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En Attendant Godot en 1953 Performance Et Receptio
En Attendant Godot en 1953 Performance Et Receptio
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Jean-Michel Gouvard
Université Bordeaux Montaigne
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All content following this page was uploaded by Jean-Michel Gouvard on 12 June 2020.
This article deals with the reception, by the Parisian reviewers, of Roger
Blin’s staging and actor’s performances of the initial production of Waiting
for Godot, in early 1953. Our purpose is to better understand this première,
which became over time an unavoidable template, by drawing on factual
and objective elements. To do so, we will focus on contemporary reviews of
the play, and track lexical recurrences from one to another, with the aim of
identifying relevant semantic fields. By interpreting them in the cultural and
sociological context they belong to, it will be possible to identify which features
were prominent for the audience – and what they tell us about the way the play
has been performed and perceived.
Keywords: Beckett, staging, acting, French theatre history, Waiting for Godot
1 Dans les tout premiers jours de février, des spectateurs perturbèrent le spectacle, à tel point
que l’on en vint aux mains dans la salle. La presse se fit l’écho de l’incident, assurant ainsi
à la pièce un succès au parfum de scandale. Voir James Knowlson, Damned to Fame. The
Life of Samuel Beckett (London: Bloomsbury, 1996), p. 387 et p. 778, note 140.
Francosphères, vol. 9, no. 1 (2020) https://doi.org/10.3828/franc.2020.2
Published open access under a CC BY license.
https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/
8 Jean-Michel Gouvard
pour certains d’entre eux une idée très approximative de qui était Samuel
Beckett, et de ce qu’avait été son parcours avant Godot. Le savoir dont ils
se font ponctuellement l’écho dans leurs articles repose sur des ouï-dire, des
plaquettes de presse ou encore les revers de jaquette des Éditions de Minuit –
dont l’une assertait en effet que Beckett vivait à la campagne, Jérôme Lindon
ayant jugé bon de faire de son poulain un ermite solitaire.15 Souvent contraints
de travailler avec des délais très courts, les critiques font souvent preuve aussi
d’une certaine spontanéité, faisant part de leur impression générale au sortir
de la salle, et de la réaction des autres spectateurs. Ce caractère spontané
transparaît à travers certains propos à l’emporte-pièce, comme lorsque Robert
Kemp, l’un des critiques les plus influents de l’époque, signe pour Le Monde
un compte rendu paradoxal, dans lequel il décrit « une pièce probablement
sans génie; […] à peine équarrie », « qui ne sonne pas très neuf » et « qui
n’enseigne rien qu’on ne sache », tout en reconnaissant qu’elle est « efficace »,
« poignante » et « sympathique », et « qu’elle nous tient oppressés et curieux
plus de deux heures, qui ne semblent pas longues ». Toutefois, c’est justement
parce que ces textes sont écrits dans l’instant, et par des personnes dont le
jugement est parfois hasardeux, que leurs commentaires nous intéressent:
à travers la diversité des points de vue et des sensibilités, nous chercherons
non pas l’exception, mais au contraire les convergences, les récurrences, les
similitudes, qui traversent ce corpus de presse. Nous étudierons tout d’abord
la réception de la mise en scène par les critiques, puis celle des performances
d’acteurs, en nous intéressant à l’impression générale donnée par la représen-
tation d’En attendant Godot en 1953, puis aux commentaires visant chacun
des comédiens, afin de dégager les points forts, mais aussi les points faibles,
d’une création devenue, au fil des ans, aussi mythique que contraignante.
15 Pour une analyse de la stratégie commerciale de Jérôme Lindon, voir Jean-Michel Gouvard,
« Le marketing Lindon », dans Lire Beckett (Paris: Ellipses, en préparation).
1953: Performance et réceptio 11
Je ne crois pas qu’il [Roger Blin] ait rien réussi aussi complètement que sa
mise en scène de la pièce de Beckett. Pour arriver à cette simplicité, à cette
évidence et à cette force d’expression, il faut une intelligence du cœur et une
générosité sans lesquelles le talent, l’expérience ne servent pas à grand-chose.
Le critique ne fait pas que louer, il met en avant certains choix du metteur en
scène qu’il juge particulièrement bienvenus: le travail sur le geste; l’absence
de musique; une tension jamais relâchée, qui procède d’une parfaite orches-
tration des moyens mis en œuvre au service du texte. Ce dernier point
est conforté par le témoignage de George Belmont, qui estime que « la
mise en scène de Roger Blin [est] l’articulation même du texte »; et celui
de Jean-Baptiste Jeener, qui souligne que « [l]’auteur a choisi l’immobile,
l’interchangeable, l’évanescent. Cependant, avec son metteur en scène, il
sait aussi la relancer avec une adresse de jongleur ». On peut avancer, en
s’appuyant sur ces appréciations, que l’une des qualités les plus évidentes
du spectacle était que, malgré l’absence d’action, le metteur en scène avait
su donner à la pièce un rythme et une direction qui en préservait l’unité –
le risque étant qu’une œuvre aussi peu « tenue » par un quelconque enjeu
dramatique s’effondrât sur elle-même et se résumât à une suite de sketches
décousus et insignifiants –, ce à quoi il parvint en jouant notamment sur la
gestuelle, et sur la tension et les attentes que faisaient naître les longs silences
imposées par les didascalies. Ce sont là des indications assez maigres sur
ce qui faisait la force de la mise en scène de Blin, mais ce sont néanmoins
ces aspects, et eux seuls, qui transparaissent dans les recensions contempo-
raines de la première de Godot, et qui caractérisent donc la réception qui
en fut faite par les professionnels du spectacle en ce début des années 1950.
12 recensions sur 30, soit 40%, parlent du jeu des comédiens saisi dans
leur globalité, c’est-à-dire qu’elles commentent l’impression générale que
produisait la direction d’acteurs. Pour mémoire, rappelons qu’Estragon
était joué par Pierre Latour, Vladimir par Lucien Raimbourg, Pozzo par
Roger Blin, Lucky par Jean Martin, et le garçon par Serge Lecointe. Sur
ces 12 mentions, 11 ne comportent guère plus que des appréciations empha-
tiques assez convenues, comparables à celles citées plus haut à propos de la
mise en scène de Blin. Tout ce que l’on peut en dire est que la pièce donnait
l’impression d’être bien jouée, tout comme pour sa mise en scène.
G. Joly est cependant un peu plus précis que ses confrères, même si c’est
lui qui, par ailleurs, a avancé que Beckett était un romancier américain.
Il écrit à propos des comédiens que « leur naturel, leur fantaisie et leur
présence font merveille ». « Fantaisie » et « présence » restent des apprécia-
tions qui ne disent rien de concret sur le jeu des acteurs, mais « naturel »
est plus significatif. Le terme implique que la troupe jouait sans emphase,
1953: Performance et réceptio 13
sans effet trop appuyé, à l’opposé par exemple des pratiques qui étaient
encore celles non seulement du théâtre dit « de boulevard », mais aussi de
pièces plus ambitieuses, comme celles de Giraudoux ou du jeune Anouilh,
dont certaines scènes ou tirades étaient encore interprétées avec un certain
lyrisme, et des usages hérités de l’entre-deux guerres.16
La lecture de ces recensions permet par ailleurs de dégager un paradigme
critique récurrent d’un texte à l’autre, qui vise un aspect bien particulier
du jeu des comédiens. Après avoir évoqué l’impression générale que lui
procurait la pièce, et loué la fantaisie qui s’en dégageait, Hubert Engelhard
ajoute que « la mise en scène de Roger Blin accentue cette ambiance de
cirque ». De son côté, Alain Robbe-Grillet considère que « c’est […] le côté
cirque – présent dans le texte, mais que les comédiens accentuent – qui rend
viable [la mise en scène de Roger Blin] ». Qu’elle soit rattachée à la mise
en scène ou au jeu des comédiens – lequel procède en partie de la première
–, l’impression procurée par la représentation se laisse caractériser par
une analogie avec le cirque, qui n’a rien de ponctuelle ou d’anecdotique,
puisqu’elle apparaît dans 15 recensions sur 30, soit directement à travers
le mot « cirque », dont on relève 10 occurrences, comme ci-dessus, soit
par un lexique spécifique qui renvoie à son univers, avec 5 occurrences de
« clowns », 3 occurrences de « clownerie », 3 occurrences d’« Auguste », un
type de clown, 4 occurrences de « farce », associée en contexte au registre
du cirque, 2 occurrences du mot « entrée » au sens d’« entrée en piste ».
Soit, sur 15 recensions, 27 mentions qui renvoient à l’univers du cirque. Le
phénomène s’accorde avec le goût qu’avait Beckett pour le cirque et pour les
spectacles de music-hall, dont James Knowlson a montré que le dramaturge
s’était inspiré pour créer l’atmosphère si particulière de Godot.17 Toutefois,
pour mieux comprendre ce paradigme et sa signification, il convient de
l’aborder dans l’ordre chronologique. Les premières références au cirque
apparaissent dans la toute première recension de notre corpus, celle signée
des initiales M.B. et parue dans la revue Opéra, dès janvier 1952:
cette pièce où il ne se passe rien […] n’est jamais ennuyeuse ni lassante, tant
les scènes sont menées avec un sens très sûr de la progression dramatique et
du burlesque, tant l’écriture est nette, précise, serrée. C’est du vrai théâtre,
et d’une virulence extrême. Je dirais du cirque, si je ne savais ainsi déplaire
à Samuel Beckett, un cirque tragique et vain. Ces quatre personnages ne
sont-ils pas des clowns?
18 Il est bien difficile de préciser ce que ce critique français entend par « farce irlandaise », si
ce n’est que Godot est une farce écrite par un Irlandais.
19 Pascal Jacob, Une histoire du Cirque (Paris: Seuil & BNF Éditions, 2016).
1953: Performance et réceptio 15
20 Le fait qu’Anouilh rapproche le cirque des Pensées de Pascal a aussi contribué à distinguer
la formule par son incongruité, en regard des préjugés du temps, où l’on ne se risquait guère
à mêler culture savante et culture populaire.
16 Jean-Michel Gouvard
21 Voir l’article qui lui est consacré dans Yvan Foucart, Dictionnaire des comédiens français
disparus (Mormoiron: Editions Cinéma, 2008).
1953: Performance et réceptio 17
jeu de Pierre Latour, soit trois fois moins. Et, le plus souvent, nous avons une
formule qui relève plus de la courtoisie qu’elle ne traduit un réel enthousiasme.
Par exemple, Jacques-Henri Jouheaud écrit que « Lucien Raimbourg [est]
merveilleusement secondé par M. Pierre Latour », où « secondé » suggère
que Latour ne fait qu’assister Raimbourg, dont le jeu est, sinon meilleur, au
moins tel qu’il donne l’impression de dominer et de conduire la danse dans
le duo que forment les deux hommes. De même, l’auteur anonyme de Paris-
Casablanca estime que Pierre Latour n’est « guère moins exceptionnel que
Lucien Raimbourg », où « guère moins », quoi qu’en dise le critique, signifie
aussi par définition « un petit peu moins », et semble être une tournure polie
pour indiquer là encore que la prestation de Latour lui est apparue inférieure
à celle de son partenaire. Les deux seules appréciations qui n’expriment pas
directement une réserve sont celles de Jacques Lemarchand, dans Le Figaro
littéraire, qui qualifie le jeu de Latour de « comique froid », et Marcelle
Capron, dans Combat, qui voit en lui « une figure tout à fait véridique ».
Mais on ne saurait dire qu’il s’agit d’éloges appuyés: « comique froid » peut
être une description objective, qui n’implique pas l’adhésion; et si la locution
« tout à fait » engage apparemment le point de vue de Capron, « véridique »
reste une louange assez neutre – et la seule dont nous disposions.
Pour comprendre cette disparité dans la réception des deux interpré-
tations, il convient de se souvenir que Lucien Raimbourg, qui avait alors
cinquante ans, était encore peu connu du grand public – et d’une partie des
critiques qui se pressèrent aux portes du Théâtre de Babylone –, sa carrière
s’étant jusqu’alors déroulée essentiellement sur les planches des cafés concerts
et des cabarets, exception faite de rôles mineurs dans quelques films d’avant-
guerre, sous la direction de Pierre Prévert, Claude Autant-Lara ou Jacques
Becker. Sa connaissance du music-hall le prédisposait ainsi non seulement
à incarner au mieux la dimension clownesque de son personnage – et l’on a
vu que c’était là le paradigme majeur auquel recourrait la critique du temps
–, mais aussi à surprendre un public qui n’était habitué ni à le voir sur la
scène d’un théâtre d’avant-garde parisien de la rive gauche, ni à ce qu’on s’y
produisit ainsi qu’il le fit, avec le métier qui était le sien. La manière dont il
créa le personnage de Vladimir, avec une gestuelle précise et des effets de
voix dominés et variés, tels qu’on les apprend au music-hall, ne pouvait que
lui gagner la faveur des critiques. De plus, le « naturel » et la « simplicité »
du jeu de Raimbourg que soulignent plusieurs recensions étaient en passe de
devenir une caractéristique de la nouvelle génération d’acteurs et d’actrices,
et donc un critère d’appréciation positive pour tous ceux et toutes celles
qui souhaitaient que le théâtre et le cinéma se débarrassent des usages
d’avant-guerre. Gérard Philippe, qui triomphait alors sur les planches et les
18 Jean-Michel Gouvard
corporel de Martin, tel qu’il est décrit par James Knowlson, lequel en fait
l’un des points forts de sa performance:
Martin consulted […] Marthe Gauthier, a doctor […], who told him about
patients who trembled with Parkinson’s disease. Martin incorporated this
into his acting and astonishingly managed to sustain it, trembling from head
to foot throughout and dripping saliva from his mouth. It was a shocking
image of human misery that disturbed many spectators and contributed
powerfully to the impact of the play.23
Cela peut être une conséquence de ce que Martin ne prenait la parole qu’à ce
seul moment, ce qui rendait plus saisissante encore la virtuosité avec laquelle
il débitait son discours, ainsi que tout le monde l’a reconnu. Peut-être aussi
les critiques furent-ils moins impressionnés que ne le pense Knowlson, qui
parle quant à lui de la réaction du public dans son ensemble, car, en tant que
professionnels du théâtre, ils avaient été amenés à voir sur les scènes de la
rive gauche nombre de prestations plus ou moins singulières, où le geste et le
corps commençaient de prendre une importance essentielle dans la scénog-
raphie.24 Enfin, dans un quotidien ou un magazine destiné au grand public,
il était difficile, dans les années cinquante, de souligner un détail corporel
peu ragoûtant, tel qu’un jet de salive, sans susciter un important courrier de
lecteurs, indignés qu’on fût si peu délicat et si peu moral.
Si les critiques qui portent sur la mise en scène de Roger Blin sont toutes
positives, il n’en va pas de même pour son interprétation de Pozzo, qui fait
l’objet d’un commentaire dans 9 recensions sur 30, soit 30%. Les apprécia-
tions des uns et des autres ne sont pas concordantes. Trois critiques optent
pour l’éloge. Jean Grenier dit que Blin en Pozzo est « talentueux »; le critique
anonyme de Paris-Casablanca estime que sa performance est « exception-
nelle »; et Jacques Lemarchand assure qu’« on ne l’oubliera pas ». Mais
d’autres recensions recourent à des tournures pour le moins ambigües, voire
franchement défavorables. Max Favalleli voit en Roger Blin « un Charlie
Chaplin vieilli », où l’analogie avec Chaplin est certainement laudative,
bien qu’elle soit un peu convenue, mais c’est surtout l’adjectif « vieilli » qui
détonne, et qui conduit à se demander s’il s’agit vraiment d’un compliment.
23 Knowlson, p. 386. Il est possible de se faire une idée du jeu de Jean Martin en visionnant
le documentaire Samuel Beckett. As the Story was told, dans lequel Jean Martin, en 1996,
reproduit devant la caméra le tremblement et la posture de Lucky, tout en récitant un bref
passage de son discours: <https://www.youtube.com/watch?v=nRW9S4Wmldw&t=3823s>
[consulté le 5 octobre 2018].
24 Anthony Paraskeva; Marie-Claude Hubert, Langage et corps fantasmé dans le théâtre des
années cinquante: Ionesco, Beckett, Adamov (Paris: Librairie José Corti, 1989); de la même,
Le Nouveau théâtre. 1950–1968 (Paris: Honoré Champion, 2008).
20 Jean-Michel Gouvard
25 Knowlson, p. 386.
1953: Performance et réceptio 21
26 Zéro de conduite de Jean Vigo (1933) est bien entendu une exception, et il est significatif
que le film ait été interdit par la censure de l’Etat français jusqu’en 1946.
27 Les deux termes, qui étaient à la mode – et plus ou moins confondus l’un avec l’autre –
suite au succès public que connaissaient alors l’existentialisme de Sartre et la philosophie de
l’absurde de Camus, ont été associés au théâtre de Beckett avant que Martin Esslin ne publie
son essai The Theater of the Absurd (New York: Anchor Books, Doubleday & Company,
1961). Voir, par exemple, le témoignage d’Alain Badiou, dans Beckett. L’increvable désir
(Paris: Fayard, collection ‘Pluriel’, 2011).
22 Jean-Michel Gouvard
n’en serait que plus sensible compte tenu de son dénuement matériel, lequel
inviterait à l’abstraction, à la réflexion, à une interprétation allégorique de
son contenu.28 Or, non seulement il n’y a aucune raison pour considérer que
pauvreté et abstraction vont de pair; mais surtout cette pauvreté que l’on
prête à la pièce faisait partie du quotidien des critiques et n’en était pas une,
à leurs yeux.
Conclusion
28 Voir, entre autres, Jean-Claude Larat, Caroline Jacques, Catherine Rannoux, Stéphanie
Bikialo, En attendant Godot, Oh les beaux jours (Rennes: Atlande, 2009); François
Noudelmann, Beckett ou la scène du pire: Etude sur En attendant Godot et Fin de partie
(Paris: Champion, 2010); M. Quintallet, En attendant Godot (Paris: Bréal, 1999); Jean-Paul
Santerre, Leçon littéraire sur En attendant Godot de Beckett (Paris: Presses Universitaires de
France, 2001); Alain Satgé, Samuel Beckett, En attendant Godot (Paris: Presses Universitaires
de France, 1999); Philippe Zard, Samuel Beckett, En attendant Godot (Paris: Bordas, 1991).
29 Voir, dans ce volume, l’entretien avec Marc Paquien et Jean-Pierre Vincent.
1953: Performance et réceptio 23
l’histoire littéraire et de celle du théâtre, elle n’en a pas moins été idéalisée
au fil du temps, rétrospectivement. Si nous cherchons à reconstituer sans
préjugé la manière dont la pièce fut reçue, il apparaît que les spectateurs de
la saison 1953 se virent proposer avec En attendant Godot un bon spectacle,
mais qu’il n’était pas non plus sans point faible, de telle sorte que rien ne
justifie qu’on en ait fait une référence, un modèle, dont les metteurs en scène
se croient obligés de se souvenir lorsqu’ils montent la pièce en France. Une
telle idée résulte des postures qu’adoptèrent certains metteurs en scène,
comme Roger Blin ou, plus tard, Jean-Louis Barrault, qui se posèrent en
gardiens du temple; Beckett lui-même, dans les quelques démêlés qu’il
eut à propos de productions qu’il jugeait trop démarquées de son œuvre,
sans qu’on sût toujours très bien ce qui guidait ses choix;30 et les univer-
sitaires qui, non sans quelque lyrisme et quelque nostalgie, firent de cette
création mondiale un événement d’autant plus sacré que non seulement il
était investi d’une grande force symbolique, puisque Godot fut l’une des
pièces de théâtre les plus novatrices et les plus jouées de la seconde moitié
du XXe siècle, mais qu’il marquait aussi la reconnaissance du talent de
Samuel Beckett, et son accession à la célébrité. Tout ceci est vrai, mais cela
ne doit pas cacher le fait que la première parisienne d’En attendant Godot
ne fut que l’une des bonnes pièces de cette saison théâtrale, avec beaucoup
de qualités, et quelques défauts, et que le culte qu’on lui voue ne saurait
empêcher les créateurs d’aujourd’hui d’inventer, en la portant à la scène, le
théâtre de demain.
Annexe
Liste des recensions d’En attendant Godot parues entre janvier 1952
et l’été 1953
30 janvier 1952: ‘En attendant Godot, la première pièce de Samuel Beckett’, par M.B.,
Opéra
1er janvier 1953: ‘L’avant-garde au théâtre s’est reformée’, par Jacques Brenner, Arts
1er janvier 1953: ‘L’absurde, la joie à tout prix ou le théâtre de Samuel Beckett’, par
Jacques-Henry Jouheaud, L’Informateur critique
6 janvier 1953: ‘En attendant Godot ou Le soliloque du pauvre’, par G. Joly, L’Aurore
6 janvier 1953: ‘En attendant Godot au Théâtre de Babylone: Alex et Zavatta à la
Sorbonne’, par Max Favalleli, Paris-Presse
7 janvier 1953: ‘Au Théâtre de Babylone En attendant Godot de Samuel Beckett’, par
Sylvain Zegel, Le Figaro
Source: Dossier de presse. ‘En attendant Godot’, 1952–1961, textes réunis et présentés
par André Derval (Paris: IMEC & Editions 10/18, 2007).