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SANTE, ETHIQUE ET ARGENT :

UNE INDISPENSABLE CONCILIATION

Colloque International sur


« Santé, éthique et argent : une indispensable conciliation ».
Tunis, 16-17 Avril 2004

Pr B. HAMZA
Président du Comité National d’Ethique Médicale

Monsieur le Doyen, mesdames, messieurs, mes chers


collègues.

C'est un grand plaisir d'être parmi vous ce matin pour


introduire les travaux de cette rencontre internationale
portant sur les rapports entre "la santé, l'éthique et
l'argent". Ce sont en effet, des thèmes qui nous ont toujours
intéressés et je tiens donc à remercier la Faculté de Droit et
des Sciences Politiques de Tunis, ainsi que toutes les autres
institutions tunisiennes et françaises associées à ce Colloque
de m’avoir donné l'occasion de présenter, en tant que
Président du Comité national d'éthique médicale, notre point
de vue sur cette question.

Comme vous le savez, la Tunisie a inscrit dans ses textes


législatifs et ses plans de développement, le droit à la santé pour
tous les citoyens. Le résultat en est, d’après les indicateurs de
santé, que le volume et la qualité des prestations de santé sont de
l’ordre de 6,2 % du PIB, et situent ainsi la Tunisie au niveau des
pays intermédiaires. En raison de ses choix, la Tunisie est
devant une triple constatation.

1°-/ Le droit à la santé s’est inscrit de façon


irréversible dans la culture collective au point où il est devenu
une exigence ;

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2°-/ Ce droit à la santé a un coût qui intègre
nécessairement des considérations économiques. Il est tributaire
d’une triple spirale :

a-) la spirale du progrès ;


b-) la spirale des coûts ;
c-) la spirale de la demande.
3°-/ Ces hautes valeurs font de la santé un
accomplissement civilisationnel qui risque d’être soumis à des
considérations pratiques :
1-) La notion de santé est-elle moralement
compatible avec les concepts de l’économique ?
2-) Ce rapport santé-économie étant justifié et
légitime, en fonction du progrès et de l’évolution de la
médecine, doit-on en faire un rapport de subordination ?
Le Comité National d’Ethique Médicale estime que
le secteur de la santé, par les moyens qui y sont consacrés et le
capital humain qui lui est réservé s’inscrit dans « la logique
économique ».
Il ne peut y avoir maîtrise de la santé sans une approche
économique. Si l’on prend en considération à la fois
l’affectation des ressources et les différents moyens d’éviter les
déviations et les déperditions, l’on peut considérer alors, qu’il
n’y a pas de contradiction de doctrine entre la préoccupation de
santé et la science économique, mais plutôt des convergences et
une complémentarité.
En effet, les progrès scientifiques et technologiques
ouvrent des perspectives constamment renouvelées dans le
domaine de la médecine qu’il soit préventif ou curatif. Ces
perspectives suscitent des besoins plus étendus, alors même que
les contraintes financières imposent des attitudes restrictives.
C’est la maîtrise de cette évolution qui est devenue un
enjeu majeur de politique de santé et c’est dans le cadre de cette
préoccupation que le Ministre de la Santé Publique a saisi le
CNEM pour émettre un avis sur les « enjeux éthiques, soulevés
par l’incidence des progrès techniques et les dépenses de
santé » que l’on peut réduire au concept : « Ethique et argent »
thème de cette conférence.
S’agissant d’une saisine, susceptible d’ouvrir un débat des
plus complexes, le CNEM a convenu d’étayer sa réflexion par

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une large consultation à la section technique. Celle-ci a d’abord,
établi un état des lieux avec les données relatives à la situation
sanitaire de la Tunisie, aux dépenses de santé et aux régimes
d’assurance-maladie.
Le Comité a écouté les points de vue d’un certain nombre
de responsables de la discipline médicale, celle-ci ayant été
évoquée tant au point de vue technique, que financier et éthique.
C’est à partir de cette consultation, que le Comité a choisi
de consacrer la 3ème Conférence annuelle, ouverte au public, à ce
sujet, ce qui lui a permis d’écouter des compétences médicales
et non médicales. Le débat qui s’est instauré, les diverses
approches qui s’y sont développées ont contribué à une
meilleure connaissance du thème et ont été l’objet de la réponse
à la saisine de monsieur le Ministre de la Santé publique.

Quelle est la problématique ?


Comme nous l’avons mentionné, la pérennité du droit à la
santé étant tributaire d’une triple spirale :
a) celle du progrès ;
b) celle des coûts ;
c) celle de la demande.
Il est évident, qu’il n’est possible pour aucune économie,
pour aucun système de santé de s’ouvrir à tous les progrès et ses
applications, d’en assumer le coût et faire bénéficier tous ceux
qui s’estiment en situation d’y prétendre.
Aussi, deux attitudes, devant une telle situation :

1°-/ Accepter la contrainte financière et décider


d’adapter les possibilités diagnostiques et thérapeutiques aux
ressources disponibles tout en fixant des critères de choix, ce qui
risque de soulever des problématiques d’éthique, de
responsabilité, de solidarité, d’équité, et de limite au droit à la
santé.
2°-/ Rechercher à partir du progrès technologique et
thérapeutique, l’inflation des coûts et de la demande la solution
pour pouvoir les maîtriser et adopter des attitudes dans le respect
des règles fondamentales de l’éthique des soins.

S’agissant de la spirale du progrès, l’on ne peut, ne pas


recourir aux nouvelles techniques d’exploration, de traitement,

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la thérapie par substitution d’organes et au recours à la
génétique qui permettent d’agir efficacement ou en amont du
processus morbide.
C’est certes la rançon du progrès, mais de plus en plus, il y
a une tendance à diversifier les investigations, une
médicalisation sous-couvert de la dynamique du progrès.
S’agissant des coûts, l’on peut l’aborder sous deux
aspects :
- la légitimité des coûts ;
- l’efficacité des dépenses.

La légitimité des coûts, quand les moyens


technologiques, thérapeutiques et préventifs ont fait leur preuve
d’efficacité, l’on ne peut ne pas accepter le financement, sous
réserve d’éviter les dérives et leurs conséquences, en invoquant
le progrès.

L’efficacité des dépenses : L’on sait qu’en matière de


santé, toute dépense de santé s’évalue sur les résultats, alors que
ces derniers ne sont pas immédiats ou objectivement
mesurables. Il importe notamment de les identifier par rapport à
des techniques susceptibles de réduire le coût par exemple la
prévention ou les thérapeutiques substitutives.
S’agissant de la spirale des demandes : nous faisons
remarquer qu’un besoin de santé, s’il est synonyme de demande,
celle-ci n’est pas toujours synonyme de besoin.
Aussi est-il nécessaire d’établir une hiérarchie des besoins
et la réponse à celle-ci. Le mécanisme de demande de soins est à
rechercher dans une quête d’objectivité et de choix éthique.
Dans cette optique, la réunion de 3 facteurs est nécessaire.

I- Evaluation des besoins, l’évaluation de l’offre des


soins, les conditions de l’évaluation.

II- Education de la population en matière


d’information au bénéfice de la santé. Ce rôle est dévolu sur le
plan général, au pouvoir public, aux médias, aux associations
médico-sociale et sur le plan individuel au médecin qui doit en
plus de sa formation, recevoir une information adaptée à la

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rapide évolution des techniques, des thérapeutiques et les
conséquences économiques

S’agissant de la formation des médecins


C’est dans ce cadre que le CNEM considère que la
formation des médecins peut constituer un apport déterminant à
la rationalisation qualitative et en coût du recours au progrès
médical.
C’est dans cette perspective que le CNEM a déjà
recommandé d’introduire l’enseignement de l’éthique dans le
cursus universitaire : des types de programmes et un document
de l’OMS relatif à l’enseignement de l’éthique ont été adressés
aux différents établissements de l’enseignement médical.
L’intérêt des informations et des modules qui ont été
diffusés est de démontrer que la formation médicale n’est pas
seulement fondée sur « l’accumulation des connaissances
théoriques et académiques ».
Une constante de ces programmes est d’intégrer des
considérations relatives aux éléments éthiques au choix en
matière de décision de santé qui doivent cependant
s’accompagner d’une formation en matière d’économie
médicale et de gestion des moyens.
Le CNEM souligne l’utilité particulière de cette formation
dans le cadre du cursus spécifique du médecin généraliste dont
le profil et le rôle restent à promouvoir de telle façon qu’il
devienne, non plus un sous-spécialiste, mais le prestataire
fondamental et l’élément essentiel du système de santé tunisien.
Le CNEM juge tout aussi nécessaire l’effort qui doit être
fait en matière de formation des paramédicaux. Ils sont par leur
nombre et de par leur fonction les plus grands prestataires
d’actes de soins. Ils sont aussi et surtout des intermédiaires
privilégiés et éclairés entre le médecin et le malade.

Concernant La formation continue le CNEM suggère


d’institutionnaliser la formation continue tout en ayant à l’esprit
que celle-ci doit être l’objet d’une large confrontation quant à
son contenu et à ses applications et qu’elle est le meilleur espace
de prise en compte des défis éthiques, et d’adhésion aux
processus de choix d’utilisation des ressources.

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Par ailleurs, le CNEM estime qu’une place particulière
doit être consacrée à la prévention.
A l’évidence la démarche consistant à intervenir en
amont de la maladie ou de risque s’inscrit idéalement dans
l’éthique.

La Tunisie a réalisé de grands progrès en matière de


prévention ; ils ont permis d’éradiquer ou de réduire un grand
nombre de fléaux et de diminuer la morbidité, ce qui a amené
indirectement la diminution les soins de santé. Cependant des
risques avérés peuvent resurgir qui ne pourraient régresser qu’au
prix d’actions spécifiques de prévention. Là encore s’imposent
l’évaluation, la dévolution de moyens et la mise en place d’une
pédagogie. Néanmoins le CNEM est conscient de la difficulté à
s’ouvrir à tous les progrès et d’en assurer les coûts eu égard à
tous les besoins. Une doctrine est d’autant plus difficile à définir
que notre pays a engagé de fait une refonte de son système de
santé parallèlement à la réforme des régimes d’assurance-
maladie. Le CNEM est cependant convaincu :
- qu’il n’y a pas de recette miracle pour la maîtrise
des dépenses de santé ;
- que la maîtrise des dépenses ne passe pas
invariablement par la détermination de critères de choix avec ce
qu’ils impliquent de renonciation et d’exclusion ;
- que la démarche alternative s’inscrit dans
l’éducation de la population, la formation éthique, de
responsabilité et de solidarité à tous les niveaux du personnel de
la santé.

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