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DE MURCIA Julie Note de lecture L3 Sociologie

21704980 Inégalités, Justice et Mondialisation le 19/12/2019

FITOUSSI. J-P. & ROSANVALLON. P. (1996). Le nouvel âge des inégalités. Paris :
Seuil, 232p.
Au lendemain des Trente Glorieuses, la société française connait de profondes
mutations et semble, après de nombreuses années de croissance, basculer vers une dynamique
inégalitaire. En 1996, dans leur ouvrage Le nouvel âge des inégalités, Fitoussi et Rosanvallon
décrivent une société traversée par l’incertitude et l’insécurité sociale, loin de l’élan
économique, de l’enthousiasme et de l’amélioration des conditions de vie des années 1950.
Tous les deux tentent dans cet essai de définir les multiples ressorts de la « crise du modèle
français » et c’est finalement à travers des aspects économiques mais aussi sociaux qu’ils
entreprennent d’analyser ce contexte particulier qu’ils nomment le « nouvel âge des
inégalités ». La réflexion qu’ils proposent ici, par ailleurs, ne se restreint pas à une simple
tentative de description de la situation française qui s’éveille dans les années 80. Elle
s’évertue véritablement à trouver des solutions, non pas pour retrouvrer la situation
socioéconomique d’après-guerre, mais pour établir un modèle de société nouveau, juste et
égalitaire, qui pour cela prenne en compte les particularités liées à l’entrée dans « l’âge mûr
des sociétés modernes et démocratiques ».
Pour répondre à la question suivante : A quoi correspond l’état de crise du modèle
français qui a succédé à la période d’efflorescence des Trente Glorieuses, et comment
parvenir à le dépasser pour redonner substance à un projet de société juste et égalitaire ?, nous
verrons dans un premier temps ce qui, selon Fitoussi et Rosanvallon, est à l’origine de
l’inquiétude qui imprègne la société française, puis nous découvrirons comment et par quels
cheminements ils envisagent une sortie de cette crise.

Le sentiment d’incertitude et d’insécurité sociale qui traverse la société française au


moment où s’écrit cet ouvrage correspond selon ses auteurs à la rencontre entre deux
phénomènes, qui, en se combinant, ont bouleversé l’ordre social anciennement établi,
dessinant alors un paysage nouveau, au sein duquel les individus, comme les institutions, se
sont retrouvés projetés sans pouvoir y trouver leurs repères, leur équilibre. Ce « malaise
français » serait le produit de la mondialisation qui a pris place à partir des années 1980, mais
aussi d’un contexte particulier d’individualisation sociologique au sein duquel les effets
pernicieux de l’internationalisation économique ont trouvé matière à se déployer. En effet, les
mutations économiques de la fin du 20e s’accompagnent de difficultés contre lesquelles une
société qui observe des mécanismes de désaffiliation (Castel) et d’atomisation sociale ne peut
faire bloc. Tandis que les français font les frais d’une tertiarisation de l’économie creusant des
inégalités entre travailleurs qualifiés et non-qualifiés, l’individualisme moderne les contraint à
affronter seuls cette réalité nouvelle. C’est donc à la fois une crise économique et
anthropologique qui est au fondement du sentiment d’insécurité et d’incertitude des citoyens
français.
Ainsi, pour œuvrer efficacement à la résorption de l’inquiétude qui s’empare depuis la
fin des années 70 de la société française, Fitoussi et Rosanvallon préconisent l’analyse fine et
la « compréhension anthropologique », a priori, de la crise qui se joue. D’après eux,
l’angoisse généralisée, qui s’exprime à travers la montée du populisme, du mécontentement et
de la violence – en France et plus largement en Europe –, serait imputable à l’inefficacité de
l’Etat pour prendre en charge les problèmes du fait précisément d’une incapacité à déchiffrer
ces derniers adéquatement. Au lendemain des Trente Glorieuses, la France connait une
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importante « réorganisation des modes de différenciation et de hiérarchisation sociale » à


l’origine d’une

réalité sociale inédite, que les outils statistiques élaborés dans les années 50 ne permettent
plus d’appréhender. De fait, le social rendu de plus en plus opaque, se laisserait difficilement
saisir par l’action politique. On dénote par conséquent une crise de l’Etat-Providence non
seulement due au déplacement des problèmes publiques et collectifs vers la responsabilité
individuelle, mais aussi finalement parce que les politiques produisent une mauvaise lecture
des phénomènes sociaux.
En réajustant le décryptage de la société, le politique pourrait proposer une
intervention plus pertinente pour contrevenir au développement de la fragmentation sociale.
De la sorte, il mettrait fin au « malaise politique » issu de l’apparente impuissance de l’Etat
face à l’approfondissement d’inégalités traditionnelles et structurelles, mais aussi face à
l’apparition d’inégalités nouvelles, alors qu’au lendemain de la guerre il se fixait pour projet
de façonner l’ensemble de la société en classe moyenne. Au début des années 80, le principe
d’égalité qu’entendait poursuivre le gouvernement semble s’affaisser, en même temps que la
croissance. A la thèse de la moyennisation de la société on substitue celle des inégalités entre
générations : la dynamique de réduction des inégalités n’aurait en fin de compte profité qu’à
la génération des babyboomers avant de rendre sa place à une dynamique de reproduction. Par
ailleurs, alors qu’on parle de « retour des classes » (Chauvel), on note aussi l’émergence
d’inégalités creusant un fossé entre les individus eux-mêmes, participant de nouveau à
opacifier le social et perturber la cohésion sociale. Inégalités face au chômage, face à
l’endettement, etc. sont autant de situations qui ne sont pas véritablement inédites mais qui
sont devenues intolérables du fait de leur permanence alors que les individus pouvaient
auparavant aspirer à une mobilité sociale.

Face à ce contexte global d’insécurité sociale, et face à la crise du politique que l’on
accuse de mettre à l’œuvre non plus un principe d’égalité mais plutôt une logique élitiste
apparaissant totalement invraisemblable en démocratie, on voit s’exprimer une « nostalgie
républicaine ». Cette dernière est décrite par les auteurs comme une réaction presque
systématique, un réflexe face à une situation d’incertitude, puisqu’elle permet d’apporter des
réponses rassurantes. D’une part, l’idée républicaine assure une certaine lisibilité de la société
à travers une « vision moniste » du social et des inégalités qui oppose le peuple contre les
technocrates. D’autre part, elle permet aux individus de se réfugier dans un conservatisme
réconfortant plutôt que de considérer un avenir incertain. A l’encontre de cette mécanique
nostalgique, Fitoussi et Rosanvallon considèrent que le politique a un véritable rôle à jouer
dans la résolution de la fragmentation de la société et la reconstruction du lien social. Selon
eux, l’articulation de la mondialisation et de l’individualisme moderne, de par ses effets
inédits, constitue un défi à relever pour l’Etat, dont la fonction revient précisément à
« accompagner le changement social » et redonner corps à la société, selon des modalités
d’action adaptées au « nouvel âge des inégalités ».
Cette fonction politique serait le propre des sociétés démocratiques modernes, qui se
trouvent pour la première fois menacées par le risque d’abstraction et d’anonymisation
(Popper). Cette fonction, nous l’avons vu, doit d’abord passer par une analyse et une
compréhension des phénomènes et comportements sociaux. D’une certaine manière, Fitoussi
et Rosanvallon placent ainsi la sociologie au cœur du défi de restructuration du corps social.
Ils parlent d’ailleurs de « sociologiser » la politique, et invitent les acteurs politiques à
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s’engager dans l’analyse a posteriori des effets de leurs décisions. Plus largement, tout au long
de cet ouvrage, ils suggèrent de réenvisager les principes et valeurs régissant la société avant
les années 80, et qui ne trouvent plus la même résonnance dans le paysage social et politique
actuel.

Ils proposent d’opérer un « réformisme radical », qui passerait par exemple par le
dépassement de la société salariale, à travers une allocation universelle versée sur le seul
principe de citoyenneté. Ce dispositif viserait à la fois à repeindre des rapports sociaux vrais
grâce au « désenchantement » de la valeur-travail, et à assurer une protection sociale aux
citoyens. Pour Fitoussi et Rosanvallon, le réformisme lui-même doit s’appuyer sur des bases
nouvelles : d’un « réformisme de la dépense », rendu possible par la forte croissance des
Trente Glorieuses, il est à présent nécessaire de passer à un « réformisme de la solidarité ».
Enfin, il est certain que le système classique de redistribution des ressources ne peut
s’avérer pertinent lorsqu’on attend de lui qu’il prenne en charge les nouvelles inégalités
(inégalités devant les incivilités, la santé, devant l’accès aux soins, aux équipements publics,
aux crédits, etc.) et requiert donc d’être entièrement réinventé. L’enjeu est ici d’imaginer des
procédures en mesure de matérialiser le projet d’égalité annoncé par l’Etat, afin de garantir à
ses citoyens la fin de la « panne de l’ascenseur social ». Pour ce faire, il ne suffit plus de
redistribuer les revenus en vue de traiter des différences entre classes, mais bien de s’attaquer
aux différences individuelles, dites « biographiques », « de parcours ». Fitoussi et
Rosanvallon affirment qu’il conviendrait d’élaborer un système de redistribution qui se base
sur une notion de justice sociale repensée à l’aune des inégalités nouvelles. Eux envisagent
l’égalité des chances comme une « capacité continue et égale d’accès à des équipements
collectifs », devant être assurée par une « redistribution des destins » qui permette de
contrebalancer l’effet des dotations initiales. Ceci supposerait un système agissant à la fois au
départ de la vie sociale, pour assurer à chacun.e un capital minimal, mais aussi au cours de la
trajectoire de vie, pour rétablir le capital minimal lorsque dans leur parcours, les individus
s’en trouvent dépossédés.

En somme, selon les deux auteurs de cet ouvrage, dans le contexte particulier de crise
économique et anthropologique qui a succédé aux Trente Glorieuses, le politique trouve une
fonction primordiale de reconstitution du lien et du corps social. Toutefois, remplir cette
fonction n’est pas chose aisée et nécessite de savoir lire et rendre lisible une société rendue
opaque par la survenue de mutations économiques majeures, associées à un important
processus d’individualisation sociologique. Or, à l’heure où les politiques ne sont
manifestement pas encore parvenus à appréhender les bouleversements auxquels fait face la
société française, la fracture sociale qui s’approfondit entre les citoyens se double d’une
distanciation de ces derniers vis-à-vis du politique. Face à la montée du populisme et du
conservatisme, qui traduit un « malaise politique » sans apporter de véritables solutions, il
devient urgent de réformer le système politique, et ce de façon radicale, afin de proposer une
approche et une intervention inédites, adaptées aux besoins nouveaux d’une société qui a
basculé dans un « nouvel âge des inégalités ». Au-delà des suggestions concrètes envisagées
dans cet ouvrage, c’est surtout un regard neuf que Fitoussi et Rosanvallon ambitionnent
d’apporter au politique pour lui permettre de s’emparer pleinement et efficacement de sa
fonction en ce temps d’incertitude et d’insécurité sociale.

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