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LES OBSTACLES DANS LES RELATIONS INTERCULTURELLES LA

MÉDIATION ET LES MISSIONS DU MÉDIATEUR INTERCULTUREL

Nihat Dursun

De Boeck Supérieur | « Pensée plurielle »

2001/1 no 3 | pages 23 à 26
ISSN 1376-0963
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2001-1-page-23.htm
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Les obstacles
dans les relations interculturelles
La médiation et les missions
du médiateur interculturel
NIHAT DURSUN

Nihat DURSUN est médiateur culturel à la ville de Charleroi dans le cadre du Contrat de
Sécurité et de Société. Il réfléchit aux obstacles que rencontre la médiation culturelle en
milieu scolaire et professionnel ainsi qu'aux conditions d'une relation interculturelle tout en
précisant les missions spécifiques du médiateur.

I. En milieu scolaire :
L’école est un lieu de socialisation et de culturalisation des futurs citoyens et
elle joue un rôle irremplaçable dans l’accueil et l’insertion des enfants des groupes
minoritaires.
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Ce rôle est très important : transmettre des savoirs, apprendre des méthodes
de travail, enseigner des valeurs, l’enseignement culturel et historique, des idéaux
et des types de comportements attendus par une culture et une société de modèle
occidental. Je pense que par rapport à ces valeurs, pour mieux se comprendre, il
est intéressant de connaître et prendre en considération les valeurs et l’éducation
d’origine que l’enfant reçoit dans la famille.
Or, à l’école, l’enseignant n’a pas de connaissance ou en tout cas une con-
naissance insuffisante de la culture, de l’éducation que l’enfant issu de l’immigration
acquiert de sa famille, de son entourage, celle-ci étant transmise par les parents ou
les grands-parents nés dans leur pays (Maroc, Turquie...). Par exemple, dans la cul-
ture islamique, un enfant qui commet une faute baissera toujours les yeux par
respect envers les adultes, notamment envers l’instituteur qui est le référentiel de
l’autorité. «Or, dans la culture européenne, on apprend à l’enfant à regarder dans
les yeux afin de ne pas être lâche ou de montrer que l’on a rien à cacher.»
Comment réagira l’enseignant devant cette attitude ?
La majorité des enfants issus de l’immigration turque et maghrébine parlent
leur langue d’origine jusqu’à l’âge de l’école maternelle. Ceci est compréhensible
puisque les valeurs culturelles se transmettent mieux par la langue maternelle, mais
souvent les parents, surtout la mère, ne maîtrisant pas la langue française, l’enfant
est obligé de communiquer dans la langue parlée à la maison. C’est seulement à
trois ans qu’il entend le français en classe d’accueil et éprouve donc des difficultés
à se faire comprendre et à se socialiser. Ses tentatives de communication
déboucheront sur un échec et les difficultés s’intensifieront au fil du parcours scolaire.
Donc, il est important que les écoles accueillant les enfants d’immigrés,
notamment les primo-arrivants, engagent des personnes qualifiées afin d’accueillir
et d’aider ces enfants.
Les parents, quant à eux, rencontrent aussi des difficultés dans leurs

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démarches envers l’école. Ces difficultés sont basées notamment sur le manque de
communication et la méconnaissance de la culture de la société dans laquelle ils
vivent, du fonctionnement de l’école et du système scolaire belge : les réseaux, les
types d’enseignement, les types d’écoles…
Par exemple, en Turquie, surtout en milieu rural, les enseignants et les par-
ents sont assez proches. Dans les villages de 50 à maximum 300 habitants, tout le
monde se connaît et les relations entre personnes sont très familiales. L’instituteur
est bien accepté, il est connu comme un membre du village. Les contacts entre par-
ents et école (instituteur) peuvent se produire à tout moment de la journée, c’est-à-
dire que les parents se permettent d’aller trouver l’instituteur chez lui, se permettent
de lui poser des questions dans la rue, et l’instituteur peut aussi faire les mêmes
démarches envers les parents ou «veli»1 de l’enfant.
Par contre, en Belgique, les contacts entre l’école et les parents ne se
passent pas de la même manière. Le seul moyen d’obtenir des renseignements est
de participer à la réunion de parents organisée ponctuellement, ou de rencontrer
occasionnellement l’institutrice, quelques minutes avant l’entrée en classe. Cette
démarche est rendue plus difficile par la méconnaissance de la langue et de la cul-
ture de l’autre qui empêche une approche mutuelle.

II. En milieu professionnel


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Les professionnels rencontrent des difficultés dans leurs interactions avec les
familles d’origine immigrée. Voici quelques-uns des obstacles rencontrés dans les
relations interculturelles :
la diversité culturelle à comprendre ce que l’autre dit et fait, uniquement à par-
tir de son système de valeurs de référence ;
lorsqu’on se trouve par exemple face à un jeune indiscipliné, une famille qui
ne répond pas aux convocations, à des personnes d’origine immigrée, avec qui on
n’arrive pas à organiser son projet, on se sent menacé dans son identité profes-
sionnelle. Cette menace peut s’exprimer par un sentiment de frustration, d’impuis-
sance, d’inefficacité, de remise en question des compétences professionnelles ;
les attitudes et les comportements de personnes d’autres cultures peuvent
nous heurter car, elles nous rappellent ce qui nous a toujours été présenté comme
abominable. Ces chocs sont très fréquents lorsque l’on entre dans la sphère privée
et intime, comme par exemple :
- le repas : moment extrêmement important et privilégié, car c’est la repro-
duction des valeurs du groupe, de la famille ;
- les codes de politesse ;
- la manière de marcher, de se comporter, de s’habiller ;
- la voix ;
- l’enterrement : moment émotionnellement important dans toutes les cultures,
mais qui est ritualisé différemment. Ainsi, selon les cultures, la douleur est tantôt
exprimée ouvertement et violemment, tantôt retenue dans une attitude digne.
Les travailleurs sociaux et les personnes de culture occidentale ont l’impres-

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1
Personne responsible de l’enfant vis-à-vis de l’école, qui peut être son oncle, sa tante, son grand
frère, et qui est davantage scolarisée que les parents.

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sion que les modèles, que leur société a éliminés ou tente encore d’éliminer, sem-
blent réapparaître au travers des attitudes et comportements des personnes
d’autres cultures : soumission de la femme, intrusion de la religion dans la société…
d’où la crainte de perdre les acquis de la société moderne, alors la culture de l’autre
perce comme un antimodèle.
En conclusion : dans une société réellement interculturelle, chaque groupe
social doit pouvoir entrer dans des conditions d’égalité, quels que soient sa culture,
son mode de vie ou son origine, et l’interculturel ne doit pas aboutir à un modèle de
société qui uniformise les valeurs de représentation sous des dehors de respect des
différences. Parce que, si c’était le cas, l’interculturel ne serait qu’un «travail de
deuil paradoxal sur le mode de la dénégation, face à une composante qui, dans
l’autre, serait disparue ou en voie de disparition».
Cette composante, nous l’avons appelée l’altérité radicale. «Pour le dire sim-
plement, dans tout autre il y a autrui - ce qui n’est pas moi, ce qui est différent de
moi, mais que je peux comprendre, voire assimiler - et il y a aussi une altérité ra-
dicale, inassimilable, incompréhensible, et même impensable. Et la pensée occi-
dentale ne cesse de prendre l’autre pour autrui, de réduire l’autre à autrui. Réduire
l’autre à autrui est une tentation d’autant plus difficile à éviter que l’altérité radicale
constitue toujours une provocation et qu’elle est ainsi vouée à la réduction et à l’ou-
bli dans l’analyse, la mémoire, l’histoire». 2
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III. Comment établir cette relation ?
1. En envisageant des actions de sensibilisation et de formation des
enseignants tant sur les cultures d’origine des populations avec lesquelles ils sont
en contact que sur les techniques de communication en général. Il est important
que l’école, notamment les enseignants, offre une place aux parents et aux dif-
férentes cultures dans l’école car, il est temps de reconnaître les nouvelles réalités
sociologiques de l’école.
2. En favorisant les échanges culturels au sein de la classe pour que les dif-
férentes spécificités des enfants (utilisées positivement) constituent autant de
sources de richesses pour tous et permettent ainsi une ouverture et une attitude
plus créatrice de la part de chacun.
3. En développant des actions qui permettront l’ouverture des familles vers
l’extérieur car les difficultés de communication des familles issues de l’immigration
avec leur entourage (école, voisin...) sont réelles. Dans cette démarche, l’école peut
jouer un rôle important, en collaborant avec le milieu associatif.
4. En développant les connaissances et les compétences interculturelles des
professionnels en prenant conscience que l’on est tous porteurs, transmetteurs et
producteurs de culture.
5. Et, surtout, en combattant les attitudes qui s’opposent à la diversité et à la
différence, en soulignant que «la connaissance de l’autre passe par la connais-
sance de soi, ou plutôt la référence extérieure va permettre de mieux se définir et
de mieux se comprendre».

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J. Baudrillard et M. Guillaume, Figures de l’altérité, Paris, Descartes et Cie,1994.

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IV. La médiation et les missions de médiateur interculturel


1. La médiation interculturelle :
De nombreuses personnes issues de l’immigration et leurs familles rencon-
trent beaucoup de difficultés à s’intégrer dans une société trop différente de la leur.
Les conflits parents-enfants, enfants-enseignants, parents-enseignants, le conflit
des générations, la crise d’identité et le repli sur soi-même chez les jeunes et les
enfants qui vivent dans deux mondes différents, les incompréhensions quant au
système éducatif, judiciaire, au fonctionnement de l’Administration… sont souvent
impossibles à régler pour les enseignants, les travailleurs sociaux, les personnes
issues de l’immigration, les magistrats… qui n’ont pas les mêmes références.
La médiation interculturelle est une démarche qui prend en compte
l’ensemble des cultures d’origine des individus qu’elle met en contact les uns avec
les autres ; elle légitime leurs cultures dans l’échange social et s’efforce de les faire
s’enrichir mutuellement.
Que faire pour se comprendre et se connaître ? Il faut utiliser d’autres inter-
locuteurs, comme le médiateur interculturel.

2. Qu’est-ce qu’un médiateur interculturel ?


Le médiateur interculturel est souvent connu comme un acteur qui facilite la
communication par la traduction et l’interprétariat. Il est évident que le rôle du médi-
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se comprendre et se connaître) ou de l’éclairage de deux cultures et deux langues
différentes.
Je pense qu’en restant sur la «facilitation» de la communication, on en limite
le rôle du médiateur. Or, le médiateur est un acteur social qui est souvent connu
par la communauté de laquelle il est originaire comme un référent, un intermédiaire,
un conseiller, un écrivain public, etc.
Mais il ne suffit pas d’être originaire d’une culture pour avoir la capacité d’être
médiateur. Cette démarche nécessite de la compétence, de la qualification et une
parfaite connaissance des langues, des cultures des publics auprès desquels il
intervient.

3. Les missions d’un médiateur interculturel :


1. Assurer la compréhension des informations, apporter des informations,
servir à créer l’échange des informations ;
2. Être un intermédiaire relationnel, une sorte de «relation publique», un pé-
dagogue, en respectant les valeurs de chacun(e) ;
3. Être un réducteur des tensions, mais aussi un élément dynamique de sou-
tien pour un meilleur dialogue ;
4. Être un intermédiaire dans les problèmes administratifs et juridiques ;
5. Le médiateur devra être une personne de référence sur le plan culturel,
éducatif, moral ou psychologique et il devra en apporter plus d’éclaircissements aux
familles et aux institutions ;
6. Apprendre à se respecter mutuellement.

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