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Université Jean Moulin – Lyon 3

Institut de droit de l’environnement


18 rue Chevreul
69007 Lyon

LA VEGETALISATION
DES TOITURES
Vers un droit de la canopée
urbaine

Tom Drevard Mémoire de Master 2 droit de l’environnement

Sous la direction de :
M. Manuel Appert
M. Philippe Billet
Mme Isabelle Michallet
Avec le soutien du Labex IMU (Intelligences des Mondes Urbains)
REMERCIEMENTS

A mes directeurs de recherche, M. Manuel Appert, M. Philippe Billet et à ma directrice de


recherche, Mme Isabelle Michallet pour leurs conseils, leurs encouragements et leur
disponibilité.

Au Labex IMU pour sa confiance.

A Mme Manon Jeanjean, pour sa collaboration et l’apport de ses recherches.

A l’association La marmite urbaine et particulièrement sa présidente, Mme Charlotte Vignal,


pour sa vision et le partage de son expérience.

Aux membres de l’équipe doctorale de l’Institut de droit de l’environnement pour leurs


conseils et leur attention bienveillante.

A Mme Alexandra Gasmi, pour son aide précieuse.

A M. Jean Marc Denise, de l’association Toits en transition, pour sa disponibilité et ses


informations.

A ma famille et mes proches pour leur aide et leur patience.

2
SOMMAIRE

Introduction
§1. Du toit minéral au toit végétalisé
§2. La Canopée urbaine : éléments de définition en droit d’une notion géographique
Chapitre I. L’adaptation du régime juridique du toit à la dynamique du vivant
Section 1. Les questions juridiques engendrées par le fonctionnement de la toiture
§1. Un fonctionnement de la toiture en opposition avec son statut d’équipement
dissociable inerte
§2. La préservation juridique d’un « droit à la lumière »
Section 2. Définition d’un cadre juridique de la mise en culture du toit végétalisé
§1. La diversité des statuts du toit à l’origine d’incertitudes pour le projet
§2. Les outils conventionnels au service de la mise en culture
Chapitre II. La canopée urbaine : nouvel espace d’investissement pour le droit
Section 1. L’ouverture au public, source d’innovation juridique
§1. La propriété en question dans la création d’un espace ouvert au public
§2. Les règles relatives à l’accès du public
Section 2. Une mise en valeur au service de la biodiversité en ville
§1. L’intégration de la canopée urbaine dans le droit de l’urbanisme pour la promotion
de la biodiversité
§2. La recherche d’outils juridiques adaptés à la promotion de la biodiversité sur les
toits
Conclusion : du toit à la canopée urbaine, apports de l’approche systémique
Bibliographie
ANNEXES
TABLE DES MATIERES

3
INTRODUCTION

§1. Du toit minéral au toit végétalisé

Le toit est, dans l’architecture occidentale, approché comme un élément du bâtiment


dont la fonction principale est l’isolation thermique et l’imperméabilité. Pour remplir ce rôle il
est revêtu d’une couverture imperméable et adopte souvent une ou plusieurs pentes1.Cette
conception n’est cependant pas universelle et les formes de la toiture varient avec les
mouvements architecturaux. Comme la plupart des choix en cette matière, la morphologie des
toits est historiquement liée aux conditions climatiques, qui figurent une forme de
déterminisme architectural. Le développement des techniques et matériaux modernes a permis
de s’affranchir de ces contraintes, et de revisiter des options issues d’autres cultures. Les
architectures traditionnelles du pourtour méditerranéen2 se distinguent en effet par le choix du
toit-terrasse, qui sert notamment d’espace de vie. Les toitures sont alors plates, construites
pour pouvoir supporter des personnes, tout en permettant l’évacuation de l’eau pluviale. Cette
option architectonique a été revisitée par les mouvements de l’architecture moderne, sous
l’influence notamment de Le Corbusier. Ce dernier, par sa conception du toit-terrasse,
préfigure la multifonctionnalité des usages de ce nouvel espace. Il implante sur les toits de ses
célèbres « unités d’habitation » à Marseille des équipements publics : école maternelle, piste
d’athlétisme, gymnase3. A travers ces aménagements il cherche à lutter contre ce qu’il appelle
« le grand gaspillage »4 des cités-jardins horizontales.

1
A l’image des toits à la Mansart, caractéristiques de l’architecture haussmannienne, qui se distinguent par leur
forme en pentes multiples destinée à aménager un espace conséquent en combles.
2
Voir, par exemple les formes architecturales traditionnelles des médinas, centre historique des villes en Afrique
du Nord.
3
Le Corbusier, « L’habitation moderne » Population (French Edition). 3.3 (1948): p. 417.
4
Ibid., p. 422.
4
En termes d’architecture, la toiture est un élément de « l’enveloppe » du bâtiment,
avec les pignons et les façades. Elle a pour fonction avec ces autres composants de « séparer
l’intérieur d’un bâtiment de l’extérieur et de le protéger contre les sollicitations de divers
agents : la pluie, le vent, la chaleur, le froid, la neige, le bruit, la lumière solaire, la pénétration
de personnes ou d’animaux »5. On désigne parfois l’enveloppe par le « clos et le couvert »6, le
« couvert » renvoyant au toit du bâtiment.

En droit cet élément d’architecture est essentiellement contenu dans le terme général
de « toiture ». Celui-ci est défini comme « la surface ou couverture couvrant la partie
supérieure d'un édifice, destinée à protéger l'intérieur »7. Elle se distingue donc des autres
éléments couverts des bâtiments, comme les murs de séparation des propriétés. Il faut ici
souligner le terme, aussi présent en Droit, de « couverture », qui permet de définir les toits de
hangar notamment8, ou de terrains de sport9. La toiture est donc définie par sa fonction
première de couverture et d’étanchéité du bâtiment. Aux termes de l’article 1792-2 du code
civil, elle constitue un « ouvrage de couvert ». De manière surprenante, le code de la
construction n’utilise que très peu le terme de toiture, le circonscrit à des enjeux d’isolation
thermique. En revanche on peut trouver certains termes qui renvoient au toit dans son usage
tels que « balcon » ou « terrasse »10. A titre incident, d’autres qualifications plus techniques
peuvent avoir une influence sur la réglementation applicable aux toitures, comme terrasse,
comble, abri, chape, charpente, surplomb ou auvent.

Aujourd’hui, le toit-terrasse est souvent une solution technique avant d’être un choix
architectural. Il est destiné à accueillir et faciliter l’entretien des équipements techniques
(cages d’ascenseur, conduits d’aération, etc.) et fait rarement l’objet d’un aménagement
spécifique. Cette surface est parfois repensée a posteriori pour accueillir une végétation.

Le processus de végétalisation des toits consiste à installer sur les toitures un substrat
qui servira de support à une végétation qui devient un élément à part entière du toit. A ce titre

5
Pierre Merlin et Françoise Choay, Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement : toiture (Paris, France :
Presses universitaires de France, 2005), p.425.
6
Ibid., p.425.
7
CA Douai, 1ère ch., 27 mai 2015, n° 14/05668 : JurisData n° 2015-012979
8
Macagno, Fabien, « Annulation d’un permis de construire pour un hangar agricole couvert de panneaux
photovoltaïques » Droit administratif. 2 (2011) : pp.55‑56.
9
CE 5 oct. 2016, Soc. Canto Bros. n°381489, droit fiscal 2017, comm. 65.
10
Article R. 111-15 Code de la construction et de l’habitation
5
il se distingue des toits classiques où la minéralité est la règle, et les herbes et mousses qui
viennent les coloniser sont chassées lors de leur « entretien ». La végétalisation fait l’objet
d’un renouveau dans l’architecture moderne, elle est utilisée principalement pour sa fonction
d’isolation thermique et d’imperméabilité. Elle n’est cependant pas une nouveauté, et on peut
retrouver des exemples de toitures végétalisées dans l’architecture traditionnelle viking ou
dans le mythe des jardins suspendus de Babylone11.

La mise en place de dispositifs végétaux sur les toits fait cependant encore figure
d’innovation, notamment du point de vue du droit12. De par la nature de ces projets, et les
potentiels usages qu’ils offrent ils invitent à adopter une approche qui réunit de nombreux
outils et disciplines juridiques, du droit de l’environnement au droit de la construction. Ils
interrogent la nature du toit, mais aussi la place de la propriété et la valeur des espaces en
milieu urbain. Ces projets nécessitent aussi, afin de pouvoir intégrer tous leurs enjeux, de se
nourrir d’autres approches scientifiques, dont la géographie et l’urbanisme font partie. Enfin,
si le toit végétalisé est un sujet de réflexion en soit, il ne peut pas être envisagé comme isolé et
coupé de son contexte. Il est nécessaire de le replacer dans une perspective urbaine qui est
définie en géographie par la notion de canopée urbaine.

§2. La canopée urbaine : éléments de définition en droit


d’une notion géographique

La majeure partie de la population mondiale vit dans des milieux urbains. En 2010 elle
était estimée à 3,5 milliards et prévue de doubler d’ici 2050, tandis que les zones urbanisées
sont estimées tripler pendant la même période13. Il apparait donc que l’espace conquis par
l’avancée des villes évolue encore plus rapidement que la population. Dans un contexte de
préservation des espaces naturels et agricoles et de renouvellement urbain, la ville est
contenue dans sa propension à s’étendre sur son voisinage. La pression foncière résultante

11
Robert Rollinger « L’image et la postérité de Babylone dans les sources classiques. » Babylone. Musée du
Louvre /Hazan. Paris 2008, pp. 374-377
12
Philippe Malinvaud, « De la végétalisation des toitures aux fermes du dernier étage » RDI. 2016 p.565.
13
Secretariat de la convention sur la diversité biologique Cities and Biodiversity Outlook, Montréal , 2012.
6
cherche donc des directions dans lesquelles se relâcher. Les sous-sols devenant toujours plus
densifiés, en accueillant infrastructures de stationnement, transports en commun, et
équipements divers, les toits semblent un échappatoire. La ville pousse alors en hauteur et se
densifie sur sa canopée.

Le terme de canopée, dont on peut chercher les origines dans le mot grec ancien
kounoupi qui désigne la moustiquaire, a fait ses premières apparitions en français dans la
revue Biologica Botanica en 1971 à propos de la forêt gabonaise14. En effet, dans son sens
premier, ce nom renvoie à la vision de la forêt qui s’offre à l’œil de l’observateur qui la
surplombe. La canopée, c’est l’étage supérieur de la forêt, « le premier exposé aux rayons
lumineux du soleil »15. Cette notion est souvent associée à « la forêt tropicale humide »16.

A l’origine néologisme de l’anglais, le terme de canopée s’institutionnalise lors des


expéditions de Francis Hallé qui crée un « radeau des cimes » pour se déplacer au-dessus des
forêts amazoniennes17. La canopée prend peu-à-peu la place qu’elle a aujourd’hui. Les
scientifiques découvrant la richesse des écosystèmes qu’elle abrite, elle devient un véritable
objet d’étude de la biologie.

Les sciences de l’environnement prennent la suite de cette tendance et la canopée urbaine


devient un concept de recherche comme « le toit virtuel continu de la ville (…) lié à la hauteur
et à la densité des constructions et des obstacles naturels qui jalonnent l'espace urbain »18. Elle
permet d’encadrer les études des phénomènes urbains comme la pollution atmosphérique ou
les ilots de chaleur19.

L’ajout du qualificatif « urbain », dans la droite ligne du biomimétisme, crée une


nouvelle notion qui désigne « la partie supérieure de l’environnement bâti »20. Elle amène à
repenser les toitures comme un nouvel espace, en changeant de perspective. Ainsi, le terme le
plus courant en géographie pour désigner cet espace est celui de skyline qui renvoie à la

14
Manuel Appert, « Les formes de la métropole : du réseau à la canopée, de la mesure au paysage » HDR,
Université Lyon 2, 2016 p.249.
15
Ibid. p.249.
16
Éditions Larousse, Définitions : canopée, Dictionnaire de français Larousse.
17
Appert, « Les formes de la métropole », préc. p.249.
18
Jean-Pierre Peneau, « Des densités aux rugosités. Les modalités instrumentales d’une transposition : Les
Annales de la Recherche Urbaine n°67, 1995, pp. 128-134. » Cybergeo. (1996).
19
Appert, « Les formes de la métropole », préc. p.249.
20
Ibid. p.249
7
silhouette des bâtiments, leur architecture horizontale21. La canopée urbaine permet
d’envisager la toiture des bâtiments non plus comme une simple couverture, mais bien comme
une « cinquième façade », selon l’expression couramment attribuée à Le Corbusier. La
canopée urbaine en géographie s’approche comme « la strate supérieure de la ville comme
espace à aménager dans le contexte de raréfaction de la ressource foncière en ville [,] comme
un espace à part entière, public ou privé, appropriable et approprié, construit et pratiqué. »22.
Cette définition appelle à ne plus considérer la « cinquième façade » comme une surface
horizontale, au faîte des bâtiments, mais bien comme un espace en trois dimensions, qui
comprend « l’espace volumique créé par les motifs d’urbanisation verticale qui ponctuent le
vélum urbain. »23.

L’adoption du terme de canopée urbaine dans l’exercice juridique que représente ce


mémoire n’est pas neutre, et mérite d’être défendue. En effet, pourquoi s’approprier des
termes de géographie pour décrire la toiture, notion que le droit connait déjà ? Si nous avons
fait le choix de conserver cette dénomination, c’est qu’elle permet de mettre en valeur des
problématiques du sujet.

Repenser la toiture en termes de canopée invite à l’envisager d’un nouveau point de


vue, de la surplomber et surtout de constater son étendue. La toiture n’est pas seulement un
élément d’architecture, elle permet de déplacer en hauteur des usages et fonctions qui
nécessiterait autrement de mobiliser des ressources au sol : c’est une surface à reconquérir
dans le contexte de la densification urbaine. Il est nécessaire d’observer la ville en vue
plongeante -alors que la popularisation des images capturées par drones nous dévoile des
paysages invisibles du niveau de la rue- et de concevoir les toitures comme un potentiel à
aménager.

Le caractère urbain de cette canopée n’est pas non plus anodin. Il inscrit cette nouvelle
surface à conquérir dans les enjeux et les problématiques urbaines : ainsi, la canopée peut
répondre aux grands défis de l’urbanisation, comme la lutte contre l’effet d’ilot de chaleur,

21
Appert, « Les formes de la métropole », préc. p.129.
22
Ibid., p.251.
23
Ibid., p.252.
8
permettre l’amélioration qualitative de l’air en ville, la rétention de l’eau pluviale 24, la
promotion de la biodiversité et la mixité des usages.

Ces enjeux rejoignent les objectifs de « l'action des collectivités publiques en matière
d'urbanisme » que sont « le développement urbain maîtrisé, la restructuration des espaces
urbanisés […], la préservation de la qualité de l'air, de l'eau »25. Par ailleurs, des acteurs privés
comme publics (particuliers, associations, collectivités locales) développent déjà des projets
innovants mettant en œuvre la végétalisation du toit. Il convient donc de s’interroger sur le
cadre juridique de tels projets et son adaptation à ces nouveaux usages. Par ailleurs, le droit
perçoit le toit comme un « élément de couverture », c’est-à-dire un dispositif rattaché à un
immeuble. Le replacer dans un ensemble demande de s’interroger sur les moyens disponibles
pour encadrer son usage. Comment le droit applicable aux toit est-il remis en question par la
végétalisation de la canopée urbaine ?

Le régime juridique actuel applicable aux toitures les aborde avant tout comme un
dispositif technique. Il est adapté aux usages premiers du toit : l’isolation thermique et
l’étanchéité. Notre sujet invite à dynamiser cette vision, et ce à deux titres. Il invite avant tout
à envisager le toit comme investi d’une végétation, qui par nature n’est pas statique. Elle
évolue, change au cours du temps, se renouvelle ou périclite. Par ailleurs, il s’agit ici de
dynamiser l’approche juridique du toit en le replaçant dans un ensemble -la canopée- qui
prend de nouveaux enjeux dès lors que l’on l’envisage dans un milieu urbain.

Plus qu’un simple terme du sujet, cette dénomination de canopée urbaine permet de
répondre à ces questionnements, à travers les remises en question qu’elle engendre. Ainsi
nous verrons avant tout comment les toitures peuvent être envisagées dans leur dimension de
canopée, tant pour leur couvert végétal, que pour leur faculté à produire (chapitre I). Ensuite,
il faudra replacer cette canopée dans son contexte urbain, et envisager son insertion dans la
planification et l’aménagement (chapitre II).

24
Jeremy T. Lundholm, « Green roofs and facades : a habitat template approach » Urban habitats. (2006): n°4.1
pp. 87–101.
25
Art. L. 101-2 Code de l’urbanisme (CU)
9
L’ADAPTATION DU REGIME JURIDIQUE DU
TOIT A LA DYNAMIQUE DU VIVANT

Le toit est donc conçu comme un élément de couverture et d’isolation. Dans cette
perspective, la végétation fait figure d’obstacle. Elle soulève les tuiles, perce les membranes
d’étanchéité, bouche les gouttières. Elle est donc évitée et chassée par tous les moyens
possibles, et la toiture devient un environnement aride et stérile. La végétalisation permet une
véritable animation du toit, en son sens premier : elle lui donne une âme, le fait vivre.
L’intégration de processus biologique à la couverture fait naitre de nouvelles perspectives, la
rend productive, mais elle la rend aussi sensible. L’apparition d’un fonctionnement de la
toiture entraine la question de son dysfonctionnement. La végétation dont le toit est doté est
accompagnée de ses problématiques propres : elle vit, mais peut aussi péricliter, et mourir. Il
s’agira donc d’interroger comment la nouvelle caractéristique vivante du toit peut entrainer
des problématiques dans le champ juridique (Section 1).

Le toit végétalisé sera ensuite analysé dans son nouvel aspect fertile, qui peut attirer
les initiatives de culture. Cet enjeu fait naitre au sujet du toit de nouvelles opportunités de
relations juridiques. En gagnant la possibilité de faire pousser et croitre, le toit devient
rentable. Ce n’est guère nouveau par ailleurs, puisque la production d’énergie solaire a déjà
gagné les toitures. En prévision des concurrences d’usages et d’usagers, l’innovation dans la
mise en culture du toit peut gagner en sécurité de se doter de conventions spécifiques, qu’il
faudra imaginer au prisme du droit des contrats existant (Section 2).

10
Section 1. Les questions juridiques engendrées par le
fonctionnement de la toiture

La végétalisation pousse le toit hors de son statut d’objet inanimé, et crée des
problématiques nouvelles. Les toitures végétalisées sont conçues pour devenir de véritables
écosystèmes et non pas simplement des supports de végétation. Elles disposent donc de
capacités d’adaptation et de résilience, à condition d’avoir été réalisées dans les règles de
l’art. Dans le cas contraire, elles pourraient péricliter, dépérir, en somme : ne pas fonctionner.
Or, le constructeur de l’installation, ne sera responsable qu’au titre de sa responsabilité
contractuelle de droit commun, ce qui laisse peu d’espoir à une action en réparation au titre du
dysfonctionnement des végétalisations mal réalisées (§1).

Les toitures végétalisées sont ainsi appelées à fonctionner tant qu’elles ne sont pas
privées de leur ressource énergétique principale. Ainsi, la perte d’ensoleillement peut
représenter un danger majeur pour la végétalisation. Il parait donc justifié de chercher si le
droit actuel peut permettre de défendre les toits végétalisés contre les ombres projetées par les
constructions du voisinage (§2).

§1. Un fonctionnement de la toiture en opposition avec son


statut d’équipement dissociable inerte

Du toit au toit végétalisé, il n’y a qu’un pas. Encore faut-il que celui-ci soit réalisé
dans les meilleures conditions possibles. En effet des études ont permis de démontrer que les
toits végétalisés peuvent dysfonctionner pour de nombreuses raisons, comme un déséquilibre
entre les différences espèces, un ensoleillement ou une irrigation inadaptés26. Au-delà d’un
dysfonctionnement de l’écosystème présent sur le toit, ces anomalies entrainent des pertes de
performance thermique, et des dégradations pouvant aller jusqu’à l’érosion du substrat. La
végétation du toit peut « fonctionner » lorsque ses processus biologiques suivent leur
évolution normale, et qu’elle ne nécessite pas d’entretien supplémentaire que ceux prévus

26
Erica Oberndorfer et al., « Green Roofs as Urban Ecosystems: Ecological Structures, Functions, and
Services » BioScience. 57.10 (2007) p. 823.
11
initialement. La végétalisation d’un toit est donc un chantier qui demande au constructeur une
certaine expertise.

Ce procédé a un coût, que l’on estime entre 25 et 150 € par mètre carré27 pour les
installations de type extensif, et jusqu’à plus de 200€ par mètre carré pour les installations de
28
type intensif . Dans ce contexte, on comprend que la garantie du fonctionnement de la
couverture végétale prend une importance majeure, afin de pouvoir sécuriser l’investissement
que représente ce choix architectural et technique pour le porteur de projet.

Il est donc étonnant que la végétation des toitures figure encore comme un « élément
d’équipement dissociable inerte, non destiné à fonctionner »29. Il s’agira de revenir sur cette
catégorie jurisprudentielle (A), puis sur les conséquences d’une telle qualification pour les
maitres d’œuvre (B).

La qualification d’élément d’équipement dissociable inerte


Le droit de la construction foisonne de régimes de responsabilité en cas de dommages
à la suite de travaux. Ainsi il existe trois catégories principales, visées par l’article 1792 du
code civil : l’ouvrage, les éléments constitutifs ou les éléments d’équipement 30. La
qualification juridique de l’installation mise en cause a des conséquences sur le régime de
responsabilité applicable (constructeur ou fabriquant) ainsi que sur l’extinction de l’action en
garantie.

Dans une affaire portant sur la garantie de toiture-terrasse végétalisée, dont le couvert
végétal était devenu épars, la Cour de cassation31 a été amenée à se prononcer sur la
qualification juridique de la végétalisation des toits et les juges ont estimé que ces
installations entraient dans la catégorie des éléments. L’appartenance à la catégorie de
l’ouvrage est donc bien rejetée, mais la Cour a enrichi sa décision en des termes sibyllins. En
effet, si elle a retenu la qualification d’élément d’équipement dissociable, en ce que les

27
« fiche technique toitures végétalisées ville de Paris », s. d., En ligne.
28
La différence entre le type extensif de végétalisation et le type intensif repose sur l’épaisseur de sol (substrat).
On considère un substrat entre 3 et 12 cm d’épaisseur comme extensif, tandis que le toit végétalisé intensif peut
dépasser 30 cm d’épaisseur.
29
Philippe Malinvaud, « La végétalisation des toitures est un élément d’équipement dissociable inerte » RDI
2016 pp.232‑234.
30
Ibid. p.232.
31
Cour de cassation, 3e civ., 18 février 2016, n° 1510.750.
12
dispositifs végétaux peuvent être retirés de l’ouvrage sans lui apporter de dommage, elle a
écarté l’application de la garantie de bon fonctionnement. En effet, cet arrêt a été l’occasion
de retenir une interprétation stricte du fonctionnement et d’estimer que la végétalisation était
« non destinée à fonctionner »32.

La Cour de cassation a ainsi suivi une approche du fonctionnement plus restrictive que
par le passé. En effet, dans les années 1980 et 1990 elle avait retenu une conception plus
souple et accepté la mise en œuvre de la garantie biennale pour le mauvais fonctionnement
d’éléments d’équipements inertes comme le faux plafond33 ou des doubles vitrages34. Depuis
un arrêt de principe de 199535, les juges sont revenus sur cette interprétation élargie pour se
rapprocher de la lettre du texte original et redonner au critère de fonctionnement son rôle
central dans la mise en œuvre de la responsabilité du constructeur prévue à l’article 1792-3
pour le mauvais fonctionnement des éléments d’équipement dissociables36.

Cette approche pour la végétation des toitures est critiquable car elle ne permet pas de
prendre en compte les processus dynamiques auxquels elle est soumise. Par ailleurs, la Cour
de cassation a déjà admis la mise en œuvre de la garantie de bon fonctionnement pour des
dalles en revêtement synthétique dont la fonction principale était « esthétique »37 et il semble
qu’une solution similaire pourrait a fortiori s’appliquer pour les toits végétalisés qui
remplissent d’autres fonctions complémentaires.

Les conséquences de la qualification d’élément d’équipement


dissociable inerte

En termes de mise en œuvre de la responsabilité, cette qualification aurait des


conséquences. En effet, elle substitue la responsabilité contractuelle à la garantie biennale de
bon fonctionnement de l’article 1792-3, et par conséquent instaure le délai de prescription de
droit commun, qui est de 10 ans, contre 2 ans pour la garantie de bon fonctionnement. Le

32
Philippe Malinvaud, « Le point sur les éléments d’équipements dissociables inertes » RDI. (2016) pp. 40-41.
33
Cass. 3e civ. 7 déc. 1988, Bull.civ.III, n°174, p.95
34
Cass. 3e civ. 22 juin 1993 RGAT 1993, p.542, obs. d’Hauteville
35
Cass. 3e civ. 22 mars 1995, Bull.III, n°80, p.54, JCP, 1995, 22416
36
Jean-Bernard Auby, Hugues Périnet-Marquet, et Rozen Noguellou, Droit de l’urbanisme et de la construction
(LGDJ, Lextenso éditions, 2015) paragr. 1065.
37
Cass. 3e civ. 21 octobre 2009, 08-19.087, Bull. III, n° 226
13
maître d’œuvre verrait ainsi son action en réparation du dysfonctionnement de la toiture
végétalisée rallongée d’un délai supplémentaire38. Elle ne serait cependant pas facilitée par le
régime de la responsabilité contractuelle de droit commun. En effet, pour pouvoir agir sur la
base de ce régime, le maitre d’ouvrage serait chargé de prouver le dommage, la faute du
constructeur et le lien de causalité entre ces deux éléments.

Dans le contexte particulier des toitures végétalisées, ces exigences peuvent causer des
difficultés importantes. En premier lieu, il faut noter la difficulté d’établir des liens de
causalité dans des processus qui s’établissent sur le temps long comme les équilibres
écosystémiques. Par ailleurs, l’état des connaissances sur ces installations et leur
fonctionnement peut rendre ardue la recherche d’une faute du constructeur.

Enfin, pour ce qui est du dommage, il convient de s’interroger sur l’accueil que la
Cour de cassation pourrait réserver à une action en responsabilité basée sur le
dysfonctionnement seul d’un toit végétalisé. En effet, puisque celle-ci n’appréhende pas la
végétalisation comme un élément d’équipement « qui fonctionne », il apparait peu probable
qu’elle accepte de connaitre de son dysfonctionnement. Le dommage sera alors à rechercher
dans les pertes de performance thermique, ou le défaut d’étanchéité, ce qui peut se révéler
inadapté pour l’opportunité de l’action ou ses chances d’aboutir. En effet, pour ce qui
concerne par exemple la performance thermique, les critères de gravité retenus ont tendance à
compliquer la démonstration d’un dommage39.

Par ailleurs, à l’issue d’un parcours du combattant qui aurait permis de retenir la
responsabilité contractuelle du constructeur, le maître d’ouvrage peut se retrouver face au mur
de l’insolvabilité de celui-ci, qui « n’est pas toujours garanti, au titre de sa responsabilité
civile entreprise, des frais de reprise de son travail »40.

La toiture végétalisée est donc une installation dont le dysfonctionnement est encore
peu envisagé et dont la garantie semble incertaine, bien qu’en la matière le temps joue en la
faveur des maîtres d’ouvrage, qui disposent de 10 ans à partir de la réception des travaux pour

38
Malinvaud, Ph. « La végétalisation des toitures est un élément d’équipement dissociable inerte », préc. p.233.
39
Gwénaëlle Durand-Pasquier, « Des conditions restrictives de la garantie décennale en cas de défaut de
performance énergétique » RDI. (2016): p.120.
40
Caroline Cerveau-Colliard, « Heureux qui comme le chapiste n’est pas présumé responsable... ; Note sous
cass. 3e civ. 26 novembre 2015, pourvoi n° 14-19.835 » La Gazette du Palais. (2016) n°12: pp.72‑73.
14
agir41. Ce délai, s’il permet d’envisager le suivi sur le long terme des processus biologiques
pouvant prendre place sur le toit végétalisé, peut complexifier d’autant l’action en
responsabilité. En effet, il parait difficile de prouver le lien de causalité entre un dommage et
la faute du constructeur après plusieurs années de « vie » du toit.

En dehors des dysfonctionnements causés par des défauts de conception ou de


réalisation, les toitures végétalisées peuvent prospérer, à condition de ne pas être privées de
leur ressource lumineuse, par l’implantation d’immeubles voisins qui créent un ombrage
excessif.

§2. La préservation juridique d’un « droit à la lumière »

La végétalisation d’une toiture représente donc un investissement pour le propriétaire


qui est loin d’être négligeable. Il n’est alors pas difficile d’imaginer ses appréhensions
lorsqu’un voisin construit ou élève son immeuble, menaçant de son ombre la précieuse
installation. Comment notre Diogène pourra-t-il préserver sa part d’ensoleillement ? Les
documents d’urbanisme, qui prévoient des hauteurs de bâtiment maximales ou des polygones
d’implantation ne permettent pas une protection efficace de l’ensoleillement, qu’ils ne
prennent pas en compte. On peut envisager le mécanisme des troubles anormaux de voisinage,
plus simple et connu des juges. Cependant, celui-ci intervient après l’existence du dommage,
et le propriétaire prévoyant pourrait souhaiter protéger sa place au soleil à titre préventif, par
la mise en place de servitude pour protéger son ensoleillement.

Le moyen des troubles anormaux de voisinage

Le propriétaire d’un toit végétalisé dispose d’une option classique pour faire
reconnaitre le préjudice dû à la perte d’ensoleillement de son installation causée par

41
Malinvaud, « La végétalisation des toitures est un élément d’équipement dissociable inerte », préc. p.233.
15
l’immeuble voisin42. Ainsi le juge judiciaire accepte depuis longtemps que l’ombre d’une
construction puisse créer un trouble anormal de voisinage43. Pour retenir cette qualification le
juge sera attentif à deux critères : celui de l’anormalité du trouble, et de la gravité certaine.
Cette dernière exigence a connu des assouplissements : elle n’est plus restreinte à la privation
totale44, mais peut être retenue lorsque la perte d’ensoleillement est limitée à une « part
d’ensoleillement en hiver »45 ou même pour une privation de lumière « qui peut aller jusqu'à
une heure par jour à certaines périodes de l'année »46. Pour ce qui est du critère de
l’anormalité, le juge judiciaire est encore très attentif au contexte dans lequel se trouve la
relation de voisinage, et refuse souvent de qualifier le trouble comme anormal en « milieu
urbanisé »47, en allant jusqu’à prendre en compte les perspectives de développement dans les
« zone[s] suburbaine[s] ayant vocation à évoluer vers des caractéristiques plus urbaines »48.

C’est à ce titre que le droit de l’urbanisme pourrait se placer, en prévoyant dans des
zones de forte densité, de limiter les écarts de hauteur des immeubles en fonction de la
topographie et de l’ensoleillement, afin de préserver sur chaque toiture un ensoleillement
moyen, qui permet de mettre en place une végétalisation ou des installations photovoltaïques.

Le trouble anormal de voisinage est donc une voie de recours bien établie contre les
pertes d’ensoleillement. Il faut cependant remarquer qu’en dehors de l’incertitude du sens de
la décision, qui dépend de l’appréciation souveraine du juge, le préjudice est rarement réparé
en nature et la voie de l’indemnisation est souvent celle retenue en l’absence de servitude de
vue, ou de mauvaise foi du propriétaire du bâtiment mis en cause49. Cette seule solution ne
permettra donc pas au propriétaire des toitures végétalisées de sauver son installation des
dommages créés par l’ombre de ses voisins. Afin d’améliorer l’effectivité de la protection des
toits verts, il faudra peut-être se placer plus en amont, en envisageant de créer avec les voisins
directs des servitudes destinées à préserver l’ensoleillement.

42
Ce moyen sera cependant tempéré par le critère de la préoccupation. Ainsi, la végétalisation postérieure à la
situation à l’origine de la perte d’ensoleillement ne peut pas ouvrir de droit nouveau. Cependant il faut noter
qu’une telle situation semble assez peu probable car en pratique, les toitures dépourvues de soleil ne sont pas
celles choisies pour la végétalisation.
43
CA Paris, 7e ch., 18 déc. 1991.
44
Ibid.
45
CA Paris, 27 janv. 1999, n° 1992/22791
46
CA Montpellier, 14 juin 2016, AJDI 2017. 56
47
CA Rouen, 1re ch., 7 mars 2007.
48
CA Rouen, 1re ch., 15 nov. 2006.
49
CA Toulouse, 1re ch., sect. 1, 27 avr. 1998.
16
La protection de l’ensoleillement par l’établissement de
servitudes ad hoc

Le mécanisme des servitudes peut être envisagé pour permettre de préserver l’accès à
la lumière des toitures. Cette hypothèse parait d’autant plus probable qu’un tel dispositif peut
être rapprochée de celles que connait déjà le droit français, comme la servitude non altius
tollendi.

Celle-ci, qui est évoquée par l’article 689 du code civil parmi les exemples de
servitudes non apparentes, limite la hauteur constructible des immeubles voisins.

Cette qualification de « non apparente » emporte des conséquences en termes de


constitution du droit réel. En effet, elle fait obstacle à l’acquisition du droit par prescription ou
destination du père de famille50. Cela signifie que la servitude non altius tollendi ne pourra
être constituée que par titre.

Ainsi, afin de pouvoir établir la protection de son ensoleillement par servitude, le


propriétaire d’un toit végétalisé devra établir une convention avec ses voisins les plus
susceptibles de menacer son installation par l’élévation de leur bâtiment. La liberté
contractuelle ouvre ici les possibilités. La forme, quant à elle, est libre et le titre peut même se
dispenser d’un acte écrit51, et n’être matérialisé que par un simple comportement52, dès lors
que celui-ci n’est pas équivoque53. Ainsi, l’accord des deux propriétaires et leur action
cohérente avec cet engagement permet de constituer la servitude.

Pour le fond, il faudra envisager l’effectivité de la convention passée pour protéger le


toit végétalisé. En effet, la servitude non altius tollendi permet d’empêcher le propriétaire du
fonds servant de surélever sa propriété, mais il reste potentiellement encore libre d’obstruer la
lumière de manière plus temporaire lors de travaux, ou en étendant sa propriété sur les côtés.
Le propriétaire concerné par la protection de l’ensoleillement de son installation devra alors

50
Jean-Louis Bergel et al., Les biens, 2. ed., Traité de droit civil sous la dir. de Jacques Ghestin (Paris: L.G.D.J.,
Lextenso éd, 2010) pp.382‑394.
51
Par ex : Cass.3e civ., 31 mai 2007, AJDI 2007, p.362, obs. S. PORCHERON
52
Cass.3eciv., 27 sept. 2006, Bull. civ. III, n° 192
53
Versailles, 19 mai 1994, n°6974-93, n°208, inédit.
17
faire preuve d’anticipation pour pouvoir adapter la servitude à la situation topographique du
voisinage.

Une fois la servitude établie, elle sera en revanche d’une efficacité redoutable. Le juge
n’hésite pas à sanctionner l’atteinte à celle-ci par la démolition qui est « l'unique sanction d'un
droit réel transgressé, parce qu'il ne s'agit ni de réparer, ni de punir, mais de reconnaître, de
consacrer - c'est l'autre sens du terme "sanction" »54. Cette démolition peut être prononcée
même si la violation est légère55, et « l'auteur de la violation ne saurait échapper à la
démolition en invoquant la disproportion entre le préjudice et le coût de la démolition ou
l'exception d'inexécution »56. La Cour de cassation a cependant atténué la portée de cette
sanction. Elle frappait auparavant la totalité du bâtiment, et elle l’a limitée depuis un arrêt du
10 novembre 2016 à la démolition de la partie qui porte atteinte aux intérêts concernés57

Une telle servitude de protection de l’ensoleillement s’éteindra par prescription


trentenaire, dont le point de départ sera la date du « jour où il aura été fait un acte contraire à
la servitude »58. L’absence de revendication du propriétaire du fond dominant avant
l’extinction de la prescription sera alors interprétée comme une « volonté tacite de celui-ci de
renoncer à son droit »59. Par ailleurs, il peut être mis fin à cette servitude de la même manière
qu’elle a été créée, par la voie contractuelle, avec les mêmes conditions de formes que pour sa
constitution60.

La contrepartie financière d’une telle peut être un élément dissuadant pour les
propriétaires, qui entrainera une évaluation des coûts et des bénéfices de la protection de
l’ensoleillement de la toiture. Une telle solution, si elle présente l’avantage de l’effectivité,
sera probablement à réserver aux cas de perte d’ensoleillement les plus extrêmes.

54
Elodie Gavin-Millan-Oosterlynck, « Servitude non altius tollendi » AJDI 2015: p. 705.
55
Cass., 3eciv., 27 janv. 2015, n° 13-20.287
56
Cass., 3eciv., 21 janv. 1998, n° 95-16.630, Bull. civ. III, n° 18 ; D. 1999. 571, note B. Mallet-Bricout ; ibid.
1998. p. 351, obs. A. Robert tels que cités par Gavin-Millan-Oosterlynck, « Servitude non altius tollendi », préc.
p.705.
57
V. C.Cass. 3e Civ. 10 nov 2016, n° 15-25113 : dans le cas d’éspèce, les juges ont cherché à estimer si le
« rabotage » du bâtiment permettait de mettre fin à l’empiètement incriminé.
58
Art. 707 du code civil
59
Cass., 3e civ., 28 janv. 2004, n° 02-16.020, D. 2004. 2470
60
Bergel et al., Les biens, préc. p. 395
18
La végétalisation du toit lui confère une dynamique vivante, qu’il est nécessaire de
prendre en compte dans une logique de protection. Si son animation se fait dans un contexte
juridique difficile qui ne facilite pas la responsabilisation du constructeur, il est possible par la
suite d’envisager des solutions pour protéger son fonctionnement par des mécanismes de droit
existants. Cependant, ces protections présentent leurs limites, car elles demandent une
certaine anticipation et expertise du propriétaire de la toiture, ou interviennent par le
contentieux, avec ses conséquences en termes de délais et d’incertitudes.

Ainsi, le toit végétalisé est encore insuffisamment protégé par le droit, et sa rareté dans
le contentieux amène à penser que cette situation peut durer. Il subsiste cependant un espoir,
et il y a fort à parier que les innovations dans la protection de l’ensoleillement viendront de ce
moyen. En effet, si les intérêts financiers des toits végétalisés sont concentrés sur le
propriétaire et donc assez faibles, le photovoltaïque, lui, est un secteur en pleine expansion.
Des contentieux autour des pertes d’ensoleillement apparaissent donc probables dans un
avenir proche, dont les solutions permettront d’adapter le droit aux dynamiques des toits
végétalisés.

Une fois le toit animé et hôte d’une vie nouvelle, il se trouve en capacité de produire et
faire fructifier. Avec ce pouvoir naissent de nouveaux enjeux pour la toiture végétalisée, la
perspective d’une exploitation agricole des toits rentre dans le champ des possibles.

19
Section 2. Définition d’un cadre juridique de la mise en
culture du toit végétalisé

Le toit végétalisé prend une nouvelle dimension. De statique il est passé à dynamique,
d’inanimé il est devenu vivant, et de stérile il a été rendu fertile. Cette perspective nouvelle
nécessite d’étudier si le cadre juridique du toit permet sa mise en culture, et de quelle manière.
En effet, les mouvements qui se déclarent de l’« agriculture urbaine », avec toutes les
contradictions que peut porter une telle déclaration, ont déjà investi la canopée urbaine, et
c’est donc à l’aune de ces premières expériences qu’il faut approcher la mise en culture du
toit. La plupart de ces questionnements concernent aussi la végétalisation, car elle reste la
première étape de ces projets de culture, qui entrainent cependant des contraintes qui leur sont
spécifiques.

En marge de ces développements, il conviendra de s’interroger sur la fonction et


l’objectif de ces nouveaux modes de culture. Le terme d’agriculture semble en effet assez fort,
il renvoie aux « activités correspondant à la maîtrise et à l'exploitation d'un cycle biologique
de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au
déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont
dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation »61. A ce
titre, la culture de plantes potagères sur toiture remplit le critère de maîtrise et d’exploitation
d’un cycle biologique végétal, mais il est discutable de transposer la logique de production et
d’exploitation en milieu urbain. Cette démarche de potagers en ville, ne nous y trompons pas,
n’est pas dénuée d’intérêts, mais il faut les rechercher ailleurs que dans les logiques de
l’agriculture en milieu rural. De fait, ils sont multiples : lien social, pédagogie, recherche,
loisirs… Le jardinage sur toit permet de répondre à ces besoins mieux qu’aux logiques de
rendement. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’écarter les termes d’agriculture et
d’exploitant pour leur préférer celui de culture et de jardinier.

61
Art. L. 311-1 Code rural et de la pêche maritime (CRPM)
20
Afin d’envisager la mise en culture d’un toit, il s’agit de se pencher sur son statut pour
déterminer les obstacles qui peuvent se présenter à un tel projet (§1), mais aussi d’identifier
les outils juridiques à mobiliser pour pérenniser l’activité (§2).

§1. La diversité des statuts du toit à l’origine


d’incertitudes pour le projet

La première difficulté d’un projet de culture sur toit est matérialisée par la diversité
des liens de propriété possibles pour le toit, qui découle notamment de la nature du
propriétaire de l’immeuble. En respectant les catégories classiques du droit français, il est
possible de distinguer entre le propriétaire privé (A) et le propriétaire public (B). Ces
catégories permettent de simplifier l’approche mais elles ne permettent pas une
systématisation. En effet la diversité des statuts et l’aspect novateur des projets de culture en
toiture rend difficile la prévision, et montre l’influence majeure de la volonté des acteurs pour
aboutir.

Le propriétaire privé

Le cadre juridique du toit est défini principalement par celui du bâtiment dont il fait
partie. Ce statut entraine un rapport de propriété qui peut alors varier. L’immeuble privé est à
priori l’hypothèse la plus simple, mais elle s’avère en réalité trompeuse. Le cas où l’immeuble
n’a qu’un propriétaire unique est en effet assez rare, alors que la copropriété est bien plus
courante. Le toit peut alors être intégré dans les parties communes ou les parties privatives
dans le cas de copropriétés horizontales62. L’installation d’un toit végétalisé et sa mise en
culture le cas échéant dépendra de nombreux paramètres, dont certains peuvent avoir une
influence difficile à anticiper.

Une limite à la création d’un jardin surélevé, par exemple, est imposée par la loi du 10
juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, qui impose le respect de la

62
Aline Vignon-Barrault, « Antennes-relais, panneaux photovoltaïques, publicités lumineuses... Quelle place
pour une propriété aux marges de la copropriété ? » AJDI. (2015) n°4: pp. 265‑270. Il faut noter cependant que
si la copropriété horizontale peut être un mode de gestion des lotissements, elle est en pratique rarement utilisée.
21
destination de l’immeuble (art. 9) et de son harmonie architecturale63. Ce dernier critère reste
très subjectif, et il paraît difficile de postuler sur son impact sur les toitures végétalisées. Elles
peuvent être considérées comme portant atteinte à l’harmonie architecturale, mais la question
n’est à ce jour pas tranchée. En revanche, le critère de la destination représente un véritable
obstacle. En effet, un changement de celle-ci entraîne des contraintes de vote à l’unanimité à
l’assemblée générale des copropriétaires64, or le projet de végétalisation, selon sa finalité peut
créer un tel bouleversement. Ainsi, certains auteurs ont pu considérer que la « coloration
écologique » d’un immeuble était une amélioration de nature à modifier sa destination65. Les
toitures déjà végétalisées pourront donc être mises en culture sans modifier cette
« coloration », mais la végétalisation et a fortiori, la création ex nihilo d’un jardin surélevé se
fera avec plus de difficultés. Il n’est cependant pas impossible de faire disparaitre cette
difficulté, comme cela a été le cas pour les travaux de rénovation énergétique, dont les
conditions de majorité ont été abaissées (majorité absolue plutôt que renforcée) 66. Par ailleurs,
en vertu de leurs propriétés thermiques, les dispositifs de végétalisation de la toiture peuvent
rentrer dans la catégorie de ces installations. Il est donc possible de combiner les projets de
jardins sur toit avec une rénovation énergétique de l’immeuble, et de faire adopter le projet à
la majorité absolue.

Le statut du toit en propriété privé est donc avant tout déterminé par le statut de
l’immeuble, particulièrement pour les copropriétés. Il est cependant difficile d’évaluer
l’influence que peuvent avoir les différents paramètres sur le projet. Il n’est cependant pas
anodin de noter qu’à ce jour, il n’existe aucun jardin recensé sur toiture d’immeuble en
copropriété.

63
Pour ce qui est du critère de l’harmonie architecturale, il est essentiellement d’origine jurisprudentielle, le texte
de la loi de 1965 ne faisant allusion qu’à « l’aspect extérieur de l’immeuble » (art 25 b. notamment), auquel les
juges ont attribué l’exigence d’une harmonie (V. par ex. CA Paris 23e. 17 décembre 1997, JurisData 023814).
Ce critère est cependant problématique, car il peut causer des situations de blocage (avec l’exemple des doubles
vitrages : Mme Georges Pau-Langevin, député, question écrite au gouvernement, publié au JORF du 26/10/2010,
p. 11567.
64
Art. 9 de la loi de 1965 (préc.).
65
Stéphane Benilsi, « L’implantation de panneaux photovoltaïques ou d’éoliennes dans une copropriété »
Loyers. (2012): p.928.
66
Art 25 de la loi de 1965 modifié par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un
urbanisme rénové, dite loi ALUR.
22
Le propriétaire public

Les propriétés des personnes publiques sont elles aussi divisées en deux catégories : le
domaine public et le domaine privé67. Si les biens dépendants du domaine privé sont gérés de
la même manière que le sont ceux d’une personne privée, ceux classés dans le domaine public
sont, eux, soumis à un régime très particulier. Ils sont protégés par les principes
d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité68. Ces principes permettent de préserver les
dépendances du domaine public, en empêchant leur vente, l’action en prescription acquisitive,
et la création de servitude. Ils sont bien sûr nuancés d’exceptions69 mais le régime général
reste très protecteur.

Les projets de jardin sur toiture devront -dès lors qu’ils concernent un immeuble du
domaine public- s’adapter à ces principes. En pratique, une occupation du domaine public est
possible, mais elle est toujours établie de manière temporaire et précaire. Les projets devront
donc s’établir de manière réversible, et se satisfaire de conventions révocables et
reconductibles à la discrétion de la personne publique propriétaire. Si la précarité de
l’autorisation d’occupation temporaire sur les toits est plus faible que sur voirie -car les
travaux moins fréquents- c’est la remise en état en fin de convention qui représentera une
contrainte majeure. En effet, l’occupant qui doit procéder à la désinstallation du jardin en
toiture fera alors face à des travaux très conséquents à ses frais (évacuation du substrat
notamment). Elle n’est cependant pas systématique, et sera conditionnée à la volonté du
propriétaire public. Elle peut être aussi prévue ou écartée explicitement au moment de la
convention d’occupation temporaire.

Ces conditions semblent donc a priori défavorables aux mises en culture sur les toits
des dépendances du domaine public, mais force est de constater qu’en pratique nombre des
projets observés prennent place sur de tels immeubles. Il faut donc encore une fois remarquer
l’imprévisibilité de l’influence des contraintes sur les projets. En pratique, ceux-ci se
développent plus en fonction de la volonté du propriétaire au soutien du projet qu’en fonction
67
Plus de développements sur cette distinction, les critères du domaine public et les principes y-attachés par la
suite.
68
Art. L. 3111-1 code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP)
69
Notamment en ce qui concerne les servitudes, celles-ci peuvent être acceptées dès lors qu’elles sont
compatibles avec l’affectation de la dépendance (Art. L. 2122-4 CGPPP).
23
des contraintes juridiques. Dans le paysage hostile et foisonnant du statut du toit, l’adaptation
est la règle pour les projets de jardins surélevés.

§2. Les outils conventionnels au service de la mise en


culture

Les projets de mise en culture de toits végétalisés sont aussi divers que les statuts du
toit, mais possèdent tous un point commun : ils sont la rencontre entre un propriétaire et un
porteur de projet70. Il s’agira de matérialiser la rencontre de ces volontés dans une convention
adaptée afin de permettre de pérenniser et protéger le jardin surélevé. Les conventions
existantes sur les toitures, notamment à l’égard des panneaux solaires ou des antennes-relais,
sont une source d’inspiration (A), mais qui présente ses limites. Celles-ci peuvent être
dépassées avec l’apport de conventions qui réglementent l’usage des sols, qu’il conviendra de
faire transposer à la canopée (B).

Le cadre conventionnel de l’usage des toitures


La notion de convention « habituelle » pour l’usage des toitures peut étonner, tant les
nouveaux usages sont variés et leur apparition récente. De tels aménagements ont cependant
déjà été menés, dans le domaine du photovoltaïque, des antennes relais, du solaire
thermique… Les acteurs autour de ces projets ont donc dû trouver un cadre conventionnel
pour répondre à leurs besoins spécifiques. En pratique, ils ont transposé des contrats déjà
existants pour les adapter à leur situation. Les techniques les plus notables sont la division en
volume et le bail.

La division consiste à créer des volumes en les séparant les uns des autres au sein
d’une même propriété. Ainsi on peut imaginer un volume constitué par le toit et un deuxième
englobant le reste du bâtiment. Pour les immeubles gérés en copropriétés, la division est
rendue possible dès lors qu’ils peuvent répondre à la qualification d’« ensemble immobilier »,
ce qui sera réalisable en distinguant ne serait-ce qu’ « un seul élément autonome au sein du
tout », c'est à dire une propriété en marge de la copropriété. Le nouveau volume ainsi créé est

70
Sauf dans le cas particulier d’un projet porté par le propriétaire ou la copropriété dans son ensemble, ce qui ne
disqualifie pas d’emblée les développements suivants. Il est en effet tout à fait envisageable, et même
souhaitable, de faire porter la gestion du jardin surélevé et les responsabilités qui s’y attachent par une personne
morale créée pour l’occasion. La convention se fera donc entre celle-ci et le propriétaire du toit. La situation où
le propriétaire est lui-même à l’origine du projet ne crée pas de difficulté particulière.
24
une propriété distincte et entretient avec les autres des rapports de fonds à fonds71. Cela
signifie par ailleurs qu’il est possible avec ce procédé de choisir un mode de gestion
spécifique pour le nouveau volume. Ainsi l’immeuble peut-il être soumis au statut de la
copropriété et le toit, contenu dans un volume distinct, être géré de manière complètement
différente72. Il faut cependant pouvoir justifier que cette division en volume n’a pas pour objet
« d'éluder l'application d'une réglementation d'ordre public, comme l'est la loi [relative aux
copropriétés] de 1965 »73. Ainsi, le choix d’un mode de gestion distinct de la copropriété n’est
pas exclu, mais il ne doit pas être à l’origine du choix de la division, et doit être justifié « très
clairement »74. Les volumes ainsi établis deviennent des biens à part entière 75. A ce titre, leurs
rapports seront les mêmes qu’entre fonds distincts76.

Cette propriété nouvellement créée peut alors être offerte à la location. Le recours au
bail est le moyen le plus utilisé pour les montages juridiques d’installations photovoltaïques
ou d’antennes relais. Ceux-ci sont souvent réalisés sur les modèles des baux à construction ou
baux emphytéotiques, qui présentent tous deux l’avantage d’une longue durée (de 18 à 99
ans)77. La présence d’une installation végétalisée avant la mise en culture sera déterminante
pour le choix du contrat car en son absence il faudra préférer un bail à construction pour
permettre sa mise en place. Ces conventions permettent de constituer pour le preneur à bail
des droits réels comme la jouissance du jardin surélevé. Elles présentent notamment, de
manière attendue, des limites. En premier lieu elles ne permettent pas au bailleur d’exercer un
contrôle sur l’activité de culture. Le bail à construction, il est vrai, permet d’encadrer les
choix techniques des aménagements en les soumettant à autorisation78, mais il parait inadapté
pour le suivi de la culture. Par ailleurs, ces conventions ne prévoient pas a priori le sort de
l’installation en fin de contrat. Il s’agit de s’interroger sur les modalités de la remise en état, si

71
Vignon-Barrault, « Antennes-relais, panneaux photovoltaïques, publicités lumineuses... Quelle place pour une
propriété aux marges de la copropriété ? » 3.
72
Il est par exemple aisé d’envisager la gestion par une coopérative, une association syndicale libre, ou une
association à but non lucratif, qui sera dirigée par le syndicat de copropriété de l’immeuble.
73
Hugues Périnet-Marquet, « Les techniques de montage juridique d’un projet photovoltaïque » RDI. (2010):
352.
74
Article 5.1. de la recommandation n° 5 de la Commission relative à la copropriété (loi du 10 juillet 1965), tel
que cité par H. Périnet-Marquet, préc.
75
C. Cass., civ.3ème. 20 nov. 1996, 95-10.134, Inédit.
76
Cependant leur particularité pousse souvent les propriétaires à s’organiser en association syndicale libre, ou
association foncière urbaine, afin de faciliter l’entretien, le rapport entre fonds, et les sinistres.
77
Périnet-Marquet, « Les techniques de montage juridique d’un projet photovoltaïque », préc. p.352
78
Civ. 3e, 5 déc. 2007 : Bull. civ. III, n° 215, tel que cité par H. Périnet-Marquet, préc. p.352
25
elle prévoit le démantèlement de l’installation et le retour au toit « nu » ou seulement
l’arrachage de toute plantation. Enfin, il convient aussi de prévoir les modalités de la
révocation et de préavis afin de protéger le jardinier qui peut dépendre de ses cultures.

Des exemples de clauses qui permettent de répondre à ces problématiques sont donc à
chercher dans d’autres conventions. C’est vers le droit applicable au foncier qu’il faudra
maintenant se tourner.

La transposition des conventions de l’usage du sol


Les conventions qui sont utilisées pour encadrer les nouveaux usages du toit ne
permettent pas de saisir tous les aspects de la mise en culture. Il peut donc être précieux de
s’inspirer pour les compléter des conventions qui s’appliquent déjà, au niveau du sol, pour les
jardins familiaux79. Autrefois appelés « jardins ouvriers », ils permettaient l’accès aux
familles les plus démunies à un terrain cultivable pour subvenir à leurs besoins. Aujourd’hui,
ces formes de cultures -qui n’ont pas ailleurs jamais réellement disparu- connaissent un
nouveau succès en ville à travers les jardins partagés portés par des associations ou inscrits
dans des projets de logements sociaux.

Les jardins familiaux sont encadrés par des baux spécifiques, prévus aux articles L.
471-1 à L. 471-7 du code rural et de la pêche maritime (CRPM). Ceux-ci sont adaptés aux
contraintes de terrains cultivés. Ainsi, ils prévoient par exemple une période pendant laquelle
le jardinier80 conserve un droit au maintien de la convention. Si le bailleur lui fait parvenir un
préavis de congé entre le 1er février et le 1er août, il garde en effet la possibilité de bénéficier
du jardin jusqu’au 11 novembre au plus tôt, ce qui lui permet de jouir des fruits de son travail.

Reconductible tacitement, la convention dure en principe un an. Lorsque le bailleur


vise à y mettre fin pour des raisons économiques, il est tenu d’indiquer le loyer qu’il souhaite
obtenir81, et le jardinier a alors un droit préférentiel à conclure une nouvelle convention selon
ces conditions. Il bénéficie aussi du versement d’une indemnité de plus-value s’il a apporté

79
Il faut ici souligner que ces baux dans cette situation doivent servir d’inspiration et de modèle, mais qu’ils ne
peuvent être établis en tant que tels sur les toits. Par exemple, les baux ruraux ne sont pas compatibles avec le
domaine public de l’état, eu égard à leur droit au renouvellement, qui est incompatible avec le principe
d’inaliénabilité.
80
« exploitant » selon la lettre de l’article L. 471-1, qui retient la terminologie du code rural.
81
Art. L. 471-2 CRPM
26
des améliorations au terrain82.Ces dispositions parmi d’autres entrainent une observation qui
est très souvent faite à l’égard des baux ruraux dont ce type de convention fait partie : le statut
est très protecteur de l’exploitant83.

A bien des égards cependant, nous pouvons remarquer qu’il est aussi très utilitariste et
axé sur la valorisation des terrains. L’indemnité de plus-value, qui encourage les
améliorations en est un exemple, mais aussi la clause de reprise du terrain inutilisé. Si le
bailleur donne congé au jardinier mais laisse le terrain sans utilité, ce dernier peut « être
autorisé par le juge du tribunal d'instance à reprendre la jouissance du terrain »84. Par ailleurs,
le régime général des baux ruraux prévoit la possibilité d’insérer des clauses qui imposent au
jardinier des pratiques respectueuses de l’environnement comme la limitation des fertilisants,
des produits phytosanitaires, les techniques de travail du sol, etc.85 Ces exigences peuvent être
fixées dans de très nombreuses situations car elles sont ouvertes sur les parcelles incluses dans
des secteurs de protection (patrimonial, parc national, mais de manière plus adaptée à notre
situation : trames vertes et bleues86) mais aussi pour tous les bailleurs publics et plus
généralement pour permettre « le maintien de ces pratiques »87.

Enfin, il est possible de s’inspirer d’autres baux ruraux, comme le fermage, pour les
transposer aux jardins surélevés. Ces conventions très fréquentes prévoient en effet des
dispositions qui ont leur place sur les toits, dont l’adaptation de la durée du bail à celle de
l’amortissement des améliorations du terrain88.

Ce dernier terme n’est pas neutre, et il conditionne toute la problématique du statut


conventionnel du toit. En effet, ces baux s’appuient tous sur la notion de « terrain », ce qui
pose la question pressante : les toitures végétalisées peuvent-elles être considérées comme un
terrain ?

82
Art. L. 471-4 CRPM
83
Benoît Grimonprez et Denis Rochard, Agriculture et ville: vers de nouvelles relations juridiques, Centre
d’étude et de recherche sur les territoires et l’environnement, (Poitiers, France: Faculté Droit & Sciences
sociales, Université de Poitiers, 2016).
84
Art. L. 471-3 CRPM
85
L’article R. 411-9-11-1 (CRPM) fixe une longue liste, qui inclue l’agriculture biologique, la diversification de
l’assolement, etc. Les options ouvertes permettent une réelle direction de l’activité de l’exploitant.
86
Voir ci-après
87
Art. L. 411-27 CRPM
88
Benoît Grimonprez et Denis Rochard, Agriculture et ville: vers de nouvelles relations juridiques, préc. p.83.
27
A bien des égards elles s’en rapprochent : elles permettent la circulation, elles sont
cultivables. A partir de ce constat, il n’y a qu’un pas pour les assimiler au sol, mais non des
moindres. Le terrain, contrairement au toit végétalisé, ne se démantèle pas en fin
d’exploitation : il est remis en état89. Il est une ressource, là où le toit est une opportunité, une
création. L’application du droit applicable aux sols sur les toits végétalisés dépend donc de
cette question.

La qualification de terrain étant incertaine, on pourrait lui accorder celle de surface,


mais ce terme ne permet pas de prendre en considération la tridimensionnalité des toitures
végétalisées. Si elles proposent en effet une surface vivante, elles proposent aussi un lieu à
vivre, tant par les humains que par la nature en ville. En ce sens elles préfigurent des
nouveaux espaces.

Cet aspect permet d’envisager la multifonctionnalité de la canopée urbaine selon son


postulat de départ. Le passage du pluriel -les toitures- au singulier -la canopée- invite en effet
à réfléchir le potentiel des toits avec une perspective holistique. Les toitures végétalisées
doivent être envisagées comme insérées dans un ensemble, constitué par le tissu urbain. Elles
participent ainsi d’un réseau qui répond aux problématiques de la ville qui doit être saisi par la
planification.

89
Art. L. 512-17 du Code de l'environnement (CdE).
28
LA CANOPEE URBAINE : NOUVEL ESPACE
D’INVESTISSEMENT POUR LE DROIT

Par-delà sa dimension vivante, le toit végétalisé est un nouvel espace à investir. Il fait
passer le toit de sa dimension de cinquième façade à celle de nouvel étage. Le droit est amené
à l’occuper, l’investir dans sa dimension géographique, et en retour cet investissement enrichit
le droit de nouveaux questionnements qui dépassent l’usage de la canopée urbaine.

Il s’agira de comprendre dans quelle mesure le droit positif est adapté à la conquête de
ces nouveaux espaces, et comment ils peuvent être intégrés à la planification urbaine. En
filigrane de ces défis, et comme c’est souvent le cas en droit de l’urbanisme, nous pouvons
voir apparaitre la tension entre propriété privé et intérêt général. Comment les problématiques
urbaines de densification, de renouvellement, de déficit d’espaces naturels, peuvent-elles être
conciliées avec les intérêts des propriétaires des toits ?

Dans le contexte de densification urbaine, où les espaces sont précieux, ces nouveaux
havres de végétation représentent une ressource cruciale. Ils répondent à deux enjeux majeurs
des milieux urbains, en ouvrant des espaces à aménager (Section 1), et en apportant de la
végétation en ville, qui peut être repensée pour sa valeur en termes de biodiversité (Section 2).

29
Section 1. L’ouverture au public, source d’innovation
juridique

Les zones urbaines sont confrontées à des contraintes divergentes : une plus grande
pression foncière, liée à une croissance démographique avec en parallèle un impératif de lutte
contre l’étalement urbain, et un plus grand besoin d’espaces verts, proportionnellement à la
croissance de la population. Le toit végétalisé peut alors représenter une alternative réelle aux
parcs urbains à hauteur de rue. Ils peuvent offrir de tels lieux, avec l’avantage d’être au-dessus
de la couche inférieure de pollution atmosphérique. L’hypothèse peut sembler fantaisiste mais
de tels aménagements existent déjà sur des toits de bâtiments publics comme la gare de
Perrache à Lyon90 mais aussi pour créer des terrains de sport91. Dès lors il convient de
s’interroger sur les outils juridiques qui permettent de mettre en œuvre de tels projets (§1), et
leur articulation avec le droit de propriété, publique comme privée. En effet, s’il semble que
ces projets sont possibles au vu du droit de propriété actuel, ils remettent en question à leur
façon des approches fondamentales de la propriété privée et du domaine public. L’ouverture
au public demande de contrôler leur utilisation, et d’assurer l’ordre public et la sécurité des
usagers (§2).

§1. La propriété en question dans la création d’un espace


ouvert au public

Il s’agit de s’interroger encore une fois sur l’incidence de la nature du propriétaire du


toit afin de cerner dans quelle voie le projet d’espace ouvert au public peut s’insérer. La voie
de la propriété privée n’est en effet pas incompatible avec l’accès public aux toitures (A). La
propriété de la personne publique, même par l’acquisition, est une autre option à explorer (B).

90
Photo en annexe (annexe 3, p.62) et photo de couverture
91
Comme un terrain de tennis sur le toit des Galeries Lafayette en 2011 (Paris 75009), ou le projet de terrain
multisport sur la dalle Hannah Arendt au Bas-Montreuil (93100). Il faut noter particulièrement ce dernier cas,
qui concilie l’aménagement sportif avec des jardins partagés. Ce genre de projet donne un parfait exemple de la
multifonctionnalité qui peut être accueillie sur les toits.
30
La conciliation de l’ouverture au public avec la propriété privée

L’initiative de la création d’un espace ouvert au public sur toiture peut venir des
propriétaires privés. Ceux-ci peuvent décider d’ouvrir leur toiture à l’accès du public, ce qui
changera la destination de l’immeuble, en le faisant passer dans la catégorie des
établissements recevant du public92. Cette création peut aussi être envisagée dès le stade de la
construction du bâtiment, en créant un projet mixte public-privé, dans lequel la propriété de la
toiture revient à la personne publique93. En dehors de ces hypothèses, la création de cet espace
ouvert au public peut être initiée par une collectivité, et établie par voie de contractualisation.

La contractualisation est un mouvement qui « s’étend à toutes les facettes de l’action


publique [, elle] présuppose que soit prise en compte l'existence d'acteurs autonomes, dont il
s'agit d'obtenir la coopération et elle passe par un processus de négociation, visant à définir les
contours d'une action commune » 94. La contractualisation permet d’apporter de la souplesse,
mais aussi d’adapter les politiques publiques au contexte spécifique dans lequel elles se
déploient.

La contractualisation de l’ouverture d’un espace privé au public est une situation


encore rare, mais pas inédite. En effet, il est possible de s’inspirer de la situation des traboules
lyonnaises pour envisager ce cas de figure.

Les traboules sont des passages aménagés au cœur d’ilots privés, qui traversent la
propriété. La traboule peut être verticale ou bien horizontale selon sa fonction. Une traboule
sera qualifiée de verticale lorsqu’elle correspond à une succession d’escaliers, et horizontale
lorsqu’il s’agit d’une allée permettant de se rendre d’un lieu à un autre. La genèse des
traboules est sujette à controverse entre les spécialistes, tant l’origine de ces passages se
confond avec l’origine de Lyon elle-même. Elles auraient déjà été présentes dans le
Lugdunum gallo-romain du IVème siècle, où elles servaient à fournir un point d’accès rapide
à l’eau à une époque où les aqueducs ne remplissaient plus leur fonction95. Employées par les

92
Nous reviendrons plus longuement sur ce statut par la suite.
93
C’est cette option qui a été retenue pour l’espace public de la dalle Hannah Arendt (Bas Montreuil).
94
Jacques Chevallier, « Loi et contrat dans l’action publique » Cahiers du Conseil constitutionnel. (2005), p.17.
95
René Dejean et Bernard Schreier, Traboules de Lyon: histoire secrète d’une ville, vol. (Lyon: "Le Progrès,
1992).
31
canuts (ouvriers de la soie) afin de protéger leur ouvrage des intempéries en changeant de
bâtiment, elles ont par la suite servi de passages dérobés lors de leur révolte et par les réseaux
de résistants lyonnais bien plus tard96. Les traboules se fondent donc dans l’histoire de Lyon
et font partie intégrante du patrimoine de la ville. A ce titre, elles sont inscrites au patrimoine
de l’UNESCO depuis 1998. Elles font donc l’objet d’efforts de la part des intercommunalités
successives (aujourd’hui la métropole de Lyon) afin de permettre l’accès au public, dans un
objectif de mise en valeur, mais aussi de préservation d’une coutume.

Dans cette perspective, des conventions ont été mises en place entre la ville de Lyon et
les propriétaires des traboules. Elles encadrent les conditions d’accès du public en prévoyant
des horaires d’ouverture, et prévoient en contrepartie que la ville procède à l’entretien, la
préservation, voire la restauration de ces passages97.

Cette solution a été préférée à l’option de l’acquisition des bâtiments concernés car
elle était plus facilement acceptable par les propriétaires, moins onéreuse, et elle permettait
malgré tout d’atteindre le but recherché : rétablir le passage dans les traboules. Ces
conventions peuvent être source d’inspiration pour créer des espaces publics en toiture. Il
s’agirait cependant de prévoir un cadre qui permette un véritable accès au public tout en
préservant les intérêts particuliers. Des aménagements de cet accès, à la fois techniques
(ascenseur, escaliers) et pratiques (horaires) doivent être prévus. De même, il semble que la
collectivité doive prendre en charge l’entretien, mais aussi la bonne relation entre cet espace
ouvert au public et l’immeuble. Il est nécessaire ainsi d’envisager les dommages qui peuvent
être causés par l’installation mais aussi ceux engendrés par les usagers. Il s’agit de remarquer
l’originalité de ce contrat, à l’égard de la convention cour-traboule, qui instaure une relation
contractuelle au bénéfice d’un tiers (l’usager), et qui fait rentrer ce contrat dans la catégorie
des stipulations pour autrui98. Par ailleurs, à l’instar de la convention cour-traboules, il
semblerait que ces conventions, par leur objet -la création d’un espace ouvert au public- et la
nature publique du cocontractant, rentrent dans la catégorie des contrats administratifs99. Cette
qualification entrainera des conséquences comme la compétence des juridictions
96
Bruno Benoit, « Entre violences collectives et mémoire des élites, l’identité politique d’une grande ville de
province, Lyon: 1786-1905 » Habilitation à diriger des recherches, Lyon, France: Université Lumière, 1997.
97
Cognat, Ségolène, « La protection juridique du passage dans les traboules et les cours à Lyon » Mémoire de
DEA de droit de l'environnement. Université Jean Moulin Lyon 3, 1999 p.76.
98
Art. 1205 C.Civ.
99
Cognat, « La protection juridique du passage dans les traboules et les cours à Lyon », préc. p.76.
32
administratives, et la faculté pour l’administration d’exécuter d’office les obligations du
cocontractant défaillant.

La solution de la contractualisation permet de rendre l’action publique plus facilement


acceptable, et d’inclure les personnes privées dans la démarche d’ouverture d’espace ouvert
au public. Elle dépend cependant fortement de la volonté des propriétaires, qui adhèrent à la
convention à l’origine, mais peuvent aussi décider d’y mettre fin. Néanmoins, cette solution
semble adaptée à ces projets car elle permet de moduler l’action publique en fonction du
contexte local, mais aussi de soutenir une démarche de création de lien social.

La question de ces nouveaux espaces publics et de leur articulation avec la propriété


privée interroge notre approche de celle-ci. La propriété privée telle qu’elle nous a été
transmise par la révolution française, droit « inviolable et sacré »100, se veut un droit d’exclure
autrui « de la jouissance de ses biens »101. Cette conception s’est faite en réaction au système
de propriété féodal, qui acceptait une notion de « propriété simultanée »102. Selon ce
paradigme, la propriété, ou moins anachroniquement la « saisine »103 pouvait être partagée par
des personnes différentes pour un même bien. Seigneur et vassal se voyaient reconnaitre pour
un même « domaine » des droits réels aujourd’hui difficiles à appréhender par le biais de la
propriété. Ce retour aux sources du droit de propriété nous rappelle à quel point ce droit a pu
évoluer pour aujourd’hui devenir le « droit d’exclure » tel que nous le connaissons.

Les réalités de la vie en communauté, et plus particulièrement en milieu urbain,


réduisent cependant l’absolutisme déclaré du droit de propriété, inadapté aux réalités
environnementales104. Ainsi, le droit de jouir et disposer du sol est-il très strictement limité, au
nom de l’intérêt général, par les autorités d’urbanisme. Le foncier dans les zones urbanisées
représente une ressource précieuse, à laquelle les objectifs de renouvellement et de densité
urbaine tendent à donner un intérêt commun. En effet, dans ces perspectives d’économie de

100
Art. 17 Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, 26 aout 1789
101
Judith Rochfeld, « Penser autrement la propriété : la propriété s’oppose-t-elle aux “communs” ? »Revue
internationale de droit économique. (2014) n°3: p.352.
102
Godding Philippe, « A.-M. Patault. — Introduction historique au droit des biens, 1989. »Cahiers de
civilisation médiévale. (1992) n°35.139: p.265.
103
Ibid.
104
Joséfa-Marie Del Rey, « Droit des biens et droit de l’environnement: (apports réciproques, plus
particulièrement au regard des droits réels) »Thèse de doctorat, Paris, France: Université Panthéon-Sorbonne,
2002.
33
consommation de l’espace foncier, il apparait que la surface au sol prend une valeur nouvelle
qui justifie qu’elle dépasse l’intérêt particulier. L’usage le plus raisonné et la
multifonctionnalité semblent de mise. On pourrait rapprocher cette vision de celle proposée
par Elinor Ostrom des « biens communs »105 . Ceux-ci sont caractérisés par un intérêt partagé
autour d’une même ressource, possiblement limitée. Le droit de propriété « exclusiviste » leur
est peu adapté, car il pousse à l’épuisement des ressources et la revendication privée. Certains
auteurs, comme Judith Rochfeld proposent de nouveaux modèles, comme celui de la
« communauté diffuse »106. Selon cette théorie, le propriétaire agirait comme un
« dépositaire » du bien « de sorte que son utilité individuelle pourrait parfois se trouver
transcendée par l’utilité collective : au-delà de la jouissance individuelle des utilités de son
bien, il aurait à supporter des « charges » permettant l’accès de tiers à ces utilités ; aux côtés
d’un droit traditionnel et exclusif qui lui reviendrait, un groupe d’individus serait reconnu
légitime à bénéficier de prérogatives leur permettant de jouir de certaines utilités »107. Ce
modèle rappelle le droit médiéval de « propriété simultanée », et pourrait être adapté à la
canopée urbaine. En effet, il peut être considéré que l’espace utilisé au sol par la construction
d’un bâtiment n’est en réalité que surélevé, et se retrouve en toiture. Dès lors, l’intérêt
commun représenté par cet espace peut caractériser l’existence d’une communauté diffuse,
qui permet de justifier une approche de la propriété particulière. Cette conception est aussi
adoptée en substance par Sarah Vanuxem, qui appelle à concevoir les immeubles comme des
« choses-milieux »108, en intégrant leur dimension d’habitabilité et leur valeur en termes
d’environnement. Dès lors, il serait possible que le propriétaire ne puisse que « bénéficier
d’une place dans l’un de ces milieux »109. On observe encore ici un modèle du droit de
propriété repensé à l’aune du partage des usages, et qui remet en question l’exclusivisme
français.

La mise en accessibilité par la voie de la propriété publique

105
Elinor Ostrom, Gouvernance des biens communs: pour une nouvelle approche des ressources naturelles
(1990), Bruxelles, De Boeck, 2010 (trad. Laurent Baechler).
106
Rochfeld, « Penser autrement la propriété », préc. p.365.
107
Ibid. p.365.
108
Sarah Vanuxem, « Les choses saisies par la propriété. De la chose-objet aux choses-milieux » Revue
interdisciplinaire d’études juridiques. 64.1 (2010): p.136.
109
Ibid., 145.
34
Une personne publique qui cherche à créer de nouveaux parcs et jardins sur les
toitures se tournera naturellement en premier vers les toits dont elle dispose, ce qui
n’entrainera pas de difficulté particulière. Si l’intérêt général l’exige, elle peut aussi envisager
d’en acquérir de nouveaux.

Elle peut le faire de manière amiable, en respectant la technique de la division en


volumes110. Si aucun accord amiable n’est possible, la collectivité devra recourir à
l’expropriation pour cause d’utilité publique.

Cette procédure permet de manière efficace à la personne publique de se saisir de la


propriété d’une autre personne (publique111 ou privée). Divisée en deux étapes, administrative
et judiciaire, elle est conditionnée à la reconnaissance d’une utilité publique et au versement
d’une indemnité « juste et préalable » (art L1 du code de l’expropriation pour utilité
publique).

Dans le cas de notre hypothèse, il semble qu’une expropriation complète du bâtiment


soit inutile, et qu’il serait plus approprié de la limiter à la toiture. Sur ce point, le droit positif
nous réduit à des spéculations, mais il faut remarquer que la lettre n’empêche pas a priori un
tel montage. En effet, l’article L. 1 du code de l’expropriation pour utilité publique prévoit
l’expropriation « en tout ou partie, d'immeubles ». L’hypothèse de limiter cette procédure à
une partie seulement de la propriété est donc envisagée et il faut noter que ce dispositif est
assez couramment mis en œuvre par ailleurs, pour ce qui est des tréfonds. Les sous-sols sont
en effet assez couramment l’objet d’expropriation pour cause d’utilité publique afin
d’accueillir des installations courantes en milieu urbain comme les tunnels112 ou plus rares
comme les anneaux de collision à particules113…

Cette procédure est rendue possible par l’existence d’une déclaration d’utilité
publique. Celle-ci est contrôlée par le juge selon la théorie dite « du bilan coût-avantage »114,

110
Voir supra.
111
A condition que la propriété de la personne publique en question ne fasse pas partie de son domaine public
(CE 21 nov. 1884, Conseil de fabrique de l'église Saint-Nicolas-des-champs: Lebon T. 804; DP 1886. 3. 49,
concl. Marguerie.) ; auquel cas, l’expropriation, même partielle, ne pourrait intervenir qu’à la suite du
déclassement ou d’un changement d’affectation (C. Cass, civ. 20 déc. 1897, DP 1899. 1. 257, note L. S).
112
V. par ex. CE 17 déc. 1971, Véricel et a.: Lebon T. 782; AJDA 1972. 97, chron. Labetoulle et Cabannes.
113
Sur ce cas d’espèce : CE 22 juill. 1994, Mme Hannouz, n° 89570: Lebon T. 983; AJPI 1995. 317, obs. C. M.;
D. 1995. Somm. 384, obs. Bon.
114
CE, ass., 28 mai 1971, Ville nouvelle Est, Lebon 409 ; GAJA 2015. 81
35
en confrontant les avantages de l’opération à ses inconvénients, notamment au regard de
l’atteinte au droit de propriété. En ce sens, on pourrait craindre que la démarche de création de
jardins publics ne soit encore peu reconnue par le juge administratif. Celui-ci a par ailleurs
déjà reconnu que « l’ouverture au public de parcs […] comporterait » un intérêt général, mais
encore d’une importance trop faible au regard des atteintes causées par l’expropriation115. Le
contrôle du juge sur les « paramètres » de l’opération doit se faire « la plus concrète
possible », et il doit ainsi prendre en compte les besoins de « la collectivité locale »116. Il se
pourrait donc que dans les villes très densifiées l’intérêt général représenté par l’ouverture
d’un nouveau jardin public justifie le recours à l’expropriation partielle aux yeux du Conseil
d’Etat.

Une fois le toit acquis par la collectivité, il parait judicieux d’envisager son rapport
avec l’immeuble pour lequel il continue de remplir ses fonctions d’isolation. A ce titre, sa
défaillance entrainerait la responsabilité de ses nouveaux propriétaires. Par ailleurs, pour
rendre le projet viable, la collectivité doit prévoir à l’avance des solutions pour permettre
l’accès au jardin sur toit, en créant éventuellement une servitude de passage.

La création d’un jardin public sur les toits via l’acquisition par les personnes publiques
crée des questionnements sur son statut. La propriété de celles-ci est divisée entre domaine
privé et public, auquel s’applique un régime exorbitant du droit commun. La délimitation du
domaine public est changeante, et elle est définie par un faisceau de critères, que sont
l’appartenance à une personne publique, l’affectation à l’usage direct du public ou à un
service public à la condition d’un aménagement indispensable117. Les jardins publics, parcs et
promenades font partie en vertu du critère de l’affectation directe à l’usage du public du

115
En l’espèce, la fermeture d’une colonie de vacances dans une opération de transferts de services municipaux
et de création de jardin public : CE, 18 mai 1977, n° 02891, Lebon 1977.
116
René Hostiou, « Propriété privée et action publique. Le droit de l’expropriation en France : entre permanence
et changement. » RDI (2016) p.380.
117
« Domaine public-domaine privé » Fiches d’orientation. Août 2016, en ligne, 13 août 2017. Le critère de
l’aménagement était auparavant moins sévère, avec l’exigence du caractère « spécial ». Il a connu des péripéties,
le Conseil d’Etat allant jusqu’à accepter cette qualification à une chaine tendue entre deux poteaux pour fermer
l’accès à une allée (CE, Ass. 11 mai 1959, Dauphin, rec. p. 294). Le Code général de la propriété des personnes
publiques (CGPPP) établi en 2006 a retenu ce critère de l’aménagement, mais a refusé son caractère
jurisprudentiel en lui substituant l’adjectif d’« indispensable » (L. 2111-1 CGPPP).
36
domaine public communal118 depuis l’adoption du code général de la propriété des personnes
publiques (CGPPP)119.

Cette qualification entrainerait de lourdes conséquences pour les jardins publics sur
toiture. Le domaine public est régi par des principes qui paraissent en effet difficiles à
concilier dans notre situation avec l’immeuble privé dont le toit fait partie. Ces principes sont
l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité120. Ils découlent d’un statut du domaine public hérité de
l’Ancien Régime, dont on peut trouver la source dans l’ordonnance de Moulins (février
1566)121. Ces principes, destinés à protéger les biens du domaine public, s’opposent à la
constitution de droits réels pérennes sur ceux-ci. Ils préfigurent à leur manière une notion de
préservation de ces biens pour l’avenir, qui rappelle à sa manière l’intérêt des générations
futures.

Dans ce cadre, il parait difficile de concilier ce statut avec les spécificités des jardins
sur toiture. Le toit approprié par la personne publique, qui rentre dans son domaine public
s’assied en effet sur une propriété qui peut relever du droit privé. Son inaliénabilité peut
représenter pour les propriétaires de l’immeuble un obstacle important, qui change leur
rapport à la propriété. Ces principes peuvent-ils empêcher les propriétaires d’apporter des
modifications à leur toiture ? Il semblerait que la réponse soit affirmative, et il reste en théorie
de rares solutions pour concilier leurs droits avec la domanialité publique.

Tout d’abord, à droit constant, rien n’empêche le déclassement du domaine public


pour permettre son aliénation122. Ainsi, le problème est contourné mais la procédure, qui est
aussi précédée d’une phase de désaffectation, est assez lourde. Il peut être par ailleurs
envisagé un aménagement de l’inaliénabilité de ces dépendances du domaine public

118
Dmitri Georges Lavroff, « Les biens du domaine public communal affectés à l’usage du public »
Encyclopédie des collectivités locales. 5112, mars 2010 p.394.
119
Jusqu’alors, une jurisprudence ancienne les avait classés comme des dépendances du domaine privé (CE 16
avril 1863, Syndic de la faillite Berr, Lebon 379. - 7 avril 1916, Astruc et société du théâtre des Champs-Élysées,
Lebon p.164. - V. également J.-M. Auby, Contributions à l'étude du domaine privé de l'administration, Études et
documents, 1958. 35 et s, tels que cités par D.G. Lavroff, préc.).
120
Art. L. 3111-1 CGPPP
121
Dmitri Georges Lavroff, « Le régime juridique des biens domaniaux » Encyclopédie des collectivités locales.
5042, mars 2008 p.350.
122
Art. L. 2141-1 CGPPP
37
particulières, par voie législative. Des cas similaires existent déjà, notamment pour permettre
les échanges123.

On le voit cependant, la voie de l’appropriation par la personne publique entraine des


conséquences importantes qui interrogent le droit positif, autant dans son approche de la
propriété que du domaine public. Ces interrogations font écho aux grandes problématiques
environnementales contemporaines. En effet, les questions de générations futures, de
propriété privée et de biens communs sont transversales et sources d’innovation pour le droit
de l’urbanisme et de l’environnement. Il y a donc fort à parier que de nouveaux modèles
émergeront sous l’impulsion de ces questionnements. La création d’un espace ouvert au
public sur les toitures est une idée innovante mais il est possible de la mettre en oeuvre.
Qu’elle se fasse par la voie de la propriété publique ou privée, elle fait rentrer l’installation
dans un régime particulier, qui relève de la police spéciale des établissements recevant du
public, ce qui entraine des conséquences sur sa création et sur son contrôle.

§2. Les règles relatives à l’accès du public

Les toitures ouvertes au public peuvent-elles relever du régime des établissements


recevant du public (ERP) ? Elles seraient à ce titre contraintes dans leur création et leur
aménagement. Il s’agit d’examiner comment ce statut s’applique dans ces situations, mais
aussi quelles limites peuvent exister à cette qualification (A). Ce contrôle de l’ouverture et de
l’aménagement relève d’une police spéciale des ERP, mais la création d’un espace ouvert au
public en toiture peut justifier l’utilisation de la compétence de police générale du maire. Il
faudra donc rechercher comment ces polices peuvent s’articuler (B).

Le régime des établissements recevant du public

La catégorie des ERP renvoie aux « bâtiments, locaux et enceintes dans lesquels des
personnes sont admises, soit librement, soit moyennant une rétribution ou une participation
quelconque, ou dans lesquels sont tenues des réunions ouvertes à tout venant ou sur invitation,

123
Art. L. 2141-3 CGPPP
38
payantes ou non »124. Cette définition exclut dans son champ d’application le personnel des
entreprises.

Les espaces publics sur toitures peuvent-ils relever du régime des ERP ? Il s’agit tout
d’abord d’envisager s’ils doivent être considérés comme des « bâtiments, locaux et
enceintes », ce qui peut paraitre a priori incertain125. On relèvera cependant que les ERP, qui
sont classés en catégories, comprennent aussi les installations de plein air126, et qu’à fortiori
l’article R. 123-20 du code de la construction et de l’habitation (CCH) élargit l’application de
ce régime à tous « les établissements recevant du public qui ne correspondent à aucun des
types définis par le règlement de sécurité ». Le critère de l’accueil du public est donc central
pour cette qualification. Ici, il semble que les espaces publics sur toiture répondent à ce
critère, en tant qu’ils prévoient l’ouverture du toit à des personnes extérieures au bâtiment,
qu’il soit à usage commercial ou d’habitation. Dans le silence d’une disposition spécifique, il
pourrait apparaitre que la catégorie à laquelle ils correspondent le mieux soit celle des
établissements de plein air (catégorie 5). Cependant, un guide de recommandations émis par
la préfecture de police de Paris127 soustrait les toitures ouvertes au public explicitement de ce
classement, eu égard aux « particularités de ce type d’implantation (hauteur de la
construction, superposition à d’autres activités, modalités d’engagement des secours,
contraintes en termes de dégagements, etc.) »128. Ce guide ne propose cependant pas de
classement alternatif, qui leur appliquerait des règles dérogatoires. Les espaces ouverts au
public en toiture dépendent donc du régime général des ERP, hors classement spécifique129.

Ces projets seront donc soumis à la réglementation spécifique des ERP. Leur
installation sera conditionnée par une autorisation spéciale130, délivrée par le maire ou par

124
Art. R. 123-2 du code de la construction et de l’habitation (CCH)
125
Le bâtiment est par exemple défini comme une construction « couverte et close » (CE, 20 mars 2013,
n°350209), ce qui ne sera évidemment pas ici le cas. Le terme le plus proche de la situation des espaces sur
toitures pourrait être celui d’enceinte.
126
Les catégories sont fixées par le règlement de sécurité pris par le ministre de l’intérieur en application de l’art
R123-12 CCH. Ce règlement se trouve dans l’arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions
générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du
public (ERP).
127
Reproduit en annexe (Annexe 1, p. 56)
128
Guide de préconisation toiture terrasse du 14 février 2017 version 1.5, vol. (Préfecture de police de la ville de
Paris, Direction des transports et de la Protection du Public, févr 2017) p.4.
129
Art. R. 123-20 CCH.
130
Art. L. 111-8-3 CCH.
39
dérogation le préfet lorsque le projet concerne un immeuble de grande hauteur 131. Le dossier
de demande d’autorisation contient des informations sur les dispositions de sécurité de
l’installation et notamment à l’égard du risque incendie132. Il est examiné par une commission
de sécurité spécifique, qui se prononce sur les dispositifs prévus. A l’achèvement des travaux,
une seconde autorisation est nécessaire pour permettre l’ouverture au public.

Après cette ouverture, le projet peut faire l’objet d’un contrôle par cette même
commission de sécurité, sur demande du maire ou du préfet, ou du propriétaire. L’inspection
portera sur le respect des normes de sécurité imposées au projet. A cet égard, les espaces
publics sur toiture ne font pas encore l’objet d’une mention dans la règlementation des ERP.
En revanche, le guide produit par la préfecture de police de la ville de Paris comprend une
liste exhaustive de « recommandations » spécifiques pour les toitures terrasses « ouverte[s] au
public (serre pédagogique, jardin public, etc.) »133. La question de la valeur normative de ces
recommandations peut être soulevée, et il s’agit ici de remarquer qu’elles ont été produites
avec l’aval de la délégation permanente de la commission de sécurité (DPCS) de la ville de
Paris. Il parait donc fort probable qu’elles seront suivies par la commission de sécurité dans
l’examen des demandes d’autorisation, au moins pour la ville de Paris. Ces recommandations
peuvent donc avoir la même valeur normative que l’avis de la commission elle-même, qui
peut varier en fonction du classement de l’établissement concerné. Or, le droit positif ne
propose pour l’instant pas de catégorie adaptée aux espaces publics en toiture, si l’on écarte -
en accord avec les recommandations- celle des établissements de plein air. La prudence et la
recherche de la sécurité juridique imposeront donc au porteur de projet de se référer aux
normes de sécurité proposées par ce document. Elles font en effet figure de référence en
l’absence de réglementation spécifique.

Le statut d’ERP entraine la compétence de la commission de sécurité pour effectuer


des contrôles de l’installation, mais il s’agit de s’interroger si ce contrôle ne peut aller plus
loin, et s’il ne justifie pas l’intervention de l’autorité de police, en vertu du caractère public de
ces espaces.

131
Art. R. 111-19-13 CCH.
132
Art. R*111-19-29 CCH
133
Guide de préconisation toiture terrasse du 14 février 2017 version 1.5, préc. (Annexe 1, p. 56), p.4.
40
Les polices relatives aux espaces publics sur toit

Les ERP sont donc encadrés par des contraintes quant à leurs aménagements, les
procédures applicables à leur ouverture ou leur modification. Ces réglementations relèvent de
la police spéciale des ERP, dont le maire134 dispose de la compétence135. Il organise le
contrôle du respect des exigences de sécurité et d’accessibilité, mais peut aussi aménager
celles-ci et déclarer la fermeture des ERP qui ne les satisfont pas136. Cependant, au-delà de
cette police spéciale, le maire dispose de pouvoirs de police générale, qui n’ont pas ici à être
écartés137. En effet, l’accès du public sur la toiture crée un nouvel espace public. A ce titre, le
maire doit prévenir les atteintes aux composantes de l’ordre public : sécurité, tranquillité et
salubrité publiques. L’ouverture des ERP aux personnes justifie la poursuite de ces objectifs
et l’application des compétences de police générale du maire138.

L’articulation de cette police générale avec la police spéciale des ERP, si elle ne pose
pas de question sur l’identité de l’autorité compétente (le maire), n’est pas non plus sans
difficultés. En effet, la police spéciale est assortie de garanties procédurales, dont notamment
la consultation de la commission de sécurité. Le Conseil d’Etat a donc été appelé à clarifier
cette combinaison139. S’il a accepté l’intervention de la police générale pour prononcer la
fermeture d’un ERP « qui faisait courir un danger immédiat à d'éventuels occupants ainsi
qu'aux passants »140, il a conditionné cette solution au critère de l’urgence (« immédiat »). Les
mesures de police générale ne peuvent donc pas avoir « pour objet ou pour effet de ne pas
respecter la procédure prévue par la police spéciale »141.

134
Ou par dérogation réglementaire, le préfet.
135
Voir en ce sens : CE 17 juin 1953, Ville de Rueil-Malmaison, Lebon, p.295.
136
Art. L. 123-4 CCH.
137
Roland Vandermeeren, « Police des établissements recevant du public » Répertoire de la responsabilité de la
puissance publique. Avril 2017 paragr. 620.
138
Ce qui n’est pas sans rappeler, par ailleurs la situation des traboules (Cognat, préc. p.80).
139
Pierre Bon, « Police des activités et lieux susceptibles d’être dangereux » Encyclopédie des collectivités
locales. folio°2523, mars 2006 paragr. 156.
140
CE 5 avril 1996, SARL Le club olympique et Marcu, Lebon, tables, p.1054, tel que cité par P. Bon, préc.
141
P. Bon, « Police des activités et lieux susceptibles d’être dangereux », préc. p.156.
41
Une question reste cependant en suspens, qui est celle de la compatibilité entre les
polices qui organisent et encadrent le fonctionnement de l’espace ouvert au public en toiture,
et le statut privé -lorsque c’est le cas- de l’immeuble qui le supporte. En effet, il apparait fort
probable qu’afin d’assurer la sécurité de l’ERP, l’autorité de police doive réglementer des
parties de l’immeuble au-delà du périmètre de celui-ci : on pensera aux accès, aux
installations de sécurité en cas d’évacuation, etc. Pour des situations similaires, le Conseil
d’Etat a estimé que le maire pouvait exercer ses compétences de police : il a ainsi pu par
exemple réglementer le stationnement dans une cour intérieure privée afin de préserver une
issue d’évacuation d’un ERP142. Le statut privé de l’immeuble ne fait donc a priori pas
obstacle aux pouvoirs de police du maire.

La création d’un espace ouvert au public sur le toit n’est pas une hypothèse qui relève
de la science-fiction, en témoigne la publication de la préfecture de police de la ville de Paris
qui s’est saisie de la question. Ces projets sont possibles dans l’état du droit actuel -à
condition de faire preuve d’esprit d’innovation- et par ailleurs plusieurs exemples ont déjà vu
le jour. Ils témoignent de certaines évolutions dans les rapports entre public et privé, à travers
la contractualisation de l’action publique ou l’ouverture au public d’espaces privés dans
l’esprit des biens communs.

S’il faut saluer l’attitude volontariste de quelques collectivités qui ont permis à ces
exemples de voir le jour malgré un cadre juridique incertain, il faut aussi chercher à faire
évoluer le droit positif pour intégrer ces possibilités. La mise en valeur des espaces offerts par
les toitures en ville représente en effet un défi important, qui peut pallier au manque d’espace
au sol disponible pour les infrastructures publiques, mais aussi pour la biodiversité.

142
CE 21 juillet 1995, Époux Baverez, publié au Lebon, tables, p. 942 (tel que cité par P. Bon, préc.).
42
Section 2. Une mise en valeur au service de la biodiversité en
ville

La canopée urbaine est encore un espace peu connu par le droit de l’urbanisme. Elle
nécessite pourtant d’être abordée comme telle et d’être mise en valeur. Pour ce faire il faut
dépasser le cadre actuel, qui l’envisage rarement, et de manière hétérogène. La canopée
urbaine doit faire l’usage d’une véritable planification au niveau communal (§1). Dans cette
perspective, les toits végétalisés ont un rôle majeur à jouer pour la biodiversité en ville. Ils
peuvent contribuer à sa promotion, en figurant des nouveaux espaces biodiversifiés (§2).

§1. L’intégration de la canopée urbaine dans le droit de


l’urbanisme pour la promotion de la biodiversité

Si la faisabilité des projets de végétalisation des toitures a été envisagé dans nos
développements précédents, le droit de l’urbanisme a été encore peu abordé. De fait, les
toitures végétalisées sont encore rarement saisies par le droit de l’urbanisme. Il représente
rarement un frein, mais n’encourage pas non plus ces projets (A). La canopée urbaine mérite
cependant d’être intégré dans la planification, notamment au regard de son potentiel pour la
biodiversité en ville (B).

Un contexte juridique encore indifférent à la végétalisation des


toitures

La végétalisation de la toiture d’un bâtiment, si elle ne peut se faire en désaccord avec


le cadre juridique du toit, ne peut pas non plus ignorer les normes de l’urbanisme. En effet il
s’agit notamment de remarquer que ces travaux font l’objet d’une déclaration préalable auprès
de l’autorité d’urbanisme, dès lors qu’ils constituent une modification de l’aspect extérieur du

43
bâtiment143. A ce titre ils peuvent donc être refusés, s’ils sont contraires aux documents
d’urbanisme notamment.

Ainsi nous avons observé les obstacles qui peuvent se poser pour de tels projets eu
égard au toit lui-même, mais nous ne l’avons pas encore replacé dans une perspective
urbanistique. Cette chronologie peut sembler étrange, mais elle est en vérité à l’image du droit
de l’urbanisme pour les toits : sans grande influence. Ainsi, il est évident qu’un tel
aménagement ne peut se faire en opposition aux règles d’urbanisme en vigueur, mais en
pratique le droit de l’urbanisme s’est très peu saisi de cette question. Il est donc a priori d’une
faible influence sur la faisabilité du projet. Cet a priori doit être nuancé avec une extrême
prudence, car si le droit de l’urbanisme ne limite en apparence pas l’option de la
végétalisation, celle-ci est tout de même soumise, dans les zones concernées, à des restrictions
au titre du droit du patrimoine, qui s’imposent aux autorités d’urbanisme. Ainsi en est-il de
l’avis des architectes des bâtiments de France (ABF) 144.Ceux-ci sont appelés à se prononcer
pour toutes les autorisations d’urbanisme qui concernent un immeuble protégé au titre des
monuments historiques ou un immeuble dans son abord, ou situé dans une zone de protection
du patrimoine145. Ces périmètres ont évolué depuis leur création146 et sont aujourd’hui
regroupés sous l’appellation de sites patrimoniaux remarquables147. L’examen du projet par
les ABF est source d’incertitude, car son issue dépend de nombreux paramètres dont certains
sont très subjectifs148, et les travaux ne pourront se faire qu’avec leur accord149. Le sens de la
décision est cependant plus prévisible dans le cadre des sites patrimoniaux remarquables, car
l’ABF se référera aux plans spécifiques à ces zones (plan de sauvegarde et de mise en valeur
ou plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine), et il s’agira de consulter ces
documents pour pouvoir juger de l’accueil des projets par celui-ci. Cet avis dépend aussi très

143
Art. R. 421-17 CU.
144
Philippe Juen, « L’architecte des bâtiments de France : entre conservation du patrimoine architectural et
sauvegarde de l'environnement » AJDA. (2011), p. 1557.
145
Art. L. 632-2.-I du code du patrimoine (CP).
146
Auparavant, ils regroupaient les secteurs sauvegardés, les zones de protection du patrimoine architectural,
urbain et paysager (ZPPAUP) et les aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP).
147
Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (JORF
n°0158 du 8 juillet 2016, texte n° 1).
148
Et particulièrement pour les immeubles protégés au titre des monuments historiques, pour lesquels les ABF
rendent leur décision de manière discrétionnaire (Art. L. 632-2-I CP).
149
Qui peut être tacite dans le silence de l’ABF (Art. L. 632-2.-I CP).
44
largement du contexte architectural de la zone150. Il faut tout de même remarquer une
dynamique favorable aux projets en lien avec une démarche de développement durable depuis
la loi dite Grenelle II151, qui met en place les AVAP. Ces zones intégraient une démarche de
« mise en valeur »152, alors qu’avant, c’était la « protection » qui dirigeait les décisions des
ABF. Ceux-ci doivent donc prendre en compte ces considérations lorsqu’ils rendent leur avis.
On remarque néanmoins que la balance penche dans le sens de la protection du patrimoine, ce
qui peut présenter un obstacle pour les toits végétalisés153.

Certaines réglementations ponctuelles peuvent encourager la végétalisation, à


l’exemple de l’article L. 152-5 du code de l’urbanisme (CU)154 qui permet de « déroger aux
règles des plans locaux d'urbanisme relatives à l'emprise au sol, à la hauteur, à l'implantation
et à l'aspect extérieur des constructions ». Il faut aussi relever l’article R. 152-7 (CU) qui
autorise « la mise en œuvre d'une isolation par surélévation des toitures des constructions
existantes » jusqu’à 30 cm. Les procédés de végétalisation peuvent bénéficier de ces
dispositions, par leur fonction d’isolation thermique. Enfin, il faut remarquer l’innovation
apportée par la loi du 8 aout 2016 dite « loi biodiversité »155 à l’article L. 111-19 (CU) qui
impose aux projets de bâtiments de commerces visés par l’article L. 752-1 du code du
commerce qui d’intégrer en toiture parmi d’autres solutions « un système de végétalisation ».

Pour le reste, les toitures dans le droit de l’urbanisme sont peu abordées par l’angle
des solutions techniques. La réglementation n’empêche pas les projets de végétalisation mais
elle ne les encourage pas non plus, ou de manière assez ponctuelle et sans les distinguer
d’autres solutions d’isolation thermique. La canopée urbaine mériterait cependant d’être
intégrée dans une démarche de planification, notamment à l’égard du potentiel qu’elle
représente pour la biodiversité en ville.

150
Ainsi, à Lyon, l’AVAP du quartier des pentes de la Croix Rousse a identifié des caractéristiques
architecturales très précises des toitures, ce qui conditionnera très fortement les types de projets acceptés par les
ABF.
151
loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement (JORF n°0160 du 13
juillet 2010 p. 12905)
152
P. Juen, « L’architecte des bâtiments de France », préc.
153
TA Grenoble 2 juill. 2009, Monti, req. n° 0805029, Envir. 2009, comm. 102, note I. Michallet, tel que cité par
P. Juen (préc.).
154
Tel que modifié par la loi n°2016-925 du 7 juillet 2016, art. 105.
155
Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages
45
La planification de la mise en valeur de la canopée urbaine

La notion de canopée urbaine invite à repenser les toits dans une vision d’ensemble, à
l’échelle de la ville. Dans cette perspective les toits végétalisés représentent un nouvel espace
de nature, désorganisé et appréhendés de manière individuelle. Les projets ponctuels et
hétérogènes créent des ilots de verdure dans la ville. Ils représentent cependant un fort
potentiel pour la promotion de la biodiversité. En effet, la biodiversité d’un écosystème
répond à des dynamiques complexes mais deux mécanismes sont bien identifiés : l’effet de
bordure, et les échanges entre milieux. L’effet de bordure se produit en marge des
écosystèmes, sur les « bords » ou les lisières, comme par exemple les limites des espaces verts
avec le trottoir. Ces zones « frontalières » sont défavorables à la biodiversité, qui prospère au
cœur des écosystèmes. Les espaces les plus petits, fragmentés ou traversés par des lisières,
seront donc les plus impactés156. Les échanges entre milieux permettent de compenser cette
fragmentation, en permettant à des espèces d’autres écosystèmes de revenir coloniser157.

Ces mécanismes sont à l’origine de la logique des continuités écologiques. Celles-ci


sont des réseaux qui sont créés, préservés ou restaurés entre des écosystèmes existants (jardins
publics, zones humides, bassins, etc.). Elles visent à améliorer la biodiversité de ces milieux
interconnectés. Le droit de l’urbanisme cherche à identifier ces continuités à l’aide des trames
vertes et bleues158. Celles-ci sont définies par le schéma régional de cohérence écologique
(SRCE), qui s’impose aux documents d’urbanisme dans un rapport de prise en compte.

La mise en place de ces trames vertes et bleues en ville nécessite des espaces continus,
ce qui peut représenter une difficulté159. Les toitures végétalisées peuvent cependant
contribuer à ces continuités écologiques160, en établissant des connexions en « pas japonais ».

156
Voir par exemple : Cristina Banks-Leite et Robert M Ewers, « Ecosystem Boundaries » in Encyclopedia of
Life Sciences. Ed. John Wiley & Sons, Ltd, vol. (Chichester, UK: John Wiley & Sons, Ltd, 2009).
157
Lenore Fahrig et Gray Merriam, “Conservation of Fragmented Population” Conservation Biology, Vol. 8, n°.
1 (Mar. 1994), p. 50-59
158
Art. L. 371-1 du code de l’environnement
159
Mireille Jourget, « Les continuités écologiques urbaines, pour vivre la ville en vert et bleu » (Direction
départementale des territoires et de la mer de l’Hérault, janv. 2015).
160
Observatoire Départemental de la Biodiversité Urbaine de la Seine-Saint-Denis, « Réaliser des toitures
végétalisées favorables à la biodiversité », oct. 2011.
46
Toutes les toitures ne sont cependant pas égales en termes de biodiversité, et les études
suggèrent que la hauteur du bâtiment a une forte influence sur son écosystème161.

Il apparait donc qu’une vision systémique et unifiée est nécessaire pour permettre la
mise en place de la trame verte en mobilisant la canopée urbaine. Seule une planification qui
prend en compte le potentiel des toitures et l’ensemble du dispositif peut disposer du recul
nécessaire au bon déploiement de la « cohérence écologique ». Elle ne peut cependant y
arriver seule, et devra disposer d’outils juridiques efficaces pour promouvoir cette démarche.

§2. La recherche d’outils juridiques adaptés à la


promotion de la biodiversité sur les toits

La promotion de la biodiversité sur la canopée urbaine peut se faire à l’aide d’outils


existants et encore peu courants, comme le coefficient de biotope par surface (A), mais il est
possible d’imaginer d’autres instruments prospectifs (B).

Le coefficient de biotope par surface

Le coefficient de biotope par surface (CBS) est un instrument inventé par la ville de
Berlin162 et intégré depuis la loi du 24 mars 2014 dite loi ALUR 163
dans le droit français164.
Cet outil cherche à imposer la présence sur chaque construction de surfaces favorables à la
biodiversité, tout en privilégiant les solutions en fonction de leur valeur réelle pour les
écosystèmes. Ainsi les choix techniques sont pondérés par un coefficient qui traduit leur
intérêt en termes de biodiversité. En effet, toutes les surfaces ne se valent pas pour la
biodiversité, et ce système permet de prendre ces différentes valeurs en considération. Cette
notation permet de favoriser les surfaces en pleine terre, les haies, les mares, plutôt que les
murs végétalisés, par exemple, qui sont des écosystèmes plus rigoureux et difficiles à
conquérir par la biodiversité. Les projets devront, en fonction des règlements des documents
d’urbanisme, atteindre un objectif chiffré, le CBS, mais le choix des moyens à mettre en
161
Nicholas S. G. Williams, Jeremy Lundholm, et J. Scott MacIvor, « FORUM: Do green roofs help urban
biodiversity conservation? », Ed. Richard FullerJournal of Applied Ecology. (2014) n°51.6 pp. 1643‑1649.
162
Sénat de la ville de Berlin, « CBS-Coefficient de Biotope par Surface / Département de Berlin », s. d., en
ligne, Internet, 4 juill. 2017. (Annexe 2, p. 61).
163
loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové.
164
Art. L. 123-1-5 CU
47
œuvre pour atteindre cette valeur est laissé à l’initiative des porteurs de projets. Ils peuvent
décider de consacrer une petite surface à un procédé à fort coefficient, ou de « diluer » un
faible coefficient sur une surface qui sera plus large.

Le CBS est calculé selon la formule:

La pondération peut être affinée, afin de diriger les projets en fonction des objectifs
prévus dans la planification. Ainsi elle peut privilégier les espaces végétalisés au sol dans
certaines zones, tandis que dans d’autres elle encouragera les végétalisations de toiture, pour
s’adapter aux morphologies à la fois du bâti et des écosystèmes. Enfin, elle peut être détaillée
à loisir, pour mettre en avant certains choix techniques comme celui de la végétalisation
intensive plutôt qu’extensive sur les toits, qui favorise la reconquête par la biodiversité. Son
application encourage donc certaines formes architecturales, dont le toit végétalisé peut faire
partie, mais aussi certains procédés. Le CBS peut imposer une certaine forme de qualité
environnementale pour les projets de toiture végétalisée en bonifiant des pratiques à valoriser,
comme la réduction de l’arrachage et l’usage de certaines essences végétales.

Le coefficient de biotope par surface présente des intérêts majeurs : il permet


d’orienter les choix techniques, de les moduler par zone, tout en laissant aux porteurs de
projets la liberté de la décision finale. Cela permet d’impliquer les aménageurs et le public
dans la promotion de la biodiversité en leur laissant s’approprier la morphologie et les formes
des écosystèmes.

Le coefficient de biotope est cependant encore peu utilisé depuis que la loi ALUR a
permis de l’inscrire dans les plans locaux d’urbanisme. Il faut probablement mettre cet échec
sur le compte de la technicité de l’outil, qui appelle à une véritable expertise des écosystèmes
locaux pour proposer un coefficient adapté au contexte spécifique à chaque territoire. Par
ailleurs cette technicité en fait aussi un instrument difficile à apprivoiser par les porteurs de
48
projet. Le manque de retour d’expérience en France ne permet donc pas d’apprécier
l’efficacité de cet outil pour la promotion de la biodiversité en ville, et il faut peut-être
chercher d’autres solutions pour atteindre cet objectif.

L’innovation juridique au service de la biodiversité


L’encouragement d’un certain type d’aménagement en toiture appelle le droit de
l’urbanisme à innover et se réinventer car il est avant tout prévu pour réglementer l’usage du
sol. Il faut donc s’interroger sur les outils mis en œuvre dans ce cadre.

Les documents d’urbanisme, afin de préserver des zones de biodiversité, peuvent


identifier des espaces remarquables (espaces verts par exemple165 ). Ce classement limitera les
aménagements et les modifications de manière à préserver ces milieux classés. Il est possible
d’imaginer la transposition de cette réglementation sur les toitures végétalisées afin de
permettre de protéger les écosystèmes qu’elles représentent.

Par ailleurs, le code de l’urbanisme a déjà intégré des contraintes techniques pour les
constructions nouvelles à destination commerciale166, en leur imposant un « système de
végétalisation basé sur un mode cultural […] favorisant la préservation et la reconquête de la
biodiversité ». Il semblerait donc envisageable d’étendre cette exigence architecturale aux
zones les plus stratégiques des trames vertes et bleues.

Il est possible d’incorporer dans le règlement du PLU des dispositions qui imposent
lors de la conception du toit végétalisé un nombre minimum d’essences végétales différentes,
si possible locales, afin de permettre une reconquête rapide par la biodiversité présente dans le
milieu urbain. On peut évoquer par ailleurs des expériences menées à l’international, comme
par exemple le zonage urbain de la ville de Toronto. Celui-ci permet aux particuliers de
déclarer leur jardin sur voirie en zone naturalisée, et le soustraire aux règles strictes
d’entretien et à l’exécution d’office de celui-ci par la ville167. Une telle disposition rappelle les
zones de protection de la biodiversité (parcs et réserves) et ouvre les perspectives à des
règlementations sur ce modèle en milieu urbain.

165
Art. R. 151-43 CU
166
Art. L. 111-19 CU
167
John Ingram et Evergreen (Association), Urban naturalization in Canada: a policy and program guidebook
(Toronto: Evergreen., 2001) p.7.
49
Si les toits végétalisés offrent une opportunité pour la reconquête par la biodiversité, il
faut aussi garder à l’esprit toutes les étapes de leur construction. En effet, ils sont en grande
partie constitués d’éléments organiques, et à ce titre il convient de poser la question de la
source. Les méthodes d’extraction du substrat ou de culture de la couverture par exemple sont
autant d’étapes nécessaires à la construction du toit végétalisé, dont l’impact en termes de
biodiversité n’est pas à négliger. Il faut donc intégrer dans les exigences techniques de la
végétalisation du toit cette réflexion sur la « biodiversité grise »168, ainsi appelée car elle
n’apparait pas dans le bilan environnemental des projets.

Enfin, la biodiversité sur les toitures ne permet pas à elle-seule de rétablir toutes les
continuités écologiques. Une grande partie de la faune, et de la flore ne peut pas se développer
dans ces conditions. Il faut donc, afin de pouvoir créer de véritables continuités, penser leurs
relations à différentes échelles. Il est nécessaire de les mettre en lien avec les continuités qui
sont développées au niveau du sol, et d’anticiper leur interaction. Il faut en effet éviter que les
nouveaux écosystèmes sur toiture deviennent des refuges pour des espèces qui tirent parti de
cet éloignement avec le sol et menacent sa biodiversité. Ces continuités doivent être
envisagées l’une et l’autre en complémentarité entre niveaux, et entre échelles, de la parcelle à
la ville dans son ensemble.

Le droit de l’urbanisme peut donc se saisir du potentiel qu’offrent les toits végétalisés
pour la biodiversité en milieu urbain. Il dispose pour ce faire d’outils existants, mais peut
aussi chercher l’innovation en transposant les instruments dont il dispose pour promouvoir la
biodiversité par la maitrise du sol. Encore une fois, les liens entre la végétation des toits et le
sol apparaissent, et posent de nouveau la question de la similarité entre les deux.

168
Philippe Billet, « Quelques nuances de gris en matière de biodiversité » Énergie - Environnement -
Infrastructures. (mai 2017) n°5, p.3
50
CONCLUSION : DU TOIT A LA CANOPEE URBAINE, APPORTS
DE L’APPROCHE SYSTEMIQUE

L’approche juridique de la végétalisation des toitures sous l’angle de la canopée


permet de mettre en avant des aspects jusqu’alors imprévus. Si le toit est un objet facilement
envisagé, le replacer dans une vision d’ensemble fait apparaitre de nouveaux enjeux.
L’observation à l’échelle du bâtiment laisse apparaitre les nouvelles dynamiques vivantes qui
l’habitent, et les nouvelles fonctions qu’il peut remplir. Placé dans un contexte urbain, le toit
rejoint la canopée, et il s’inscrit dans des enjeux de société, dans un système. Il devient
possible de penser les toits végétalisés comme un réseau.

La végétalisation de la canopée urbaine crée un nouvel espace en ville, et les usages


qui y correspondent. L’observation montre que ces fonctions étaient auparavant remplies par
le sol sur lequel s’élèvent les bâtiments. Tout laisse à penser qu’a été recréé à la cime du
bâtiment le terrain qui a été perdu en implantant l’immeuble. L’élévation du substrat procède
d’une recréation du sol, et le cadre juridique de celui-ci peut être en partie transposé aux toits
végétalisés. Dans les milieux urbains où le foncier est une ressource rare, ce nouveau terrain
en toiture répond à des enjeux importants. Il permet de recréer de la végétation, qui permet de
répondre à des besoins des milieux urbains. Le manque d’espace verts, mais aussi
l’atténuation de l’effet d’ilot de chaleur, l’assainissement de l’air, le rétablissement de la
biodiversité, sont autant de fonctions que peuvent remplir les toits végétalisés, au même titre
que des espaces similaires au sol. Par ailleurs, la multifonctionnalité est aussi ce qui distingue
ces nouveaux espaces, qui sont souvent porteurs de projets qui visent à apporter des réponses
à plusieurs de ces enjeux en même temps. Le droit de l’urbanisme est donc appelé à se saisir
de ces nouveaux terrains en toiture pour les mêmes raisons qu’il réglemente l’aménagement et
l’utilisation du foncier.

Le rapport avec le sol de la canopée urbaine ne s’arrête pas là, et il faut poursuivre
l’approche systémique en gardant la relation entre les deux à l’esprit. En effet, si la
biodiversité peut trouver dans la toiture une continuité « en pas japonais », celle-ci ne
51
convient pas au règne animal et végétal dans son ensemble. Ces continuités, pour mériter leur
qualification, doivent donc se poursuivre autant au sol qu’en toiture, et en harmonie avec
celui-ci. L’approche des trames vertes et bleues doivent prendre en compte cette
complémentarité et les relations entre les écosystèmes des toits et ceux des sols.

La canopée urbaine est appelée à devenir un outil majeur de l’urbanisme, car elle
permet d’envisager de nombreuses fonctions. Si nous avons concentré cette étude sur la
question de la végétalisation, il faut néanmoins constater que le photovoltaïque ou
l’installation d’infrastructures de loisir sont -entre autres- des options d’aménagement tout
aussi valables. En vérité, il faut adapter la fonction de la toiture au regard de nombreux
paramètres, comme sa situation géographique, sa hauteur, son inscription dans un ensemble
cohérent… Ainsi les différents usages que peuvent prendre les toitures devront être pensés en
fonction de ces facteurs, afin d’apporter une véritable mise en valeur du potentiel des toitures.
Cette vision est rendue possible par la planification des usages de la canopée urbaine. Par cet
aspect on peut voir le besoin d’une véritable appropriation de cette question par les autorités
de planification et d’urbanisme, qui sont porteuses des stratégies territoriales d’aménagement.

A bien des titres, les nouveaux usages de la canopée urbaine préfigurent les formes
urbaines de demain, mais aussi les nouvelles pratiques de la ville, où la multifonctionnalité, la
convivialité et la participation du citoyen prennent une place centrale.

52
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55
ANNEXES

Annexe 1 : guide de préconisation de la préfecture de la ville de Paris

56
57
58
59
60
61
62
Annexe 2 :exemple d’une méthode de calcul de coefficient de biotope
par surface

(extrait du site internet du sénat de la ville de Berlin, en ligne le 21/08/2017 :


http://www.berlin.de/senuvk/umwelt/landschaftsplanung/bff/fr/bff_berechnung.shtml)

63
64
Annexe 3 : Jardins sur la gare routière de Lyon Perrache

65
TABLE DES MATIERES

Introduction 4

§1. Du toit minéral au toit végétalisé 4

§2. La Canopée urbaine : éléments de définition en droit d’une notion géographique 6

Chapitre I. L’adaptation du régime juridique du toit à la dynamique du vivant 10

Section 1. Les questions juridiques engendrées par le fonctionnement de la toiture 11

§1. Un fonctionnement de la toiture en opposition avec son statut d’équipement


dissociable inerte 11

A. La qualification d’élément d’équipement dissociable inerte 12

B. Les conséquences de la qualification d’élément d’équipement dissociable inerte


13

§2. La préservation juridique d’un « droit à la lumière » 15

A. Le moyen des troubles anormaux de voisinage 15

B. La protection de l’ensoleillement par l’établissement de servitudes ad hoc 17

Section 2. Définition d’un cadre juridique de la mise en culture du toit végétalisé 20

§1. La diversité des statuts du toit à l’origine d’incertitudes pour le projet 21

A. Le propriétaire privé 21

B. Le propriétaire public 23

§2. Les outils conventionnels au service de la mise en culture 24

A. Le cadre conventionnel de l’usage des toitures 24

B. La transposition des conventions de l’usage du sol 26

Chapitre II. La canopée urbaine : nouvel espace d’investissement pour le droit 29

Section 1. L’ouverture au public, source d’innovation juridique 30

§1. La propriété en question dans la création d’un espace ouvert au public 30

66
A. La conciliation de l’ouverture au public avec la propriété privée 31

B. La mise en accessibilité par la voie de la propriété publique 34

§2. Les règles relatives à l’accès du public 38

A. Le régime des établissements recevant du public 38

B. Les polices relatives aux espaces publics sur toit 41

Section 2. Une mise en valeur au service de la biodiversité en ville 43

§1. L’intégration de la canopée urbaine dans le droit de l’urbanisme pour la promotion


de la biodiversité 43

A. Un contexte juridique encore indifférent à la végétalisation des toitures 43

B. La planification de la mise en valeur de la canopée urbaine 46

§2. La recherche d’outils juridiques adaptés à la promotion de la biodiversité sur les


toits 47

A. Le coefficient de biotope par surface 47

B. L’innovation juridique au service de la biodiversité 49

Conclusion : du toit à la canopée urbaine, apports de l’approche systémique 51

Bibliographie 53

ANNEXES 56

Annexe 1 : guide de préconisation de la préfecture de la ville de Paris 56

Annexe 2 :exemple d’une méthode de calcul de coefficient de biotope par surface 63

Annexe 3 : Jardins sur la gare routière de Lyon Perrache 65

TABLE DES MATIERES 66

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