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UNE THÉOLOGIE DE LA SOUVERAINETÉ

Le judaïsme à la croisée des chemins

Benjamin Ish-Shalom, Traduit de l’anglais et de l’hébreu par Tal Aronzon

In Press | « Pardès »

2015/1 N° 57 | pages 45 à 66
ISSN 0295-5652
ISBN 9782848353340
DOI 10.3917/parde.057.0045
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Face au pouvoir

Une théologie de la souveraineté


Le judaïsme à la croisée des chemins

Benjamin Ish-Shalom

UNE THÉOLOGIE DE LA SOUVERAINETÉ


La conception duale de la rédemption et de l’idée messianique 1 – vues
comme des catégories apocalyptiques et mystiques d’une part ; en termes
intellectuels, réalistes et politiques d’autre part – a fait route avec la
conscience juive et l’espérance eschatologique depuis la Miqra [le canon
hébraïque], la littérature rabbinique et le Moyen Âge jusqu’à nos jours 2.
Néanmoins, la fondation de l’État d’Israël a fait pencher la balance en
faveur de la perspective concrète, ce que j’appelle une « théologie de la
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souveraineté ».
Ces deux approches s’accompagnent de dangers et d’un prix à payer,
parfois même élevé, comme le précise Gershom Scholem dans ses articles
sur le messianisme. Il y souligne que la sensibilité au messianisme et
son attente sont la « véritable idée anti-existentielle ». Il soutient que « la
force de l’idée messianique est contrebalancée par son impuissance face
à l’Infini, qui se fit jour dans l’histoire juive tout au long de l’exil, alors
que [la nation juive] ne pouvait se lever et occuper sa place sur la scène
de l’histoire du monde ». « Il y a de la grandeur en une vie motivée par
l’espoir », écrit-il, « mais cela recèle aussi quelque chose d’irréaliste. Une
telle vie réduit le sens donné à l’individu, qui ne parvient jamais à se
réaliser. Le judaïsme, qui puise son énergie dans l’idée messianique, doit
mettre la vie in suspenso, en suspens sur place 3. »
Mais l’approche réaliste de la théologie de la souveraineté à elle aussi
un prix. Qu’il s’agisse des conceptions mystique ou réaliste, l’individu

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est en danger : du fait de la conscience permanente de l’imperfection de


l’univers dans le premier cas ; ou du rapport à la nation enchâssé dans la
théologie de la souveraineté, qui déprécie la valeur de l’individu, dans le
second — le danger devient là particulièrement grave avec les démarches
militantes, qui voient l’individu comme un outil au service d’objectifs
collectifs supérieurs. Cette théologie de la souveraineté jouit en revanche
d’un potentiel constructif du fait qu’elle met le sens des responsabilités
en exergue. Le messianisme concret s’ancre dans la vision du prophète
Zacharie :
Ainsi parla le Seigneur des Armées : Vieux et vieilles s’assiéront encore dans
les rues de Jérusalem, chacun sa canne en main du fait de son grand âge ; et
[…] la cité s’emplira de garçons et de filles jouant dans ses rues ; ainsi parla
le Seigneur des Armées : ne sera-ce pas merveille pour Moi, ce qui reste de
cette nation en ces jours ? Ce sera merveille à Mes yeux aussi, dit le Seigneur
des Armées 4.

La vision de la rédemption ici donnée par Zacharie ne parle pas d’un


temple descendant des cieux ou d’une utopique harmonie entre le loup et
l’agneau. Elle dépeint l’image réaliste d’un quotidien serein à Jérusalem
comme un miracle aux yeux du peuple et à ceux de Dieu 5. Aujourd’hui,
après la Shoah, nous comprenons combien grand est le miracle.
Les fondements d’une théologie de la souveraineté sont présents dans
les œuvres halakhique et philosophique de Maïmonide. Voici comment
il décrit les temps messianiques :
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Ne croyez pas que le Messie doive produire des signes et des miracles, créer
des choses nouvelles dans l’univers ou ressusciter les morts et ainsi de suite.
Il n’en va pas ainsi […] Si un roi surgit de la lignée de David, s’il étudie la
Torah et observe les commandements à la manière de son maître David, s’il
exige du peuple juif qu’il s’y conforme […] et mène les combats divins, il
pourrait bien être le Messie. S’il réussit à construire le Temple et rassembler
les exilés, ce sera certainement le Messie, et il amènera le monde entier à
célébrer Dieu ensemble […].

Ne croyez pas qu’aux jours du Messie quoi que ce soit changera dans la
mécanique naturelle de l’univers ou qu’interviendra une nouvelle création du
monde ; le monde continuera plutôt de fonctionner comme il en a coutume
[…] « Le loup vivra avec l’agneau et le tigre se fiera à l’adolescent (Is 11, 6) »
est une métaphore […] Nos Sages ont dit : « Il n’est aucune différence entre
ce monde et les jours du Messie, excepté l’allégeance des nations. »

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Et en ces temps il n’y aura ni famine ni guerre, ni jalousie ni compétition ; la


bonté régnera partout, les mets fins seront aussi accessibles que la poussière,
et le monde entier s’engagera dans la quête de Dieu […] ainsi qu’il est dit, « car
la terre sera pleine de la connaissance de Dieu, comme les eaux couvrent la
mer (Is 11, 9) 6. »

Suivant la conception maïmonidienne, l’expérience messianique a


pour premier signe distinctif une politique réaliste – c’est-à-dire liée à la
royauté ; à la fondation d’un pouvoir autonome ; au rassemblement des
exilés ; à la mise en place d’un gouvernement encourageant la tension
spirituelle, l’étude de la Torah et les valeurs de paix et d’égalité pour le bien
de l’humanité tout entière – une approche fondée sur les vastes horizons
philosophiques et religieux de Maïmonide, qui associe des responsabilités
particulières à la condition nationale et à la souveraineté.
En deux endroits du Mishneh Torah, son précis de la loi judaïque ou
halakhah, Maïmonide statue sur des commandements apparemment
contradictoires d’une façon qui ne laisse pas d’étonner. Dans les Lois des
Prédispositions morales (6, 1), il pose que les opinions et les actes d’une
personne sont naturellement influencés par ceux qui l’environnent. Nous
sommes donc requis de fréquenter des justes et de vivre auprès d’eux afin
de nous polir à leurs usages. Si l’entourage de quelqu’un ou les gens de son
pays sont mauvais, et commettent des péchés, il lui faut migrer en d’autres
contrées, quitte à s’isoler au désert plutôt que subir l’influence du mal.
Par contraste, dans les Lois des Rois (5, 12), Maïmonide édicte dans
les pas du Talmud (Traité Ketoubboth) : « Toute personne devrait vivre
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à jamais en terre d’Israël, même dans une ville à majorité d’idolâtres ; et
non hors d’Israël, même dans une ville à majorité [d’enfants] d’Israël. Car
celui qui quitte le pays, c’est comme s’il pratiquait le culte des idoles. »
Il se peut qu’il n’y ait guère de contradiction entre ces deux affirmations.
Le commandement issu des Lois des Prédispositions morales fait référence
à une personne établie hors d’Israël ; et celui extrait des Lois des Rois à
l’obligation de vivre sur la terre d’Israël indépendamment du danger de
l’influence négative des idolâtres. Une position néanmoins surprenante,
dans la mesure où Maïmonide (et la loi judaïque) voient l’idolâtrie comme
la pire des corruptions – au point de devoir périr plutôt qu’adorer des
idoles. Pourquoi, alors, vivre en Israël a-t-il plus d’importance que le péril
des influences idolâtres ? Maïmonide n’attribue certes pas de sainteté
intrinsèque à la terre. Sa conception de la sainteté en général, et concernant
la terre d’Israël en particulier, est symbolique et juridique. Si la sainteté

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n’est pas une catégorie ontologique, comment l’obligation de vivre dans


le pays peut-elle surpasser l’interdit de l’idolâtrie ?
Mon hypothèse est que la position de Maïmonide s’enracine dans sa
conception de la nation et de la rédemption comme une théologie de la
souveraineté (selon mes termes, non les siens). Le choix entre un lieu de
prédilection et la garantie d’influences éthiques et religieuses positives
dépend de la présence d’une personne en terre d’Israël ou en dehors.
Vivant en dehors, on privilégie un environnement favorable ; à l’intérieur,
les plateaux de la balance penchent autrement, la terre d’Israël constituant
pour Maïmonide la base de l’existence nationale juive. En Israël, les
responsabilités d’un Juif 7 sont plus grandes, ne l’autorisant pas à fuir le
danger et lui commandant de rester pour le combattre et tenter de faire
de cette terre un lieu meilleur.
À l’extérieur et privé de souveraineté, chacun n’est responsable que de
lui-même et de qui dépend de lui. Sur cette terre où il est souverain, la
responsabilité se fait nationale et l’individu doit privilégier le bien collectif
plutôt que le sien propre. Ce balancement s’exprime également en d’autres
parties de la loi judaïque, comme l’interdiction de se mettre en danger
face à l’obligation d’entrer en guerre pour protéger l’existence nationale
et défendre autrui 8.
Le statut religieux de la condition nationale, comme celui de la solidarité
nationale, est formulé par Maïmonide dans les Lois du Repentir (3,11).
Il y juge quelqu’un qui « délaisse la voie de la collectivité et n’observe
pas les commandements en son sein […] mais va son propre chemin
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[…] comme s’il n’était pas des leurs ». Cet homme, qui se comporte en
individualiste – sans s’impliquer dans la vie spirituelle ou matérielle de la
communauté ou du peuple, ni s’en montrer solidaire à l’heure du besoin
[…] – quand bien même il observe [par ailleurs] les commandements et
ne commet pas de péchés, n’en est pas moins châtié à l’instar des apostats,
qui n’ont pas part au monde à venir 9.
Nous avons dès lors défini un principe théologique révolutionnaire :
la solidarité et la responsabilité à l’égard du peuple [auquel un Juif 10
appartient], ainsi que la part active prise à la vie nationale, revêtent une
énorme signification puisque leur absence vaut hérésie. Cette position
radicale redessine notre perception de la Torah, de la condition nationale
et du judaïsme en général, et forge une théologie de la souveraineté.
Ces idées nous aident à comprendre l’approche par le rabbin Kook de
la signification du retour en terre d’Israël et de la fondation d’un État juif
souverain 11. La théologie de la souveraineté telle que l’entend le rabbin

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Une théologie de la souveraineté

Kook est liée à deux principes centraux, celui de l’autonomie personnelle


et nationale, et celui du statut de la terre d’Israël comme composante
fondamentale (et non instrumentale) de la vie religieuse.
Le droit de l’individu à l’autonomie s’exprime avant tout, dans les
écrits du rabbin Kook, par la place centrale qu’il accorde à l’idéal de
liberté 12 lorsqu’il analyse la révélation. Il y proclame que « la prophétie
et l’inspiration divine jaillissent du sein de l’humanité » 13 et que cette
révélation s’ancre dans l’esprit humain, lui-même manifestation du divin 14.
Le rabbin Kook soutient que l’autorité de la Loi écrite et de la Loi orale,
source normative de la vie des Juifs 15, découle de l’adhésion de la nation
et de la profonde tendresse nourrie par le peuple pour son œuvre spirituelle
propre et celle des générations à venir – non d’une autorité transcendantale
venue d’ailleurs 16. Il concorde avec le Talmud : « Les mots des scribes
sont à chérir plus que ceux de la Torah 17. »
Les thèses romantiques glorifiant l’authenticité de l’expression spontanée
des masses influencent celles du rabbin Kook : « La voix de la multitude
est comme celle de Dieu 18. » Il a tiré de la Kabbale des idées assimilant
la sphère divine de la Royauté aux notions d’« Assemblée d’Israël » et
de « Loi orale », vues comme des aspects différents d’une même entité
spirituelle 19. Ainsi l’œuvre du peuple est-elle prise comme l’égale de la
révélation céleste. Cette conception de l’autonomie de la Loi orale, et
du rôle du peuple dans sa production, fonde les notions de souveraineté
populaire et de la Torah comme un tout unissant des valeurs spirituelles et
normatives, produit de l’esprit du peuple qui s’en fait le reflet – bien qu’elle
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se voie, à un niveau plus profond, conférer la sainteté de la révélation
divine. Cette position éclaire d’un jour nouveau la signification religieuse
des institutions législatives et juridiques de l’État d’Israël contemporain,
à laquelle nous nous intéresserons plus loin.
Un autre seuil crucial sur la voie de la théologie de la souveraineté
est franchi par le rabbin Kook concernant l’État. Pour la première fois
dans l’histoire de la pensée juive, le rabbin Kook confère de la sainteté à
l’État d’Israël, et pas simplement à la terre d’Israël. Il reste cependant très
circonspect à l’égard des conceptions qui prévalent quant à la suprême
valeur de l’État, écrivant : « L’État n’est pas l’incarnation du bonheur des
hommes 20. » Mais cette mise en garde ne vaut que pour les États « ordi-
naires ». Le rabbin Kook fait là montre de l’indépendance d’esprit qui voit
les États autres comme dénués de valeur autonome. L’État « ordinaire »
n’est qu’un simple instrument en vue d’améliorer le bien-être et la sécurité
de ses citoyens.

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Benjamin Ish-Shalom

À son avis, on peut néanmoins proposer un autre modèle étatique : un


État qui s’intéresse, par-delà le progrès matériel de ses citoyens, aux idéaux
de morale et de justice gravés en lui, et vise à leur élévation spirituelle,
religieuse et éthique. Pour le rabbin Kook, cet État revêt une valeur sans
pareille :
Cet État est en vérité au plus haut de l’échelle de la joie, et cet État est notre
État, l’État d’Israël piédestal du trône de Dieu dans le monde, dont l’unique
désir est que Dieu soit Un et Son Nom Un, car c’est en vérité la joie ultime.
Il est vrai que cette joie sublime réclame des éclaircissements afin d’élever sa
lumière au temps des ténèbres, mais ce n’est pas pour autant qu’elle cessera
d’être la plus grande des joies 21.

Le rabbin Kook était conscient des dangers inhérents à cette approche


audacieuse, et de la tension entre les valeurs de liberté individuelle et
la centralité spirituelle de l’État. Il en voit les nets dangers à l’aune des
régimes dictatoriaux du xxe siècle, thuriféraires de l’État, et ce serait faire
erreur qu’identifier ses options aux idéologies totalitaires sous-tendant ces
régimes. Comparer [les idées] du rabbin Kook à ces idéologies pourrait
faire la démonstration de similarités entre sa philosophie politique et celle
de Hegel, mais ce serait négliger les éléments « libéraux » 22 et humanistes
qui forment des constituants essentiels de sa position complexe. Le rabbin
Kook a même exprimé des opinions pacifistes justifiant de surseoir à la
fondation d’un État juif jusqu’au jour où ces valeurs humanistes pourraient
être garanties 23.
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De même, toute critique qui se focalise sur ses composantes mystiques
et messianiques, souvent interprétées comme un appel à prendre les armes
par le biais d’un messianisme militant, violent et irrationnel, ignore la
dimension réaliste de la conception kookienne. Ce pragmatisme refrène
une dangereuse ferveur religieuse en injectant du sens religieux dans les
processus historiques, sociaux et politiques qui promeuvent une société
juste et morale. Le rabbin Kook pensait que l’aspiration brûlante à la
rédemption naissait du désir de rendre meilleure l’humanité tout entière ;
une amélioration sans limites et une tâche sans fin, assurant de ce fait la
pérennité du peuple. Intrinsèquement impossible à remplir pleinement – ce
qui perpétue la réalisation jamais conclue de ses objectifs et trempe la
force d’âme du peuple d’Israël – cette mission morale universelle est, aussi
longtemps que celui-ci s’y consacre, le secret de son éternité 24.
Il est facile de traduire la terminologie religieuse du rabbin Kook en
catégories sociales sans que ses idées perdent de leur authenticité. Bien

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Une théologie de la souveraineté

que l’État soit une formation politique et un outil au service d’objectifs


civiques, c’est aussi une création collective qui exprime les valeurs, les
attentes et l’esprit de la société qui la crée. La signification théologique
et morale de l’État juif réside dans le fait qu’il permet la réalisation du
judaïsme historique dans toutes ses dimensions, à travers la vie réelle
d’une collectivité nationale indépendante et responsable, autrement dit la
souveraineté nationale.
Tout au long de l’histoire du mouvement sioniste, la tension entre
idéal universaliste et idéal national ou religieux a fait l’objet d’un débat
brûlant. Il y avait cependant des similarités entre la vision sioniste de
David Ben-Gourion et celle du rabbin Kook, en dépit de leurs profondes
différences. En 1957, Ben-Gourion discutait le sens de l’État juif en tant
qu’idéal de rédemption :
Quand bien même l’État se multiplierait par sept, jamais nous n’atteindrions
l’ultime arrêt [sur la voie] de la rédemption. […] Notre idéal de rédemption
est tout à la fois juif et humain. Et, [à l’heure] de la fondation de l’État et
également du rassemblement des exilés – encore aussi éloigné et difficile
que la Sortie d’Égypte 25 – nous ne sommes pas parvenus et ne parviendrons
pas à toucher cet absolu… Il nous faut transmettre à la jeunesse du pays, et
aussi à la jeunesse en diaspora, un idéal de rédemption messianique, une
rédemption juive et humaine. Le miracle survenu de nos jours, c’est qu’un
moyen de réalisation et d’accomplissement de la rédemption s’est érigé, et cet
instrument c’est l’État d’Israël — en d’autres termes, le peuple souverain en
Israël […] Ce n’est pas qu’un simple outil. Tout est outil […] Et n’allons pas
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mépriser les outils, car il n’est rien sans eux ! Dans ce monde, le nôtre, l’État
n’est pas seulement un mode d’organisation nationale 26.

Dans les écrits de David Ben-Gourion et ceux du rabbin Kook, nous


percevons l’écho d’un débat qui fait toujours rage aujourd’hui. Devrions-
nous donner au concept d’État juif une acception « étroite », réduite au
minimum. ou une autre plus « large », sur deux plans qui n’en font qu’un :
la question du rapport entre l’État-outil et l’État dépositaire en tant que tel
de valeurs (de sainteté) ? En d’autres termes, dans quelle mesure s’agit-il
de « l’État des Juifs » ou de « l’État juif » 27 ? Une définition « étroite » tend
à minimiser les contenus résolument juifs de l’État, pour forger un espace
public où puissent s’exprimer à l’aise des idéologies variées, où une place
confortable soit faite aux minorités nationales ou religieuses – dans cette
acception, la judéité de l’État repose sur le fait que les Juifs 28 en constituent
la majorité ; a contrario, une définition « large » ou « complète » tend à

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gorger l’État de contenus et valeurs appartenant à la culture juive et la


tradition judaïque, et à leur donner pleine expression dans la législation,
comme dans le tracé du domaine public et la formation de l’identité et de
l’ethos national de cet État 29.

LA SOUVERAINETÉ ET SES DILEMMES : SIGNIFICATION,


IDENTITÉ ET RESPONSABILITÉ
Fondamentalement, la souveraineté est l’expression formelle de l’auto-
rité de l’État 30. Elle représente l’autorité absolue détenue par l’État sur un
territoire donné, et se fonde sur trois éléments : 1. L’autorité — légiférer,
ordonner, imposer et juger ; 2. La suprématie — L’État n’est subordonné
à nul autre corps exécutif ; 3. Le territoire — l’aire géographique dans
laquelle s’exerce l’autorité souveraine 31. L’approche minimaliste considère
la souveraineté comme une nécessité pour assurer l’ordre social car, selon
les termes de Thomas Hobbes, « homo homini lupus est — l’homme est
un loup pour l’homme » ; ou, selon les mots des Sages du Talmud seize
siècles plus tôt : « Priez pour le bien du gouvernement car, sans lui, les gens
se dévoreraient vifs les uns les autres 32. » Cela vaut pour tous les États.
Mais l’État juif jouit-il d’une quelconque singularité ? Est-ce qu’il diffère
des autres, et en quoi ? De l’examen des sources ci-dessus, il apparaît
clairement qu’un courant central dans la pensée sioniste ne se satisfait pas
d’une interprétation « étroite » de ce qu’un État juif signifie. Que pèsent les
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défis de la souveraineté juive dans le contexte de cette théologie ?
Comme nous l’avons dit plus haut, la fondation de l’État d’Israël
représente un tournant crucial dans l’histoire du peuple juif et du judaïsme
lui-même. La signification de ce changement est aussi monumentale que
celle des bouleversements qui ont suivi la destruction du Second Temple
en 70 de l’ère commune. Avant cette destruction, la vie religieuse avait le
Temple pour axe et les rites sacrificiels étaient effectués par les prêtres,
alors que la vie quotidienne du peuple était largement déconnectée de
l’activité au sein du Temple 33. Après la destruction, la classe des Sages
a grossi en force et importance, l’étude de la Torah s’est muée en ethos
central et démocratique, tandis que le rayonnement religieux passait du
Temple au Livre et à l’étude de la Torah. La vie juive s’est enrichie de par
la création de tout un éventail de nuances : l’épanouissement de traditions
familiales et communautaires ; le développement des institutions de
la communauté et la consolidation du statut des rabbins, des Sages du

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Une théologie de la souveraineté

Talmud et des Roshei Yeshivoth, les chefs des académies talmudiques. Les
Textes et le discours juridiques se sont progressivement axés sur le droit
privé, et sur les relations entre les individus et leurs communautés 34. Les
caractéristiques du peuple juif contemporain, tous courants confondus,
ne diffèrent guère de celles ici énoncées. Malgré l’éloignement de la plus
grande partie des Juifs 35 de la pratique religieuse, ces derniers – libéraux 36
compris – voient encore l’expression de leur rapport à la judéité dans leurs
attaches avec une communauté, une synagogue et un rabbin. Tout mode
de vie sans lien avec une communauté juive, les Textes de la tradition,
les symboles ou coutumes judaïques, néglige des ingrédients identitaires
essentiels. Cependant, la façon dont l’État d’Israël a évolué pourrait bien
avoir modifié de facto les caractéristiques fondamentales de l’identité juive.
Pour la première fois depuis deux mille ans, les Juifs 37 constituent la
population majoritaire d’un pays indépendant ; ils ne pensent et n’agissent
plus comme une minorité persécutée. L’État d’Israël a créé une expérience
vibrante, pleinement juive par beaucoup des signes distinctifs dont elle
entoure les individus, les unissant : dans un univers quotidien où l’hébreu
est la langue nationale ; où le calendrier officiel, les fêtes, le shabbath
comme jour de repos hebdomadaire, ont été fixés suivant la tradition
judaïque ; où tout s’arrête à Kippour, où Tishâh beAv [le 9 du mois d’Av]
est jour de deuil national en mémoire de la destruction du Temple ; et
dans un État où la loi du Retour reconnaît sans conditions le droit de tout
Juif 38 né tel à la citoyenneté ; un État où l’éducation publique dispense un
enseignement intensif du judaïsme ; un État où l’armée suit les lois de la
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halakhah concernant le respect du shabbath, des fêtes et des jeûnes, et
les strictes règles alimentaires de la kashrouth ; un État dont l’emblème,
l’hymne et le drapeau s’ancrent dans la religion et la culture juive tant
traditionnelle que moderne 39. Dans un environnement juif si complet,
il devient même possible aux individus de conserver une identité juive
passive, n’exigeant aucun effort 40. De ce point de vue, l’adage talmudique
prend sens : « Quiconque vit en terre d’Israël est considéré comme ayant
un Dieu 41. »
Néanmoins, cette réalité en formation depuis la fondation de l’État
ne peut à soi seule assurer la continuité de l’identité juive sans soutien
théologique et philosophique – d’autant que nombre de marqueurs de l’État
d’Israël y font l’objet de perpétuelles controverses sur la place publique 42.
Le débat dans la société israélienne quant au caractère juif et à la
signification de l’État se déroule sur plusieurs scènes d’importance, et
prend un caractère différent sur chacune d’elles. Sur la scène politique, les

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Benjamin Ish-Shalom

tractations portent sur un arrangement conciliant le statu quo et l’actuel


rapport des forces politiques. Dans les sphères universitaire et judiciaire,
la discussion se focalise sur le rôle de la loi judaïque dans la législation
israélienne. Là, nous trouvons des différences d’approche significatives
entre trois juges à la Cour suprême : Le président de la Cour suprême
Aharon Barak penchait nettement vers le courant « libéral » 43 et statuait
en fonction de ce qu’il appelait « les valeurs de l’homme des Lumières » ;
par contraste et sans pour autant poursuivre un idéal religieux, le juge
Mena’hem Élon fit de l’introduction de la loi judaïque dans la législation
israélienne l’œuvre de sa vie, trouvant une qualité culturelle et nationale
à cette intégration dans la sphère juridique collective ; alors que le juge
Yitz’hak Elgrad désapprouvait cette approche, considérant l’incorporation
de la loi judaïque dans le système séculier du droit en Israël, où les hommes
et non Dieu sont l’autorité suprême, comme sacrilège 44.
Dans la sphère sociale, on constate le déplacement des positions
extrémistes vers un centre judéo-israélien qui explore les sources juives
traditionnelles en quête de spiritualité et d’inspiration pour constituer une
authentique identité juive israélienne 45. Ce centre se développe sponta-
nément en Israël parmi la jeune génération, aujourd’hui rejointe par des
membres de tous les segments juifs du pays. La pensée religieuse et la loi
juive traditionnelle 46 sont-elles prêtes à se confronter à l’un des plus grands
défis affrontés par le peuple juif depuis sa naissance ? Oserons-nous laisser
sans écho ce vibrant appel à répondre à une nouvelle réalité ?
La réponse suppose en premier lieu une prise de conscience. Celle-ci
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doit comprendre des perspectives tant philosophiques que juridiques. La
différence entre les approches de la halakhah antérieures à la souveraineté
– qui se limitent au domaine local, quotidien, de l’individu – et les considé-
rations plus vastes rendues nécessaires par la souveraineté est comparable
à celle qui existe entre la prise d’antalgiques et un traitement préventif
et complet. C’est la différence entre une étroite politique provinciale et
l’art de gouverner ; entre tactique et stratégie à grande échelle. Toute une
série de points demande aujourd’hui un examen neuf et nuancé afin de
découvrir le fondement des changements positifs que la souveraineté et
la responsabilité politique commandent, au moyen d’une exégèse hardie
des textes et de la sagesse juive ancienne. Par exemple, le dilemme posé
par le statut de la femme dans la tradition juive comparé à celui dont elle
jouit dans les sociétés modernes requiert une solution complète, pas seule-
ment un sparadrap sur la plaie. La question du rapport aux non-Juifs 47
nécessite une formule politico-juridique fondée sur le principe selon

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Une théologie de la souveraineté

lequel l’être humain, tout être humain, a été créé à l’image de Dieu – et
non sur des tactiques de survie (perceptibles dans les expressions « du
fait de l’hostilité », « pour préserver la paix », et ainsi de suite) élaborées
en situation de dépendance et d’absence de souveraineté. L’approche
halakhique des institutions officielles et des autorités démocratiques qui
nous gouvernent exige elle aussi d’être fondamentalement amendée :
comment est-il possible dans un État juif souverain que les tribunaux du
pays soient vus comme illégitimes, voire idolâtres ? Des arrangements
techniques mineurs permettant de faire usage des tribunaux de l’État
n’apportent pas de réponse à ce problème de principe.
De même que celle d’une théologie de la souveraineté, l’élaboration
d’une « halakhah de la souveraineté » doit prendre en compte la problé-
matique d’un État souverain : la mise au point de principes éthiques
adaptés à une économie saine ; une éthique des relations diplomatiques
avec d’autres pays ; l’aménagement d’une politique des minorités natio-
nales et religieuses ; et des critères et principes éthiques destinés aux
opérations militaires. Ces domaines n’ont jamais été sérieusement
explorés par les textes de la halakhah ni par la pensée religieuse en
deux millénaires d’exil, bien qu’il y ait dans cette littérature matière
à une réflexion novatrice sur ces questions cruciales. L’urgence d’une
pleine réponse juridico-religieuse aux défis posés par l’existence d’un
État juif est encore avivée par les relations actuelles entre État et religion
dans l’Israël contemporain. À l’échelon politique, les dirigeants du pays
mettent en avant la nécessité d’une législation laïque ; cependant que la
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hiérarchie rabbinique soutient que les politiques doivent faire allégeance
aux autorités religieuses en cas de conflit entre loi de l’État et halakhah.
Les tensions entre autorités politiques et religieuses ne sont évidemment
pas nouvelles ; elles ont marqué les rapports entre l’Église et les pouvoirs
politiques en Europe pendant des centaines d’années 48. La théologie
chrétienne n’a pas toujours souhaité l’implication du politique et, de fait,
le courant luthérien s’est fait le héraut d’une séparation de l’Église et
de l’État. Les exégètes de Luther finirent par se scinder en deux écoles
contraires, dont chacune accusait l’autre d’encourager le totalitarisme. Les
uns arguaient que la séparation ferait fi de la responsabilité individuelle
concernant un gouvernement juste et humain ; tandis que les seconds
affirmaient que la séparation priverait l’Église d’un redoutable moyen de
contrôle, garantissant ainsi le respect des libertés et des droits humains.
Ceux qui plaidaient pour la fusion de l’Église et de l’État clamaient que
l’exigence de séparation était l’expression d’une révolte contre les valeurs

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Benjamin Ish-Shalom

spirituelles, d’une préférence pour le règne de l’Homme plutôt que celui


du Ciel, ce qui vaut hérésie.
Comme nous l’avons noté, la pensée juive se fit elle aussi l’écho de
ces thèses. On peut retracer une tension constante, commençant avec
les gnostiques qui préféraient le spirituel au terrestre, face à ceux qui
glorifiaient le monde matériel comme la scène idéale de l’accomplisse-
ment des commandements et des valeurs de la Torah 49. Et pourtant, il
semble que l’ethos gnostique, qui fraya sa voie dans l’école rabbinique
de Shamaï, fut rejeté au profit de l’ethos d’intégration et d’union avec
la vie terrestre, qui fleurit dans le Beith Midrash d’Hillel 50. Cet ethos
devint dominant dans la tradition juive : on y affirmait que l’objectif
de la Torah et de la halakhah était de développer une vie spirituelle
éthique ancrée dans le monde matériel, au sein d’un cadre national et
politique. Cette approche constitue la base d’une théologie politique
juive en général et d’une théologie de la souveraineté en particulier.
Car, bien que l’attribution du pouvoir politique au fait religieux et celle
de la sainteté à un corps politique séculier aient un potentiel dange-
reux, voire destructeur, toutes deux sont également capables de forger
l’identité de groupes distincts et de susciter un sentiment de solidarité et
d’appartenance. Le « libéralisme », tout en soutenant les droits humains
et l’individualisme, a également causé une désintégration sociale et
politique sans précédent 51. Nous ne pouvons ignorer les conséquences
désastreuses de la théologie politique en Europe, et particulièrement
en Allemagne au début du xxe siècle 52.
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LE CARACTÈRE UNIQUE D’UNE THÉOLOGIE JUIVE
DE LA SOUVERAINETÉ
Q u’est-ce donc qui rend la théologie de la souveraineté ici exposée
si différente ? Quels sont ses fondements dans la pensée et la halakhah
juives traditionnelles ? Comprend-elle des éléments ou des principes
cachés qui la prémunissent contre les dangers évoqués ? Quel puissant
potentiel positif se dissimule en elle ? Le but ultime d’une théologie juive
de la souveraineté est d’articuler les nombreuses facettes du judaïsme en
une expression pleine et entière. La souveraineté crée pour sa théologie
l’opportunité d’un impact dialectique sur la vie juive, dans ses sphères
spirituelle et matérielle, individuelle et collective, nationale et universelle.
Cette théologie unique peut être définie par sept éléments, ici mis en

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Une théologie de la souveraineté

exergue : le judaïsme comme civilisation ; le rôle central de l’être humain ;


l’autonomie ; la condition nationale ; la souveraineté ; l’universalisme ; la
voie de la sainteté.

1. Le judaïsme comme civilisation


Cette approche voit le judaïsme non comme une simple religion, mais
comme une grande, une pleine civilisation nationale 53. Ce concept inclut
foi, valeurs et normes éthiques, et un mode de vie tendant vers la sainteté
et les sommets de la grâce pour les individus comme pour la nation. La
pierre angulaire en est la définition de la Torah donnée par Maïmonide
– une constitution divine destinée à l’édification d’une société idéale 54,
visant à l’amendement (tiqoun) du « corps » social et national ; et à celui
de « l’âme », le salut de l’individu.
Qu’il nous soit permis de dire que ladite civilisation se signale par un
caractère religieux affirmé, de même qu’elle englobe les sphères séculières
de l’existence humaine et s’y intéresse. Une polarisation se manifeste depuis
toujours entre ces deux domaines, rivaux en termes de conscience juive
et en tant que source légitime d’autorité. Une synergie se fait parfois ; et
parfois, un pôle domine l’autre. La « lutte » entière se mène cependant dans
les instances du judaïsme, ou de la civilisation juive, et cette lutte même
fait partie sans appel de ses signes distinctifs.

2. Le rôle central de l’être humain


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Une hypothèse de base de la théologie de la souveraineté est que l’être
humain, et non Dieu, constitue le centre d’intérêt – non en tant qu’objet de
culte mais comme une focale de responsabilité, d’amour et de tendresse.
Qui plus est, c’est Dieu lui-même que la tradition voyait mettre sa créature
humaine au centre :
« Qu’ils m’abandonnent Moi et gardent ma Torah 55 » ; « Le Tout-
Puissant voulait gratifier [le peuple d’] Israël, aussi multiplia-t-Il pour eux
Loi et commandements 56 », et ainsi de suite.
L’orientation de la Torah est anthropocentrique et humaniste, et à en
croire cette théologie c’est Dieu qui valide cet humanisme. Cela apparaît
dans la célèbre dispute talmudique concernant le principe par excellence
de la Torah. Serait-ce « Aime ton prochain comme toi-même » ou « Voici
le Livre de l’histoire des hommes » 57 ? Le débat entre ces deux opinions
des Sages du Talmud porte en réalité sur le point de savoir si le précepte

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Benjamin Ish-Shalom

[choisi] s’applique exclusivement à nos proches ou à tout humain en tant


qu’humain. Dans les deux cas, cependant, l’être humain est au centre d’un
postulat ambitieux. Mais nul ne prend « Aime le Seigneur ton Dieu » pour
un axiome majeur de la Torah – même si l’amour de Dieu est une force
motrice, voire un aimant pour les grands mystiques du peuple d’Israël
comme pour les simples croyants. Soulignons encore que le rôle central de
l’être humain l’honore et met ses responsabilités en lumière. La conception
de l’homme en être responsable fonde la volonté de mettre en œuvre le
principe d’autonomie.

3. L’autonomie
Il y a dans la tradition juive une polarisation entre liberté et autorité.
Les rabbins enseignent qu’une personne n’est pas censée dire : « Je n’ai
pas envie de manger du porc » ; il ou elle devrait dire : « J’ai vraiment
envie d’en manger, mais que puis-je faire ? Dieu m’a ordonné autre chose
58 . » De même le commandement portant sur la génisse rousse sans

tache – impropre à la consommation et pourtant seule capable de purifier


l’aire du Temple, suivant une logique qui échappait même à Salomon, sage
parmi les sages – donne l’exemple frappant d’un précepte apparemment
irrationnel dont l’observance prescrite par la Torah est la marque d’une
société respectueuse de la loi. Les Sages ont néanmoins posé que la source
de leur exégèse et de leurs décrets « n’est pas au ciel », et accordent peu de
crédit aux « voix tombées des cieux » 59. Maïmonide, par ailleurs, déclare
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dans son œuvre halakhique et ses essais philosophiques que le principe de
liberté est le « pilier de la Torah et des commandements » 60. Cette tension
interne est à la source du principe d’autonomie.
Au mont Sinaï, dit le Talmud, Dieu souleva le sommet au-dessus des
enfants d’Israël et les menaça, s’ils refusaient d’accepter la révélation,
d’être « ensevelis en ce cratère » 61. Pourtant, l’Alliance du Sinaï ne fut
pleinement ratifiée que lorsqu’ils « se repentirent et acceptèrent » la Torah
de leur propre gré 62 à l’époque d’Esther et Mardochée. Tout individu qui
prête obédience à l’autorité doit le faire par libre choix – comme le précise
la Mishna : « Fais de toi ton propre rabbin 63 », car seul un être libre peut
s’imposer des contraintes. Le rabbin Moshe Shmuel Glasner est allé plus
loin encore en affirmant que la nature éternelle de la Torah découle de ce
que la Loi orale se renouvelle constamment par le biais de la créativité des
réponses humaines face à une réalité mouvante 64. Comme nous l’avons
déjà dit, le rabbin Kook attribuait de profondes racines mystiques à cette

58 PA R D È S N °   5 7

Parde s 57.indb 58 26/01/16 17:59


Une théologie de la souveraineté

approche, voyant les concepts d’« Assemblée d’Israël » et de « Loi orale »


comme deux aspects de la même entité spirituelle ou sphère de la Royauté.

4. La condition nationale
Au nombre des caractéristiques marquantes du judaïsme figure son lien
avec un peuple donné ; et, non moins important, la place et la signification
théologique centrales de ce peuple. Les justifications du fait national
apparaissent déjà dans les passages de la Torah et du Midrash 65 évoquant
le Déluge, la tour de Babel et le châtiment qui en résulta, la dispersion en
nations diverses. Ces récits suggèrent que les dépravations à l’origine du
Déluge émanaient d’un individualisme excessif ; l’édification de la tour de
Babel, l’unité et une langue commune universelle semblaient une tentative
de réparation du péché qui avait entraîné le déluge – foulait l’individu aux
pieds et justifiait la défense à tout prix des intérêts collectifs de la société,
fût-ce aux dépens de la vie humaine. C’est, dit le Midrash, ce mépris de la
valeur de l’individu qui causa le châtiment de la dispersion et la formation
des nations. Pour une société humaine, la nation est le modèle d’un
équilibre favorable entre individualisme radical et collectivisme universel
radical. Comme nous l’avons déjà souligné, Maïmonide considérait le lien
avec le peuple [juif] comme un principe théologique, dont nous avons
également vu les implications concernant la Loi orale telle que le rabbin
Kook la comprenait.
Il est significatif que la nation soit non seulement au centre de la
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théologie juive, mais encore surpasse d’autres valeurs dans la pensée
juive. Exactement comme l’observance de la Loi prend le pas sur la foi,
sur l’échelle des valeurs du judaïsme le rang de la nation vient avant la
pratique : « Une fois, alors que je cheminais sur la route, Eliyahou me
croisa et je lui dis, “Mon Maître, deux choses sont en mon cœur que je
chéris profondément et j’ignore à laquelle accorder préséance” ; Eliyahou
me répondit, “les gens disent en général que la Torah vient en premier,
mais je dis que le peuple juif vient en premier” 66. » Bien entendu, le statut
théologique du peuple juif influe sur la signification théologique de la
souveraineté juive.

5. La souveraineté
Théologiquement parlant, le rabbin Kook voit l’État juif souverain
comme la manifestation d’une entité métaphysique, « le piédestal du

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Benjamin Ish-Shalom

trône de Dieu dans le monde ». Et bien que lui-même traduise le langage


religieux en termes culturels et en concepts terrestres, concrets, il donne
à entendre qu’un rôle théologique n’est dévolu à l’État qu’à la seule
condition d’aspirer à la réalisation de valeurs éthiques et d’idéaux qui
fassent progresser l’humanité tout entière. C’est le comportement moral
de l’État juif et son respect de la vie humaine qui lui confèrent le statut
d’entité spirituelle.
Cette conception donne une signification éthique à l’État juif, qui
charpente l’accomplissement de la Torah dans sa pleine acception ; et
insuffle de la morale dans les institutions démocratiques de l’État, théâtre
chacune en son domaine de la réalisation des valeurs divines. Selon les
vues du rabbin Kook, les institutions et les autorités officielles ont une
portée théologique et leurs décisions comme leur législation sont un
élément inséparable de la chaîne créative de la Loi orale. Ce n’est le cas
que si deux conditions essentielles sont remplies : que ces innovations
légales tirent leur inspiration des sources religieuses traditionnelles en un
prolongement de la chaîne de la Loi orale ; qu’une conscience croissante
soit prise de la signification d’une législation novatrice en tant que part de
l’évolution de la civilisation juive historique.

6. L’universalisme
La nature particulariste du judaïsme suscite un malaise qui s’exprime
dans les sources juives anciennes, et plus nettement encore dans la pensée
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juive moderne. Cette gêne découle du fait que les valeurs morales du
judaïsme sont universelles de par leur nature même, et il est bon qu’il en
soit ainsi. La morale et la justice commandent que le bien s’applique à tous
de façon égale, et la légitimité de la loi morale émane de son caractère
universel. Aussi trouvons-nous d’un côté dans le judaïsme une orientation
éthique universelle, couplée de l’autre à une profonde implication à l’endroit
d’un particularisme religieux et national.
Nous découvrons cette tension dialectique au sein du canon hébraïque,
dans des affirmations de nature séparatiste – « Voici un peuple qui
demeurera solitaire 67 » – à côté de visions eschatologiques de rédemption
universelle. Si les Sages du Talmud lui donnent voix à leur tour, il semble
qu’à leur époque le particularisme ait lutté pour la prééminence 68. Enfin,
à l’ère moderne, elle éclate de nouveau puissamment entre l’universalisme
de la Haskalah (le mouvement juif des Lumières 69) et le socialisme, d’une
part ; face au zèle national du mouvement sioniste, d’autre part. Reflet de

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Une théologie de la souveraineté

la civilisation juive en tous ses aspects et dimensions, la théologie de la


souveraineté exprime elle aussi cette dialectique juive. Tout en posant les
bases d’une justification du fait national, elle vibre à l’évocation de l’État
idéal, qui pourrait apporter « la lumière aux nations » et mener activement
une politique charitable et juste à l’égard de la société humaine tout entière.

7. La voie de la sainteté
L’accent mis par la théologie de la souveraineté sur les valeurs collectives
et publiques limite dans une certaine mesure la place de l’individu et lui
pose une gageure complexe. Concernant le rôle et les domaines de gestion
élargis de l’État, des finances à l’éducation, la culture ou la spiritualité, et
jusqu’aux relations internationales, le danger croît de voir l’individu fuir ses
responsabilités et se montrer indifférent, coupé des autres, égocentrique.
C’est là qu’interviennent rabbins, éducateurs et intellectuels susceptibles
de lancer aux individus et aux collectivités le défi de sanctifier leur vie.
L’aspiration à la sainteté signifie de ne pas accepter les choses telles
qu’elles sont, et de lutter continuellement pour une existence anoblie par
la spiritualité et l’éthique. La sainteté est la catégorie de l’absolu, de la
plénitude, par-delà le royaume de l’humain ; l’aspiration à la sainteté, la lutte
pour la perfection spirituelle et morale, pavent cependant en permanence
la voie de l’élévation de l’existence humaine.
Selon la théologie de la souveraineté, l’État, expression d’une civi-
lisation juive complète, se montre défaillant s’il ne représente pas le
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corps social en profondeur, l’enrichissant et modelant son existence en
tant que société humaine. Il lui appartient de permettre et d’encourager
dans l’espace offert par lui la multiplication d’initiatives qui lancent aux
individus et aux communautés le défi d’une vie de marche vers la sainteté.
Il revient aux décisionnaires de la halakhah et à ceux qui l’étudient de
développer une attitude attentive et délicate, proposant aux individus et
à la collectivité des modes de vie inspirés par « la crainte de Dieu » et
« la crainte du péché » – c’est-à-dire par un profond respect des principes
supérieurs (« le tremblement de l’élévation ») et un souverain mépris
de tout ce qui leur porte préjudice, d’une part ; par « l’amour du Nom
divin » d’autre part, lequel se manifeste par l’amour de l’être humain,
créé « à l’image de Dieu ». À savoir, l’ardent désir de marcher sur ses
traces – « Qu’est la pitié si toi-même n’a pas pitié ? », dit le Midrash en de
nombreux passages – et la volonté d’avancer vers le bien avec tout être
humain du seul fait qu’il est humain.

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Benjamin Ish-Shalom

QUELQUES RÉFLEXIONS EN GUISE DE CONCLUSION…


Le monde juif contemporain se compose de vastes communautés aux
États-Unis et en Israël, et de plus petites dispersées en d’autres contrées.
Six millions de Juifs 70 jouissent aux États-Unis de liberté, de prospérité,
d’une riche vie culturelle et d’une forte présence sur la scène politique.
Ils sont intégrés dans la société américaine tant matériellement qu’en
termes de conscience, ce qui les expose au risque de voir s’estomper
les spécificités de l’identité juive. La communauté juive américaine est
prospère mais divisée, et les attaches qui liaient par le passé les Juifs à un
groupe doté d’une identité judaïque définie et distincte vont se désintégrant.
Les communautés plus petites, dispersées de par le monde, où vivent
deux millions de Juifs, sont confrontées à la vulnérabilité intrinsèque
aux minorités, à jamais perçues autour d’elles comme « autres » ; à des
manifestations d’antisémitisme ; à une relative insécurité ; et à des processus
d’assimilation accélérés.
La communauté juive en Israël compte elle aussi six millions de
personnes. C’est la seule à s’être multipliée par dix en soixante-quatre ans
d’existence. En dépit de tous les problèmes et défis, intérieurs et extérieurs,
qui se posent à l’État juif, il donne élan à l’édification d’une civilisation
pleine et entière. Aux points de vue de la démographie, d’une créativité
en expansion et de sa dimension plurielle, Israël s’est fait défi pour les
communautés juives de par le monde en termes d’identité, de définition
de soi, et de nouveaux modes d’approche du sens du judaïsme : Israël rend
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plus aiguë la question des relations entre religion, culture et nationalité au
sein du judaïsme ; Israël contraint les Juifs à descendre de l’Olympe des
concepts théoriques d’humanisme et d’éthique pour rejoindre les champs
de bataille de l’action politique et militaire où concrétiser ces valeurs dans
des conditions difficiles, voire cruelles. Israël tend aux Juifs du monde le
miroir complexe de l’identité juive ; concurremment, la judaïcité mondiale
offre de nouveaux défis aux Juifs d’Israël.
La théologie de la souveraineté est-elle capable d’initier une vision
exaltante offrant une définition identitaire et injectant du sens au judaïsme
et à la judaïcité dans un monde en changement ? L’État d’Israël lancera-
t-il à l’humanité ce défi, le modèle d’une société idéale ? La signification
régénérée du judaïsme après le retour contemporain à Sion suscitera-t-elle
un renouveau théologique du christianisme ? L’État d’Israël souverain
prendra-t-il ses responsabilités envers ses citoyens arabes en posant avec
leur aide les bases d’un langage théologique commun avec l’islam lui aussi,

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Une théologie de la souveraineté

pour le bien de l’humanité tout entière ? Ce sont là quelques questions


seulement au nombre des défis émanant de la théologie de la souveraineté
et que nous avons, de ce fait, la responsabilité d’affronter.
(Traduit de l’anglais et de l’hébreu par Tal Aronzon)

NOTES ET RÉFÉRENCES

(De l’auteur, sauf mention NdlT pour celles de la traductrice)

1. Sur la rédemption et le messianisme, voir Gershom Scholem, « Pour comprendre l’idée


messianique en Israël » [héb], dans Dvarim beGo, Tel-Aviv, 1976, p. 155-190 ; Shalom
Rosenberg, « Le retour au jardin d’Éden : notes sur le concept de rédemption réparatrice
dans la pensée juive médiévale » [héb], dans HaRâayon ha’Hamishi beIsrael, Jérusalem,
1981, p. 37-86 ; Aharon Z. Eshkoli, HaTnouôth haMeshirioth beIsrael [Les Mouvements
messianiques en Israël], Jérusalem, 1956 ; Isaïah Tishbi, Meshiriouth beDor Guiroushei
Sefarad vePortugal [Le Messianisme dans la génération des exilés d’Espagne et du
Portugal], Jérusalem, 1984.
2. L’auteur emploie ici le terme de Miqra (« Lecture ») pour les textes du canon hébraïque,
également désignés par leur acronyme TaNaKh (Torah ou Enseignement ; Nevîim ou
Prophètes ; Khtouvim ou Écrits hagiographiques) et, après la destruction du Temple,
comme Torah she beKhtav, la Torah écrite. Laquelle se distingue ainsi de la Torah she
beal Pe, la Torah orale en constante évolution qui se compose du commentaire littéral
de la Mishna ; des deux Talmud de Babylone et de Jérusalem élaborés dans les écoles
rivales de Hillel et Shamaï ; de l’ensemble multiforme du Midrash. À quoi s’ajoutent
encore avant la période moderne le courant mystique de la Kabbale et les philosophes
juifs du Moyen Âge – qui pour certains, comme Maïmonide ici abondamment cité,
se frottent à la culture grecque par l’intermédiaire de l’arabe. [NdlT].
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3. G. Scholem, ibid., p. 189-190.
4. Tanakh, « Douze derniers prophètes », Za 8, 4-6.
5. La vision de Zacharie évoque cependant l’éruption miraculeuse du mont des Oliviers,
qui précipite la victoire divine contre les Nations (idem, ibid., Za 14, 4).
6. Maïmonide, Mishneh Torah, Lois des Rois, 11-12. Voir à ce sujet Gerald Y. Blidstein,
Îqronoth medinaïm beMishnath HaRambam [Principes politiques dans l’œuvre
halakhique de Maïmonide], Ramat-Gan, 1983.
7. ou d’une Juive. [NdlT].
8. Voir la Responsa du Radbaz, partie 3 section A, 52 (1866), où il statue qu’une personne
n’est pas obligée de se mettre en danger pour une autre ; et la Responsa du Tzitz, partie
12, section 57, qui statue qu’en temps de guerre l’approche est différente, car la guerre
elle-même met en danger la vie des soldats au nom d’un objectif national et afin de
protéger la vie d’autrui. Voir aussi B. Ish-Shalom, « Purity of Arms » [« Pureté des
armes »] et « Purity of Ethical Judgement » [« Pureté du jugement éthique »], dans la
revue Meorot, 6, n° 1, p. 1-9, New York, 2006.
9. L’assertion de Maïmonide faisant l’égal d’un hérétique de qui abandonne la nation
pourrait provenir d’un texte mishnaïque (baraïta) qui figure dans la Haggadah de
Pessa’h. « Que dit le pervers (rashâ) : “Quel sens a pour vous ce rituel ?” – “Pour vous”

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Benjamin Ish-Shalom

et non pour lui, et puisqu’il s’est exclu de la collectivité il a nié le principe fondateur
[même]. » L’éloignement de la nation est ainsi considéré comme une hérésie à l’encontre
de Dieu. Voir également dans le Midrash, Shemoth Rabba, “Mekhilta d’Rabbi Ishmael”,
section 8, Jérusalem, 1969, p. 73 ; et le Talmud de Jérusalem, Traité Pesa’him, 10, 37
et 74.
10. Voir note 7 supra.
11. Dov Schwartz, Eretz haMamashouth vehaDimyon [Le Pays de la réalité et de
l’imaginaire], Tel-Aviv, 1997, p. 24. Pour plus de précisions sur les conceptions
métaphysiques du rabbin Kook, voir B. Ish Shalom, HaRav Kook beyn ratsionalizm
leMystica [Le Rabbin Kook entre rationalisme et mystique], Rééd. Jérusalem, 2007 ;
également édité en traduction anglaise Rav A.I. HaCohen Cook, Between Rationalism
and Mysticism, New York, 1993.
12. B. Ish-Shalom, ibid., p. 99-126.
13. Idem, ibid., p. 79-98 (du manuscrit original). Voir également, r. Abraham Y. Kook,
Oroth haQodesh [Lumière de la sainteté], vol. 1, p. 23. (À noter que l’éditeur, r. David
HaCohen, a modifié le texte afin d’en affaiblir le sens.)
14. R. Abraham Y. Kook, ibid. Voir également, id., Oroth haEmounah [Lumière de la
foi], Jérusalem, 1984, p. 25.
15. ou des Juives. [NdlT].
16. Cette idée apparaît à de nombreuses reprises dans ses écrits. Voir par exemple Eder
haYakar, p. 38-39 et Oroth ha-Qodesh, vol. 1, p. 135.
17. R. Abraham Y. Kook, Ârpilei Tohar, mélanges sur la pureté rassemblés par ses étudiants
(1re éd. non révisée), p. 54. Voir également B. Ish-Shalom, ibid., p. 202, et note 16
supra.
18. B. Ish-Shalom, ibid., p. 103.
19. Ârpilei Tohar, p. 16 ; voir aussi B. Ish-Shalom, ibid., p. 202.
20. Voir R. Abraham Y. Kook, Oroth haQodesh, vol. 3, p. 171
21. Idem, ibid.
22. Au sens que les Anglo-Saxons donnent au terme – quand nous aurions, en France,
tendance à dire « démocratiques » par exemple. [NdlT].
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23. R. Abraham Y. Kook, Oroth [Lumières], La guerre, p. 14.
24. Idem, Oroth Israel [Lumière d’Israël], p. 138.
25. David Ben-Gourion évoque plus spécifiquement le passage de la mer des Joncs,
longtemps confondue dans les traductions françaises avec la mer Rouge. Aussi nous
a-t-il paru plus clair de parler en termes génériques de la Sortie d’Égypte. [NdlT].
26. David Ben-Gourion, « Réponse aux critiques » [heb], dans le quotidien Davar, 9 octobre
1957.
27. Débat courant de nos jours, comme on peut voir à travers les traductions successives
du titre de l’essai de Herzl. [NdlT].
28. Voir note 15 supra.
29. Sur ce débat, voir par exemple Mena’hem Elon, « Droit et constitution : les valeurs
d’un État juif et démocratique à la lumière de la loi fondamentale sur la liberté de
l’être humain » [heb], dans Îyounei Mishpat, vol. 17, 1992, p. 659 et 663. Voir aussi
Aharon Barak, Parshanouth baMishpat [Interprétation du droit], Interprétation
constitutionnelle, vol. 3, 1993, p. 330-332.
30. Voir Yosef Shalhev, Ribonouth beEretz meriva [Souveraineté sur une terre en conflit],
Jérusalem, 2010.
31 Idem, ibid., p. 82.

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Une théologie de la souveraineté

32. [Mishnah et Talmud de Babylone et Jérusalem], Pirqei Avoth 20, 12-13.


33. Voir R. De-Vu, ‘Hayieh yom yom beIsrael beTqoufath haMiqra [La vie quotidienne
en Israël à l’époque biblique], vol. 2, Tel-Aviv, 1969.
34. Voir Israel Levin, Mâamad ha’Ha’hamim beEretz Israel beTqoufath haTalmud [Le statut
des Sages en terre d’Israël à l’époque du Talmud], Jérusalem, 1985 ; Mena’hem Elon,
HaMishpat ha’Îvri [Le droit hébaïque], vol. 1, Jérusalem, 1972, p. 59-64.
35. Voir note 15 supra.
36. Héritier du mouvement juif des Lumières ou Haskalah (voir note 69 infra), le courant
« libéral », très puissant en Amérique du Nord, peine à s’implanter en Israël. En France,
il est représenté par l’Union libérale israélite et le MJLF. [NdlT].
37. Voir note 15 supra.
38. Voir note 7 supra.
39. Un État dont l’emblème est frappé du chandelier du Temple ; dont l’hymne résonne
des accents mélancoliques de l’exil babylonien et du souvenir des premiers congrès
sionistes ; dont le drapeau national dessine une étoile de David sur une étoffe évocatrice
du talith, le châle de prière. [NdlT].
40. Voir Dedi Tzuker (ed.), Anou haYehoudim ha’Hilonim : Mahi zehout yehoudith
‘hilonith ? [Nous Juifs laïques : Qu’est-ce que l’identité juive laïque ?],Tel-Aviv, 1999 ;
Yaïr Auron, Zehouth yehoudith israelith [Une identité juive israélienne], Tel-Aviv,
1993 ; Avi Sagi, HaMassâ yéhoudi-israeli [Les pérégrinations judéo-israéliennes],
Jérusalem, 2006.
41 Talmud de Babylone, Traité Ketuboth 110.
42. Voir Medinath Israel keMedinah yehoudith veDemocratith [L’État d’Israël en tant
qu’État juif et démocratique], symposium, Jérusalem, 1997.
43. Voir note 22 supra.
44. Voir Mena’hem Elon et Aharon Barak, dans la note 29 supra ; Voir aussi Gidon Sapir,
« Deux étudiants du Talmud de notre ville » [heb], Îyounei Mishpat, vol. 25, 1, 2000,
p. 189-220 ; Asher Maoz, “Les valeurs d’un État juif et démocratique” [heb], Îyounei
Mishpat vol. 19, 3, 1995, p. 547-630 ; Ariel Rosen Zvi, « Un État juif et démocratique :
Parenté spirituelle, Aliénation et Symbiosie – Peut-on parvenir à la quadrature du
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cercle ? », ibid., p. 479-519.
45. Voir Yosef Gorney, Ha’Hipouss a’har haZeouth haLeoum’th [La Quête de l’identité
nationale], Tel-Aviv, 1990.
46. Généralement dénommée ici « loi judaïque ». [NdlT].
47. Ou non-Juives. [NdlT].
48. Voir Yaqov B. Stein, Îqronoth mediniim baMishnath haRambam [Principes politiques
dans le Mishneh Torah de Maïmonide], Bar-Ilan, 1983 ; Mena’hem Loberbaum,
Politica veGvouloth haHalakhah [Politique et limites de la Halakhah], Jérusalem,
2005 ; Eliezer Ravitzki, ‘Herouth âl haLou’hoth [La Liberté sur les Tables de la Loi],
Tel-Aviv, 1999, p. 49-89 ; Yaqov Talmon, HaMeshi’hiouth haMedinith – haShlav
haRomanti [Le Messianisme politique – La phase romantique], Tel-Aviv, 1964 ; Uriel
Tal, Theologia politith vehaReich haShlishi [La Théologie politique et le Troisième
Reich], Tel-Aviv, 1991.
49. À titre d’exemple typique de la différence d’approche entre Hillel et Shamaï, voir Avoth
d’Rabbi Nathan, Vienne, 1886, 2e éd., chap. 30, p. 66.
50. Voir Ephraïm E. Urbach, ‘Haz’’l – pirqei Emounoth veDêoth [Chapitres de nos Sages
sur la foi et les prédispositions morales], Jérusalem, 1975, p. 513-530 ; Osgod Gold,
HaShamaïm [Les Shamaïstes], Tel-Aviv, 2011.

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Benjamin Ish-Shalom

51. Allusion cette fois aux récents ravages en Israël du libéralisme économique. [NdlT].
52. Voir note 48 supra.
53. Voir Mordecai M. Kaplan, Judaism as a Civilization – toward a Reconstruction of
American-Jewish Life [Le Judaïsme comme civilisation – vers une reconstruction de
la vie juive américaine], N.Y. 1957 ; Eliezer Schweid, HaYaadouth vehaTharbouth
ha’Hilonith [Judaïsme et culture laïque], HaKibboutz HaMeou’had, 1980.
54. Voir Maïmonide, Le Guide des égarés [Moreh Nevoukhim], partie 2, chap. 39-40 ;
partie 3, chap. 27.
55. «  Halevaï othi âzvou veTorathi shamrou », Talmud de Jérusalem, Traité ‘Haguigah 1, 7.
56. «  Ratsa haQviAh lizkoth eth Israel lefiKhakh, hirvah lahem Torah veMitzvoth », Mishna,
Traité Avoth, 6, 11.
57. Sifra, vaYiqra (Lévitique) 20, 22.
58. Voir Isaac Heinemann, Taâmei haMitzvoth beSifrouth Israel [Raisons des comman-
dements dans les Textes du judaïsme], Jérusalem, 1965 ; voir aussi E. Urbach, ibid.,
(voir note 50 supra), p. 321-347.
59. Talmud de Babylone, Baba Metsi’a 59b. Voir aussi Yaqov Englard, « Le four d’Akhnaï :
Interprétation d’un récit », Shnathon haMishpat haÎvri [Annales de droit hébraïque],
vol. 1, Boston University, 1973.
60. Maïmonide, Mishneh Torah, Lois du Repentir 5, 3 ; Guide des égarés, 2, 25.
61. Talmud de Babylone, Traité Shabbat 88, 2 ; Traité Avodah Zarah, 2, 2.
62. Talmud de Babylone, Traité Meguillah 7, 1.
63. Mishna, Traité Avoth, 1, 6.
64. Mosheh Sh. Glasner, Dor Reviî [La Quatrième Génération], Cluj (Roumanie), 1921.
65. Midrash, BeReshith Rabbah 38, 6.
66. Tana d’Bey Eliyahou, Jérusalem, 1973, chap. 14, p. 146.
67. «  Hen âm levadad ishkon », Nb 23, 9.
68. Ephraïm E. Urbach, voir note 50 supra, ibid., p. 466-494.
69. Désireuse d’allier le judaïsme à la modernité et la pensée juive à la philosophie de son
temps, la Haskalah, qui se répand depuis l’Allemagne en Europe centrale et orientale
aux xviiie et xixe siècles, entend privilégier l’esprit de la Torah sur la lettre d’une
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pratique parfois dépassée selon elle. [NdlT].
70. Voir note 15 supra, de même que pour les quelques occurrences suivantes du vocable
«  Juifs ».

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