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Première journée
Scène 1.
Rosaure : Saleté de canasson !! Mais pourquoi ce pays s’acharne-t-il contre une pauvre
personne comme moi ?!
Clarin : Dis plutôt deux personnes et ne me laisse pas au rancart lorsque tu te plains. Parce
qu’en général, on ne se partage que les ennuis, le reste, tu le gardes pour toi !
Rosaure : Il est tant de plaisir à se plaindre, disait le philosophe, que rien que pour le plaisir
de se plaindre, on devrait rechercher les malheurs.
Rosaure : Quelle triste voix ! Regarde Clarin ! Quelque chose s’approche de nous !
Sigismond : Ah ! Malheureux de moi ! Ah, misérable ! Mais qu’ai-je fait pour être
emprisonné ainsi depuis ma naissance, quel crime ai-je commis ? Les autres ne sont-ils pas
nés ? Et s’ils sont nés aussi pourquoi suis-je prisonnier et pas eux ? Ah ! Je voudrais arracher
par lambeaux des morceaux de mon cœur !
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Clarin , à part : Répond-lui que oui.
Sigismond : Ah ? Je vais donc te tuer pour que tu ne saches pas que je sais que tu sais mes
faiblesses.
Il l’empoigne.
Rosaure : Je ne sais que te dire sinon que le ciel m’a guidé en ces lieux afin que je sois
consolé, si toutefois cela peut être une consolation pour un malheureux que de voir un autre
plus malheureux que lui.
Aussi pour le cas où mes peines t’offriraient quelques réconforts, écoute-les attentivement…
Je suis…
Clothalde à la cantonade.
Scène 2.
Clarin : Gardes de cette tour, puisque vous nous donnez le choix, il est plus simple de nous
arrêter.
Clothalde : Ô vous qui dans votre ignorance, avez franchi l’enceinte et la limite de ce lieu
interdit par un décret du roi, qui ordonne que nul n’ose examiner le prodige qui gît entre ces
rochers ! Rendez vos armes et vos vies ou bien tâtez de ces épées !
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Sigismond : Avant, ô maître tyrannique, que tu ne les offenses ou les outrages, je veux mettre
en pièces mon corps de mes mains, de mes dents, parmi ces rochers, plutôt que j’assiste à leur
malheur !
Rosaure : Ayant vu que l’orgueil te déplait fortement, humblement je te demande une vie à
tes pieds. Laisse pour lui la pitié t’émouvoir.
Clothalde : Otez-leur leurs armes et attachez leurs yeux pour qu’ils ne voient pas comment ni
par où ils sortent.
Clothalde : (à part) (Qu’entend-je ? Est-ce illusion ou vérité ? Voici l’épée que j’ai laissée à
la belle Violante en précisant que celui qui la porterait trouverait en moi l’amour que j’aurai
pour un fils, la tendresse d’un père.
Que dois-je faire ? Le conduire au Roi c’est le conduire à la mort. Et je ne puis le cacher au
Roi…
Mais pourquoi hésiter ? La fidélité au Roi ne passe-t-elle pas avant la vie, avant l’honneur ?
Je vais donc me rendre auprès du Roi et lui dire que c’est mon fils et qu’il le tue. Peut-être que
la pitié que je saurai lui inspirer sauvera la vie de mon fils et ainsi je l’aiderai à se venger.
Mais si le Roi lui inflige la mort, il mourra sans savoir que je suis son père.)
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Venez avec moi étrangers !
Il sortent.
Scène 3.
D’un côté entre Astolphe avec une suite de soldats, de l’autre Etoile avec ses dames de
compagnie.
Astolphe : A la vue de ces rayons sublimes qui éblouissent mes sens, ma voix ne peut être
que le messager de mon cœur et vous avouer qu’aujourd’hui mon âme ne voit en vous que son
unique souveraine.
Etoile : Sachez qu’il est fort vilain, Monsieur, et digne seulement d’une bête féroce, que de
caresser de la bouche et de tuer en intentions.
Astolphe : Vous suspectez la loyauté de mes hommages ? Je vous prie d’écouter ma cause :
Eustorgues III, Roi de Pologne, mourut, laissant pour héritier Basyle ainsi que 2 filles de qui
vous et moi sommes nés.
Basyle, qui à présent fléchit sous l’injure du temps, est devenu veuf sans avoir d’enfants.
Nous prétendons donc tout deux au trône. Vous faites valoir d’avoir été la fille de la sœur
ainée ; moi …que je suis un homme.
Il a répondu qu’il voulait nous réconcilier ; C’est dans cette intention que je suis venu ici :
Pour que vous deveniez Reine, MA Reine, et que notre oncle nous donne sa couronne.
Etoile : Tant de générosité ne laissera pas mon cœur de glace. Cependant je soupçonne que
toutes vos paroles seront démenties par ce portrait que je vois pendre à votre cou.
Astolphe : A ce propos je peux vous expliquer… mais j’en suis empêché par tous ces
instruments sonores annonçant l’arrivée du Roi.
Scène 4.
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Moi, me tournant alors vers mes études,
Je vois en elles que Sigismond serait l’homme le plus insolent,
le prince le plus cruel.
Que par sa faute son royaume deviendrait une école de trahisons et une académie des vices.
Que sous ses pieds il allait m’écraser, et que je me verrai devant lui prosterné.
Je décidai d’enfermer la bête qui venait de naître, pour voir si le sage pouvait surpasser le sort.
On annonça que l’enfant était mort en naissant et je fis bâtir une tour.
C’est là que vit Sigismond, misérable, pauvre et captif,
Où nul autre que Clothalde ne lui a parlé.
Il lui a enseigné les sciences, il l’a instruit, il a été le seul témoin de ses misères.
Scène 5.
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Clothalde : Un malheur, Sire, vient d’arriver, qui aurait pu être pour moi
La plus grande joie.
Basyle : Poursuis.
Clothalde : Ce beau jeune homme, téméraire ou imprudent, est entré dans la tour,
Seigneur, où il a vu le Prince, et c’est…
Il sort.
Rosaure : Sur cette épée je jure de me venger, mon ennemi fût-il très puissant.
Clothalde : Me le dire ce serait m’interdire de venir en aide à ton ennemi. (ah si je pouvais
savoir qui c’est !)
Rosaure : Sache que mon adversaire n’est rien moins qu’Astolphe, Duc de Moscovie.
Clothalde : Si tu es né Moscovite,
celui qui est ton seigneur naturel a pu difficilement t’offenser.
Rosaure : Plus grand que le ciel est l’outrage qu’il m’a fait.
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Si je ne suis pas ce que je parais,
Si Astolphe est venu pour épouser Etoile, voyez comme il peut m’outrager !
Je t’en ai dit assez.
Il sort
Noir
Deuxième journée
Scène 1.
S’il savait qu’il est mon fils aujourd’hui, et qu’il se vît demain pour la seconde fois
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Réduit à sa prison, à sa misère, il en serait profondément désespéré.
Aussi ai-je voulu, en cas de malheur, laisser la porte ouverte à cette possibilité de dire
Que tout ce qu’il a vu ne fut qu’un rêve.
Basyle : Je vais me retirer. Toi, accueilles-le, et de toutes les confusions qui assaillent sa
raison, détrompe-le en lui disant la vérité.
Basyle : Oui, car il se pourrait, s’il sait la vérité, connaissant le danger, qu’il lui soit plus
facile de l’éviter.
Il sort.
Scène 2.
Entre Clarin.
Clarin : Il y a, mon seigneur, que, ayant découvert son identité (à part : en partie du moins)
vous avez conseillé à Rosaure de revêtir ses vrais habits.
Clarin : Il y a que, changeant de nom et se faisant fort sagement passer pour ta nièce,
aujourd’hui elle est devenue la suivante de l’incomparable Etoile.
Il y a qu’elle est fort bien traitée et servie comme une reine.
Et il y a que moi qui l’accompagne je meurs de faim, et de moi personne n’a cure.
On oublie que je suis Clarin, et que si mon clairon se mettait à sonner, il pourrait dire tout ce
qui se passe au Roi, à Astolphe, à Etoile.
Scène 3.
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Clothalde : Que Votre Altesse, Monseigneur, me donne sa main à baiser.
Sigismond : Eh bien ! Vil, infâme, félon ! Que me reste-t-il à savoir, maintenant que je sais
qui je suis, pour manifester désormais mon orgueil et mon pouvoir ?
Sigismond : Tu as trahi la loi, adulé le Roi, et tu t’es montré cruel envers moi.
Aussi le Roi, la loi et moi nous te condamnons à mourir de mes mains.
Clothalde : Malheur à toi ! Quel orgueil tu montres, sans savoir que tu rêves.
Il sort.
Scène 4.
Domestique : Considère…
Clarin : Le Prince a tout à fait raison, et vous, vous agissez fort mal.
Clarin : Quelqu’un qui se mêle de tout, pour ça je n’ai pas mon pareil.
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Clarin : Monseigneur, en effet je m’y entends pour plaire
à tous les Sigismond qui existent sur terre.
Scène 5.
Entre Astolphe.
Astolphe : Heureux mille fois le jour, ô Prince, où vous apparaissez, emplissant de splendeur
et de joie tous les horizons baignés par le soleil de Pologne.
Astolphe : La seule excuse que je vous accorde pour ne pas m’honorer davantage, est de ne
pas me connaître encore. Je suis Astolphe, Duc de Moscovie et votre cousin. Traitons-nous
d’égal à égal.
Sigismond : Si je dis que Dieu vous garde, cela ne vous suffit pas ?
La prochaine fois que vous me verrez je dirai à Dieu de ne point vous garder !
Domestique : Malgré tout il convient qu’il y ait plus de respect entre vous.
Entre Etoile.
Etoile : Que votre Altesse, Monseigneur, soit plusieurs fois le bienvenu sur cette terre qui,
avec gratitude, vous accueille et vous désire.
Sigismond (à Clarin) : Dis-moi donc sans tarder quelle est cette beauté souveraine ?
Quelle est cette déesse humaine ?
Quelle est cette femme si belle ?
Domestique : Considère, Seigneur, qu’il n’est pas juste de s’enflammer ainsi, surtout en
présence d’Astolphe…
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Sigismond : Ne vous-ai-je point dit de ne pas vous mêler ?
Il le prend dans ses bras et sort. Tous le suivent ; il revient aussitôt sur scène.
Astolphe sort.
Scène 6.
Entre le Roi.
Sigismond : Ce n’est rien. Je n’ai fait que jeter du haut de ce balcon un homme qui
m’importunait.
Basyle : Ainsi donc, dès le premier jour, ton arrivée doit coûter une vie ?
Prince, il m’est fort désagréable, pensant te trouver prévenu,
de découvrir en toi une telle violence.
Je voulais de liens d’amour entourer ton cou ;
mais je repartirai pourtant sans l’avoir fait ;
tes bras me font peur en effet.
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C’est à toi plutôt de me remercier que je ne te fasse rien payer.
Il sort.
Scène 7.
Rosaure : (à part) Et moi j’ai déjà vu cette magnificence réduite dans une étroite prison.
Sigismond : Qui es-tu toi que je n’ai jamais vu et qui suscite pourtant mon adoration,
Toi que mon amour si ardemment veut conquérir, que je suis persuadé de t’avoir déjà vue.
Qui es-tu, si belle ?
Entre Clothalde.
Clothalde (à part) : (je veux ramener Sigismond à la raison, car après tout, c’est moi qui l’ai
élevé. Mais que vois-je ?)
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Rosaure : Je supplie votre Altesse de me donner congés.
Sigismond : En partant avec une telle violence, tu ne demandes point, mais tu prends congés.
Rosaure : Ah ! Je comprends ainsi pourquoi le destin prévoyait de si grands scandales, des
crimes, des trahisons, des meurtres pour ce royaume où vous règneriez en Tyran.
Mais que peut faire un homme qui n’a d’un être humain que le nom, un homme cruel,
orgueilleux, barbare, né parmi les bêtes sauvages.
Clarin Sort.
Scène 8.
Rosaure : Ecoute-moi…
Sigismond : Je ne suis qu’un tyran ! C’est en vain que tu cherches à fléchir mon cœur.
Clothalde : Jusqu’à ce que viennent des gens qui sauront te calmer, je ne te lâcherai pas…
Elle sort.
Entre Astolphe qui s’interpose.
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Astolphe : Qu’est-ce là prince généreux ?
Remets dans son fourreau cette brillante épée !
Il sort.
Scène 9.
Etoile : Je ne doute point que ces galants propos ne soient vérités évidentes,
Mais sans doute sont-ils destinés à la dame dont vous portiez à votre cou le portrait suspendu
quand vous êtes venu pour me voir.
Astolphe : Je ferai en sorte que ce portrait quitte mon cœur pour y laisser entrer l’image de
votre beauté. Je m’en vais le chercher.
(à part) (Pardonne-moi belle Rosaure, dans l’absence, les hommes et les femmes ne se
gardent pas plus de fidélité.)
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Il sort.
Etoile : Astrée !
Rosaure : Madame.
Elle sort.
Rosaure : Hélas ! Que dois-je faire ?
Si je dis qui je suis, Clothalde, à qui je suis redevable,
pourrait s’estimer offensé car il m’a demandé d’attendre en silence.
Si je ne dois pas dire à Astolphe qui je suis,
et qu’il vienne à me voir, comment pourrai-je dissimuler ?
Ma voix et mes yeux auront beau essayer de feindre,
mon âme lui dira qu’ils mentent. Que faire ?
Ô ciel, protège-moi, protège-moi !
Scène 10.
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Et tu peux bien le lui porter, puisque tu l’emportes avec toi,
pour peu que tu te portes toi-même.
Entre Etoile.
Astolphe : Madame…
Rosaure sort.
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Etoile : Tu n’es qu’un vil et grossier amant.
Mais je n’en veux plus, garde-le ;
car moi non plus je ne veux pas, en le prenant,
que tu me rappelles que c’est moi qui te l’ai demandé.
Elle sort.
Il sort.
Scène 11.
Sigismond apparaît comme au début, enchaîné et recouvert de peaux de bête, dormant par
terre. Entrent Cothalde et Clarin, accompagnés d’un soldat.
Clarin : Reste endormi, Sigismond, sinon tu verrais que la chance a tourné et que ta gloire
n’était qu’illusion.
Le soldat l’emmène.
Basyle : Clothalde ?
Clothalde : Sire…
Sigismond (parlant dans un demi-sommeil) : Généreux est le Prince qui châtie les tyrans ;
Meure Clothalde entre mes mains ;
Et que mon père baise mes pieds.
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Clothalde : Il veut m’ôter la vie.
Sigismond : Que sur la vaste place du théâtre du monde tous voient triompher de son père le
Prince Sigismond.
Il s’éveille.
Il se retire.
Clothalde : Oui il est l’heure de l’éveiller. Voudrais-tu passer toute la journée à dormir ?
Dis-moi ce que tu as rêvé.
Sigismond : A supposer que ce fut un rêve, je ne dirai pas ce que j’ai rêvé mais plutôt ce que
j’ai vu.
Je me suis éveillé dans un lit merveilleux qui aurait pu être le lit des fleurs du printemps.
Là, mille gentilshommes, prosternés à mes pieds, m’appelèrent leur Prince et me présentèrent
des parures, des bijoux et des vêtements.
Et toi tu vins changer mes doutes en joie en m’annonçant que malgré l’état où je suis
maintenant, j’étais Prince de Pologne.
Sigismond : Pas très bonne : pour ta félonie, d’un cœur hardi et sans faiblesse, deux fois je te
donnais la mort.
Sort le Roi.
Clothalde : Mais même en rêve, il eût convenu d’honorer alors celui qui s’est donné tant de
mal pour t’élever ; même en songe, en effet, ce n’est jamais en vain que l’on pratique le bien.
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Il sort.
Sigismond : Cela est vrai. Eh bien, réprimons alors ce naturel sauvage, au cas où nous aurions
un songe de nouveau. C’est décidé, nous agirons ainsi, puisque nous habitons un monde si
étrange que la vie n’est rien d’autre que songe ; et l’expérience m’apprend que l’homme qui
vit, songe ce qu’il est jusqu’à son réveil.
Le Roi songe qu’il est un roi ; mais qui peut encore vouloir régner, quand il voit qu’il doit
s’éveiller dans le songe de la mort ?
Le riche songe à sa richesse, qui ne lui offre que soucis ;
Le pauvre songe qu’il pâtit de sa misère et de sa pauvreté ;
Et dans ce monde, tous songent ce qu’ils sont, mais nul ne s’en rend compte.
Qu’est-ce que la vie ? Un délire.
Qu’est-ce donc la vie ? Une illusion, une ombre, une fiction ;
Le plus grand bien est peu de chose,
Car toute la vie n’est qu’un songe,
Et les songes, rien que des songes.
Noir
Troisième journée
Scène 1.
Entre Clarin.
Soldat : Sire !
Soldat : C’est toi qui es notre Prince, permets-moi de baiser tes pieds !
Vive notre illustre Prince !
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Clarin : C’est pour de bon !
Aurait-on coutume en ce royaume d’emprisonner un homme chaque jour et de le faire Prince,
et ensuite de le renvoyer dans sa tour ?
Soldat : Nous avons tous dit à ton père lui-même que nous ne reconnaissons pour Prince que
toi seul, et non le duc de Moscovie.
Sors d’ici afin de restaurer ton empire ! Vive Sigismond !
Scène 2.
Entre Sigismond.
Clarin : Moi, Sigismond ? Jamais de la vie ! C’est vous qui m’avez ensigismondé, c’est donc
vous l’imbécile.
Soldat : Grand Prince Sigismond, ton père le grand Roi Basyle prétend te dérober le libre
usage de tes droits et remettre ceux-ci au duc de Moscovie, Astolphe. Mais le peuple, sachant
bel et bien qu’il a un Roi légitime, refuse qu’un étranger vienne le commander.
Aussi suis-je venu te rechercher là où tu vis emprisonné pour que tu nous arraches à un tyran.
Sigismond : De nouveau vous voulez que je songe à une grandeur que le temps détruira ?
Eh bien je ne veux pas, je ne veux pas !
Puisque je sais que toute cette vie est un songe, allez-vous en, ombres qui simulez ;
Je ne veux pas de fausses majestés, je ne veux pas de splendeurs chimériques, qui au plus
léger souffle s’évanouiront.
Il n’est plus pour moi désormais d’illusion car, désenchanté à présent, je sais bien, je sais que
la vie est un songe.
Soldat : Si tu crois que nous te trompons, tourne les yeux afin de voir les gens qui t’attendent
pour t’obéir.
Sigismond : J’ai déjà vu cela comme je le vois maintenant, et ce n’était qu’un songe.
Soldat : Les grands évènements sont toujours précédés de présages. Ce doit être le cas si tu en
as rêvé d’avance.
Sigismond : Tu as raison. Ce fût là un présage ; et au cas où il dirait vrai, puisque la vie est si
courte, rêvons ô mon âme, rêvons de nouveau. Mais en prenant bien soin de ne point oublier
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qu’il nous faudra un jour nous réveiller. Si nous en sommes bien persuadés, la désillusion sera
moindre.
Vassaux, vous trouverez en moi qui vous délivrera ! Sonnez l’alarme car bientôt vous allez
voir mon immense courage !
Scène 3.
Entre Clothalde.
Sigismond : Clothalde…
Clarin : (à part) (Je parie qu’il va vous l’envoyer du haut de cette montagne !)
Clarin sort.
Clothalde : A tes pieds je viens me prosterner, mais pour y trouver la mort, je le sais.
Sigismond : Relève-toi, car je sais bien tout ce que mon éducation doit à ta grande loyauté.
Donne-moi tes bras.
Sigismond : Que je rêve, et que je veux agir selon le bien, car on ne perd rien à faire le bien,
même en songe.
Clothalde : Eh bien Seigneur, si désormais tu mets ton point d’honneur à pratiquer le bien, je
veux en faire autant.
Contre ton père vouloir partir en guerre !
Je ne peux pas t’aider contre mon Roi, ni défendre ta cause.
Me voici à tes pieds ; donne-moi la mort.
Sigismond : Manant, traître, ingrat ! (à part) (Mais je dois me contenir car je ne sais pas
encore si je suis éveillé.)
Clothalde, j’envie votre courage. Allez servir le Roi ; nous nous retrouverons sur le champs de
bataille.
Ils sortent.
Scène 4.
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Entrent le Roi Basyle et Astolphe.
Basyle : Qui pourrait, Astolphe, réussir à calmer prudemment la furie d’un cheval emballé ?
On entend cette rumeur en armes dans tout le pays : Astolphe d’un côté, de l’autre Sigismond.
Il sort.
Entre Etoile.
Etoile : Sire, dans ton royaume tout n’est plus que disgrâces, tout n’est que tragédie. Il s’en va
dérivant en des flots écarlates.
Entre Clothalde.
Clothalde : La populace est entrée dans la tour et des ses profondeurs a fait sortir le Prince.
Celui-ci s’est montré valeureux, déclarant fièrement qu’il accomplirait son destin.
Basyle : Donnez-moi un cheval ; je veux par mon courage vaincre mon fils ingrat.
Scène 5.
Rosaure : Je sais bien que la guerre est partout, cependant tu dois m’écouter.
Je suis arrivé en Pologne pauvre, humble et malheureuse et en toi j’ai trouvé de la
compassion. Tu m’ordonnas de vivre au palais sous un déguisement et je t’ai écouté.
Malgré mes efforts, Astolphe m’a vue ; mais de m’avoir vue ne l’empêche pas de s’entretenir
avec Etoile.
Ainsi ton audace, ta force, ta fierté pourront défendre mon honneur, puisque tu es résolu
désormais à me venger en lui donnant la mort.
Clothalde : Il est vrai que je pensais lui donner la mort. Mais lorsque Sigismond prétendit me
l’infliger à moi, au péril de sa vie, Astolphe s’approcha et prit ma défense.
Comment voudrais-tu qu’à présent, n’ayant pas le cœur d’un ingrat, je puisse donner la mort à
celui qui m’a donné la vie ?
Ainsi mon cœur et mon souci entre vous deux se partage, voyant que je t’ai donné la vie et
que de lui je l’ai reçue.
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Rosaure : J’irai donc tuer le duc.
Rosaure : je le sais…
Rosaure : Je le crois.
Rosaure : Non.
Elle sort.
Il sort.
Scène 6.
Sigismond : Ô esprit, retiens ton vol ; ne détruisons pas cette gloire incertaine, si je dois en
souffrir, une fois réveillé, de l’avoir obtenue seulement pour la perdre.
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Clarin : Sur ce cheval qui vole bien plus qu’il ne galope, devant toi se présente une femme
fringante.
Il sort.
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Mais moi, voyant que toi, ô vaillant Sigismond,
tu prends les armes contre ta patrie et contre ton père,
je viens t’aider.
Allons courage, vaillant capitaine,
il nous importe à nous deux d’empêcher ce mariage concerté ;
à moi pour que celui qui se dit mon époux ne se marie avec une autre,
à toi pour qu’eux deux réunis ne rendent pas notre victoire douteuse.
Sigismond : (A part) (Ô ciel, s’il est vrai que je songe, tenez ma mémoire en suspens.
Si j’ai rêvé la magnificence où je me suis vu, comment se fait-il que cette femme m’en
rapporte un témoignage si précis ?
C’est donc vrai, ce ne fut point un songe.
Et puisque je sais que tout plaisir n’est que flamme brillante qui s’évanouit en un battement de
cœur, sachons mettre à profit l’instant qui nous est imparti.
Rosaure a perdu son honneur, mais il revient au Prince de donner son honneur, et non de
l’enlever. De sa réputation je ferai la conquête.)
Faites sonner aux armes ! Dès aujourd’hui, je livrerai bataille.
Sigismond : Rosaure, si ma voix ne répond rien, c’est pour que mon honneur te donne la
réponse.
Si tu n’obtiens pas un regard, c’est qu’il convient que celui qui doit veiller sur ton honneur
n’égare point ses yeux sur ta beauté.
Scène 7.
Entre Clarin.
Clarin : Madame…
Clarin : Enfermé dans une tour, jouant aux cartes avec la mort, j’ai failli en crever.
Bruits de tambours.
Clarin : Du palais assiégé il sort toute une armée pour combattre celle du cruel Sigismond.
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Rosaure : Eh bien ! Comment ne suis-je pas à ses côtés !
Elle sort.
Scène 8.
Clothalde : Voilà que ton armée en déroute reflue, dans le plus grand désordre.
Basyle : En de telles batailles les fidèles sont les vainqueurs et les traîtres sont les vaincus.
Fuyons Clothalde, fuyons loin de la cruauté d’un fils tyrannique.
Astolphe : Quel est ce malheureux soldat qui vient de tomber à nos pieds ?
Clarin : Je suis un homme infortuné qui voulant se garder de la mort l’a trouvé.
Retournez donc, retournez donc tout de suite au combat sanglant, car parmi les armes et les
coups de feu on est plus en sécurité que sur la montagne la plus protégée.
Ainsi vous aurez beau vouloir éviter la mort en fuyant, sachez que vous allez mourir, si Dieu a
décidé que vous devez mourir !
Il tombe en coulisse.
Basyle : Sachez que vous allez mourir, si Dieu a décidé que vous devez mourir !
Oh ! Ciel ! Comme il incite bien notre ignorance à plus de connaissance, ce cadavre qui par la
bouche d’une blessure parle.
Clothalde : Le destin, Sire, a beau connaître tous les chemins, le sage, du destin, sait se
rendre maître.
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Astolphe : Sire, Clothalde te parle en homme sage et d’âge vénérable ; moi, Sire, en homme
jeune et valeureux. Au milieu des fourrés épais il y a un cheval, enfuis-toi sur lui et moi je
protégerai ta retraite.
Basyle : Aujourd’hui c’est moi qui veut chercher la mort, qui veut l’attendre en face.
Scène 9.
Basyle : Mon fils, une si noble façon d’agir te fait renaître à mes yeux : tu es le Prince, c’est
toi qui es vainqueur ; et tes exploits sont ta couronne.
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Astolphe : S’il est vrai que je lui dois réparation, je te fais observer qu’il serait pour moi vile
infamie d’épouser une femme qui ne soit pas de haute…
Clothalde : N’ajoute rien, attends ! Rosaure est en effet aussi noble que toi, et mon épée, sur
le terrain s’en portera garant ; elle est ma fille, cela suffit.
Clothalde : L’histoire est fort longue, mais je te dis qu’elle est ma fille.
Sigismond : Eh bien, pour qu’Etoile ne demeure point sans consolation, moi, de ma propre
main, je lui donnerai un époux.
Etoile, donne-moi ta main.
Sigismond : Quant à Clothalde qui a servi fidèlement mon père, mes bras ouverts l’attendent,
et toutes les faveurs qu’il me demandera.
Noir
FIN
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