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1

Enoh Meyomesse
écrit de la poésie
comme on
raconte des
histoires. Celle-ci
devient ainsi,
sous sa plume,
vivante. Elle l’est
d’autant qu’il ne
parle pas de ses
états d’âme,
mais, plutôt, de
son pays.
3

© LES EDITIONS DU KAMERUN


Yaoundé, Août 2010.
4

Kamerun
ton nom me faisait vibrer
d’émotion
tellement il était magique
tellement il était majestueux
tellement il était
différent
de tous ceux que
j’entendais
je rêvais de toi comme si je ne
t’avais
jamais connu
je maudissais tous ceux qui
médisaient
de toi
je les
HA-I-S-SAIS

ton nom me faisait vibrer


d’émotion
tellement il était magique
5

tellement il était majestueux


tellement il était
différent
de tous ceux que
j’entendais
ô Kamerun
mais te voici
après que j’eus abordé tes
rivages et que mon cœur ne te
regarde plus vêtu de nostalgie
lointaine
dans ce pays où il faisait si
froid
dans ce pays où il faisait si
glacial
dans ce pays où il faisait si
austère
et où des paroles haineuses
jaillissaient de partout
RENTRE CHEZ TOI
NEGRO !
6

- ô ce jour où je grimpais dans


un
autobus et la mémé vautrée
tout devant s’esclaffait : Ah ! ils
sont nombreux comme des
rats !
- ô ce jour où on avait moqué
ma
chemise brodée d’art nègre en
cet oral
de fin d’année et moi qui
croyait faire
bien de me vêtir de ma
négritude
POUAH !
- ô ce jour où …
à quoi bon compter mes
salissures
dans ce pays lointain
à quoi bon conter les
immondices
déversées sur ma peau sur
cette terre où j’immigrai un
7

matin en quête de
savoir
à quoi bon …
ton nom me faisait vibrer
d’émotion
tellement il était magique
tellement il était majestueux
tellement
il était
différent
de tous ceux que
j’entendais
et je me disais
TOI
tu
es
SPE CIAL
me voici à tes côtés rejeté de
tous et de toi-même d’abord
ordure de nouveau vomissure
dégouttante
8

ICI
je ne suis plus NEGRO
je ne suis plus ce déchet
de la terre
MAIS
INUTILITE
comment puis-je l’être
alors que ton visage brille
la disette
la disette du cœur
la disette de l’âme
la disette de l’esprit
dis-moi comment puis-je l’être
Ö DRAME
CATASTROPHE
DES CATASTROPHES
ton nom me faisait vibrer
d’émotion
tellement il était magique
tellement il était majestueux
tellement il était
9

différent
de tous ceux que
j’entendais
je t’avais déifié
je t’avais idolâtré
je t’avais divinisé
OUI
JE T’AVAIS DIVINISE
faudrait-il que je retourne tout
là-bas
ingurgiter les vilenies de ces
gens et
veiller de nuit dans un atelier
d’usine
moi plus diplômé même que le
patron
suprême de la fabrique et
poster des
photos en couleur pour dire :
VOYEZ JE NE MEURS PAS
DE
FAIM
10

pour sûr
tout le monde veut déserter tes
forêts tes savanes tes plages
comme
on désire s’échapper d’une
terre
maudite
et les jeunes veulent se sauver
comme
d’un brasier et les adultes
veulent partir tout loin très très
très
loin et ne plus jamais entendre
parler
de toi

O KAMERUN
QU’AS-TU FAIT DE TES
ENFANTS ?
11

Elite
j'écris ton nom au plus
profond de
mon âme pour te
demander qui
es tu
Elite
Elite de mon pays
Elite de mon peuple
Elite de mon Afrique
profonde
et mystique
qui a soif de vie
qui a soif de devenir
qui a soif de tout
Elite
dont j’attends tant
je t’ai vue
ailleurs
bâtissant des collines
bâtissant des rochers
bâtissant des cours d’eau
12

bâtissant l’extraordinaire
je t’ai vue
faiseuse de miracles
là où tout n’était plus que
désolation
tu as fait pousser l’herbe
sèche
sur la pierre
tu as refleuri le désert
tu as pourchassé les cactus
et de belles fleurs
multicolores
ont jailli du sol
défiant le mauvais sort
et exhalant des parfums de
vie
là où tout n’était plus que
mort
je t’ai vue de mes yeux
dis-moi
où est partie ton âme
où est parti ton génie
où est partie ta magie
13

qui transforme les bouts de


bois
en bouts de fer
qui transforme des
mottes
de boue
en motte de pierres
précieuses
où est partie ta fouge
qui renverse tout sur ton
passage
qui dépeuple des contrées
entières
au besoin
pour que le peuple n’ait
plus faim
où est partie ta foi en toi-
même
où est partie ta foi en ta
force
herculéenne
qui terrasse des hordes
entières de combattants
14

dis-moi
Elite
Elite de mon âme
Elite de mon cœur
dis-le moi
j'écris ton nom au plus
profond
de
mon âme pour te
demander qui
es tu
Elite
j’écris ton nom pour
savoir
pour savoir pour
savoir
car ICI
je ne te
reconnais
plus
15

Les expulsés
ils n’étaient pas beaux
à voir
ces jeunes gens
ils n’étaient pas
BEAUX
A
VOIR
avec leurs visages
ravinés par le monde qui
s’était
écroulé
POUR EUX
avec leurs yeux exorbités
qui faisaient si peur
et qui étaient injectés de
sang
et de rage
et de
ressentiment
avec leur allure
effrayante
et leurs mains
16

suppliantes
qui imploraient
qui imploraient
qui imploraient
qui imploraient
il y en avait qui s’étaient mis à
distribuer des coups de poings
à qui
mieux
mieux
tels des forcenés
et d’autres qui avaient choisi
de
décocher des injures et des
injures et
des injures à qui mieux
mieux
aussi
aux personnes
alentour
il y en avait qui t’avaient renié
ô pays natal
17

PROPREMENT
ils n’étaient plus d’ici
ils n’étaient plus de tes forêts
ils n’étaient plus de tes savanes
ils n’étaient plus de tes rivages
ILS T’AVAIENT VOMI
LE CŒUR EN PAIX
L’AME TRANQUILLE
MAIS EN VAIN
l’aéronef était reparti sans eux
les laissant dans un océan de
larmes
ils n’étaient pas beaux
à voir
ces jeunes gens
ils n’étaient pas
BEAUX
A
VOIR
O DIEU BON DIEU
POURQUOI NE LES AS-TU
PAS SECOURUS
18

QUE FAIS-TU DONC AU


CIEL
BLOTTI DERRIERE LES
NUAGES
et les brodequins de la
soldatesque
s’abattaient avec rage sur leurs
poitrines et les gifles et les
crachats et
la haine des policiers et des
gendarmes dégoulinaient sur
leurs
visages tuméfiés
je dis
ils n’étaient pas beaux à voir
ces jeunes gens
qui crachaient sur nos visages
LA FAILLITE
DE NOTRE IN-DE-PEN-DAN-
CE
19

La révolution…
la révolution !
quelle révolution ?
parlez m’en
je la voyais gémir
la populace
sous le poids de la
dictature
sous le poids de la férule
sous le poids de la
cravache
sous le poids de la verge
sous le poids du poids
de
ces
gens
omnipotents
omniscients
petits Néron des Tropiques
qui nous avaient tant fait
rêver
20

au commencement
ils étaient jeunes
ils étaient beaux
ils étaient ambitieux
ils étaient le devenir
la brume matinale qui
pourchasse
une nuit de sommeil
tumultueux
le soleil levant qui colporte
la
chaleur de cœur en coeur
avec ses rayons d’or
l’espoir qui pourfend le
désespoir
le pays tout entier faisait
sien
leurs discours
la révolution !
quelle révolution ?
parlez m’en
elle ne comptait plus ses
malheurs
21

elle ne comptait plus ses


catastrophes
elle ne comptait plus ses
désastres
ses cataclysmes
a quoi bon ?
décomptes macabres d’une
ère
de pleurs
d’une ère de privations
d’une ère de
bâillonnement
où le murmure
était vacarme
assourdissant plus
que le grondement du
tonnerre
où le soupir était plus
dévastateur
qu’ouragan des
tropiques
déchaîné et qui renverse
tout
sur son passage
22

- ah ! vous avez soupiré !


donc vous n’êtes pas
d’accord
n’est-ce pas ?
vous ne parlez plus ?
il n’y a pas à être pas
d’accord
ici
au pays des d’accord
la révolution !
quelle révolution ?
parlez m’en
des leaders ex-ministres
des leaders ex-mangeurs
des leaders ex-affameurs
du peuple
tortureurs impénitents du
peuple
abâtardisseurs invétérés
du
peuple
piétineurs sans vergogne
23

du peuple
hommes au sang bleu
qui n’en sont que juchés
tout là-haut
sur les épaules du peuple
à clamer la bonne marche
du peuple
à clamer la bonne vie
du peuple
à clamer le bonheur
invisible
du peuple
sa joie sans fin
ses réjouissances de jeunes
mariés
la révolution !
quelle révolution ?
parlez m’en
ils avaient fait déferler la
populace
dans les rues joyeuses
de mon pays
cassant pillant détruisant
24

brûlant
démolissant tout sur leur
passage
ils avaient des bidons en
main
remplis d’une terrible
mixture
plus dangereuse que
dynamite
ils l’avaient nommée
zoua-zoua
elle calcinait l’asphalte
elle calcinait les autocars
elle calcinait les humains
elle calcinait la révolution
la révolution !
quelle révolution ?
parlez m’en
je n’avais PLUS que ma
bouche
je n’avais PLUS que mes
yeux
je n’avais PLUS que ma
salive
25

et puis mon souffle


RIEN QUE
pour pleurer de regret
et puis de chagrin
et puis de misère
ô gâchis
ô drame
ô désastre
ô désespoir
ô REVOLUTION
E
CHOU
EE
qui aurait dû nous
apporter
la liberté
OUI
LA LI-BER-TE
APRES TANT
D’ANNEES
26

D’A
BA
TAR
DISSE
MENT
QU’ILS SOIENT DAMNES
la révolution !
quelle révolution ?
parlez m’en
ô peuple
mon beau peuple
je ne t’en veux point
je ne puis te détester
je ne puis te maudire
toi la marionnette
à la fête de ces gens
qui avaient soif de pouvoir
qui avaient soif d’honneur
qui avaient soif de gloire
parce que leur sang est
bleu
parce qu’il n’a point de
27

globules
rouges écarlates
tel celui de tes veines
parce qu’il n’a point
la même préciosité
que le tien
qui charrie la misère
qui charrie la mendicité
qui charrie la désolation
ô peuple
mon beau peuple
je ne t’en voudrais jamais
instrument de conquête
du pouvoir
entre les mains de ces gens
strapontin de chair
escabeau de muscles
ils t’ont jeté
dans les rues de mon pays
t’ont ordonné de casser
t’ont ordonné de brûler
t’ont ordonné de détruire
TOUT
28

pour redevenir
omnipotents
rois parmi les rois
seigneurs parmi les
seigneurs
Excellences
parmi les Excellences
à bord de limousines
rutilantes
aux vitres d’encre
et dormant dans des
châteaux
aux murs d’or

la révolution !
quelle révolution ?
parlez m’en
elle a été une mauvaise fête
un festin pour les autres
et non
pour toi
mon peuple
29

c’est pourquoi
je l’ai baptisée
1991
REVOLUTION
RAVIE
30

La chute
sacré Bon Dieu !
les oreilles semblaient mentir
elles semblaient nous moquer
elles semblaient plaisanter
elles semblaient nous railler
je lève ma main au ciel
je lève et relève
elles étaient semblables
aux bonimenteurs des rues
qui colportent les bonnes
nouvelles
pour rasséréner nos cœurs
emplis de tristesse et de
désespoir
elles étaient semblables aux
diseurs de joie d'espérance
et de
soleil
quand alentour il n’est que
ténèbres
nuit d’encre sans étoile sans
luciole
31

sans rayon de lune pour nous


montrer le chemin
elles étaient semblables aux
charlatans qui racontent des
flatteries
des flatteries et des flatteries
pour faire bien
pour gagner leur vie
pour manger leur croûte
pour mordre dans leur ébobolo
dans les rues de Munyenguè
ville éternelle qui ne se repose
jamais
elles étaient semblables aux
boules de cristal que l’on
adjure sans trop y
croire
oui nous n’y croyions pas
beaucoup
aux oreilles
lorsqu’elles bourdonnaient
ce jour-là
ET POURTANT
32

et pourtant
elles nous avaient raconté qu’il
n’était plus le Dieu-Mortel de
la contrée
et que sa face ne luira plus
dans nos salons
étalée sur l’écran de télévision
alors que nous ne l’avons pas
invitée
ET POURTANT
et pourtant
elles nous avaient raconté
que sa voix
oui sa voix
plus personne ne l’entendra
plus
admonester les gens
les houspiller
les sermonner
les réprimander
avec un plaisir inégalé
lui
le choisi
33

de
Dieu le père
qu’est-ce qu’elle savait le
faire !!!!
ET POURTANT
et pourtant
elles nous avaient raconté
que ses autos ne passeront plus
en un cortège interminable
week-end après week-end
week-end après week-end
week-end après week-end
en une transhumance de
richesse
infinie bâtie sur le dos du
peuple
ET POURTANT
et pourtant
elles nous avaient raconté que
son
palais des mille et une nuits
34

au plancher suspendu aux


cieux
et que nos regards envieux
en vérité aigres
maudissaient abominaient
démolissaient incendiaient
TOUS LES JOURS
du soleil levant
au soleil couchant
du soleil levant
au soleil couchant
TOUS LES JOURS
sans nous lasser
tellement il nous soulevait le
cœur
tellement il nous enrageait le
cœur
tellement il nous fendait le
cœur
tellement il était beau
tellement il était majestueux
tellement il était coûteux
tellement il était monumental
et tellement nous étions jaloux
OUI NOUS L’ETIONS
35

COMMENT NE POURRIONS-
NOUS
PAS L’ETRE BON DIEU !
SON PALAIS
ne sera plus achevé
d’ailleurs lui-même
des menottes seront passées à
ses
poignets
sous peu de temps
QUELLE JOIE !
il ne l’achèvera pas
il ne l’achèvera plus
QUELLE JOIE !
ET POURTANT
et pourtant
elles nous avaient dit tout
bonnement
la vérité
LE BAOBAB S’EST ECROULE
36

DERACINE PAR UN DECRET


plaît-il ?
oui un décret
vous dites bien
UN DECRET !
oui
un dé-cret
je lève la main au ciel
et relève la main au ciel
bien haut et droit
un simple petit décret
un simple petit décret de rien
du tout
un simple petit décret comme
en on lit
tant tous les jours
oh ! on n’y prête même
plus
attention
tellement on en entend
et des longs
et des courts
37

et des en Anglais
et des en Français
BA-NA-LI-TE
elles nous avaient dit la
vérité
elles ne nous avaient pas
menti
d’ailleurs nous
mentent-elles souvent ?
MAIS NOUS
nous n’y avions pas cru
nous n’y avions pas cru
nous n’y avions pas cru
ET POURTANT
LE BAOBAB AVAIT
CHUTE
DERACINE PAR UN
DECRET
un simple petit décret
38

de rien
du tout
un décret ordinaire
comme on en entend
tous
les
jours
39

Le soleil ricanait
le soleil ricanait
à belles dents
derrière les cases
se cachant de bananier
en bananier
là où l’on déverse le fumier
et tous les détritus
de la cuisine
là où les cochons dévorent
gloutonnement
la matière fécale des gosses
après s’être léchés
les babines
et avalé la salive
par gorgées entières
tels des humains
un appétit
succulent
là où les vessies se
soulagent
faute de mieux
40

lorsque la nuit est


d’encre
lorsque la nuit est
lugubre
lorsque le nuit est
frayeur
et que les piétons
se heurtent
les corps
entre eux
on aurait dit atteints
de cécité
et que les hiboux
hululent
vêtissent notre chair
de frissons
là où commence la cacaoyère
la plantation de ce fruit
que nous autres ne mangeons
que nous vendons
depuis qu’ils sont venus
ces gens
il y a longtemps
Bible à gauche
fusil à droite
41

enrichissant les Grecs


enrichissant les Libanais
enrichissant les Européens
de partout
ici
les gens
étaient tristes à mourir
les soupirs interminables
interminables et interminables
longs et longs et longs
les remords
innombrables
ah ! je l’avais vu l’autre jour
encore
j’aurais dû lui demander ci
ah ! si j’avais su
ah ! le bon Dieu est si
cachottier
il aurait pu nous dire

eux
ils ricanaient
42

à belles dents
tel le soleil derrière les cases
qui était de la partie
plus coquin que jamais
se secouant les épaules
tels des comédiens
qui font plus vrais que nature
s’essuyant les larmes
avec le revers de la main
tellement ils ricanaient
jusqu’au plus profond de leurs
gorges
il y avait les bâches
pour les officiels
les seigneurs de Yaoundé
avec leurs costumes
aux tissus coûteux
et leurs dames
aux parfums
suffocants
avec leurs éventails
qui brassaient
brassaient brassaient l’air
brassaient brassaient
43

brassaient
tels des ventilateurs
miniatures
éloignant les mouches
éloignant les moucherons
éloignant les senteurs
celles de leurs parfums
mêlés
en un cocktail nauséabond
celles de la transpiration
des gens d’en face
les gueux
sous leur hangar
de nattes de raphia
avec leurs mains calleuses
avec leurs doigts sans
ongles
avec leurs doigts sans
douceur
arraches-herbes exercés
leurs doigts de tenailles
plus robustes que fer
leurs râteaux de chairs
plus incisifs que métal
qui sarclent sarclent
44

sarclent
des saisons entières
des vies entières
du commencement à la fin
au milieu
la dépouille
entre ceux qui trônent
et ceux qui rampent
plus dépouillée que jamais
plus vaine que jamais
plus seule que jamais
qui l’eut crut ?
dans son sarcophage d’or
de bois précieux
de bois que l’on ne trouve
pas
en tous lieux
de bois dont on ne se sert
qu’en de telles
circonstances
qui vous nourrit une
contrée
entière quand
métamorphosé
45

ainsi
la dépouille
plus effrontée que jamais
indifférente à la racaille
alentour
aux jérémiades alentour
à la médisance alentour
- nul ne sait d’où provient
sa
fortune
- il a amassé tant de biens
en si peu de temps !
comme du temps où
elle n’était pas dépouille
elle n’était pas telle que ce
jour
elle n’était pas vidée de
pouvoir
vidée de puissance
vidée de gloire
vidée de terreur
vidée de suffisance
et qu’il fallait remplir
des feuillets
nom prénom motif
46

de l’audience
profession
signature
carte d’identité
il est en réunion
en séance de
travail
qui finira tard
après il partira
en mission
pour plusieurs
jours
il faut repasser
ah ! c’est la famille
alors domicile
domicile
non c’est mieux
au bureau
bureau
non c’est mieux
au domicile
domicile
déjà dit c’est mieux
au bureau
vous allez
47

vous revenez
vous allez
vous revenez
vous vous épuisez
vous sentez
le dernier de la
terre
la lie de l’humanité
le déchet
l’inutilité d’être né
et devenir
spectateur résigné
aux festins de ces
gens
la vomissure
alentour
couronnes et couronnes
et couronnes
et couronnes
de fleurs
avec
des adieux
des au revoirs
48

des regrets
véridiques
et
mensongers
autant
plus nombreux
il y avait Son Excellence
le représentant personnel
du
Dieu Terrestre
le Mortel
le faiseur de joie
le faiseur de tristesse
le faiseur de richesse
et de désolation
il avait extirpé de sa veste
une feuille raccornée
CET HOMME QUI PART
ETAIT UN GRAND
HOMME
ETAIT EXCEPTIONNEL
ETAIT EXEMPLAIRE
ETAIT LA VERTU
49

NUL NE L’OUBLIERA
JAMAIS
clap clap clap clap clap
clap clap clap clap clap
ici
SILENCE
là-bas
INDIFFERENCE
auparavant
il avait offert le présent
du Dieu Terrestre
le Mortel
Commandeur des hommes
comme d’autres sont
commandeurs
des croyants
les faveurs
même dans l’au-delà
les privilèges
même à trépas
50

plus loin
la tombe
qui était déjà béante
capitonnée
endimanchée
assoiffée d’accueillir
Son Excellence
une fosse semblable
aux autres
une fosse en tous points
identique
qui se refermera
à jamais
comme depuis la nuit
des temps
oui nous sommes égaux
à la mort
DEMAIN
il n’y aura plus personne
pour décharger l’auto
pour laver l’auto
pour laver le château
pour laver les carreaux
51

de la bâtisse
que même les villageois
les cousins qui sont restés là
n’ont pu construire
les maçons
les charpentiers
les menuisiers
les manutentionnaires
les bras forts
les « chouck head »
qui vous transportent un sac
de
ciment sur la tête en ricanant
les creuseurs de terre
qui vous creusent des trous
géants
en sifflotant
les mélangeurs de béton
qui mélangent des camions
entiers
de béton
sans fléchir
sans s’écorcher les mains
sans réclamer une juste paye
ils sont venus d’ailleurs
52

eux ne pouvaient pas voler


eux ne pouvaient pas
chaparder
eux ne pouvaient pas jalouser
même l’« odontol »
le terrible tord-boyaux local
que distillent à merveille les
villageois
a été apporté d’ailleurs
- on ne sait jamais avec les
empoisonnements !
a été bu par eux
puisqu’ils avaient travaillé
sans voler
sans chaparder
sans jalouser
sans médire
il n’y aura plus personne
pour se coller aux vitres
en salivant
les yeux envieux
DEMAIN
de-main-ma-tin
53

ET LE SOLEIL NE SE
LASSAIT DE
RICANER
à belles dents
derrière les cases
en se tordant les
côtes
se cachant de bananier
en bananier
il est comme ça le soleil
inhumain
cruel
insensible presque salaud
ici
c’était la TRISTESSE
épaisse à couper au
couteau
à dépecer à la machette
à fendre à la hache
là-bas
c’était
l’INDIFFERENCE
54

il y aurait dû avoir des


fonctionnaires
il y aurait dû avoir des
militaires
il y aurait dû avoir des
instituteurs
il y aurait dû avoir des
professeurs
il y aurait dû avoir des
infirmiers
il y aurait dû avoir des
médecins
il y aurait dû
il y aurait dû
il y aurait dû
IL Y AURAIT DU
dans ce village béni
dans cette contrée choisie
dans cette région honorée
TANT DE CHOSES
PAR MILLIERS !!!!!!!!!!!!!!
55

la séparation aurait été un


festin
que l’on racontera des
générations et
des générations
la séparation aurait
été une réjouissance que
les
joueurs de mvet et de
balafons
décriront des siècles et des
siècles
les palmiers auraient été
abattus
les dames-jeannes
d’« odontol » vidées
les bêtes attrapées dans les
pièges
par milliers
IL N’Y EN A PAS EU !
IL RICANAIT
A BELLES DENTS
LE SOLEIL
56

derrière les cases


on aurait même pu entendre
son frou-frou
de bananier
en bananier
en y prêtant
oreille
et aussi sa voix
sentencieuse
et
gutturale
TE VOICI
HOMME
TE VOICI
DIS-MOI
QUE RETIENDRA-T-ON
DE
TOI
57

Les sept collines


j'avais compté tes sept collines
ô capitale de mon cœur
mais les noms des monticules
m’avaient échappé
n’empêche
sept collines
telles sept péchés
telles sept plaies
oui
sept plaies
BE-AN-TES
j’avais compté tes sept collines
de un jusqu’à sept
et même à l’envers
de sept jusqu’à un
oh ! de toute façon
c’est pareil
58

sept collines
telles sept plaies
PU-RU-LEN-TES
tu n’as pas de lagune tel
Abidjan
pour être bercée par le vent du
soir
qui vient de loin tout là-bas au
large
tu n’as pas d’Océan tel Accra
dont je suis tombé émerveillé
devant la beauté de la place de
l’in-dé-pen-dan-ce
oui

IN-DE-PEN-DAN-CE
avait signifié
quelque chose
il sortait de prison
Kwamé Nkumah
Jomo Kenyatta aussi
59

Robert Mugabé aussi


Agostino Neto aussi
Abib Bourguiba aussi
les libérateurs de ma race
tes fils ô Afrique
qui portaient le fardeau du
peuple
qui portaient le carcan du
peuple
qui portaient la couronne
d’épines
du peuple
sur la tête
sur les épaules
sur le dos
alors
IN-DE-PEN-DAN-CE
signifiait
QUEL-QUE-CHOSE
pas comme chez nous
qui n’avons pas connu
la PRI-SON
mais plutôt les embrassades
60

avec les colons


tu n’as pas de béton et de
gazon et de
bougainvilliers et d’eucalyptus
et de
roses et de lilas tel Abuja jaillie
du
sol
hier encore village sordide au
fond
de la terre
aujourd’hui
CITE DE DEMAIN
qui
s’élance vers le ciel et tutoie
Chicago Houston Los Angeles
et puis et puis et puis New
York aux trottoirs
bruissant de jazz

tu n’as pas
tu n’as pas
tu n’as pas
61

oh ! à quoi bon continuer à


compter
MAIS
QU’AS-TU DONC ?
ah ! damnation
tu as tes trottoirs qui exhalent
ton
parfum d’urines
ouais !
PARTOUT
et les passants se colmatent les
narines
à tes côtés
tu as tes épluchures d’orange
tes
peaux de banane tes pépins de
papayes tes morceaux de
cannes à sucre mâchés et étalés
à la
queue leu leu pour bien faire
sale
PARTOUT
62

tu as ton ruisseau maudit qui


t’enlaidit plutôt que de
t'enjoliver comme les
ruisseaux ailleurs et qui charrie
tous
les détritus de la terre
PARTOUT
tu as tes cadavres de chiens et
de
chats et de rats et de cochons et
de
toute la gent animale qui
pourrissent
pourrissent pourrissent
pourrissent
pourrissent pourrissent
PARTOUT
tu as décimé tous tes palmiers
jadis à force d’accueillir
Son
Excellence
oh ! on ne le fait plus
63

mais c’est parce tu n’en as plus


tout simplement
tu as décimé tous tes
manguiers
tu as décimé tous tes orangers
tu as décimé tous tes papayers
tu as décimé tous les goyaviers
tu as décimé tous tes avocatiers
tu as décimé tous tes arbres de
ma
tendre enfance
quand les Blancs vivaient tout
près du lac
oh ! le lac !
une immense marre d’eau
DEGOUTANTE
où les colons faisaient du ski
nautique
lorsque son eau était propre
lorsque son eau était limpide
lorsque son eau était
immaculée
et que l’on voyait du bord les
poissons
au fond de celle-ci
64

et voici
je ne te reconnais plus
LAIDEUR
où vais-je m’abriter du soleil
de midi
qui calcine ma crête
et le sang jaillit de mon nez
en un flot tumultueux
où vais-je m’abriter de la
tornade
qui me surprend sur tes
trottoirs
désormais chauves
où vais-je
où vais-je
où vais-je
dis-moi donc
ah ! sept collines
TU ME DEGOUTES A
MOURIR
65

à présent on braise le poisson


sur tes
Champs Elysées ta 5ème avenue
ta
porte de Brandebourg
PARTOUT
la fumée s’élève en tous lieux
fumée de maïs de maquereaux
de plantins de porc de bœuf de
mouton tel un immense
incendie
qui n’a de fin
PARTOUT
tu as tes trottoirs–champs de
maïs de
manioc d’arachide de macabo
PARTOUT on ne sait plus si tu
es le
village ou la ville
PARTOUT
tu as tes boulevards-égoûts où
les
66

ménagères transportent des


bassines et des bassines et des
bassines d’eaux
usées peuplées d’arêtes de
poissons
de boyaux de chèvres d’épines
de
porcs-épics d’écailles de
vertébrés
aquatiques par milliers
et les déversent gaiement
sur la ligne continue
PARTOUT
JE DIS
TU ME DEGOUTES A
MOURIR
TU NE PEUX SAVOIR
donnez-moi le pouvoir
et je me nommerai Haussmann
et je détruirai Ongola
et le reconstruirai
donnez-moi la force d’Hercule
67

et je me nommerai Néron
et j’incendierai Ongola
il n’y aura plus à la place
que cendre
je t’incendierai
SEPT COLLINES
et tu renaîtras
tu revivras
tu réapparaîtras
ENFIN
COMME TU MERITES
DE L’ETRE
68

Ruben
Ruben
toi le maquisard
d’abord
je t’ai détesté
tes exploits jadis
noircissaient ton visage
brigand parmi les brigands
TER-RO-RIS-TE
mais voici
je te découvre radieux comme
le soleil matinal
et tu resplendis à mes yeux
plus beau que jamais
Ruben
O Ruben
combien sommes-nous
69

qui avons blasphémé sur


ton nom
qui l’avons fait
le cœur pur
l’âme patriotique
je dis
combien sommes-nous
nous pardonner pourras-tu
jamais
de toi d’avoir douté
médit sur ton amour
IN-COM-MEN-SU-RA-
BLE
Ruben
Ô Ruben
TU ES UN GEANT
et ton sang versé
au plus profond des sillons
de ton sol
70

qui est mien


sont une semence de
patriotisme
d’où germera
un matin
LA-LI-BER-TE
71

L’ami Ernest
l’ami Ernest
je tressaillis au crépitement des
fusils
pointés sur ton corps si frêle et
qui ont
déchiqueté cruellement ton
âme
en ce jour maudit
à Bafoussam
demain
quand je serai moi-même
quand je n’aurai plus la sangle
autour de mon cou
quand je n’aurai plus ces
chaînes
innombrables
qui enserrent mon âme

je t’élèverai
72

un obélisque d’or
au beau milieu de cette cité
afin que
NUL NUL NUL
N’OUBLIE
TON SACRIFICE
SUPREME
73

Je t’ai parcourue
je t’ai parcourue
ô terre natale
j’ai sillonné tes sentiers
caillouteux
j’ai récolté des cicatrices par
milliers
à force de marcher marcher
marcher en piétinant des
ronces gloutonnes
mais nulle part
nulle part
je n’ai vu trace
de ton passé glorieux
pourquoi tais-tu ce que tu as
été
pourquoi tais-tu ce que tu as
fait
pourquoi tais-tu ce que tu as
bâti
oui CE QUE TU AS BATI
avec tes mains
74

avec ton sang


et puis
et puis
et puis
ton intrépidité
quand ces gens voulaient
t’asservir
à jamais
après qu’ils t’eurent
enchaîné
tu avais séché tes larmes
et avais armé ton bras de ta
sagaie
et ton cri
surgi des tréfonds de ton âme
avait éclaté
telle une irruption de volcan
balayant tout
sur son passage
et puis
la
LI-BER-TE
ETAIT APPARUE
ô pays bien-aimé
pays au passé glorieux
75

pays à l’échine rigide


qui ne fut point courbée
j'ai soif de te voir conter tes
exploits
j’ai soif de te voir conter ta
bravoure
j’ai soif de te voir conter ta
vaillance
j’ai soif de te voir conter ta
témérité
quand les mains nues
tu affrontais
la férocité
de
ces
gens
76

Il se déchaînera
il se lèvera
mon peuple
il se lèvera
et la terre entière
tremblera
prenez-y garde
il ne sommeille point
il ne somnole point
il ne dort point
ce jour-là
ceux qui ont avalé
gloutonnement
les repas des autres en jetant
les restes
dans les rigoles
en haussant paresseusement
les
77

épaules devant les hurlements


de
détresses d’estomacs alentours
qui
tenaillaient les entrailles de
faim et qui
imploraient tout juste un peu
un tout
petit peu un tout petit petit
petit peu
de ce qui était destiné au
dépotoir
ceux qui ont bu cruellement et
en
rotant bruyamment les
boissons des
autres en déversant le surplus
dans les
égouts comme de mauvais
breuvages
ou dans les puisards où
vivent les rats où vivent les
démons où vivent les gnomes
où vivent les
serpents-bois qui détruisent
78

l’Homme
encore fétus dans le ventre de
sa mère
je dis
ce jour-là
ILS
vomiront tel des ivrognes à la
terrasse
d’une gargote qui ont
ingurgité des
hectolitres et des hectolitres et
des
hectolitres et des hectolitres de
houblon ou de bilibili le terrible
tord-boyaux que brasse mon
peule et qui
l’enivre plus que de raison
je dis
il se lèvera
mon peuple
il se lèvera
TEL UN COLOSSE
et
79

il grondera semblable à un
volcan en
furie semblable à un océan
déchaîné
et qui renverse
des paquebots et des
paquebots et des paquebots de
mille tonnes tel tel tel tel
je ne sais quoi
CE
SERA
TER
RI
BLE !!!!!
et la terre entière
et la galaxie entière
et l’univers entier
trembleront
jusqu’au plus profond
de leurs entrailles
il ne sommeille point
mon peuple
80

il ne somnole point
non
non
non
non
IL SE DECHAINERA
81

Table
Kamerun …………………. 4
Elite ……………………….. 12
Les expulsés ……………… 17
La révolution …………….. 22
La chute ………………….. 32
Le soleil ricanait …………. 42
Les sept collines …………. 61
Ruben …………………….. 72
L’ami Ernest ……………….. 75
Je t’ai parcourue ………….. 77
Il se déchaînera ……………. 80

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