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Université du Québec à Rimouski

Campus de Rimouski

Compte rendu de comptes rendus (15 %)

Par
Justin Côté-Dupuis
Département des lettres et humanités

Travail présenté à M. Jean-René Thuot 


Méthodologie de la recherche historique
(HIS7013-06)

30 septembre 2021
Comparaison des présentations de l’ouvrage

La présentation de l’ouvrage est réalisée de façons différentes dans chacun des comptes
rendus analysés. Ces différences peuvent s’expliquer en raison des champs d’expertise
variés des intervenants et peut-être, d’un certain laxisme des règles méthodologiques
concernant la rédaction de compte rendu à cette époque.

De prime abord, il est intéressant de noter que les quatre comptes rendus se gardent de
présenter Serge Gagnon. Cette omission collective s’explique fort probablement
considérant la notoriété de l’auteur dans la communauté scientifique. Il a notamment
remporté le prix Lionel-Groux une décennie plus tôt.

Dans le compte rendu d’André Cellard, il transparait que l’auteur commente une étude
hors son axe de spécialisation. Professeur à l’Université d’Ottawa dans le département de
Criminologie, il est reconnu principalement pour ces travaux en histoire des mentalités.
Cellard commence sa présentation en situant l’œuvre de Gagnon dans l’historiographie
québécoise : « Gagnon va infiniment plus loin dans son étude que La Vie libertine en
Nouvelle-France que nous a donnée R-L. Séguin deux décennies plus tôt » (p. 327). C’est
le seul intervenant qui place l’étude dans son contexte historiographique. Par ailleurs, il
situe cette recherche en continuité avec les autres études de Gagnon qui s’inscrivent,
selon lui, dans une tentative « de lever un peu plus le voile sur l’intimité profonde de nos
ancêtres » (p. 327). Il évoque également rapidement les sources utilisées par l’auteur.

Dans son compte rendu, Marcel Bernos, un spécialiste en histoire de la régulation


sexuelle catholique en France, présente l’ouvrage dans une perspective « française »,
c’est-à-dire qu’il s’adresse à un auditoire « français ». Il soulève que cette étude
québécoise en histoire de la sexualité « conserve avec leurs cousins de la mère-patrie
suffisamment de similitudes de mœurs pour que la comparaison affine notre
compréhension des situations, et assez de différences pour que les spécificités surgissent
et qu’on n’ait pas une impression de déjà lu » (p. 172). Bernos aborde, ensuite, le sujet de
la bibliographie qu’il évoque d’une part, sur un ton quelque peu désabusé comme « en
partie “française” » (p. 172) et d’autre part, avec enthousiasme comme original parlant
des sources « canadienne ».

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La présentation de l’ouvrage par Raymond Lemieux est beaucoup plus dense que dans les
autres comptes rendus. Lemieux, professeur à l’Université Laval, est un intellectuel très
influent en histoire et en sociologie de la religion au Québec. Près de dix ans après la
publication ce compte rendu, il reçoit la chaire de recherche en histoire religieuse. Tout
d’abord, il présente l’ouvrage comme un « petit livre — qui nous entraine à en vouloir
davantage — qui mérite de retenir l’attention à plus d’un titre » (p. 544). Il soulève
notamment la rigueur de l’enquête historique et de l’originalité du dossier, mais il insiste
avec pesanteur sur le regard sociologique de Gagnon dans l’étude. Cette dernière phrase
quoiqu’un peu longue, mérite d’être citée au complet, car elle illustre le ton ambivalent
du compte rendu :

Enfin, il jette sur ce dossier un regard résolument sociologique, ce que


tout historien a certes bien le droit de faire, ce qu’aucun historien ne
peut d’ailleurs éviter de faire puisque, à l’instar de tout être humain, il
est détenteur d’une sociologie implicite qui lui dicte une partie de ses
jugements, mais que beaucoup, par une prudence bien compréhensible,
se refusent à faire (p. 544).
Il est possible de discerner que la formation première de Lemieux est la sociologie et on
semble percevoir presqu’une certaine animosité pour « l’historien ». Par ailleurs, il ne fait
aucune mention des sources et des études utilisée dans sa présentation.

Le compte rendu de Paul Lachance, professeur à l’Université d’Ottawa en histoire de la


colonisation et des communautés religieuses, est de loin le plus court. Sa présentation de
l’œuvre est rédigée en trois phrases bien tassées. Il est le seul intervenant à écrire en
anglais, il expose succinctement l’objectif de la recherche, les thèmes abordés et la
documentation qui est utilisés.

Comparaison des résumés analytiques

La partie du résumé analytique dans le compte rendu de Cellard est très laconique. Il
présente les deux sections en y proposant les grandes lignes directrices. Il écrit :

Dans la seconde partie de son ouvrage — “Confesser ses péchés” —


l’auteur s’est surtout attardé à nous brosser un tableau des différents
tabous et péchés, des plus graves aux plus bénins, tel qu’entendu en
confession  (p. 329).

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À cette phrase, il en ajoute deux pour clore sur cette partie du livre qui représente tout de
même la moitié de celui-ci. Il enchaine sur l’utilisation judicieuse que fait Gagnon des
sources et de la documentation mobilisées dans son étude. Il relève une question
importante de l’étude: « Les fidèles d’autrefois avouaient-ils tous leurs péchés ? » (p. 329)
Cette question est fondamentale pour l’utilisation et la compréhension des limites des
sources utilisées dans sa recherche. Il expose que « Gagnon a postulé que oui. Faisant un
rapport entre les “nouveaux confesseurs de la vie intime” que sont désormais les
médecins et les “psy” » (p. 329). La partie analytique de Cellard ne s’étend pas trop, il
pousse tout de même plus loin sur la réflexion autour de la documentation utilisée par
Gagnon.

Dans son résumé analytique, Bernos reste avec une perspective « française » dans son
analyse de l’œuvre. Il soulève autant les similitudes que les différences de l’ouvrage avec
les études françaises : « les habitants du Québec continuaient à pratiquer largement le
sacrement de pénitence, alors même qu’en France on y avait moins volontiers recours »,
« comme le clergé français […], le clergé canadien […] », « […] qui a montré à la fois les
points communs avec la situation française » (p. 172). Par ailleurs, la force de la verve de
Bernos parait lorsqu’il manipule les mots du titre du livre de façon à faire réfléchir sur la
manière de voir le sujet en lui-même, « parodiant le titre de l’ouvrage, on pourrait déceler
chez eux (l’Église) : “amour de Dieu et crainte du plaisir” » (p. 172). L’auteur n’aborde
pas le fait que le livre est divisé en deux parties principales. Bernos prend, donc, des faits
et résultats de recherches éparses pour les établir dans une entreprise de différentiations et
de similitudes aux études françaises.

Le résumé analytique de Lemieux tire un peu dans tous les sens. D’abord, fait notable, il
effectue une appréciation critique de l’œuvre dès le troisième paragraphe ce qui est, à ma
connaissance, plutôt inhabituelle. Il entreprend, ensuite, le résumé analytique. En premier
lieu, il expose la conclusion de Gagnon qui est, selon lui, « tout autant d’ordre
épistémologique que d’ordre historique » (p. 545). Il présente la conclusion de Gagnon
dans un très long extrait. Lemieux évoque également la pertinence de l’angle d’approche
historique de l’auteur sur le plan « des enjeux de la régulation sexuelle prémoderne au
Canada » qu’il appuie fortement « Gagnon nous engage dans la seule voie possible de la

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conscience historique, celle du relativisme » (p. 545). Étant spécialiste de l’institution
catholique, Lemieux fait une longue mise en contexte de l’évolution de l’Église dans la
période touchée par l’étude, mais force est d’admettre qu’il s’égard de l’objectif du
compte rendu. Néanmoins, il enchaine avec « ce n’est que dans ce contexte, complexe,
que son travail de régulation des mœurs, plus difficile et souvent plus nuancé qu’il ne
semble à première vue, a pu se réaliser » (p. 545). Pour terminer, il souligne le rôle de
l’Église dans l’intégration d’un ordre du monde à cette époque et il fait intervenir, encore
une fois, deux longues citations. Il est à noter qu’il ne montre point la structure et
l’argumentaire de l’œuvre.

Dans son résumé analytique, Lachance expose la problématique et les résultats de l’étude
en relevant de manière condensée que : « Gagnon duly notes the excessive culpabilisation
wich resulted from such a system, but also balances his appraisal by pointing to some of
its complementary constituents such as the imperative of justice […] » (p. 525). Lachance
ne fait également aucune mention de la structure du livre. Il soulève également l’idée
soutenue par Gagnon que « the sex trerapist has replaced the priest as regent of sexual
mores » (p. 525).

Comparaison des évaluations critiques

Dans son évaluation critique, Cellard questionne l’approche aux sources de Gagnon : « la
relation confesseur-fidèle/patient-médecin est-elle vraiment comparable ? » (p. 329). Il
soulève quand même que le point de vue de Gagnon a le mérite de soulever un débat très
intéressant. Cellard utile une langue juste pour soulever cette réserve tout en appuyant
positivement la démarche de Gagnon. Il témoigne de la qualité de l’ouvrage écrit « dans
un style littéraire agréable, alerte et imagé » (p. 329). Il termine sur une note positive en
indiquant « que Gagnon a produit un ouvrage dont l’impact pour notre historiographie est
loin d’être négligeable » (p. 329). Somme toute, le compte rendu de Cellard bien que
court à certains endroits, est clair, précis et nous permet de glisser à travers les grandes
thématiques et enjeux de l’ouvrage.

Pour sa part, Bernos note que le

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fréquent regard comparatif jeté sur notre époque (théoricien de la
sexualité inclus) aiguise notre attention aux particularités de la période
du passé choisie permet en même temps de jauger et relativiser nos
propres mœurs sexuelles dont l’auteur montre les limites  (p. 172).
Il souligne donc l’importance et la richesse de mobilisées des études de d’autres champs
d’expertise pour enrichir la compréhension historique du sujet. Bernos amène le lecteur à
ne pas nécessairement considérer cette évolution comme uniquement profitable (période
de l’étude à aujourd’hui), mais comme une évolution de « problèmes » dans les nouvelles
sphères de la vie intime en raison des changements culturels qui s’opèrent dans nos
sociétés. Dans son commentaire final, Bernos souligne les références de cas concrets,
l’aisance dans la lecture et les pistes de réflexion intéressante sur l’histoire de la
sexualité. Dans le compte rendu de Bernos, il est facile d’apprécier que c’est un expert de
ce domaine. Il s’exprime clairement et son jeu de mots avec le titre nous a montré sa
profonde compréhension du sujet à l’étude. C’est, à notre avis, le compte rendu le plus
complet des quatre.

L’évaluation critique de Lemieux commence dès le troisième paragraphe lorsqu’il écrit


cette phrase assez déstabilisante pour les chercheurs lisant le compte rendu :

Je le [l’ouvrage] verrais bien, pour ma part, comme outil de méditation,


entre les mains des enseignants du secondaire et du collégial, de même
qu’entre celles des leaders d’opinion, chroniqueurs et éditorialistes qui
s’avisent (p. 544).
Cette phrase porte à réflexion, même si elle ne se veut pas une critique singulièrement
négative en soi, pour un académique elle équivaut à un coup de poignard. Juste avant,
Lemieux évoque que c’est « par sa mise en perspective sociologique que ce livre mérite
plus qu’un arrêt comme ceux qu’on accorde, en touriste, à l’originalité d’un paysage
étranger » (p. 544). Encore une fois, les mots choisis par Lemieux fouettent l’intégrité de
la recherche de Gagnon. Cette phrase souligne un intérêt pour le livre tout en discréditant
complètement la valeur historique du livre. Ces deux extraits constituent des critiques
cinglantes sur l’étude en entier sans préciser les points de chute de ses commentaires.
Dans le dernier paragraphe de son texte, il écrit sous un ton plus partagé : « c’est aussi ce
qui fonde la pertinence, à la fois de la découverte historique à laquelle Gagnon nous
invite, et du regard sociologique qu’il nous propose » (p. 546). Il termine son texte sans
faire mention de l’œuvre de Gagnon, Lemieux part plutôt sur une réflexion

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épistémologique du travail de l’historien. Il faut en conclure qu’il ne conseille pas
l’ouvrage aux académiques, mais plutôt aux gens mentionner dans la première citation. Il
place en quelques sortes l’ouvrage dans la catégorie des livres de vulgarisation. En ce qui
concerne le compte rendu de Lemieux, nous notons une structure mélangeante par
moment et lourde. Il s’exprime dans une langue claire, mais le contenu de son propos est
peu compréhensible. À tout moment, il s’éloigne de l’objectif du compte rendu, de rendre
compte de l’ouvrage, pour partir sur des conceptualisations d’idées qu’il lance. Le pont
entre l’étude, ses idées et ses critiques ne se fait pas aisément, ce qui rend le tout
incohérent.

Dans le cas de Lachance, il continue de briller par la brevetée de ses propos. Tout
d’abord, il propose un ajout dans l’approche d’analyse qui, à son avis, aurait pu bonifier
l’étude : « he could have enchanced his porrait by including the extensive influance
which Catholic popular piety exercised to anchor the lengendary large French Quebec
family in solid trust of God’s providential care » (p. 525). Dans son appréciation critique
final, il ne statue pas sur le contenu et la portée de l’œuvre, mais il y va plutôt de cette
phrase: « Il one is to judge by the breakdown of the family structure and the alarming
violence and abuse which mark much of modern sexual practice, it could well be that
succeding generation in Quebec, as elsewhere, will regard this one with considerable
dismay and conceivably entertain a certain nostagia for « les bons vieux temps» of
French Quebec. » (p. 525). Pour être honnête, cette phrase porteuse de jugement de valeur
aux allures d’une ouverture d’un texte de secondaire cinq est pour le moins dire un peu
malaisante. En somme, le compte rendu de Lachance est décevant, car il est peu
informatif, très bref et il n’apporte pas de réel regard critique sur l’œuvre.

Bilan et futures pistes de recherche

La première section m’a permis d’observé que les différents intervenants provenaient
d’horizons différents et que d’aucuns, dans leur compte rendu, ont jugé nécessaire de
présenter Serge Gagnon. De plus, j’ai pu prendre en compte des particularités de chacun

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et constater l’angle d’approche qu’il allait prendre pour la rédaction de leur compte
rendu.

La deuxième section montre avec brio que les personnes qui écrivent les comptes rendus
sont à plusieurs années de leur cours de méthodologie. La partie analytique de l’ouvrage
a été esquimauté par tous les auteurs, ils n’ont pas exposé la structure et l’argumentaire
de l’ouvrage de Gagnon. Ils se sont fait tout au plus les témoins et reporteurs des
quelques éléments qui leur semblaient les plus fort dans le livre. La plupart n’auraient
surement même pas eu la note de passage pour cette section du compte rendu.

La troisième section du travail a permis d’exposer la ligne entre une bonne et une
mauvaise appréciation critique. Je pense que Cellard et Bernos se font les porteurs de
l’exemple d’une appréciation critique tout à fait adéquate, même si on pourrait
probablement reprocher à Cellard d’être très « prudent » dans son interprétation critique.
Néanmoins, il reste un bon exemple d’une appréciation critique réussi. Les cas de
Lemieux et Lachance représentent, à notre avis, l’opposé. Lachance bien qu’il fasse une
critique constructive pour commencer termine avec une phrase inusitée qui n’apporte rien
sur la « valeur » de l’étude. Tandis que la critique de Lemieux est tellement sévère
qu’elle fait sentir le lecteur inconfortable et il finit son texte sur une réflexion
épistémologique sans aborder le sujet du compte-rendu l’œuvre de Gagnon.

Personnellement, ce que je retiens de ce travail, c’est l’importance de lire plus qu’un


compte rendu quand c’est possible. Chose qui auparavant me semblait un peu inutile.
Une autre chose intéressante que je vais retenir, c’est d’aller voir les auteurs des comptes
rendus, car c’est souvent des experts dans le domaine et leurs publications pourraient
certainement m’intéresser. Dans le cas présent, j’ai découvert les nombreuses études de
Marcel Bernos qui sont très pertinente à ma recherche et qui jusqu’alors ne m’avaient pas
encore tombées sous les yeux. Finalement, les comptes rendus, nous montre encore une
fois l’importance d’avoir une belle plume, d’oser des réflexions et d’être curieux et
attentif pour chercher à comprendre « le pourquoi du comment ».

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Bibliographie

BERNOS, Marcel, compte rendu de Serge GAGNON, Plaisir d’amour et crainte de


Dieu, Sexualité et confession au Bas-Canada, Québec, Les Presses de l’Université de
Laval, 1990, 202 p., Annales : Histoire, Sciences Sociales, Vol. 47, n° 1, hiver 1992,
p. 172-173.
CELLARD, André, compte rendu de Serge GAGNON, Plaisir d’amour et crainte de
Dieu, Sexualité et confession au Bas-Canada, Québec, Les Presses de l’Université de
Laval, 1990, 202 p., dans Labour/Le Travail, Vol. 32, n° 1, printemps 1993, p. 328-329.
LACHANCE, Paul, compte rendu de Serge GAGNON, Plaisir d’amour et crainte de
Dieu, Sexualité et confession au Bas-Canada, Québec, Les Presses de l’Université de
Laval, 1990, 202 p., dans American Society of Church History, Vol. 64, n° 3,
automne 1995, p. 525-526.
LEMIEUX, Raymond, compte rendu de Serge GAGNON, Plaisir d’amour et crainte de
Dieu, Sexualité et confession au Bas-Canada, Québec, Les Presses de l’Université de
Laval, 1990, 202 p., dans Montréal Laboratoire d’urbanité, Vol. 34, n° 3, automne 1993,
p. 544-546.

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