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Aurenche Olivier. Aurenche Olivier. L’habitat dans le Proche-Orient ancien et actuel : permanences ou convergences ?.
In: Vous avez dit ethnoarchéologue ? Choix d'articles (1972-2007) Lyon : Maison de l'Orient et de la Méditerranée Jean
Pouilloux, 2012. pp. 117-128. (Collection de la Maison de l'Orient méditerranéen. Série archéologique, 47);
http://www.persee.fr/doc/mom_0244-5689_2012_ant_47_1_2181
PERMANENCES OU CONVERGENCES ? *
Le cadre géographique de l’étude est constitué par une série de pays du Proche‑Orient, 378
délimités par leurs frontières actuelles : l’Iran et une partie du Turkménistan soviétique,
l’Iraq, la Turquie orientale, la Syrie, le Liban, Chypre, la Jordanie, Israël, les Territoires
Occupés et une partie de l’Égypte (Sinaï). L’ensemble de ces territoires a été le siège
de ce que l’on a coutume d’appeler la « révolution néolithique », entre le VIIIe et le
IVe millénaire. L’objet de l’étude est de comparer l’habitat rural vernaculaire actuel
de ces régions avec l’habitat néolithique, interprété d’après les vestiges matériels
retrouvés dans les fouilles (Aurenche 1981, complété par Aurenche 1985a et b ;
Aurenche et Calley 1984, 1988).
Dans les deux cas – habitat actuel et habitat néolithique – le nombre « d’échantillons »
pris en compte atteint plusieurs centaines. L’échantillon désigne ici l’unité domestique,
complète ou incomplète, envisagée aussi bien du point de vue des matériaux et des
techniques de construction que du point de vue de la morphologie et du fonctionnement.
L’importance numérique des exemples recueillis permet d’atteindre un niveau de
généralité seul capable de mettre en évidence un certain nombre de règles que l’on
retrouve aujourd’hui d’une extrémité à l’autre des territoires considérés.
On ajoutera que les populations qui, aujourd’hui, produisent et utilisent cet habitat
– il s’agit, dans tous les cas, d’autoconstruction, sans intervention « extérieure » – ont
un mode de vie identique à celui que l’on prête aux populations néolithiques qui ont
occupé les mêmes territoires : ce sont des agriculteurs‑éleveurs, cultivateurs de céréales
(blé, orge, seigle) et de légumineuses (pois, fèves, lentilles) et éleveurs de petit bétail
(moutons et chèvres). Les analyses paléobotaniques et paléozoologiques montrent que
les espèces actuelles sont directement issues des espèces néolithiques, elles‑mêmes
dérivées des espèces sauvages autochtones domestiquées sur place. Si l’on ajoute que le
climat actuel s’est mis en place dès le début de l’époque néolithique, on conviendra que
le cadre de vie de ces populations rurales ne s’est guère modifié avec le temps. Le seul
élément à prendre en compte est une déforestation progressive et irréversible.
380 La représentation statistique des différents procédés est très inégale. Parmi les
murs à structure homogène, terre et pierre se partagent à peu près également les faveurs
des constructeurs. L’environnement immédiat joue évidemment un grand rôle dans ce
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choix. Les murs en bois ou matériaux végétaux sont en revanche très sous‑représentés
dans le Proche‑Orient ancien, à cause des conditions de conservation. Les nombreux
exemples du Proche‑Orient actuel invitent, au contraire, à postuler un usage beaucoup
plus fréquent au Néolithique. Dans le cas des murs en terre, la ligne de partage
entre pisé et briques crues est moins tributaire de l’environnement que de pratiques
culturelles locales. On constate ainsi, à toutes les époques, une faveur plus grande
pour le pisé à l’est du Proche‑Orient (Iraq, Iran) que dans le Levant (Syrie, Liban,
Turquie), où la brique domine (Aurenche 1981, p. 56, 68‑70). Parmi les murs à
structure mixte, les procédés de loin les plus répandus sont l’association de la pierre
pour le soubassement et de la terre par la superstructure. S’il fallait symboliser un
type de mur pour l’ensemble du Proche‑Orient, c’est le mur en briques crues (plus
rarement en pisé, car le procédé se perd) sur soubassement de galets ou de blocs bruts
que l’on devrait choisir. Tel pourrait être l’énoncé d’une première règle.
Les murs à structure hétérogène sont plus difficiles à mettre en évidence sur
les sites, à cause notamment de la mauvaise conservation des éléments végétaux. Il
a été néanmoins possible de reconnaître des procédés aussi complexes que les murs
en briques à chaînage de bois ou même de véritables colombages (Aurenche 1981,
p. 128‑132). Ces techniques sont aujourd’hui assez courantes. Tout se passe donc
comme si l’emploi des mêmes matériaux (pierre, terre et bois) selon des techniques
« traditionnelles » – à l’exclusion de l’emploi du métal, inconnu pour l’outillage à
l’époque néolithique – aboutissait aux mêmes résultats. La question de savoir s’il
s’agit de convergences de techniques – on pourra trouver le nombre de procédés
retenus trop élevé ou trop faible – ou de continuité dans les pratiques culturelles reste
ouverte. On manque, en effet, d’informations sur les techniques pratiquées dans la très
longue période intermédiaire qui sépare le Néolithique de l’époque actuelle, et pendant
laquelle le Proche‑Orient a vu se succéder les civilisations babylonienne, assyrienne,
perse, grecque, romaine, byzantine, islamique, pour ne citer que les principales…
Pour répondre à la question, il faudrait connaître l’impact de ces civilisations, dont
les traces sont surtout perceptibles dans les centres urbains, sur la vie des campagnes,
par exemple dans la steppe syrienne, les vallées du Taurus ou du Zagros, ou sur le
plateau iranien. L’histoire des campagnes, et partant l’histoire de l’habitat rural, dans
le Proche‑Orient aux époques historiques reste à écrire.
382 Si la fouille permet, le plus souvent, de reconnaître le plan au sol d’une construction,
il en va tout autrement des superstructures. L’étude de l’habitat actuel autorise quelques
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Fig. 2 – Maison en pierre à toit plat en terre à Chypre. La porte constitue l’unique ouverture
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Un autre point commun est constitué par le petit nombre d’ouvertures pratiquées
le plus souvent dans un seul mur : une porte, unique, et, le cas échéant, deux orifices
d’aération situés soit au‑dessus de la porte, soit de part et d’autre ( fig. 1 et 2). Le
nombre des orifices d’aération peut augmenter, mais ils sont toujours de petite taille.
Un ou deux orifices (cheminée, orifice de chargement des silos intérieurs, accès au
toit par l’intérieur) peuvent être percés dans le toit. Toutes ces remarques conduisent
à l’énoncé d’une troisième règle selon laquelle l’habitat‑type dans le Proche‑Orient
actuel est la maison rectangulaire à toit plat en terre, pourvue d’un petit nombre
d’ouvertures. Contrairement aux deux précédentes, cette règle ne peut pas être vérifiée à
tout coup par l’archéologie, car elle est tributaire de l’état de conservation de vestiges.
On la propose cependant, car elle dérive directement des deux précédentes.
À partir de la forme ainsi définie, l’habitat proprement dit peut prendre différents
aspects : il peut se limiter à un volume unique, se composer de plusieurs volumes
séparés, situés au même niveau, se composer d’un seul volume, mais subdivisé en
plusieurs sous‑espaces, se composer de plusieurs volumes superposés (étages). Des
combinaisons entre types sont possibles.
Mais dans tous les cas, l’habitat ne se limite pas au volume formé par les murs
et le toit : il utilise, d’une part, l’espace offert par le toit plat (terrasse) et, d’autre part,
un espace de dimensions variables, matérialisé ou non matérialisé par un mur ou une
clôture, situé devant, par rapport à la porte, et autour du volume construit (cour). L’accès
au toit se fait, selon les cas, grâce à des éléments indépendants (échelles) ou intégrés à
la construction (escaliers extérieurs ou intérieurs). Ce constat est assez universel pour
frapper l’ensemble des observateurs. De l’Iran à la Syrie, il permet d’énoncer une
quatrième règle : dans le Proche‑Orient actuel, l’habitat ne se limite pas au volume
intérieur ; il se prolonge par l’usage de la cour et de la terrasse.
Dans le Proche‑Orient, les fonctions de l’habitat peuvent se ramener à trois : abri
des hommes et activités diverses, abri des animaux, stockage de réserves pour les uns
384 et pour les autres. Chacune de ces fonctions trouve sa place dans l’espace domestique
(habitat). Cette place est « marquée » par la présence à la fois d’installations fixes et
d’objets mobiliers, dont la conservation, dans une perspective archéologique, est variable.
Pour s’en tenir aux premières, leur position dans l’espace, associée lors de
l’enquête ethnographique à l’observation de leur mode d’emploi, permet de définir
la ou les fonctions de chaque espace. Foyer et cheminée, par exemple, sont des
indicateurs d’un espace réservé aux hommes (cuisine, chauffage) ; il en est de même
des banquettes, espace de couchage ou de stockage de la literie pendant la journée. Mais
dans d’autres cas, les banquettes peuvent aussi recevoir d’autres denrées à stocker. Il
386 faut alors être attentif à l’association éventuelle de deux ou plusieurs installations :
foyers et banquettes indiquent un espace réservé aux hommes ; banquettes seules
indiquent un espace réservé au stockage.
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Fig. 3 – Plan d’une maison monocellulaire (Liban), abritant l’ensemble des fonctions : abri des
hommes (foyer) ; abri des animaux (étable et mangeoires) : stockage (d’après Liger‑Belair 1970)
A. Pièce d’habitation pour le jour et la nuit ; B. Étable ; C. Chambre à coucher isolée ;
D. Maison voisine ; E. Foyer ; F. Dépôts en deux niveaux ; G. Niche à literie et rangements ;
H. Silos et rangements ; J. Mangeoires
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Dans le cas de l’habitat à pièces multiples séparées, les fonctions sont réparties
dans chacun des espaces qui peuvent, au besoin, se dédoubler. Plusieurs cas se
présentent : développement linéaire (fig. 4a), développement du bâti sur deux côtés, à angle
droit ( fig. 4b), développement du bâti sur trois côtés ( fig. 4c, d, e), développement
du bâti sur quatre côtés.
Chaque état représente d’ailleurs souvent une étape du développement d’un
même habitat. Ces exemples, illustrés en Syrie, se retrouvent en Iraq (Lemarié 1984 ;
Nissen 1968) ou en Iran (Kramer 1982).
Une même fonction peut se trouver représentée dans plusieurs espaces : dissociation
des espaces de vie, de cuisine et de réception (Lemarié 1984) ; dissociation de l’abri
des animaux (gros bétail, petit bétail, nouveau‑nés, etc.) ; dissociation du stockage
(réserves de nourriture pour les hommes, pour les animaux, combustible, etc.). Un
autre élément à prendre en compte est le déplacement saisonnier des fonctions dans
un même habitat : cuisines d’hiver et cuisines d’été (fig. 4) ; couchage à l’intérieur de
la maison en hiver, à l’extérieur (toits‑terrasses ou plates‑formes dans la cour) en été.
Sans pouvoir se réduire à une règle unique, la répétition de ces phénomènes d’une
extrémité à l’autre du Proche‑Orient leur confère un caractère d’universalité.
Dans l’habitat à pièces multiples réunies sous le même toit, on assiste au retour
de l’ensemble des fonctions à l’intérieur. Dans l’exemple turc présenté ( fig. 5), la
pièce centrale (avec la cheminée‑foyer) fait office de pièce de vie ; les autres pièces
servent au couchage (2), au stockage de fourrage (3), à l’abri des animaux, avec les
mangeoires (4), au stockage des denrées alimentaires (5). Cet habitat peut se combiner
avec d’autres pièces isolées, autour de la cour : dans ce cas ce sont les animaux et leurs
réserves de nourriture qui « sortent » de l’espace familial.
Le dernier type est représenté par le développement en hauteur et la construction
d’un étage. Dans ce cas, et avec une grande régularité, observée aussi bien en Iraq
(Kramer 1982) qu’en Turquie (Alpöge 1971), les pièces du haut sont réservées à la vie
des hommes, les pièces du bas à la vie des animaux et au stockage (fig. 6). On ajoutera
à cette sixième règle que la construction d’un étage représente, dans la plupart des cas, 389
un signe de puissance économique et sociale.
Conclusion
Fig. 5 – Plan d’une maison à plusieurs pièces sous le même toit (Turquie) ; la pièce 1 avec le foyer est la pièce de vie ; la pièce 2 est la pièce de
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couchage, avec la literie posée sur une banquette ; la pièce 3 abrite le fourrage pour les animaux ; la pièce 4 est une ancienne étable (mangeoires contre
les murs) ; la pièce 5 sert au stockage de la nourriture (d’après Bazin, Aurenche et Sadler 1989)
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Fig. 6 – Plan d’une maison à deux étages (Iran) ; les pièces du rez‑de‑chaussée servent au stockage et à l’abri des animaux, sauf une pièce d’habitation
à usage saisonnier (hiver) ; les pièces de vie sont à l’étage (d’après Kramer 1982)
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BIBLIOGRAPHIE
Alpöge A. 1971, « Anonymous architecture in the Keban region », Keban Project 1969 activities,
Ankara, p. 135‑138.
Bazin M., Aurenche O. et Sadler S. 1989, « Approche de l’habitat rural turc dans la vallée
moyenne de l’Euphrate », Proceedings of the 2nd International Meeting on Modern
Ottoman Studies and the Turkish Republic, Leyde, p. 47‑60.
Lemarié M. 1984, « Une maison du village de Mussaifna (Bassin d’Eski Mossoul, Iraq).
Préliminaire à une enquête ethnoarchéologique dans la vallée du Tigre au nord‑ouest de
Mossoul », in O. Aurenche (éd.), Nomades et Sédentaires : perspectives ethnoarchéologiques,
Paris, p. 109‑122.
Liger‑Belair J. et C. 1970, « Essai sur une architecture primitive : exemple libanais », Revue
de l’Union Internationale des Architectes 5, p. 2‑26.
Nissen H. J. 1968, « Survey of an abandoned modern village in Southern Iraq », Sumer 24,
p. 107‑114.