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SUR LA PERSUASION, LA VERITÉ ET LE SOPHISME DANS LE DISCOURS


PUBLICITAIRE

Article  in  Revue Roumaine de Philosophie · March 2021

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Marius Dobre
Romanian Academy
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SUR LA PERSUASION, LA VERITÉ ET LE SOPHISME
DANS LE DISCOURS PUBLICITAIRE

MARIUS DOBRE

Abstract: Being many times accused of using manipulative techniques and ill rethoric,
the advertising discourse defends itself by saying that rules are different from that of
logic, pertaining to the art of creating persuasion; accordingly, the advertising discourse
would follow rhetoric, and not logic. Still, as long as within this discourse one often
find assertions that clearly break the rules of logic, i.e. sophisms or false statements,
one has reasons to believe that advertising discourse (be it political or commercial) is
meant to deceive the public or create a belief at all costs. One cannot always accept are
universal; logic shows us the soundness of human thinking (expressed either in ordinary
language or in the mathematical-symbolical one); therefore, all discourse must obey the
rules of logic, otherwise being unsound. We re-open, on this ground, an old topic of
social psychology above all, and we suggest another framework of analysis, a simple
one, coming from the logic.

Keywords: Persuasion, Truth, Sophism, Manipulation, Rhetoric, Logic.

LOGIQUE, RHÉTORIQUE, DISCOURS PUBLICITAIRE

Accusé trop de fois d’avoir utilisé des techniques manipulatoires ou des


rhétoriques défectueuses, le discours publicitaire se défend tout en disant que ses
règles sont séparées de celles de la logique, qu’elles sont des règles spécifiques de
l’art de convaincre; à ce sens, le discours publicitaire se situerait au prolongement
de la rhétorique et non pas de la logique (de la rhétorique définie, par exemple, comme
« art de persuader par le discours »1). Et pourtant, tant que dans ce discours apparaissent
fréquemment des formules qui enfreignent évidemment les règles de la logique,
c’est-à-dire des formules sophistiques ou des énoncés faux, il y a des raisons pour
croire que le discours publicitaire (commercial ou politique) contient des éléments
destinés à tromper l’auditoire ou à le convaincre à tout prix. Nous ne pouvons pas
toujours accepter que ce discours a ses propres règles de déroulement, comme le
1
Olivier Reboul, Introduction à la rhétorique. Théorie et pratique, PUF, Paris, 2014, p. 4.

Marius Dobre
Constantin Rădulescu-Motru Institute of Philosophy and Psychology of the Romanian
Academy, Bucharest, Romania; e-mail:dmariusdobre@yahoo.com

Rev. Roum. Philosophie, 61, 2, pp. 323–336, Bucureşti, 2017


324 Marius Dobre 2

prétendent d’habitude ceux qui sont impliqués dans ce phénomène, tant que les règles
de la logique sont universellement valables ; la logique démontre comment la pensée
humaine (transposée dans le langage habituel ou celui mathématique-symbolique)
fonctionne correctement ; donc, tout discours doit se soumettre aux règles de la
logique, autrement il sera défectueux. Pour cette raison, nous reprenons ici un ancien
sujet de débat dans la psychologie sociale surtout, tout en proposant un autre cadre
d’analyse, l’un peut-être plus simple, provenant de la perspective de la logique.
Ainsi, établir à l’intérieur de la rhétorique les bases de ce type de discours
n’est pas suffisant. Il faut se rappeler qu’Aristote lui-même, alors qu’il concevait la
science de la rhétorique comme art de la persuasion la soumettait à des conditions
restrictives précises : le caractère, le pathétique et le discours. L’orateur doit avoir
du « caractère », c’est-à-dire être vertical du point de vue moral, ensuite être capable
d’influencer « affectivement », et, finalement, avoir un discours argumentatif pour
convaincre « raisonnablement » l’auditoire : « C’est le caractère moral (de l’orateur)
qui amène la persuasion, quand le discours est tourné de telle façon que l’orateur
inspire la confiance. Nous nous en rapportons plus volontiers et plus promptement
aux hommes de bien, sur toutes les questions en général, mais, d’une manière absolue,
dans les affaires embrouillées ou prêtant à l’équivoque. Il faut d’ailleurs que ce
résultat soit obtenu par la force du discours, et non pas seulement par une prévention
favorable à l’orateur. Il n’est pas exact de dire, comme le font quelques-uns de
ceux qui ont traité de la rhétorique, – que la probité de l’orateur ne contribue en rien
à produire la persuasion mais c’est, au contraire, au caractère moral que le discours
emprunte je dirais presque sa plus grande force de persuasion. C’est la disposition
des auditeurs, quand leurs passions sont excitées par le discours. Nous portons autant
de jugements différents, selon que nous anime un sentiment de tristesse ou de joie,
d’amitié ou de haine. C’est le seul point, nous l’avons dit, que s’efforcent de traiter
ceux qui écrivent aujourd’hui sur la rhétorique. (…) Enfin, c’est par le discours lui-
même que l’on persuade lorsque nous démontrons la vérité, once qui paraît tel, d’après
des faits probants déduits un à un »2. Par conséquent, du point de vue d’Aristote,
nous pouvons dire qu’un discours publicitaire contenant des déficiences d’ordre
logique contreviendrait à la première et à la troisième condition du discours rhétorique
correct.
Une conclusion aux idées ci-dessus serait la suivante : si dans le discours
publicitaire nous avons à faire avec la sophistique ou le faux, alors on a à faire,
autrement dit, avec la volonté de tromper du point de vue argumentatif l’auditoire,
conformément à la définition de manuel du sophisme, à savoir une erreur de
logique commise à bon escient, à l’intention de tromper. Et ceux qui pratiquent de
tels discours devraient donc être nommés les sophistes de nos jours, les sophistes
modernes, des gens qui pratiquent la sophistique à l’échelle vaste, « industrielle »
même, pour ainsi dire. C’est une question énoncée déjà par Aristote, en rappelant
une pratique de son temps, mais qui ressemble d’une manière frappante avec celle
de nos jours : « Comme il y a certaines gens qui s’occupent plus de paraître sages
2
Aristote, Rhétorique, I, 2, 1356 a.
3 Sur la persuasion, la verité et le sophisme dans le discours publicitaire 325

que de l’être réellement sans le paraître; car la sophistique n’est pas autre chose
qu’une sagesse apparente et qui n’est point réelle, et le sophiste ne cherche qu’à
tirer un lucre d’une sagesse apparente qui n’a rien de vrai, il est clair que ces gens-
là cherchent plutôt à sembler faire œuvre de sagesse qu’à le faire réellement sans le
paraître »3. Chez Aristote apparaît assez explicitement donc l’idée de tromperie,
tout en parlant, dans son cas, des philosophes sophistes, maîtres du discours persuasif.
Platon, autre adversaire acharné de la rhétorique pratiquée par les sophistes de son
temps, parlait dans des termes pareils d’eux : « Et laisserons-nous dans l’oubli Tisias
et Gorgias, qui ont découvert que le vraisemblable vaut mieux que le vrai, et qui
savent, par la puissance de la parole, faire paraître grandes les petites choses, et petites
les grandes, donner à l’ancien un air nouveau et au nouveau un air ancien, enfin
parler à leur gré sur le même sujet d’une manière très concise ou très développée,
deux méthodes qu’ils se vantent d’avoir découvertes?»4 L’attitude de contestation
explicite de la rhétorique pratiquée faussement, justement à cause de sa perception
en tant que sophistique ou tromperie dans plusieurs situations, commencera dans la
période moderne, quand on énonce même la mort temporaire de la rhétorique, par
l’intermédiaire du rationalisme qui recherchait la vérité, mais aussi de l’empirisme
qui renvoyait à l’expérience et non pas à une technique de la parole, la forte
renaissance de la rhétorique ayant lieu à peine au XX-ème siècle. Mais, d’ailleurs,
ni même de nos jours la rhétorique ne s’est pourtant pas totalement débarrassée de
sa mauvaise réputation du passé, le terme de « rhétorique » étant associé souvent à
« une expression ostentatoire et vide5 » ou avec une sophistique.

LE CONCEPT DE MANIPULATION EN ABORD PSYCHOLOGIQUE

A proprement dire, dans le discours publicitaire il s’agirait non seulement de


persuasion au sens de la nouvelle rhétorique classique, mais aussi de manipulation,
pour utiliser un terme courant, ayant une forte connotation négative. Car la manipu-
lation est un travail masqué6, qui se produit sans avouer au récepteur les véritables
intentions de l’émetteur ; autrement dit, la manipulation est « une manœuvre plus ou
moins délibérée qui vise à obtenir un changement de jugement ou de comportement
de la part de la personne manipulée sans que celle-ci ait conscience de cette
manœuvre » 7. Ou: « Aux termes de la psychologie sociale, nous pouvons parler de
manipulation alors qu’une certaine situation sociale est créée d’une manière préméditée
pour influencer les réactions et le comportement des personnes manipulées dans le
sens visé par le manipulateur »8. En fait, il s’agit d’une « relation asymétrique »,

3
Aristote, Réfutations des sophistes, 1, 165 a.
4
Platon, Phèdre, 267 a–b.
5
Jennifer Richards, Rhetoric, Routledge, London, New York, 2008, p. 3.
6
Alex Mucchielli, L’art d’influencer (édition roumaine), Polirom, Iaşi, 2015, p. 54.
7
Cristophe Carré, Manuel de manipulation à l’usage des gentils. L’art de l’élégance relationelle,
Eyrolles, Paris, p. 28.
8
Bogdan Ficeac, Techniques de manipulation, Nemira, Bucarest, p. 16.
326 Marius Dobre 4

une « relation d’opposition », de méfiance entre les deux (d’une part, le vendeur,
l’orateur, l’agent publicitaire, le propagandiste, d’autre part, le client, l’auditeur, le
public cible), dans laquelle le manipulateur doit cacher cette relation qui peut mener à
la réflexion critique et à la défense de la part du manipulé9. Malgré certains risques
mineurs, mais réels, du vendeur (avoir à faire à un voleur, à un client mécontent en
permanence, à un concurrent non loyal), le client ou l’acheteur est une victime dans
la relation commerciale, parce que le produit offert pour l’achat peut être insatisfaisant,
cher ou inutile. D’ailleurs, un bon vendeur est une personne qui sait séduire, enchanter,
démontrer uniquement le beau côté des choses, bref, tromper10. A ce sens, à part les
techniques argumentatives manipulatoires habituelles, on peut indiquer aussi les
autres moyens à tente manipulatrice psychologique : le sourire, la gaieté, la désin-
volture ne sont que quelques conseils que tout manuel adresse aux vendeurs et aux
séducteurs de partout11.
La psychologie met en évidence maintes autres techniques de manipulation,
présentes surtout dans les médias, nombreuses d’entre elles étant reprises aussi dans
la théorie des sophismes de la logique alors qu’elles apparaissent sous la forme
d’arguments ; nous en reprenons ci-dessous quelques-unes12:
– L’exposition répétée d’un produit crée une « opinion positive » sur celle-ci
(un politicien qui apparaît souvent dans les médias, sans être associé à des événements
négatifs, comme des scandales de corruption, conflits sociaux etc., bénéficie de
« l’effet de la simple exposition »).
– « L’influence sociale » : du moment où un produit est déclaré comme apprécié
par de nombreux gens, il devient attractif pour de plus en plus nombreux, con-
formément à la tendance de ralliement à l’opinion des autres.
– « Le transfert symbolique » : l’association d’un produit avec un symbole
populaire (un politicien qui s’habille du tee-shirt de l’équipe nationale de football
ou mange une saucisse prolétaire se crée pour lui une bonne image reposée sur une
association inconsciente dans la pensée de la personne manipulée).
– « La congruence programme-publicité »: le consommateur préférera, par
exemple, la marque de bière associée à la série de film préférée.
– L’anthropomorphisation de certains produits : tout en connaissant le penchant
des gens de s’attacher aux objets (téléphones, automobiles etc.), la publicité présentera
des appareils en tant que machines ayant une âme ou des machines capables de se
transformer en humains.
– La stimulation de l’attitude égocentrique, c’est-à-dire la stimulation du sen-
timent « d’accomplissement » et de la jalousie sociale parmi les consommateurs (nous
trouverons toujours des gens qui désirent avoir plus que leur voisin ou le dépasser).
– La spéculation des moments de la journée : les produits d’alimentation
bénéficieront de publicités surtout pendant les repas principaux.
9
Alex Mucchielli, L’art d’influencer (édition roumaine), p. 92.
10
Ibidem, p. 117, 118.
11
Ibidem, p. 93.
12
Sébastien Bohler, 150 petites expériences de psychologie des médias. Pour mieux comprendre
comment on vous manipule, Dunod, Paris, 2008, p. 116–176.
5 Sur la persuasion, la verité et le sophisme dans le discours publicitaire 327

– La spéculation de la crédulité des enfants directement ou indirectement : de


nombreuses publicités misent sur l’attention des enfants prêtée à la télé, et par la
suite ils demanderont certains produits quand ils nous accompagneront aux achats ;
et comme il nous est difficile de leur refuser des choses…
– Le prestige de certaines marques : on présente des produits qui portent une
marque de prestige ; la marque convaincra l’auditoire, peu importe la qualité du produit.
– L’association d’un produit avec une musique agréable ou à la mode.
– La spéculation des souvenirs autobiographiques ; par exemple, une publicité
aux bonbons peut rappeler les moments ou les grands-parents nous rendaient visite
avec de tels cadeaux.
– Le cadre favorable à l’inoculation du message publicitaire, à savoir un
cadre qui rende disponible le consommateur à avaler facilement le message – par
exemple, les émissions TV doivent détendre le consommateur et constituer un « art
de perméabiliser le cerveau humain » pour recevoir le contenu des publicités.
Le principe utilisé dans de telles techniques de manipulation serait simple et
familier : « Il s’agit d’inclure le nom et la représentation du produit dans un message
extrêmement séduisant pour l’auditoire, qui le charme ou le choque positivement. Il
n’est pas nécessaire que ce message soit en rapport avec le produit, puisqu’on joue ici
sur un mécanisme typiquement pavlovien qui consiste à transférer le plaisir ressenti
par le message charmeur sur l’image du produit et le rendre ainsi plus attractif13 »”.
Malgré ces avertissements directs provenus de la psychologie, il y a aussi
l’opinion que l’on doit faire une différence entre la manipulation et l’influence, même
si une telle démarche est assez difficile, en dépendant en permanence de la conjoncture,
de chaque cas à part, etc.14, on parle même de la distinction manipu-lation positive-
négative (la première étant la manipulation effectuée dans l’intérêt de la personne
manipulée)15. Nous ne nous rendons pas compte si de tels concepts comme l’influence
ou la manipulation positive ne sont que des portes de secours pour les spécialistes
en communication ou pour les spécialistes en publicité (bien que la campagne non-
tabac ou celle pour une alimentation saine paraissent confirmer les concepts proposés),
mais elles peuvent être assez dangereuses tant que nous ne pouvons pas formuler
de critères clairs d’acceptation ; il s’agit de ces cas où l’on a à faire avec ces
concepts-ci ou tant que nous ne pouvons pas prouver clairement que derrière ces
campagnes, innocentes à première vue, se trouvent d’autres intérêts obscurs.

UN DISCOURS PUBLICITAIRE CORRECT

Nous devons dire qu’il y a un discours publicitaire qui peut être complè-
tement admis par les rigueurs de la logique : celui descriptif, c’est-à-dire le discours qui

13
Phillipe Breton, Argumenter en situation difficile (chapitre Analyser les ressorts de la publicité),
Editions La Découverte,Paris, 2004, p. 85.
14
Dominique Chalvin, Du bon usage de la manipulation, ESF éditeur, IIssy-les-Moulineaux,
2001, p. 18–19.
15
Cristophe Carré, La manipulation au quotidien. La repérer, la déjouer et en jouer, Eyrolles,
Paris, 2007, p. 208.
328 Marius Dobre 6

présente purement et simplement un produit, qui souligne certaines performances


de celui-ci ou qui indique ses nouvelles caractéristiques, même s’il a dans sa structure
des éléments élogieux (la publicité commerciale, au moins, est soumise à une norme
moral-juridique conformément à laquelle nous ne pouvons pas diffamer les produits de
la compétition, mais nous pouvons vanter notre propre produit), sans utiliser de
moyens logiques ou psychologiques pour tromper l’auditoire.
En prenant en considération l’un des éléments constitutifs du discours publi-
citaire, le signifiant linguistique (d’ailleurs, le principal coupable dans la formulation
de sophismes manipulatrices), le deuxième comme importance après le signifiant
iconique, nous observerons qu’il y a des formulations neutres ou qui ne concernent
pas les règles de la logique : la marque de la firme est présentée dans le contexte
d’une longue tradition, le nom du produit étant présenté pour mettre en évidence
certaines qualités (par exemple, « L’eau propre des Carpates ») ; le slogan est lancé
comme élément pour capter l’attention (par exemple « Mercedes classe E : Prête à
vous satisfaire »). D’ailleurs, Aristote lui-même recommandait l’attitude élogieuse
dans le cadre du genre rhétorique démonstratif (différent de celui judiciaire et
de celui délibératif – tous les trois étant les genres classiques de l’argumentation
rhétorique) : « Il faut aussi faire un grand usage des considérations qui augmentent
l’importance du fait loué ; dire, par exemple, si le personnage, pour agir, était seul,
ou le premier, ou avait peu d’auxiliaires, ou enfin s’il a eu la principale part
d’action. Ce sont autant de circonstances qui font voir sa belle conduite »16.
Voilà un exemple de discours descriptif plus large17: « Elle est pleine d’idées,
la nouvelle Mazda 626. Des idées qui montrent que ceux qui l’ont conçue et construite
savent que chaque détail comte pour vous rendre la route plus agréable. Ainsi, le
siège du conducteur a 9 positions de réglage dont un bouton-mémoire permet de
retrouver instantanément votre réglage personnel. Ou les sièges arrière rabattables
séparément. Sans oublier la radio-cassette stéréo à 3 longueurs d’ondes et les lève-
glaces électriques. On pourrait continuer ainsi et écrire un livre gros comme ça.
Mais notre best-seller est déjà là : c’est la nouvelle 626 ».
De même, le texte publicitaire peut prendre aussi d’autres formes acceptables
du point de vue logique : narration, dialogue entre personnages etc. Donc, de la pers-
pective de la logique, au moins, surtout l’ainsi-dit discours publicitaire argumentatif
doit être pris en considération, celui qui contient souvent réellement des éléments
manipulatoires.
*
Mais le discours publicitaire se revendique le droit à l’argumentation, tant
qu’il a tellement de points communs avec le discours rhétorique en général qui, à
son tour, s’assume plusieurs formes d’argumentation de la logique classique.
La rhétorique classique, au moins en variante d’Aristote, parlait de trois
genres d’argumentation rhétorique – délibératif, judiciaire et démonstratif : « La
16
Aristote, Rhétorique, 1368 a.
17
Jean-Michel Adam, Marc Bonhomme, L’argumentation publicitaire, Armand Colin, Paris,
2102, p. 175.
7 Sur la persuasion, la verité et le sophisme dans le discours publicitaire 329

délibération comprend l’exhortation et la dissuasion. En effet, soit que l’on délibère


en particulier, ou que l’on harangue en public, on emploie l’un ou l’autre de ces
moyens. La cause judiciaire comprend l’accusation et la défense : ceux qui sont en
contestation pratiquent, nécessairement, l’un ou l’autre. Quant au démonstratif, il
comprend l’éloge ou le blâme »18.
On nous dit que la publicité a sa propre forme d’argumentation, qui met au
centre la persuasion, se trouvant loin de l’argumentation « classique » : « La rhétorique
publicitaire (…) doit être plus pensée en termes de persuasion et d’action (…)
qu’en termes de conviction et d’intelligence. Bien loin de donner des raisons à
l’appui ou à l’encontre d’une thèse, le discours publicitaire s’apparente au genre
épidictique („démonstratif” des Latins) »19. Nous reprenons que, si la rhétorique
publicitaire s’arrêtait à ce type de discours (élogieux), elle n’enfreindrait pas les
lois de la logique. D’ailleurs, des auteurs contemporains réputés ont essayé de
réhabiliter le discours épidictique qui avait été englobé dans la prose littéraire, en le
considérant une partie centrale de l’art de la persuasion, étant destiné à augmenter
« l’intensité de l’adhésion à certaines valeurs »20. Malgré cela, comme nous le
verrons, il y a des difficultés que ce type de discours ne peut pourtant pas sur-
monter. Pour éviter de telles difficultés, la rhétorique publicitaire redéfinit le terme
d’argumentation, en le séparant de la démonstration (représenté par le raisonnement
nécessaire logique ou par le raisonnement mathématique). L’argumentation publicitaire
serait, dans notre compréhension, plutôt une stratégie raisonnable de persuasion de
l’auditoire, malheureusement, pas toujours correcte.
*
Pourtant, dans les textes publicitaires, on apparaisse souvent des arguments,
et, toujours souvent, les arguments sont correctes, forts, et cela en dehors des
descriptions appréciatives.
Le syllogisme et l’enthymème, par exemple, sont considérés des modèles
élémentaires de l’argumentation publicitaire21. En prenant la publicité :
Toutes les qualités se trouvent dans les fleurs.
Toutes les fleurs se trouvent dans le miel.
Le miel X.
On pourrait refaire un syllogisme de la façon suivante :
Toutes les qualités se trouvent dans les fleurs.
Toutes les fleurs se trouvent dans le miel.
Donc, toutes les qualités se trouvent dans le miel.
Ce n’est que la conclusion qui a été remplacée avec le nom du produit, car
l’affichage exact du schéma du syllogisme serait peu convaincant : « L’effacement

18
Aristote, Rhétorique, 1358 b.
19
Jean-Michel Adam, Marc Bonhomme, L’argumentation publicitaire, p. 28–29.
20
Chaïm Perelman, Lucie Obrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation, Editions de l’Université de
Bruxelles, 2008, p. 64, 67.
21
Jean-Michel Adam, Marc Bonhomme, L’argumentation publicitaire, p. 157–158.
330 Marius Dobre 8

et l’implicite, le travail sur et avec inférences possibles représentent, en fait, la


règle des textes, la complétude constituant une norme-limite et même illusoire en
ce domaine »22. L’enthymème publicitaire est composé d’une ou deux propositions
du syllogisme. Par exemple, dans la publicité :
« J’aime tout ce qui est naturel, et mon visage aime Monsavon » il manque
la prémisse « Monsavon est naturel ».
Les arguments peuvent prendre, bien sûr, d’autres formes aussi, avec des
enchaînements des prémisses et des conclusions contenant naturellement les éléments
appréciatifs nécessaires (directement ou indirectement), comme dans le cas suivant23 :
Les hommes aiment les femmes aux mains molles /Vous le saviez /Mais vous
savez aussi que vous faites la vaisselle/ D’autant plus vous ne renoncez pas à votre
charme et utilisez Mir Rose/ Votre vaisselle sera propre et brillante/Et vos mains
seront plus molles et belles grâce à l’extrait de roses de Mir Rose/ Elles ne pourront
que vous remercier tout comme votre mari.
La logique peut accepter aussi, bien sûr, certains jeux à allure logique destinés à
bien disposer l’auditoire de la publicité, comme dans le cas suivant :
« Comment rencontrer l’amour grâce à la Cinquecento. La Cinquecento con-
somme très peu. Donc, vous faites des économies. Donc, vous avez de l’ argent.
Donc, vous pouvez le jouer. Donc, vous pouvez le perdre. Donc, vous êtes malheureux
au jeu. Donc, heureux en amour. Fiat Cinquecento. La voiture qu’il vous faut, donc ».

DÉFICIENCES LOGIQUES DU DISCOURS PUBLICITAIRE

Mais, avec tous ces exemples, nous pouvons mettre en évidence aussi le
premier problème de l’argumentation publicitaire. Nous pouvons observer que, du
point de vue logique, en ajoutant certaines prémisses convenables à toutes les
conclusions du dernier argument, par exemple, nous pouvons obtenir un argument
valide, mais le problème serait la valeur de vérité de certaines d’entre elles, ce qui
rendrait finalement tout l’enchaînement logique peu concluant. (Un argument est
concluant alors qu’il accomplit la condition de la validité et celle de la vérité des
propositions qui le composent24.) Par conséquent, bien que le texte ci-dessus se
désire argumentatif (et du point de vue de l’argumentation publicitaire il l’est
réellement25), il a pourtant des déficiences de logique liées à la vérité de quelques-
unes des propositions (par exemple, nous ne pouvons pas considérer comme vrai
l’énoncé « Si tu n’as pas de chance au jeu de cartes, tu as de la chance en amour » ;
l’énoncé est certainement contingent). Mais, nous le répétons, considéré uniquement
comme un jeu amusant, le texte peut être accepté. Bien sûr, la logique n’a pas la

22
Ibidem, p. 158.
23
Ibidem, p. 169
24
Petre Bieltz, Les bases de la pensée critique, Edition de l’Académie Roumaine, Bucarest,
2012, p. 3.
25
Jean-Michel Adam, Marc Bonhomme, L’argumentation publicitaire, p. 152.
9 Sur la persuasion, la verité et le sophisme dans le discours publicitaire 331

prétention d’imposer dans tout discours des arguments valides. Elle accepte facilement
des arguments plus relâchés comme :
X est un bon père de famille / X participe à de nombreuses actions humanitaires
au sein de la communauté / X a prouvé être un bon administrateur à l’entreprise où
il a travaillé / X est une personne respectée au sein de la communauté / Donc, X
peut être un bon politicien.
Ici, les prémisses soutiennent assez bien la conclusion, de sorte que l’argument
est accepté du point de vue logique, étant assez fort. Nous pouvons observer ici que
nous avons à faire avec un argument inductif avec une conclusion probable ; la
signification importante que nous dévoilons ici est qu’il existe déjà un type de
logique qui s’occupe du « vraisemblable » / « probable », c’est-à-dire tout justement de
ce que la rhétorique publicitaire prétend s’occuper (à voir en bas) ; il en résulte que
la logique a aussi dans ce domaine la légitimité de juger l’argumentation publicitaire.
D’ailleurs, en général, la logique et ses branches plus récentes comme la théorie
de l’argumentation ou la pensée critique acceptent des formes d’argumentation
spéciales, adaptées au contexte quotidien (tout comme c’est le cas de l’argument
ci-dessus), étant même une suggestion d’Aristote : «(…) ne pas chercher une égale
précision en toutes choses, mais au contraire, en chaque cas particulier tendre à
l’exactitude que comporte la matière traitée, et seulement dans une mesure appropriée
à notre investigation. Et, en effet, un charpentier et un géomètre font bien porter
leur recherche l’un et l’autre sur l’angle droit, mais c’est de façon différente : le
premier veut seulement un angle qui lui serve pour son travail, tandis que le second
cherche l’essence de l’angle droit ou ses propriétés, car le géomètre est un con-
templateur de la vérité »26. Les arguments « qui ont pour objet les passions et les
actions morales »seront assez nombreux sous l’aura du probable. De même, « (…)
la discussion qui a pour objet les différents groupes de cas particuliers manque-telle
également de rigueur, car elle ne tombe ni sous aucun art, ni sous aucune
prescription, et il appartient toujours à l’agent lui-même d’examiner ce qu’il est
opportun de faire (…) »27.
Mais ceux qui soutiennent l’idée d’argumentation publicitaire en qualité
d’argumentation à part, spécifique, fait appel d’habitude à des distinctions comme
celle proposée par Perelman entre l’argumentation et la démonstration pour justifier
‘éventuelles déficiences d’ordre logique : (1) la démonstration transfère la vérité
des prémisses à la conclusion, pendant que l’argumentation transfère l’adhésion
prêtée aux prémisses vers la conclusion28 (2) ou comme celle proposée par Aristote
entre la recherche scientifique (qui utilise la logique déductive) et la recherche
argumentative, soumise au sens commun, au contingent, au probable (qui utilise la
dialectique et la rhétorique)29. Les distinctions en sont acceptables jusqu’à un point,

26
Aristote, Éthique à Nicomaque, 1098 a.
27
Ibidem, 1104 a.
28
Jean-Michel Adam, Marc Bonhomme, L’argumentation publicitaire, p. 166.
29
Maurice Natanson, The Limits of Rethoric, in Maurice Natanson and Henry W. Johnstone Jr.
(eds.), Philosophy Rhetoric and Argumentation, The Pennsylvania University State, University of
Park, PA, 1965, p. 96.
332 Marius Dobre 10

au fond un repère de bon sens, souligné aussi par Aristote : quelle valeur a
l’argumentation, de n’importe quel type, tant qu’elle ne communique pas de
vérités, soient-elles au moins situées sous le signe du probable ? Ou: pouvons-nous
parler d’argumentation authentique et non pas de tromperie, de manipulation, en
dehors de la vérité ? Toute l’argumentation publicitaire risque de saper le statut ne
pouvant pas franchir cette étape importante.
L’un des problèmes principaux de l’argumentation publicitaire reste donc la
vérité ; on sacrifie la vérité sur l’autel de la conviction. Il y a des auteurs qui nous
proposent de ne pas juger le discours publicitaire à l’aide des catégories « forts » de
vérité ou de fausseté, mais plutôt, par celle de « vraisemblance », comme nous le
disions ci-dessus30. Mais la vraisemblance du discours publicitaire ressemble d’une
manière contrastante avec celle des tribunaux athéniens promue par les orateurs
sophistes dont parlait Platon : « qu’au fait, dans les tribunaux, personne ne se mêle
d’enseigner la vérité, mais de persuader ; que c’est au vraisemblable qu’il faut
s’appliquer sans cesse pour parler avec art ; qu’en quelques occasions il faut même
présenter les faits non comme ils se sont passés, mais comme ils ont dû se passer,
soit dans l’accusation, soit dans la défense; qu’enfin il faut rechercher en tout
l’apparence aux dépens de la réalité ; que ce soin, en s’étendant à tout le discours,
constitue à lui seul l’art oratoire »31. Au XX-ème siècle, il y a aussi de nombreux
auteurs qui ont démontré que nous nous trouvons devant une difficulté majeure du
discours publicitaire ; en voilà deux telles opinions : la publicité, dans son essence,
renvoie à l’intention de convaincre le destinataire du message, sans se soucier de la
vérité32; ou : par sa nature, la publicité ne peut pas informer purement et
simplement sans déformer ou désinformer, car elle est payée de nous dire que de
bonnes choses. Du moment où elle présente quelque chose ou argumente en faveur
de quelque chose, elle ment par omission, car elle passe sous le silence tous les
défauts33. Il y a d’ailleurs des voix à l’intérieur du phénomène publicitaire qui
reconnaissent ouvertement qu’il s’agit de mensonge dans le discours publicitaire :
« La pub a ceci de très particulier que tout le monde sait qu’elle ment. L’homme
politique, souvent, essaie de convaincre qu’il ne ment pas. Mais la pub n’a pas
cette hypocrisie. (…) Je dirais même que mon travail consiste à mentir avec
élégance. Même si le public sait qu’on lui raconte des bobards pour vendre, on peut
établir avec lui une connivence, en donnant un signal qui montre qu’on est en train
de jouer »34.
*
A part le problème de la vérité, j’ai déjà dit qu’on pose aussi le problème du
contenu sophistique du message publicitaire (politique ou commercial). Prenons

31
Platon, Phèdre, 272 e – 273 a.
32
Louis Porcher, Introduction à une sémiotique des images, Didier-Credif, Paris, 1976, p. 222.
33
Jacques Séguéla, Fils de pub, Flammarion, Paris, 1983. p. 215, apud Jean-Michel Adam,
Marc Bonhomme, L’argumentation publicitaire.
34
Alexandre Lacroix, Fabriquer du rêve avec du réel (et vice-versa), témoignage dans un
reportage réalisé dans le monde publicitaire „Philosophie Magazine”, nr. 97, 2016, p. 54–55.
11 Sur la persuasion, la verité et le sophisme dans le discours publicitaire 333

quelques exemples de différents types de publicités (commerciales ou politiques,


présentes soit sous la forme du slogan, soit du texte publicitaire court).
– « Tout le monde utilise la lessive X, donc tu dois l’utiliser aussi ». Nous
avons ici à faire, tout d’abord, avec une généralisation hâtive, étant évident que tout
le monde n’utilise pas la telle lessive, et, en deuxième lieu, avec le sophisme
nommé sophisme populiste ou ad populum. Nous pouvons inclure ici aussi la
publicité « La génération Coca-Cola ».
– « Pour toi, une personne toute particulière, le parfum Y”, « Qualité pour une
personne de qualité » ou « Parce que nous méritons!» De telles formulations sont
présentes dans les livres de théorie des sophismes dans la catégorie « sophisme du
snobisme ».
– « Ne consommez que des aliments bio. Autrement, en mangeant non-
naturel, vous rendrez malade votre foie, l’estomac et le système cardiovasculaire,
allant jusqu’au décès prématuré ». Cette argumentation publicitaire pourrait être
incluse aisément dans la catégorie sophistique qui porte le nom de « pente
savonneuse ».
– « Pour convaincre l’auditoire, on utilise souvent l’euphemisme (en tant que
sophisme de langage) pour cacher la signification de certains termes précis: pour
« voiture de seconde main », l’on peut utiliser l’expression « voiture qui a appartenu à
quelqu’un »; pour « rebelles », l’on peut utiliser l’expression « combattants pour la
liberté ».
– « Trois sur quatre stomatologues questionnés recommandent la pâte den-
tifrice X ». Nous pouvons considérer ici que dans la publicité a été introduit le mot
« belette » (comme sophisme de langage, de nouveau), à savoir le terme „questionnés”,
parce qu’on ne montre pas le critère, par exemple, d’après lequel ont été selectés
les stomatologues respectifs. D’autres expressions « belette » (weaselers) pour
induire des convictions sont celles comme : « il est possible », « certains disent ».
– Les publicités utilisent souvent les „preuves substitut” (proof surrogates)
du type « Les études démontrent que...», « De nouvelles recherches scientifiques
indiquent le fait que...», sans préciser de quelles études il s’agit, si les recherches
respectives sont réalisées par des chercheurs authentiques spécialistes dans le
domaine ou par des entreprises de sondage de l’opinion publique, etc.
– La fausse alternative apparaît aussi dans le discours des manipulateurs,
comme dans l’exemple: « Amérique. Love it or leave it! » Nous pouvons aimer
l’Amérique à certains égards, mais nous pouvons la détester aussi (beaucoup de
gens n’agréent pas le système capitaliste qui paraît être imposé par Wall Street, par
exemple). La fausse alternative est souvent présente sous la forme de « l’axe bien-
mal »: L’Islame contre le monde occidental bon”.
– L’appel à l’émotivité, ayant quelques dizaines de variantes est, naturellement,
le plus présent dans la manipulation publicitaire. Voilà une publicité pour une
compagnie d’assurances: « Tu as vu ce qui s’est passé avec le bâtiment X du centre
de la ville? Il a pris feu et il n’a même pas été assuré. Il vous arrivera la même
334 Marius Dobre 12

chose si vous ne prenez pas à temps de précautions! Viens, donc, aux Assurances
S.A., vous serez soulagés de tout désagrément » (le sophisme de menace). Ou: « Si
tu joues au Superbingo, alors il est possible de gagner. Si tu veux donc gagner, il
faut absolument jouer. Superbingo Europa » (le sophisme de l’espoir).
Dans la publicité politique (slogans, textes courts à la TV ou sur des affiches
électoraux), tout comme dans le discours politique en général, nous rencontrerons
plus souvent des sophismes de langage, dans toute leur diversité moderne (les
sophismes de langage ayant eux-aussi une grande diversité de sous-types à notre
époque), et les chercheurs du phénomène n’hésitent pas à les capturer, à les nommer et
à les démasquer; par exemple35 :
– L’utilisation de « tournures impersonnelles » – mettre les pronoms imper-
sonnels entre parenthèses et mettre en jeu uniquement des expressions mobilisatrices
comme « il faut », « il est important de », « il y a », « il conviendrait de », « il n’y a
qu’à » etc.
– L’utilisation des mots pompeux, des valeurs abstraites, comme : « Liberté,
Egalité, Fraternité, Démocratie, Solidarité, Respectabilité, Vérité ».
– L’appel aux adverbes qui peuvent prouver « la bonne volonté » : franchement,
sincèrement, absolument, clairement, effectivement, réellement, honnêtement etc.
– L’implication (fausse) dans le projet, en utilisant des « tournures empha-
tiques » du type « moi, je », « moi, non », « avec moi ».
– L’utilisation du futur sans une date précise : « je ferai », « nous mettrons en
œuvre », « je réaliserai » etc.
– « Caresser l’autre dans le sens du poil », la fausse concession: « vous avez
raison », « absolument », « je reconnais volontiers que… ».
– L’appel aux généralisations : tous, aucun, personne, tout le monde, toujours,
jamais, systématiquement etc.
Bien sûr, la liste pourrait continuer. Il est évident maintenant que le discours
publicitaire habille différentes formes sophistiques, représentant une source inépuisable
pour les chapitres réservés aux erreurs de logique des manuels de spécialité du
monde entier.

LE DISCOURS PUBLICITAIRE ET LA LOGIQUE DE L’AUTORITÉ

D’autre part, nous proposons ici un autre abord aussi : le discours publicitaire
et ses créateurs entrent en conflit avec une logique spéciale, la logique de l’autorité
(plus précisément, la logique de l’autorité épistémique), une théorie déployée par
le logicien J.M.Bochenski, dont les racines nous les avons indiquées d’ailleurs dans
quelques écrits de Platon (comme L’apologie de Socrate, Alcibiade, Gorgias ou Le
Sophiste).

35
Elodie Mielczareck, Déjouez les manipulateurs. L’art du mensonge au quotidien, chapitre
Les arguments et les mots du manipulateur, Nouveau Monde Editions, Paris, 2016, p. 19–48.
13 Sur la persuasion, la verité et le sophisme dans le discours publicitaire 335

La relation d’autorité épistémique est définie par Bochenski comme une


relation entre un porteur d’autorité, un sujet de l’autorité et un domaine dans lequel
le porteur est une autorité pour le sujet. Le porteur est donc une personne com-
pétente dans un domaine, un spécialiste, un expert pour le sujet duquel on lui
transmet une information36.
Dans cet ordre d’idées, nous pouvons nous poser la question : dans quelle
mesure l’agent publicitaire, celui qui crée la publicité ou le discours publicitaire en
général est une autorité épistémique (un porteur d’autorité) dans le domaine où l’on
fait de la publicité ? Par exemple, en promouvant un produit de cosmétique, l’agent
publicitaire assure au public (sujet de l’autorité) que c’est un produit révolutionnaire
qui a des qualités de rajeunissement de la peau. Il est évident que l’agent publi-
citaire ou le vendeur d’un produit de ce type n’a pas la compétence nécessaire dans
le domaine de la dermatologie (il n’est pas un spécialiste). Ni même s’il utilise la
formule « Les spécialistes dermatologues soutiennent que le produit X est révolution-
naire…, » il ne peut être accepté comme intermédiaire que dans certaines conditions
comme par exemple : l’indication précise des spécialistes qui ont testé le produit,
les conditions du laboratoire où ils l’ont testé, les critères selon lesquels ils l’ont
testé, des témoignages de ceux qui se sont laissés tester avec ce produit, etc. Mais
tout cela ne pourrait pas trouver sa place dans une simple publicité ou il serait trop
cher de les afficher totalement. Par conséquent, l’agent de publicité demeure un
trompeur, une personne qui commet un abus d’autorité épistémique, tout en s’érigeant
en un spécialiste en dermatologie, lui n’étant d’ailleurs qu’un simple manipulateur
du public.
On se trouve dans la situation indiquée par Platon, dans le dialogue Gorgias
et qui vaut la peine d’être rappelée ici : le spécialiste en rhétorique, dont la com-
pétence est la persuasion, se mettra à la place du spécialiste (médecin, politicien,
juriste), en discutant avec effet de conviction à la place de ceux-ci37, justement
parce qu’il détient mieux l’art du discours, de la parole plus exactement. Platon lui-
même insiste pour le principe de la spécialisation : « Lorsque la cité convoque une
assemblée pour choisir des médecins, des constructeurs de navires ou quelque autre
espèce d’artisans, ce n’est pas, n’est-ce pas, l’homme habile à parler que l’on
consultera ; car il est clair que, dans chacun de ces choix, c’est l’homme de métier
le plus habile qu’il faut prendre. Ce n’est pas lui non plus que l’on consultera, s’il
s’agit 455b – 456b de construire des remparts ou d’installer des ports ou des arsenaux,
mais bien les architectes. De même encore, quand on délibérera sur le choix des
généraux, l’ordre de bataille d’une armée, l’enlèvement d’une place forte, c’est aux
experts dans l’art militaire qu’on demandera conseil, et non aux experts dans la
36
J.M. Bochenski, Ce este autoritatea? Introducere în logica autorităţii (Qu’est-ce que l’autorité?
Introduction à la logique de l’autorité, édition roumaine), Humanitas, Bucarest, 1992, p. 57–69.
37
Platon, Gorgias, 453 a – 453 c.
336 Marius Dobre 14

parole »38. Par conséquent, le rhéteur, ayant l’art de la persuasion de la foule, est un
ignorant qui paraît devant les ignorants plus connaisseur que les connaisseurs39.

PENSÉE POUR CONCLURE

Le discours publicitaire peut donc être caractérisé dans de nombreuses


situations comme un manipulateur. Nous avons pourtant à faire à une manipulation
acceptée socialement, légale, en vertu du droit des producteurs de vanter leur
marchandise. Mais, comme on le disait déjà, il y a dans le domaine de la publicité
des moyens honnêtes et des discours décents pour la promotion des produits, de
façon à pouvoir remplacer le faux et l’illogique. Nous pouvons créer des publicités
attrayantes par des moyens honnêtes surtout, ce qu’il faut de plus étant une dose
plus grande de créativité. La publicité suivante en est illustrative pour ce que nous
désirons dire, bien que faire des publicités selon ce modèle soit réellement une cible
utopique : « Dans la publicité Sprite, on te présente une bouteille de Sprite pour que tu
aies soif et t’acheter une bouteille de Sprite. Ne dis pas que je ne te l’ai pas dit ! »
A la fin, nous suggérerions penser de nouveau à Platon qui militait pour un
art de la persuasion basée sur la science, sur la connaissance (qui demeure l’apanage
des sciences particulières, pourtant) ; les sciences particulières peuvent être elles-
mêmes des disciplines de la persuasion, tant qu’elles sont évidemment plus maîtres
de leur domaine qu’un discours manipulatoire ou un autre40.
Nous pouvons nous imaginer qu’un tel art est possible de nos jours ou surtout
de nos jours, quand les sciences peuvent se communiquer les résultats plus facilement.

38
Ibidem, 455 b–c.
39
Ibidem, 459 d.
40
Ibidem, 453 a – 455 a.

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