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Marius Dobre
Romanian Academy
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All content following this page was uploaded by Marius Dobre on 22 March 2021.
MARIUS DOBRE
Abstract: Being many times accused of using manipulative techniques and ill rethoric,
the advertising discourse defends itself by saying that rules are different from that of
logic, pertaining to the art of creating persuasion; accordingly, the advertising discourse
would follow rhetoric, and not logic. Still, as long as within this discourse one often
find assertions that clearly break the rules of logic, i.e. sophisms or false statements,
one has reasons to believe that advertising discourse (be it political or commercial) is
meant to deceive the public or create a belief at all costs. One cannot always accept are
universal; logic shows us the soundness of human thinking (expressed either in ordinary
language or in the mathematical-symbolical one); therefore, all discourse must obey the
rules of logic, otherwise being unsound. We re-open, on this ground, an old topic of
social psychology above all, and we suggest another framework of analysis, a simple
one, coming from the logic.
Marius Dobre
Constantin Rădulescu-Motru Institute of Philosophy and Psychology of the Romanian
Academy, Bucharest, Romania; e-mail:dmariusdobre@yahoo.com
prétendent d’habitude ceux qui sont impliqués dans ce phénomène, tant que les règles
de la logique sont universellement valables ; la logique démontre comment la pensée
humaine (transposée dans le langage habituel ou celui mathématique-symbolique)
fonctionne correctement ; donc, tout discours doit se soumettre aux règles de la
logique, autrement il sera défectueux. Pour cette raison, nous reprenons ici un ancien
sujet de débat dans la psychologie sociale surtout, tout en proposant un autre cadre
d’analyse, l’un peut-être plus simple, provenant de la perspective de la logique.
Ainsi, établir à l’intérieur de la rhétorique les bases de ce type de discours
n’est pas suffisant. Il faut se rappeler qu’Aristote lui-même, alors qu’il concevait la
science de la rhétorique comme art de la persuasion la soumettait à des conditions
restrictives précises : le caractère, le pathétique et le discours. L’orateur doit avoir
du « caractère », c’est-à-dire être vertical du point de vue moral, ensuite être capable
d’influencer « affectivement », et, finalement, avoir un discours argumentatif pour
convaincre « raisonnablement » l’auditoire : « C’est le caractère moral (de l’orateur)
qui amène la persuasion, quand le discours est tourné de telle façon que l’orateur
inspire la confiance. Nous nous en rapportons plus volontiers et plus promptement
aux hommes de bien, sur toutes les questions en général, mais, d’une manière absolue,
dans les affaires embrouillées ou prêtant à l’équivoque. Il faut d’ailleurs que ce
résultat soit obtenu par la force du discours, et non pas seulement par une prévention
favorable à l’orateur. Il n’est pas exact de dire, comme le font quelques-uns de
ceux qui ont traité de la rhétorique, – que la probité de l’orateur ne contribue en rien
à produire la persuasion mais c’est, au contraire, au caractère moral que le discours
emprunte je dirais presque sa plus grande force de persuasion. C’est la disposition
des auditeurs, quand leurs passions sont excitées par le discours. Nous portons autant
de jugements différents, selon que nous anime un sentiment de tristesse ou de joie,
d’amitié ou de haine. C’est le seul point, nous l’avons dit, que s’efforcent de traiter
ceux qui écrivent aujourd’hui sur la rhétorique. (…) Enfin, c’est par le discours lui-
même que l’on persuade lorsque nous démontrons la vérité, once qui paraît tel, d’après
des faits probants déduits un à un »2. Par conséquent, du point de vue d’Aristote,
nous pouvons dire qu’un discours publicitaire contenant des déficiences d’ordre
logique contreviendrait à la première et à la troisième condition du discours rhétorique
correct.
Une conclusion aux idées ci-dessus serait la suivante : si dans le discours
publicitaire nous avons à faire avec la sophistique ou le faux, alors on a à faire,
autrement dit, avec la volonté de tromper du point de vue argumentatif l’auditoire,
conformément à la définition de manuel du sophisme, à savoir une erreur de
logique commise à bon escient, à l’intention de tromper. Et ceux qui pratiquent de
tels discours devraient donc être nommés les sophistes de nos jours, les sophistes
modernes, des gens qui pratiquent la sophistique à l’échelle vaste, « industrielle »
même, pour ainsi dire. C’est une question énoncée déjà par Aristote, en rappelant
une pratique de son temps, mais qui ressemble d’une manière frappante avec celle
de nos jours : « Comme il y a certaines gens qui s’occupent plus de paraître sages
2
Aristote, Rhétorique, I, 2, 1356 a.
3 Sur la persuasion, la verité et le sophisme dans le discours publicitaire 325
que de l’être réellement sans le paraître; car la sophistique n’est pas autre chose
qu’une sagesse apparente et qui n’est point réelle, et le sophiste ne cherche qu’à
tirer un lucre d’une sagesse apparente qui n’a rien de vrai, il est clair que ces gens-
là cherchent plutôt à sembler faire œuvre de sagesse qu’à le faire réellement sans le
paraître »3. Chez Aristote apparaît assez explicitement donc l’idée de tromperie,
tout en parlant, dans son cas, des philosophes sophistes, maîtres du discours persuasif.
Platon, autre adversaire acharné de la rhétorique pratiquée par les sophistes de son
temps, parlait dans des termes pareils d’eux : « Et laisserons-nous dans l’oubli Tisias
et Gorgias, qui ont découvert que le vraisemblable vaut mieux que le vrai, et qui
savent, par la puissance de la parole, faire paraître grandes les petites choses, et petites
les grandes, donner à l’ancien un air nouveau et au nouveau un air ancien, enfin
parler à leur gré sur le même sujet d’une manière très concise ou très développée,
deux méthodes qu’ils se vantent d’avoir découvertes?»4 L’attitude de contestation
explicite de la rhétorique pratiquée faussement, justement à cause de sa perception
en tant que sophistique ou tromperie dans plusieurs situations, commencera dans la
période moderne, quand on énonce même la mort temporaire de la rhétorique, par
l’intermédiaire du rationalisme qui recherchait la vérité, mais aussi de l’empirisme
qui renvoyait à l’expérience et non pas à une technique de la parole, la forte
renaissance de la rhétorique ayant lieu à peine au XX-ème siècle. Mais, d’ailleurs,
ni même de nos jours la rhétorique ne s’est pourtant pas totalement débarrassée de
sa mauvaise réputation du passé, le terme de « rhétorique » étant associé souvent à
« une expression ostentatoire et vide5 » ou avec une sophistique.
3
Aristote, Réfutations des sophistes, 1, 165 a.
4
Platon, Phèdre, 267 a–b.
5
Jennifer Richards, Rhetoric, Routledge, London, New York, 2008, p. 3.
6
Alex Mucchielli, L’art d’influencer (édition roumaine), Polirom, Iaşi, 2015, p. 54.
7
Cristophe Carré, Manuel de manipulation à l’usage des gentils. L’art de l’élégance relationelle,
Eyrolles, Paris, p. 28.
8
Bogdan Ficeac, Techniques de manipulation, Nemira, Bucarest, p. 16.
326 Marius Dobre 4
une « relation d’opposition », de méfiance entre les deux (d’une part, le vendeur,
l’orateur, l’agent publicitaire, le propagandiste, d’autre part, le client, l’auditeur, le
public cible), dans laquelle le manipulateur doit cacher cette relation qui peut mener à
la réflexion critique et à la défense de la part du manipulé9. Malgré certains risques
mineurs, mais réels, du vendeur (avoir à faire à un voleur, à un client mécontent en
permanence, à un concurrent non loyal), le client ou l’acheteur est une victime dans
la relation commerciale, parce que le produit offert pour l’achat peut être insatisfaisant,
cher ou inutile. D’ailleurs, un bon vendeur est une personne qui sait séduire, enchanter,
démontrer uniquement le beau côté des choses, bref, tromper10. A ce sens, à part les
techniques argumentatives manipulatoires habituelles, on peut indiquer aussi les
autres moyens à tente manipulatrice psychologique : le sourire, la gaieté, la désin-
volture ne sont que quelques conseils que tout manuel adresse aux vendeurs et aux
séducteurs de partout11.
La psychologie met en évidence maintes autres techniques de manipulation,
présentes surtout dans les médias, nombreuses d’entre elles étant reprises aussi dans
la théorie des sophismes de la logique alors qu’elles apparaissent sous la forme
d’arguments ; nous en reprenons ci-dessous quelques-unes12:
– L’exposition répétée d’un produit crée une « opinion positive » sur celle-ci
(un politicien qui apparaît souvent dans les médias, sans être associé à des événements
négatifs, comme des scandales de corruption, conflits sociaux etc., bénéficie de
« l’effet de la simple exposition »).
– « L’influence sociale » : du moment où un produit est déclaré comme apprécié
par de nombreux gens, il devient attractif pour de plus en plus nombreux, con-
formément à la tendance de ralliement à l’opinion des autres.
– « Le transfert symbolique » : l’association d’un produit avec un symbole
populaire (un politicien qui s’habille du tee-shirt de l’équipe nationale de football
ou mange une saucisse prolétaire se crée pour lui une bonne image reposée sur une
association inconsciente dans la pensée de la personne manipulée).
– « La congruence programme-publicité »: le consommateur préférera, par
exemple, la marque de bière associée à la série de film préférée.
– L’anthropomorphisation de certains produits : tout en connaissant le penchant
des gens de s’attacher aux objets (téléphones, automobiles etc.), la publicité présentera
des appareils en tant que machines ayant une âme ou des machines capables de se
transformer en humains.
– La stimulation de l’attitude égocentrique, c’est-à-dire la stimulation du sen-
timent « d’accomplissement » et de la jalousie sociale parmi les consommateurs (nous
trouverons toujours des gens qui désirent avoir plus que leur voisin ou le dépasser).
– La spéculation des moments de la journée : les produits d’alimentation
bénéficieront de publicités surtout pendant les repas principaux.
9
Alex Mucchielli, L’art d’influencer (édition roumaine), p. 92.
10
Ibidem, p. 117, 118.
11
Ibidem, p. 93.
12
Sébastien Bohler, 150 petites expériences de psychologie des médias. Pour mieux comprendre
comment on vous manipule, Dunod, Paris, 2008, p. 116–176.
5 Sur la persuasion, la verité et le sophisme dans le discours publicitaire 327
Nous devons dire qu’il y a un discours publicitaire qui peut être complè-
tement admis par les rigueurs de la logique : celui descriptif, c’est-à-dire le discours qui
13
Phillipe Breton, Argumenter en situation difficile (chapitre Analyser les ressorts de la publicité),
Editions La Découverte,Paris, 2004, p. 85.
14
Dominique Chalvin, Du bon usage de la manipulation, ESF éditeur, IIssy-les-Moulineaux,
2001, p. 18–19.
15
Cristophe Carré, La manipulation au quotidien. La repérer, la déjouer et en jouer, Eyrolles,
Paris, 2007, p. 208.
328 Marius Dobre 6
18
Aristote, Rhétorique, 1358 b.
19
Jean-Michel Adam, Marc Bonhomme, L’argumentation publicitaire, p. 28–29.
20
Chaïm Perelman, Lucie Obrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation, Editions de l’Université de
Bruxelles, 2008, p. 64, 67.
21
Jean-Michel Adam, Marc Bonhomme, L’argumentation publicitaire, p. 157–158.
330 Marius Dobre 8
Mais, avec tous ces exemples, nous pouvons mettre en évidence aussi le
premier problème de l’argumentation publicitaire. Nous pouvons observer que, du
point de vue logique, en ajoutant certaines prémisses convenables à toutes les
conclusions du dernier argument, par exemple, nous pouvons obtenir un argument
valide, mais le problème serait la valeur de vérité de certaines d’entre elles, ce qui
rendrait finalement tout l’enchaînement logique peu concluant. (Un argument est
concluant alors qu’il accomplit la condition de la validité et celle de la vérité des
propositions qui le composent24.) Par conséquent, bien que le texte ci-dessus se
désire argumentatif (et du point de vue de l’argumentation publicitaire il l’est
réellement25), il a pourtant des déficiences de logique liées à la vérité de quelques-
unes des propositions (par exemple, nous ne pouvons pas considérer comme vrai
l’énoncé « Si tu n’as pas de chance au jeu de cartes, tu as de la chance en amour » ;
l’énoncé est certainement contingent). Mais, nous le répétons, considéré uniquement
comme un jeu amusant, le texte peut être accepté. Bien sûr, la logique n’a pas la
22
Ibidem, p. 158.
23
Ibidem, p. 169
24
Petre Bieltz, Les bases de la pensée critique, Edition de l’Académie Roumaine, Bucarest,
2012, p. 3.
25
Jean-Michel Adam, Marc Bonhomme, L’argumentation publicitaire, p. 152.
9 Sur la persuasion, la verité et le sophisme dans le discours publicitaire 331
prétention d’imposer dans tout discours des arguments valides. Elle accepte facilement
des arguments plus relâchés comme :
X est un bon père de famille / X participe à de nombreuses actions humanitaires
au sein de la communauté / X a prouvé être un bon administrateur à l’entreprise où
il a travaillé / X est une personne respectée au sein de la communauté / Donc, X
peut être un bon politicien.
Ici, les prémisses soutiennent assez bien la conclusion, de sorte que l’argument
est accepté du point de vue logique, étant assez fort. Nous pouvons observer ici que
nous avons à faire avec un argument inductif avec une conclusion probable ; la
signification importante que nous dévoilons ici est qu’il existe déjà un type de
logique qui s’occupe du « vraisemblable » / « probable », c’est-à-dire tout justement de
ce que la rhétorique publicitaire prétend s’occuper (à voir en bas) ; il en résulte que
la logique a aussi dans ce domaine la légitimité de juger l’argumentation publicitaire.
D’ailleurs, en général, la logique et ses branches plus récentes comme la théorie
de l’argumentation ou la pensée critique acceptent des formes d’argumentation
spéciales, adaptées au contexte quotidien (tout comme c’est le cas de l’argument
ci-dessus), étant même une suggestion d’Aristote : «(…) ne pas chercher une égale
précision en toutes choses, mais au contraire, en chaque cas particulier tendre à
l’exactitude que comporte la matière traitée, et seulement dans une mesure appropriée
à notre investigation. Et, en effet, un charpentier et un géomètre font bien porter
leur recherche l’un et l’autre sur l’angle droit, mais c’est de façon différente : le
premier veut seulement un angle qui lui serve pour son travail, tandis que le second
cherche l’essence de l’angle droit ou ses propriétés, car le géomètre est un con-
templateur de la vérité »26. Les arguments « qui ont pour objet les passions et les
actions morales »seront assez nombreux sous l’aura du probable. De même, « (…)
la discussion qui a pour objet les différents groupes de cas particuliers manque-telle
également de rigueur, car elle ne tombe ni sous aucun art, ni sous aucune
prescription, et il appartient toujours à l’agent lui-même d’examiner ce qu’il est
opportun de faire (…) »27.
Mais ceux qui soutiennent l’idée d’argumentation publicitaire en qualité
d’argumentation à part, spécifique, fait appel d’habitude à des distinctions comme
celle proposée par Perelman entre l’argumentation et la démonstration pour justifier
‘éventuelles déficiences d’ordre logique : (1) la démonstration transfère la vérité
des prémisses à la conclusion, pendant que l’argumentation transfère l’adhésion
prêtée aux prémisses vers la conclusion28 (2) ou comme celle proposée par Aristote
entre la recherche scientifique (qui utilise la logique déductive) et la recherche
argumentative, soumise au sens commun, au contingent, au probable (qui utilise la
dialectique et la rhétorique)29. Les distinctions en sont acceptables jusqu’à un point,
26
Aristote, Éthique à Nicomaque, 1098 a.
27
Ibidem, 1104 a.
28
Jean-Michel Adam, Marc Bonhomme, L’argumentation publicitaire, p. 166.
29
Maurice Natanson, The Limits of Rethoric, in Maurice Natanson and Henry W. Johnstone Jr.
(eds.), Philosophy Rhetoric and Argumentation, The Pennsylvania University State, University of
Park, PA, 1965, p. 96.
332 Marius Dobre 10
au fond un repère de bon sens, souligné aussi par Aristote : quelle valeur a
l’argumentation, de n’importe quel type, tant qu’elle ne communique pas de
vérités, soient-elles au moins situées sous le signe du probable ? Ou: pouvons-nous
parler d’argumentation authentique et non pas de tromperie, de manipulation, en
dehors de la vérité ? Toute l’argumentation publicitaire risque de saper le statut ne
pouvant pas franchir cette étape importante.
L’un des problèmes principaux de l’argumentation publicitaire reste donc la
vérité ; on sacrifie la vérité sur l’autel de la conviction. Il y a des auteurs qui nous
proposent de ne pas juger le discours publicitaire à l’aide des catégories « forts » de
vérité ou de fausseté, mais plutôt, par celle de « vraisemblance », comme nous le
disions ci-dessus30. Mais la vraisemblance du discours publicitaire ressemble d’une
manière contrastante avec celle des tribunaux athéniens promue par les orateurs
sophistes dont parlait Platon : « qu’au fait, dans les tribunaux, personne ne se mêle
d’enseigner la vérité, mais de persuader ; que c’est au vraisemblable qu’il faut
s’appliquer sans cesse pour parler avec art ; qu’en quelques occasions il faut même
présenter les faits non comme ils se sont passés, mais comme ils ont dû se passer,
soit dans l’accusation, soit dans la défense; qu’enfin il faut rechercher en tout
l’apparence aux dépens de la réalité ; que ce soin, en s’étendant à tout le discours,
constitue à lui seul l’art oratoire »31. Au XX-ème siècle, il y a aussi de nombreux
auteurs qui ont démontré que nous nous trouvons devant une difficulté majeure du
discours publicitaire ; en voilà deux telles opinions : la publicité, dans son essence,
renvoie à l’intention de convaincre le destinataire du message, sans se soucier de la
vérité32; ou : par sa nature, la publicité ne peut pas informer purement et
simplement sans déformer ou désinformer, car elle est payée de nous dire que de
bonnes choses. Du moment où elle présente quelque chose ou argumente en faveur
de quelque chose, elle ment par omission, car elle passe sous le silence tous les
défauts33. Il y a d’ailleurs des voix à l’intérieur du phénomène publicitaire qui
reconnaissent ouvertement qu’il s’agit de mensonge dans le discours publicitaire :
« La pub a ceci de très particulier que tout le monde sait qu’elle ment. L’homme
politique, souvent, essaie de convaincre qu’il ne ment pas. Mais la pub n’a pas
cette hypocrisie. (…) Je dirais même que mon travail consiste à mentir avec
élégance. Même si le public sait qu’on lui raconte des bobards pour vendre, on peut
établir avec lui une connivence, en donnant un signal qui montre qu’on est en train
de jouer »34.
*
A part le problème de la vérité, j’ai déjà dit qu’on pose aussi le problème du
contenu sophistique du message publicitaire (politique ou commercial). Prenons
31
Platon, Phèdre, 272 e – 273 a.
32
Louis Porcher, Introduction à une sémiotique des images, Didier-Credif, Paris, 1976, p. 222.
33
Jacques Séguéla, Fils de pub, Flammarion, Paris, 1983. p. 215, apud Jean-Michel Adam,
Marc Bonhomme, L’argumentation publicitaire.
34
Alexandre Lacroix, Fabriquer du rêve avec du réel (et vice-versa), témoignage dans un
reportage réalisé dans le monde publicitaire „Philosophie Magazine”, nr. 97, 2016, p. 54–55.
11 Sur la persuasion, la verité et le sophisme dans le discours publicitaire 333
chose si vous ne prenez pas à temps de précautions! Viens, donc, aux Assurances
S.A., vous serez soulagés de tout désagrément » (le sophisme de menace). Ou: « Si
tu joues au Superbingo, alors il est possible de gagner. Si tu veux donc gagner, il
faut absolument jouer. Superbingo Europa » (le sophisme de l’espoir).
Dans la publicité politique (slogans, textes courts à la TV ou sur des affiches
électoraux), tout comme dans le discours politique en général, nous rencontrerons
plus souvent des sophismes de langage, dans toute leur diversité moderne (les
sophismes de langage ayant eux-aussi une grande diversité de sous-types à notre
époque), et les chercheurs du phénomène n’hésitent pas à les capturer, à les nommer et
à les démasquer; par exemple35 :
– L’utilisation de « tournures impersonnelles » – mettre les pronoms imper-
sonnels entre parenthèses et mettre en jeu uniquement des expressions mobilisatrices
comme « il faut », « il est important de », « il y a », « il conviendrait de », « il n’y a
qu’à » etc.
– L’utilisation des mots pompeux, des valeurs abstraites, comme : « Liberté,
Egalité, Fraternité, Démocratie, Solidarité, Respectabilité, Vérité ».
– L’appel aux adverbes qui peuvent prouver « la bonne volonté » : franchement,
sincèrement, absolument, clairement, effectivement, réellement, honnêtement etc.
– L’implication (fausse) dans le projet, en utilisant des « tournures empha-
tiques » du type « moi, je », « moi, non », « avec moi ».
– L’utilisation du futur sans une date précise : « je ferai », « nous mettrons en
œuvre », « je réaliserai » etc.
– « Caresser l’autre dans le sens du poil », la fausse concession: « vous avez
raison », « absolument », « je reconnais volontiers que… ».
– L’appel aux généralisations : tous, aucun, personne, tout le monde, toujours,
jamais, systématiquement etc.
Bien sûr, la liste pourrait continuer. Il est évident maintenant que le discours
publicitaire habille différentes formes sophistiques, représentant une source inépuisable
pour les chapitres réservés aux erreurs de logique des manuels de spécialité du
monde entier.
D’autre part, nous proposons ici un autre abord aussi : le discours publicitaire
et ses créateurs entrent en conflit avec une logique spéciale, la logique de l’autorité
(plus précisément, la logique de l’autorité épistémique), une théorie déployée par
le logicien J.M.Bochenski, dont les racines nous les avons indiquées d’ailleurs dans
quelques écrits de Platon (comme L’apologie de Socrate, Alcibiade, Gorgias ou Le
Sophiste).
35
Elodie Mielczareck, Déjouez les manipulateurs. L’art du mensonge au quotidien, chapitre
Les arguments et les mots du manipulateur, Nouveau Monde Editions, Paris, 2016, p. 19–48.
13 Sur la persuasion, la verité et le sophisme dans le discours publicitaire 335
parole »38. Par conséquent, le rhéteur, ayant l’art de la persuasion de la foule, est un
ignorant qui paraît devant les ignorants plus connaisseur que les connaisseurs39.
38
Ibidem, 455 b–c.
39
Ibidem, 459 d.
40
Ibidem, 453 a – 455 a.