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ISBN 978-2-226-28956-8
À tous mes compagnons de route
Table
PREMIÈRE PARTIE
LES CONQUÊTES DE LA PÉDOPSYCHIATRIE FRANÇAISE
Quelques exemples
Le temps de la consultation
Engager le dialogue avec un enfant
Observer l’enfant et les relations avec les parents
Jeu, dessin et pâte à modeler
Le soin et ses indications
DEUXIÈME PARTIE
LES RISQUES D’UN RETOUR EN ARRIÈRE
La violence
La dépendance aux écrans
La pédopsychiatrie symptomatique
Note
.
1 « Psychose » est le nom savant inventé par le psychiatre autrichien
Feuchtersleben en 1845 pour dire « folie ».
PREMIÈRE PARTIE
LES CONQUÊTES DE LA
PÉDOPSYCHIATRIE FRANÇAISE
I
De l’angoisse à la souffrance
Notes
.
2 Tordjman S., Antoine C., Cohen D.J., et al., « Study of the relationships
between self-injurious behavior and pain reactivity in infantile autism », Encephale,
1999, 25, p. 122-134.
.
3 Delion P., et al., La Souffrance psychique, ESF, Paris, 2000.
4. Voir à ce sujet le chapitre consacré à la psychosomatique du bébé par Nathalie
Boige dans le Traité de psychologie périnatale dirigé par Sylvain Missonnier, PUF,
Paris, 2012, p. 49.
.
5 Bullinger A., « La richesse des écarts à la norme », Enfance, 2002/1, vol. 54,
p. 100-103, et Le Développement sensorimoteur de l’enfant, un parcours de
recherche, Erès, Ramonville, 2004.
.
6 Kierkegaard S., Le Concept de l’angoisse, trad. Ferlov E., Gateau J.L., Idées,
Gallimard, Paris, 1979 ; Sartre J.-P., L’Être et le Néant, Gallimard, Paris, 1943 ;
Heidegger M., L’Être et le Temps, trad. Fédier F., NRF, Gallimard, Paris, 1986.
.
7 Freud S., Inhibition, symptôme, angoisse (1926), trad. Tort M., PUF, Paris,
1968.
.
8 Winnicott D.W., « La crainte de l’effondrement » (1963), in La Crainte de
l’effondrement et autres situations cliniques, trad. Kalmanovich J., Gribinski M.,
Gallimard, Paris, 2000, p. 205-216.
.
9 Houzel D., L’Aube de la vie psychique, ESF, Paris, 2002, p. 197-209.
.
10 Meltzer D., et al., Explorations dans le monde de l’autisme, trad. Haag, G.,
Haag M., Iselin L., Maufras du Chatelier A., Nagler G., Payot, Paris, 1980.
.
11 Tustin F., Autisme et psychose de l’enfant, trad. Davidovici M., Le Seuil, Paris,
1977.
II
La psychiatrie de secteur
La naissance de la pédopsychiatrie
C’est aux médecins Léo Kanner et René Spitz que l’on s’accorde
à attribuer la paternité de la pédopsychiatrie. Le premier, en raison
de sa description de l’autisme infantile en 1943, qui met l’accent sur
une psychopathologie survenant chez le tout petit enfant et qui
soumet son développement à des distorsions majeures de la relation
avec autrui et le monde. Dès sa description, Kanner éveille chez les
psychiatres un intérêt pour cette pathologie connue antérieurement
sous différents noms. Cette découverte favorise une réorganisation
de la psychiatrie en faveur des enfants, avec une préoccupation
spécifique centrée sur cette période de la vie.
À la même époque, un médecin viennois, Hans Asperger, décrit
des enfants présentant une pathologie comparable mais avec des
caractéristiques particulières, puisque ces enfants sont accessibles
au langage et aux apprentissages. Ce médecin, qui laisse son nom
à un syndrome décrivant des enfants autistes possédant le langage
et faisant preuve de bonnes performances intellectuelles (au moins
dans certains domaines particuliers), ne connaît pas la même
renommée que son collègue Kanner, mais il est intéressant de noter
la simultanéité de ces deux découvertes.
On doit à René Spitz, psychiatre et psychanalyste américain
d’origine hongroise, la description de la dépression anaclitique du
bébé, dépression qui résulte d’une brutale séparation entre le bébé
et sa mère. Spitz observe que lorsque cette symptomatologie n’est
pas prise en compte et qu’aucune parentalité stable n’est proposée
au bébé, son état psychique continue de se dégrader : c’est le
syndrome de l’hospitalisme. Cette pathologie dépressive vient
confirmer l’idée qu’un bébé peut présenter des signes de souffrance
psychique et qu’il faut que des médecins spécialisés puissent s’en
occuper de façon professionnelle.
Bien sûr, à cette époque, certains psychiatres prennent déjà en
charge des adolescents et des enfants qui présentent des
pathologies psychiatriques avérées. Mais, trop souvent, la façon de
les soigner reste calquée sur celle dont on traite la souffrance
psychique des adultes. Comme si les enfants n’étaient que des
adultes en miniature. D’un coup, les descriptions de Kanner et de
Spitz mettent l’accent sur des souffrances psychiques propres aux
bébés ou aux très jeunes enfants, pour lesquels la psychiatrie
d’adultes se révèle de peu de secours.
C’est ainsi que la pédopsychiatrie est née : de la nécessité d’un
abord spécifique de l’enfant à partir d’une logique développementale
allant du bébé – et bientôt du fœtus – jusqu’aux enfants et aux
adolescents, nourrissant au passage la réflexion
psychopathologique générale. Il devient possible de penser un
développement de l’enfant à la lumière des avatars pathologiques
décrits par les pédopsychiatres fondateurs. C’est ainsi que,
désormais, la pédopsychiatrie se charge de prévenir les souffrances
psychiques des bébés, des enfants et des adolescents, mais aussi
de prendre en charge ceux d’entre eux qui présentent des
pathologies nécessitant des soins rapprochés. Depuis ses temps de
fondation, elle s’est diversifiée, donnant naissance à trois
spécialisations : la psychiatrie du bébé (qui comprend la psychiatrie
fœtale), la psychiatrie de l’enfant et la psychiatrie de l’adolescent.
La pédopsychiatrie peut s’exercer en profession libérale, mais
aussi dans des établissements privés ou associatifs : cliniques
privées, centres médico-psycho-pédagogiques, centres d’action
médico-sociale précoce, instituts médico-éducatifs, instituts
thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques. Mais la plus grande
partie de la pédopsychiatrie est publique et s’exerce dans les
secteurs de la psychiatrie infanto-juvénile.
Pour ce qui me concerne, j’ai toujours travaillé au sein du service
public de pédopsychiatrie. Ce service est celui dont je défends les
couleurs, celui pour lequel je n’ai cessé et ne cesserai de me battre.
Notes
.
12 Daumezon G., et Bonnafé L., L’Internement, conduite primitive de la société
Pussin fut d’abord un simple patient interné à l’hôpital-prison de Bicêtre. Très vite,
il passa du statut de soigné à celui de soignant. Avec Pinel, il fut l’un des premiers
à estimer nécessaire de prendre soin des « insensés », et ensemble ils œuvrèrent
à leur « libération ».
.
14 Roustang F., Un destin si funeste, Payot, Paris, 1976.
15. Bueltzingsloewen I. von, L’Hécatombe des fous. La famine dans les hôpitaux
psychiatriques français sous l’Occupation, Flammarion, Paris, 2009.
.
16 Alba V., Histoire du POUM. Le marxisme en Espagne entre 1919 et 1939,
trad. Pagès N., Éditions Champ libre, Paris, 1975.
.
17 Bion W. R., Recherches sur les petits groupes, PUF, Paris, 1965.
18. Lacan J., « La psychiatrie anglaise durant la guerre », L’Évolution
psychiatrique, 1947, 1.
.
19 Simon H., Pour une thérapeutique plus active à l’hôpital psychiatrique, Walter
.
22 Bazin H., La Tête contre les murs, Grasset, Paris, 1949.
23. Balint M., « Sur les psychothérapies pour les médecins praticiens » (1926) in
Le médecin, son malade et la maladie, Payot, Paris, 2003.
.
24 Guattari F., La Transversalité, Maspéro, Paris, 1978.
.
27 Chaigneau H., Soigner la folie, une vie au service de la clinique, Campagne
première, Paris, 2011.
.
28 Oury J., Le Collectif, Éditions du Scarabée, Paris, 1986 ; réédition Éditions du
Vigneux, 1991.
.
33 Tosquelles F., Le Travail thérapeutique à l’hôpital psychiatrique, Éditions du
Scarabée, Paris, 1967, réédité chez Érès sous le titre Le Travail thérapeutique en
psychiatrie, en 2009.
.
34 Hochmann J., Pour une psychiatrie communautaire, Le Seuil, Paris, 1971.
35. Buzaré A., La psychothérapie institutionnelle, c’est la psychiatrie, Éditions du
Champ social, Nîmes, 2002.
.
36 La circulaire ministérielle qui l’organise date de 1972, et la reconnaissance
universitaire de 1973.
.
37 Prado de Oliveira, L., Le Père de Schreber : contributions psychanalytiques,
PUF, Paris, 1979.
.
38 Hume, Mill, Bain et Spencer en Angleterre ; Peirce et James aux États-Unis ;
Brentano, Fechner, Wundt en Allemagne ; Maine de Biran, Cousin, Jouffroy, Ribot,
Janet, Bergson en France.
.
39 Dans le domaine qui est le leur, différents pédagogues ont eu une grande
sont ainsi de véritables clivages qui se sont installés entre services et ce, au
détriment des collaborations nécessaires en matière de périnatalité (pour les
relations mère-enfant) ou de passage de relais pour les adolescents.
III
Quelques exemples
Le temps de la consultation
Classiquement, la consultation en pédopsychiatrie consiste à
recevoir l’enfant et ses parents pour identifier les causes de sa
souffrance psychique. Puisqu’il s’agit de rassembler les symptômes
d’une maladie, l’enfant doit pouvoir se montrer sous ses différents
aspects sans se sentir trop déstabilisé. Après avoir précisé les
raisons pour lesquelles ils demandent un avis pédopsychiatrique, les
parents racontent d’abord l’histoire de leur enfant. Puis lorsque cela
est possible, celui-ci reste seul avec le pédopsychiatre pour faire lui-
même part de sa souffrance et de ce qu’il en comprend.
À chaque étape, quel que soit l’âge de l’enfant, le praticien
s’efforce de voir, de regarder, d’observer avec ses yeux et sa
pensée, d’entendre, d’écouter, mais aussi de sentir, de ressentir et
de partager des émotions avec l’enfant et ses parents. Ce qui
signifie qu’au-delà de son rôle de spécialiste, c’est l’être humain qu’il
est qui est invité à recevoir en partage tous les éléments de
l’expérience relationnelle de cette consultation.
Ces observations, auxquelles il est à même d’accorder une
importance plus ou moins grande en fonction de son expérience,
viennent remplir une fonction essentielle dans le travail diagnostique.
Exemple : tel petit patient peut-il facilement parler de ses difficultés à
l’école ou bien est-il engoncé dans une carapace de tension et de
retenue qui l’inhibe dans sa relation aux autres ? Par le canal non
verbal, un enfant peut communiquer des vécus émotionnels et des
idées dépressives dont il ne peut rien dire tout seul, ou qu’il dénie
pour ne pas faire de peine à ses parents.
La prise en considération et l’étude de ces impressions cliniques
d’origines diverses permettent au pédopsychiatre de se forger peu à
peu l’avis le plus juste possible. C’est en ce sens que l’on peut
retenir avec Bernard Golse que la clinique de pédopsychiatrie est
42
« interactive, contre-transférentielle et historicisante », ce, quand
c’est possible, dès la première consultation. Interactive, car la
plupart des éléments recueillis le sont dans le cadre de l’interaction
entre les partenaires de la consultation, et cette expérience
particulière ne peut être isolée du contexte relationnel intersubjectif
dans lequel elle se déroule nécessairement. Contre-
43
transférentielle , dans la mesure où un certain nombre d’éléments
résultent d’une analyse des ressentis du consultant qui seront
particulièrement éclairés par l’approche psychanalytique.
Historicisante, en raison du travail très vite entrepris autour de la
mise en récit des événements et des symptômes de l’enfant, faisant
ainsi appel à un fonctionnement spécifiquement humain, la capacité
de narrativité, aspect fondamental de l’intersubjectivité.
Notes
.
42 Golse B., L’Être-bébé, coll. Le fil rouge, PUF, Paris, 2006.
43. Le contre-transfert caractérise l’ensemble des réactions conscientes et
L’invention du packing
Le temps de la haine
Notes
.
49 Pous G. et al. (1974), « Le pack », L’Information psychiatrique, 50, p. 23-32.
50. Cette revue publiait des articles consacrés au pack depuis 1966.
Catherine Vincent (Le Monde) prennent notre défense suite aux manifestations
publiques organisées par nos amis psychiatres du « collectif des 39 ».
.
54 La méthode TEACCH (Treatment and Education of Autistic and Related
Communication Handicapped Children, ou Traitement et éducation des enfants
.
57 Le PECS (Pictures Exchange Communication System) est une méthode issue
de l’Approche pyramidale de l’éducation, permettant à des personnes ayant une
incapacité à la parole de pouvoir communiquer d’une manière fonctionnelle et
autonome. Ce système de communication par échange d’images a été développé
en 1985 dans le cadre d’un programme éducatif proposé à des enfants avec
autisme du Delaware (USA) par le docteur Bondy et L. Frost.
.
58 Le programme Makaton a été mis au point en 1973-1974 par Margaret
commenter…
V
La tendance DSM
Depuis la fin des années 1980 et avec virulence depuis 1994, les
nouvelles classifications internationales ont envahi l’univers de la
psychiatrie, cherchant à disqualifier la classification française en la
renvoyant à sa proximité avec la pensée psychopathologique et
psychanalytique, et dénonçant sa prétendue non-scientificité.
Ce courant biologisant, qui impose une classification
symptomatique et astructurale, repose sur une philosophie
simpliste : il est inutile de se perdre dans des conjectures partisanes
sur les causes des maladies mentales puisque la seule chose qui
compte, c’est de guérir les symptômes. Exit, dès lors, la question
des liens entre un symptôme et la maladie qui le sous-tend ! La
méthode consiste donc à répertorier les signes des maladies pour
les faire correspondre à des tableaux cliniques qui apparaissent
ensuite par ordre de fréquence statistique. Objectif de cette
approche : faire croire à nos concitoyens qu’il est plus rapide et
efficace d’éradiquer un symptôme que de se pencher sur les raisons
de l’apparition de ce symptôme dans la vie de l’enfant.
Exemple : un jeune garçon présente une instabilité psychomotrice.
Il ne tient pas en place, il n’attend pas qu’on lui donne la parole en
classe, il manifeste des troubles de l’attention. Plutôt que de réfléchir
avec lui et ses parents sur les circonstances d’apparition de cette
difficulté (qui peut être d’origine complexe) puis d’entreprendre un
travail psychothérapique, la tendance « DSM » consiste à lui
prescrire un médicament psychotrope comme le méthylphénidate (la
molécule de la Ritaline®) qui supprime le symptôme. Évitant dès lors
le travail psychique qui aurait permis à l’enfant et à ses parents de
prendre conscience de problèmes existants – et qui ne tarderont pas
à se manifester à nouveau à travers un autre symptôme, même
dans les cas où cette prescription est justifiée.
Très utiles pour la recherche épidémiologique, les classifications
internationales se révèlent totalement inappropriées lorsqu’il s’agit
de définir des soins individuels de qualité : en véhiculant des
données uniquement statistiques, les classifications internationales
homogénéisent la clinique au détriment des particularités
individuelles.
Mais cela ne fait que commencer puisque ces classifications sont
en train d’imposer toute une réorganisation des pathologies
mentales selon leurs nouveaux critères.
C’est ainsi que la psychose infantile a désormais disparu au profit
des seuls troubles envahissants du développement (TED). Dans la
grande famille des TED, l’autisme est devenu la figure centrale de
référence, empiétant sur toutes les autres formes cliniques. Dans ce
cas, deux possibilités se présentent : soit l’enfant est « autiste
typique », soit il présente une « forme affadie d’autisme ». Ce qui
revient à dire que tous les TED sont en quelque sorte des dérivés de
l’autisme.
En effet, les différentes formes de TED décrites par les
classifications internationales type DSM IV sont l’autisme typique,
l’autisme atypique, le syndrome de Rett, le trouble désintégratif,
l’hyperactivité associée à un retard mental et des mouvements
stéréotypés, le syndrome d’Asperger et les TED non spécifiés.
On parle d’autisme typique à propos du modèle décrit en 1943 par
Kanner ; on entend par autisme atypique celui dont certains signes
ou modes d’apparition des troubles sont différents du tableau
typique.
Le syndrome de Rett est une maladie neurodéveloppementale
d’origine génétique qui concerne exclusivement les filles et qui peut
présenter un syndrome autistique entre dix-huit mois et cinq ans.
Le trouble désintégratif caractérise un enfant qui se développe
normalement jusqu’à deux ans environ, puis qui déconstruit ensuite
les apprentissages réalisés jusqu’alors.
Le syndrome d’Asperger, connu du grand public par le film Rain
Man, décrit des enfants présentant des signes d’autisme classiques
mais dont le langage est « normal », et l’intelligence conservée –
voire supérieure dans certains domaines spécifiques –, avec des
troubles psychomoteurs fréquents.
Comme dans toutes les classifications, il est prévu dans les TED
une catégorie « non spécifiés », qui permet d’inclure tous les enfants
qui ne répondent à aucune des descriptions précédentes.
Moyennant quoi, dans ce nouveau schéma simplifié, ces troubles
envahissants du développement « non spécifiés » font figure de
rescapés. Tout semble en effet s’être passé comme si, à défaut de
savoir où les caser, impossibles qu’ils sont à classer selon les
nouveaux critères, on avait décidé de les laisser entrer dans la
grande et noble famille de l’autisme. Là où le bât blesse, c’est
lorsque l’on découvre que ces enfants répertoriés « TED non
spécifiés » sont plus nombreux que les « autistes typiques », et que
cette catégorie recouvre en particulier les psychoses infantiles et les
dysharmonies psychotiques de la classification Misès…
Cela dit, le pire est encore à venir car, courant 2013, ces
classifications déjà réductrices devraient se voir substituer à une
nouvelle version encore plus simpliste. À l’occasion de la mise en
place de la nouvelle classification internationale dominante, le DSM
V, qui devrait prendre le relais du DSM IV, l’on annonce une
transformation de la classification catégorielle des TED en
classification dimensionnelle appelée troubles du spectre autistique
(TSA), Dans cette nouvelle formule, l’enfant sera tout simplement
plus ou moins autiste, et ce sera donc le critère de gravité qui
importera.
La cause génétique du syndrome de Rett étant désormais établie,
celui-ci sera peut-être retiré de la classification psychiatrique, le
syndrome autistique transitoire qui l’accompagne étant dès lors
considéré comme secondaire.
Si le lobbying des associations d’Asperger parvient à ses fins,
c’est-à-dire si ces associations obtiennent des experts la
reconnaissance de l’existence d’une forme de pensée différente des
autres mais non pathologique, le syndrome d’Asperger pourrait lui
aussi être retiré du DSM V.
La modification des critères symptomatiques des classifications
internationales ayant fait entrer dans les TED différentes pathologies
regroupées sous l’étiquette autisme, l’on tendrait à croire que l’on
assiste à une augmentation de cette pathologie, ce qui n’est en
60
réalité pas le cas . En revanche, ce qui a véritablement changé, et
c’est un progrès considérable, c’est la possibilité de faire un
diagnostic précoce chez un certain nombre d’enfants qui n’étaient
pas repérés antérieurement. Les enfants présentant un syndrome
d’Asperger sont à ce titre exemplaires : ils ne présentent pas de
troubles majeurs dans l’apprentissage du langage, seules leurs
difficultés relationnelles se voient, mais celles-ci étaient souvent
mises sur le compte de problèmes psychologiques plutôt que
développementaux. Ce n’était que vers dix ans que le diagnostic
était enfin posé, les délivrant de leur calvaire infantile.
De manière plus générale, il convient de remarquer que
l’extension de la seule problématique autistique à l’ensemble des
TED/TSA pose un problème pour leur prise en charge. Cela est
apparu en pleine lumière à l’occasion de la sortie des
recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) en mars
2012 : si des résultats font état de certains progrès chez les enfants
autistes traités par des méthodes de type rééducatif, ces progrès ne
concernent en aucun cas les enfants atteints de troubles du
développement non spécifiés. Et pour cause, puisqu’ils ont besoin
de recevoir des soins en rapport avec leur propre psychopathologie,
laquelle a bien peu à voir avec celle des enfants autistes !
Certes, moyennant quarante heures de conditionnement par
semaine, certains enfants ayant bénéficié de prises en charge
précoces ont pu ainsi acquérir les comportements ordinaires de la
vie quotidienne. D’autres ont pu être éduqués par les méthodes
comportementales (TEACH), qui visent à faciliter les rapports entre
l’enfant et son milieu, à lui apprendre à conduire les tâches qui lui
sont demandées de façon toujours identique : elles consistent, par
exemple, à placer un enfant en situation d’apprentissage en isolant
sa table de travail dans un box, de manière à le protéger des
distractions extérieures. De telles méthodes, qui ne font pas l’objet
d’une réflexion psychopathologique suffisante à partir de la clinique,
peuvent convenir à certains enfants mais, à l’inverse, aboutir chez
d’autres à des résultats contraires à ceux attendus. De ce point de
vue, l’extrême diversité des formes des troubles du développement
ne permet en aucun cas de généraliser à tous ce qui peut marcher
pour quelques-uns. Si les méthodes éducatives peuvent suffire à
endiguer les problèmes de comportements présentés par certains,
d’autres enfants, soit parce qu’ils présentent une pathologie plus
grave, soit parce qu’ils sont peu sensibles aux seules méthodes
éducatives, doivent absolument recevoir des soins
pédopsychiatriques appropriés.
Concernant le travail psychique spécifique aux enfants autistes et
autres TED/TSA, il convient de préciser que dans ce cas aussi les
réponses thérapeutiques varient en fonction de la gravité de la
psychopathologie rencontrée. Il est clair, pour la plupart d’entre
nous, que l’enfant névrosé peut être aidé de manière efficace par un
professionnel, à condition toutefois que ce dernier veuille bien tenir
compte du fait qu’un enfant tout seul, cela n’existe pas, et qu’il
accepte donc de recevoir aussi les parents pour travailler avec eux à
partir des questions cruciales. Dès que la psychopathologie
s’alourdit et tend vers les pathologies limites, comme les
dysharmonies évolutives et autres cas complexes, il reste non
seulement utile et indispensable de travailler avec les parents mais
aussi d’augmenter la surface de réparation, c’est-à-dire le temps de
soin avec l’enfant.
61
Les troubles envahissants du comportement (TEC)
Notes
.
59 Médecin directeur de la Fondation Vallée à Gentilly en 1950, Roger Misès
transforme en quelques années cet asile pour enfants en véritable lieu de soins
pédopsychiatriques. Promu professeur de pédopsychiatrie à la faculté de
.
60 Selon les sources, l’autisme concernerait entre 6 et 7 enfants pour 1 000 ;
selon certains chiffres plus récents, la proportion serait de 1 enfant sur 100.
.
61 Andrieu J.-B. et al., TED/TEC, diagnostics différentiels et démarches
d’accompagnement, Orthomagazine, janvier 2013.
.
62 Le collectif Pasde0deconduite combat depuis plus de six ans les approches
déterministes et prédictives de la prévention et de l’éducation en petite enfance
promues par le gouvernement précédent. Depuis sa création, ce mouvement a
organisé plusieurs grands colloques et publié différents ouvrages qui font
.
63 Cité par Giampino S., Vidal C., Nos enfants sous haute surveillance, Albin
Michel, Paris, 2009, p. 102. Cet avis peut être trouvé sur le site : http://www.ccne-
ethique.fr.
.
64 Delion P., Tout ne se joue pas avant trois ans, Albin Michel, Paris, 2007.
VI
La violence
La télévision
• Des parents piégés par la Toile. Les enfants ne sont pas les
seuls à être confrontés à l’irruption dans leur vie des nouveaux
modes de communication. Avant de venir consulter le
pédopsychiatre, de nombreux parents ont déjà entrepris leur propre
démarche diagnostique sur Internet. Dans la plupart des cas, ils ont
lu une quantité énorme de publications, de témoignages, de
publicités plus ou moins mensongères. Lorsqu’ils arrivent à la
consultation, ils sont porteurs d’un nombre considérable de données.
Souvent, la consultation permet d’en revenir au cas de leur enfant
d’abord, à son histoire personnelle et familiale, puis éventuellement
d’utiliser au moment de la discussion du diagnostic et des choix
thérapeutiques les savoirs apportés par Internet.
Mais parfois les parents ont une idée si précise de ce qu’ils
viennent chercher qu’ils n’acceptent pas de parler authentiquement
de leur enfant, comme s’ils étaient sous l’emprise de consignes
venues d’ailleurs, du genre : « Si le pédopsy vous demande de
parler de l’histoire familiale de l’enfant, fuyez car c’est un
psychanalyste ! » Dans de telles circonstances, le travail de mise en
confiance est difficile, voire impossible, à entreprendre. Et pourtant,
comment peut-on soigner la souffrance psychique d’un enfant sans
passer par l’empathie réciproque ?
Croyant posséder leur sujet, certains parents utilisent de façon
agressive les éléments récoltés sur Internet, soit pour montrer au
praticien son incompétence relative ou totale dans le domaine
étudié, soit pour le pousser dans ses retranchements et vérifier ainsi
qu’il ira bien dans le sens qu’ils souhaitent.
D’autres fois, ce sont des parents pris dans un zapping fiévreux à
la recherche du pédopsychiatre idéal, de préférence un habitué des
plateaux télévisuels, et défini d’abord par l’ensemble des défauts à
ne pas cumuler pour avoir le privilège de suivre l’enfant insoignable
de ces éternels insatisfaits. Atteints d’une nouvelle forme de
nomadisme médical, ces malheureux parents ne trouvent jamais la
perle rare et leur enfant reste l’objet d’une trajectoire asymptotique
vers la perfection qui n’existe que sur la Toile. Il est à craindre pour
ceux-là que la recherche du pédopsychiatre idéal ne soit que le
déplacement d’un processus inconscient concernant leur
progéniture.
En pédopsychiatrie, et surtout depuis les « affaires » concernant
l’autisme et le packing, la disqualification de principe des spécialistes
est une attitude fréquente qui donne des résultats désastreux en
matière de santé publique, puisqu’elle favorise les comportements
irrationnels et émotionnels au détriment des raisonnements
médicaux classiques. Aussi doué soit un parent, on ne peut pas
comparer son savoir immédiat acquis à la suite d’une lecture sur la
Toile et celui d’un praticien, spécialiste de son champ de
travail depuis plusieurs années. Or, dans le contexte actuel, il
devient souvent difficile de faire entendre le point de vue du praticien
expérimenté. Dans le grand débat sur l’autisme, c’est précisément
ce qui se passe : quand un parent trouve un grand bénéfice à faire
suivre telle méthode à son enfant, le voici aussitôt à recommander la
méthode en question pour tous les enfants autistes ! Il me semble
que l’humilité et la modestie dont nous autres, praticiens, devons
savoir faire preuve en toute occasion, pourraient être conseillées aux
parents tentés par la généralisation à partir de leur expérience. Les
savoirs infinis mis en ligne par les moteurs de recherche sont une
des avancées majeures de la technologie informatique actuelle,
mais considérer ces données multiples comme des vérités en soi
constitue un danger.
La pédopsychiatrie symptomatique
Le culte de l’éradication
Notes
.
65 Voir le site « Délinquance, justice et autres questions de société »,
www.laurent-mucchielli.org
.
66 Catheline N., Harcèlements à l’école, Albin Michel, Paris, 2011.
.
67 Girard R., Des choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset, Paris,
1978.
.
68 Berger M., Soigner les enfants violents, Dunod, Paris, 2012 ; et aussi
Voulons-nous des enfants barbares ? Dunod, Paris, 2008.
.
69 Des ateliers-philo ont été mis en place en primaire ; dans les classes de
maternelle ont été lancés des ateliers inspirés de la recherche passionnante de
.
71 Shram W., et al., Television in the Lives of Our Children, Stanford University
Press, 1961.
.
72 Christakis D., Zimmerman F., The Elephant in the Living Room : Make
Television Work for Your Kids, Rodale Books, Emmaus (Penn.) 2006 ; « Enquête
.
74 Resnik S., Espace mental, Sept leçons à l’université, Erès, Toulouse, 1994.
75. Nous pensons notamment à ces films d’horreur que beaucoup d’enfants
voient trop tôt, avec une ambivalence réduite à l’impuissance par la sidération qui
s’empare d’eux.
.
76 Delion P., Tout ne se joue pas avant trois ans, op. cit., p. 149.
77. Tisseron S., Missonnier S., Stora M., L’Enfant au risque du virtuel, Dunod,
Paris, 2006, p. 36.
.
78 Corcos M., Flament M., Jeammet P., Les Conduites de dépendance, Elsevier
.
83 Jean-Louis Weissberg, Présences à distance, Paris, L’Harmattan, 1999, ou
http://hypermedia.univ-paris8.fr/weissberg/presence.
.
84 Stora M., Guérir par le virtuel : une nouvelle approche thérapeutique, Presses
de la Renaissance, Paris, 2005.
.
85 Marty F., Adolescence et virtuel, dossier Carnet/Psy : « Le virtuel, les
nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et la santé
mentale », www.carnetpsy.
.
86 Missonnier S., « La relation d’objet virtuel », in Tisseron S., Missonnier S.,
psychothérapies ne sont pas assez évaluées jusqu’à ce jour. Mais, ce n’est pas
parce qu’une méthode n’est pas encore évaluée qu’elle n’est pas efficace.
.
89 Le cognitivisme représente l’ensemble des théories portant sur les processus
.
91 Quand elle est réalisable dans de bonnes conditions.
CONCLUSION
92
Dans Un bonheur insoutenable , Ira Levin nous raconte un
monde dans lequel les habitants sont examinés régulièrement par
les analyseurs biologiques de l’État pour vérifier que tous les
paramètres censés réguler une vie heureuse et équilibrée sont
normaux. Quand cela n’est pas le cas, des neurotransmetteurs
régulateurs et autres molécules correctrices sont automatiquement
administrés par des machines préposées à cette mission. Le résultat
est formidable ! Pas de crises, pas de mouvements individuels ou
sociaux, pas de revendications, pas de grèves, pas de vagues et,
surtout, pas de souffrance psychique. Les gens vivent dans une
sérénité gris pâle.
Sans se bâtir un roman pour autant, l’on peut s’interroger sur la
direction que pourrait prendre une certaine forme de pédopsychiatrie
sécuritaire, chimiotrope et comportementaliste. Sous peu, les
enfants auront le droit d’apprendre à l’aide des nouveaux médias et
leur présence dans les lieux scolaires ne sera plus nécessaire. Tous
les savoirs étant à portée d’un simple clic, ils n’auront plus besoin
d’apprendre l’orthographe, le calcul, la géographie. Plus besoin non
plus d’apprendre l’histoire, qui ne fait que remuer le couteau de la
nostalgie dans la plaie du passé, ni de se constituer un socle de
culture générale – Google en tient déjà lieu.
Les troubles des apprentissages ne se manifesteront plus de la
même manière ; les troubles relationnels seront des vestiges
décadents, restes lointains d’une époque régie par les relations
interhumaines. Aujourd’hui, le virtuel devient le nouveau réel, l’on se
rencontre sur les réseaux sociaux. Nous pouvons communiquer
avec nos proches par Skype lorsqu’une impossiblité nous prive de
rapports directs. Entre patient et thérapeute, nous pouvons aussi
échanger par mail pour quelque question qui ne peut attendre la
prochaine rencontre « en chair et en os ». Mais pourrions-nous le
faire de façon habituelle ? Nous sommes dans une modification
profonde des rapports humains, mais nous portons encore en nous
les modes relationnels qui nous ont structurés.
Comment se construiront les enfants de demain si les données
venaient à changer au point de nous faire préférer le virtuel à la
réalité ordinaire ?
La pédopsychiatrie, qui ne peut se passer de la rencontre avec
l’autre, doit pouvoir continuer d’accueillir ces enfants, fidèle à sa
mission de les aider à se projeter dans un monde réellement
meilleur.
Note
.
92 Un bonheur insoutenable (This Perfect Day, 1970), J’ai lu, Paris, 1972.
DU MÊME AUTEUR