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PHOTOGRAMMÉTRIE

La photogrammétrie est une technique qui consiste à effectuer


des mesures dans une scène, en utilisant la parallaxe obtenue
entre des images acquises selon des points de vue différents. Re‐
copiant la vision stéréoscopique humaine, elle a longtemps exploi‐
té celle-ci pour reconstituer le relief de la scène à partir de cette
différence de points de vue. Actuellement, elle exploite de plus en
plus les calculs de corrélation entre des images désormais numé‐
riques. Cette technique repose entièrement sur une modélisation
rigoureuse de la géométrie des images et de leur acquisition afin
de reconstituer une copie 3D exacte de la réalité.

HISTOIRE
La photogrammétrie a fortement évolué depuis sa première appli‐
cation réalisée par un officier de l’armée française, Aimé Lausse‐
dat en 1849 sur la façade de l'Hôtel des Invalides : il a eu en effet
l’idée d’utiliser des photographies de paysages non seulement
pour observer le terrain mais aussi pour le mesurer. Il met ainsi au
point une technique qui s’appellera plus tard la photogrammétrie.
Laussedat devient professeur au CNAM en 1873, titulaire de la
chaire de géométrie appliquée aux arts où il est souvent question
de topographie, et celui que l’on peut considérer comme l’inven‐
teur de la photogrammétrie sera même directeur du Conservatoire
de 1881 à 1900. L'autre personnage-clé est Félix Tournachon,
plus connu sous le nom de Nadar, qui dans les années 1860
monte en ballon pour photographier Paris et bien d'autres villes, et
qui a très bien compris, à en juger par les brevets qu’il a déposés,
l’intérêt de la photographie aérienne pour des finalités tant civiles
que militaires. Inventée en France, la photogrammétrie a ensuite
été développée et industrialisée de façon très complète en Alle‐
magne. En pratique, il faut attendre l’entre-deux-guerres pour que
la photographie aérienne se généralise, avec le développement de
l’aviation. Après-guerre, on observe un emploi de plus en plus sys‐
tématique de la photogrammétrie pour réaliser les cartes de base
de pays entiers. Les développements de l'imagerie spatiale à
haute résolution et de la puissance de l'informatique grand public
ont donné depuis peu de nouvelles impulsions à ce domaine. Mais
en parallèle, les développements au sein de la communauté de
vision par ordinateur, destinés essentiellement à des applications
de robotique, ont capitalisé depuis une décennie l'essentiel des ef‐
forts de recherche dans ce même domaine. C'est cette commu‐
nauté qui, actuellement, est principalement porteuse de l'avenir de
la photogrammétrie.

PRINCIPE GÉNÉRAL
Le principe général est basé sur la perception humaine du relief
par observation stéréoscopique. Pour le cas de la photogrammé‐
trie aérienne, un avion équipé d'une chambre de prise de vues
vole au-dessus d'une région, de façon qu'une partie du terrain fi‐
gure sur deux clichés correspondant à deux positions différentes
de l'avion.

Si on observe simultanément un cliché avec un œil et le second


avec l'autre œil grâce à un outil optique approprié (stéréoscope à
miroirs, appareil de restitution, ordinateur équipé de lunettes spé‐
ciales, etc.), on voit en relief la zone de terrain vue sur les deux
images. La vision humaine permet en effet de voir en relief dans
une large gamme de dispositions relatives de ces deux images.
Mais si nous disposons ces dernières dans une position relative
exactement semblable à celle qu'elles avaient au moment de la
prise de vue, alors l'image stéréoscopique observée est une
exacte homothétie du terrain réel photographié, pour autant que la
chambre de prise de vue soit parfaite (c'est-à-dire n'apporte au‐
cune distorsion à l'image, on l'appelle alors chambre "métrique"),
ou que l'image ait été corrigée de sa distorsion. Pour exploiter
alors cette scène stéréoscopique, l'appareil de restitution super‐
pose à chaque image un point (le "ballonnet"), que la vision hu‐
maine comprendra comme un petit objet dont la position est dépla‐
çable à volonté en hauteur au-dessus de l'image du terrain grâce à
des commandes appropriées. L'opérateur aura donc pour travail
de promener ce ballonnet dans l'image sur tous les objets à mesu‐
rer, pendant que l'appareil archivera toutes les informations numé‐
riques produites.

Pour que l'image observée soit une copie exacte de l'objet mesuré,
il faut contraindre un certain nombre de points dans l'image en les
obligeant à être à des positions relatives similaires aux leurs sur
l'objet. Pour un couple stéréoscopique donné, on montre qu'il faut
6 points connus pour que l'image soit fidèle. Ces points seront me‐
surés : cette opération est appelée stéréopréparation. Lorsque de
nombreux couples stéréoscopiques sont enchaînés (bande de cli‐
chés aériens), on peut limiter le nombre de points terrain à mesu‐
rer en analysant toutes les contraintes géométriques qui se trans‐
mettent de cliché à cliché. Le processus de calcul, très complexe,
s'appelle aérotriangulation. Par ailleurs, la manipulation des
grandes quantités de données numériques extraites est résolue
par des logiciels spécialisés, outils permettant la mise en forme fi‐
nale des données sorties de l'appareil, d'entrée des corrections en
provenance des équipes de terrain (qui complètent les levers de
toutes les informations non visibles sur les clichés et corrigent les
points douteux, phase dite de complètement), et enfin de forma‐
tage et d'édition des données selon les besoins du client.

BASES GÉOMÉTRIQUES
La forma‐
lisation

Suite des opérations menées pour mettre en place un couple


stéréoscopique (selon D. Moisset, IGN).

géométrique de la stéréoscopie repose sur deux types d'équa‐


tions, tous deux largement utilisés en photogrammétrie et en vision
par ordinateur, le but étant de déterminer l'orientation relative des
images à partir des points identifiés comme homologues dans
deux images :
L'équation de colinéarité. a et a' étant les images du point A
de l'es‐
pace réel
dans
deux
plans
images

Figure de base de la géométrie stéréoscopique.

(correspondant à deux positions successives du plan focal


d'une caméra donnée), on écrit simplement le fait que a, S1 et
A sont alignés, ainsi que a', S2 et A. Ces expressions ne sont
rigoureusement exactes que si les optiques employées sont
dépourvues de distorsion (ou corrigées de celle-ci). Cette ap‐
proche est historiquement celle qui a été utilisée en photo‐
grammétrie, son principal inconvénient résulte du fait que le
problème de l'orientation relative de deux images est ici non
linéaire, et exige donc une solution approchée pour démarrer
les calculs. Cette solution approchée est simple en photo‐
grammétrie aérienne, car les axes de prises de vues sont qua‐
siment verticaux, les images étant sensiblement orientées de
façon similaire. La démarche consiste donc à calculer l'orien‐
tation relative des images, puis à mettre l'objet 3D ainsi obtenu
à sa place dans l'espace (orientation absolue), et enfin le
mettre à l'échelle.

L'équation de coplanarité. L'approche est un peu différente,


même si elle est géométriquement équivalente, on écrit que
les vecteurs , et sont coplanaires. Cette méthode
est la base de la résolution de l'orientation relative au sein de
la communauté de la vision par ordinateur. Les trois vecteurs
étant coplanaires, on exprime que leur produit mixte est nul,
ce qui peut s'écrire comme une forme quadratique basée sur
une matrice, appelée "matrice essentielle" (terme consacré).
Cette matrice résulte du produit de l'axiateur formé à partir de
la translation avec la matrice de rotation permettant de pas‐
ser du référentiel de l'image 2 à celui de l'image 1. Cette ap‐
proche suppose la connaissance préalable des paramètres
géométriques de l'acquisition d'images (position de l'axe op‐
tique par rapport à l'image, valeur de la distance focale, distor‐
sion, etc.). Pour les cas où ces paramètres sont inconnus, la
modélisation doit se passer de certains éléments indispen‐
sables à la reconstruction géométrique complète. Néanmoins,
si l'on admet de travailler en géométrie projective, qui est par‐
faitement adaptée à cette situation, on peut quand même ob‐
tenir des éléments très utiles, et cette situation est fréquem‐
ment rencontrée en vision par ordinateur. On utilise alors en‐
core une forme quadratique, mais cette fois basée sur la "ma‐
trice fondamentale" (autre terme consacré).

L'identification des points homologues a longtemps exigé une in‐


tervention humaine, et représentait alors une phase de travail as‐
sez coûteuse. Désormais, on parvient de façon de plus en plus ef‐
ficace à l'obtenir de façon automatique, les algorithmes les plus
employés étant celui de Harris (détection des éléments d'images
qui s'apparentent à des coins) et plus récemment celui de Lowe
(méthode appelée SIFT, pour Scale Invariant Feature Transform).

INSTRUMENTATION EMPLOYÉE
Les clichés que l'on emploie
sont souvent pris en avion,
avec des axes pratiquement
verticaux. Les chambres mé‐
triques anciennes étaient très
lourdes (plus de 100 kg) car
le format de cliché était de
24 cm x 24 cm, et l'optique
Appareil de restitution photogrammétrique devait collecter beaucoup de
mécanique Zeiss Planimap D2, années
1970. lumière parce que les temps
de pose ne pouvaient être
longs (quelques millisecondes, sinon le mouvement de l'avion
créait un "filé" sur l'image), et en plus n'avoir qu'une distorsion insi‐
gnifiante (quelques μm au pire). Puis certaines chambres ont eu
une compensation de filé (années 1990) : pendant le temps de
pose, on déplaçait dans le plan focal le film à la même vitesse que
l'image. Ceci a permis des temps de pose plus longs et donc des
prises de vues dans des
conditions d'éclairage ou de
vitesse peu favorables (soleil
voilé, vols à basse altitude
pour clichés à grandes
échelles, etc…). Désormais,
et depuis les travaux pion‐
niers de l'IGN au cours des
années 1990, les images ac‐ Appareil de restitution photogrammétrique
analytique Leica SD 2000, années 1990.
quises dans l'avion sont de
plus en plus souvent numé‐
riques, employant des camé‐
ras CCD ayant un très grand
nombre de pixels, et désor‐
mais très largement industria‐
lisées.

Les images exploitées


peuvent aussi être obtenues
avec des appareils "ter‐ Appareil de restitution photogrammétrique
numérique, année 2005.
restres", de formats plus mo‐
destes (autrefois, films depuis
6 x 6 cm jusqu'à 12 x 15 cm, et maintenant des images numé‐
riques de plusieurs dizaines de millions de pixels), que l'on em‐
ploie beaucoup pour des levers architecturaux (plans de façades
p. ex.) ou pour la "métrologie photogrammétrique" de grands ob‐
jets industriels.

Les appareils de restitution ont longtemps été entièrement méca‐


niques, et donc très onéreux et délicats pour tenir leurs impres‐
sionnantes spécifications de précision. Puis au cours des années
1980-90, on a développé des appareils où presque toutes les fonc‐
tions mécaniques étaient effectuées par un ordinateur qui com‐
mandait le déplacement des clichés. Ces appareils étaient appelés
restituteurs analytiques et permettaient une meilleure rapidité de
mise en place et d'exploitation des clichés.

Dans les années 1990, une nouvelle variante d'appareil est arrivée
sur le marché, utilisant exclusivement un ordinateur. Les clichés
ont été tout d'abord numérisés par scannage, et depuis lors de
plus en plus souvent obtenus directement sur des caméras numé‐
riques, et présentés avec un système permettant la vision stéréo‐
scopique sur écran. L'opérateur procède dès lors comme sur un
appareil ancien, mais en plus il dispose d'aides informatiques nou‐
velles comme la corrélation automatique (qui remplace, sans intel‐
ligence, la vision stéréoscopique humaine).

DOMAINES D'APPLICATION
On peut
citer :

la photo‐

Affichage, avec un rendu 3D, des résultats d'une restitution


photogrammétrique.

grammétrie aérienne qui est l’ensemble des techniques et


des matériels utilisés pour aboutir à la représentation d’un ter‐
ritoire étendu, à partir de prises
de vues aériennes (désormais
de plus en plus souvent numé‐
riques), voire d'images spatiales
à petit pixel (p. ex. Ikonos,
Quick Bird, Spot 5…). C'est le
domaine historique de la photo‐
grammétrie, et l'explosion du
besoin de données géogra‐ La même image aérienne, ortho-
phiques à jour entraîné par la rectifiée : cette image est en tout
point parfaitement superposable
multiplication des SIG lui assure à une carte, les effets de
durablement de bonnes pers‐ perspective liés au relief ne sont
plus perceptibles.
pectives industrielles, car c'est
de loin le processus qui permet
de mesurer le plus de points au coût le plus faible sur de gros
chantiers. Dans ce domaine, on peut inclure l'orthophotogra‐
phie. C'est une technique qui utilise l'orientation relative des
images, la position de la caméra, ainsi qu'un modèle numé‐
rique du terrain ; à partir de ces éléments, on déforme l'image
afin de la rendre, par calcul, parfaitement superposable en
tout point à une carte. Et une fois ""ortho-rectifié" un ensemble
d'images, on peut assembler celles-ci pour former une seule
image, parfaitement continue, pouvant couvrir jusqu'à un pays
entier.
la photogrammétrie terrestre qui est l'application des mé‐
thodes photogrammétriques à divers types de relevés : par
exemple monuments et travaux d'architecture, métrologie de
pièces industrielles de toutes sortes de dimensions, etc. à par‐
tir de prises de vues terrestres. Ces prises de vues sont désor‐
mais systématiquement numériques.

La photogrammétrie est ainsi utilisée dans différents domaines,


tels que la topographie, la cartographie, les SIG, l'architecture, les
investigations de police, la géologie ou encore l'archéologie.

Depuis les développements récents de l'informatique grand public,


de remarquables logiciels ont été industrialisés, avec lesquels on
parvient à effectuer la plupart des traitements photogrammétriques
classiques à partir des images numériques obtenues. On parvient
aussi à prendre en compte les aberrations optiques de la caméra
de façon beaucoup plus aisée, et à réaliser les calculs de corréla‐
tion entre images, remplaçant de façon souvent avantageuse l'œil
humain. Ainsi la photogrammétrie a pu investir le champ des appli‐
cations de la mesure 3D : création de Modèle numérique de terrain
(MNT), relevé de la géométrie d'installations de grandes dimen‐
sions (voir les applications de la photogrammétrie sur l'accéléra‐
teur LHC du CERN), relevé de la déformation de pièces, relevé de
produits industriels…

UN DOMAINE D'EMPLOI, LA MÉTROLOGIE INDUSTRIELLE

Malgré les avantages certains de cette méthode qui permet de tra‐


vailler sur points naturels (sans cible), les deux principaux inconvé‐
nients de la photogrammétrie stéréoscopique employée en métro‐
logie industrielle résident dans le délai de restitution des résultats
de mesure qui peut être très long, et par le fait d'être obligé de réa‐
liser des clichés parallèles pour que l'opérateur puisse visualiser
les images en stéréoscopie. De ce fait, cette méthode est restée
très longtemps en marge des applications industrielles et ne s'im‐
posait que par défaut d'autres méthodes 3D. Grâce aux moyens
de calcul de plus en plus rapides, complexes et portables, ces ap‐
plications de photogrammétrie ont fortement évolué. Dès qu'il a été
possible de traiter les clichés individuellement par des procédés
semi-automatiques, dans la plupart des opérations industrielles, le
principe de la stéréoscopie en images à axes parallèles a été
abandonné au profit de la prise de vue convergente, principe direc‐
tement inspiré des mesures au théodolite. Par ailleurs, les progrès
du numérique ont permis de remplacer les supports argentiques
par des matrices CCD. Les avantages apportés par cette nouvelle
technologie sont indéniables :

Un traitement en temps quasi réel est devenu possible.


Facilité de la prise de vue et du traitement, ce qui conduit les
opérateurs à multiplier les points de vue (d'une mesure avec
10 à 12 clichés argentiques, on passe facilement à des me‐
sures à 60, voire 100 images).
Une dynamique d'image devenue réellement considérable,
avec un bruit très réduit, ce qui a rapidement donné d'excel‐
lents résultats en matière de corrélation automatique.
Simplification des procédures de reconnaissance de cible,
grâce à des traitements d'image adaptés.
Optimisation des calculs de centre de cible, ce qui permettait
de compenser la faible définition des premières matrices CCD
par rapport aux supports argentiques. Les tailles de matrices
actuelles ne présentent plus ce défaut.

De ce fait, la photogrammétrie s'est rapidement imposée comme


une méthode de mesure 3D de l'industrie, dès lors que les sur‐
faces à contrôler sont complexes, que le niveau d'incertitude re‐
quis est faible et que la rapidité de la saisie est essentielle.

NOTES ET RÉFÉRENCES
1. ↑ [PDF](en) Une petite histoire de la photogrammétrie

BIBLIOGRAPHIE
R . Martin, Notions de photogrammétrie, Eyrolles, 1968
K . Kraus, P . Waldhäusl, Manuel de photogrammétrie, prin‐
cipes et procédés fondamentaux, Traduction de Pierre Grus‐
senmeyer et O. Reis, Hermes, 1998
M. Kasser, Y. Egels, Photogrammétrie numérique, Hermès-
sciences, 2001
Harris, C. and Stephens, M. 1988. À combined corner and
edge detector. In Fourth Alvey Vision Conference, Manches‐
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Lowe, D. G. 2004, « Distinctive image features from scale-
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p. 91–110.
J. A. Barcelò, Visualizing What Might Be: An Introduction to
Virtual Reality Techniques in Archaeology in Virtual Reality in
Archaeology, Computer Applications and Quantitative Me‐
thods in Archaelogy, 2000, p. 12-13
M. Kalantari, M. Kasser, « Photogrammétrie et Vision par Ordi‐
nateur », revue XYZ, no 117.[1]
ANNEXES
ARTICLES CONNEXES

géographie mathématique
ENSG
Mesure stéréoscopique
orthophotographie
Photographie aérienne

LIENS EXTERNES

Site de l'école nationale des sciences géographiques (ENSG),


qui dispose d'un important département d'enseignement de
photogrammétrie
Site de l'IGN
Site du Laboratoire d'instrumentation de l'IGN (LOEMI), qui a
développé les premières caméras numériques
Site du Syndicat national des entreprises privées de la photo‐
grammétrie et de l'imagerie métrique
Photogrammétrie tutoriels et des Exemples
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Portail de l’information géographique

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: les textes sont disponibles sous

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