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LA NOUVELLE NOMENCLATURE DES ACTES DANS LE TRAITÉ DE

LISBONNE

Laetitia Guilloud

Université Saint-Louis - Bruxelles | « Revue interdisciplinaire d'études juridiques »

2011/1 Volume 66 | pages 85 à 108


ISSN 0770-2310
Article disponible en ligne à l'adresse :
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R.I.E.J., 2011.66

La nouvelle nomenclature des actes


dans le Traité de Lisbonne
Laetitia GUILLOUD, Professeur de droit public,
Université de Savoie1

Introduction

A. Le droit de l’Union européenne et les sources du droit


Que la notion de « source du droit » soit complexe, cela n’est
plus à démontrer mais impose une grande prudence à l’abord du sujet2.
Dans le cadre de l’Union européenne, l’article 288 TFUE (ex-article
249 TCE) invite à éluder cette question de la définition de la notion en
imposant apparemment à l’observateur une typologie des sources du
droit de l’Union. Mais cette typologie, bien que diversifiée, est loin
d’être complète. Elle laisse en effet de côté les traités fondateurs de
l’Union européenne, la jurisprudence de la Cour de justice, les actes
conventionnels ou bien encore les actes dit « hors nomenclature ». À
tel point que certains auteurs dénient à cette disposition toute
prétention à s’ériger en typologie des sources du droit de l’Union3. Si
cette conclusion peut paraître excessive, le caractère lacunaire de la
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1
Cet article fait suite à une intervention dans le cadre du séminaire sur « Les sources
du droit revisitées » organisé par le SIEJ (Facultés universitaires Saint-Louis à
Bruxelles) le 5 novembre 2010. L’auteur remercie très sincèrement les organisateurs
du séminaire pour leur invitation et pour l’ensemble de leurs remarques.
2
Sur les différents sens du mot source, cf. notamment Ph. JESTAZ, « Source
délicieuse… (Remarques en cascades sur les sources du droit) », in RTD civ.,
1993, pp. 73-85. Voir également I. HACHEZ, « Balises conceptuelles autour des
notions de “source du droit”, “force normative” et “soft law” », in R.I.E.J., n° 65,
2010, pp. 1-65.
3
Ainsi selon C. BLUMANN et L. DUBOUIS : « les traités constitutifs de l’Union,
comme jadis les traités constitutifs des Communautés européennes, ne proposent
aucune typologie des sources de droit », in Droit institutionnel de l’Union
européenne, Paris, Litec, 2010 (4e édition), p. 253. On pourrait en effet se demander
si tous les actes mentionnés dans l’article 288 TFUE constituent des sources du droit
de l’Union. La question se pose, notamment, à l’égard des recommandations et des
avis qui « ne lient pas ».

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typologie révèle néanmoins, comme le soulignent P. Deumier et Th.


Revet, que « la velléité d’établir officiellement les sources du droit est
non seulement paradoxale mais, surtout, illusoire […] elle nie,
fondamentalement et contre toute évidence, le pluralisme des sources
du droit »4.
La typologie issue du traité étant incomplète, la doctrine s’est
efforcée de dresser sa propre typologie. La catégorisation retenue
diffère néanmoins selon les auteurs. L’une des classifications
traditionnelles des sources du droit de l’Union européenne repose sur
la distinction entre les sources primaires (les traités fondateurs de
l’Union) et les sources dérivées (comprenant les actes unilatéraux
adoptés par les institutions européennes ainsi que les actes
conventionnels conclus au nom de l’Union). Ce qui reste
(jurisprudence, principes généraux du droit, droit international) est
alors (artificiellement) regroupé sous l’appellation de sources
subsidiaires. Néanmoins, le contenu de ces catégories n’est pas figé.
Certains auteurs considèrent ainsi les actes conventionnels conclus par
l’Union européenne comme des sources « autonomes » ne faisant pas
partie du droit dérivé5. La jurisprudence de la Cour de justice, quant à
elle, est parfois assimilée aux sources primaires6. Enfin, d’autres
classifications sont envisageables. J.-S. Bergé et S. Robin-Olivier7
distinguent ainsi : les sources internes et les sources externes8, les
sources écrites (traités, actes de droit dérivé) et les sources non écrites
(jurisprudence, principes généraux du droit), les sources contrai-
gnantes et les sources non contraignantes.
Ces différentes classifications ont pour point commun d’ignorer
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certaines sources de droit, qui ne sont pas considérées comme des
sources du droit de l’Union européenne : la doctrine et la coutume. En
4
P. D EUMIER et Th. REVET, « Sources du droit », in S. Rials, Dictionnaire de culture
juridique, Paris, P.U.F., 2003, p. 1431.
5
Cf. par exemple en ce sens : J. RIDEAU, Droit institutionnel de l’Union et des
Communautés européennes, Paris, LGDJ, 2006 (5e édition).
6
J. ROUX, Droit général de l’Union européenne, Paris, Litec, 2006. En toute
hypothèse, cette assimilation ne concerne que les cas dans lesquels la Cour de justice
interprète les traités ou dégage des principes généraux du droit.
7
J.-S. BERGE et S. ROBIN-OLIVIER, Introduction au droit européen, Paris, P.U.F.,
2008.
8
Les sources internes sont celles qui sont élaborées dans l’enceinte de l’Union,
tandis que les sources externes font intervenir des États tiers ou d’autres
organisations internationales. Ibidem, p. 38.

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ce qui concerne la doctrine, C. Blumann et L. Dubouis considèrent


ainsi que « si les conceptions qu’elle développe peuvent exceptionnel-
lement exercer une influence sur les autorités créatrices de la règle de
droit, notamment le juge, elle ne constitue en aucune manière une
source directe du droit de l’Union »9. Quant à la coutume, son
existence au sein du droit de l’Union européenne a déjà été examinée
– et rejetée en l’espèce – par la Cour de justice10. Elle admet
cependant que certaines coutumes issues du droit international
puissent constituer des sources du droit de l’Union11. En revanche, la
Cour écarte systématiquement l’application de tout principe du droit
international qui serait contraire aux autres sources du droit de
l’Union12.
À l’examen de ces typologies des sources du droit, on constate
que des procédés comparables d’élaboration des normes sont utilisés
dans l’ordre juridique interne – celui des États membres – et dans
l’ordre juridique de l’Union européenne : actes unilatéraux, actes
conventionnels, jurisprudence. Cette proximité entre ordre juridique
9
Droit institutionnel de l’Union européenne, op. cit., p. 524.
10
CJCE, 10 février 1983, Luxembourg contre Parlement, aff.230/81, Rec. pp. I-255
et ss., point 44 : « il convient toutefois d’observer que cette pratique [consistant à
tenir une partie des séances plénières à Luxembourg] avait été décidée par le
Parlement de sa propre initiative, et qu’elle n’avait été approuvée ni expressément ni
implicitement par les États membres. Au contraire, le gouvernement français a
contesté, à plusieurs reprises, la compatibilité de cette pratique avec les décisions
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des États membres et a demandé qu’elle soit modifiée. C’est donc à tort que le
gouvernement luxembourgeois fait valoir qu’une coutume aurait été créée en sa
faveur par cette pratique ».
11
Ainsi, « on ne saurait refuser à un justiciable, lorsqu’il se prévaut en justice des
droits qu’il tire directement d’un accord avec un pays tiers, la faculté de mettre en
cause la validité d’un règlement qui, en suspendant les concessions commerciales
octroyées par cet accord, l’empêche de s’en prévaloir, et d’invoquer, pour en
contester la validité, les obligations découlant des règles du droit coutumier
international qui régissent la cessation et la suspension des relations
conventionnelles ». CJCE, 16 juin 1998, Racke, aff. C-162/96, Rec. pp. I-3665 et ss.
12
Il en va ainsi, notamment, du principe réciprocité. Cf. CJCE, 26 févr. 1976,
Commission contre Italie, aff. 52/75, Rec. 1976, p. 277, point 11 : « en effet, le traité
ne s’est pas borné à créer des obligations réciproques entre les différents sujets
auxquels il s’applique, mais a établi un ordre juridique nouveau qui règle les
pouvoirs, droits et obligations desdits sujets, ainsi que les procédures nécessaires
pour faire constater et sanctionner toute violation ».

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interne et ordre juridique de l’Union européenne se manifeste


également, lorsque l’on entreprend d’analyser l’Union européenne à
travers la grille de lecture proposée par Hart.

B. La règle de reconnaissance dans l’Union européenne


La règle de reconnaissance, qui constitue l’une des trois
catégories de règles secondaires13, détermine selon Hart « un ou
plusieurs traits qui peuvent être considérés comme indiquant d’une
manière positive et décisive que la règle visée qui les possède
constitue bien une règle du groupe, et qu’elle devra être soutenue par
la pression sociale exercée par ce groupe »14. La règle de
reconnaissance permet ainsi d’identifier, au sein d’un système
juridique donné, les règles de droit valides15. C’est aussi elle qui
permet de transformer un ensemble de règles juridiques en un système
cohérent.
Hart considère qu’il n’est pas possible d’identifier des règles
secondaires au sein du droit international. Selon lui, « le droit
international manque non seulement des règles secondaires de
changement et de décision qui pourvoient à l’existence d’un corps
législatif et de tribunaux, mais également d’une règle de
reconnaissance qui, en spécifiant les « sources » du droit et en
fournissant des critères généraux permettant d’identifier ses règles,
assure leur unité »16. Néanmoins, l’auteur raisonne dans le cadre d’une
structure formelle du droit international caractérisée par « l’absence
d’un corps législatif, de juridictions dotées de pouvoirs coercitifs et de
sanctions organisées officiellement »17. Or, la structure du système
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juridique de l’Union européenne est bien différente. La Cour de

13
Sur la notion de règle de reconnaissance et de règle secondaire, cf. Ph. G ERARD,
« L’idée de règle de reconnaissance : valeur, limites et incertitudes », in R.I.E.J.,
n° 65, 2010, pp. 65-85.
14
H.L.A. HART, Le concept de droit, trad. M. van de Kerchove, Bruxelles,
Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2005 (2e édition), p. 114.
15
« Dire qu’une règle donnée est valide, c’est reconnaître qu’elle satisfait à tous les
critères fournis par la règle de reconnaissance et qu’elle constitue ainsi une règle du
système », ibidem, p. 122.
16
Ibidem, p. 232.
17
Ibidem, p. 249.

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justice de l’Union européenne18 est dotée de pouvoirs coercitifs et les


mécanismes de sanctions incarnés dans les différentes voies de
recours font de l’Union européenne, pour paraphraser la Cour de
justice, une « Union de droit »19. La capacité conférée aux institutions
européennes d’adopter des actes contraignants, s’imposant aux États
membres et à leurs ressortissants, permet également d’identifier, au
moins matériellement, l’existence d’un « pouvoir législatif »20, et donc
d’un corps législatif, même si la forme que celui-ci revêt dans l’Union
européenne – le fameux « triangle décisionnel » – présente des
spécificités au regard de la situation prévalant dans les ordres
juridiques internes21.

18
Selon l’article 19 §1 TUE modifié par le Traité de Lisbonne, la Cour de justice de
l’Union européenne « comprend la Cour de justice, le Tribunal et des tribunaux
spécialisés » .
19
CJCE, 23 avril 1986, Parti écologiste « Les Verts » contre Parlement européen,
aff. 294/83, Rec. pp. 1339 et ss., point 23 : « la Communauté économique
européenne est une Communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses
institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte
constitutionnelle de base qu’est le traité ».
20
La Cour de justice évoquait déjà la « compétence légiférante » de la Haute
Autorité de la C.E.C.A. (CJCE, 15 juillet 1960, Italie contre Haute Autorité,
aff. 20/59, Rec. pp. 663 et ss.). Par la suite, elle a fait référence au « système
législatif du traité » (CJCE, 17 décembre 1970, Köster aff. 25/70, Rec. pp. 1161 et
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ss.), au « pouvoir législatif de la Communauté » (CJCE, 9 mars 1978,
Administration des finances de l’État contre société Simmenthal, aff. 106/77,
Rec. pp. 629 et ss.), et au « législateur communautaire » (CJCE, 27 octobre 1992,
Allemagne contre Commission, aff. C-240/90, Rec. pp. I-5383 et ss.)
21
Dans l’arrêt « Matthews » du 18 février 1999, la Cour européenne des droits de
l’homme avait qualifié le Parlement européen de « corps législatif » (CEDH, 18
février 1999, Matthews contre Royaume-Uni, req. n°24833/94). Cette qualification a
fait l’objet de nombreuses critiques dans la doctrine. Il convient en effet de rappeler
que le Parlement européen n’exerce pas seul la fonction législative dans l’Union
européenne. Cette dernière est exercée dans certains cas par le Conseil, et dans
d’autres cas par le Conseil et le Parlement agissant en commun. Précisons cependant
que les régimes parlementaires des États membres admettent également, sous
différents aspects, l’intervention de l’Exécutif dans le processus d’élaboration des
lois (initiative, promulgation), voire la délégation du pouvoir législatif à l’organe
exécutif (ordonnances de l’article 38 et de l’article 74-1 en France, décrets-lois et/ou
décrets législatifs au Portugal, en Italie et en Espagne).

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De même, selon Hart, le droit international constitue non un


système organisé mais un ensemble composé de règles indépendantes
les unes des autres, ce qui empêche donc d’identifier « des catégories
générales de règles que l’on distingue à l’aide de critères généraux de
validité »22. Là encore, tout autre est la situation du droit de l’Union
européenne. En effet, la Cour de justice a qualifié, très précocement et
à plusieurs reprises, le droit communautaire d’ordre juridique23, ce qui
renvoie à l’existence d’un ensemble organisé, même si certains
auteurs préfèrent le qualificatif de système juridique pour son
caractère dynamique24. Il existe indéniablement une structuration
interne propre à l’ordre – ou au système – juridique de l’Union
européenne25 ainsi que des catégories générales de règles qui sont
identifiées par les traités, de même que les rapports qu’elles
entretiennent les unes avec les autres.
Cependant, dans l’Union européenne comme dans tout système
juridique développé, la règle de reconnaissance est complexe et, en
définitive, plurielle26. Elle trouve son fondement en partie dans les
traités, ce qui rapproche de nouveau l’Union européenne d’un ordre
juridique interne27, et en partie dans la jurisprudence. En effet, selon
22
H.L.A. HART, op. cit., p. 252. « Dans la forme la plus élémentaire de société [à
laquelle est assimilée le droit international], nous devons attendre pour voir si une
règle se fait admettre comme règle ou non ; dans un système doté d’une règle
fondamentale de reconnaissance, nous pouvons dire, avant qu’une règle soit
effectivement édictée, qu’elle sera valide si elle satisfait aux conditions posées par la
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règle de reconnaissance », ibidem, pp. 252-253.
23
Cf. notamment CJCE, 5 février 1963, Van Gend en Loos contre Administration
fiscale néerlandaise, aff. 26/62, Rec. pp. 3 et ss. et CJCE, 15 juillet 1964, Flaminio
Costa contre ENEL, aff. 6/64, Rec. pp. 1141 et ss.
24
Cf. notamment P.-Y. MONJAL, Recherches sur la hiérarchie des normes
communautaires, Paris, L.G.D.J., 2000.
25
Cf. également en ce sens F. E. DOWRICK, « A model of the European
Communities legal system », in Yearbook of European Law, 1983, p. 204 : « Its
legal system remains coherent despite the co-existence of several contending sources
of its law ».
26
H.L.A. HART, op. cit., p. 114 : « dans un système juridique développé, les règles
de reconnaissances sont évidemment plus complexes ».
27
« Dans les ordres juridiques modernes [la règle de reconnaissance] prend
généralement l’apparence de la Constitution nationale » (A. BAILLEUX , « “Hart vs.
Dworkin” and its Progeny. Actualité du “combat des chefs” dans la littérature anglo-
saxonne », in R.I.E.J., 2007, n° 59, cité par I. HACHEZ, op. cit.)

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l’article 19 §1 TUE modifié par le Traité de Lisbonne, la Cour de


justice de l’Union européenne « assure le respect du droit dans
l’interprétation et l’application des traités ». Par ses méthodes
d’interprétation, téléologique et systémique, elle a largement contribué
à préciser, mais aussi dans certains cas à étendre, voire à compléter, la
portée des dispositions des traités. Elle a également assuré la
cohérence du système en se prononçant sur la validité du droit
dérivé28. Le Traité de Lisbonne a cependant renforcé la place du droit
primaire en la matière. Plus généralement, il a contribué à une
réorganisation des sources du droit de l’Union européenne (1), non
sans introduire certaines incohérences (2).

1. La contribution du Traité de Lisbonne à une réorganisation des


sources du droit de l’Union européenne

Après l’échec du Traité établissant une Constitution pour


l’Europe, le Traité de Lisbonne constitue l’étape finale du processus
de réforme engagé le 15 décembre 2001 par la Déclaration de Laeken.
Or, l’un des objectifs assignés à la révision des traités et mentionnés
par cette déclaration tenait dans la simplification des instruments
juridiques de l’Union. Le Traité de Lisbonne, qui reprend sur de
nombreux points les innovations du Traité établissant une Constitution
pour l’Europe, répond au « cahier des charges » qui lui avait ainsi été
imposé par une réorganisation des sources du droit de l’Union Son
apport dans ce domaine revêt principalement deux formes. Le Traité
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de Lisbonne contribue d’une part à la rationalisation des sources du
droit de l’Union européenne (A), et d’autre part à leur hiérarchisation
(B).

A. La contribution du Traité de Lisbonne à la rationalisation des


sources du droit de l’Union européenne
La rationalisation des sources, mise en parallèle avec l’objectif
de « simplification » qui a constitué le mot d’ordre de la Déclaration
de Laeken, s’est essentiellement manifestée par le souci de contenir la
prolifération des sources du droit de l’Union européenne. Si les
grandes catégories de sources évoquées précédemment subsistent, la
28
« The Court’s rulings on the validity or otherwise of secondary legislation and
other acts of the Community organs is universally accepted as conclusive » (F. E.
DOWRICK, op. cit., p. 203).

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rationalisation qui s’est opérée au sein de chacune d’elle a conduit : à


la diminution des sources unilatérales au sein du droit dérivé grâce à la
disparition des différents « piliers » de l’Union et à l’uniformisation
des actes qui en résulte (A.1), à la simplification des sources
conventionnelles du fait de l’attribution de la personnalité juridique à
l’Union européenne (A.2), enfin à l’encadrement (partiel) des actes
atypiques (A.3). L’impact de la réforme sur les sources primaires reste
en revanche plus limité (A.4) et son influence sur les sources
jurisprudentielles plus incertaine (A.5).

A.1. La diminution des sources unilatérales prévues par les


traités
Avant l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, chaque
« pilier » de l’Union européenne disposait de sa nomenclature
spécifique. Les institutions européennes adoptaient ainsi des
règlements, des directives, des décisions, des recommandations ou des
avis lorsqu’elles agissaient dans le cadre du premier pilier29 ; des
stratégies communes, des actions communes et des positions
communes lorsqu’elles agissaient dans le cadre de la politique
étrangère et de sécurité commune (deuxième pilier)30 ; des positions
communes, des décisions-cadres, des décisions lorsqu’elles agissaient
dans le cadre de la coopération policière et judiciaire en matière
pénale (troisième pilier)31. Ce foisonnement était source de
complexité, notamment lorsqu’un même acte avait des implications
dans différents domaines.
Dans le Traité de Lisbonne, la rationalisation des sources se
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manifeste d’abord par la suppression des différents piliers et par
l’abandon de la nomenclature spécifique dans les domaines de la
politique étrangère et de sécurité commune et de la coopération
policière et judiciaire en matière pénale32. L’article 288 TFUE, tel que
modifié par le Traité de Lisbonne, prévoit en effet que « pour exercer
les compétences de l’Union, les institutions adoptent des règlements,
des directives, des décisions, des recommandations et des avis ». La
nomenclature de l’ancien premier pilier est ainsi étendue à l’ensemble
de l’Union. Au-delà de la réduction des différentes catégories d’actes
29
Ex-article 249 TCE
30
Ex-article 12 TUE.
31
Ex-article 34 §2 TUE.
32
La coopération policière et judiciaire en matière pénale est rebaptisée « espace de
liberté, de sécurité et de justice » par le Traité de Lisbonne.

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juridiques qui en résulte, cette réorganisation de la nomenclature a


pour avantage d’affirmer la nature juridique des actes adoptés dans le
cadre de la politique étrangère et de sécurité commune et de la
coopération policière et judiciaire en matière pénale qui était parfois
mise en doute par la doctrine33, ainsi que leur caractère contraignant,
lui aussi souvent contesté34.
Mais cette apparente unification n’a pas pour effet d’uniformiser
l’ensemble des règles juridiques applicables aux différents domaines
d’intervention de l’Union européenne. En effet, la politique étrangère
et de sécurité commune reste soumise à des règles et à des procédures
spécifiques. Au titre de ces spécificités, on peut ainsi mentionner
l’impossibilité pour les institutions d’adopter des actes législatifs en la
matière35. À cela s’ajoute l’exclusion de la compétence de la Cour de
justice de l’Union européenne, sauf lorsqu’il s’agit de veiller à ce que
les actes adoptés n’affectent pas la mise en œuvre des autres politiques
de l’Union, ou pour contrôler la légalité des décisions édictant des
mesures restrictives à l’encontre des personnes physiques ou
morales36.

A.2. La simplification des sources conventionnelles


L’attribution de la personnalité juridique à l’Union européenne
et sa substitution à la Communauté européenne ont pour effet de
mettre un terme à l’ambiguïté qui entourait les accords internationaux
conclus par les institutions européennes dans le cadre des 2e et 3e
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Le deuxième pilier était en effet considéré par certains auteurs comme le domaine
de « l’action ou de la négociation, non pas celui de la norme » (C. BLUMANN,
« Contribution du Traité d’Amsterdam à la transformation de la Communauté de
droit en Union de droit », in J. Rideau (dir.), De la Communauté de droit à l’Union
de droit. Continuités et avatars européens, Paris, L.G.D.J., 2000, p. 371).
34
L. Benoît considérait ainsi la position commune comme « un instrument
déclaratoire à vocation opérationnelle ne prévoyant pas de modalité d’exécution ».
Plus généralement, selon l’auteur, les piliers intergouvernementaux avaient pour
vocation d’« organiser une coopération […] qui n’a pas vocation à déboucher
systématiquement sur des décisions obligatoires » (L. BENOIT, Les piliers
intergouvernementaux de la construction européenne. L’antagonisme des
démarches de coopération et de communautarisation, Thèse pour le doctorat en
droit, sous la direction du Professeur Jean Rossetto. Université François Rabelais,
Tours, 2000, dact., pp. 48 et 31).
35
Articles 24 §1 TUE et 31 §1 TUE modifiés par le Traité de Lisbonne.
36
Article 24 TUE modifié par le Traité de Lisbonne.

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piliers. Jusque là en effet, ces accords ne pouvaient être imputés aux


États puisque le traité sur l’Union européenne prévoyait qu’ils « lient
les institutions de l’Union »37. Ils n’étaient par pour autant imputables
à l’Union elle-même, faute de personnalité juridique, ni à la
Communauté dès lors qu’ils intervenaient en dehors de son champ
d’intervention.
Le Traité de Lisbonne institue également une procédure de
conclusion commune (article 218 TFUE), sous réserve des
dispositions particulières s’appliquant en matière de politique
commerciale (article 207 TFUE), en matière monétaire (article 219
TFUE), et des particularités reconnues aux accords portant
exclusivement sur la politique étrangère et de sécurité commune
(article 218 §6 TFUE).
En revanche le Traité de Lisbonne laisse subsister les « accords
mixtes » dans les domaines relevant à la fois de la compétence de
l’Union européenne et de la compétence des États membres38. Or, ces
accords présentent une indéniable complexité dans la mesure où ils
doivent être conclus à la fois dans le respect des procédures internes
de l’Union européenne et des procédures constitutionnelles nationales.

A.3. L’encadrement des actes atypiques (ou hors nomenclature)


L’existence des actes dits « hors nomenclature » est, au moins
partiellement, consacrée par les traités39 et le juge leur a reconnu, dans
certains cas, la capacité de produire des effets de droit40. Le Traité de
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37
Ex-article 24 TUE.
38
Article 191 §4 TFUE dans le domaine de l’environnement et article 211 TFUE
dans le domaine de la coopération au développement.
39
On distingue traditionnellement les actes atypiques prévus par les traités et ceux
issus de la pratique des institutions. Cf. notamment C. BLUMANN et L. DUBOUIS,
op. cit ., pp. 544-545.
40
Il considère ainsi que ces actes lient leur auteur pour l’adoption des actes
individuels (cf. par exemple : TPICE, 17 décembre 1991, SA Hercules Chemicals
NV contre Commission, aff. T-7/89, Rec. pp. II-1711 et ss., point 53 : « la
Commission ne peut se départir des règles qu’elle s’est elle-même imposées »). Ces
actes peuvent par ailleurs produire des effets contraignants à l’égard des États
membres (voir par exemple CJCE, 31 mars 1971, Commission contre Conseil,
aff. 22/70, Rec. pp. 263 et ss. : une « délibération » du Conseil déterminant l’attitude
que doivent adopter les gouvernements des États membres dans les négociations de
l’AETR a pour objet de « fixer une ligne de conduite obligatoire pour les institutions
comme pour les États membres », point 53). Ces derniers sont en effet tenus

94
R.I.E.J., 2011.66

Lisbonne s’est néanmoins efforcé d’encadrer le recours aux actes


atypiques. Ainsi, selon l’article 296, alinéa 2 TFUE, « lorsqu’ils sont
saisis d’un projet d’acte législatif, le Parlement européen et le Conseil
s’abstiennent d’adopter des actes non prévus par la procédure
législative applicable au domaine concerné ».
La formulation retenue est cependant peu contraignante car
seule la fonction législative est concernée par ce qui apparaît comme
une incitation à la modération, plutôt que comme une véritable
exclusion, du recours aux actes atypiques. On peut, en outre,
s’interroger sur la cohérence de l’encadrement des actes atypiques
avec, d’une part, l’extension de la méthode ouverte de coordination41
qui constitue une incitation directe à l’adoption d’autres catégories
d’actes que celles prévues par la nomenclature, et, d’autre part, la
consécration des accords interinstitutionnels par l’article 295 TFUE,
ce qui confère une base juridique à cette catégorie particulière d’actes
atypiques (actes atypiques de nature conventionnelle).

A.4. La diversité persistante des traités fondateurs (sources


primaires)
En ce qui concerne les traités fondateurs de l’Union européenne,
la rationalisation opérée par le Traité de Lisbonne n’est que relative
puisque le nombre de traités fondateurs de l’Union européenne reste
inchangé. À la différence du Traité établissant une Constitution pour
l’Europe qui substituait un traité unique aux traités en vigueur, avec le
Traité de Lisbonne, soit les traités préexistants subsistent tels quels
(Traité instituant la CEEA), soit ils sont modifiés dans leur contenus,
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voire renommés. Ainsi, le Traité sur l’Union européenne qui
correspond au traité de Maastricht, entré en vigueur en 1993 et

d’appliquer des règles énoncées dans des lignes directrices, dès lors qu’ils les ont
acceptées (CJCE, 15 octobre 1996, Ijssel-Vliet Combinatie BV contre Minister van
Economische Zaken, aff. C-311/94, Rec. pp. I-05023 et ss. : « Il résulte de
l’obligation de coopération découlant de l’article 93, paragraphe 1, du traité, d’une
part, et de l’acceptation des règles énoncées dans les lignes directrices, d’autre part,
qu’un État membre, tel le Royaume des Pays-Bas, est tenu d’appliquer les lignes
directrices lorsqu’il adopte une décision à l’égard de la demande d’aide pour la
construction d’un bateau destiné à la pêche », point 44. Voir également CJCE, 24
mars 1993, CIRFS contre Commission, aff. C-313/90, Rec. pp. 1125 et ss. à propos
d’une « discipline » de la Commission acceptée par les États membres).
41
Cf. les articles 149 TFUE (emploi), 156 TFUE (protection sociale), 168 TFUE
(santé publique), 173 TFUE (industrie) et 181 TFUE (recherche) .

95
R.I.E.J., 2011.66

modifié depuis par les traités d’Amsterdam et de Nice, conserve son


appellation tout en étant de nouveau modifié par le traité de Lisbonne.
Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, quant à lui, se
substitue au Traité instituant la Communauté européenne. Quant à
l’impact du traité sur les sources jurisprudentielles, et plus
précisément sur les principes généraux du droit dégagés par la Cour de
justice, il reste encore incertain compte tenu du peu de recul dont on
dispose encore à l’égard de l’application de ce traité entré en vigueur
le 1er décembre 2009.
A.5. La remise en cause partielle des sources jurisprudentielles ?
Les principes généraux du droit constituent l’archétype du
pouvoir créateur de la Cour de justice. Elle a eu abondamment recours
à ces derniers pour compenser les « lacunes » initiales des traités,
notamment dans le domaine des droits fondamentaux. En effet, en
raison de la vocation économique de la construction européenne, les
Traités originaires ne comportaient pas l’équivalent de ce que sont les
déclarations des droits dans les ordres juridiques des États membres.
Seules certaines dispositions relatives à la libre circulation des
travailleurs, à la non-discrimination entre les ressortissants de l’Union
européenne et à l’égale rémunération entre les hommes et les femmes,
inscrites dans le traité de Rome, était rattachables à la protection des
droits fondamentaux. C’est la Cour de justice qui, confrontée au refus
des cours constitutionnelles allemande et italienne de faire prévaloir le
droit communautaire sur les dispositions des constitutions nationales
relatives à la protection des droits fondamentaux, a renforcé la
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protection des droits fondamentaux à l’échelle européenne. Dans son
arrêt du 17 décembre 1970 Handelgesellschaft, la Cour affirme ainsi
que le respect des droits fondamentaux « fait partie intégrante des
principes généraux du droit dont la Cour assure le respect »42.
Or, en conférant valeur juridique à la « Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne »43, laquelle consacre l’œuvre
jurisprudentielle de la Cour de justice dans ce domaine, le Traité de
42
CJCE, 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft GmbH contre
Einfuhr - und Vorratsstelle für Getreide und Futtermittel, aff. 11/70, Rec. pp. 503
et ss.
43
Article 6 §1 TUE modifié par le Traité de Lisbonne : « L’Union reconnaît les
droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu’adaptée le 12 décembre 2007 à
Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités ».

96
R.I.E.J., 2011.66

Lisbonne pourrait partiellement remettre en cause l’intérêt des


principes généraux du droit dégagés par le juge. L’analyse doit
néanmoins rester nuancée pour au moins deux raison. D’une part, il
n’est pas exclu que la Cour de justice ait recours aux principes
généraux du droit pour interpréter les dispositions de la Charte44.
D’autre part, certains États membres ont négocié des dérogations à la
Charte45, alors qu’aucun d’entre eux ne dispose de dérogation à
l’égard des principes généraux du droit lorsqu’ils interviennent dans le
champ d’application du droit de l’Union européenne.
La diversité des sources du droit soulève évidemment la
question des relations entre les sources. Il est traditionnellement admis
en droit international qu’il n’existe pas de hiérarchie entre ces
dernières46. Il en va différemment au sein du droit de l’Union
européenne.

B. La contribution du Traité de Lisbonne à la hiérarchisation


des sources du droit de l’Union européenne
Alors que la question de la hiérarchie entre le droit de l’Union et
les droits nationaux a fait l’objet de multiples controverses à la fois au
sein de la jurisprudence47 et de la doctrine48, celle de la hiérarchie
44
Cf. J.- P. JACQUE, « Le Traité de Lisbonne. Une vue cavalière », in R.T.D.E.,
2008, p. 452.
45
Cf. le Protocole (n° 30) sur l’application de la Charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne à la Pologne et au Royaume-Uni. Le Conseil européen des 29 et
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30 octobre 2009 a accepté que les dérogations s’appliquent également à la
République tchèque.
46
L’article 38 du statut de la CIJ notamment ne fait pas référence à une quelconque
hiérarchie entre les sources qu’il évoque. Selon P. DAILLIER, M. FORTEAU et
A. PELLET : « Il n’est pas possible de poser, en postulat général, que les traités
l’emportent nécessairement sur la coutume ou inversement. Il en irait autrement si,
par une procédure centralisée, l’une des sources disposait d’une primauté
incontestée. L’état actuel de la société internationale, encore largement
décentralisée, interdit une telle conclusion », Droit international public, Paris,
L.G.D.J., 2009 (8e édition), p. 127.
47
En France, les débats ont d’abord porté sur la question de la primauté du droit
communautaire à l’égard de la loi nationale postérieure. Les juridictions internes
s’étant finalement ralliées à la position de la Cour de justice (CE, 20 octobre 1989,
Nicolo, Leb. pp. 190 et ss. ; Cass. ch. mixte, 24 mai 1975, Café J. Vabre), les
désaccords portent aujourd’hui sur la place de la Constitution nationale (CE Ass., 30
octobre 1998, Sarran, Levacher e.a., Leb. pp. 368 et ss. ; Cass. ass. plén., 2 juin

97
R.I.E.J., 2011.66

interne à l’Union européennes est restée plus confidentielle49. Les


différentes catégories de sources évoquées précédemment sont
pourtant hiérarchisées. Cette hiérarchisation a été mise en évidence
par la Cour de justice sur le fondement des dispositions des traités.
Néanmoins, les réponses du juge sont « nécessairement occasionnelles
et limitées, [et] restent par leur nature inadéquates et insuffisantes » 50.
Elle a ainsi été complétée sur certains points par le Traité de Lisbonne.

B.1. La hiérarchie entre les sources internes et externes


Les sources externes priment sur le droit dérivé. L’article 216 §2
TFUE (ex article 300 §7 TCE) prévoit en effet que « les accords
conclus par l’Union lient les institutions de l’Union et les États
membres ». Elles s’inclinent en revanche devant le droit primaire. La
subordination des sources conventionnelles aux sources primaires se

2000, Melle Fraisse, in Recueil Dalloz, 2000, p. 865 ; Décision du Conseil


constitutionnel n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, Traité établissant une
Constitution pour l’Europe, considérant n°9).
48
Il serait vain de prétendre lister tous les écrits portant sur ce thème. On
mentionnera simplement P. CASSIA, « Le juge administratif, la primauté du droit de
l’Union européenne et la Constitution française », in R.F.D.A., n° 3, 2005, pp. 465-
472 ; B. GENEVOIS, « Le Conseil constitutionnel et la primauté du droit
communautaire », in R.F.D.A., n° 2, 2005, pp. 239-241 ; D. CHAMUSSY, « Le
Conseil constitutionnel face à la primauté du droit communautaire », in A.J.D.A.,
n° 4, 2005, pp. 219-222 ainsi que O. PFERSMANN, « La primauté : double,
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partiellement directe, organiquement indéterminée, provisoirement fermée », in
Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 18, pp. 138-141.
49
Cf. néanmoins P.-Y. MONJAL, Recherches sur la hiérarchie des normes
communautaires, Paris, L.G.D.J., 2000, 629 p. ; R. BIEBER, I. SALOME, « Hierarchy
of norms in European law », in C.M.L.R., 1996, pp. 907-930 ; J. DUTHEIL de la
ROCHERE, « La hiérarchie des normes », in Ph. Manin (dir.), La révision du Traité
sur l’Union européenne, perspectives et réalités. Rapport du groupe français pour la
Conférence intergouvernementale, Paris, Pedone, 1996, pp. 41-60 ; H. GAUDIN,
« Amsterdam : l’échec de la hiérarchie des normes ? », in R.T.D.E., n° 1, 1999,
pp. 1-20 ; R. MEHDI, « La “double hiérarchie” normative à l’épreuve du projet de
traité établissant une Constitution pour l’Union européenne », in Les dynamiques du
droit européen en début de siècle. Études en l’honneur de Jean-Claude Gautron,
Paris, Pedone, 2004, pp. 443-462 ; A. TIZZANO, « La hiérarchie des normes
communautaires », in R.M.C., 1995, pp. 219-232.
50
A. TIZZANO, « La hiérarchisation des normes », in J. Rideau, (dir.), De la
Communauté de droit à l’Union de droit, op. cit., p. 157.

98
R.I.E.J., 2011.66

manifeste dans l’article 218 §11 TFUE. Selon cet article : « un État
membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission peut
recueillir l’avis de la Cour de justice sur la compatibilité d’un accord
envisagé avec les traités. En cas d’avis négatif de la Cour, l’accord
envisagé ne peut entrer en vigueur, sauf modification de celui-ci ou
révision des traités ». Le contrôle préventif n’étant pas systématique,
la Cour de justice a, en outre, accepté de se prononcer sur un recours
en annulation formé soit à l’encontre de la décision de conclure
l’accord, soit à l’encontre des actes d’exécution de cet accord. Cette
jurisprudence peut cependant conduire à remettre en cause les accords
conclus. Dans ce cas, il appartiendra à l’Union de renégocier avec ses
partenaires afin de trouver une solution acceptable par toutes les
parties. Néanmoins, pour éviter la mise en cause de la responsabilité
internationale de l’Union, la Cour s’efforce, dans la mesure du
possible, de procéder à une interprétation conforme plutôt qu’à une
annulation de la mesure contestée. Elle peut également choisir de
maintenir les effets de l’acte annulé lorsque « d’importants motifs de
sécurité juridique » l’exigent.
Le Tribunal de première instance avait tenté d’ouvrir une brèche
dans cet ordonnancement des sources. Dans une affaire concernant un
règlement adopté pour la mise en œuvre de plusieurs résolutions du
Conseil de sécurité de l’ONU, il avait refusé d’exercer le contrôle de
la légalité du règlement au regard du droit communautaire primaire,
au motif que cela impliquerait qu’il « examine, de façon incidente, la
légalité desdites résolutions »51. Or, les résolutions du Conseil de
sécurité de l’ONU ne pouvaient, selon le Tribunal, faire l’objet d’un
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contrôle, même indirect, de leur conformité aux traités fondateurs de
l’Union européenne. En revanche, il s’était reconnu compétent pour
« contrôler, de manière incidente, la légalité des résolutions en cause
du Conseil de sécurité au regard du jus cogens, entendu comme un
ordre public international qui s’impose à tous les sujets du droit
international »52. La Cour est cependant revenue sur cette

51
TPI, 21 septembre 2005, Yusuf et Al Barakaat International Foundation contre
Conseil et Commission, aff. T-306/01, Rec. 2005 pp. II-3533 et ss.
52
La solution retenue pas le Tribunal a fait l’objet de critiques au sein de la doctrine.
Cf. notamment D. SIMON et F. MARIATTE, « Le Tribunal de première instance des
Communautés : Professeur de droit international ? À propos des arrêts Yusuf, Al
Barakaat International Foundation et Kadi du 21 septembre 2005 », in Europe,
n° 12, 2005.

99
R.I.E.J., 2011.66

interprétation53. Peu importe que les mesures communautaires soient


prises en application d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU
qui ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux États : « les obligations
qu’impose un accord international ne sauraient avoir pour effet de
porter atteinte aux principes constitutionnels du Traité CE, au nombre
desquels figure le principe selon lequel tous les actes communautaires
doivent respecter les droits fondamentaux ». Ce principe s’impose
donc même s’il conduit à un contrôle indirect de la conformité des
résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU aux traités de l’Union, ce
qui rétablit la hiérarchie initiale entre les sources primaires et les
sources externes.

B.2. La hiérarchie au sein des sources internes


L’existence d’une hiérarchie entre les sources primaires et
dérivées peut être aisément déduite des dispositions des traités
concernant les voies de recours. L’article 263 TFUE (ex-article 230
TCE) prévoit en effet que la Cour de justice de l’Union européenne
contrôle la légalité des actes de droit dérivé, lesquels peuvent,
notamment, être annulés pour « violation des traités ou de toute règle
de droit relative à leur application ». Avant l’entrée en vigueur du
Traité de Lisbonne, la compétence restreinte de la Cour de justice dans
le cadre du 3e pilier, et son exclusion dans le cadre du 2e pilier,
rendaient cependant plus difficile le respect – voire l’identification –
de la hiérarchie dans ces deux domaines.
Un débat s’était en revanche élevé dans la doctrine concernant la
place des principes généraux du droit. En effet, s’il s’imposent à
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l’ensemble des sources dérivées54, leur rang exact par rapport aux
traités faisait l’objet de controverses. Certains auteurs considéraient en
effet que les principes généraux du droit de l’Union étaient
« assimilables au droit primaire ». Dès lors, « un conflit éventuel entre
l’un de ces principes et des dispositions explicites du droit primaire se
résoudrait par une conciliation manifestant leur égalité de valeur,
plutôt que par l’application d’un principe hiérarchique »55. D’autres en
revanche évoquaient une position « infra-constitutionnelle et […]
53
CJCE, 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation contre
Conseil et Commission, aff. C-402/05 P et C-415/05 P, Rec. 2008, pp. I-6351 et ss.
54
Contrairement aux principes généraux du droit administratif français qui ne lient
pas le législateur.
55
J. ROUX, Droit général de l’Union européenne, Paris, Litec, 2008 (2e édition),
p. 206.

100
R.I.E.J., 2011.66

supra-législative »56. Cependant, dans son arrêt du 14 octobre 2004


« Omega », confrontée au conflit entre les principes de libre prestation
des services et de libre circulation des marchandises garantis par les
traités d’une part, et le principe de dignité humaine reconnu comme
principe général du droit ne pouvant pas faire l’objet de restriction
d’autre part, la Cour de justice a décidé que « le droit communautaire
ne s’oppose pas à ce qu’une activité économique consistant en
l’exploitation commerciale de jeux de simulation d’actes homicides
fasse l’objet d’une mesure nationale d’interdiction adoptée pour des
motifs de protection de l’ordre public en raison du fait que cette
activité porte atteinte à la dignité humaine »57. Un principe général du
droit peut donc justifier la limitation apportée à un principe garanti par
le traité (en l’espèce la libre circulation).
L’apport du Traité de Lisbonne concerne essentiellement la
hiérarchie au sein des sources dérivées. Il distingue en effet les actes
législatifs des actes non législatifs. Il s’agit cependant d’une
consécration plus que d’une innovation. En effet, même si une telle
distinction n’apparaissait pas de façon explicite dans le Traité
instituant la Communauté européenne58, elle émergeait depuis de
nombreuses années de la jurisprudence59, surtout à partir de l’arrêt
Köster60. En effet, la Cour de justice, en s’appuyant sur la « pratique
constante des institutions » et sur « les conceptions juridiques reçues
dans tous les États membres », avait œuvré dans le sens de la
hiérarchisation du droit dérivé en distinguant au sein de celui-ci « les
mesures qui trouvent directement leur base dans le traité même [actes
de base] et le droit dérivé destiné à assurer leur exécution [actes
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d’exécution] ». C’est donc le critère de la base juridique qui permettait
56
C. BLUMANN, L. DUBOUIS, Droit institutionnel de l’Union européenne, op. cit.,
p. 79. Dans la dernière édition de leur manuel, les auteurs considèrent cependant que
les principes généraux du droit font partie du « socle constitutionnel » de l’Union.
57
CJCE, 14 octobre 2004, Omega Spielhallen - und Automatenaufstellungs-GmbH
contre Oberbürgermeisterin der Bundesstadt Bonn, aff. C-36/02, Rec. pp. I-9609
et ss.
58
Le Traité instituant la Communauté européenne ne faisait pas apparaître de
hiérarchie entre les différentes catégories d’actes de la nomenclature. Il se référait
cependant à la « qualité de législateur » du Conseil (article 207 §3 TCE) et aux
« compétences d’exécution » de la Commission (article 202, alinéa 4 TCE et article
211, alinéa 5 TCE).
59
Cf. supra note 20.
60
CJCE, 17 décembre 1970, Köster, aff. 25/70, Rec. pp. 1161 et ss.

101
R.I.E.J., 2011.66

de distinguer ces deux catégories d’actes au sein du droit dérivé61. En


conséquence, les actes d’exécution étaient subordonnés aux actes de
base qu’ils devaient mettre en œuvre, même si le juge admettait dans
certains cas la possibilité pour l’acte d’exécution de compléter l’acte
de base, voire de « fixer des dérogations » lorsque ce dernier le
prévoyait62.
Cependant, faute de consécration conventionnelle, la hiérarchie
au sein du droit dérivé restait partielle. Le Traité de Lisbonne pouvait
donc faire œuvre utile en la matière en instaurant une distinction entre
les actes législatifs et les actes non législatifs, qui ait une portée
générale et qui se concrétise dans les effets attachés à chacun de ces
actes. Or, sur ce point, des incohérences persistent à l’issue de l’entrée
en vigueur du traité.

2. Les incohérences du Traité de Lisbonne dans la réorganisation


des sources de droit dérivé

« Aujourd’hui encore, malgré le développement irrépressible


des sources concurrentes, la loi demeure la référence centrale en
matière de sources. »63 La transposition à l’échelle européenne de la
distinction « loi / règlement » qui caractérise les ordres juridiques
nationaux est-elle réellement pertinente ou n’est-elle que la
manifestation d’un stato-morphisme inapte à rendre compte de
l’autonomie et des spécificités du système juridique de l’Union ? Les
critiques à l’encontre de la « migration des concepts »64 sont
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61
Cf. en ce qui concerne les règlements : CJCE, 17 décembre 1970, Köster précité ;
en ce qui concerne les directives : CJCE, 25 janvier 1994, Angelopharm, aff. C-
212/91, Rec. pp. 171 et ss ; en ce qui concerne les décisions : TPICE (Ord.), 27
janvier 2000, TAT European Airlines SA contre Commission, aff. T-49/97,
Rec. pp. II-51 et ss. Pour plus d’éléments, cf. L. GUILLOUD, La loi dans l’Union
européenne. Contribution à la définition des actes législatifs dans un ordre juridique
d’intégration, L.G.D.J., 2010, tome 134, 589 p.
62
CJCE, 27 septembre 1979, Spa Eridiana contre Ministre de l’agriculture et des
forêts, aff. 230/78, Rec. pp. 2749 et ss., point 8.
63
P. DEUMIER et Th. REVET, « Sources du droit », op. cit., p. 1432.
64
L’expression est empruntée à J. ANDRIANTSIMBAZOVINA, « Le Parlement
européen, “corps législatif”. Banalisation hasardeuse ou évolution créatrice ? », in
Mélanges en hommage à Guy Isaac. Cinquante ans de droit communautaire,
Toulouse, Presses de l’Université des sciences sociales, 2004, p. 264.

102
R.I.E.J., 2011.66

nombreuses. Les notions empruntées au vocabulaire constitutionnel


seraient utilisées pour l’effet de « mode »65, parce que « ça fait plus
moderne »66, ou pour « détacher le système communautaire de ses
“gènes” internationaux afin de mieux marquer sa spécificité »67. Si ces
mises en garde ne doivent pas être négligées, les jugements portés
semblent sévères. En effet, comme le souligne J.- P. Jacqué, « les
chances de réussite d’une transposition sont […] étroitement fonction
de la structure comparée des deux ordres juridiques en question. Il
serait vain de vouloir acclimater des notions qui parviennent d’un
ordre juridique décentralisé au sein d’un ordre plus hiérarchisé et
réciproquement »68. Or, comme on l’a démontré précédemment, le
droit de l’Union européenne présente aujourd’hui plusieurs manifesta-
tions de la hiérarchisation de ses sources.
Plus que le principe, c’est la méthode retenue qui peut être
contestée. En effet, le Traité de Lisbonne a été guidé par le paradigme
de la simplification énoncé dans la Déclaration de Laeken. Mais il
semble avoir privilégié la finalité (rendre simple) plutôt qu’une
réflexion sur les moyens d’assurer cette finalité. La simplification a en
effet été présentée comme le procédé permettant d’assurer
l’intelligibilité du droit de l’Union par les citoyens, donc de renforcer
leurs possibilités de contrôle à l’égard des institutions, et, en
définitive, de conforter le caractère démocratique de l’Union. Des
jugements sévères ont été portés sur cette instrumentalisation de la
notion. Le Professeur Monjal a ainsi dénoncé une notion de
simplification « dogmatisée à des fins démagogiques »69. L’opération
de simplification entreprise par le Traité de Lisbonne semble avoir
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tenté de faire abstraction des éléments de complexité inhérents à la
65
D. ROUSSEAU, « Les Constitutions possibles pour l’Europe », in Cités, n° 13,
2003, p. 20.
66
L. F AVOREU, « L’euroscepticisme du droit constitutionnel. Rapport de synthèse de
la journée d’études constitutionnelles du 28 mars 2003, maison de l’Europe : la
“Constitution européenne” : une Constitution ? », in R.A.E., n° 6, 2001-2002, p. 701.
67
L. BURGOGUE-LARSEN, « Pourquoi une Constitution européenne ? », in R.A.E.,
ibidem, p. 670.
68
J.- P. JACQUE, Eléments pour une théorie de l’acte juridique en droit international
public, Paris, L.G.D.J., 1972, p. 40.
69
P.-Y. MONJAL, « Lois et règlements », in Les mots de la Constitution européenne.
Actes des journées d’études du Centre de recherche universitaire sur la construction
européenne, Amiens, 12 décembre 2003 et 15 octobre 2004, Paris, P.U.F., 2005,
pp. 119 et 129.

103
R.I.E.J., 2011.66

nature du système décisionnel de l’Union, mais, ne pouvant les


supprimer, elle introduit en définitive des incohérences dans le traité70.
Ainsi, pour distinguer les actes législatifs des actes non
législatifs, le Traité de Lisbonne se réfère à leur procédure
d’élaboration. L’article 289 §3 TFUE prévoit que « les actes
juridiques adoptés par procédure législative constituent des actes
législatifs ». Le critère formel, ou procédural, se substitue donc à la
base juridique comme critère déterminant d’identification des actes
législatifs de l’Union. Mais ce critère n’est pas véritablement
homogène car le Traité de Lisbonne consacre en réalité l’existence
d’une grande diversité de procédures législatives (A), tandis que la
catégorie des actes non législatifs, qui ne sont définis qu’a contrario,
rassemble des actes très hétérogènes (B).

A. La diversité des procédures législatives


Le Traité de Lisbonne, reprenant sur ce point les dispositions du
Traité établissant une constitution pour l’Europe, fait de la procédure
de codécision la procédure législative ordinaire71. Cette consécration
reflète la volonté de renforcer le caractère démocratique de l’Union
européenne en valorisant la procédure qui place sur un pied d’égalité
le Conseil et le Parlement européen. Néanmoins, le Traité de Lisbonne
n’est pas parvenu à mener la logique à son terme en faisant de la
procédure de codécision l’unique procédure législative en vigueur au
sein de l’Union.
Ainsi, au-delà de la procédure législative ordinaire, le Traité de
Lisbonne prévoit l’existence de plusieurs procédures législatives
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spéciales. Selon les dispositions de l’article 289 §2 TFUE, un acte
législatif peut en effet être également adopté « par le Parlement
européen avec la participation du Conseil ou par celui-ci avec la
participation du Parlement européen ». De plus, le terme général de
« participation » renvoie à des situations variées puisque l’acte peut
être soumis soit à la consultation soit à l’approbation de l’institution
concernée. Dans tous les cas, l’adoption d’un acte législatif nécessite
néanmoins l’intervention du Conseil et du Parlement européen. Cela
permet d’exclure de la catégorie des actes législatifs tous les actes
70
Cf. L. GUILLOUD, « La réforme de la nomenclature des actes de l’Union
européenne : le mirage de la simplification », in J. Pousson et F. Rueda, Qu’en est-il
de la simplification du droit ?, Toulouse, Presses de l’Université de Toulouse, 2010,
pp. 221-235.
71
Articles 289 §1 TFUE et 294 TFUE.

104
R.I.E.J., 2011.66

adoptés selon d’autres procédures. Mais l’intervention du Parlement


se réduit parfois à un simple avis. En outre, à la lecture du traité, on
constate que les cas dans lesquels l’adoption d’un acte législatif par le
Conseil, avec la participation du Parlement européen, est prévue sont
incomparablement plus nombreux que ceux dans lesquels les actes
législatifs sont adoptés par le Parlement européen, avec la partici-
pation du Conseil. En effet, l’adoption d’actes législatifs par le
Parlement sur la base d’une procédure législative spéciale n’est prévue
que dans trois cas dont la portée reste limitée au cadre institutionnel :
pour fixer le statut et les conditions générales d’exercice des fonctions
de ses membres72, pour déterminer les modalités d’exercice du droit
d’enquête73 et pour prévoir le statut et les conditions générales
d’exercice des fonctions du médiateur74. Dans ces trois cas, l’adoption
de l’acte requiert en outre l’approbation du Conseil. L’existence de
procédures législatives spéciales reflète ainsi le souci de préserver la
prépondérance du Conseil au sein du pouvoir législatif dans certains
domaines. Il en résulte que le critère formel ou procédural, qui devait
en principe permettre d’identifier les actes législatifs au sein de
l’Union, est loin d’être homogène.

B. L’hétérogénéité de la catégorie des actes non législatifs


La catégorie des actes non législatifs ne se résume pas à celle
des actes d’exécution pris pour l’application des actes législatifs75.
Elle est en réalité hétérogène. Elle intègre en effet les actes délégués,
pris pour compléter ou modifier les actes législatifs et dont la nature
juridique reste quelque peu ambiguë (B.1), ainsi que les actes non
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législatifs pris sur le fondement direct des traités qui présentent
manifestement des particularités au regard des deux autres catégories
d’actes non législatifs (B.2).

72
Article 223 §2 TFUE.
73
Article 226, alinéa 3 TFUE.
74
Article 228 §4 TFUE.
75
Soulignons d’ailleurs que le Traité de Lisbonne consacre la compétence de
principe des États membres pour mettre en œuvre le droit de l’Union. Ce n’est que
« lorsque des conditions uniformes d’exécution des actes juridiquement
contraignants de l’Union sont nécessaires, [que] ces actes confèrent des
compétences d’exécution à la Commission ou, dans des cas spécifiques dûment
justifiés […] au Conseil » (article 291 §2 TFUE).

105
R.I.E.J., 2011.66

B.1. Les actes délégués


L’article 290 TFUE crée la catégorie des actes délégués. Il s’agit
d’« actes non législatifs de portée générale qui complètent ou
modifient certains éléments non essentiels de l’acte législatif »76. Ils
constituent ainsi une catégorie d’actes hybrides, non législatifs par
leur forme, puisqu’ils ne sont pas adoptés sur la base d’une procédure
législative ordinaire ou spéciale, législatifs par leur portée, dès lors
qu’ils peuvent modifier un acte législatif. On peut les rapprocher des
ordonnances de l’article 38 de la Constitution française, même s’ils
diffèrent de ces dernières sur plusieurs points. En effet, les
ordonnances de l’article 38 ne sont pas soumises aux mêmes
limitations que les actes délégués qui ne peuvent modifier que les
éléments « non essentiels » d’un acte législatif. En outre, suite à leur
éventuelle ratification, les ordonnances intègrent la catégorie des actes
législatifs, tandis qu’aucune procédure de ratification n’est prévue
pour les actes délégués qui conservent donc, en toutes circonstances,
leur statut d’actes non législatifs. Enfin, le niveau d’encadrement de la
délégation est renforcé au niveau de l’Union puisque le Parlement
européen comme le Conseil peuvent révoquer la délégation ou
s’opposer à l’entrée en vigueur de l’acte. Les débats suscités par la
catégorie des actes délégués à l’échelle européenne sont en revanche
semblables à ceux qui entourent les ordonnances en France77. Dans les
deux cas, en effet, ces actes sont considérés comme « non législatifs »,
ou « administratifs », alors qu’ils peuvent modifier des actes
législatifs, ce qui nourrit un doute sur la pertinence de la qualification
choisie au regard de la portée véritable de ces actes.
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L’utilité de l’acte délégué dépend en outre de sa capacité à se
différencier de l’acte d’exécution. Or, sur ce point, une nouvelle
critique peut être adressée à la procédure de délégation mise en place
par le Traité de Lisbonne. Car si la dissociation existe, dès lors que
76
Cette pratique existait déjà dans le cadre des traités antérieurs, puisque le juge
admettait dans certains cas que les actes d’exécution complètent voire dérogent à
l’acte de base. Le Traité de Lisbonne ne fait que distinguer formellement l’exécution
de la délégation du pouvoir législatif.
77
Cf. C. BOYER-MERENTIER, Les ordonnances de l’article 38 de la Constitution du
4 octobre 1958, Paris, Economica, Aix-en-Provence, P.U.A.M., 1996, 416 p. Cf.
également, du même auteur, « Les ordonnances de l’article 38 de la Constitution :
une place ambiguë dans la hiérarchie des normes (propos autour du contentieux
relatif aux ordonnances portant réforme de la sécurité sociale) », in R.F.D.A., n° 5,
1998, pp. 924-940.

106
R.I.E.J., 2011.66

seul l’acte délégué peut modifier un acte législatif, on peut regretter


que les rédacteurs du Traité de Lisbonne, reprenant les dispositions
contestables du Traité établissant une Constitution pour l’Europe,
aient précisé que les actes délégués « complètent » les actes législatifs,
« complément » dont la distinction avec la « mise en œuvre » relevant
des actes d’exécution peut en pratique s’avérer malaisée78. Il en résulte
une évolution vers une conception restrictive de l’exécution qui
consiste en la stricte application de l’acte législatif.
L’acte non législatif donne ainsi « l’impression d’une notion
insaisissable, éclatée, aux multiples facettes et aux objets assez
disparates »79. Cette impression est encore accrue par le fait que le
Traité de Lisbonne prévoit également l’existence d’actes non
législatifs adoptés sur le fondement direct des traités.

B.2. Les actes non législatifs pris sur le fondement direct des
traités
Depuis l’arrêt « Köster » déjà évoqué, la Cour de justice
distinguait les actes de base, adoptés sur le fondement direct des
traités considérés comme les actes législatifs de l’Union, et les actes
d’exécution adoptés sur le fondement de ces derniers. La base
juridique de l’acte était donc le critère de distinction des actes
législatifs et des actes d’exécution de l’Union. Les actes de base
pouvaient être élaborés selon diverses procédures, en fonction de la
disposition conventionnelle sur le fondement de laquelle ils étaient
adoptés, sans que cette différence de procédure ne se traduise par une
différence de rang hiérarchique.
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Le Traité de Lisbonne définit en revanche l’acte législatif par sa
procédure d’adoption. Tout acte qui n’est pas adopté selon une
procédure législative ordinaire ou spéciale ne peut donc être considéré
que comme un acte non législatif, même s’il est adopté sur le
fondement direct des traités. C’est le cas pour certains actes adoptés
par la Commission. Cela concerne principalement certains aspects de

78
Cf. R. MEHDI et F. PICOD, « Article I-33 », in L. Burgogue-Larsen, A. Levade,
F. Picod, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, commentaire article par
article, Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 453 : « on ne peut qu’être frappé par le
caractère redondant des règlements délégués par rapport aux actes d’exécution ».
79
C. BLUMANN, « Article I-35 », in Traité établissant une Constitution pour
l’Europ…, ibidem, p. 469.

107
R.I.E.J., 2011.66

la réglementation des échanges et de la libre circulation80. Par ailleurs,


dans le cadre de l’Union économique et monétaire, un pouvoir de
décision propre a également été reconnu à la Banque centrale
européenne. En effet, en vertu de l’article 128 §1 TFUE, « la BCE est
seule habilitée à autoriser l’émission de billets de banque dans la
Communauté ». Tous ces actes, bien qu’adoptés sur le fondement
direct des traités, ne sont pas des actes législatifs puisqu’ils ne sont
pas adoptés par l’une des procédures législatives prévues par le Traité
de Lisbonne. Pourtant, leur portée est radicalement distincte de celle
des règlements d’exécution et des règlements délégués, dont
l’adoption est toujours liée à l’existence d’un acte législatif (qu’ils
mettent en œuvre, complètent, ou modifient). Ils constituent ainsi une
catégorie d’actes assez proche de celle des règlements autonomes
prévus par l’article 37 de la Constitution française, c’est-à-dire des
actes adoptés en dehors de toute intervention d’un acte législatif 81, ce
qui accroît une nouvelle fois l’hétérogénéité des actes non législatifs
prévus par le Traité de Lisbonne.
Néanmoins, au-delà de ses faiblesses, sans doute inévitables
dans le cadre d’un processus de réforme confronté tant à la complexité
du domaine concerné qu’aux contraintes inhérentes à un mode de
négociation diplomatique, le Traité de Lisbonne a très certainement eu
pour effet de renouveler l’intérêt de l’étude des sources du droit au
sein de l’Union européenne.
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80
L’article 44 TFUE prévoit ainsi que, dans le cadre de la politique agricole
commune, lorsqu’un produit fait l’objet d’une organisation nationale du marché ou
de toute réglementation interne d’effet équivalent, la Commission peut fixer une
taxe compensatoire visant à rétablir l’équilibre des échanges. Elle est également
compétente en matière de libre circulation des travailleurs pour adopter les mesures
autorisant un ressortissant d’un État membre à demeurer sur le territoire d’un autre
État membre après y avoir occupé un emploi (article 49 §3 d) TFUE). Elle peut,
dans le cadre de la politique des transports, autoriser les États membres à adopter
des mesures de soutien ou de protection en faveur des entreprises de transport
(article 96 §1 TFUE). Elle dispose enfin de compétences non négligeables en
matière de concurrence. En effet, l’article 106 §3 TFUE prévoit que « la
Commission veille à l’application des dispositions du présent article et adresse, en
tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées aux États membres ».
81
La pertinence de cette catégorie d’acte en droit interne a cependant été contestée
cf. L. FAVOREU, « Les règlements autonomes n’existent pas », in R.F.D.A., n° 6,
1987, pp. 871-884.

108

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