apocryphes, qui ne fournissent
pourtant pas d'indices précis, d'autre part, rendent défendable l'hypothèse d'un
contexte baptismal pour l'évangile de Marc. Il en va de même, selon l'A., pour
l'hypothèse, déjà avancée par d'autres, selon laquelle cet évangile serait une
haggada pascale: les grandes articulations littéraires du texte mettent en valeur
plusieurs thèmes empruntés à la Pâque juive, mais transposés dans une catéchèse
christologique. En outre, la prière nocturne était pratiquée par les Juifs et les
premiers chrétiens ; par ailleurs, plusieurs livres, tant de l'Ancien que du Nouveau
Testament, semblent destinés à une lecture festive. Il faut admettre cependant
qu'on ne dispose d'aucun témoignage qui ferait allusion à une lecture du
deuxième évangile au cours d'une veillée pascale et baptismale : on ne sait même
rien de certain quant à l'existence d'une fête chrétienne de la Pâque à Rome vers
la fin du 1er siècle. Dès lors, on peut seulement, et c'est la conclusion ultime de
l'A., considérer le texte même de Marc comme le principal témoin de sa fonction
liturgique dans le cadre de la pratique du «dimanche» annuel.

Volumineuse, riche et touffue, cette étude ouvre des perspectives très


intéressantes pour une relecture du deuxième évangile. L'approche littéraire est
incontestablement la plus éclairante, même si l'on est quelque peu surpris de voir
le récit, structuré selon un schéma oratoire, déboucher tout à coup sur un
dénouement et un épilogue. De plus, en insistant sur la dramatisation de la
Passion, l'A. semble supposer que Marc jouit d'une grande liberté; or
l'évangéliste traitait un donné qui se présentait à lui sous une forme sans doute
déjà élaborée. La remarque vaut dans une moindre mesure pour l'ensemble de
l'analyse littéraire: on souhaiterait percevoir plus clairement comment le
rédacteur marcien assume et dépasse les contraintes de la tradition pour les intégrer
dans une œuvre littéraire et théologique, ou plutôt initiatique. Tout comme la
structuration formelle dont elle dépend, cette hypothèse semble peser sur
l'exégèse de certains passages, l'infléchissant dans un sens baptismal et pascal, qui
n'est pas indiscutable (et a d'ailleurs été contesté). On a dès lors l'impression d'un
va-et-vient dialectique entre les thèses et les preuves, qui s'appellent l'une l'autre,
plus qu'elles ne sont fondées objectivement. S'il manque parfois de rigueur et de
clarté dans la méthode, cet ouvrage foisonne néanmoins d'intuitions novatrices :
les exégètes de Marc auront désormais à en tenir compte dans leurs recherches
sur la composition et le Sitz im Leben du deuxième évangile.
B - 1150 Bruxelles, Alice Dermience
val des Seigneurs 142/8.

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