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Le japon

des jardins
Francis Peeters
Photographies : Guy Vandersande

Comprendre les jardins japonais


de la Préhistoire à nos jours

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sommaire
Avant-propos 9

Préhistoire
Il y a bien longtemps… 15 La voie du thé 139

momoya (1568-1615)
Le jardin de la Préhistoire 16 Une nouvelle spiritualité 142
Yûgen 142
Une promenade en barque… 23 Cérémonie et jardin 144
L’époque de Nara 24 L’architecture de style sôan 145
Heian (794-1185)
Nara (710-794)

Tôin Teien, le jardin du Palais impérial de Nara 26 L’esthétique du thé, de la sobriété au décor raffiné 146
L’époque de Heian 28 Omote Senke, le jardin de L’École de Thé 148
Sakuteiki et Genji 28
Quatre symboles de jardin empruntés à la Chine 32 Le jardin en mouvement 155
Saihô-ji, le temple des mousses 35 Le jardin Ninomaru au château Nijô, le jardin de l’opportunisme 158

edo (1615-1868)
Le parc Ritsurin à Takamatsu, le jardin aux Châtaigniers 162
Le jardin du Buddha 43 Villa Katsura, le Rêve du Prince 166
(794-1185)

Byôdô-in, le jardin de la terre Pure du Buddha Amida 46 L’architecture de style sukiya 173
Heian

Sanzen-in, le temple des trois Mille (Mondes) 48 Époque Meiji : le choc des cultures 174
Kinkaku-ji, le temple d’Or 52 Murin-an, l’ermitage isolé 176

La révolution du zen 57 Le jardin-architecture 179


L’époque de Kamakura 58 Les jardins du musée Adachi. Quand le jardin se transforme en peinture 182

aujourd’hui
L’époque de Muromachi 60 Miho, le paradis séquentiel 188
Qu’est-ce que le zen ? 61 Yumebutai et Honpuku-ji. Comment dire pardon à la Nature 192
Le zen dans l’art des jardins 62 Naoshima et l’archipel où l’art devient un jardin 196
Muromachi (1336-1568)
Kamakura (1185-1333)

Ryôan-ji, le mystère de la beauté dans l’équilibre 68 Cai Guo-Qiang et Lee Ufan 198
De l’interprétation du Ryôan-ji 74
Daitoku-ji, le temple de la Grande Vertu 76
Ikkyû le Fou 78
Daisen-in : une peinture tridimensionnelle 80 Hanami, le pouvoir des fleurs 201
La peinture de paysage 86 Sakura 204
Obai-in, sous-temple du Daitoku-ji 88 Ume 206
Ryôgen-in, le temple du Dragon chantant 90 Botan 206
L’architecture de style shoin 94 Tsutsuji 208
Nanzen-ji, le jardin du Tigre bondissant 96 Matsu 208
Momiji 210
Le zen « éternellement moderne »
de Shigemori Mirei 101 Adresses et carte du Japon 215
Zuihô-in, le temple de la Montagne bienheureuse 104
Le Hôjô du Tôfuku-ji 108
xxe siècle

Funda-in, le jardin de Sesshû Tôyô 114


Sesshû Tôyô (1420-1507) 117
Ryôgin-an, l’ermitage du Dragon chantant 118
Le Shakkei, paysage emprunté. Époques de Muromachi et Edo 123
L’histoire du Japon est découpée par périodes
Ginkaku-ji, le Pavillon d’Argent 126 appelées « époques ». Les grandes parties
Jôju-in, sous-temple du Kiyomizu-dera 132 de cet ouvrage correspondent donc aux époques.
Shinsen-dô, la retraite des Poètes immortels 134 Exemple : époque Heian (794-1185)
5
époque de heian

Saihô-ji
Le temple des Mousses
En l’absence de tout aménagement datable de l’époque Heian et au risque de paraître
anachronique dans le déroulement historique de l’évolution des jardins, j’aimerais
saihô - ji  

évoquer un lieu incontournable créé au Moyen Âge, mais qui reflète parfaitement la
substance de ceux qui n’existent plus. Je dirais même qu’il en est la continuité logique.
Le jardin de plaisance devient alors le jardin de promenade.
Le moine Musô Soseki (1275-1351) est un personnage incontournable à son
époque. Abbé du plus important temple de Kyôto et conseiller personnel à la fois de
l’empereur et du shôgun, il œuvre toute sa vie à la paix des armes. En 1339, il crée le
Saihô-ji, le « Temple des Parfums de l’Ouest », l’un des plus fameux jardins du Japon
classé aujourd’hui au patrimoine de l’humanité par l’Unesco, mieux connu en Occi-
dent sous le sobriquet de « Kokedera », le « temple des Mousses ». Sur les ruines d’un
ancien temple, il imagine une version nouvelle du jardin d’autrefois avec un grand étang
central, mais aux dimensions plus réduites, dont les contours fortement découpés font
penser à l’idéogramme chinois pour le mot « cœur ». Malgré la présence symbolique
d’une barque sur l’eau, c’est à pied que le visiteur rejoint les trois îles aménagées en
son centre et reliées entre elles par d’étroits passages qui font office de ponts.

C’est à l’automne que le jardin resplendit. Le feuillage des érables s’embrase


et se détache alors parfaitement sur une mer de jade comme un brocart de soie.

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époque de heian
saihô - ji  

« Ceux qui sont détachés du monde goûtent le calme des montagnes.


Les sages aiment naturellement la pureté de l’eau.
En jouant avec le paysage et le cours d’eau, je ne vise qu’à en affiner la clarté. »
Musô Soseki 38 39
époque muromachi

Ryôan-ji
Le mystère de la beauté dans l’équilibre
Le « Temple du Dragon Paisible », puisqu’il s’agit de la traduction de son nom japonais,
est sans nul doute le plus connu des jardins zen au Japon. Paradoxalement, l’abondance
de commentaires qui l’accompagne a tendance à envelopper le sujet d’un brouillard
ryôan - ji  

aussi épais qu’inutile.


Il faut toutefois reconnaître que son histoire est un mystère car nous ne pos-
sédons malheureusement pas de trace écrite. Certains faits et événements historiques
permettent toutefois d’apporter des éléments de réponse.
Nous devons remonter à l’heure de gloire de l’époque de Muromachi au
milieu du xve siècle. En 1450, le puissant seigneur Katsumoto achète un domaine qui
était autrefois la résidence de campagne d’un noble à la cour de Heian. Il réhabilite le
lieu en reconstruisant la résidence au bord du lac, et sur la colline un vieux temple qui
portait déjà le nom de Ryôan-ji. Mais la guerre éclate et son domaine est pillé. En 1488,
son fils Masamoto retourne sur les lieux et restaure le temple. C’est de cette époque
que date vraisemblablement le jardin sec.

Le créateur de jardins zen est un chorégraphe et les groupes de rochers ses


danseurs. Il a ainsi recours à trois lignes de force. L’axe vertical installe une tension
contenue, l’axe horizontal le repos. Ces forces latentes sont mises en mouvement
par l’introduction d’un axe diagonal qui les relient. En résulte une imbrication de
triangles asymétriques planes et tridimensionnels particulièrement dynamiques.

68 69
muromachi
xxx

La peinture de paysage
époqueépoque

Voici deux fragments de la grande


composition « Fleurs et Oiseaux des
quatre Saisons », qui décore la salle de
réception dans l’angle sud-ouest.
La nature en devient le thème central
qui s’organise autour d’un pin au tronc
sinueux et d’une cascade rectiligne.
Les motifs de grande dimension,
rehaussés de riches couleurs à la
chinoise, sont disposés au premier plan
pour réduire la profondeur de l’espace.
Nous sommes à contre-courant de la
récession spatiale chinoise classique
utilisée dans le jardin du Daisen-in.
Le Japon s’évade ainsi des procédés
formels chinois et propose sa propre
vision des choses.

Le thème des quatre saisons


est récurrent dans la peinture
japonaise, dont le cycle se lit
aisément de droite à gauche
Au jardin coexistent par la présence d’animaux et de
quatre manières de créer le paysage : végétaux clairement associés aux
a/ la récession classique, moments de l’année.
b/ la création d’un avant-plan qui
réduit la profondeur,
c/ l’affirmation d’un plan moyen,
3 1
d/ l’emprunt du paysage lointain
pour agrandir l’espace. 3

2 1 2

1
1

a/ Dans ce paysage, l’œil ne privilégie b/ Le paysagiste introduit ici un b/ La présence du pont force cette fois d/ L’espace créé incorpore le paysage
aucun élément en particulier. Il s’agit d’une élément percutant qui oblige l’œil à le regard à donner la priorité au plan lointain (1), ce qui rend le jardin
récession spatiale classique avec son donner la priorité à l’avant-plan (1) moyen (2), ce qui permet à l’avant- immense et sans limite.
premier plan (1), son plan moyen (2) et comme sur la peinture de paysage plan (1) et à l’arrière-plan (3) de se
son arrière-plan (3) traités d’égal à égal. décrite plus haut. rejoindre.

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époque de muromachi

Ginkaku-ji
Le Pavillon d’Argent
Le shôgun Ashikaga Yoshimasa (1435-1490) restera plus célèbre dans l’histoire pour
son goût immodéré de l’art que pour sa piètre carrière politique, placée sous le signe
d’une épouvantable guerre civile qui réduisit la presque totalité de Kyôto en cendres.
Comme son grand-père l’avait fait avant lui un peu moins d’un siècle plus tôt au
gink aku - ji  

Kinkaku-ji, il entreprend la construction d’un palais-jardin dont le nom reste encore


aujourd’hui un mystère. Ginkaku-ji se traduit par « Pavillon d’Argent », sans qu’aucune
trace de feuille métallique ne soit pourtant visible sur les parois de l’édifice. On imagine
toutefois l’esthète contempler l’astre nocturne aux reflets d’argent s’élevant au delà
des collines justement nommées Tsukimachiyama, « la Montagne qui attend la Lune ».
Les jardins empruntent au Temple des Mousses, le fameux Saihô-ji imaginé
par le génial Musô Kokushi, ses principales composantes : un jardin de promenade en
contrebas, une partie haute adossée à la colline qui fait office de « jardin sec », et un
bâtiment à étage qui permet une vue plongeante sur les aménagements paysagers.
Un siècle les sépare cependant et de nouvelles composantes ont fait leur apparition.
L’étage inférieur du Pavillon, judicieusement nommé la « salle du Vide de l’Intérieur »,
sacrifie à la nouvelle architecture shoin avec des portes coulissantes, qui donnent sur
un étang entouré de pins et d’érables. La présence de l’étage supérieur met davan-
tage encore en évidence son atmosphère contemplative, dont le toit en joyau et les
fenêtres cintrées rappellent les édifices zen.

Le shôgun Yoshimasa était à la fois


un fervent admirateur du zen, qu’il
pratiquait dans le pavillon principal
(photo de gauche), mais il n’était pas
moins adepte de la Terre Pure du
Buddha Amida dont une image était
conservée dans un pavillon adjacent
(photo de droite). Ce dernier, désigné
Trésor National, est considéré
comme le prototype des futurs
pavillons de thé à l’architecture de
style shoin et ses dimensions idéales
de 4 tatamis et demi.

126 127
époque de muromachi

La seconde partie du domaine est beaucoup plus ambitieuse. Son admirable


pavillon rend hommage au culte du Buddha Amida et le beau jardin qui s’étend tout
autour évoque les aménagements de l’époque Heian, bien que la dimension restreinte
des étangs et la présence de nombreux sentiers invitent bien plus à la promenade
qu’à une partie de barque. Plus loin, le jardin intègre une haute colline dans le champ
de vision, le fameux « shakkei », mais il invite également à en arpenter le flanc qui
se transforme alors en paysage sec dynamique. Nul doute que Yoshimasa admire le
gink aku - ji  

Saihô-ji dont il emprunte les idées révolutionnaires. Mais un élément étonne à la fois
le regard et l’esprit. Une partie du jardin inférieur s’est transformée en une vaste aire
surélevée de sable gris, soigneusement ratissée, à l’image d’une mer d’argent que le
clapotis de quelques vagues structure en bandes parallèles de vides et de pleins. À son
extrémité s’élève un grand cône tronqué de sable à l’image d’un volcan (le mont Fuji ?),
dont le magma d’argent aurait peu à peu formé l’étendue adjacente. Eau et rochers,
des éléments tant chéris par les jardins japonais, ont ici complètement disparus au
profit du sable. Un choix audacieux mais qui semble anachronique pour son temps.
Il est fort possible que cette image abstraite ait été rajoutée bien plus tard à la fin de
l’époque Muromachi en lieu et place d’un édifice disparu. Toutefois, l’esprit des lieux
demeure, même si l’effet peut paraître moderne. Le monticule de sable se nomme
en effet « Kogetsudai », ce qui se traduit par « plateforme tournée vers la lune ».
Or le shôgun Yoshimasa nous a livré un poème dont la lecture rassemble chacune des
composantes du jardin :
« Car ma hutte se trouve au pied de la Montagne qui attend la lune,
je pense longuement à l’ombre du ciel évanescent. Réalisant que
tout n’est que rêve illusoire, je n’ai en moi ni joie ni anxiété. »

Cette partie du jardin ne devait pas faire partie des aménagements initiaux mais elle Le haut cône de sable ressemble à un Mont Fuji dont l’improbable éruption a généré une mer d’argent.
respecte pleinement l’état d’esprit des lieux et l’admiration que portent les esthètes
japonais pour l’astre de nuit.
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Le jardin-
architecture
X X e  siècle

La nature pardonne
quelques erreurs.
Isamu Noguchi (1904-1988)

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aujourd ’hui
jardins du musée adachi  

Il est bien difficile de distinguer les limites du jardin tant le mimétisme est étudié pour rendre le point de vue
immense. Pourtant l’œil exercé relève un avant-plan hautement structuré et aménagé ainsi qu’un plan moyen
où la ligne ondulante que forment les arbres taillés s’inspire du paysage lointain.

magma de lave verte qui décroche et amène avec lui une partie du paysage sauvage
à l’avant-plan. La puissance des rochers, soulignée par la forme similaire des azalées
taillées, et la miniaturisation des pins accentuent cet effet saisissant.
Même s’ils constituent un réel tour de force, ces jardins n’en restent pas moins
un vibrant hommage au jardin japonais traditionnel. Dès lors, pourquoi en parler dans
un chapitre consacré à la période contemporaine ? Zenko, rappelons-le, admire la
peinture dont il expose une belle collection dans son musée. Les jardins qui l’entourent
ne seraient qu’une pièce rapportée s’il n’avait conçu une manière inhabituelle et réso-
lument moderne d’en faire le tour.
Sans quitter l’enceinte du musée et en contrepoint des toiles exposées, le visi-
teur déambule dans les couloirs savamment agencés pour offrir de multiples points
de vue sur le décor extérieur. Parfois, Zenko impose son propre regard au travers
de fenêtres qui encadrent de face ou de biais une partie du jardin à la manière d’un
rouleau de peinture accroché au mur. Ailleurs s’ouvre un point de vue objectif par la
présence de larges baies vitrées. Enfin, il nous libère de toute contrainte et nous invite
au dehors. L’occasion est alors donnée de contempler librement la suite des espaces
avec, en point d’orgue, une haute cascade empruntée au paysage naturel.
Nature sauvage, nature réinterprétée et architecture se rencontrent sans heurt.
Au contraire, elles partagent leur force et leur puissance respectives sans perdre leur
identité propre.

Par une journée sans soleil, les ombres dessinent la perfection des lignes.
Le volume apparaît, mettant en évidence la rondeurs des îlots et des buissons d’azalées.

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