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Document de Travail

GREQAM n°2005-11
Groupement de Recherche en Economie
Quantitative d'Aix-Marseille - UMR-CNRS 6579
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
Universités d'Aix-Marseille II et III

L'économie politique de Rousseau

Christophe Salvat

Mars 2005
L’économie politique de Rousseau
Christophe Salvat, CNRS, GREQAM

Résumé
Selon Rousseau, l’économie politique a ainsi été frauduleusement présentée comme
une gestion paternaliste, familiale voire naturelle de la société. L’économie domestique,
comme la loi naturelle, a été instrumentalisée par certains philosophes pour légitimer une
société injuste et inégalitaire. Sorti par un ‘funeste hasard’ de l’état de nature, l’homme a
toujours refusé de voir dans l’homme civil une entité différente de l’homme naturel. A
l'exemple de Locke, les tenants du droit naturel n’ont pas pris conscience de la rupture
historique constituée par la division du travail et le partage des terres. Rousseau, en
réinvestissant les notions d’état de nature et d’économie domestique défend une nouvelle
représentation de la société civile et de son administration, l'économie politique légitime.

Summary
According to Rousseau, the political economy has falsely been presented as a paternalistic of
the society. The domestic economy, like the natural law, has been often used to legitimate an
injust and unequal society. Exit from the state of Nature, human refuses to see himself as
basically different from a man of Nature. Like John Locke, philosophs of the natural right
have not been aware of the historical breaking off represented by the division of labour and
the land sharing. By his reinterpretation of the state of nature and the domestic economy,
Rousseau defend a new representation of the civil society and its administration, the
legitimate political economy.

JEL
B110

Keywords
Histoire de la pensée économique, Pensée des Lumières, Rousseau, Economie politique,
Economie domestique, Identité.

2
L’économie politique de Rousseau
Christophe Salvat, CNRS, GREQAM

Résumé
Selon Rousseau, l’économie politique a ainsi été frauduleusement présentée comme
une gestion paternaliste, familiale voire naturelle de la société. L’économie domestique,
comme la loi naturelle, a été instrumentalisée par certains philosophes pour légitimer une
société injuste et inégalitaire. Sorti par un ‘funeste hasard’ de l’état de nature, l’homme a
toujours refusé de voir dans l’homme civil une entité différente de l’homme naturel. A
l'exemple de Locke, les tenants du droit naturel n’ont pas pris conscience de la rupture
historique constituée par la division du travail et le partage des terres. Rousseau, en
réinvestissant les notions d’état de nature et d’économie domestique défend une nouvelle
représentation de la société civile et de son administration, l'économie politique légitime.

Summary
According to Rousseau, the political economy has falsely been presented as a paternalistic of
the society. The domestic economy, like the natural law, has been often used to legitimate an
injust and unequal society. Exit from the state of Nature, human refuses to see himself as
basically different from a man of Nature. Like John Locke, philosophs of the natural right
have not been aware of the historical breaking off represented by the division of labour and
the land sharing. By his reinterpretation of the state of nature and the domestic economy,
Rousseau defend a new representation of the civil society and its administration, the
legitimate political economy.

JEL
B110

Keywords
Histoire de la pensée économique, Pensée des Lumières, Rousseau, Economie politique,
Economie domestique, Identité.

3
Introduction1

L’acte économique est doté d’un statut ambivalent dans l’œuvre de Rousseau. Il est à
la fois peu présent et omniprésent. Peu présent, car Rousseau s’intéresse peu aux mécanismes
économiques (concurrence, circulation monétaire, distribution des revenus) et aux techniques
de production (agricoles, manufacturières), qui font pourtant l’objet de toute l’attention de ses
contemporains. Omniprésent, car toute sa philosophie repose sur le rapport de l’homme aux
biens, l’importance déterminante de la division du travail dans l’histoire humaine et le statut
prépondérant de la richesse dans les rapports sociaux.
L’économie politique de Rousseau n’est pas la science des richesses, encore moins une
analyse économique forcenée de la société2. Elle se présente comme une réflexion sur la
nature de la société et de son organisation. Elle n’en est pas moins économique. Mais
l’économique de Rousseau se veut politique. L’économie politique s’oppose à l’économie
domestique. Elle naît d’un constat, celui de la divergence voire de l’opposition des intérêts
individuels et de la nécessité de l’artifice législatif pour la surmonter. La référence à la famille
et à la loi naturelle ne peut donc légitimement fonder le gouvernement économique d’une
société civile. Rousseau parvient cependant difficilement à échapper au problème que poserait
l’action conjointe de la loi et de la richesse sur les comportements des citoyens. Bien que
théoriquement redevenue neutre, la monnaie, et la forme qu’elle donne aux biens, la richesse,
conserve en effet une influence destructrice sur les rapports sociaux. Les institutions
perverties, sur lesquelles repose néanmoins la nécessaire transition, demeurent en partie
entachées par les croyances qu’elles ont fondées.

1. La richesse, mesure du bien, représentation du mal


1
Seront utilisées les abréviations suivantes pour les écrits de Rousseau : CGP (Considérations sur le
gouvernement de Pologne et sur sa réformation projettée) ; CS (Du Contrat Social ou, Principes du droit
politique) ; DEP (Discours sur l’économie politique) ; DOI (Discours sur l’origine et les fondements de
l’inégalité parmi les hommes) ; DSA (Discours qui a remporté le prix à l’Académie de Dijon. En l’année 1750.
Sur cette question proposée par la même Académie : Si le rétablissement des Sciences et des Arts a contribué à
épurer les mœurs, généralement désigné par Discours sur les sciences et les arts) ; EOL (Essai sur l’origine des
langues) ; FP (Fragments politiques) ; LAS (Lettre à M. d’Alembert sur son article Genève, généralement
désigné par Lettre à d’Alembert sur les spectacles) ; LEM (Lettres écrites de la montagne) ; MG (Du Contract
Social ou essai sur la forme de la république- Première version, généralement désigné par Manuscrit de
Genève) ; NH (Julie ou la Nouvelle Héloïse) ; Observations (De Jean-Jacques Rousseau de Genève. Sur la
réponse qui a été faite à son Discours, généralement désigné par Observations) ; PCC (Projet de constitution
pour la Corse) ; PN (Préface de Narcisse ou l’amant de lui-même).
2
B. Fridén, Rousseau’s economic philosophy. Beyond the Market of Innocents, Dordrecht : Kluwer Academic
Publishers, 1998

4
1.1. L’économie dans les états de nature
Il existe sous la même dénomination deux états de nature chez Rousseau. Le premier
est fictif et hypothétique destiné à « démêler ce qu’il y a d’originaire et d’artificiel dans la
Nature actuelle de l’homme » (DOI, OC III, 123). Le second est un état tribal. L’état de nature
à proprement dit est par définition a-économique. Il se caractérise par une indépendance totale
de l’homme. Les hommes sont indépendants les uns des autres, et ne suivent que les pulsions
qui leur sont dictées par leur animalité (DOI, OC III, 143). Cette indépendance leur assure, de
fait, une liberté naturelle. On parle généralement, d’après la distinction établie par Berlin, de
liberté négative. L’homme a toute lattitude pour réaliser ses désirs, aucune entrave autre que
ses propres limites ne peut le contraindre. Mais indépendance n’est pas liberté, précise
Rousseau dans ses Lettres écrites de la Montagne3. La vraie liberté ne peut se résumer à une
absence factuelle de contrainte, elle réside dans la garantie de l’absence de contrainte. Elle ne
doit donc pas être associée à la notion d’indépendance4. L’autonomie, dans la dépendance
établie par l’état civil, assurera aux hommes pour la première fois leur statut d’êtres libres.
L’acte économique apparaît sporadiquement avec le second état de nature, parfois
appelé âge des cabanes, avec la propriété, le langage et le sentiment amoureux (DOI, OC III,
164-169). Ce second état de nature est historique et contingent. La Nature, si prodigue dans la
première partie du second Discours, est désormais soumise aux aléas du temps et de la
géographie. Les besoins de l’homme, ou plus exactement la difficulté qu’il a à les satisfaire -la
rareté-, le contraignent à raisonner, imaginer et communiquer. Les facultés intellectuelles de
l’homme se développent par les passions, et les entretiennent (DOI, OC III, 143). Plus ces
facultés se développent, plus les besoins se multiplient et se conceptualisent. Les échanges
deviennent alors possibles, de même que les engagements mutuels, ainsi que l’illustre
l’épisode de la chasse aux cerfs (DOI, OC III, 166-167). Mais ces interactions restent limitées
et réversibles. Aucun rapport de dépendance ou de hiérarchie ne peut naître de ces accords
temporels plus ou moins implicites. L’acte économique n’est pas structurant, il ne constitue
pas un caractère d’individuation.
Les hommes, réunis en famille puis en tribus, se positionnent cependant les uns envers
les autres. Ce positionnement signe la fin de l’état de nature et de l’indépendance de l’homme.
Le rapport de l’individu à la société, qui marque son appartenance, s’établit sur l’observation,
3
« On a beau vouloir confondre l’indépendance et la liberté. Ces deux choses sont si différentes que même elles
s’excluent mutuellement. Quand chacun fait ce qu’il lui plait, on fait souvent ce qui déplait à d’autres, et cela ne
s’appelle pas un état libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumis à celle d’autrui ;
elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre. » (LEM, VIII, OC III, 841).
4
J-F. Spitz, La liberté politique, Paris : PUF, 1995, pp.368-379.

5
la comparaison et la reconnaissance des qualités naturelles de chacun. L’individuation est
positive et naturelle : « Celui qui chantoit ou dansoit le mieux ; le plus beau, le plus fort, le
plus adroit ou le plus éloquent devint le plus considéré » (DOI, OC III, 169). L’inégalité
naturelle, voire économique, n’est pas perçue comme une injustice tant qu’elle ne fonde pas le
rapport de l’individu à la société. Dès les débuts de la société civile, les hommes ont voulu se
comparer et se distinguer, et « l’estime publique eut un prix » (DOI, OC III, 169).
La société civile, telle qu’elle s’est spontanément établie, est une société économique.
Elle naît de la division du travail, et s’organise autour des échanges. Elle est une société du
paraître dans laquelle toutes les différences ou inégalités sont ramenées à une seule, l’argent.
Les communications se multiplient, le langage s’institutionnalise, et les critères de
comparaison s’uniformisent. La société civile ne s’inscrit pas dans la continuité de l’état de
nature, mais dans la rupture5. Les premières sociétés humaines, stade que Rousseau appelle
‘jeunesse du monde’, constitueraient un juste milieu entre l’animalité de l’état de nature et la
perversion des sociétés dites policées, et furent selon l’auteur « l’époque la plus heureuse, et
la plus durable » de l’histoire de l’humanité, l’état « le moins sujet aux révolutions, le
meilleur à l’homme, et […] il n’en a du sortir que par quelque funeste hazard qui pour l’utilité
commune eût dû ne jamais arriver » (DOI, OC III, 171). Ce ‘funeste hasard’, ou cette
‘circonstance extraordinaire de quelque Volcan’ (DOI, OC III, 172) est à l’origine de
l’invention de la métallurgie. Or, « Dès qu’il falut des hommes pour fondre et forger le fer, il
fallut d’autres hommes pour nourrir ceux-là. […] et comme il falut aux uns des denrées en
échange de leur fer, les autres trouvèrent enfin le secret d’employer le fer à la multiplication
des denrées » (DOI, OC III, 173).
Ce partage des tâches fut nécessairement suivi d’un partage des terres. La division du
travail devient un principe structurant de la société. Les hommes se spécialisent dans ce qu’ils
font le mieux. Les différences de talents naturels sont rendues visibles aux yeux de tous, elles
sont institutionnalisées dans le choix du métier de chacun. L’inégalité naturelle des talents se
traduit très vite par une inégalité productive. Les échanges profitent à ceux qui auront su le
mieux utiliser leur talent. Ils obtiennent plus qu’ils ont de besoins, et commencent à
accumuler. Cette accumulation est facilitée par l’adoption d’une monnaie. La monnaie est un
équivalent, et, comme le langage, est un puissant instrument d’identification. De mesure de la
valeur des biens, elle devient mesure de la valeur des hommes. La richesse possède comme
critère de comparaison interindividuel deux avantages sur les talents naturels, elle est aisément
repérable et aisément falsifiable. La richesse peut même être révélatrice de talents cachés, et

5
V. Goldschmidt, Anthropologie et politique. Les principes du système de Rousseau, op. cit., p. 218.

6
s’avérer être un critère plus égalitaire. Toutes les différences sont ramenées à une seule,
visible et objective. La manifestation du talent devient le talent lui-même, celle de l’inégalité
devient l’inégalité elle-même.
Dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes,
Rousseau associe l’échange à l’inégalité. L’inégalité naturelle des talents se traduit
nécessairement par une inégalité du rapport d’échange. Il n’y a aucune raison, souligne
Rousseau, que le rapport d’échange entre le fer et le blé demeure équilibré. Mais est-ce
vraiment injuste ? Dans l’état de nature, le plus habile ne parvient-il pas plus facilement à se
nourrir que le plus gauche ? L’échange rend plus visible et plus aiguë une inégalité qui lui pré-
existe. Deux éléments du raisonnement de l’auteur doivent être notés ici. Tout d’abord, la
nature des biens échangés n’est pas neutre. Elle influe sur la détermination des prix. Dans un
échange blé-fer, il n’est donc pas indifférent d’être l’agriculteur ou le métallurgiste. Les
économistes connaissent bien ce type de problème. Mais la position de Rousseau est assez
inhabituelle. Selon lui, le rapport d’échange de deux biens se déterminera inversement à son
utilité (DOI, n.IX, OC III, 206). Ce deuxième principe de l’échange vient contrecarrer le
premier. Un homme fort et courageux, cultivant sa terre avec le dernier effort, devra céder sa
production à bas prix pour acquérir des biens plus chers et moins utiles. L’évolution de nos
sociétés qui présentent à l’homme des biens de plus en plus inutiles comme indispensables6 le
pousse nécessairement vers une situation de plus en plus inégalitaire. Le luxe, faussement
présenté par les auteurs mercantilistes comme le remède de la pauvreté, est en fait pour
Rousseau « le pire de tous les maux » (DOI, n. IX, OC III, 206).
Enfin, un troisième principe altère la nature de l’échange et accentue son caractère
inégalitaire, la monnaie. La monnaie est un signe représentatif des biens. C’est un bien choisi
pour représenter les autres dans l’échange, une simple commodité. Sa valeur est celle du bien
qui la supporte7 (FP, VII, OC III, 520). En quoi cette commodité modifie-t-elle la nature de
l’échange ? Elle rend l’accumulation possible, visible et discriminante. L’échange permet de
se différencier, le surplus accumulé de l’échange n’est intéressant que s’il vous démarque des

6
« Dans ce nouvel état, avec une vie simple et solitaire, des besoins très bornés, et les instruments qu’ils avoient
inventés pour y pourvoir, les hommes joüissant d’un fort grand loisir l’emploiérent à se procurer plusieurs sortes
de commodités inconnues à leurs Peres ; et ce fut là le premier joug qu’ils s’imposèrent sans y songer, et la
premiere source de maux qu’ils préparèrent à leurs descendans ; car outre qu’ils continuèrent ainsi à s’amolir le
corps et l’esprit, ces commodités ayant par l’habitude perdu presque tout leur agrément, et étant en même tems
dégénérées en de vrais besoins, la privation en devint beaucoup plus cruelle que la possession n’en étoit douce, et
l’on étoit malheureux de les perdre, sans être heureux de les posseder. », (DOI, OC III, 168).
7
Sa valeur est déterminée par la valeur des métaux qui la composent. Rousseau condamne toute tentative du
législateur de vouloir en fixer ou en altérer la valeur. Il a une bonne connaissance des mécanismes monétaires, et
attribue les variations de la valeur réelle de la monnaie à son abondance ou sa rareté, l’abondance ou la rareté des
biens, et sa vitesse de circulation, elle-même déterminée par la quantité des échanges effectués (FP, VII, OC III,
520-521).

7
autres, autrement dit que s’il crée une inégalité. Quel plaisir aurait un riche dans un pays dans
lequel tout le monde serait aussi riche que lui ? Il serait probablement nul, car au-delà du
nécessaire, seule l’inégalité est recherchée dans l’échange car « ce n’est qu’en raison des
différences que les avantages de la fortune se sont sentir » (FP, VII, OC III, 522). Or, ce que
l’échange en nature ne permet pas toujours, l’échange monétaire le permet (FP, VII, OC III,
522). L’échange est instrumentalisé par les hommes pour se différencier dans une structure
sociale qui repose sur l’inégalité. Il joue donc un rôle social et politique prédominant. La
législation ne vient qu’entériner cet état de fait par le faux pacte (DOI, OC III, 187).

1.2. Des rapports économiques dans les rapports sociaux


La richesse, qui est la représentation sociale des atouts productifs des individus,
incarne le mal par la perte d’autonomie qu’elle provoque. La richesse est, en effet, à l’origine
de l’hétéronomie des intérêts et de la dépendance sociale.
Dans le premier état de nature, les hommes sont dispersés, leur existence n’est
conditionnée d’aucune manière à celle des autres. Leurs besoins sont strictement
physiologiques et aisément satisfaits. Leur langage est naturel, primitif, et passionnel8. Il est
partagé par tous. L’identification est donc instantanée. Ils se reconnaissent tous comme faisant
partie de la même espèce. Le principe de pitié peut donc jouer pleinement son rôle. Dans le
second état de nature, les hommes se réunissent par petits groupes. Des rapports de
dépendance s’établissent, notamment au niveau familial. Avec la sédentarisation, le besoin de
confort prend le pas sur les besoins physiologiques. Bien que culturellement affecté, l’intérêt
individuel est encore indépendamment déterminé. Les différences physiques ou morales des
membres sont observées, remarquées et exprimées grâce à un langage encore approximatif et
figuré (EOL, 63). L’identification au groupe passe par la distinction. Cette logique est plus
poussée encore dans le premier état civil, historique et économique, dans lequel l’homme se
distingue par son avoir, sa richesse. L’association de l’avoir, la possession, avec l’être,
l’identification de l’individu à son groupe, modifie alors profondément la nature du désir.
Le besoin d’avoir répond désormais à deux rationalités différentes, la conservation et
l’identification. Cela a deux conséquences majeures. La première est que les individus
poursuivent un intérêt dicté par des considérations extérieures. Ils ne sont plus guidés par
l’amour de soi, mais par l’amour-propre. Les hommes s’asservissent aux choses en faisant du
superflu de leurs parents leur nécessaire (DOI, OC III, 168). L’homme doit avant tout se
différencier. La seconde conséquence est que le processus d’identification au groupe se fonde

8
« les passions arrachèrent les premières voix », Essai sur l’origine des langues, chapitre II, p.61.

8
désormais sur la rivalité des membres du groupe. L’acte économique, qu’il soit échange ou
production, est instrumentalisé vers ce processus d’identification/d’exclusion. L’intérêt des
agents est réorienté vers l’acquisition, non comme moyen de satisfaire ses besoins (amour de
soi), mais comme moyen de se valoriser (amour-propre).
Lorsque la reconnaissance sociale devient un impératif, les signes les plus visibles
deviennent les plus recherchés. L’opinion devient déterminante. Les hommes apprennent à
vivre en dehors d’eux mêmes, à vivre pour les autres. Leurs propres talents sont sacrifiés au
nom de l’opinion (DSA, OC III, 21), ainsi que leurs propres désirs.
La division du travail institue un rapport de dépendance entre les hommes, celui du
rapport productif des agents. Elle permet donc non seulement de rendre visible ses capacités
productives mais également de les institutionnaliser. L’inégalité naturelle se traduit dans
l’inégalité du rapport d’échange. Sans cadre institutionnel légitime, les hommes ont besoin de
‘l’estime publique’ pour se faire une place dans la communauté. La division du travail leur
permet de se rendre visible, d’exister par leur mode de production et de consommation. Mais
elle leur permet également de construire un réseau d’échange dans lequel chacun devient
dépendant des autres et dans lequel la place de chacun lui est assigné par sa fonction
productive. La dépendance n’est pas mauvaise en soi, elle existe à l’état naturel. Les hommes
ont toujours été dépendants de la nature elle-même. La dépendance naturelle des choses est
impersonnelle, et affecte également tous les hommes. Ce qui caractérise cette situation, en
revanche, c’est la dépendance créée entre les hommes par l’intermédiaire des biens. Les
hommes sont parvenus à modifier le rapport qu’ils entretenaient avec la nature en
restructurant leurs propres rapports. Entre l’homme naturel, qui se définit par sa dépendance à
la nature, et l’homme civil ou citoyen9 qui se caractérise par sa dépendance à la Loi, on peut
donc établir une troisième catégorie, ‘l’homme économique’, dont la dépendance n’est pas
déterminée a priori. Il n’a de pas de référent identitaire. Il est ce qu’il a.
Sortis un peu par hasard de l’état de nature, et soumis à leurs passions, les hommes se
sont construit une société fondée sur l’opinion, l’illusion et la richesse. Les rapports
économiques se sont cristallisés dans la constitution politique. Ce faisant, les hommes ont
perdu leur liberté et leur égalité naturelles. Le projet de Rousseau est de reconstruire une
société, un nouveau réseau de dépendance, qui puisse offrir cette fois à tous les hommes une
liberté et une égalité civiles10. Cette seconde société civile se veut être le pendant théorique du
9
Sur l’évolution sémantique de la notion de citoyenneté au XVIIIe siècle, et notamment les positions de Diderot
et Rousseau dans l’Encyclopédie, voir G. Benrekassa, Le langage des Lumières. Concepts et savoir de la langue,
Paris : PUF, 1995, pp.98-124.
10
J-F. Spitz, La liberté politique. Essai de généalogie conceptuelle, op.cit, p.384. Voir également L. Scubla,
« Est-il possible de mettre la loi au dessus de l’homme ? Sur la philosophie politique de Jean-Jacques

9
premier état de nature. Il ne s’agit pas de (re)donner à l’homme une impossible – et non
souhaitable – indépendance, mais de lui garantir une dépendance impersonnelle et légitime à
la volonté générale, lui offrir une dépendance radicale, à l’image de la dépendance envers la
nature. A défaut d’indépendance, les hommes doivent désormais acquérir leur autonomie
dans la société civile. D’individus, ils doivent devenir sujets11. La dépendance des hommes
aux choses doit alors s’extraire de sa configuration actuelle, et se soumettre à une dépendance
plus forte encore, celle de la Loi. Elle marque la possibilité d’une nouvelle économie
politique.

2. De l’économie domestique à l’économie politique


2.1. L’économie de Clarens
En 1755 paraît dans le cinquième volume de l’Encyclopédie l’article ‘Economie’ de
Rousseau, qui sera réédité trois ans plus tard sous le titre de Discours sur l’Economie
Politique12. Rousseau commence par distinguer l’économie publique ou générale de
l’économie domestique, « le sage et légitime gouvernement de la famille » (DEP, OC III,
241). Cette dernière ne doit pas être confondue avec le schéma décrit dans La Nouvelle
Héloïse. En effet, l’économie de Clarens est un travestissement d’une économie familiale
définie par une autorité naturelle et une identité d’intérêt entre le père et les enfants. Les deux
textes se font écho. La distinction entre économie domestique et économie publique est
énoncée dans le Discours sur l’Economie Politique, elle est illustrée dans La Nouvelle
Héloïse.
Le contexte de La Nouvelle Héloïse, tout comme celui d’Emile, est la France
monarchique, symbole de la civilisation policée mais corrompue dénoncée par Rousseau. Les
personnages mis en scène par Rousseau tentent d’échapper à l’emprise morale de leur société.
L’éducation et l’économie domestiques, ou encore ‘négatives’13, leur servent de modèle. Elles

Rousseau », op.cit., pp.105-143.


11
Sur la distinction entre sujet autonome et individu indépendant, et sur ses conséquences sur la représentation de
la liberté, voir V. Descombes, Le complément de sujet. Enquête sur le fait d’agir de soi-même, Paris :
Gallimard, 2004, pp.332-339.
12
L’histoire de ce texte, sa datation, et sa place dans la pensée politique de Rousseau a été beaucoup discutée
depuis les analyses de René Hubert (R. Hubert, Rousseau et l’Encyclopédie, Paris : Gamber, 1928). A.
Philonenko a même affirmé que « Si précieuses qu’en soient les idées, elles demeurent pour dire ainsi [sic]
marginales, suposant ou même contredisant (au nom de l’unité de l’Encyclopédie) des thèses que Rousseau
accepte ou refuse » (A. Philonenko, Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur, t.II, Le Traité du Mal,
op.cit, p. 241). Nous nous inscrivant en faux contre une telle interprétation. L’argument de l’unité de
l’Encyclopédie ne peut en outre être retenu. Pour une bonne synthèse de ces débats, et quelques commentaires de
ce texte, nous renvoyons le lecteur à l’excellente réédition du manuscrit de Neuchâtel par Bruno Bernardi : B.
Bernardi (ed.), Jean-Jacques Rousseau. Discours sur l’économie politique, Paris : Vrin, 2002.
13
L’expression ‘éducation négative’ est de Rousseau : « J’appelle éducation négative celle qui tend à
perfectionner les organes, instrumens de nos connoissances, avant de nous donner ces connoissances et qui
prépare à la raison par l’exercice des sens. L’éducation négative n’est pas oisive, tant s’en faut. Elle ne donne pas

10
proposent de redonner aux hommes, ou plutôt à une certaine classe d’hommes, une autonomie
physique et intellectuelle perdue dans le développement incontrôlé de la société. La première
caractéristique de l’économie de Clarens, tout comme celle des montagnons de Neuchâtel
dans la Lettre à d’Alembert, est donc d’être, ou plutôt de se vouloir, autarcique. L’homme
recrée ainsi un lien privilégié avec la nature, c’est une condition essentielle de son autonomie
morale14. L’agriculture est, à ce titre, une activité privilégiée dans la pensée de Rousseau. La
seconde caractéristique est de ne pas être, ou vouloir être, soumise à l’opinion. Rousseau
défend une vraie économie de la volupté. Une économie du plaisir et de la sensualité.
L’élégance des parures de Julie et le raffinement des mets servis dans le salon d’Apollon
rappellent au lecteur que l’autarcie n’est pas l’austérité, et que le bon goût n’est pas l’affaire
de l’opinion (NH, OC II, 549-50). Ils lui rappellent également que le vrai luxe est dans la
modération et la tempérance de ses passions.
Clarens est sans doute une thérapie, mais c’est avant tout un simulacre. Un simulacre
de la société à laquelle Julie et Wolmar prétendent échapper. L’économie qu’ils établissent à
Clarens se veut domestique mais elle ne l’est pas. C’est une petite société fondée sur
l’inégalité, la dépendance et l’argent. Ce n’est pas une agriculture d’autosubsistance que
Wolmar instaure, mais une agriculture productiviste. Le choix de la vigne comme principale
production est révélateur. Le domaine de Clarens est géré par Wolmar, et non affermé, car le
propriétaire est mieux à-même de protéger ses intérêts. Le paysan ne voit que son gain
immédiat, et épuise la terre plus qu’il ne la valorise (NH, OC II, 549). M. de Wolmar est
animé par un idéal de puissance, il recrée à l’intérieur de sa propriété, la dépendance de
l’extérieur dont il s’extrait.
La micro-société de Clarens reproduit très exactement la structure sociale de la société
qui l’englobe. Wolmar prend plaisir à être puissant. Il prend plaisir à s’entourer d’un grand
nombre d’ouvriers et de domestiques. Il créé un système, certes fermé, mais réglé pour être de
plus en plus peuplé (NH, OC II, 442). Sa puissance se mesure au nombre d’hommes qui
dépendent de lui, et au degré de dépendance auquel il peut les assujetir. Sa maison est
nombreuse et totalement asservie. La domination qu’il exerce sur son personnel est totale et
perverse. Elle contrôle tous les aspects de leur vie, y compris leurs loisirs et de leur vie
sexuelle (NH, OC II, 449). Le seul moment de répit est celui de la fête15.
les vertus, mais elle prévient les vices ; elle n’apprend pas la vérité, mais elle préserve de l’erreur. Elle dispose
l’enfant à tout ce qui peut le mener au vrai quand il est en état de l’entendre, et au bien quand il est en état de
l’aimer », Lettre à Christophe de Beaumont, OC IV, 945. Blaise Bachofen, par extension, l’applique à
l’économie.
14
C. Taylor, Sources of the Self. The Making of the Modern Identity, Cambridge : Cambridge University Press,
2003, p.297.
15
Sur le rôle d’identification de la fête, voir F. Markovits, L’ordre des échanges, op. cit., p.69. Sur l’épisode des

11
Clarens reproduit l’hypocrisie du faux pacte du second Discours entre les riches et les
pauvres. L’art du maître prend exemple sur l’art du chef qui doit savoir utiliser les hommes
pour servir son intérêt sans jamais éveiller leurs doutes. La servitude des ouvriers et
domestiques doit être rendue agréable. L’économie domestique de Clarens se résume à ce
‘voile du plaisir ou de l’intérêt’, qui joue ici le même rôle que les sciences et les lettres dans la
société, celui d’une ‘guirlande de fleurs sur des chaînes de fer’ (DSA, OC III, 7).
Revenons quelques instants sur ces deux vecteurs d’asservissement que sont le plaisir
et l’intérêt. Le propriétaire exploite tout d’abord ses ouvriers en s’attirant leur affection, par
l’intermédiaire de sa femme notamment. Mais affection n’est pas égalité. L’asymétrie de cette
relation est flagrante. Pendant qu’elle « prend part à leurs plaisirs, à leurs chagrins, à leur
sort », ils « quittent tout à son moindre signe ; ils volent quand elle parle ; son seul regard
anime leur zele » (NH, OC II, 444). Cet attachement à leur propriétaire s’étend à ses intérêts et
à ses biens, qui comprennent d’ailleurs les domestiques. L’entente mutuelle entre le personnel
de maison doit ainsi être recherchée non pour l’intérêt des domestiques mais pour celui du
propriétaire, « ils ne sont tous unis que pour le mieux servir » (NH, OC II, 463). C’est
pourquoi toute atteinte à ses intérêts doit-elle être dénoncée. La politique de délation mise en
place par Wolmar et sa femme marque l’abaissement et l’asservissement total des employés
pour des intérêts qu’on leur a faussement présentés comme les leurs. Le caractère choquant de
cette pratique est renforcé par l’emphase et l’exagération que lui donne Rousseau (NH, OC II,
463). L’attachement des employés à Wolmar n’est pas totalement désintéressé cependant. Il
est soigneusement acheté par les propriétaires.
L’argent est ici aussi l’appât ultime des hommes. Wolmar l’utilise avec parcimonie16,
mais toujours à bon escient. Tout d’abord, les ouvriers sont soumis à deux niveaux de
rémunération, le salaire minimum conventionnel, et un salaire dit de bénéficence (NH, OC II,
443). Pour mieux pouvoir juger, des surveillants sont chargés de surveiller le travail des
ouvriers. La fidélité des domestiques est, quant à elle, assurée par une progression annuelle de
leurs gages. Tout est donc prévu pour faire aimer à ces hommes leur soumission et leur
enchaînement.
L’organisation domestique de la propriété de Clarens a pu apparaître au lecteur de La
Nouvelle Héloïse comme idéale17. Rousseau insiste d’ailleurs beaucoup sur son côté
vendanges dans la Nouvelle Héloïse, et son apparente égalité retrouvée, voir J. Starobinski, La transparence et
l’obstacle, op. cit., pp. 121-126.
16
« notre grand secret pour être riches, raconte Wolmar à son ami, est d’avoir peu d’argent, et d’éviter autant
qu’il se peut dans l’usage de nos biens les échanges intermédiaires entre le produit et l’emploi », NH, OC II, 548.
17
Alexis Philonenko est très justement revenu sur les interprétations qui ont voulu voir dans La Nouvelle Héloïse,
‘le’ roman du bonheur. La quasi-totalité du second volume de son ouvrage est consacré à cette réinterprétation.
A. Philonenko, Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur, tome 2, L’espoir et l’existence, Paris : Vrin,

12
bucolique, « tout y est agréable et riant, tout y respire l’abondance et la propreté » (NH, OC,
II, 441). Mais Clarens symbolise, avant tout, l’inégalité totale et la négation de la liberté que
Rousseau observe dans les sociétés modernes. C’est, pour reprendre les mots de Philonenko,
un cauchemar plutôt qu’un rêve18. Tout le système est orienté vers la satisfaction de l’intérêt
du propriétaire, tout le système doit se traduire par la maximisation de leur revenu.
Naturellement, le caractère clos de ce système semble de prime abord le soustraire à la
superficialité et à la vanité du monde extérieur, mais il en reproduit tous les vices.
L’autonomie n’existe pas réellement en dehors d’une constitution civile légitime. Le
simulacre de l’économie domestique a certes quelques vertus, mais il doit être dépassé par une
véritable économie politique.

2.2. L’économie politique légitime


En quoi l’économie politique se distingue-t-elle de l’économie domestique ? La
société est, tout d’abord, trop grande pour être physiquement administrée par un seul homme.
Elle échappe à son regard. Son chef, écrit Rousseau, « ne voit presque rien que par les yeux
d’autrui » (DEP, OC III, 241). Wolmar lui-même souffre de cet handicap, il ne peut contrôler
ni les sentiments de ses proches ni leur travail. Il regrette de ne pouvoir être un ‘œil vivant’ de
ne pouvoir voir sans être vu19. Le regard porté est indispensable car ses relations avec autrui
sont conventionnelles. Ses rapports avec les membres de sa maison relèvent davantage de
l’économie politique que de l’économie domestique. L’autorité naturelle du père, fondée sur
la force, diffère fondamentalement de celle du chef. La convention seule lui donne une
supériorité. Il doit être à l’écoute de sa raison, et non de ses sentiments, car il est missionné
pour protéger les intérêts du peuple, et non les siens20. Le père de famille, dont l’intérêt se
confond avec celui de ses enfants, n’a qu’à suivre ses sentiments.
L’économie domestique ou familiale est une institution naturelle, au contraire de
l’économie politique qui n’est qu’artifice21. Gérer un pays comme on gère une famille, c’est
prendre pour modèle l’état de nature alors qu’on l’a quitté. Agir comme homme naturel, en
dehors de l’état de nature. L’artifice doit permettre de recréer des rapports naturels dans les
rapports sociaux. Mais l’artifice n’est pas une simple imitation de la nature22. Rousseau
1984.
18
« En somme dans la question de savoir si à Clarens le rêve l’emporte sur le cauchemar, l’historien doit
reconnaître que l’équilibre longtemps maintenu n’est pas rompu dans le sens du bonheur par la fête. » A.
Philonenko, Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur, op.cit., t.II, p.212.
19
J. Starobinski, L’œil vivant, Paris : Gallimard, 1999, p.21.
20
« Loin que le chef ait un intérêt naturel au bonheur des particuliers, il ne lui est pas rare de chercher le sien
dans leur misere » (DEP, OC III, 243).
21
« La plus ancienne de toutes les sociétés et la seule naturelle est celle de la famille » (CS, OC III, 352).
22
M. Viroli, Jean-Jacques Rousseau and the ‘well-ordered society’, Cambridge : Cambridge University Press,

13
oppose ainsi l’art perfectionné de l’état civil à l’art commencé des sociétés spontanées (MG,
OC III, 288). L’économie politique, comme art perfectionné, est l’artifice qui permet de
recréer les bienfaits de l’économie domestique dans l’état civil.
Le passage, ou la rupture, vers l’état civil impose donc un éveil de la conscience civile
et individuelle, une (ré)activation des principes innés de justice et de vertu23. L’économie
politique rousseauiste participe de cette prise de conscience, grâce notamment au sentiment de
patriotisme qu’elle entretient chez les citoyens. Elle fait de l’intérêt général une composante
de l’intérêt particulier et de la justice la première règle de l’administration. Tout le système
fiscal est ainsi orienté vers la réduction des inégalités. La forte progressivité de l’impôt,
volontaire, reflète celle des utilités procurées par la société aux individus, et tout
particulièrement celles du droit de propriété que le pacte social leur a octroyé.
La réflexion de Rousseau s’inscrit dans un double rapport de continuité et de rupture
avec les théories du droit naturel. En faisant de l’économie une économie politique, c’est-à-
dire en lui octroyant une légitimité, Rousseau lui offre un nouveau statut. Il la soustrait au
discours lockien et à la fausse scientificité de la loi naturelle. La loi naturelle, telle qu’elle a
été présentée par le jusnaturalisme, ne peut servir de cadre de référence à des hommes exclus
de l’état de nature. En revanche, la constitution d’un état civil, dont les principes de justice
sont ancrés dans la nature même des hommes, permet de redonner à la loi naturelle un
fondement social et économique.
Le premier principe de l’économie politique, c’est-à-dire du gouvernement, est la
légitimité. Pour être acceptée de tous, l’action du gouvernement doit être guidée par la volonté
générale, c’est-à-dire l’intérêt général. Or, la volonté générale s’exprime dans la Loi. La
première règle de l’économie publique ou politique est donc que « l’administration soit
conforme aux lois » (DEP, OC III, 250). La deuxième règle est que celle-ci soit respectée,
c’est-à-dire que les membres de la société soient eux-mêmes des citoyens. Si la première règle
permet à l’économie politique d’exister, et non de singer l’économie domestique, la deuxième
lui permet d’être praticable. Elle assure l’efficacité de l’administration. L’amour de la patrie
est, à cet égard, le meilleur moyen de s’assurer du bon comportement des citoyens.
1988, p.25.
23
« Quelle que soit la cause de nôtre être, elle [la nature] a pourvû à nôtre conservation en nous donnant des
sentimens convenables à nôtre nature, et l’on ne sauroit nier qu’au moins ceux-là ne soient innés. Ces sentimens,
quant à l’individu, sont l’amour de soi, la crainte de la douleur, l’horreur de la mort, le désir du bien-être. Mais si,
comme on n’en peut douter, l’homme est sociable par sa nature, ou du moins fait pour le devenir, il ne peut l’être
que par d’autres sentimens innés, rélatifs à son espèce ; car à ne considérer que le besoin physique, il doit
certainement disperser les hommes, au lieu de les rapprocher. Or c’est du systême moral formé par ce double
rapport à soi-même et à ses semblables que nait l’impulsion de la conscience. Conoitre le bien, ce n’est pas
l’aimer, l’homme n’en a pas la conoissance innée ; mais sitôt que sa raison le lui fait connoitre, sa conscience le
porte à l’aimer : c’est ce sentiment qui est inné » (Emile, 436). Voir aussi, M. Viroli., Jean-Jacques Rousseau
and the ‘well-ordered society’, op. cit., p.22.

14
3. L’exclusivité des référents

3.1. Loi, propriété et monnaie


La Loi assure un statut identique à tous les citoyens. Les hommes, qui dans l’état de
nature, étaient tous égaux devant la Nature, sont à l’état civil tous égaux devant la Loi. Cette
égalité retrouvée modifie la nature des rapports entre les hommes, et de leur rapport aux
choses. Autrement dit, leur richesse ne peut plus désormais influer sur leur rapport sur les
autres membres de la communauté. Par le pacte social, ils se sont tous rendus volontairement
dépendants d’une volonté qui leur est supérieure, la volonté générale. Ce faisant, ils se sont
tous libérés d’une dépendance potentielle des individus. La Loi devient référent commun au
détriment de la richesse. Mais que devient l’ancien référent lorsqu’il est remplacé par le
nouveau ? Les deux doivent nécessairement coexister, mais on doit s’interroger sur le
renversement de la hiérarchie. Dans le second état de nature, les riches avaient imposé un faux
pacte aux pauvres, une fausse législation, pour que ces derniers protègent leurs intérêts.
Qu’advient-il lorsque le vrai pacte social est conclu, lorsque la volonté générale est placée au-
dessus de tous les intérêts particuliers ? Que devient l’acte économique dans l’état civil ? Pour
répondre à ces questions, deux points doivent être abordés ici, la propriété et la monnaie.
La propriété est un rapport d’exclusivité entre l’homme et les biens. Elle est un
sentiment exprimé par l’homme envers un bien qu’il juge lui être particulier. Locke trouve
dans le travail effectué l’origine de l’appropriation des terres. La propriété serait alors un droit
naturel, thèse réfutée par Rousseau. L’homme à l’état de nature s’approprie ce dont il a besoin
sans toutefois créer de rapport privilégié avec le bien approprié, « si l’on me chasse d’un
arbre, j’en suis quitte pour aller à un autre » (DOI, OC III, 161). Il y a dommage mais il n’y a
pas outrage. Cette appropriation ne porte, en outre, que sur le bien dont ils ont besoin, le fruit,
la céréale ou le poisson, et non sur celui qui le leur a procuré, l’arbre, le champ ou la rivière.
La critique qu’adresse ici Rousseau à Locke et ses disciples est fondamentale car le premier
type d’appropriation n’implique que l’homme et sa chose, rapport très éphémère, alors que le
second créé un rapport de dépendance entre les hommes.
Mais la propriété n’est rien sans le langage, ou plutôt elle n’est qu’un sentiment
individuel. La propriété, pour exister, a besoin d’être énoncée et reconnue. Cette
reconnaissance marque l’avènement du rapport homme-chose dans les rapports hommes-

15
hommes. Les propriétaires terriens ont désormais un pouvoir sur leurs congénères qu’aucune
force physique ne leur aurait permis d’acquérir dans l’état de nature. C’est tout le sens de la
célèbre phrase, « le premier qui ayant enclos un terrain, s’avisa de dire, ceci est à moi, et
trouva des gens assés simple pour le croire fut le vrai fondateur de la société civile » (DOI,
OC III, 164). Mais cette propriété-là n’est pas un droit24. Elle n’est que ruse langagière,
qu’usurpation. Comme pour le faux pacte, raison et langage s’associent pour détourner les
institutions de leur véritable nature. Le véritable droit de propriété est tout autre. Il est
l’expression de la volonté générale. Il est un engagement mutuel de reconnaître et respecter le
bien de chacun. Le droit de propriété est sacré pour Rousseau. Ce dernier accuse le droit de
propriété d’être responsable des inégalités, mais le sacralise. Il condamne les appropriations
abusives, qui ont appauvri et asservi de nombreux hommes, mais il respecte la légitimation
opérée a posteriori par la Loi. L’injuste devient juste. La propriété est réinventée par le contrat
social, de source d’inégalité et de domination, elle devient le garant de l’égalité et de la
liberté.
Le contrat social rétablit les vrais fondements de la société civile que sont l’égalité et
la liberté. La Loi, expression de l’intérêt général, rend tous les hommes également dépendants
de l’autorité politique et leur garantit à tous une même liberté civile. L’acte d’échange peut
retrouver sa fonction économique première, ainsi que la monnaie. L’homme ‘raisonnable’ ne
devrait plus céder aux passions dominatrices qu’elle a pu représenter. Dans l’Emile, Rousseau
établit même un remarquable et inattendu parallèle entre la monnaie et la loi. L’une et l’autre
peuvent être vecteurs d’égalité dans une société bien constituée comme elles peuvent être
vecteurs d’inégalité dans une société mal fondée. L’égalité civile établie, la monnaie retrouve
sa neutralité sociale. Dans un état idéal, celui créé par le Contrat social, l’acte économique
serait dépourvu de la dépendance et de l’inégalité qui le caractérisent traditionnellement.
L’échange n’incarne la dépendance et l’inégalité que lorsque la liberté et l’égalité ne sont pas
assurées par la nature ou la société.
Mais l’inégalité économique, ainsi que la perversion des mœurs qui l’accompagne, est
irréversible. Il est impossible lors du pacte civil de démunir les uns au profit des autres. La
propriété, devenue droit, par la volonté générale institutionnalise l’inégalité économique en
même temps qu’elle octroie à chacun « une égalité morale et légitime » (CS, OC III, 367).
Mais si la richesse perd son rôle politique par le contrat social, elle n’en reste pas moins
dangereuse par sa représentation sociale. Les hommes sont égaux de droit, mais restent
inégaux dans l’opinion. Les hommes mal dénaturés, emportés par leur passion et par l’attrait
24
Sur la propriété comme droit et fait, et l’originalité de la théorie de Rousseau, voir V. Goldschmidt,
Anthropologie et politique, op. cit., pp. 495-535.

16
du paraître, sont devenus orgueilleux et méchants. Or, ainsi que Rousseau le souligne dans sa
réponse au roi de Pologne, « on n’a jamais vû de peuple une fois corrompu, revenir à la vertu.
En vain vous prétendriez détruire les sources du mal ; en vain vous ôteriez les alimens de la
vanité, de l’oisiveté et du luxe ; en vain même vous raménierez les hommes à cette premiére
égalité, conservatrice de l’innocence et source de toute vertu : leurs cœurs une fois gâtés le
seront toûjours ; il n’y a plus de remède, à moins de quelque grande révolution presque aussi à
craindre que le mal qu’elle pourroit guérir, et qu’il est blamable de désirer et impossible de
prévoir » (Observations, OC III, 56).
L’inégalité de richesse ne peut disparaître, il serait même illusoire pour Rousseau
d’envisager ne serait-ce qu’un instant une semblable hypothèse25, mais le pouvoir qu’elle
exerce sur l’opinion est incompatible avec la citoyenneté. La richesse et la Loi constituent
deux référents exclusifs l’un à l’autre : « Jamais, écrit Rousseau dans la Lettre à d’Alembert,
dans une monarchie l’opulence d’un particulier ne peut le mettre au-dessus du prince ; mais
dans une République elle peut aisément le mettre au-dessus des lois. Alors le gouvernement
n’a plus de force, et le riche est toujours le vrai souverain » (LAS, 171). Il n’est donc pas
possible d’avoir dans le même temps deux sources d’autorité, la loi et la richesse. Or, seule la
première est légitime26. Le pacte d’association ne peut être conçu que dans un pays, de taille
modérée, dont les mœurs et l’industrie sont restées simples. La Corse ou la Suisse répondent à
ces exigences. Mais, même un pays très pauvre, comme c’est le cas de la Corse, n’est pas
exempt de l’influence morale de la richesse.
L’individuation se pratique au niveau de la Loi, tous les citoyens sont membres de la
société et égaux en droit. Idéalement leur rapport aux choses doit en être changé. Mais, les
représentations sociales des institutions économiques, et de la monnaie en particulier, résistent
aux évolutions politiques et continuent à en perturber le fonctionnement. Les transactions
monétaires perdent de leur efficacité, il est donc nécessaire d’en rationaliser l’usage. Dans ce
domaine, la principale règle que doit suivre l’administration est la suivante : limiter autant que
possible la circulation des espèces. La monnaie, indissociable de sa représentation sociale, se
pose comme un second référent fort embarrassant. Le problème se pose concrètement pour la
Corse (PCC, OC III, 920-21) et la Pologne (CGP, OC III, 1007-1008). Même dans un pays
pauvre et peu civilisé comme la Corse, les préjugés des pays riches sont répandus, « préjugés
qu’il faut combattre et détruire pour former un bon établissement » (PCC, OC III, 902). De
25
« mais ce seroit trop abuser du tems que de s’arrêter sur une supposition aussi chimérique que celle de l’égale
distribution des richesses : cette égalité ne peut s’admettre même hypothetiquement parce qu’elle n’est pas dans
la nature des choses » (FP, VII, OC III, 522).
26
« La puissance civile s’exerce de deux manières : l’une légitime par l’autorité, l’autre abusive par les
richesses » (PCC, OC III, 939).

17
plus, si la monnaie peut rendre visible, elle peut également se rendre invisible aux yeux du
fisc (PCC, OC III, 931). La soif de richesses nuit enfin au développement de l’agriculture au
profit des activités financières et commerciales plus lucratives mais moins utiles (PCC, OC
III, 920 ; CGP, OC III, 1008). L’établissement de régies locales, rassemblant les offres et les
demandes de chacun et établissant des rapports d’échange, est évoqué par Rousseau pour
réduire l’empire de la monnaie sur les échanges (PCC, OC III, 923-24). Ces échanges
pourraient s’effectuer par l’intermédiaire d’une monnaie fictive (PCC, OC III, 923).
Or l’usage de la monnaie n’est que trop encouragé par l’administration elle-même,
notamment par le biais de la fiscalité et des dépenses publiques. Rousseau propose donc
l’établissement d’un domaine foncier public bien qu’il soit conscient que celui-ci ne peut
suffire (DEP, OC III, 264-65 ; PCC, OC III, 931). Les dépenses publiques monétaires doivent,
quant à elles, être réduites autant que possible. La finance publique est un des points
névralgiques de l’analyse économique de Rousseau. Ce dernier la compare au « sang qu’une
sage économie, en faisant les fonctions du cœur, renvoye distribuer par tout le corps la
nourriture et la vie » (DEP, OC III, 244). Limiter la circulation monétaire ne signifie pas
limiter l’action publique, mais la gérer plus rationnellement (CGP, OC III, 1007-1008).
La distinction entre finance publique et activité monétaire est fondamentale chez
Rousseau. La finance publique est essentielle au bon fonctionnement économique de la
Nation, mais elle ne doit pas se réduire à son caractère monétaire. La finance publique est « le
nerf de la force publique » (PCC, OC III, 930), mais l’usage de la monnaie l’affaiblit.
Rousseau la compare à la graisse véhiculée par le sang (PCC, OC III, 931). La monnaie,
comme le langage, constitue un frein à la dénaturation de l’homme et à l’établissement d’une
vraie société civile.

3.2. Artifice et nature


Les représentations de la vanité humaine sont multiples, mais elles ne doivent pas nous
amener à confondre manifestation et origine de la perversion. L’origine du mal chez Rousseau
réside dans l’inégalité sociale (DSA, OC III, 49-50). Le langage, l’échange, les arts, les
sciences ou même les lois ont été détournés de leur fonction fédératrice pour diviser et
dominer. Ces institutions ont été les premières manifestations de la raison. Les comparaisons
établies entre les qualités des uns et des autres ont nécessité un outil d’évaluation. Mais cet
outil est vite devenu sous l’emprise des passions un moyen d’accroître ces inégalités, et de
leur donner un véritable statut social. La relation de l’homme aux biens structure alors les
rapports entre les hommes. L’inégalité économique fonde l’inégalité sociale. L’acte

18
économique devient, par défaut, politique. Le riche devient le magistrat puis le maître (DOI,
OC III, 187). Les modalités de l’économie domestique, l’accumulation et la domination,
envahissent la sphère politique. L’émergence de l’économie politique, au sens courant du
terme, correspond donc, ainsi que le souligne H. Arendt, à un effacement du domaine public
au profit du domaine privé27.
L’évolution linéaire de l’homme s’oppose à la rupture constituée par le passage de
l’état de nature à l’état civil. L’homme doit sortir de sa relation exclusive à la nature et créer
les conditions de sa vie en société. Il doit se ‘dénaturer’, non pas se domestiquer, se rendre
partiellement dépendant des hommes et des choses, mais véritablement sortir de l’état de
nature pour rentrer dans l’état civil. L’évolution institutionnelle et anthropologique est
simultanée. La dénaturation marque la fin de l’homme naturel et de l’état de nature. Le
Contrat social est l’acte fondateur de la société civile et de la dénaturation de l’espèce
humaine. Au niveau anthropologique, cela se traduit par le passage de l’homme passionné à
l’homme raisonné. Le projet que forme Rousseau est surhumain. Il exige également du
législateur des capacités extra-ordinaires, car c’est à lui que revient la responsabilité de la
dénaturation (CS, OC III, 381-82).
La Loi comme le contrat social est langage. L’engagement mutuel doit pouvoir être
énoncé et compris de tous. Le problème posé par la monnaie se pose à nouveau pour le
langage. Comment un même outil peut-il symboliser l’inégalité sociale et sa négation ? Le
langage est porteur des valeurs de la société. Mais dans une nation corrompue, il ne peut
exprimer la volonté générale. C’est alors au législateur de rendre explicite ce qui ne peut être
dit. C’est pourquoi le législateur doit être un homme exceptionnel, un homme « au dessus de
la portée des hommes vulgaires [capable de mettre ses] décisions dans la bouche des
immortels, pour entraîner par l'autorité divine ceux que ne pourroit ébranler la prudence
humaine» (CS, OC III, 383-84). Il doit également se faire comprendre (CS, OC III, 383).
Rousseau est lui-même prisonnier du langage conventionnel28. Il ne peut donc exprimer
qu’imparfaitement la vraie nature de l’homme, s’en faire comprendre est plus difficile encore.
Pour donner du sens à son discours, et ne pas soi-même verser dans de ‘vaines
argumentations’, Rousseau doit donc rétablir l’immédiateté du langage. La vertu et le bonheur
ne s’apprennent pas, ils se montrent, ils se ressentent. Plus l’identification est forte, moins la
médiation est destructrice de sens. Le langage peut donc recouvrer sa véritable fonction de
communication s’il est lui-même vecteur d’identification entre les hommes. Or, cela peut être
le cas si on le pense comme signe et non comme argument. Comme toute création humaine,
27
H. Arendt, Condition de l’homme moderne, Paris : Calmann-Lévy, 1983, p.71.
28
J. Starobinski, La transparence et l’obstacle, op.cit., pp.179-181.

19
tout artifice, le langage doit s’inspirer de son modèle naturel et se faire l’expression des
sentiments. Le langage doit pouvoir retrouver l'accord du signifiant au signifié propre aux
tropes du langage primitif29. On observe donc une homologie entre le langage et la monnaie.
Pour rétablir la force de la loi, l’égalité et la liberté des hommes, il faut préalablement mettre
fin au poids de l’opinion et des croyances. Il faut établir la transparence de la médiation,
médiation des hommes et médiation des choses. L’état de nature est, par essence, un état de
l’immédiat. La dénaturation des hommes passe donc également par une défiance des
institutions spontanément établies. Les institutions humaines doivent être pensées comme
artifice pour se prévaloir du qualificatif de naturel.
L’économie de la société doit également prendre conscience de son artificialité si elle
veut se donner pour modèle l’idéal naturel30. Il y a deux types d’économie politique chez
Rousseau, l’économie politique despotique qui se revendique de la continuité de l’état de
nature et du modèle familial, et l’économie politique légitime qui a pris conscience de la
rupture constituée par le passage de l’état de nature à l’état civil. La première use d’une
illusoire identité d’intérêts pour dominer les faibles et les pauvres, la seconde rend, par
l’artifice de la Loi, l’harmonie d’intérêts perdue dans l’état de nature, mais encore présente
dans l’économie domestique. L’économie politique légitime, qui se fonde notamment par le
respect de la volonté générale, réduit donc la distinction opérée initialement avec l’économie
domestique en recréant par l’artifice et la raison les qualités spontanées de la société naturelle.

Conclusion
Dans un article récent31, Jean Mathiot défendait l’idée selon laquelle le Contrat social,
par sa pureté politique, constituait une réponse au discours économique émergent et menaçant.
Le corpus que nous avons choisi ici est plus large, et comprend des passages spécifiquement
économiques, mais la conclusion diffère peu. Rousseau refuse de faire de l’économique une
matière publique.
L’économie, au sens aristotélicien du terme, relève du domaine privé, des contraintes
de la conservation, de la richesse et de l’inégalité naturelle. Vouloir l’étendre à la société
civile reviendrait à en nier la nature et à détruire l’espace de liberté et d’égalité qu’elle a su

29
« La langue primitive est la langue des passions et des tropes. Son archaïsme désigne l’accord du signifiant et
du signifié, la logique de l’imitation et de l’identification », F. Markovits, L’ordre des échanges. Philosophie de
l’économie et économie du discours au XVIIIe siècle en France, Paris : PUF, 1986, 62.
30
Viroli M., Jean-Jacques Rousseau and the ‘well-ordered society’, op. cit., p.38.
31
J. Mathiot, « Politique et économie chez Jean-Jacques Rousseau », in J. Boulad-Ayoub, I. Schulte-Jenckhoff et
P-M. Vernes (eds.), Rousseau. Anticipateur-retardataire, Paris : L’Harmattan, 2000, pp.19-39.

20
créer en dehors de la famille. La loi seule, et non la richesse, peut permettre selon Rousseau de
concilier les intérêts divergents des individus et de satisfaire l’intérêt général. La loi naturelle
n’est légitime que si elle est reconnue par la loi civile. La sémantique de l’économie politique
de Rousseau s’oppose donc à celle de Montchrétien, défendue cent quarante ans auparavant.
En 1758, soit trois ans après la publication de l’article ‘Economie’ de l’Encyclopédie,
François Quesnay rend public son Tableau économique. L’engouement est immédiat. Un
mouvement se forme, il se nomme physiocratie ou ‘gouvernement de la nature’. Leur
enseignement, la ‘science économique’, met définitivement fin au débat terminologique.
L’économie politique devient alors la science des richesses.

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