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MÉDIAS, POLITIQUE ET HOMOSEXUALITÉ AU CAMEROUN.

RETOUR SUR
LA CONSTRUCTION D'UNE CONTROVERSE

Patrick Awondo

Karthala | « Politique africaine »

2012/2 N° 126 | pages 69 à 85


ISSN 0244-7827
ISBN 9782811107789
DOI 10.3917/polaf.126.0069
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Politique africaine n° 126 - juin 2012
69

Patrick Awondo

Médias, politique et homosexualité


au Cameroun
Retour sur la construction d’une controverse

En publiant des listes de personnalités publiques « présumées homosexuelles » en


2006, une partie de la presse privée camerounaise a fait de l’homosexualité un fait
de discussion publique. À partir de la lecture des principaux journaux ayant commenté
cet événement, l’article questionne la montée en généralité de l’homosexualité en
déplaçant l’analyse des affrontements entre presse privée et État vers les stratégies
de positionnement de certains journaux dans un champ médiatique très discuté.
Il apparaît que la « presse de listes » a instrumentalisé l’homosexualité dans une
« stratégie morale sexuelle » visant à se positionner comme un acteur majeur de
l’espace médiatique contre des journaux historiques en créant une panique sexuelle.
En insistant sur les relations de concurrence entre acteurs de la presse, cet article
présente une tentative originale et inédite pour saisir l’énonciation médiatique de
l’homosexualité autrement que par le postulat de la lutte ouverte avec l’État.

E n janvier 2006, trois organes privés de presse, La Météo, La Nouvelle


Afrique et L’’Anecdote,
e publient des listes de personnalités publiques présumées
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1
homosexuelles . Ces listes concernent prioritairement des hommes et femmes
célèbres pour des faits politiques (ministres et directeurs généraux de sociétés
publiques et parapubliques), artistiques et culturels (musiciens et chanteurs
internationalement reconnus), religieux (évêques et prêtres principalement
catholiques), ou encore sportifs (footballeurs de haut niveau). Cet événement
met l’’homosexualité sur la place publique, non sans renforcer la stigmatisation
de ceux qui en sont soupçonnés2. De fait, prises de court par ces accusations,

1. Une version préliminaire de cet article a été présentée en juin 2010 au séminaire du CEAf-EHESS
dirigé par Michel Agier, Jean-François Bayart, Jean-Pierre Warnier et Béatrice Hibou. Les données
sont issues d’’u n travail de thèse mené à l’’EHESS de 2008 à 2012, soutenu par l’’ANRS et Sidaction.
Nos remerciements à Fred Eboko, à Peter Geshiere et à toute l’’équipe des relecteurs pour leurs
suggestions.
2. L’’homosexualité a souvent été discutée par les médias camerounais dans la rubrique « faits
divers » mais concernait alors des personnes anonymes. La particularité de cet événement média-
tique se situe à la fois dans sa politisation –– car elle est liée aux hommes et femmes de pouvoir ou
aux « privilégiés » dont l’’association à l’’homosexualité permet une montée en généralité du fait
discuté –– et dans son positionnement en Une. Sur ce point, voir P. Awondo, Homosexualité, sida et
constructions politiques. Ethnographie des trajectoires entre le Cameroun et la France, thèse de doctorat
en sociologie, Paris, EHESS, 2012, p. 57.
LE DOSSIER
70 La question homosexuelle et transgenre

certaines des personnalités listées réagissent par des procès contre les
journaux pour tenter de se sortir de ce « lynchage sur tabloïds3 », et obtiennent
la condamnation de quelques directeurs de publication n4. D’’autres personnalités
listées restent silencieuses, craignant d’’ajouter à la polémique et de se voir
davantage éclaboussées par le scandale. En partie attaquées par les trois jour-
naux, les plus hautes sphères de l’’État –– onze ministres et anciennes person-
nalités gurent sur les listes –– s’’indignent par le biais du président de la
République lui-même lors de son traditionnel discours du 10 février marquant
la célébration de la Fête de la jeunesse5. Si le chef de l’’État dénonce le non-
respect de la déontologie de la part des « journaux de listes »6, et relègue la
vie sexuelle à la « sphère privée », les pouvoirs publics qu’’il représente laissent
néanmoins s’’accentuer la répression contre des « cadets sociaux »7 accusés
d’’homosexualité pour tenter de regagner les faveurs de l’’opinion médiatique.
Cette politisation du débat sur l’’homosexualité –– dans le sens où le Cameroun
est quasiment le seul pays d’’Afrique où la critique de ce fait s’’articule à celle
des dirigeants politiques8 –– a donné lieu à plusieurs interprétations. Ludovic
Ladǹ y voit le signe d’’une « homophobie populaire9 ». Pour cet auteur, le débat
orchestré par la presse privée serait une manifestation des « résistances locales
à l’’épreuve de la mondialisation », les « États africains » devant affronter en
même temps les injonctions internationales au respect des minorités sexuelles
et le rejet local de ces injonctions. Ces listes seraient aussi un symbole du
« malaise de la modernité africaine », avec un « fossé entre l’’élite et la populace »
qui provoquerait une « crise de justice sociale ». D’’autres encore y décèlent
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une dimension d’’affrontement au sein de la classe politique, certains membres
de celle-ci usant du stigmate d’’homosexualité pour délégitimer une partie de

3. F. Soudan, « Lynchage sur tabloïds », Jeune Afrique, 12 mars 2006.


4. Sur les procès ayant suivi l’’« affaire des listes », voir S.-C. Abéga, « La presse et l’’État. L’’exemple
des procès sur l’’homosexualité », Terroirs, n° 1-2, 2007, p. 95-112.
5. Sur la chronologie rapide des réactions aux listes, voir le dossier « L’’homosexualité est bonne à
penser » dirigé par Fabien Eboussi Boulaga, Terroirs, n° 1-2, 2007, p. 5-10.
6. Haman Mana interroge cette étrange invention dans les colonnes du quotidien privé Mutations
du 7 mars 2006, sous le titre « Point com’’ : le journalisme de listes ».
7. Sur cette notion, voir J.-F. Bayart, L’’État au Cameroun, Paris, Presses de la Fondation nationale des
sciences politiques, 1979.
8. Une affaire proche avait défrayé la chronique dans la presse ivoirienne en 1998 ; mais c’’était alors
la « pédophilie » qui était mise en avant, une personnalité du gouvernement ivoirien de l’’époque
ayant été accusée avec quelques-uns de ses amis d’’avoir violé un jeune homme. Sur ce point, voir
V.-K. Nguyen, « Uses and Pleasures : Sexual Modernity, HIV/AIDS and Confessional Technologies
in a West African Metropolis », in A. Vincanne et S. Leigh Pigg (dir.), Sex in Development : Science,
Sexuality, and Morality in Global Perspective, Durham, Duke University Press, 2005, p. 245-267.
9. Voir L. Ladǹ, « L’’homophobie populaire au Cameroun », Cahiers d’’études africaines, n° 204, 2011,
p. 921-944.
Politique africaine
71 Médias, politique et homosexualité au Cameroun

leurs adversaires10. Nadine Machikou montre de ce point de vue que « la


fabrique de ce scandale ne peut être comprise en dehors de l’’ambiguïté de la
situation post-autoritaire : comment passe-t-on de l’’ethos de l’’un, marqué par
une relative ““non-compétitionɆ, à une reconnaissance de l’’autre comme
partenaire du jeu politique ?11 ». Pour la politologue, le contexte camerounais
serait « marqué par les effets d’’une gouvernementalité productrice de violence
et de domination » ; se prolerait ainsi à travers l’’homosexualité, « un processus
de fond, [……] celui de la dureté d’’une situation post-autoritaire qui amplie le
poids de la sexualité en tant qu’’occasion permanente de désordre ».
Une telle lecture de la polémique sur l’’homosexualité comme cache-sexe
d’’une situation sociopolitique particulièrement en crise se rapproche du point
de vue de Charles Guéboguo12, ou de celui de Micah King13. Pour ces auteurs,
le procès de l’’homosexualité est en partie instrumentalisé par l’’« opinion
publique » pour protester contre les abus des dominants, c’’est-à-dire à la fois
les dirigeants politiques et l’’« impérialisme occidental ». La cabale anti-homo-
sexuelle agirait à la façon d’’u n « [……] bouc-émissaire comparable au rituel
d’’inversion qui permet au groupe de trouver des objets de substitution vers
lesquels s’’évacuent les conits et les tensions sociales dans un moment où
l’’ascenseur social semble bloqué14 ». Si d’’autres arguments de rejet de cette
orientation sexuelle, comme celui de l’’« inauthenticité [……], c’’est-à-dire son
extériorité à la culture africaine15 » sont évoqués, la plupart des analyses voient
prioritairement dans l’’« affaire des listes » un affrontement par presse inter-
posée entre l’’élite politique et une partie de la population. Pour Fabien Eboussi,
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10. Cette hypothèse est relayée par la rue, qui y a vu une bataille entre prétendants aux postes
ministériels à la veille d’’u n remaniement gouvernemental. Toutefois, avec un remaniement tous
les dix-huit mois en moyenne, il est facile dans ce pays de relier tous les scandales à cet événement
politique finalement trop récurrent pour encore signifier grand-chose. Quant à l’’autre argument,
qui y a vu une manœœuvre possible des homosexuels pour « tester l’’opinion publique », il est remis
en cause par la violence des articles accompagnant les listes. On imagine mal des commanditaires
homosexuels demandant des articles qui en appellent à leur propre « inquisition ».
11. N. Machikou, « La liste des ““homosexuels de la République”” : chronique d’’u ne dépacification
outrancière de la vie politique au Cameroun », 10e congrès de l’’Association française de science
politique, Grenoble, 9 septembre 2009, accessible sur <congresafsp2009.fr>.
12. Voir C. Guéboguo, La Question homosexuelle en Afrique. Le cas du Cameroun, Paris, L’’Harmattan,
2006.
13. M. King, « Homosexuality in Cameroon’’s Public Sphere : Rejecting Homosexuality as Protest
against the Other », Undergraduate Research Digest, t vol. 2, n° 2, 2007, p. 5-14.
14. Voir P. Awondo, « L’’homosexualité dans les représentations sociales camerounaises : esquisse
d’’u ne anthropologie à partir des Beti », Table ronde du « Cercle philo-psycho-socio-anthropo » de
l’’Université de Yaoundé I, avril 2006, accessible sur <semgai.free.fr/doc_et_pdf/Awondo.pdf>,
p. 11.
15. Voir A. Mbembe, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’’Afrique décolonisée, Paris, La Découverte,
2010, p. 215. Voir aussi P. Akana, « Les arguments contre l’’homosexualité », Terroirs, n° 1-2, 2007,
p. 239-252.
LE DOSSIER
72 La question homosexuelle et transgenre

cette pratique de listes a constitué « une occasion favorable pour poser de


graves et décisifs problèmes politiques concernant la légitimité de ceux qui
sont au pouvoir par la manifestation au ““peuple camerounaisɆ de leur indi-
gnité morale16 ». Ainsi, en citant nommément parmi l’’élite nationale les auteurs
présumés d’’une « pratique immorale » du point de vue des représentations
collectives, les journalistes désigneraient les « coupables » de la dérive du pays.
Accuser ces personnes de s’’adonner à une « pratique honteuse17 » reviendrait
à dénoncer publiquement la défaillance d’’hommes de pouvoir suspectés
d’’avoir transgressé la loi dans un contexte où l’’homosexualité est prohibée18.
De la sorte, « c’’est aussi poser la question de leur désignation, des mécanismes
qui ont présidé à leur sélection et hypothéquer leur longévité au poste qui leur
a été coné19 ». Si les ministres et autres directeurs généraux listés sont « cou-
pables » de tels délits, cela questionne l’’État20. Mais en se focalisant autant sur
la dimension apparente d’’affrontement entre la presse et les détenteurs du
pouvoir, l’’analyse élude certaines des autres dynamiques de cet événement.
L’’opposition entre presse privée et milieu politique néglige par exemple les
facteurs liés au monde des médias lui-même, dont les luttes intestines
inuencent de façon déterminante certains choix éditoriaux populistes, qui
à leur tour affectent la vie publique en faisant courir un risque au projet
démocratique.
Pour pallier ce vide analytique, notre réexion insiste sur l’’appréhension
de l’’« affaire des listes » dans une dynamique de compétition entre différents
acteurs de la presse privée21. Cette lecture interne au champ médiatique invite
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à considérer les affrontements entre d’’un côté des journaux historiques (par
exemple Le Messager, r La Nouvelle Expression, ou Mutations22), et de l’’autre des

16. F. Eboussi, « L’’homosexualité au Cameroun. Problème politique ? », Terroirs, n° 1-2, 2007, p. 6.


17. La Météo, n° 99, 11 janvier 2006.
18. L’’article 347 bis du Code pénal camerounais punit d’’u ne peine d’’emprisonnement de 6 mois à
5 ans et d’’u ne amende de 20 000 à 200 000 francs CFA (environ 30 à 300 euros) toute personne qui
a des rapports sexuels avec une personne de son sexe ; mais cet article n’’est pas le seul évoqué pour
les arrestations d’’homosexuels présumés depuis 2005. L’’« outrage à la pudeur » (art. 346) est éga-
lement mis à contribution par les agents de la répression. Sur ce point, voir Human Rights Watch,
Alternatives-Cameroun et Adefho, Criminalisation des identités sexuelles, atteintes aux droits humains
au Cameroun fondées sur l’’orientation sexuelle et l’’identité de genre, New York, Human Rights Watch,
mai 2010.
19. S.-C. Abéga, « La presse et l’’État…… », art. cité, p. 96.
20. Il faut néanmoins observer que le fait de figurer sur une liste n’’a aucune incidence sur la fonc-
tion politique, dans la mesure où c’’est le chef de l’’État qui décide en dernier ressort. Aucune des
personnes listées n’’a ainsi officiellement perdu son poste pour ce motif.
21. Sur les fractures du monde journalistique au Cameroun, voir T. Atenga, « Pius Njawé (1957-2010) :
portrait posthume d’’u n journaliste de combat », Politique africaine, n° 119, octobre 2010, p. 207-215.
22. Ce sont là trois des quotidiens privés les plus réguliers depuis le tournant des années 1990 qui
a vu la libéralisation de la presse. Leur dimension historique tient au fait qu’’ils ont pour certains
participé à la revendication et à la mise en place du pluralisme politique et à l’’ouverture de l’’espace
Politique africaine
73 Médias, politique et homosexualité au Cameroun

titres plus instables et souvent récents, dont La Météo, o La Nouvelle Afrique et


L’’Anecdote23. Les premiers usent de stratégies d’’alliances avec l’’opposition
politique, d’’attaques de la vie privée et de procédés de dé-légitimation de toute
nature contre les hommes de pouvoir depuis une période qui précède parfois
les années 1990 dites de « démocratisation » et de libéralisation de la presse
(cas du Messager particulièrement)24. Les seconds –– souvent dénoncés par les
premiers comme n’’étant pas sufsamment critiques vis-à-vis du pouvoir et
comme en étant parfois proches –– se réapproprient les « stratégies morales
sexuelles25 » adoptées par l’’Église catholique26, c’’est-à-dire des discours sur
la morale sexuelle à des ns de légitimation dans l’’espace public, dans une
double optique : d’’une part, pour montrer qu’’ils sont capables de dénoncer
des hommes de pouvoir et ainsi contester le monopole des acteurs historiques
de la presse privée comme détracteurs du politique ; d’’autre part, pour faire
un coup communicationnel permettant de rallier une partie de l’’opinion
publique qui se reconnaîtrait dans le relais des rumeurs d’’homosexualité des
puissants du pays. Une telle lecture implique de considérer deux faits majeurs
éclairant ce champ médiatique et, au-delà, le statut de l’’homosexualité dans
la société camerounaise. Tout d’’abord, la pratique journalistique, telle qu’’elle
s’’est illustrée à travers les trois journaux ayant publié des listes, est marquée
par la centralité de la rumeur, dont les articles constituent en réalité une

public à des degrés divers –– en particulier Le Messager, r créé en 1979 et quotidien depuis 1998, et
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Mutations, quotidien créé en 1996. Voir T. Atenga, Contrôle de la parole et conservation du pouvoir.
Analyse de la répression de la presse écrite au Cameroun et au Gabon depuis 1990, 0 thèse de doctorat de
science politique, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2004. Sur la question du « champ média-
tique » et de ses multiples logiques, dont celle de concurrence, voir P. Bourdieu, « L’’emprise du
journalisme », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 101-102, 1994, p. 3-9.
23. Il faut remarquer par exemple que La Météo n’’en était même pas encore à sa centième publication ;
c’’est le n° 99 du 11 janvier 2006 qui lança l’’« affaire des listes ». L’’Anecdote en était au 24 janvier 2006
à son n° 254. Enfin, La Nouvelle Afrique ne comptait que 166 publications au 26 février 2006. À titre
comparatif, Le Messager du lundi 13 février 2006 constituait le n° 2063, tandis que Mutations en était
au n° 1585 au 6 février 2006.
24. Voir V. Nga Ndongo, Les Médias au Cameroun. Mythes et délires d’’une société en crise, Paris,
L’’Harmattan, 1993 ; T. Atenga, « La presse privée et le pouvoir au Cameroun : quinze ans de cohabi-
tation houleuse », Politique africaine, n° 97, mars 2005, p. 33-48.
25. S. Wieringa, « Postcolonial Amnesia : Sexual Moral Panics, Memory, and Imperial Power », in
G. Herdt (dir.), Moral Panics, Sex Panics. Fear and the Fight over Sexual Rights, New York, NYU Press,
2009, p. 205-233.
26. Il faut rappeler que les listes d’’homosexuels ont été précédées par les propos de l’’archevêque
de Yaoundé, qui avait stigmatisé une homosexualité devenue « un passe-droit » pour l’’accès aux
emplois dans l’’administration camerounaise, lors de son homélie du 25 décembre 2005. Sur cette
dimension d’’interactions entre différents acteurs moraux dont les acteurs religieux, les médias et
les jeunes autour de l’’homosexualité, voir P. Awondo, « The Politicisation of Sexuality and the Rise
of Homosexual Mobilisation in Postcolonial Cameroon », Review of African Political Economy, y vol. 37,
n° 125, 2010, p. 315-328.
LE DOSSIER
74 La question homosexuelle et transgenre

médiation scripturale27. Ensuite, l’’homosexualité sur laquelle existe socia-


lement un discours moral sert de catalyseur de l’’attention des potentiels
lecteurs non pas simplement contre l’’État comme cela apparaît au premier
abord, mais aussi et surtout dans le jeu de positionnement des « petits
journaux » dans l’’espace médiatique privé.
En usant ainsi de « stratégies morales sexuelles », cette partie de la presse
privée permet de lier l’’homosexualité à d’’autres thèmes souvent instrumen-
talisées par des acteurs en quête de leadership dans l’’espace public28. De telles
stratégies rejoignent une « ligne de convergence » du discours moral29. Il s’’agit
donc moins d’’attaquer l’’État30 que de contester l’’hégémonie et le monopole
des acteurs historiques de la presse privée à dire ce qui est perçu localement
comme « vrai ». Cette hypothèse invite à examiner trois faits marquants de cette
polémique : l’’affrontement ouvert entre les journaux privés autour de l’’homo-
sexualité ; l’’absence des médias ofciels de cette dispute (au-delà de l’’argument
de leur lien avec l’’État) ; enn, le relais, notamment en France, de l’’« affaire
des listes », qui permet de lire cet affrontement entre acteurs médiatiques à
une échelle internationale.

Figures de l’affrontement entre presse privée historique


et « journaux de listes »

Analyser le dialogue entre différents acteurs de la presse privée mais aussi


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les silences et non-dits de la presse ofcielle offre une porte d’’entrée pertinente
pour comprendre ce qui se joue dans les publications sur l’’homosexualité.
Cette hypothèse de la bataille dans le champ médiatique permet en outre de
saisir les effets que cette pratique journalistique a eus sur la vie des citoyens
stigmatisés comme sur la reconguration de l’’espace public.
De ce point de vue, les listes d’’« homosexuels de la République », selon la
formule localement consacrée pour les désigner, ont contribué à rendre
célèbres des journaux jusque-là très peu connus. Les listes ont par exemple

27. Sur ce point, voir F. Nyamnjoh, Africa’’s Media. Democracy and the Politics of Belonging, Londres,
Zed Books, 2005 ; M. Tjade Eone, Démobilisation, libéralisation et liberté de communication au Cameroun :
avancées et reculades, Paris, l’’Harmattan, 2001.
28. Saskia Wieringa identifie quelques catégories et thématiques (classes sociales, subordination
des femmes, hétéro-normativité) instrumentalisées dans les stratégies morales des acteurs en quête
de leadership dans certains contextes postcoloniaux. Au Cameroun, on pourrait y ajouter la cor-
ruption et, désormais, l’’homosexualité. Voir S. Wieringa, « Postcolonial Amnesia…… », art. cité, p. 206.
29. Ibid.
30. D’’ailleurs, l’’État n’’est pas la seule cible des listes : des religieux aux sportifs de haut niveau en
passant par des artistes internationalement reconnus ou des universitaires, tous les « privilégiés »
y figurent.
Politique africaine
75 Médias, politique et homosexualité au Cameroun

servi au journal L’’Anecdote à s’’imposer comme un acteur majeur du monde


médiatique, passant du statut de périodique à la parution incertaine à l’’époque
des listes à celui de bi-hebdomadaire désormais stable. Modeste locataire
d’’un appartement d’’un quartier résidentiel en 2006, le « Groupe L’’Anecdote »
voit aujourd’’hui son label trôner au sommet d’’u n luxueux et très récent
immeuble dans un quartier du sud de la ville de Yaoundé, abritant aussi une
chaîne de télévision (Vision 4) faisant partie du groupe. Même si le tirage
moyen de L’’Anecdote reste de 5 000 exemplaires, et qu’’il n’’a plus réédité l’’exploit
des fameux 20 000 exemplaires qu’’il aurait atteint avec la liste dite « Top 50
des homosexuels de la République », sa régularité peut être reliée à ces listes.
De plus, avec 5 000 exemplaires, L’’Anecdote rejoint les tirages des trois ténors
que sont Le Messager,r La Nouvelle Expression ett Mutations, qui depuis le tournant
des années 2000 peinent à vendre au-delà de ce chiffre. Pour autant, l’’inuence
du bi-hebdomadaire, contrairement à celles des trois derniers, reste cantonnée
à la ville de Yaoundé.
En 2006, au cœœur de l’’« affaire des listes », le directeur de publication de ce
journal réfute pourtant toute implication et visée commerciale à son action ;
il récuse aussi la thèse qui y voit une manœœuvre pour faire chanter des per-
sonnalités publiques et leur extorquer de l’’argent sous peine de « lynchage
sur tabloïds31 ». Face à la rapidité d’’expansion de son groupe de presse en à
peine quatre ans, rien n’’empêche toutefois de poser la question des buts
recherchés par cette publication. Cette ascension soudaine le dédouane égale-
ment très peu des soupçons de certains de ses confrères quant aux accointances
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cachées du journal avec une partie des personnalités proches du pouvoir.
Edmond Kamguia du quotidien La Nouvelle Expression s’’interroge ainsi en 2006 :

« Et si les ““chiens des ministres””, transformés en ““chiens de garde””, s’’étaient tout simplement
retournés contre leurs maîtres pour des raisons qu’’eux seuls maîtrisent ? Cette presse qui
dénude pour l’’essentiel les hommes et femmes appartenant aux cercles du pouvoir semble
savoir de quoi elle parle. Hier adulée et grassement payée pour services rendus aux pontes
du régime, elle se déchaîne aujourd’’hui et fait peur. Les patrons de L’’Anecdote, e de La Météo
et de Nouvelle Afrique ne sont plus en odeur de sainteté auprès de ceux-là mêmes qui ont
facilité leur insertion dans la profession pour les besoins de la cause. [……] Ils n’’osent pas
avouer leurs amours et connivences contre la vraie presse privée qui examine de manière
critique cette diffusion des orgies de la République32 ».

31. Sur le chantage fait à des personnalités de premier rang, lire l’’a nalyse de François Soudan,
« Lynchage sur tabloïds », Jeune Afrique, 13 mars 2006.
32. E. Kamguia K., « Paradoxe : quand le chien mord son maître », La Nouvelle Expression, 1err février 2006.
LE DOSSIER
76 La question homosexuelle et transgenre

Le sens d’’une telle attaque semble clair. Elle soulève la question des diver-
gences entre acteurs de la presse privée dans certains contextes africains après
la pluralisation des médias. D’’un côté, se situeraient des journaux dits « proches
du pouvoir », soupçonnés d’’être nancés par des personnalités du régime en
place pour limiter la capacité de nuisance de la presse « libre ». De l’’autre, des
médias se voulant au service de la liberté et de la vérité mais souvent liés à
l’’opposition33. Pour autant, la perméabilité de la frontière entre « presse
d’’opposition » et presse dite proche du pouvoir ne semble pas si évidente que
ce que tente de démontrer le journaliste de La Nouvelle Expression. Certes, le
fondateur de L’’Anecdote est un membre suppléant de l’’organe directeur du parti
au pouvoir –– justiant de fait les propos d’’Edmond Kamguia ––, mais le tort
ou, à tout le moins, l’’embarras provoqué par la publication de listes d’’homo-
sexuels présumés proches du pouvoir invite surtout à souligner l’’ambiguïté
de telles publications. Au Cameroun, cette situation de tensions entre presse
supposée proche du pouvoir et journaux dits d’’opposition est rendue histo-
riquement plus complexe par le rôle majeur joué par la gure centrale de Pius
Njawé, leader du quotidien Le Messager. r Devenu directeur de publication après
avoir été crieur dans les années 1970, il a acquis une notoriété qui a contribué
à façonner l’’imaginaire du journalisme, en renforçant les oppositions entre,
d’’une part, des professionnels sortis de l’’école de journalisme et se mettant
notamment au service de l’’État au sein du quotidien public Cameroon Tribune
et, d’’autre part, des journalistes « sans diplôme » inspirés par la trajectoire de
self-made-man de Njawé. Même si une telle division s’’est vue considérablement
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nuancée avec la création de Mutations en 199634, elle continue d’’opérer dans
les imaginaires de la profession. Elle est particulièrement présente lors des
événements de 2006, qui révèlent la fracture du monde journalistique avec
cependant une mutation signicative : c’’est désormais la presse privée his-
torique qui revendique le professionnalisme face aux nouveaux venus.
De fait, trois tendances dans le traitement de l’’« affaire des listes » appa-
raissent au cours de cette polémique. La première est celle des trois journaux
contestataires de l’’hégémonie des journaux historiques. Il s’’agit entre autres
de ceux qui ont publié les listes et auxquels on peut associer les « petits titres »

33. Sur ces tendances de « médias au service de », voir M.-S. Frère, « Médias en mutation : de l’’éman-
cipation aux nouvelles contraintes », Politique africaine, n° 97, mars 2005, p. 5-17.
34. Thomas Atenga souligne que cette distinction est nuancée par les jeunes journalistes sortis de
l’’école nationale de journalisme et qui s’’investissent dans le quotidien privé Mutations. Une telle
division symbolique agit entre les personnes formées dans les instituts d’’études supérieures privés
délivrant des BTS (brevets de technicien supérieur) après deux ans et celles sorties de l’’école de
journalisme publique qui ont une licence des sciences et technique de l’’information et de la com-
munication, option journalisme. Il reste ainsi très difficile pour un étudiant détenteur d’’u n BTS
de se rendre crédible dans le monde des médias. Voir T. Atenga, « Pius Njawé…… », art. cité, p. 212.
Politique africaine
77 Médias, politique et homosexualité au Cameroun

semblables, par exemple Aurore Plus, Le Dément, t et Le Constat35. Ils ont en


commun de souvent s’’attaquer à des individualités et de travailler autour des
faits divers, en relayant prioritairement des rumeurs. Le deuxième bloc est
constitué des journaux dominants dans le champ privé ; ce sont prioritairement
ceux que nous avons cités, à savoir Le Messager, La Nouvelle Expression et
Mutations. S’’ils s’’illustrent dans ce cas précis par la critique du non-respect
de la déontologie journalistique, en retournant donc un grief souvent formulé
à leur égard par les journalistes du service public, ils ne constituent pas pour
autant un groupe homogène. De fait, la bataille du leadership n’’épargne pas
ces trois ténors et les oppositions entre eux sont récurrentes ; il suft de
rappeler à cet égard la pluralité des organisations syndicales qui représentent
autant de tendances du leadership revendiqué par chacun des différents
journaux36. Cette division syndicale s’’illustre d’’ailleurs lors de l’’« affaire des
listes », un syndicat demandant des sanctions à l’’égard des publications
concernées, sanctions dont ne voulait pas forcément l’’autre37. Cependant, la
peur de perdre cette position hégémonique commune va les souder autour
de cette critique du décit d’’éthique de leurs jeunes rivaux. En stigmatisant
à leur tour « la petite presse », ils s’’octroient par la même occasion une part
de vertu que la presse publique leur a si souvent déniée.
La troisième posture face aux listes est celle de la presse publique, percep-
tible notamment à travers le quotidien national Cameroon Tribune. Souvent
opposée à la presse privée sur la question de la déontologie journalistique,
mais délégitimée du fait de sa proximité avec le pouvoir politique, elle semble
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enn se voir donner raison par les événements des listes. Aussi, au-delà du
fait que la directrice de la société camerounaise de presse (Sopecam) publiant
le quotidien public bilingue gurait dans la liste publiée par La Nouvelle
Afrique38 (renforçant l’’inconfort de la presse publique face à cette actualité),
les journalistes du journal public avaient-ils tout intérêt à laisser les acteurs

35. Aurore plus est un hebdomadaire, alors que les deux derniers sont des bi-heddomadaires. Le
premier s’’était déjà illustré par la publication, le 14 novembre 2004, d’’une interview d’’une lesbienne
sous le titre « Les homosexuels sont parmi nous ».
36. Sur ce point, voir T. Atenga, « Pius Njawé…… », art. cité, p. 212. Voir aussi M.-S. Frère, « Les médias
camerounais entre contestation et soumission », in M.-S. Frère (dir.), Afrique centrale. Médias et conflits.
Vecteurs de guerre ou acteurs de paix, Bruxelles, Grip/Complexe, 2005, p. 243-259.
37. Célestin Lingo, de l’’Union des journalistes du Cameroun, a par certains aspects soutenu
l’’initiative des listes, en déclarant notamment lors d’’u n débat que les homosexuels sont « une race
d’’humanoïdes à classer en dessous des bêtes » et que leurs pratiques relèvent du « magico-poli-
tique ». Pierre Essama Essomba, le président du Conseil camerounais des médias, sorte de tribunal
souhaitant réguler la profession, dénonce de son côté, « la violation des principes d’’éthique et de
déontologie » par les journaux à l’’origine de l’’affaire. Voir « Le CNC invite les médias ““à faire usage
de leur capacité de discernement et de responsabilitéɆ », Xinhuanet, t 8 février 2006.
38. Voir La Nouvelle Afrique, n° 126, 26 janvier 2006.
LE DOSSIER
78 La question homosexuelle et transgenre

privés s’’enliser dans ce que certains parmi les journalistes du privé eux-
mêmes présentent comme « un débat de médiocres39 ». Le quotidien national
s’’illustre donc par des articles qui mettent surtout en avant les condamnations
des directeurs de publication pour diffamation et se positionne en média
avant-gardiste ouvrant le débat sur l’’homosexualité40. Cette dernière position
permet aussi d’’assumer une posture de « rassembleur » face aux « fauteurs de
trouble » qu’’incarne ici la presse privée.
Une affaire plus récente sur l’’homosexualité illustre bien le positionnement
du quotidien Cameroon Tribune en opposition à la presse privée. En janvier 2011,
l’’Association pour la défense des droits des homosexuels (Adefho, basée à
Douala) dirigée par l’’avocate Alice Nkom devait recevoir un nancement de
300 000 euros pour soutenir la lutte citoyenne pour les droits des minorités
sexuelles. Informé de ce don de l’’Union européenne et piqué au vif par les
critiques de la presse privée qui y voit un acte d’’ingérence et de recolonisation,
le ministre des Relations extérieures de l’’époque signie ofciellement au
représentant de l’’Union européenne au Cameroun le refus de ce nancement
d’’associations qui, selon lui, « violent la loi camerounaise ». Tenu de s’’aligner
sur les positions du gouvernement, le quotidien national joue un rôle majeur
pour médiatiser le combat de ce ministre frondeur contre l’’« ingérence » de
l’’Union européenne. On s’’aperçoit ainsi que Cameroon Tribune demeure
tributaire de sa vassalisation à l’’administration publique41, qui en relayant
l’’argument de l’’ingérence porté par certains médias privés, tente aussi de se
reconstruire en gure morale face à l’’opinion médiatique qui n’’a pas oublié
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l’’« affaire des listes ».

39. Sur ce point, voir H. Mana, « Point com’’ : le journalisme de listes », Mutations, 7 mars 2006.
40. Voir A. Tchakounté, « Homosexualité : le débat est ouvert », Cameroon Tribune, 8 février 2006.
Paradoxalement, ce sont pourtant les journaux privés qui approfondissent le débat en donnant la
parole à des intellectuels camerounais aux positionnements variés. Ce fut notamment le cas de
Mutations qui, parmi les premiers, publie une réflexion du politologue Fred Eboko qui voit dans
l’’affaire de l’’homosexualité, une crise du glissement des « normes symboliques » provoquant la
résistance d’’u ne partie de la société soucieuse de l’’« ordre sexuel et du genre ». Le chercheur intro-
duit aussi l’’hypothèse de l’’homosexualité comme procès médiatique de la « corruption des corps »,
faisant ainsi le lien avec le procès d’’u ne élite dite corrompue. Voir « Déchéance : entre corruption
des corps, libertés individuelles et homosexualité », Mutations, 10 février 2006. Voir aussi A. Moundé,
M. Ongono, S. A. Godong et G. Dougueli, « Révolte : l’’homosexualité, cache-sexe idéal d’’u ne vraie
misère morale », Mutations, 6 février 2006.
41. Voir J. R. Matia, « Homosexualité : le Cameroun désapprouve les financements de l’’Union
européenne », Cameroon Tribune, 13 janvier 2011 ; voir aussi « L’’homosexualité au centre d’’u ne crise
diplomatique », Mutations, 13 janvier 2011.
Politique africaine
79 Médias, politique et homosexualité au Cameroun

La critique des listes dans la presse privée : entre défense


des libertés sexuelles et lutte pour l’hégémonie

La critique du procédé des listes a été partagée par la majorité des acteurs
de la presse privée comme de la presse publique. Il faut cependant remarquer
que les motivations de cette critique diffèrent d’’un type d’’acteur à l’’autre42.
Le quotidien Le Messager, r par exemple, tente de montrer les insufsances
éthiques de cette publication des listes sans jamais condamner le principe
lui-même43. En effet, il reste d’’abord dèle à sa dénonciation radicale du
gouvernement, en accentuant notamment le débat sur le lien entre corruption
et homosexualité. De façon révélatrice, la pratique sexuelle en tant que telle
est rarement interrogée, mais son lien avec les usages politiques du pouvoir
de Yaoundé est constamment évoqué.
Pour légitimer cette démarche critique contre le pouvoir, Le Messagerr donne
la parole à certains de ses détracteurs les plus ardents parmi les intellectuels
locaux et de la diaspora. Dans une chronique qui a fait date, l’’universitaire
Achille Mbembe fustige ainsi le cynisme d’’un « potentat sexuel », qui se sert
des hommes et des femmes comme autant de sujets à dominer, tout en ques-
tionnant l’’historicité de l’’homosexualité dans les sociétés africaines :

« De fait, tout discours crédible sur l’’homosexualité africaine doit commencer par la
critique d’’u ne culture du pouvoir et d’’u n régime des plaisirs qu’’il nous faut appeler,
provisoirement, le potentat sexuel. Le potentat sexuel est une structure du pouvoir et un
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imaginaire de la vie, du corps et des plaisirs qui accordent une place prépondérante à
un signifiant unique : le phallus. [……] Reste à savoir si l’’homosexualité a existé en Afrique
avant l’’expansion coloniale. Ce que l’’on n’’a pas suffisamment souligné, c’’est le fait que les
traditions patriarcales du pouvoir en Afrique sont fondées sur un refoulement originaire :
celui de la relation homosexuelle44 ».

42. Contrairement à ce qu’’affirme L. Ladǹ, « L’’homophobie populaire…… », art. cité, p. 925, pour qui
les « journalistes camerounais n’’étaient pas divisés sur la stigmatisation de l’’homosexualité »,
nombre d’’entre eux se sont clairement positionnés en faveur de la liberté sexuelle. Haman Mana
de Mutations et certains de ses collègues ont ainsi exprimé leur rejet de la chasse aux homosexuels.
L’’exemple cité plus loin du journaliste se montrant « solidaire des homosexuels au nom de la liberté »
va aussi dans ce sens. Enfin, la journaliste et militante des droits de l’’Homme de La Nouvelle
Expression Suzanne Kala Lobè s’’est montrée plus que critique de ces publications en prônant le
respect de la différence sexuelle, notamment lors de débats télévisés qu’’elle a animés sur la chaîne
de télévision privée Canal 2 International.
43. Voir l’’éditorial de Pius Njawé dans Le Messager du 17 février 2006. Le célèbre journaliste critique
le « défaut d’’enquête approfondie et d’’informations contradictoires » tout en soutenant la dénon-
ciation de ceux qui s’’adonnent à une sexualité « contraire à la culture africaine ».
44. A. Mbembe, « Le potentat sexuel. À propos de la fellation, de la sodomie et autres privautés
postcoloniales », Le Messager, r 13 février 2006.
LE DOSSIER
80 La question homosexuelle et transgenre

On retrouve la même démarche politique chez Jean-Blaise Kenmogne qui


reformule le débat sur l’’homosexualité, entre corruption et vénalité de l’’élite
au pouvoir :

« Pour comprendre ce qui se passe en matière d’’homosexualité, il faut savoir qu’’elle n’’est
chez nous ni une homosexualité naturelle (orientation inscrite dans l’’être même de la
personne) ni une homosexualité culturelle (adoptée par le fait qu’’elle fait partie des
possibilités qu’’offre la société de façon publique), mais une homosexualité rituelle,
alimentaire et imposée [……]. Avec cette politique, on ne réfléchit pas, on mange. Le
Cameroun du ventre est devenu un pays d’’inégalités, de misère et de désarroi : un pays
pauvre très endetté où les populations s’’enterrent dans la souffrance pendant que l’’élite
politique s’’enrichit de façon insultante45 ».

Parmi ces journaux privés dont les journalistes s’’opposent fermement aux
listes, il faut donc distinguer ceux que nous nommons les défenseurs de la
« liberté sexuelle » de ceux qui tentent de sauvegarder leur hégémonie dans
le champ médiatique. Les premiers s’’illustrent par des prises de position
claires qui allient la critique du décit déontologique à la revendication du
droit au respect de la vie privée. Les seconds tentent prioritairement de délé-
gitimer les journaux de listes en montrant leur proximité avec les personnes
listées, comme on l’’a vu avec Edmond Kamguia de La Nouvelle Expression. Des
articles allant dans le sens des défenseurs de la liberté se retrouvent priori-
tairement dans l’’autre quotidien privé majeur, Mutations. Dans sa parution
en ligne du 30 janvier 2006 par exemple, un journaliste exprime sa « solidarité »
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vis-à-vis des homosexuels présumés :

« Hétérosexuel, libre et fier de l’’être, j’’exprime ma solidarité envers ces homosexuels


victimes de la violation de leurs libertés individuelles, au nom du triomphe de la liberté.
Ces homosexuels sont nos compatriotes [……] personne n’’a le droit d’’attenter à la liberté
sexuelle de quiconque46 ».

Cette prise de position explicite traduit en quelque sorte la ligne éditoriale


que suit cet organe de presse durant ce qu’’on nomme au Cameroun l’’« affaire
des présumés homosexuels ». Pour Haman Mana, du même journal, le débat
orchestré par le « journalisme de listes est un débat [……] qui naît et s’’épanouit
loin de l’’information, près du petit peuple qui s’’en délecte ». Il regrette de
même l’’audience accordée à ces « journalistes à gage »47. Le symbole le plus
fort de cette ouverture à l’’expression des libertés est la publication par le

45. Voir « Pouvoir, société et homosexualité : la dynamique anale de la politique au Cameroun »,


Le Messager,r 17 février 2006.
46. « Débat : homosexualité, liberté de presse et pouvoir », Mutations, 30 janvier 2006.
47. H. Mana, « Point com’’ : ne dites pas à ma mère que je suis journaliste…… », Mutations,
s 14 février 2006.
Politique africaine
81 Médias, politique et homosexualité au Cameroun

magazine Situations (lié au groupe SMC dont fait partie Mutations) de deux
interviews. La première donne la parole à un homosexuel camerounais
« exilé », sous le titre évocateur « Un homosexuel parle ». La seconde interroge
l’’un des artistes les plus populaires et controversé du pays (Petit-Pays de son
nom de scène), qui a composé une chanson en pleine période polémique pour
inviter l’’opinion publique à plus de « tolérance »48. Les deux publications faites
à un an d’’intervalle n’’ont pas déclenché de réactions particulières dans la presse,
et ce pour plusieurs raisons. Concernant le journaliste interviewé en 2006, ses
propos allaient certes dans le sens de la dénonciation de la société pour son
hypocrisie vis-à-vis d’’une homosexualité bien présente, mais ils soutenaient
aussi d’’une certaine façon l’’’’outing de personnalités publiques en critiquant
leur refus de se voir associées à l’’homosexualité. L’’interview du journaliste
homosexuel accablait donc à sa façon les personnalités listées en suggérant
que certaines seraient certainement homosexuelles et qu’’elles avaient une
attitude lâche, ce qui confortait la dénonciation des journaux de listes. Bien
plus, pendant les années où il a exercé comme journaliste dans plusieurs
médias du pays, dont une radio publique, l’’auteur de l’’interview a souvent
affronté des rumeurs autour de son homosexualité ; sa sortie à visage découvert
va dans le sens de la revendication des journaux de listes qui afrment « dire
haut ce que les gens pensent tout bas »49. L’’interview de l’’artiste Petit-Pays
répond à une logique analogue. Souvent présenté comme un « original » (il a
par exemple posé nu sur la pochette d’’un album, ou encore dans un cercueil
dans les années 1990), il est au centre de toutes sortes de polémiques, dont
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certaines ne surprennent plus grand monde et ne suscitent plus les réactions
souvent indignées d’’autrefois. Ces éléments expliquent que les deux interviews
soient passées sous silence, à moins qu’’elles ne soient le signe d’’u ne
hypothétique ouverture du débat à laquelle la presse privée aurait contribué
en levant le tabou sur la question homosexuelle.
La conictualité entre journaux privés est d’’autant plus forte qu’’au sein
d’’un même journal, plusieurs journalistes peuvent s’’affronter. Ainsi, Alain
Batongué, éditorialiste de Mutations, suggère-t-il, à contre-courant de certains

48. Voir Situations, n° 0002, 10 février 2006. Dans ce numéro de l’’hebdomadaire du vendredi, la
parole est donnée à un homosexuel camerounais résidant à l’’étranger, mais ayant travaillé comme
journaliste dans le service public au Cameroun. Dans le numéro 87, en 2007, Petit-Pays, auteur-
compositeur, revient sur sa chanson polémique sortie quelques mois plus tôt, et ayant pour titre
« Pédés ». Le refrain de la chanson, « Les pédés, pédés, l’’amour n’’a pas de frontières », est assez
clairement en faveur de la tolérance de l’’homosexualité et l’’artiste assure qu’’il « peut épouser un
homme ».
49. Cet argument a régulièrement été repris par les trois directeurs de publication de La Météo,
L’’Anecdote et de La Nouvelle Afrique, à la fois pour se défendre des critiques de leurs confrères, en
montrant que ces derniers avaient failli à leur mission de « dire toute la vérité au peuple », et pour
se légitimer face à ce supposé peuple auquel ils rendraient ainsi justice.
LE DOSSIER
82 La question homosexuelle et transgenre

de ses collègues, dont Haman Mana, « [……] que pour le mal qu’’elle peut
engendrer dans notre pays et la déroute qu’’elle constitue pour la jeunesse, le
combat contre l’’homosexualité mérite d’’être mené50 ». C’’est peut-être en ce
sens que l’’un des pourfendeurs les plus réguliers des trois journaux, Edmond
Kamguia, s’’inquiète de ce soudain « retour de l’’inquisiteur » endossé par cer-
tains journalistes, avant de se préoccuper enn du sort des accusés : « Comment
gérer plus tard la situation des personnes victimes d’’accusations ou d’’insi-
nuations mensongères ?51 ». L’’énonciation médiatique de l’’homosexualité par
une partie de la presse privée a donc permis une ouverture des controverses
sur cette orientation sexuelle dans l’’espace public camerounais. Si plusieurs
types de traitement s’’y retrouvent, le relais international ne reète pas toujours
cette pluralité.

Sur le relais international de l’« affaire des listes »

Les interactions entre la presse privée camerounaise et les médias


internationaux52 à propos des listes oscillent entre deux registres : d’’un côté,
la condamnation quasi unanime de la pratique des listes, jugée homophobe ;
de l’’autre, une présentation univoque de cette actualité éludant la complexité
de l’’énonciation médiatique et la diversité de ton que nous venons d’’illustrer.
Cette médiatisation internationale de l’’« homophobie à la camerounaise », qui
étonne d’’ailleurs par sa densité53, offre l’’occasion d’’une réexion sur ce que
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Jean-Paul Marthoz nomme « le journalisme de métropole », c’’est-à-dire la
représentation biaisée de l’’Afrique portée par les « médias occidentaux [……],
entre la compassion, le cynisme et le désespoir »54.
De ce point de vue, on peut en effet regretter que les médias français ayant
relayé l’’« affaire de l’’homosexualité » l’’aient fait avec une certaine partialité.
Pour l’’essentiel, les commentaires se situent dans la logique de la critique
entamée par une partie de la presse camerounaise (sans jamais faire allusion
à celle-ci), notamment sur le « manque de professionnalisme » et l’’homophobie

50. Mutations, 30 janvier 2006.


51. La Nouvelle Expression, 24 février 2006.
52. Nous nous limitons ici aux journaux français et francophones.
53. La densité des publications françaises étonne dans la mesure où un fait divers en Afrique retient
rarement l’’attention des grands médias occidentaux. Voir par exemple Libération, 2 février 2006 ;
Libération, 15 février 2006 ; Libération, 8 juillet 2006 ; Le Nouvel Observateur,
r 2 février 2006 ; Courrier
international, 9 février 2006 ; Courrier international, 21 février 2006 ; Courrier international, 22 mai
2008 ; Le Monde, 2 février 2006 ; Têtu, n° 110, avril 2006 ; Têtu, n° 114, septembre 2006, Têtu, n° 115,
octobre 2006, Têtu, n° 128, décembre 2007, Têtu, n° 132, avril 2008.
54. J.-P. Marthoz, « Journalisme global ou journalisme de métropole ? Les conflits africains dans
les médias du Nord », in M-S. Frère (dir.), Afrique centrale……, op. cit., p. 299-316.
Politique africaine
83 Médias, politique et homosexualité au Cameroun

des listes. À l’’exception de RFI (Radio France Internationale) sur son site le
2 février 2006, ces médias internationaux se font très rarement l’’écho de la
critique des listes portées par une partie de la presse camerounaise. Sur le
site d’’’’Afrik.com par exemple, alors même que certains journaux ont publi-
quement condamné la « presse de listes », un article afrme sans nuance : « La
presse soutient les trois mousquetaires55 ». Les articles des journaux dits
identitaires tiennent la même ligne éditoriale. Dans le magazine Têtu, un
dossier publié en mars 2006 titre : « Homophobie d’’État au Cameroun » et
oublie de souligner que l’’État est en partie pris pour cible. L’’a malgame
reproché par les médias français à une partie de la presse camerounaise est
au cœœur du traitement des journaux de la « métropole ». Certaines de ces
publications contribuent à une essentialisation du débat en généralisant
l’’homophobie à l’’ensemble de la presse, renforçant ainsi une situation de
radicalisation de l’’affrontement. En présentant la presse camerounaise comme
unanimement « homophobe », les médias français entérinent un attendu du
sens commun (« tous les Africains sont homophobes ») tout en présentant une
vision manichéenne entre les « bons et mauvais », entre les « homophobes » et
les « libéraux », entre ceux qui résistent localement à l’’homosexualité et ceux,
« de l’’extérieur », perçus comme des détaillants d’’un certain impérialisme
sexuel –– donnant ainsi raison aux arguments pourtant erronés de la « presse
de listes ». La presse francophone « panafricaine » installée en France va dans
le même sens « culturaliste ». À titre d’’exemple, le site Afrik.com pose régu-
lièrement le « problème » dans des termes généraux et simplicateurs. Dans
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un article daté du 11 janvier 2010, une journaliste s’’interroge ainsi : « L’’Afrique
est-elle homophobe ? ». Elle est suivie par l’’un de ses confrères de Jeuneafrique.
com en novembre de la même année, qui caractérise ainsi le continent noir :
« Homophobe et er de l’’être56 ».
Sans vouloir mettre en procès cette presse internationale, il s’’agit de
souligner l’’angle du traitement qu’’elle accorde à l’’homosexualité à partir d’’une
homogénéisation des acteurs de la presse africaine, au risque de crisper le
débat sur une fausse opposition entre médias africains et médias occidentaux
mais aussi de simplier une actualité homosexuelle aux multiples signications.
En relayant ainsi un point de vue unique, celui des « homophobes », la presse
internationale offre non seulement une tribune inespérée à des acteurs très
peu outillés pour s’’exposer à un tel niveau, mais elle contribue aussi à renforcer
la thèse de l’’affrontement Nord-Sud que porte une partie de la presse de liste
pour se légitimer. Ce relais arbitraire prend alors une part dans la politisation

55. Voir H. Bangré, « Cameroun : trois journaux publient des listes de présumés homosexuels »,
> 1er février 2006.
<Afrik.com>,
56. G. Dougueli, « Homophobes et fiers de l’’être », <Jeuneafrique.com>,
> 9 novembre 2010.
LE DOSSIER
84 La question homosexuelle et transgenre

de l’’homosexualité en introduisant une hiérarchisation spatiale de l’’homo-


phobie entre l’’Afrique et l’’Europe. L’’« affaire des listes » connaît ainsi un succès
qui va au-delà des espérances de ses principaux porteurs.

L e retour sur la construction de la controverse des listes d’’« homosexuels


de la République » au sein de la presse camerounaise permet de mieux
comprendre deux faits : d’’u ne part l’’a mbivalence de la médiatisation de
l’’homosexualité ; d’’autre part la façon dont cette médiatisation contribue à
la politisation de la sexualité, c’’est-à-dire à son instrumentalisation comme
une arme de discrédit de certains acteurs sociaux, et a fortiori de l’’État.
Notre analyse a tenté d’’éclairer les « stratégies morales sexuelles » adoptées
par une partie de la presse privée pour se positionner comme un acteur
majeur du champ médiatique. En usant de l’’homosexualité comme catalyseur
d’’une opinion sensible aux stéréotypes et aux rumeurs, ces acteurs en ont
fait un élément de discussion publique et surtout un levier pour le jugement
des puissants du pays, vus comme responsables de sa dérive morale. Au
demeurant, on est là dans une situation classique de panique morale et
sexuelle, avec ses avatars de recherche des coupables et d’’émergence de
quelques acteurs en justiciers57. Tout au plus peut-on déplorer les effets
politiques d’’une telle énonciation/dénonciation de l’’homosexualité dans le
champ social plus large. Les conséquences touchent prioritairement deux
types de sujets : d’’un côté, les « cadets sociaux » ayant des pratiques homo-
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sexuelles désormais exposées à une forte stigmatisation et à des persécutions
récurrentes, de l’’autre des personnalités publiques critiquées pour leur
moralité douteuse Q

Patrick Awondo
IEDES – Université Paris I Panthéon-Sorbonne

Abstract
Media, politics and homosexuality in Cameroon : the making of a controversy
By publishing lists of public figures « suspected of being homosexual » in 2006,
three private newspapers raised homosexuality as a subject of public debate. From
this media coverage, the article analyses the politicisation of homosexuality in

57. Voir S. Cohen, Folk Devils and Moral Panics : The Creation of the Mods and Rockers, New York,
Routledge, 2002.
Politique africaine
85 Médias, politique et homosexualité au Cameroun

Cameroon. It argues that the perceptions of homosexuality as a source of insecurity


were actively shaped by the conflicts between emergent and established members of
the private press. The article shows that this conflict has instrumentalised homosexuality
in a « moral sexual strategy » and has created a moral and sexual panic. The article
represents an original attempt to grasp the media treatment of homosexuality in
Cameroon by emphasizing the on-going conflicts for the private press leadership.
© Karthala | Téléchargé le 18/11/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.2)

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