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Désir et/est imagination

Jean-Paul Galibert

Que représente l’achat d’un produit griffé sinon l’exemple parfait d’un capitalisme qui
n’investit plus dans le produit lui-même mais dans les riens qui l’habite. Ne se servant plus
du produit que comme d’un prétexte. Ainsi, la valeur de vente du produit griffé (prenons une
chaussure Nike) n’est constituée que pour moitié de composantes traditionnellement attachées
au produit lui-même (cuir, travail manufacturé, transports, etc…). Le reste (qu’on le nomme
marketing, publicité, image de marque) n’est plus constitué que de l’investissement
imaginaire que la société vous demande. On dit communément qu’on achète moins un
produit qu’une image. Certes. Mais celui qui fabrique l’image (fabriquer au sens plein du
terme, qui est travailler), c’est vous! Le génie de l’hypercapitalisme est donc là. Vous faire
achetez le propre produit de votre imaginaire.

Face à l’image en série [...] tout le travail de l’imagination consiste désormais seulement à
croire en ce que nous voyons. L’imagination n’est plus la fantaisie, mais la confiance.

Un autre exemple peut être trouvé dans ces assurances que nombre d’enseignes vous
proposent de souscrire à l’achat d’un produit. Elles vous demandent ainsi, après vous avoir
demandé d’imaginer le bonheur d’avoir à posséder ce produit, d’imaginer que ce bonheur
puisse cesser. Et seul le paiement viendra mettre fin à votre inquiétude.

Après avoir imaginé, vous payez donc ici pour pouvoir cesser d’imaginer.

Le plus retors étant que ce système poussé jusque dans ses retranchements les plus pervers
nous trouve non seulement consentants mais coopérants. Car tout cet imaginaire dans lequel
nous baignons (et où le rêve de tous [devient] plus réel que le vécu de chacun) produit lui-
même un manque dans lequel peut se déployer non pas la liberté, mais, bien plus attirant car
moins contraignant, moins responsabilisant, l’imagination de celle-ci, sa possibilité.

Toute diminution de la réalité est perçue comme un essor de la liberté, puisque vous imaginez
librement ce qui manque.

En faisant se rencontrer Marx et La Boétie, Jean-Paul Galibert nous livre un regard acéré sur
un capitalisme moderne qui réalise, dans son abandon du réel (qu’il conjoint à faire investir le
rien qui lui fait place par ce que le « client » y imagine) le plus parfait et opérant
asservissement qui soit. Où la foi du « client » repose sur son propre travail.

Comment ne pas croire en la valeur de ce que l’on a soi-même produit?

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