Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Information
Médias Théories
Odin Roger. Le spectateur de cinéma : approche sémio-pragmatique. In: Communication. Information Médias Théories,
volume 13 n°2, automne 1992. Spectateurs. pp. 38-58;
doi : https://doi.org/10.3406/comin.1992.1593
https://www.persee.fr/doc/comin_1189-3788_1992_num_13_2_1593
Résumé
L'un des objectifs de l'approche sémio-pragmatique du cinéma est de proposer un cadre théorique
susceptible d'aider à comprendre le fonctionnement des différents actants du champ
cinématographique. Dans cette perspective l'auteur propose quelques éléments de réflexion pour
mieux cerner la notion de spectateur de cinéma. Il considère le spectateur de cinéma comme le
produit d'un faisceau de déterminations provenant de deux types d'institutions : l'institution
constitutive (Searle) du champ cinématographique et l'institution spectatorielle. On découvrira
alors que la notion de spectateur de cinéma est une notion «ouverte » (Weitz) mais descriptible en
termes de contrat, de contraintes, de famille (Wittgenstein ) et de modes de production de sens et
d' affects.
Abstract
One of the goals of a semio-pragmatics of cinema is to develop a theoretical framework that will
aid in accounting for the various actants in the cinematographic field. From this perspective, the
author examines how one might better conceive the notion of film spectator. The spectator is
conceived as the product of the intersection of determinations from two types of institutions : the
constitutive (Searle ) institution of the cinematographic field and the institution of spectatorship.
Thus, the notion of film spectator is an «open » (Weitz) one, although descri-bable in terms of
contract, constraint, and families and modes of sense and affect production.
COMMUNICATION VOL 13, N° 2
RÉSUMÉ
proposer
L'un des objectifs
un cadre de
théorique
l'approche
susceptible
sémio-pragmatique
d'aider à comprendre
du cinémaleest
fonc¬
de
ABSTRACT
RESUMEN
38
LE SPECTATEUR DE CINÉMA... BIBLID 0382-7798(1 992) 1 3:2p.39-58
Le spectateur de cinéma :
approche sémio-pragmatique
Roger Odin*
Pour
qu'il
ment,
réflexion
échapper
question
ler
de
cinéma;
fixer
cinéma
ainsi
aborder
n'était
lec'est-à-dire
:cadre
qui
que
ànous
quel
»moins
?peut-être
me
ce
laactant
conceptuel
croyons,
question
soit
servira
de
par
sur
se
social
pas
une
résoudre
de
leen
du
mauvais
ou
préalable,
guide
réflexion
désigne-t-on
Cinéma
effet,
les àdans
spectateurs
ne
qu'avant
deet
pas
sur
un
ce
commencer
son
par
savoir
qui
cadre
la spectateur
de
notion
va
l'expression
de cinéma,
auquel
de
suivre
sequoi
par
de
livrer
, peut
le
il
spectateur
on
il «
l'on
m'a
commence¬
convient
àne
spectateur
se
parle.
quelque
semblé
formu¬
saurait
La
de
* L'auteur est
recherche en cinéma
professeur
et audiovisuel
à l'Université
(IRCde
A).Paris III et membre de l'Institut de
39
COMMUNICATION VOL 13, N° 2
« When is film » ?
40
LE SPECTATEUR DE CINÉMA- ROGER ODIN
porte sur " la genèse de l'image et non pas sur son statut 'phénoméno¬
logique' qui seul est directement accessible à la réception " ; le savoir
de l'arché fonctionne généralement comme postulat admis d'avance et
non pas comme inférence concrète» (p. 115). Schaeffer ajoute que si
la connaissance du mécanisme de l'arché photographique est indispen¬
sable à la compréhension d'une photographie, le destinataire n'a
«nullement besoin» d'en avoir une connaissance «scientifique au
sens strict du terme. Il suffit qu'il soit capable d'enclencher une récep¬
tion qui réfère les formes analogiques à des imprégnants réels, plutôt
qu'à une figuration libre. La plupart du temps il s'agira sans doute
d'un savoir pratique diffus [...]. Balzac qui, à en croire Nadar expli¬
quait la production de l'image photographique par la translation d'une
pellicule, appartenant au corps photographié, vers la surface sensible,
disposait du savoir implicite suffisant pour distinguer une image pho¬
tographique de toute autre sorte d'image » (p. 46).
41
COMMUNICATION VOL 13, N° 2
Des archés
42
COMMUNICATION VOL. 13, N° 2
Mais il faut aller plus loin. Les esthéticiens qui s'inscrivent dans le
courant de la philosophie analytique nous ont appris tout l'intérêt qu'il
y avait à travailler sur les marges pour comprendre un phénomène
(ex. : Arthur Danto, Thierry de Duve et les ready made). Si l'on adopte
cette façon de faire pour le cinéma, on constate que certains dispositifs
du champ cinématographique, ceux qui appartiennent à ce que l'on
appelle le cinéma élargi {expanded cinema ), ne se laissent réduire à
aucune description matérielle unifiée. On trouve tout et n'importe quoi
dans les dispositifs des séances de cinéma élargi : des machines à cou¬
dre, des douches, des rings de boxe, des tables de ping-pong, etc.
(Devaux, 1984). Assurément, il n'existe pas une arché du cinéma
élargi comme il existe une arché du dessin animé.
44
LE SPECTATEUR DE CINÉMA... ROGER ODIN
43
LE SPECTATEUR DE CINÉMA- ROGER ODIN
Cela ne signifie toutefois pas que le savoir sur l'arché ne soit pas
mobilisé dans les séances de cinéma élargi : très souvent, le jeu con¬
siste à décevoir le système d'attente des spectateurs en leur présentant
quelque chose qui ne correspond pas aux deux archés dominantes (le
cinéma de la photographie et le dessin animé). On notera cependant
qu'un individu qui n'aurait jamais vu de cinéma avant de participer à
une séance de cinéma élargi - par exemple la séance décrite par Jean-
Claude Rousseau dans le numéro 6 de La Revue d'Esthétique consacré
au « Cinéma en l'an 2000 », consistant à faire un film avec des clous et
des ficelles (il s'agit d'une séance organisée par Giovanni Martedi au
Ciné Club Saint-Charles à Paris) - pourrait tout à fait croire, en toute
bonne foi, qu'il s'agit-là du dispositif cinéma.
Un contrat institutionnel
Ainsi donc, tout peut devenir cinéma. Pourtant, il est clair qu'en tant
que spectateur je ne peux pas décider de considérer n'importe quoi
comme du cinéma. Lorsque dans la vie quotidienne, face à des com¬
portements qui me semblent vraiment trop exagérés pour ne pas être
quelque peu joués ou mis en scène, je m'exclame que «c'est du
cinéma», j'ai bien évidemment le sentiment d'utiliser une métaphore :
je ne me crois pas réellement au cinéma. En réalité, tout ce que je
peux faire en tant que spectateur, c'est répondre positivement ou néga¬
tivement aux propositions qui me sont faites d'entrer dans le champ
(dans l'institution) cinématographique (c'est-à-dire de me considérer
comme « spectateur de cinéma » et d'agir en conséquence). A la base
de la construction du spectateur de cinéma, il y a toujours un contrat
institutionnel; le contrat cinématographique. Accepter ce contrat,
c'est accepter de regarder ce qui est donné à voir comme une produc¬
tion intentionnellement cinématographique.
45
COMMUNICATION VOL 13, N° 2
46
LE SPECTATEUR DE CINÉMA- ROGER ODIN
Mais il faut pousser encore d'un cran notre réflexion. Que se passe-t-il
par exemple lorsqu'un film nous est donné à voir dans le cadre d'une
pièce de théâtre (voir Sacha Gitry, Une petite main qui se place ou A.
Bejard, La reine verte). Il est clair que dans ces conditions, bien que
nous soyons conduit à construire un texte filmique, nous sommes posi¬
tionnés comme spectateur de théâtre et non comme spectateur de
cinéma. C'est également ce qui se passe à la télévision; le spectateur
met en œuvre l'arché cinéma pour construire le film mais il est institu-
tionnellement positionné en spectateur de télévision; on remarquera
d'ailleurs que très souvent la télévision éprouve la nécessité de réins¬
crire à l'intérieur du contrat spectatoriel télévisuel le contrat de specta¬
teur de cinéma, ce qui montre bien que ce n'est pas le contrat
cinématographique qui fonctionne d'emblée même si l'arché cinéma
est convoquée par le spectateur (le début de l'émission La dernière
séance est tout à fait remarquable à cet égard : il donne à voir l'entrée
dans une séance de cinéma des années 50).
47
COMMUNICATION VOL 13, N° 2
critique ne voit pas un film pour le seul fait de voir un film mais pour
écrire un papier sur ce film, etc. ; enfin, le critique fonctionne comme
tateurs.
adjuvant ou opposant du réalisateur avec comme destinataire les spec¬
On notera que dans les deux cas, il existe un terme spécifique, dis¬
tinct
la lexicalisation
du mot spectateur,
affiche la
pour
différence
désigner
des
cesrôles
actants
sociaux.
: critique, cinéphile ;
48
LE SPECTATEUR DE CINÉMA- ROGER ODIN
L'institution spectatorielle
sont pas
tution
social des
spectatorielle.
ceux
langages.
de l'institution
Autrement
Art, dit,
de l'institution
les institutions
Famille
règlent
ou de Yl'insti¬
usage
pelle
pace
production
me positionner
comme de
énonciation
évaluable
la lecture
des textes
moi-même
«en
les
non
propositions
;tant
Searle
sérieuse
que
comme
: vrai
1982)
» faites
une
et
Destinataire
; faux
énonciation
par(je
Searle
transpose
«non
pour
qui sérieux
ne
l'espace
icisedans
pose
» ; j'ap¬
de
l'es¬
pas
la
49
COMMUNICATION VOL 13, N° 2
tion Art,
Nous proposons
institution
d'appeler
Consommation,
institutions tout
institution
court cesSpectatorielle,
institutions. etc.
On pourrait penser que voir un film dans une salle de cinéma, c'est-
à-dire dans un cadre institutionnel à la fois cinématographique et spec¬
tatoriel, implique obligatoirement d'être spectateur de cinéma. Or, cela
est faux. L'expression « se trouver dans une institution » est en effet
une expression ambiguë car les institutions sont à la fois hors de nous
50
LE SPECTATEUR DE CINÉMA- ROGER ODIN
51
COMMUNICATION VOL 13, N° 2
52
LE SPECTATEUR DE CINÉMA... ROGER ODIN
Une première réponse à ce défi est de constater que tous les specta¬
teurs de cinéma ont accepté un contrat cinématographique. Même si
ce contrat n'a ni la même forme ni le même contenu, les spectateurs
de cinéma sont des individus qui ont tous décidé, à un moment ou à un
autre, pour une raison ou pour une autre, d'entrer dans l'institution
cinématographique. Cette décision les engage : entrer dans l'institu¬
tion cinématographique signifie accepter les contraintes de l'institu¬
tion. À partir du moment où j'ai accepté d'entrer dans l'institution
cinéma
donné
commeà du
(contrat),
voir.
cinéma,je et
m'engage
ceci quelle
à regarder
que soit ce
la qui
nature
m'est
de donné
ce qui àm'est
voir
L'outil auquel nous aurons recours ici est la notion d q famille telle
qu'elle apparaît chez le Wittgenstein des Investigations philosophi¬
ques (1961 : 148). Cette notion vise à faire comprendre qu'un ensem¬
ble hétérogène peut être un ensemble structuré : les membres d'une
famille ne partagent pas tous une même caractéristique (Pierre a le
même nez que Paul, son père, mais Jacques a les mêmes yeux que sa
mère, alors que Julie a la couleur de cheveux de la grand-mère, etc.)
et pourtant ils sont tous membres d'une même famille. Wittgenstein
illustre ce type de relations par divers exemples dont celui des jeux
(p. 147) : considérons ce que nous appelons jeux, jeux de cartes, jeux
d'échiquier, jeux de balle, jeux Olympiques, etc. « Ne dites pas : il
doit y avoir quelque chose de commun ou on ne les appellerait pas
"jeux", mais regardez et voyez s'il y a quelque chose qui est com¬
mun à tous [...] Car si vous les regardez vous ne verrez pas quelque
chose qui est commun à tous, mais des similitudes, des relations et
toute une série de celles-ci [...]». On peut donc reconnaître qu'un
élément x est un jeu, cela sans qu'il n'y ait rien de commun à tous les
53
COMMUNICATION VOL 13, N° 2
C'est ainsi que toutes les approches dont nous avons parlé au com¬
mencement de cette communication peuvent être reprises dans cette
nouvelle perspective : une fois posées les modalités du contrat cinéma¬
tographique, les analyses en tant que dispositifs et même qu 'arché
retrouvent toute leur valeur ; une fois reconnue l'extrême variété des
dispositifs, il devient possible de décrire (en termes psychologiques,
phénoménologiques ou psychanalytiques, peu importe) V expérience
cinématographique vécue par un individu dans le cadre de tel ou tel
dispositif sans laisser croire que cette expérience correspond à l'expé¬
rience cinématographique tout court ; une fois admis que les films sont
construits par leurs destinataires sous la pression des déterminations
institutionnelles, il devient possible d'étudier la façon dont les films
positionnent à leur tour ces destinataires (approche énonciative ) et ce
qui se passe dans le cas particulier (car il s'agit, nous le savons main¬
tenant d'un cas particulier) où ces destinataires sont des spectateurs ;
enfin, une fois décrite la compétence discursive des actants d'un
espace social ainsi que les déterminations institutionnelles qui règlent
la sélection des modes de production de sens, il devient possible
d'analyser le travail du destinataire comme producteur de sens (appro¬
che cognitive ) étant bien entendu que ce travail ne sera pas le même
dans le cas d'un spectateur ou d'un autre positionnement institution¬
nel. En bref, une fois reconnue la diversité des institutions, il est possi¬
ble de parler de spectateur de cinéma sans assimiler cet actant à
n'importe quel destinataire de film. On le voit, notre analyse ne vise
54
LE SPECTATEUR DE CINÉMA... ROGER ODIN
55
COMMUNICATION VOL 13, N° 2
Notes
Références bibliographiques
56
LE SPECTATEUR DE CINÉMA... ROGER ODIN
DEVAUX
rat deFrédérique
Noguez.troisième (1984),
cycle, Université
Ce cinéma de
qu'on
Paris
appelle
I, sous
« élargi
la direction
», thèse de
pour
Dominique
le docto¬
57
COMMUNICATION VOL 13, N° 2
58