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In Press | « Pardès »
2015/1 N° 57 | pages 45 à 66
ISSN 0295-5652
ISBN 9782848353340
DOI 10.3917/parde.057.0045
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-pardes-2015-1-page-45.htm
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Benjamin Ish-Shalom
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Ne croyez pas qu’aux jours du Messie quoi que ce soit changera dans la
mécanique naturelle de l’univers ou qu’interviendra une nouvelle création du
monde ; le monde continuera plutôt de fonctionner comme il en a coutume
[…] « Le loup vivra avec l’agneau et le tigre se fiera à l’adolescent (Is 11, 6) »
est une métaphore […] Nos Sages ont dit : « Il n’est aucune différence entre
ce monde et les jours du Messie, excepté l’allégeance des nations. »
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Talmud et des Roshei Yeshivoth, les chefs des académies talmudiques. Les
Textes et le discours juridiques se sont progressivement axés sur le droit
privé, et sur les relations entre les individus et leurs communautés 34. Les
caractéristiques du peuple juif contemporain, tous courants confondus,
ne diffèrent guère de celles ici énoncées. Malgré l’éloignement de la plus
grande partie des Juifs 35 de la pratique religieuse, ces derniers – libéraux 36
compris – voient encore l’expression de leur rapport à la judéité dans leurs
attaches avec une communauté, une synagogue et un rabbin. Tout mode
de vie sans lien avec une communauté juive, les Textes de la tradition,
les symboles ou coutumes judaïques, néglige des ingrédients identitaires
essentiels. Cependant, la façon dont l’État d’Israël a évolué pourrait bien
avoir modifié de facto les caractéristiques fondamentales de l’identité juive.
Pour la première fois depuis deux mille ans, les Juifs 37 constituent la
population majoritaire d’un pays indépendant ; ils ne pensent et n’agissent
plus comme une minorité persécutée. L’État d’Israël a créé une expérience
vibrante, pleinement juive par beaucoup des signes distinctifs dont elle
entoure les individus, les unissant : dans un univers quotidien où l’hébreu
est la langue nationale ; où le calendrier officiel, les fêtes, le shabbath
comme jour de repos hebdomadaire, ont été fixés suivant la tradition
judaïque ; où tout s’arrête à Kippour, où Tishâh beAv [le 9 du mois d’Av]
est jour de deuil national en mémoire de la destruction du Temple ; et
dans un État où la loi du Retour reconnaît sans conditions le droit de tout
Juif 38 né tel à la citoyenneté ; un État où l’éducation publique dispense un
enseignement intensif du judaïsme ; un État où l’armée suit les lois de la
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lequel l’être humain, tout être humain, a été créé à l’image de Dieu – et
non sur des tactiques de survie (perceptibles dans les expressions « du
fait de l’hostilité », « pour préserver la paix », et ainsi de suite) élaborées
en situation de dépendance et d’absence de souveraineté. L’approche
halakhique des institutions officielles et des autorités démocratiques qui
nous gouvernent exige elle aussi d’être fondamentalement amendée :
comment est-il possible dans un État juif souverain que les tribunaux du
pays soient vus comme illégitimes, voire idolâtres ? Des arrangements
techniques mineurs permettant de faire usage des tribunaux de l’État
n’apportent pas de réponse à ce problème de principe.
De même que celle d’une théologie de la souveraineté, l’élaboration
d’une « halakhah de la souveraineté » doit prendre en compte la problé-
matique d’un État souverain : la mise au point de principes éthiques
adaptés à une économie saine ; une éthique des relations diplomatiques
avec d’autres pays ; l’aménagement d’une politique des minorités natio-
nales et religieuses ; et des critères et principes éthiques destinés aux
opérations militaires. Ces domaines n’ont jamais été sérieusement
explorés par les textes de la halakhah ni par la pensée religieuse en
deux millénaires d’exil, bien qu’il y ait dans cette littérature matière
à une réflexion novatrice sur ces questions cruciales. L’urgence d’une
pleine réponse juridico-religieuse aux défis posés par l’existence d’un
État juif est encore avivée par les relations actuelles entre État et religion
dans l’Israël contemporain. À l’échelon politique, les dirigeants du pays
mettent en avant la nécessité d’une législation laïque ; cependant que la
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3. L’autonomie
Il y a dans la tradition juive une polarisation entre liberté et autorité.
Les rabbins enseignent qu’une personne n’est pas censée dire : « Je n’ai
pas envie de manger du porc » ; il ou elle devrait dire : « J’ai vraiment
envie d’en manger, mais que puis-je faire ? Dieu m’a ordonné autre chose
58 . » De même le commandement portant sur la génisse rousse sans
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4. La condition nationale
Au nombre des caractéristiques marquantes du judaïsme figure son lien
avec un peuple donné ; et, non moins important, la place et la signification
théologique centrales de ce peuple. Les justifications du fait national
apparaissent déjà dans les passages de la Torah et du Midrash 65 évoquant
le Déluge, la tour de Babel et le châtiment qui en résulta, la dispersion en
nations diverses. Ces récits suggèrent que les dépravations à l’origine du
Déluge émanaient d’un individualisme excessif ; l’édification de la tour de
Babel, l’unité et une langue commune universelle semblaient une tentative
de réparation du péché qui avait entraîné le déluge – foulait l’individu aux
pieds et justifiait la défense à tout prix des intérêts collectifs de la société,
fût-ce aux dépens de la vie humaine. C’est, dit le Midrash, ce mépris de la
valeur de l’individu qui causa le châtiment de la dispersion et la formation
des nations. Pour une société humaine, la nation est le modèle d’un
équilibre favorable entre individualisme radical et collectivisme universel
radical. Comme nous l’avons déjà souligné, Maïmonide considérait le lien
avec le peuple [juif] comme un principe théologique, dont nous avons
également vu les implications concernant la Loi orale telle que le rabbin
Kook la comprenait.
Il est significatif que la nation soit non seulement au centre de la
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5. La souveraineté
Théologiquement parlant, le rabbin Kook voit l’État juif souverain
comme la manifestation d’une entité métaphysique, « le piédestal du
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6. L’universalisme
La nature particulariste du judaïsme suscite un malaise qui s’exprime
dans les sources juives anciennes, et plus nettement encore dans la pensée
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7. La voie de la sainteté
L’accent mis par la théologie de la souveraineté sur les valeurs collectives
et publiques limite dans une certaine mesure la place de l’individu et lui
pose une gageure complexe. Concernant le rôle et les domaines de gestion
élargis de l’État, des finances à l’éducation, la culture ou la spiritualité, et
jusqu’aux relations internationales, le danger croît de voir l’individu fuir ses
responsabilités et se montrer indifférent, coupé des autres, égocentrique.
C’est là qu’interviennent rabbins, éducateurs et intellectuels susceptibles
de lancer aux individus et aux collectivités le défi de sanctifier leur vie.
L’aspiration à la sainteté signifie de ne pas accepter les choses telles
qu’elles sont, et de lutter continuellement pour une existence anoblie par
la spiritualité et l’éthique. La sainteté est la catégorie de l’absolu, de la
plénitude, par-delà le royaume de l’humain ; l’aspiration à la sainteté, la lutte
pour la perfection spirituelle et morale, pavent cependant en permanence
la voie de l’élévation de l’existence humaine.
Selon la théologie de la souveraineté, l’État, expression d’une civi-
lisation juive complète, se montre défaillant s’il ne représente pas le
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NOTES ET RÉFÉRENCES
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et non pour lui, et puisqu’il s’est exclu de la collectivité il a nié le principe fondateur
[même]. » L’éloignement de la nation est ainsi considéré comme une hérésie à l’encontre
de Dieu. Voir également dans le Midrash, Shemoth Rabba, “Mekhilta d’Rabbi Ishmael”,
section 8, Jérusalem, 1969, p. 73 ; et le Talmud de Jérusalem, Traité Pesa’him, 10, 37
et 74.
10. Voir note 7 supra.
11. Dov Schwartz, Eretz haMamashouth vehaDimyon [Le Pays de la réalité et de
l’imaginaire], Tel-Aviv, 1997, p. 24. Pour plus de précisions sur les conceptions
métaphysiques du rabbin Kook, voir B. Ish Shalom, HaRav Kook beyn ratsionalizm
leMystica [Le Rabbin Kook entre rationalisme et mystique], Rééd. Jérusalem, 2007 ;
également édité en traduction anglaise Rav A.I. HaCohen Cook, Between Rationalism
and Mysticism, New York, 1993.
12. B. Ish-Shalom, ibid., p. 99-126.
13. Idem, ibid., p. 79-98 (du manuscrit original). Voir également, r. Abraham Y. Kook,
Oroth haQodesh [Lumière de la sainteté], vol. 1, p. 23. (À noter que l’éditeur, r. David
HaCohen, a modifié le texte afin d’en affaiblir le sens.)
14. R. Abraham Y. Kook, ibid. Voir également, id., Oroth haEmounah [Lumière de la
foi], Jérusalem, 1984, p. 25.
15. ou des Juives. [NdlT].
16. Cette idée apparaît à de nombreuses reprises dans ses écrits. Voir par exemple Eder
haYakar, p. 38-39 et Oroth ha-Qodesh, vol. 1, p. 135.
17. R. Abraham Y. Kook, Ârpilei Tohar, mélanges sur la pureté rassemblés par ses étudiants
(1re éd. non révisée), p. 54. Voir également B. Ish-Shalom, ibid., p. 202, et note 16
supra.
18. B. Ish-Shalom, ibid., p. 103.
19. Ârpilei Tohar, p. 16 ; voir aussi B. Ish-Shalom, ibid., p. 202.
20. Voir R. Abraham Y. Kook, Oroth haQodesh, vol. 3, p. 171
21. Idem, ibid.
22. Au sens que les Anglo-Saxons donnent au terme – quand nous aurions, en France,
tendance à dire « démocratiques » par exemple. [NdlT].
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51. Allusion cette fois aux récents ravages en Israël du libéralisme économique. [NdlT].
52. Voir note 48 supra.
53. Voir Mordecai M. Kaplan, Judaism as a Civilization – toward a Reconstruction of
American-Jewish Life [Le Judaïsme comme civilisation – vers une reconstruction de
la vie juive américaine], N.Y. 1957 ; Eliezer Schweid, HaYaadouth vehaTharbouth
ha’Hilonith [Judaïsme et culture laïque], HaKibboutz HaMeou’had, 1980.
54. Voir Maïmonide, Le Guide des égarés [Moreh Nevoukhim], partie 2, chap. 39-40 ;
partie 3, chap. 27.
55. « Halevaï othi âzvou veTorathi shamrou », Talmud de Jérusalem, Traité ‘Haguigah 1, 7.
56. « Ratsa haQviAh lizkoth eth Israel lefiKhakh, hirvah lahem Torah veMitzvoth », Mishna,
Traité Avoth, 6, 11.
57. Sifra, vaYiqra (Lévitique) 20, 22.
58. Voir Isaac Heinemann, Taâmei haMitzvoth beSifrouth Israel [Raisons des comman-
dements dans les Textes du judaïsme], Jérusalem, 1965 ; voir aussi E. Urbach, ibid.,
(voir note 50 supra), p. 321-347.
59. Talmud de Babylone, Baba Metsi’a 59b. Voir aussi Yaqov Englard, « Le four d’Akhnaï :
Interprétation d’un récit », Shnathon haMishpat haÎvri [Annales de droit hébraïque],
vol. 1, Boston University, 1973.
60. Maïmonide, Mishneh Torah, Lois du Repentir 5, 3 ; Guide des égarés, 2, 25.
61. Talmud de Babylone, Traité Shabbat 88, 2 ; Traité Avodah Zarah, 2, 2.
62. Talmud de Babylone, Traité Meguillah 7, 1.
63. Mishna, Traité Avoth, 1, 6.
64. Mosheh Sh. Glasner, Dor Reviî [La Quatrième Génération], Cluj (Roumanie), 1921.
65. Midrash, BeReshith Rabbah 38, 6.
66. Tana d’Bey Eliyahou, Jérusalem, 1973, chap. 14, p. 146.
67. « Hen âm levadad ishkon », Nb 23, 9.
68. Ephraïm E. Urbach, voir note 50 supra, ibid., p. 466-494.
69. Désireuse d’allier le judaïsme à la modernité et la pensée juive à la philosophie de son
temps, la Haskalah, qui se répand depuis l’Allemagne en Europe centrale et orientale
aux xviiie et xixe siècles, entend privilégier l’esprit de la Torah sur la lettre d’une
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