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Georges Petite histoire des tunnels

Reverdy

DES GROTTES AUX TUNNELS


P o u r écrire valablement u n e histoire des tunnels, il faudrait
d'abord q u e l'objet en fût bien défini. O r le terme « tunnel » est
récent et resta longtemps le n o m spécifique de l'ouvrage que
Brunei tenta de construire sous la Tamise. O n parlait plutôt avant
lui de galeries o u de souterrains. D e p u i s longtemps, o n construi-
sait de tels ouvrages, en particulier p o u r l'exploitation des mines,
ce qui nous fait remonter à l'Antiquité. Et faut-il se limiter à ces
galeries où circulaient des h o m m e s et leurs chariots, et considérer
différemment les divers ouvrages hydrauliques, canalisations ou
égouts, encore plus anciens ?
Cette recherche n ' a pas de limite si l'on considère qu'il
existe aussi, depuis b e a u c o u p plus longtemps encore, des galeries
souterraines p a t i e m m e n t creusées par la nature, d o n t nos loin-
tains ancêtres firent volontiers leurs demeures. Il ne s'agit pas
seulement de cavernes mais de réseaux souterrains parfois plus
étendus que les plus longs ouvrages d'aujourd'hui, qui ne sont pas
réservés aux spéléologues puisqu'ils peuvent atteindre des d i m e n -
sions impressionnantes : nous avons l'avantage de disposer en
France de la grotte d u Mas-d'Azil dans l'Ariège, o ù coule la rivière
l'Arize sur plus de 4 0 0 mètres de longueur, et q u ' e m p r u n t e depuis
1859 la route (alors) impériale 119, à la suite de très légers travaux
d'aménagement. Les grandes dimensions de ces cavités ne les
e m p ê c h e n t pas d'être parfaitement solides, par suite de la patience
et de la douceur avec lesquelles l'eau les a creusées : au Mas-d'Azil
les ingénieurs nourrissaient quelque inquiétude sur la stabilité de
blocs menaçants de la voûte ; ils firent venir p o u r s'en assurer des
artilleurs et leurs pièces, et ces blocs ne bronchèrent pas malgré les
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4 1 coups tirés à 3 0 0 mètres avec des obusiers de 12 !
Avant d'arriver aux véritables tunnels destinés au passage
des voies de c o m m u n i c a t i o n classiques, je vais rappeler rapide-
m e n t quelques ouvrages antiques que l'on p e u t considérer c o m m e
des précurseurs. Le plus c o n n u est sans d o u t e le fameux t u n n e l
d'Ezéchias, que l'on visite encore aujourd'hui à Jérusalem et qui
Ci-contre : entrée d'une des galeries du chemin defer de Saint-Etienne à Lyon réalisé fut creusé vers 7 0 0 avant Jésus-Christ, sans d o u t e par le roi
par les frères Seguin etEdouardBiot. Extrait du Magasin pittoresque, 1854. Ezéchias, p o u r soustraire aux assiégeants syriens la seule source
Ci-dessus : tunnel d'Ezéchias, creusé vers 700 avant Jésus-Christ, d'après G. Barkay. d'eau vive de Sion. C'est u n e grande galerie taillée dans le calcaire,
de plus de 500 mètres de longueur, qui alimente à l'aval la piscine
de Siloë bien c o n n u e par la Bible. Elle a u n tracé fort sinueux d o n t
la forme générale est en S, et si l'on ne connaît pas de façon certaine
ceux qui l'ont creusée, o n a l'avantage d'y lire u n e inscription en
hébreu de l'époque, qui c o m m é m o r e la rencontre, presque mira-
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culeuse, des deux équipes chargées du creusement de l'ouvrage .
Si nous arrivons m a i n t e n a n t à l'époque romaine, il est
certain que les ingénieurs d'alors se sont beaucoup plus illustrés
dans le d o m a i n e des ponts que dans celui des tunnels. O n ne peut
cependant pas négliger leurs ouvrages souterrains de nature
hydraulique, qu'il s'agisse des fameux égouts de R o m e ou des
nombreuses sections souterraines de leurs aqueducs, c o m m e celui
d u Gier qui alimentait Lyon, p o u r avoir une pente suffisante p o u r
l'écoulement des eaux en évitant de trop grandes sinuosités du
tracé. Toutefois, on ne considérera pas c o m m e des souterrains les
petits arcs (de triomphe) taillés dans le roc au passage de minces
éperons c o m m e la porte de Bons dans l'Oisans ou celle de D o n n a z
dans la vallée d'Aoste.
Il existe en Italie deux véritables tunnels routiers datant de
l'Empire romain, et au moins trois autres ouvrages assimilables
aux précédents. Le plus c o n n u est le tunnel de Furlo sur la voie
Flaminienne, au passage d ' u n éperon calcaire dans les gorges du
Candigliano, entre Fossombrone et Cagli, que l'on a bien été
obligé de percer p o u r assurer la continuité de cette route très
importante. Il n'a que 38 mètres de long et un tracé en S, mais il
bénéficie d'une belle inscription attribuant sa construction à
l'empereur Vespasien en 16-11 après Jésus-Christ. Le plus impor-
tant est celui des « crypta neapolitana » entre Naples et Pouzzoles,
qui devait assurer une liaison directe entre ces deux villes, et d o n t
la longueur est de plus de 7 0 0 mètres, avec une dénivellation de
11,30 m. Il fut construit, à la fin de la République ou au début de
l'Empire, par le fameux Cocceius à qui les trois autres ouvrages
plus spéciaux de cette région sont également attribués : il s'agit de son ouvrage De re metallicade 1556 sont des plus évocateurs . Les 4

la « grotte » de Cocceius, d ' u n kilomètre de long, qui joignait la outils de ces mineurs étaient les pics et les barres à mine sur
base navale du lac d'Averno à C u m e s , d ' u n e autre grotte sous lesquelles ils frappaient avec des masses... et q u a n d la roche était
l'acropole de cette célèbre colonie grecque, et de la « grotte de trop résistante, ils allumaient des feux contre le front de taille, sur
Seiano » qui servait d'accès à une villa sur le Pausilippe. lesquels ils projetaient ensuite de l'eau froide plus ou moins
T o u s ces tunnels avaient de grandes dimensions : de 4,25 m additionnée de vinaigre. Heureusement, après une première
à 5,25 m de largeur (pour le tunnel de Furlo) et de 4,60 m à explosion célèbre en 1627, on allait pouvoir se servir de la poudre
5,95 m de hauteur. Ils étaient tous creusés dans la roche com- qui ne fut cependant rendue opérationnelle qu'à la fin du siècle,
pacte, calcaire du lias ou tuf volcanique. D a n s ce dernier cas, par l'invention de la mèche.
certaines sections ont dû être renforcées par des arcs en m a ç o n n e -
rie ou par de véritables voûtes avec de grands voussoirs ou des
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DES SOUTERRAINS
moellons réticulés .
Quels ouvrages peut-on encore glaner au cours des siècles
POUR LES CANAUX
avant les temps modernes en matière de souterrains ? Peut-être en Malgré la modestie de ses dimensions, c'est le tunnel du
1370, à Paris, l'égout de M é n i l m o n t a n t , premier ouvrage voûté Malpas sur le canal du M i d i que je citerai le premier parmi les
m a ç o n n é à l'exemple des Romains ; sans doute en 1480 la petite ouvrages modernes. C'est ici l'occasion de rappeler que, si les
galerie de 72 m de longueur creusée dans le rocher sous le col de routes de terre se sont passées jusqu'à une époque récente de
la Traversette, près d u m o n t Viso, p o u r faciliter le passage des véritable tunnels, grâce à la possibilité qu'avaient leurs divers
mulets apportant le sel de Provence jusqu'au marquisat de Saluces... usagers de gravir des rampes parfois très importantes, ce ne sont
Mais il faut surtout évoquer ici le travail héroïque des mineurs qui, pas les chemins de fer qui o n t été les premiers promoteurs des
à partir du XI siècle, et surtout d u XVI , se mirent à creuser en tous
e e
tunnels mais bien les canaux de navigation qui les avaient devan-
sens les massifs anciens p o u r en extraire les précieux minerais. O n cés de deux siècles dans l'histoire des transports. Paul Riquet, le
ne peut qu'être plein d'admiration p o u r leur courage puisque ce premier, n'a pas hésité à creuser u n véritable tunnel en 1680 p o u r
n'étaient plus seulement des esclaves, des prisonniers ou des faire passer la dernière section à construire de son canal des deux-
condamnés, c o m m e dans l'Antiquité, qui creusèrent et étayèrent
ces puits verticaux et ces galeries étroites dans des terrains de toute
nature, et qui durent évacuer les eaux rencontrées avec les moyens Ci-dessus : le tunnelde Furlo sur la voie Flaminienne. Gravure extraite de « The Roman
de l'époque. Les descriptions et dessins de Georgius Agricola dans Roadin îtaly », Quaderni di « Autostrade » (cf. note 3).
faîte (canal de Briare, d u Centre). Mais, en plus d u souci d e
réduire au m a x i m u m le n o m b r e d'écluses p o u r faciliter la naviga-
tion, il apparut bientôt nécessaire d'avoir u n bief de partage aussi
bas que possible, p o u r pouvoir l'alimenter correctement en eau.
C e qui conduisit à prévoir de grands souterrains p o u r le canal de
S a i n t - Q u e n t i n lui-même, qui n'a q u ' u n seuil d'environ 100 m è -
tres à franchir entre les vallées de la S o m m e et de l'Escaut, c o m m e
p o u r les canaux de Bourgogne et d u Nivernais, et les autres qui
suivront. A ces faibles altitudes, ce sont souvent des terrains
sédimentaires tendres et des nappes abondantes qui sont rencon-
trés, ce qui explique les difficultés des travaux en matière d e
soutènement et d'épuisement, alors que, plus tard, les tunnels de
chemins de fer bien plus n o m b r e u x a u r o n t surtout à traverser de
véritables montagnes dans des roches dures présentant d'autres
problèmes.
Le canal d e S a i n t - Q u e n t i n est certainement celui d o n t
l'histoire est la plus instructive, puisqu'il fut le premier à être
entrepris, qu'il bénéficia d'une sollicitude particulière de N a p o l é o n
et qu'il fut p e n d a n t tout le XIX siècle le plus i m p o r t a n t canal
e

français, et de loin, assurant la principale liaison entre la région d u


N o r d et le Bassin parisien. Le premier projet de ce canal d e
Picardie fut étudié en 1727 par l'ingénieur Devic, qui prévoyait
déjà audacieusement de grands souterrains dans la craie. Mais par
la suite, dans les années 1770, on c o m m e n ç a les travaux suivant
le projet différent de l'ingénieur Laurent, qui comportait u n
souterrain gigantesque de 14 k m de longueur. O n creusa p o u r
cela 70 puits espacés de 2 0 0 m, et o n c o m m e n ç a à déblayer la
galerie elle-même, e n l'approfondissant progressivement p o u r
évacuer vers les extrémités les eaux rencontrées. C e p e n d a n t , la
m o r t d u p r o m o t e u r et des hostilités de plus en plus déclarées
conduisirent T u r g o t à interrompre provisoirement, puis définiti-
vement, les travaux. P e n d a n t plus de vingt ans, tous les grands
mers entre Trèbes et Béziers, et, au-delà, vers Agde et Sète. Le seuil personnages de l'époque discutèrent d u projet en s'appuyant sur
d u Malpas avait déjà été e m p r u n t é par la voie D o m i t i e n n e , les avis successifs et parfois contradictoires de l'Académie des
c o m m e étant le passage le plus favorable entre N a r b o n n e et sciences et de l'Assemblée des Ponts et Chaussées. O n dit que
Béziers. O n pense que c'est l'existence d ' u n i m p o r t a n t aqueduc de C o n d o r c e t lui-même n'avait pas compris la finalité des travaux,
2 000 mètres de longueur creusé au m ê m e endroit, à u n e époque qu'il croyait les puits seulement destinés à d o n n e r d u jour, et qu'il
inconnue, p o u r l'évacuation des eaux de l'étang de M o n t a d y , les jugeait insuffisants p o u r cela. Q u o i qu'il e n soit, il fallut
depuis lors asséché, qui d o n n a à Riquet l'idée d e percer la attendre le 30 juillet 1802 p o u r que, après une visite des lieux
m o n t a g n e . Q u o i qu'il en soit, Riquet n'hésita pas à faire traverser l'année précédente, o ù il avait p u voir les vestiges éboulés d e
la m o n t a g n e sur 7 1 5 m de longueur, au moyen de deux grandes l'ancienne entreprise, le Premier consul décidât énergiquement de
tranchées d e plus e n plus profondes, encadrant u n véritable faire reprendre la construction du canal suivant le projet initial de
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souterrain de 165 m de longueur dans la partie centrale, ayant Devic, avec deux souterrains de 1 098 et 5 670 m de longueur .
sensiblement 8 mètres de largeur et de hauteur. La roche gréseuse Les travaux d u canal de S a i n t - Q u e n t i n - n o t a m m e n t ceux
était tendre et son creusement fut facile ; elle se désagrège m ê m e d u grand souterrain d i t d e Riqueval - o n t fait la gloire d e
à son extrémité ouest et doit y être renforcée par de la maçonnerie. l'ingénieur Gayant qui les dirigea jusqu'à leur achèvement, d e
Q u o i q u e le canal lui-même y ait moins de 6 mètres de largeur et 1804 à 1810. La largeur totale de la galerie est d ' u n peu plus de
ne soit naturellement exploité qu'à sens unique, cet ouvrage 8 m , avec u n e cuvette de 5,20 m p o u r le canal, encadrée par deux
frappa d'admiration les contemporains et t o u t le xviif siècle. banquettes p o u r le halage de 1,40 m chacune. Les difficultés
Il ne fallut cependant pas attendre la fin de ce siècle p o u r que rencontrées furent sérieuses à cause de l'importance de la nappe
soient envisagés et m ê m e entrepris des projets beaucoup plus et des affaissements de terrain qui se produisirent : le fontis le plus
importants de souterrains p o u r canaux. Les premiers canaux de i m p o r t a n t atteignit plus de 30 m de hauteur sur u n e longueur de
navigation se trouvaient p o u r t a n t situés dans des régions à faible 2 2 m entre deux parties de voûtes déjà exécutées. O n en vint à
relief ne nécessitant pas de tels ouvrages p o u r franchir la ligne de b o u t en comblant toute la partie effondrée, en compactant ce
remblai et en y creusant successivement deux par deux de petites
galeries étayées p e r m e t t a n t peu à peu de construire u n e voûte
Ci-dessus : A : fourches dirigées vers le haut ; B : poteau posé sur les fourches ; C : maçonnée sur toute la longueur nécessaire . 6

ere ere e
puits ; D : ï corde ; E : poids de la ï corde ; F : 2 corde ; G : 2 corde fixée au sol ;
e e er
La construction des souterrains d u canal d u Nivernais,
H : tête de la 2 corde, I tête de tunnel ; K : 3 corde ; L : poids de la 3 corde ; M : 1
e
côté du petit triangle ;N :2 côté du petit triangle ; O : 3 côté du petit triangle ; P : petit entre la vallée de l'Aron, affluent de la Loire, et celle de l'Yonne,
triangle. Extrait de De re metallica de Georgius Agricola, 1556. eut encore plus de malheurs. C e canal avait été c o m m e n c é en
1784, principalement p o u r l'approvisionnement de Paris en bois m ê m e époque, à l'occasion n o t a m m e n t des grands travaux rou-
des vastes forêts situées sur le versant de la Loire ; puis o n pensa tiers prescrits par N a p o l é o n p o u r la traversée des Alpes, et p o u r
rapidement qu'il valait mieux en faire u n véritable canal p o u r le rendre ces routes vraiment carrossables, des galeries assez impor-
passage des bateaux, avec u n souterrain p o u r le bief de partage à tantes furent creusées, parfois dans les roches les plus dures. C e
la Colancelle. Le percement principal devait avoir u n e longueur seront d'abord les galeries de la route d u Simplon dans les gorges
de 7 5 0 m , poursuivi par d'importantes tranchées avec deux de la Diveria, sur le versant italien, d o n t la grande galerie de
galeries plus courtes. Les travaux entrepris en 1784 furent inter- G o n d o , de 2 2 4 m de longueur, éclairée par deux fenêtres latéra-
r o m p u s dès 1791 par la Révolution, alors q u ' o n avait c o m m e n c é les ; la galerie de l'Infernet sur la route d u Lautaret au-dessus d u
par creuser sept puits de 2 , 5 0 m de diamètre, distants entre eux Bourg-d'Oisans, de 2 0 0 m de longueur sur 6,50 m de hauteur et
d ' u n e centaine de mètres. Lors de l'arrêt, le souterrain était 6 m de largeur (malgré ses quatre fenêtres, l'ingénieur-élève
entièrement creusé sur 4 4 8 m et voûté sur 2 7 3 m , u n e petite N e h o u q u i l'avait admirée lors de sa mission en 1816 la jugeait
galerie seule étant percée sur le reste de la longueur. Sous l'Empire 8
i n c o m m o d e à cause d u m a n q u e de jour ) ; la galerie de la grotte
il n ' y eut q u e quelques velléités de reprise des travaux, suivies de des Echelles sur la route d u M o n t - C e n i s , avant C h a m b é r y , de
réclamations d'entrepreneurs. Ils ne reprirent vraiment q u ' e n 3 0 0 m de longueur (après le creusement en 1806 d ' u n e première
1823, à la suite d u vote, l'année précédente, de la loi sur les canaux, section expérimentale de 6 0 m de longueur, les travaux avaient été
mais à cause de cette interruption u n grand affaissement de terrain interrompus au profit d'autres jugés plus urgents et ils ne reprirent
s'était produit entre deux puits. L'hétérogénéité des terrains q u ' e n 1812, en conservant n o n sans peine u n e section de 8 x 8 m ,
empêcha le rétablissement de la situation par la m ê m e m é t h o d e au lieu des 6 x 6 m auxquels o n voulait revenir p o u r des raisons
que p o u r le canal de S a i n t - Q u e n t i n . A u contraire, u n nouvel d'économie). C e dernier résultat est d û à Polonceau, devenu
éboulement général se produisit, formant u n gouffre de 12 à 13 m ingénieur en chef d u M o n t - B l a n c , et qui dirigea les travaux
de diamètre et de 2 5 m de profondeur. Il fallut finalement tout t a m b o u r battant, si bien q u e cette galerie, « u n des beaux m o n u -
déblayer et construire la voûte à ciel ouvert par petites travées de m e n t s d u siècle de l'Empereur », fut percée p o u r le 15 août 1813 . 9

2 o u 4 m seulement, avant de la protéger de nouveaux accidents Mais, suivant la chronologie, o n ne p e u t m a n q u e r de s'arrêter


par u n léger remblai. D'autres difficultés furent rencontrées lors d'abord sur l'ouvrage le plus extraordinaire de toute cette histoire,
d u creusement de la cuvette dans des terrains argileux et a fortiori et qui y occupe u n e place à part : le tunnel routier sous la Tamise,
dans les parties éboulées, o ù l'on d u t adopter des dispositions de M a r c Isambard Brunei.
particulières p o u r les m u r s de soutènement de cette cuvette
servant d'appui à la voûte principale. U n accident grave se
produisit encore en 1 8 3 7 , lors d u creusement de la galerie
LE TUNNEL DE LA TAMISE
secondaire de Breuilles, faisant suite à celle de la Colancelle. Le C'est u n personnage extraordinaire q u e ce N o r m a n d émi-
canal ne fut entièrement terminé q u ' e n 1842, après que sa partie gré sous la C o n v e n t i o n , à vingt-deux ans, aux Etats-Unis o ù il
située dans le département de l'Yonne eut été ouverte à la s'occupa des plans d u canal Albany p o u r relier l ' H u d s o n au lac
navigation en 1834. C h a m p l a i n . Fixé en Angleterre en 1799, il s'intéressa aux ouvra-
A leur reprise, les travaux avaient été dirigés par l'ingénieur ges les plus divers, depuis la fabrication de poulies en bois
Poirée, qui conserva par la suite la direction et l'inspection d u jusqu'aux ponts suspendus, en passant par les armatures p o u r
canal, et qui inventa p o u r son exploitation le système de barrage voûtes surbaissées. Si, de son côté, l'ingénieur M a t h i e u avait
à aiguilles et à fermettes q u i fut u n succès et s'étendit à tout le présenté le premier projet de tunnel sous la M a n c h e , d ' u n
bassin de la Seine. Pour ce qui nous intéresse, il fut surtout le réalisme douteux, Brunei présenta au tsar, en 1815, u n projet de
premier, en 1826, à effectuer u n e reconnaissance géologique tunnel sous la Neva, avant d'entreprendre lui-même en 1825 le
complète des terrains traversés par le canal et ses souterrains, q u i creusement d ' u n tunnel routier sous la Tamise, i m m é d i a t e m e n t
eût évité bien des déboires si o n y avait procédé plus tôt, et qui en aval de Londres.
m o n t r a , en particulier, que ces terrains étaient composés de bancs U n premier essai avait d'ailleurs été fait au m ê m e emplace-
fort inclinés, avec de nombreuses failles, d'abord de calcaires m e n t dès 1804 par M . Vasey, mineur expérimenté de Cornouailles.
divers sur 17 à 18 m d'épaisseur, puis de marnes irisées, argile Mais il s'agissait d ' u n e galerie souterraine plutôt proche d ' u n
verte et argile rouge, avant d'atteindre l'arkose et le porphyre aqueduc o u d ' u n égout, forée avec l'aide d ' u n e machine à vapeur,
granitoïde. Les ingénieurs constatèrent q u ' e n déblai, dans ces et qui s'était effondrée définitivement en 1808 alors qu'elle était
argiles, il était impossible de faire tenir u n talus de pente quelcon- entrée de 9,30 m sous la rivière. E n 1 8 2 3 , Brunei étudia plus
que, et que, dans ces conditions, il faudrait toujours prévoir des sérieusement le projet, en effectuant trente-neuf sondages sur
perrés à faible pente conduisant à d'énormes déblais, o u des m u r s trois lignes parallèles à travers la Tamise. Ils lui m o n t r è r e n t u n e
de soutènement, o u bien encore des voûtes complètes si l'argile couche de glaise bleue d'épaisseur suffisante p o u r permettre la
était rencontrée dans la partie inférieure des tranchées. L'ingénieur construction de l'ouvrage. Ayant fondé u n e compagnie et réuni
Charié-Marsaine en déduisit, d ' u n e façon plus générale, d'inté- toutes les souscriptions nécessaires, il c o m m e n ç a ses travaux le
ressantes considérations sur le choix à faire entre tranchées et er
1 avril 1825 en fonçant sur la rive jusqu'à 19,50 m de profon-
souterrains, en concluant d'ailleurs que, p o u r les chemins de fer, deur u n e tour de 15 m de diamètre, avec jupe de fer et maçonnerie
le souterrain devait être presque toujours préféré p o u r des raisons de briques étrésillonnée par des pièces de bois, prolongée jusqu'à
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de sécurité, c o m p t e tenu de la vitesse des convois . 2 4 , 4 0 m par u n puisard de plus petit diamètre p o u r l'évacuation
N o u s sommes ainsi conduits à quitter p o u r longtemps le par p o m p a g e des eaux d'infiltration.
d o m a i n e des canaux qui, à partir des années 1830 et surtout 1840, A partir de cette base sérieuse, à 19 m de profondeur, il
v o n t être de plus en plus sérieusement concurrencés et distancés c o m m e n ç a à creuser vers la Tamise son excavation de 11,60 m de
par les chemins de fer. Il ne faut cependant pas oublier q u ' à la largeur sur 6,86 m de hauteur, au m o y e n d ' u n véritable bouclier
LE TUNNEL SOUS LA TAMISE : VUE PERSPECTIVE DE LA PARTIE CONSTRUITE DU TUNNEL .

Extrait du Magasin pittoresque, 1835.

c o m p o r t a n t douze châssis superposés sur trois couches, consti-


tuant trente-six cellules de travail p o u r les mineurs et les maçons
LES SOUTERRAINS
qui les suivaient, chaque châssis avançant alternativement et DE SAINT ETIENNE À LYON
i n d é p e n d a m m e n t des autres au moyen de vis horizontales pre-
n a n t appui contre la maçonnerie déjà exécutée. Cette solide A côté de cet ouvrage extraordinaire, et à peu près à la m ê m e
maçonnerie ménageait à l'intérieur d u rectangle précité deux date, il ne faut pas négliger les premières réalisations françaises de
galeries de circulation à section en fer à cheval, de 4 m de largeur tunnels ferroviaires par les frères Seguin et E d o u a r d Biot, sur la
sur 5 m de hauteur environ. A chaque extrémité, des vis hélicoï- ligne de Saint-Etienne à Lyon qui leur avait été adjugée en 1826.
dales devaient ensuite permettre l'accès de voitures et de piétons Sans doute ne se trouve-t-on pas en face de véritables inventeurs,
jusqu'à ces galeries . 10
puisque cette m ê m e année était ouvert en Angleterre le premier
Il y eut d'abord quelques infiltrations sans gravité lors de tunnel ferroviaire sur la ligne de Liverpool à Manchester ; et l'on
l'enlèvement de planches des châssis, à l'occasion de grandes sait combien M a r c Seguin, en particulier, observait avec attention
marées ; puis u n accident plus i m p o r t a n t avec envahissement d u tout ce qui se faisait o u t r e - M a n c h e p o u r l'introduire aussitôt en
tunnel par les eaux le 18 mai 1827, peut-être causé par des ancres France, en le perfectionnant lorsque cela était possible. Mais,
de navires. Le fontis de 11 m de profondeur ainsi créé fut colmaté entre Saint-Etienne et Lyon, il avait choisi, avec ses associés, u n e
avec des petits sacs de glaise et de gravier solidarisés par des) ligne vraiment difficile à réaliser, dans u n site très accidenté et des
baguettes de noisetier. U n accident plus grave se produisit encore terrains variés, après la toute première voie ferrée entre Saint-
au début de 1828, alors que le tunnel atteignait 184 m de Etienne et Adrézieux, qui n'était que le p r o l o n g e m e n t en pente
longueur. Brunei fut grièvement blessé, et il y eut six morts. Les douce vers la Loire d ' u n petit c h e m i n de fer minier. La nouvelle
travaux, i m m é d i a t e m e n t arrêtés (on se contenta de faire visiter ligne avait d'ailleurs e l l e - m ê m e à l'origine u n e v o c a t i o n
c o m m e u n e curiosité ce qui avait été fait), reprirent cependant en prioritairement charbonnière, et c'est sans doute l'expérience
1835 avec u n nouveau bouclier et furent menés à b o n n e fin en acquise dans ce pays minier qui avait encouragé le p r o m o t e u r à
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1843. Brunei avait toujours estimé que cet ouvrage devait être prévoir des terrassements importants (500 0 0 0 m de déblais
moins cher q u ' u n p o n t , mais o n constata que les recettes annuelles rocheux dans l'avant-projet) et deux o u trois « percements », d o n t
suffisaient à peine à couvrir ses frais d'entretien, d'autant plus que u n i m p o r t a n t à Terre-Noire p o u r franchir la ligne de faîte entre
seuls les piétons pouvaient l'emprunter, car on avait reculé devant le versant de la Loire et celui d u R h ô n e . C e souterrain de Terre-
les dépenses supplémentaires importantes qui l'auraient r e n d u N o i r e sous le Pas-de-l'Ane avait 1 500 m de longueur en ligne
accessibles aux voitures. C'était cependant u n ouvrage fort solide droite et u n e voûte assez élevée p o u r permettre le passage des
p u i s q u ' o n p u t l'utiliser bien plus tard p o u r y faire passer u n e ligne locomotives avec leur cheminée. Il était à u n e seule voie, c o m m e
de chemin de fer. l'autorisait le traité de concession p o u r tous les passages difficiles
de la ligne, et traversait des grès houillers, des schistes, des
poudingues et des argiles, ce qui entraîna de n o m b r e u x accidents véhicules, avec des portes à ses extrémités. P o u r sa construction,
localisés et des dépenses considérables. Mais en outre, p e n d a n t la il fut jugé inutile de réaliser des puits qui auraient été longs et
construction de la ligne, les concessionnaires jugèrent indispen- coûteux à faire, avec u n e profondeur de 2 1 2 m au p o i n t culmi-
sable de perfectionner leur projet, après avoir tiré des enseigne- nant, réduite seulement à 140 et à 190 m dans le cas de deux puits
ments de l'expérience anglaise sur les trop faibles rayons des implantés à 550 m des extrémités. Les terrains à traverser étaient
courbes. Ils dressèrent ainsi u n nouveau projet avec des courbes de essentiellement des terrains volcaniques, brèches et tufs, avec de
500 m de rayon au lieu des 150 m initiaux : « Le n o m b r e des multiples filons de trachyte, de phonolite, de basalte, etc. Les
percements s'est alors élevé à 14, encore heureux lorsque nous travaux, qui c o m m e n c è r e n t au mois d'août 1839, furent dirigés
n'avons eu q u ' à attaquer les porphyres les plus durs et qu'il n'a pas dès le mois de septembre par le nouvel assistant ingénieur de
fallu recommencer plusieurs fois nos travaux détruits par des l'arrondissement de Mauriac, Ruelle, qui les suivit jusqu'au b o u t
éboulements, q u a n d u n e direction forcée et inévitable nous et publia après leur achèvement u n m é m o i r e détaillé à leur sujet
conduisait au milieu des massifs friables ou d'anciens travaux 13
dans les annales des Ponts-et-Chaussées . Perdu au milieu des
d'exploitation abandonnés dans lesquels nos ouvriers o n t été montagnes, ce n'était pas u n chantier facile, et les approvisionne-
souvent victimes de leur courageuse persévérance. » m e n t devaient venir de M u r â t ou d'Aurillac. Devant la diversité
Parmi ces nouveaux percements il faut noter celui de Rive- des terrains rencontrés, l'ingénieur proposa au d é b u t de 1840 de
de-Gier, exécuté aussi à u n e seule voie, de 1 0 0 0 m de longueur... continuer à exécuter les travaux de percement en régie, p o u r
Finalement, le coût des travaux d'art et des terrassements, estimé mieux connaître le coût d u mètre cube de déblai avant de procéder
initialement à deux millions de francs, dépassera cinq millions ; la à u n e adjudication, puis finalement t o u t fut exécuté en régie.
ligne sera ouverte sur toute sa longueur en 1 8 3 3 , et devant son L'abattage se faisait avec deux équipes de mineurs, u n atelier
succès, il faudra rapidement doubler ou remplacer les tunnels et de quatre forant des trous de 0,30 m à 0,70 m de profondeur p o u r
n
les sections difficiles réalisés d'abord avec u n e seule voie . déblayer la couronne, suivi à quelques mètres par u n deuxième
atelier de huit forant des trous verticaux p o u r déblayer sur 5 m la
LE TUNNEL DU LIORAN revanche, c'est-à-dire le reste de la hauteur d u tunnel. Les déblais
étaient évacués dans chaque galerie au moyen de wagonnets de
N o u s évoquerons m a i n t e n a n t u n troisième ouvrage, pres- 3
I m sur u n petit chemin de fer. Il y eut quelques problèmes
que contemporain des précédents, mais beaucoup moins illustre d'épuisement et m ê m e d'éboulement au passage d ' u n filon de
qu'eux alors qu'il s'agit d u premier grand tunnel routier, celui d u trachyte. L'attaque étant faite des deux côtés, l'avancement total
Lioran. Exécuté lui aussi dans des conditions difficiles et avec des fut en moyenne de 1 m par jour de travail (325 m en 1841). Les
méthodes archaïques, il ne d o n n a lieu qu'à peu de commentaires, problèmes de ventilation, qui se manifestèrent à partir de 130 m
malgré son caractère innovant et son utilité, discutable p o u r de creusement, devinrent sérieux lorsque la dernière décharge fit
certains. Il concernait la route royale 126 dans sa traversée est- la jonction des deux équipes le 2 3 novembre 1 8 4 3 . A partir de là,
ouest des m o n t s d u Cantal, entre les vallées de l'Alagnon et de la o n procéda à la construction des voûtes, à raison de 4 m par jour.
Cère. Le col d u Lioran, ou col de Sanhes, se situe à u n e altitude II est facile et intéressant de se reporter au mémoire de Ruelle p o u r
d'à peine 1 3 0 0 m , mais les terrains y sont fangeux, et la neige y avoir tous les détails sur ce chantier. Il faut noter que p e n d a n t son
atteint en hiver u n e épaisseur de quatre à cinq mètres, qui le rend exécution il y eut trois tués et trois ouvriers morts de maladie, ainsi
impraticable p e n d a n t de longs mois. Il semble que l'idée initiale que cent quarante-six blessés plus ou moins graves. Le coût final
de ce souterrain soit venue d u préfet d u Cantal ; c'est d u moins ce de l'ouvrage, y compris chaussée et trottoirs, s'éleva à 1 0 0 0 F en
que déclara ce dernier en a p p u y a n t fortement en avril 1838 le m o y e n n e par mètre linéaire. L'ensemble de la nouvelle route ne
projet présenté par l'ingénieur en chef C o u r a n t . Le projet pré- fut mis en service q u ' e n 1848, car, à côté des travaux du tunnel,
voyait u n souterrain de 1 3 1 0 m de longueur, lié à u n e rectifica- o n avait oublié assez longtemps de prendre l'ordonnance d'expro-
tion de la route royale entre le ravin d u Pas et celui d u M o u l i n à priation, alors q u e le projet routier, avec plusieurs petits ponts,
scie. Le conseil général des P o n t s et Chaussées d e m a n d a u n e étude nécessitait des acquisitions n o n négligeables...
comparative avec d'autres solutions plus économiques : nouvelle
route en tranchée par le col ou souterrain plus court. Les ingé- LES PREMIERS GRANDS TUNNELS
nieurs étudièrent ces solutions mais m o n t r è r e n t leurs inconvé-
nients, et le nouvel ingénieur en chef proposa au contraire u n
FERROVIAIRES
tunnel plus long, porté à 2 165 m . Finalement le conseil retint le N o u s voici arrivés au d é b u t de la grande époque des tunnels
19 mars 1839 le projet initial de feu M . C o u r a n t , et u n e décision ferroviaires, et il faut passer rapidement à leur sujet, car ils vont
ministérielle d u 4 avril autorisa l'exécution de galeries de recon- devenir courants jusqu'à l'ouvrage exceptionnel que sera le grand
naissance de chaque côté. (Pour la petite histoire, o n notera tunnel des Alpes. Je m e bornerai d o n c à rappeler l'exécution à peu
cependant que l'inspecteur général Cavenne m a i n t i n t son avis près simultanée des deux grands souterrains de Blaisy, entre Paris
défavorable au projet, en estimant que la faible altitude devait et Dijon, et de la N e r t h e , entre Avignon et Marseille. Le premier,
permettre de maintenir le passage par le col en hiver avec les de 4 100 m de longueur, a été construit de 1846 à 1849, p o u r u n e
moyens d'exploitation mis en place au M o n t - C e n i s ou au Simplon, ligne naturellement à 2 voies, au moyen de 2 2 puits intermédiaires
et en insistant sur les problèmes de sécurité dans la traversée d u d o n t le plus profond avait 197 m . Il est entièrement voûté en
tunnel d o n t l'éclairage coûterait à lui seul plus cher que le maçonnerie, et en quelques endroits seulement la solidité d u
maintien d ' u n e trentaine de cantonniers p o u r déblayer la neige et calcaire avait dispensé de m a ç o n n e r les piédroits. Il a coûté 1 9 0 0
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aider les voyageurs à franchir le c o l . ) F / m l , sans compter les puits d o n t il faut ajouter le coût p o u r
Q u o i qu'il en soit, le projet retenu et réalisé concernait u n porter ce m o n t a n t à 2 4 0 0 F. Le tunnel de la N e r t h e , o u d u Pas-
tunnel de 6,50 m de largeur, d o n t 5 m de voie centrale p o u r les des-Lanciers, entre Vitrolles et Marseille est vraiment son j u m e a u
à tous les points de vue, mais u n p e u plus long avec 4 6 1 7 m , et être m e n é à bien s'il avait été engagé dès cette époque. (Exacte-
cette section de ligne fut ouverte le 15 janvier 1 8 4 8 . Il a été creusé m e n t en m ê m e temps, Ferdinand de Lesseps triomphait au canal
dans u n calcaire encore plus franc au m o y e n de 2 2 puits u n peu de Suez, mais si l'entreprise était énorme, elle comportait moins de
moins profonds, et il a coûté 2 2 0 0 F/ml. problèmes techniques aigus à résoudre.) Je m e contenterai d o n c ici
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Le choix de l'espacement des puits était d'ailleurs l'un des de reprendre les conclusions que j'ai déjà écrites à son s u j e t :
points les plus importants à régler p o u r tous ces tunnels p e u « C e projet réussit grâce au concours de tous les européens,
profonds, c o m m e o n l'a déjà vu p o u r les canaux, et l'ingénieur et l'on retiendra au moins p a r m i eux :
T h i r i o n avait proposé u n e formule tenant c o m p t e d u coût - l'Italien Médail, de Bardonecchia, qui r e c o n n u t avec
d'établissement des puits, de la quantité de déblais à évacuer - précision l'emplacement le plus favorable p o u r le percement ;
c'est-à-dire de la section d u souterrain - et aussi de la distance de - le Belge Mauss, qui imagina la première machine p o u r la
roulage des déblais. Naturellement, plus la section est grande, plus perforation des rochers et établit l'avant-projet q u ' o n a réalisé ;
l'espacement doit être réduit, et T h i r i o n estimait q u ' o n pouvait - le Suisse Colladon, qui eut l'idée essentielle de remplacer
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aller jusqu'à 2 0 0 et 3 0 0 m p o u r les tunnels de chemin de fer . les câbles de transmission de Mauss par l'air c o m p r i m é p o u r
P e n d a n t plus d ' u n siècle et demi, et encore aujourd'hui, les actionner les perforatrices et p o u r permettre la vie de t o u t le
deux grands tunnels d u P L M o n t assuré convenablement leur chantier ;
service. D'autres o n t eu plus de difficultés. Citons encore au - l'Anglais Bartlett, qui m i t au p o i n t u n e perforatrice
passage : supérieure, m u e par la vapeur ;
- le tunnel de Saint-Martin-d'Estreaux, de 1 3 8 0 m seule- - et enfin le plus c o n n u , le Savoyard Sommeiller, qui
m e n t , creusé dans le porphyre rouge mais partiellement décom- inventa les dispositifs les plus variés p o u r améliorer la machine de
posé, de 1852 à 1857, sur la ligne de Saint-Germain-des-Fossés à Bartlett en utilisant l'air c o m p r i m é et fut finalement chargé en
Roanne. O n perça h u i t puits intermédiaires p o u r accélérer les 1867 d'achever le t u n n e l à forfait, alors qu'il restait 4 3 7 3 m à
travaux dans ces roches dures, où l'on procéda d'abord au percer. »
creusement d ' u n e galerie de faîte, puis à l'abattage en grand de là C e résumé risque de d o n n e r u n e trop faible idée des
couronne, puis à l'enlèvement du stross après le revêtement des difficultés qui furent rencontrées et surmontées. Rappelons en-
voûtes et enfin à la reprise des piédroits ; il s'y produisit cependant core que l'on avait c o m m e n c é les travaux à la m a i n et q u ' e n janvier
u n éboulement important, sur 40 m de longueur, q u ' o n eut du mal 1861, au b o u t de trente-huit mois, o n n'avait avancé que de
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à reprendre et qui entraîna six mois de travaux supplémentaires . 7 2 5 m en tout, soit 6 3 c m en m o y e n n e par jour... C'est alors
- Le tunnel d u C r e d o , sur la ligne de Lyon à Genève, de q u ' o n installa les machines perforatrices sur les chantiers, d'abord
3 9 0 0 m , percé en trois ans et demi à partir de 1853 par u n e alimentées en air c o m p r i m é par les béliers hydrauliques de
compagnie anglaise, en grande partie dans la mollasse. Six puits Sommeiller, très peu efficaces, puis deux ans plus tard par les
verticaux o n t été utilisés p o u r le creusement de ce tunnel, mais pompes à piston liquide, bien meilleures, préconisées par Colladon.
aussi cinq galeries horizontales à partir de la route de terre voisine, Il faut ajouter que le rattachement de la Savoie à la France, en
puisque l'ouvrage était implanté dans le flanc de la falaise d o m i - 1860, ne simplifia pas les problèmes administratifs et financiers,
n a n t la vallée d u R h ô n e . Les travaux coûtèrent moins de 2 0 0 0 F puisqu'il transforma ce t u n n e l sarde en tunnel international, avec
le mètre linéaire, mais les plis des terrains traversés n'étaient pas des participations des deux Etats et des primes accordées par la
des plus stables, et u n effondrement i m p o r t a n t de la voûte se France à l'Italie en fonction d u raccourcissement éventuel d u
produisit en 1 9 0 1 , heureusement juste après le passage d ' u n délai d'exécution...
train... Les deux équipes se rencontrèrent le 2 5 décembre 1870,
après treize années de travail, et avec u n écart d'implantation de
LE TUNNEL DES ALPES 4 0 c m seulement. O n savait m a i n t e n a n t traverser les Alpes !

D a n s les années 1 8 5 0 - 1 8 6 0 , nous arrivons au p o i n t le plus LES SUCCESSEURS


fort et le plus glorieux de l'histoire des tunnels, avec le lancement
d u projet et la réalisation d u tunnel ferroviaire d u M o n t - C e n i s ,
DU TUNNEL DES ALPES
c'est-à-dire d u grand t u n n e l des Alpes. O n en parlait sérieusement Sans d o u t e y avait-il encore des progrès à faire, mais la voie
depuis 1840, et plusieurs ingénieurs avaient été successivement était tracée. Le t u n n e l avait coûté près de 7 5 millions de francs,
chargés par le gouvernement sarde d'étudier ce projet. Finale- soit 6 0 0 0 F par mètre, mais les travaux avaient été longs, et il y
m e n t , la loi décidant sa réalisation avait été votée le 2 5 juin 1857, avait eu de nombreuses victimes - plus de quarante p o u r la moitié
er
et l'ouverture d u chantier d u tunnel eut lieu le 1 septembre 1857 d u tunnel.
en présence d u roi V i c t o r - E m m a n u e l et d u prince N a p o l é o n . La réalisation suivante fut celle d u tunnel d u Saint-Gothard,
Il faudrait consacrer t o u t u n article et m ê m e t o u t u n livre à qui correspondait au plus grand m o u v e m e n t de voyageurs et de
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cette aventure, ce qui a déjà été f a i t . Cette fois, c'en était fini des marchandises entre le n o r d et le sud des Alpes. U n traité fut signé
puits rapprochés p o u r creuser u n long t u n n e l : celui-ci devait p o u r son exécution en 1871 entre la Suisse, l'Italie et l'Allemagne,
avoir 13 6 9 0 m de longueur sous de hautes montagnes, soit dix et le chantier fut conduit de m a i n de maître par l'entrepreneur
fois la longueur d u t u n n e l d u Lioran, et il n'était vraiment pas genevois Louis Favre, qui y apporta toutes les améliorations
certain, lorsque les travaux commencèrent, que l'on viendrait techniques possibles : nouvelles p o m p e s à injection d'eau pressu-
heureusement à b o u t de l'entreprise. A la m ê m e époque, T h o m é risée de Colladon p o u r la compression de l'air, nouvelles perfora-
de G r a m o n d présentait son cinquième projet de tunnel sous la trices plus rapides et emploi d'explosifs plus puissants (Nobel
M a n c h e après avoir effectué lui-même toutes les reconnaissances venait d'inventer la dynamite). D ' a u t r e part, p o u r le percement
géologiques qu'il avait p u . Il est moins que certain qu'il aurait p u lui-même, Favre adopta la m é t h o d e dite française, en c o m m e n -
çant par creuser u n e première galerie au niveau de la voûte deuxième petite galerie s'étant révélée inefficace p o u r l'aération...
supérieure, puis en l'élargissant, avant de s'attaquer au massif de Bref, alors que l'on avait estimé à cinq ans et demi la durée des
la partie inférieure. A u t u n n e l d u M o n t - C e n i s o n avait au travaux, ceux-ci d e m a n d è r e n t sept ans (de 1898 à 1905) et le coût
contraire employé la m é t h o d e dite allemande en creusant la d u tunnel fut de 85 millions p o u r u n e estimation de 76,5 . 19

première galerie au niveau de la partie inférieure d u t u n n e l Il faudra atteindre ces dernières années p o u r que le record
définitif. de longueur d u t u n n e l ferroviaire d u Simplon soit largement
C e p e n d a n t , malgré ces perfectionnements, des difficultés battu par des ouvrages japonais, et dans u n t o u t autre environne-
nouvelles que l'on n'avait pas connues au M o n t - C e n i s se présen- m e n t . Mais l'ambition de cette petite histoire n'est pas de cons-
tèrent, n o t a m m e n t dans l'attaque d u côté italien, avec des terrains tituer une encyclopédie des tunnels. O n se limitera d o n c strictement
très hétérogènes, des venues d'eau très importantes, des poussées aux dernières mutations et évolutions techniques d u siècle qui
localisées avec effondrement des voûtes, u n e élévation i m p o r t a n t e s'achève, qui vont concerner d ' u n e part les ouvrages à grande
de la température... le t o u t ayant entraîné de nombreuses victi- section, et d'autre part, surtout, les ouvrages sous-fluviaux ou
mes. Il fallut toute l'énergie des ouvriers, et celle de Louis Favre sous-marins en terrain meuble, qui v o n t imposer des techniques
qui m o u r u t lui-même dans le tunnel u n an avant son achèvement, entièrement nouvelles.
p o u r venir à b o u t de ces difficultés. Finalement, malgré sa C'est p o u r q u o i je citerai seulement au passage l'ancêtre des
longueur de 15 k m , sensiblement supérieure à celle d u M o n t - très grands tunnels routiers, celui d u M o n t - B l a n c , le premier à ne
Cenis, le tunnel d u Saint-Gothard fut réalisé en huit ans seule- pas avoir doublé sur place u n e route de col, mais au contraire à
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m e n t , c'est-à-dire avec u n e vitesse environ deux fois plus grande . avoir percé à sa base le massif le plus h a u t d'Europe. L'idée en était
U n troisième t u n n e l alpin de la m ê m e famille, celui de fort ancienne, mais après u n e petite galerie expérimentale sur le
l'Arlberg, en Autriche, devait encore être réalisé peu après, et versant italien, creusée en 1949, le t u n n e l lui-même, de 11 600 m
beaucoup plus vite : il fut creusé en trois ans et cinq mois, p o u r de longueur, fut creusé de 1959 à 1962 et mis en service en 1965
u n e longueur d ' u n p e u plus de 10 k m , mais dans u n environne- après les importants aménagements internes nécessités par le
m e n t général et des terrains plus favorables q u ' a u Saint-Gothard. trafic routier. Si les batteries de perforatrices montées sur u n
Parmi les innovations apportées, il y eut encore de nouvelles « j u m b o » au f o n c t i o n n e m e n t a u t o m a t i q u e a m é l i o r è r e n t
perforatrices, travaillant à l'eau c o m p r i m é e et par rotation avec grandement le r e n d e m e n t et la sécurité p o u r l'abattage des roches
des pointes de d i a m a n t noir ou d'acier spécial ; et aussi u n e les plus dures, on ne p e u t pas dire qu'il se soit agi d ' u n e véritable
nouvelle disposition des galeries d'attaque, en creusant simulta- révolution technique c o m m e au siècle précédent, et les progrès
n é m e n t la galerie haute et la galerie basse des deux méthodes furent surtout accomplis en matière de boulonnage et de soutè-
précédentes, avec des cheminées verticales reliant ces galeries, ce n e m e n t des roches. Il en fut de m ê m e u n peu plus tard lors d u
qui s'avéra très favorable p o u r la ventilation. E n fin de compte, ce percement d u tunnel routier d u Fréjus, p o u r sa plus grande partie
tunnel sans histoire, ayant bénéficié de l'expérience de ses prédé- dans des schistes lustrés plus tendres, avec u n abattage en pleine
cesseurs, coûta environ 4 150 F/ml, soit à peu près le m ê m e prix section au m o y e n de « pantofores » électrohydrauliques. U n peu
que celui d u Saint-Gothard, beaucoup plus long et beaucoup plus plus long ( 12 868 m) et u n peu plus large que le tunnel d u M o n t -
p r o f o n d é m e n t enfoncé sous la m o n t a g n e . Blanc, il fut construit de 1974 à 1980 p o u r u n coût u n peu
Il restait encore à réaliser u n autre tunnel ferroviaire sous les supérieur à 100 0 0 0 F le mètre, et mis en service la m ê m e année
Alpes, en profitant de l'approche par la vallée du R h ô n e , à u n e que le tunnel routier suisse d u Saint-Gothard, encore beaucoup
altitude particulièrement basse : ce fut le tunnel d u Simplon, le plus important. Et à côté d u projet de d o u b l e m e n t d u tunnel d u
plus long de tous puisqu'il atteint 19 800 m , et d o n t le premier M o n t - B l a n c et des chantiers en cours des tunnels routiers
tube fut mis en service en 1906. Malgré la longueur et l'impor- transpyrénéens, les projets ne m a n q u e n t pas p o u r de nouveaux
tance exceptionnelle des études et des recherches qui précédèrent tunnels transalpins.
l'engagement des travaux, ce ne fut pas le t r i o m p h e escompté : les
premiers projets sérieux remontaient à 1857, et les commissions LES DOMAINES NOUVEAUX
réunissant des experts internationaux se déchaînèrent p e n d a n t la
décennie 1880-1890, avec les reconnaissances géotechniques les
DES TUNNELS
plus poussées. Alors q u ' e n 1860 Eugène Flachat préconisait T o u s les tunnels que nous venons de voir o n t été des
encore de franchir le Simplon à ciel ouvert avec des rampes de ouvrages de dimensions transversales assez modestes, p o u r deux
0,5 % , et que le principal projet rival était celui d u tunnel sous le voies de circulation ferroviaires ou routières, et n'atteignant ainsi,
M o n t - B l a n c , à u n e altitude de 1 0 7 3 m, o n retint à juste titre le en dehors d'élargissements localisés, que 10 m de largeur maxi-
projet le plus profond et le plus long, avec des têtes aux altitudes male. O n conçoit que les difficultés soient différentes, n o t a m -
respectives de 6 8 6 et 6 3 3 m et u n e épaisseur maximale de m e n t en matière de soutènement, dans le cas d'ouvrages beaucoup
m o n t a g n e de 2 177 m . Mais, p o u r faire des économies, o n ne plus larges.
réalisa en première phase q u ' u n seul tube à simple voie, de Le souterrain d u Rove, créé p o u r relier par u n canal
2
2 3 , 2 m de section, et la galerie de base d u futur second tube, à « maritime » le p o r t de Marseille à l'étang de Berre, fit faire u n
17 m d u premier, plus u n évitement central à pleine section, de grand b o n d dans ce domaine, avec sa largeur de 2 2 m . Entrepris
500 m de longueur utile au milieu d u tracé. O n avait surtout en 1 9 1 1 , il ne fut entièrement terminé q u ' e n 1927, après que l'on
cherché à se préserver de l'élévation de la température qui devait eut décidé de porter la profondeur de sa cuvette à 4 m . Pour sa
atteindre 4 8 ° au milieu d u tunnel, mais o n y parvint mal et le construction, o n creusa successivement trois galeries, u n e en faîte
chantier fut pénible. E n outre, à l'ouverture, il y eut des cas et deux aux reins, puis o n élargit et approfondit la galerie de faîte
d'asphyxie, et l'on a t t e n d i t q u e la traction électrique soit t o u t en construisant les piédroits de la voûte ; o n abattit ensuite
opérationnelle p o u r mettre ce premier tube en exploitation, la
en c o u r o n n e entre les trois galeries en construisant aussitôt la
MACHINE PERFORATRICE EN ACTION AU TUNNEL DU MONT-CENIS.
voûte, avant de procéder p o u r terminer à l'enlèvement d u stross. m e n t , c'est la mise en place de la machine Robbins, en 1964, qui
T o u t le travail fut exécuté dans des terrains calcaires avec des permit de reprendre efficacement les travaux, en m ê m e temps que
marteaux individuels à air c o m p r i m é . Ces dispositions n ' e m p ê - l'on développait les techniques de consolidation des sols par les
chèrent pas des éboulements en 1919 et 1920, puis des affaissements injections les plus diverses ; mais avec les multiples difficultés
d'anneaux déjà réalisés, ce qui, avec l'approfondissement, tripla imprévues encore rencontrées, cette nouvelle ligne souterraine
20
presque le coût d u souterrain par rapport à l'estimation initiale . p o u r t a n t courte ne fut mise en service q u ' e n février 1970.
C e sont des méthodes assez analogues qui o n t été employées C e p e n d a n t , grâce à l'expérience acquise, les lignes suivantes
23
p o u r deux tunnels routiers bien connus, celui de Saint-Cloud furent réalisées beaucoup plus vite et sans problèmes s é r i e u x .
p o u r l'autoroute de l'Ouest et celui de la Croix-Rousse à Lyon, Les entreprises disposent m a i n t e n a n t d ' u n e g a m m e éten-
leurs largeurs intérieures étant respectivement de 17 et 14 mètres. due et variée, adaptée à toutes le situations, allant des machines à
T o u s les deux furent entrepris u n peu avant la dernière guerre, attaque ponctuelle d ' u n e grande souplesse d'utilisation, jusqu'au
mais le t u n n e l de Saint-Cloud était p r a t i q u e m e n t terminé dès bouclier pressurisé à b o u e bentonitique et b é t o n extrudé employé
1941 et mis en service en 1946, alors que celui de la Croix-Rousse en 1984 sur u n e section difficile d u m é t r o de Lyon. En 1988,
fut construit principalement sous l'Occupation et mis en service enfin, sont arrivés sur le chantier d u siècle les tunneliers capables
seulement en 1952. Ils diffèrent surtout par la nature des terrains de forer, guidés par satellite et par laser, au rythme d ' u n kilomètre
rencontrés : gneiss, granités ou mica-schistes sur la plus grande par mois, les trois tubes d u tunnel sous la M a n c h e d o n t on rêvait
longueur à la Croix-Rousse ; marnes, argiles, calcaires et m ê m e depuis près de deux siècles. Mais ceci est u n e autre histoire, déjà
anciennes carrières p o u r Saint-Cloud. A u tunnel de la Croix- presque terminée et qui vous est contée par ailleurs.
Rousse et dans la partie d u tunnel de Saint-Cloud traversant le
calcaire grossier, o n adopta les mêmes dispositifs p o u r l'abattage
à l'avancement, avec u n e galerie de faîte et deux galeries de pied,
Notes
et p o u r le bétonnage des piédroits puis de la voûte, mais il fallut 1. Evrard, « Rectification des côtes de Baudet par la grotte souterraine de
prendre des dispositions très particulières de fondations sur puits, l'Arize au Mas-d'Azil », Annales des Ponts et Chaussées, 1863-2.

de contreforts, de renforcements et m ê m e de voûte inférieure, 2. Gabriel Barkay, « De David à la destruction du temple de Salomon »,
p o u r la traversée de la zone difficile d u coteau de Saint-Cloud . 21 les Dossiers d'archéologie, nov.-déc. 1991.

N o u s abordons m a i n t e n a n t le dernier domaine, celui des 3. Danièle Sterpos, « The Roman Road in Italy », Quadernidi « Autostrade »
terrains difficiles ou inconsistants, sous-fluviaux ou sous-marins, 17, Rome, 1970.

où la technique des tunnels s'est largement développée et profon- 4. Jean-François Bougard, « Des méthodes qu'utilisaient les anciens dans
les travaux souterrains ».
d é m e n t améliorée au cours des dernières décennies. N o u s avons
déjà parlé de l'audace de Brunei et de son tunnel sous la Tamise. 5. René Macaigne, le Canal de Saint-Quentin, Librairie Marcel Giard, 1934.
Curieusement, u n autre petit tunnel fut construit en 1870 à 6. Minard, Cours de construction des canaux, Ecole nationale des ponts et
Londres sous le fleuve, et, c o m m e l'avait fait Brunei, o n employa chaussés, Paris, 1841.
u n bouclier, mais cette fois-ci composé de six voussoirs symétri- 7. Charié-Marsaine, « Travaux du bief de partage du canal du Nivernais »,
ques en tôle, avec une ouverture centrale hexagonale. C e bouclier APÇ1848-2 et Archives nationales F/14-666.
avançait par glissements successifs de 0,50 m, espace suffisant 8. Néhou, Mission de 1816 sur la route du Lautaret, manuscrits ENPC.
p o u r loger u n des 8 0 0 anneaux de fonte constituant le revêtement 9. Département du Mont-Blanc, percement de la galerie de la grotte aux
1 1
définitif d u t u n n e l . Déjà, à cette époque, existait à Londres la Echelles, ANVI14-1004, 1806-1813.
première ligne circulaire d u métropolitain, souterraine sur sa plus 10. Marc Isambard Brunei, « An Exposition of Facts and Circumstances
grande longueur, mais construite le plus souvent en tranchée à ciel relating to the Tunnel under the Thames », APC, 1833-1.
ouvert et recouverte ensuite par u n e voûte en maçonnerie. Il en fut 11. Seguin Frères et Biot, Mémoire sur la nécessité d'augmenter à la remonte
de m ê m e p o u r la première ligne d u m é t r o de Paris, mais p o u r les de Givors à Saint-Etienne le tarif du chemin de fer, ANF/14-9031.
lignes suivantes, plus profondes, on employa toujours les m é t h o - 12. ANF/14-1480, Route 126de Montauban à Saint-Flour. Percement du
des traditionnelles avec puits rapprochés, galerie d'avancement Lioran, 1838-1843.
solidement étayée, « enfilage » en planches et placage d u soutène- 13. Ruelle, « Mémoire sur les travaux de percement du Lioran », APC, 1846-2.
m e n t par l'intermédiaire de coins de bois, jusqu'à l'apparition des 14. Thirion, « Note sur l'espacement des puits de service », APC, 1837-1.
véritables tunneliers, capables d u forage à pleine section et de la
15. Croizette-Desnoyers, « Chemin de fer du Bourbonnais entre Saint-
mise en place d u s o u t è n e m e n t définitif i m m é d i a t e m e n t à la suite. Germain-des-Fossés et Roanne », APC, 1859-2.
Depuis 1960, E D F avait expérimenté puis utilisé avec succès de
16. Nombreux ouvrages, notamment : Louis Figuier, les Nouvelles Con-
telles machines p o u r forer ses galeries hydrauliques de m o y e n quêtes de la science, et J.-B. Dumont, les Grands Travaux du siècle, Hachette, 1891.
diamètre dans des roches m ê m e dures : les pics et molettes au
17. Georges Reverdy, Histoire des grandes liaisonsfrançaises, RGRA, 1982.
carbure de tungstène avaient m o n t r é qu'ils pouvaient en venir à
18. Louis Figuier, op. cit.
b o u t sans nécessiter l'usage d'explosifs. Mais, bien entendu, c'est
dans les terrains plus meubles que de telles machines à forer, 19. Nombreuses publications, notamment : L.-L. Vauthier, le Percement
du Simplon, 1875, Jean Brunhes, les Relations actuelles entre la France et la Suisse,
venant d'abord d'Angleterre, d'Allemagne ou d u J a p o n , firent
REIfév. 1906, etFernandGigon, l'Epopée des cols alpins,Mondo, Lausanne, 1979.
merveille. A u début, il y eut p o u r t a n t de sérieux problèmes p o u r
20. Mathieu, « Exécution du souterrain du Rove », APC, 1923-2.
le percement d u tunnel d u RER, de 9 m de diamètre, entre
l'Etoile et la Défense, en 1 9 6 2 - 1 9 6 3 . Le bouclier utilisé se révéla 21. Michel de Buffévent, « L'autoroute de l'Ouest », Science et Industrie,
plaquette extraite de la collection de la revue, 1941.
inadapté aux terrains hétérogène rencontrés, d'autant plus que,
malgré l'expérience des siècles précédents, il semble que les 22. J.-B. Dumont, op. cit.

reconnaissances géologiques aient été des plus légères. Finale- 23. Michel Margairaz, Histoire dekRATP, Paris, Albin Michel, 1989.
LE TUNNEL ROUTIER DU SOMPORT

Si les tunnels ferroviaires transpyrénéens, et notamment celui du Somport, ont eu des durées de gestation et de
réalisation particulièrement longues, puisqu'on les avait envisagés dès 1 8 6 5 , alors qu'il ne furent mis en service qu'en
1 9 2 8 , le tunnel routier du Somport est entré au contraire dans sa phase opérationnelle dans un délai extrêmement court.
Il n'y a pas cinq ans qu'on en parle sérieusement et la première mention officielle le concernant est le communiqué de
presse du 2 0 décembre 1 9 8 8 , par lequel les ministres concernés, Maurice FaureetCosculluela, ont décidé la création
d'un groupe technique franco-espagnol « chargé notamment de l'étude de faisabilité d'un éventuel tunnel sous le col
du Somport ».

Sa nécessité n'était pas en effet évidente, compte tenu du faible trafic qui franchit actuellement le col, pour améliorer
les relations entre l'Aquitaine et l'Aragon et constituer une alternative valable à la liaison autoroutière passant par Irun,
à l'extrémité occidentale de la chaîne pyrénéenne. Bien que réclamé prioritairement du côté espagnol, son intérêt
économique est aussi évident pour le Béarn et la région paloise, d'autant plus que l'exploitation de Lacq et ses retombées
vont diminuer sérieusement dans les prochaines décennies. Mais le col du Somport, avec ses 1 6 3 2 m d'altitude, est
déjà le meilleur col pyrénéen, le seul dont la route soit ouverte toute l'année, et dont les caractéristiques et le niveau de
service pourraient être facilement améliorés sur place... s i , depuis les Forges-d'Abel, cette route ne traversait le parc
national des Pyrénées occidentales.

Il apparut ainsi rapidement que seule une solution en tunnel ne porterait pas atteinte à ces sites très sensibles, et
même en long tunnel pour ne pas empiéter sur le domaine du Parc, tout en permettant au contraire de rendre à la seule
circulation touristique locale la route ordonnée par Napoléon en 1 8 0 8 . Si bien que, dès le mois d'avril 1 9 8 9 , les études
furent poussées dans cette seule direction et aboutirent en juillet 1 9 9 0 à la présentation de l'avant-projet, étudié par
le C E T U , après qu'aient été réglés dans l'intervalle tous les problèmes de reconnaissance, d'essais et d'études, à
commencer par le raccordement géodésique précis des deux versants pyrénéens. Il faut reconnaître que les sondages
ont été facilités par l'existence du tunnel ferroviaire, à proximité immédiate duquel sera construit le tunnel routier.

Celui-ci aura ainsi une longueur de 8 , 5 9 7 km dont 2 , 7 4 7 en France, une déclivité de 1,65 % côté français et
de 0 , 5 % côté espagnol, la cote du point haut (en territoire espagnol) étant de 1 2 0 0 N G F . Sa hauteur libre sera de
4 , 5 m et sa largeur roulable de 9 m pour deux voies de circulation de 3 , 5 0 m avec bandes de guidage et bande
médiane séparatrice de 1 m permettant de circuler malgré la présence d'un véhicule immobilisé sur la chaussée. La
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ventilation sera du type semi-transversal, avec une gaine de 14 m en plafond et une galerie (ou puits) de ventilation
intermédiaire du côté espagnol. Après avoir bénéficié en décembre 1 9 9 0 d'une décision de participation financière
importante de la Communauté européenne, il a fait l'objet d'une convention internationale signée à Paris le 2 5 avril
1 9 9 1 et la déclaration d'utilité publique du côté français a été prise le 1 3 août 1 9 9 1 .

Les financements étaient en place, les appels d'offre internationaux ont été lancés du côté français et du côté
espagnol, chaque pays devant passer le marché correspondant au prorata des longueurs ( 2 / 3 en Espagne, 1 / 3 en
France), et une commission mixte assurera la coordination des opérations. Les dernières difficultés du côté français
proviennent d'oppositions écologiques, moins au tunnel lui-même qu'à sa route d'accès qui devra être aménagée dans
la vallée d'Aspe. L'été dernier, pour ne pas empiéter d'un mètre carré sur le domaine du parc national avec les sorties
de la ventilation, la tête du tunnel a été légèrement abaissée et allongée vers le gave d'Aspe sans grand inconvénient.
Pour la R N 1 3 4 à aménager sur place, les avant-projets de ses diverses sections ne sont pas encore tous arrêtés, et il
sera certainement possible de l'intégrer dans la vallée, comme le chemin de fer au début du siècle et avec moins de
grands ouvrages, puisqu'il s'agit d'une chaussée à deux voies avec seulement une voie supplémentaire dans la rampe
terminale à l'approche du tunnel •

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