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Annales Médico Psychologiques 163 (2005) 769–779

Communication

Évaluation des psychothérapies selon les principes de l'Evidence-based


Medicine. Enjeux et scientificité du rapport de l'Inserm
Psychotherapy's evaluation on EBM principles. Stakes and scientific char-
acter of Inserm's report of psychotherapy
G. Fischman
Psychiatre des hôpitaux, Service hospitalo-universitaire de santé mentale et de thérapeutique,
Centre hospitalier Sainte-Anne, 1, rue Cabanis, 75014 Paris, France

Disponible sur internet le 03 octobre 2005

Résumé

L'auteur aborde l'évaluation des psychothérapies d'après les principes de l'Evidence-based medicine tels qu'ils émergent dans le rapport
de l'Inserm sur l'efficacité comparée des psychothérapies cognitivo-comportementales, psychodynamiques et familiales où seules les études
cliniques randomisées ou contrôlées et les méta-analyses ont été retenues. La méthodologie et les conclusions du rapport ont soulevé de nom-
breuses objections. Une évaluation appropriée ne doit pas se fonder uniquement sur des études fondées sur les principes de l'EBM : critères
d'inclusion restrictifs, réduction des variables, non prise en compte des biais des études primaires, amplification des résultats en fonction du
nombre d'études. Les recherches futures devraient intégrer la réalité complexe des données subjectives et rendre compte, par des études de
cas individuels, de la difficulté de la quantification des changements psychothérapiques. Des remarques épistémologiques concernant la
scientificité des démarches évaluatives sont abordées.
© 2005 Publié par Elsevier SAS.

Abstract

The author deals with the psychotherapy's assessment according to the principles of the Evidence-based medicine that emerge from the
Inserm's report about the comparative efficacy of cognitivo-behavioral, psychoanalytical and family therapies, in which only randomised cli-
nical trials and meta-analyses were accepted. The methodology and the report's conclusions raised many objections. A proper assessment
should not be founded only on the EBM principles, i.e. restrictive inclusion criteria, reduction of variables, increasing results in relation to
the number of studies, absence of attempts to take into account the devices of the primary studies. Future research should integrate the com-
plex reality of subjective data and, through studies of individual cases, give an account of the difficulties related to the quantification of psy-
chotherapeutic changes. Epistemological comments are made about the scientific nature of this method of evaluation.
© 2005 Publié par Elsevier SAS.

Mots clés : Épistémologie ; Évaluation des psychothérapies ; Evidence-based medicine ; Inserm

Keywords: Epistemology; Evidence-based medicine; Inserm; Psychotherapy assessment

* Auteur correspondant
Adresse e-mail : georges.fischman@wanadoo.fr (G. Fischman).
© 2005 Publié par Elsevier SAS.
doi:10.1016/j.amp.2005.08.002
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1. Introduction : objectifs et résultats de l'expertise de psychothérapeutes en France. Les cliniciens pratiquant les
l'Inserm formes de psychothérapie dont on a établi la supériorité en
termes d'efficacité sont considérablement moins nombreux
L'évaluation des psychothérapies a depuis longtemps sus- que ceux qui pratiquent d'autres approches. Par conséquent,
cité le développement d'études afin de connaître leurs effets on constate que les psychothérapies les plus efficaces ne sont
tant sur les symptômes que sur la personnalité. Pourtant, les probablement pas les plus fréquemment proposées aux pa-
diverses écoles ont accordé une importance diverse à la dé- tients atteints de ces troubles » [31], p. 27.
marche évaluative systématisée. En France, il n'existe pas Le clivage entre le savoir des cliniciens et les données de
une tradition de recherche quantitative et peu d'équipes de la littérature retenues comme ayant une valeur scientifique a
recherches, telle celle de Gérin et Dazord, se sont consacrées rarement été aussi important [28]. Quelques mois après le
à l'évaluation [18,11]. choc provoqué par ce rapport tant contesté, qualifié même
En 2002, afin d'éclairer le législateur dans le processus par Shepens de « putsch idéologique » [47], un vif débat pro-
politique d'encadrement sanitaire des pratiques psychothéra- fessionnel suivi d'une polémique dans l'espace public et
piques, les pouvoirs publics ont commandé à l'Inserm un d'une forte mobilisation des professionnels a conduit au fait
rapport d'expertise évaluant les effets des principales appro- sans précédent du retrait, par le ministre de la Santé, en fé-
ches. vrier 2005, du rapport commandité par ses propres services,
Celui-ci a réalisé l'analyse de la littérature internationale et ayant généré un rejet massif, inédit dans l'histoire de la
comparant l'efficacité des approches psychodynamiques psychiatrie française.
(psychanalytiques), cognitivo-comportementales (TCC) et Si certains y ont trouvé le dévoilement d'une vérité enfin
familiales. La méthodologie retenue pour l'analyse de la lit- énoncée avec la force de la certitude scientifique, les prati-
térature s'est exclusivement fondée sur les critères de l'Evi- ciens du champ psychanalytique l'ont jugé inacceptable. La
dence-based medicine (EBM). Le rapport, par sa conception vive polémique enclenchée était prévisible, dans un champ
initiale, les méthodes retenues et ses conclusions, a soulevé professionnel caractérisé jusque-là par une indifférence
des multiples remarques critiques. Un comité ad hoc a été courtoise, voire par une certaine complémentarité.
désigné sur la base d'une frappante dominance des adeptes Il est tout à fait éclairant quant à la détermination des
des TCC. En effet, J.-M. Thurin, le seul expert se réclamant auteurs du rapport qu'ils n'ont nullement tenu compte des ré-
de sa qualité de psychiatre–psychanalyste, rédacteur du cha- serves émises depuis longtemps par les experts sur l'applica-
pitre consacré aux techniques psychodynamiques, s'est dé- bilité de résultats pour les cliniciens. Dazord avertissait déjà
solidarisé du groupe de travail dès la publication du rapport, en 1997 : « Il n'est pas pensable de généraliser les résultats
prenant clairement des distances à l'égard des conclusions de [anglo-saxons] au contexte français… En France, pour met-
celui-ci [50]. Les résultats comparatifs des études consultées tre au point des stratégies d'évaluation par enquêtes des psy-
montrent la supériorité des techniques comportementales sur chothérapies, il fallait partir de la problématique des
l'ensemble des troubles psychopathologiques : agoraphobie, cliniciens concernés… L'attitude scientiste d'asservissement
attaques de panique, phobies sociales, anxiété généralisée, systématique à une méthodologie existante, si elle a le mérite
stress post-traumatique, TOC, états dépressifs, réhabilitation de permettre une comparaison avec des recherches effec-
des schizophrènes, personnalités borderline féminines et al- tuées dans d'autres continents, elle est souvent malheureuse-
coolo-dépendantes, troubles des conduites alimentaires, à ment stérile et non créatrice et conduit à une recherche de
partir des preuves d'efficacité établies par « une ou plusieurs type mimétique […] ; lorsque l'on cherche à être proche du
méta-analyses ou des essais randomisés de forte puissance questionnement clinique des soignants, les échelles existan-
statistique et convergents ». Seuls les troubles de la person- tes sont très insuffisantes, et ce particulièrement dans un
nalité du type état limite montrent l'intérêt de l'approche contexte psychiatrique francophone où la subtilité semble
d'inspiration psychanalytique. La recherche évaluative des importer davantage que le pragmatisme opératoire des
résultats des psychothérapies n'est que rarement neutre. En Anglo-Saxons » [11]. Notre propos est ici d'apporter un
effet, si des réserves de forme sont exprimées, les enjeux éclaircissement sur les raisons de ce refus, par l'explicitation
pour l'avenir des professionnels, sous couvert d'information de quelques remarques sur la méthodologie et les fonde-
scientifique des usagers, sont formulés clairement. Les ments épistémologiques du rapport, notamment en ce qui
auteurs du rapport proposent au pouvoir politique de mettre concerne les approches psychodynamiques et les thérapies
en acte leurs recommandations, préconisant un changement cognitivo-comportementales.
radical dans la formation des cliniciens en France, et ainsi de
recomposer le champ professionnel au profit des techniques 2. Recours méthodologiques
cognitivo-comportementales, afin de garantir, selon eux, la
meilleure gestion de la santé publique. Nous lisons dans le 2.1. Postulats et définition des règles
chapitre de synthèse du rapport de l'Inserm : « Enfin, il nous
faut ajouter que l'application sur le terrain de recommanda- Les principes sur lesquels repose l'EBM sont devenus de-
tions thérapeutiques fondées sur la présente expertise pour- puis une décennie le paradigme dominant dans l'univers mé-
rait dépendre de changements à apporter à la formation des dical et psychiatrique anglo-saxon [5,16,44]. Ils répondaient
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au souci de guider les cliniciens dans la prise de décisions Le modèle suivi dans l'évaluation des psychothérapies in-
thérapeutiques individuelles par l'instauration de normes de tégrera ainsi :
crédibilité scientifique des diverses sources d'information. z une définition de l'efficacité ne reposant que sur la me-
Les meilleurs critères de décision devraient privilégier deux sure de la réduction du symptôme cible (efficacy), ce
types de méthodologies : d'une part, les essais contrôlés ran- qui donne d'emblée un avantage comparatif aux TCC en
domisés (ECR) conçus selon le modèle de la recherche phar- excluant la prise en compte de l'efficience globale
macologique et, d'autre part, les méta-analyses des études (effectiveness) ;
primaires, considérées comme techniques d'analyse statisti- z le recrutement des sujets le plus homogène possible ;
que fiable. Ces données factuelles déterminent des niveaux z la distribution aléatoire des traitements ;
hiérarchiques de preuves de validité scientifique, au détri- z la nécessité d'un groupe témoin conçu sur le même
ment des études sans groupe de contrôle, de l'expérience et mode que dans l'administration d'un placebo ;
des convictions des cliniciens. Cette visée d'objectivité et de
z l'utilisation d'une thérapie suivant un manuel afin d'évi-
vérification s'avère essentielle dans le cadre des recherches
ter les effets des facteurs de changements non spécifi-
biomédicales.
ques de la technique choisie.
L'évolution ultérieure de ces principes appliqués à la re- En ce qui concerne les techniques comparées, une pre-
cherche psychothérapique a produit un déséquilibre en fa- mière question concerne la validité des rapprochements
veur de la seule prise en compte des études contrôlées comparatifs de pratiques dont les postulats de base sont de
randomisées comportant des critères d'inclusion sévères, ne prime abord irréductibles entre eux et de surcroît avec des ré-
correspondant que partiellement aux conditions de la prati- sultats évalués à courte vue. Il est nécessaire de distinguer
que courante [17]. Cela a relégué au dernier plan les enquê- clairement, en effet, une approche pragmatique et taxinomi-
tes « naturalistes » réalisées en tenant compte de la que des troubles et une approche fonctionnelle globale où
complexité des conditions réelles de la clinique. La réalisa- l'évaluation des effets sur les symptômes est considérée
tion d'études comparatives entre les populations incluses comme s'intégrant dans un processus dynamique complexe
dans le cadre des ECR et dans des conditions de pratique aux causalités multiples. Il est utile de signaler que l'effica-
courante a brisé cet élan consensuel. La suprématie exclusive cité des techniques psychodynamiques comparées aux TCC
accordée aux études centrées sur les critères des niveaux de se limite à des interventions brèves (techniques de Malan,
preuves a suscité depuis, de nombreuses réactions scepti- Sifneos, Davanloo, Mann), utilisées dans des institutions et
ques ainsi que des critiques de la part des cliniciens dont l'ex- globalement méconnues en France. L'amalgame avec les
périence est reléguée au dernier plan [27,33,58]. psychothérapies psychanalytiques à durée ouverte paraît
En ce qui concerne le rapport de l'Inserm, celui-ci a sou- pour le moins abusif, or la transposition sans réserves faite
levé de multiples remarques critiques. Bien qu'inégale dans dans les conclusions du rapport à un autre contexte culturel
la profondeur de ses analyses et la pertinence des conclu- et professionnel ne semble nullement aller de soi.
sions, la synthèse finale laisse émerger, en dépit de la pru-
dence initiale affichée, un parti pris négatif et dépourvu de 2.2. Les essais contrôlés randomisés
toute réserve vis-à-vis des approches psychanalytiques. En
effet, le choix de l'évaluation s'est focalisé sur les effets z Ce type d'essais correspond-il aux conditions des prati-
symptomatiques et non sur les processus psycho- ques psychothérapiques réelles ? Les critères d'inclu-
thérapiques ; les biais largement signalés dans la littérature sion pour le recrutement de la population étudiée ne
limitant la signification et la généralisation des résultats correspondent pas, contrairement à ce qui est dit dans le
ont été négligés dans la synthèse finale du rapport. L'en- rapport de l'Inserm, à la réalité de la clinique psychothé-
semble des remarques suivantes sur les sources multiples rapique en pratique courante. Les études portent sur des
de biais méthodologiques de ce type d'études apporte sujets dont on n'a retenu comme objet d'analyse que des
autant d'indices qui rendent contestables les conclusions du troubles isolés par le biais des critères diagnostics d'in-
rapport. clusion très restrictifs, éliminant ainsi la présence des
Sur quoi se fondent ces études comparatives d'efficacité ? comorbidités et les autres dimensions cliniques de la
Rappelons une fois encore que les principes du savoir clini- personnalité [50]. D'ailleurs, plus les critères d'exclu-
que et des expériences propres aux évaluations qualitatives sion sont sévères, centrés sur un trouble spécifique en
et pluridimensionnelles n'ont pas été pris en compte. Toutes écartant la comorbidité présente naturellement en clini-
les études issues de la pratique courante ont été exclues de que, plus la technique utilisée confirmera les bons résul-
l'analyse, toutes les recherches prenant en considération les tats de l'approche évaluée. Quant à l'âge des sujets, les
différentes sensibilités des psychothérapeutes, comme celle résultats des méta-analyses comparatives des études
de Duruz et Lob [13,14], ou leur conception de la nature des primaires se fondent sur des études psychothérapiques
psychothérapies dans le champ du soin comme celles de chez une population de jeunes, réalisées en général dans
Widlöcher [57] ont été passées sous silence, car elles ont été des centres de consultation universitaires (à titre
considérées comme ne relevant pas des principes d'excellence d'exemple : dans la méta-analyse de Smith et Glass,
selon les critères de l'EBM. l'âge moyen est de 22 ans, dans celle de Shapiro de
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25 ans). Les durées des prises en charge sont courtes, se caniciste, et un principe de médicalisation instrumentale de
situant en moyenne entre 10 et 20 semaines, à raison la relation psychothérapique. Car l'opération d'isolement des
d'une séance hebdomadaire. Les psychothérapies sont variables, de simplification de la complexité, d'uniformisa-
très brèves, par exemple de 17 heures (Smith et Glass) tion des différences, d'homogénéisation des profils des su-
et de sept heures (Shapiro) ; dans la méta-analyse de jets réalise une telle réduction, permettant de qualifier ces
Svaterberg la durée moyenne est de 15 heures. Ce analyses de procédé de cristallisation in vitro des sujets.
temps restreint ne permet donc pas une comparaison
avec le développement des thérapies réelles, dont la très 2.3. Les méta-analyses
large majorité est à durée ouverte.
z La constitution des groupes témoins a soulevé de nom-
Le second principe de l'EBM repose sur l'utilisation des
breuses interrogations et réserves, notamment sur méta-analyses : approche quantitative permettant d'estimer
l'usage des placebos. La randomisation entre deux trai- par regroupement de multiples études, la « taille d'effet »
tements considérés efficaces permettant de comparer, (TE) ou magnitude de l'effet thérapeutique obtenu, dans cha-
en principe, les avantages de l'un par rapport à l'autre et que étude, chez un groupe traité par rapport au groupe
de décider des meilleures indications possibles, ne pré- témoin (TE : quotient de la différence entre la TE du groupe
sente aucun inconvénient [23]. En revanche, l'utilisation traité et la TE du groupe témoin par l'écart-type).
de groupes de sujets soumis aux listes d'attente prolon- Cette technique est considérée comme un moyen valide
gée, aux entretiens répétés avec attention–placebo du d'augmenter la puissance statistique des faits analysés dans
thérapeute voire aux procédés énigmatiques qualifiés les études primaires, comportant des échantillons de petite
« d'antithérapies » ne correspond pas à une démarche dimension, par le regroupement d'un nombre important
d'aide psychologique [39]. d'études intégrant alors sous protocole, de très nombreux
z L'utilisation d'un manuel auquel le praticien doit
voire des milliers de sujets. Elle comporte néanmoins le ris-
soumettre ses interventions vise à isoler un mode théra- que de biais méthodologiques divers :
peutique épuré afin de neutraliser les éléments théra- z biais de publication car, généralement elles ne compor-

peutiques non spécifiques (effets spontanés émanant de tent que des résultats publiés positifs et excluant les étu-
la personnalité du thérapeute, authenticité, écoute em- des dont les résultats sont négatifs ;
pathique) et tente de contrôler les degrés d'adhérence du z biais de sélection car l'allégeance des auteurs à leurs ap-

praticien à sa technique. Ici, il existe une divergence ir- proches risque d'exclure des études discréditant celles
réductible entre les écoles. Si le recours à la prescription qui bénéficient de leur préférence ;
psychothérapique d'exercices comportementaux, faci- z biais de l'hétérogénéité clinique ou effet « oranges et

les à inscrire dans un guide standard, est cohérent avec pommes », témoignant de l'inclusion dans la méta-ana-
la conception du symptôme propre aux TCC, ce n'est lyse des études très disparates et difficilement
pas le cas dans les autres approches. Des chercheurs regroupables ;
comme Luborsky ont pourtant développé des manuels z biais dus au mimétisme ou à l'originalité des chercheurs

d'inspiration psychanalytique, sorte de vade-mecum ba- expliquant la volonté d'infirmer ou de confirmer des
sique de l'écoute psychodynamique, permettant le résultats ;
codage et la quantification [35]. Cette conception sim- z risque de généralisation de situations cliniques particu-
plificatrice et techniciste des échanges patient–théra- lières aboutissant à l'application sans discrimination à
peute incite à la réduction de l'acte psychothérapique à toute la cohorte d'un trouble survenant dans un contexte
une instrumentalisation réifiante. La singularité de singulier ; par exemple, l'anxiété chez les étudiants de-
l'alliance thérapeutique personnelle est alors déniée, au vient un « trouble anxieux ».
profit d'un modèle de standardisation des interactions Afin de contrôler de tels biais, comme le signalent Cial-
rendues quantifiables et reproductibles. della et Cucherat, une charte de qualité des méta-analyses a
Les ECR comportent des études dont la rigueur méthodo- ainsi été proposée [7,8]. L'éloignement d'une méta-analyse
logique s'impose sans conteste quand la pertinence de l'ap- des études primaires peut négliger les biais méthodologiques
plication de leurs principes est adaptée à ses objectifs. inaperçus dans les études examinées. Même si les conclu-
Certes, réduire le nombre de variables constitue une con- sions de celles-ci sont concordantes, on ne peut exclure, en
trainte inévitable de la méthodologie en sciences de la vie. raison de la conception initiale commune des études, que
Pourtant, ce qui est nécessaire pour les essais thérapeutiques tous les résultats de ces recherches sont biaisés dès le départ
pharmaco-cliniques ne correspond pas adéquatement à la d'une manière équivalente. On a objecté également que les
complexité du psychisme au niveau le plus élevé d'analyse résultats des méta-analyses portent sur un nombre très élevé
auquel on est confronté en psychothérapie. Le recours aux de patients. En effet, cette technique s'applique à des études
méthodes, dont l'application à cet objet d'études nécessiterait se rapportant, en dernier lieu, à des classes de patients, alors
de retenir celles qui sont spécifiquement adaptées, devient la que des efforts particuliers devraient s'accomplir pour com-
source d'une approche qui n'a que l'apparence de la rigueur prendre les effets sur des individus. Il semble exister un con-
scientifique et indique une conception réductrice, technomé- sensus pour déceler le plus important des biais statistiques :
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si dans un nombre réduit d'études apparaît une légère amé- qualitatives du processus psychothérapique. Nous rappel-
lioration non statistiquement significative, la multiplication lerons, parmi les études des cas, issues pour la plupart des
des études la rend hautement significative [4]. Il paraît alors méthodes qualitatives et narratives, celle de la Menninger
évident, selon Matt et Navarro, que plus une approche aura Foundation concernant un suivi d'une durée de 30 ans, rap-
produit un nombre important d'études conçues selon ses pro- portée par Wallerstein [55]. Pour les études du processus
pres normes, pour tester son efficacité selon ses propres cri- psychanalytique, divers outils de mesure du déroulement
tères, plus cette technique sera présente dans la méta-analyse du processus du changement ont été créés afin de codifier
et plus elle sera considérée comme supérieure. [36] Ainsi, et opérationnaliser le développement des effets
est dit dans le rapport Inserm : « Si les effets globaux positifs psychodynamiques : les échelles de l'évolution du thème
de la TCC apparaissent faibles ou forts, on peut observer que relationnel conflictuel central de Luborsky ; de l'alliance
ses résultats positifs semblent augmenter en fonction de la thérapeutique ; de la capacité psychologique de compré-
qualité de la méta-analyse » [31], p. 386. hension et d'internalisation des conflits ; des échelles
En effet, les objectifs simplifiés des TCC inscrivent l'éva- d'évaluation des mécanismes de défense et des relations
luation dans leur pratique courante [6,9], tandis que la con- d'objet. D'autres recherches utilisent des techniques sophis-
ception complexe de l'évaluation des effets des approches tiquées d'enregistrement et de transcription séquentielle
psychanalytiques, associée aux difficultés méthodologiques, des séances ainsi que des outils de codage au niveau micro-
a raréfié les études systématiques. Il apparaît ainsi que lors- processuel. Leur objectif est de corréler les unités narrati-
que la taille de l'effet des résultats d'une approche thérapeu- ves et les interactions patient–analyste afin d'établir des
tique est modeste, la seule solution consiste à augmenter le liens entre les diverses interventions et l'insight des pa-
nombre d'études [22,23]. tients. Les études portant sur la combinaison processus–ré-
En tout état de cause, le nombre réduit d'études de l'ap- sultats requièrent des méthodes complexes. L'outillage de
proche psychanalytique entraîne un manque de puissance recherche spécifiquement psychanalytique doit ici s'appa-
statistique. Nous pouvons ainsi avancer que l'utilisation ex- rier, bien entendu, aux outils standardisés d'évaluation de
clusive des méta-analyses semble favoriser la supériorité des symptômes, corrélés aux tests dimensionnels de la person-
techniques TCC. Ainsi, de sérieux doutes ont été exprimés nalité, aux évaluations de la qualité des relations interper-
sur la généralisation des résultats des ECR appliqués aux sonnelles, aux échelles d'adaptation sociale et aux
psychothérapies en pratique courante. Avec Williams, nous instruments de mesure de qualité de vie. Ces recherches
pouvons affirmer que l'absence de preuves d'efficacité selon pourtant rigoureuses semblent ne pas tenir leurs promesses
les critères de l'EBM ne doit pas être comprise comme ab- et leurs résultats, parfois décevants, ont soulevé, d'après
sence d'efficacité réelle [58]. Ces réserves sont concordantes Waldron, beaucoup de scepticisme ou, selon Shachter et
avec les résultats d'études comme celles de Zarin, Raine, Luborsky, divisé les psychanalystes [54,46]. Serait-il
Dongier, portant sur divers domaines psychiatriques où des pertinent de continuer en France sur cette voie
groupes de patients sont étudiés dans des conditions de pra- d'investigation ? Il est aisément compréhensible que de
tique clinique réelle [42,12,59]. telles études standardisées posent des problèmes extrême-
ment complexes. Nous pouvons penser qu'elles nécessi-
tent, au préalable, des études approfondies déterminantes,
3. Recherches sur l'efficience réelle des processus tout d'abord, leur faisabilité [53], leur validité, la pertinen-
psychanalytiques ce des échelles [49] et, en définitive, l'intérêt de leurs résul-
tats [32].
Qu'en est-il des recherches évaluatives dans le champ Plusieurs auteurs soutiennent qu'une approche purement
des psychothérapies psychanalytiques ? Nous ne pourrons numérique est probablement impossible. Même les plus ar-
pas aborder ici l'historique des travaux d'évaluation, mais, dents défenseurs des méthodes quantitatives acceptent la
pour une vue d'ensemble des recherches sur les effets des nécessité d'associer ces méthodes aux méthodes cliniques.
approches psychanalytiques, on pourra se référer au rap- Ainsi, d'autres types d'études contrôlées ont été réalisés ré-
port de Fonagy [15]. Les recherches sur les effets des ap- cemment, comme celle de Sandell [45] à Stockholm,
proches psychanalytiques peuvent être regroupées en trois ouverte sur une longue durée, et avec une méthodologie co-
grands types d'études : des cas, du processus analytique et hérente avec les approches des psychothérapies psychana-
de la combinaison du processus–résultats. Bien que les lytiques, afin de répondre aux questions posées sur la
méta-analyses soient relativement peu nombreuses, plu- satisfaction globale des patients (questionnaires de bien-
sieurs études ont été développées, utilisant des méthodolo- être). C'est le cas également de l'étude contrôlée catamné-
gies quantitatives, même si celles-ci peuvent être jugées sique de Leuzinger [34] qui évalue au long cours un échan-
selon certains points de vue insuffisantes [51,43]. Il existe tillon important de patients, associant des procédures
pourtant un courant de recherche standardisée en psycha- quantitatives, des données psychanalytiques qualitatives et
nalyse, dont nous évoquerons seulement les principes, qui des données indirectes issues des caisses de la sécurité so-
tentent de pallier à ce manque de preuves et développent ciale allemande. Elles paraissent mieux remplir les critères
des techniques de quantification applicables aux données propres à une évaluation de leur efficience clinique réelle.
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4. Quelles perspectives pour l'avenir ? pres à leur exercice (Practice-based evidence [58]. Afin
d'assurer une forte représentativité, une validité externe
Les critiques que ce rapport a suscitées ne doivent pas fi- et une pertinence clinique en pratique courante, plu-
ger la recherche. Les exigences des logiques de rentabilité sieurs auteurs proposent des critères alternatifs de réali-
économique vont probablement créer le besoin de dévelop- sation d'études d'évaluation : les études sont menées
per une stratégie de recherches appropriées aux psychothé- dans un contexte non universitaire comme des centres
rapies à durée ouverte. Se soustraire à une évaluation communautaires de santé mentale ; les patients sont
pertinente serait considéré, dans le contexte actuel, comme adressés par des circuits classiques, sans être sollicités
un signe d'inconsistance face aux critiques avérés de la per- par les examinateurs ; les thérapeutes n'utilisent aucun
tinence des approches psychodynamiques. manuel de traitement ; l'inclusion des patients est non
Il s'agirait dorénavant de confirmer leur utilité par des restrictive, impliquant des patients avec des caractéris-
études appropriées, afin de ramener à une complémentarité tiques cliniques et d'expression hétérogène de leurs
non concurrentielle les différentes approches, ce qui néces- problèmes ; les thérapeutes sont libres d'utiliser une va-
site la révision des paradigmes de recherche de l'EBM et la riété de traitements. À l'avenir, selon Margison [37], il
revalorisation de l'expérience clinique comme source valide faudrait développer des « Réseaux de recherche
de scientificité. Voici deux axes de développement et un ca- pratique » (Practice research network) utilisant des pa-
dre possible : radigmes fondés sur la clinique courante (Practice-
z les études réduites à l'analyse quantitative, suivant les based evidence) et sur une série de critères de bonnes
critères de l'EBM, négligent l'indispensable considéra- pratiques de recherche clinique :
tion de la subjectivité et de son devenir lors du proces- { reconnaître les interventions psychothérapiques utili-
sus de changement. Il serait alors nécessaire de sées réellement et pouvoir répondre à la question de
développer des méthodes de recherche centrées sur des savoir pourquoi elles ont été utilisées ;
cas uniques afin d'envisager le processus de change- { développer des compétences pour avancer différentes
ment psychothérapique de manière essentiellement méthodes de formulation des données qui doivent être
qualitative. Cela mettrait au premier plan la singularité cohérentes avec le choix de traitement choisi ;
des sujets, renouant avec la méthode d'exposition narra- { reconnaître les entraves au déroulement d'une bonne
tive et l'herméneutique de récits cliniques. L'analyse alliance thérapeutique et tenter de les contourner dans
d'un seul cas, d'une profondeur inestimable, permet différentes situations cliniques ;
d'inférer un nombre important d'hypothèses, car un in- { utiliser l'autoévaluation et des méthodes de supervi-
dividu représente, dans ces études, la totalité de la popu- sion par des pairs afin d'évaluer les habilités et la qua-
lation analysée. À partir du même principe, des lité de la relation thérapeutique ;
répliques peuvent se développer également par compa- { utiliser des outils de mesure d'évaluation des effets
raison avec d'autres cas uniques. Un nombre réduit de fondés sur la pratique courante des thérapeutes ;
patients peut ainsi fournir un savoir d'objectivité et de { utiliser des réseaux de recherche clinique dans une
validité acceptables, évitant les biais réducteurs des perspective d'introduction des preuves fondés sur la
techniques exclusivement quantitatives qui ne peuvent pratique. Cette perspective serait concordante avec
pas rendre compte de la complexité inhérente au proces- les constats réalisés dans d'autres domaines de la re-
sus psychothérapique. Or, les différentes conclusions cherche psychiatrique dans le monde anglo-saxon
pourront se formuler sur la base de types cliniques de [59] préconisant l'évolution vers de nouveaux para-
sujets, et non en fonction de résultats de moyennes sta- digmes, notamment là où le modèle de l'Evidence-
tistiques [26,30,56]. based medicine a rencontré ses limites.
z un programme de recherche sur des cas multiples de-
z En dernier lieu, il paraît souhaitable, afin d'éviter la sté-
vrait intégrer les critiques exprimées par les praticiens à rilité d'une recherche coupée de ses praticiens, de réunir
l'encontre des protocoles artificiels éloignés de leur toutes les associations scientifiques et professionnelles
réelle évidence clinique. Il s'agit de promouvoir la cons- concernées, des organismes de recherche, les services
titution de réseaux de praticiens qui permettraient de dé- hospitaliers, sous l'égide d'un Centre de recherches psy-
velopper des études au long cours, à partir des méthodes chothérapiques indépendant, en partenariat avec la Fé-
de « Recherche fondée sur la Pratique » (Practice- dération française de Psychiatrie.
based research) [37]. De telles études comportant un
minimum de critères d'exclusion, une durée d'observa-
tion adaptée à la réalité des psychothérapies et la prise 5. Remarques épistémologiques
en compte multidimensionnelle des patients, auront une
meilleure représentativité clinique que les ECR tradi- Au terme de notre analyse, nous voudrions soulever quel-
tionnelles. Il serait indispensable d'aborder l'efficience ques remarques d'ordre épistémologique sur les limites de
globale des psychothérapies, en tenant compte de l'ex- l'évaluation quantitative standardisée dans le champ psycho-
périence clinique des praticiens et des particularités pro- thérapique. Certaines interrogations s'imposent, en effet, de-
Évaluation des psychotherapies / Annales Médico Psychologiques 163 (2005) 769–779 775

vant l'insatisfaction décevante que suscitent nombre de cohérence de la construction rationnelle des propositions
recherches. auxquelles elle se rattache.

5.1. Les normes de mesure du subjectif 5.2. La preuve : vérification et degré de confirmation d'une
hypothèse
Les qualités du subjectif sont-elles intégralement
mesurables ? Les propriétés des états psychiques que l'on Quel est le statut des preuves ? Peut-on inférer, selon une
mesure dans les études quantitatives sont-elles vraisembla- moyenne statistique, l'efficacité d'une approche pour un su-
blement objectivées par des normes de mesure ? C'est la jet donné ? Dans notre problématique de clinicien, accorder
question fondamentale posée à toute évaluation quantitative au fait statistique, à partir du calcul d'une moyenne, la valeur
standardisée du subjectif : les instruments sont-ils suffisam- d'une preuve, néglige que son application probabiliste à un
ment valides, fidèles et sensibles pour permettre la traduc- sujet soit d'une valeur aléatoire. Le degré de confirmation,
tion de la subjectivité en langage des nombres ? Une réponse adéquatement défini, d'une hypothèse de travail ne se satis-
possible, selon Guelfi, est de remplacer l'antinomie fait pas du principe statistique et des axiomes de probabilité.
« subjectif–objectif » par celle de « l'exprimé–observé ». Il Les propositions de Popper [40] allant à l'encontre des
devient ainsi concevable de tenter la mesure objective de ce seuls critères statistiques, en tant que source privilégiée de
que le sujet exprime, aussi bien que la mesure objective de vérification des hypothèses, nous semblent applicables à la
ce que le clinicien observe [24,22]. recherche évaluative en psychothérapie. Cela, signe de sa
Pourtant, on atteint ici les limites empiriques du mesura- spécificité, paraît à la fois antinomique et complémentaire
ble, imposant le recours incontournable à l'analyse sémanti- des critères qui fondent le modèle pharmacologique des
que des récits car l'évaluation approfondie en psychothérapie essais thérapeutiques standardisés [22]. Selon le rationalisme
nécessite, en outre, de considérer que le changement opéré poppérien, la vérification scientifique d'une hypothèse ne re-
n'est ni nécessairement exprimé par le sujet ni factuellement lève pas tant de la confirmation par induction statistique et
observé par le clinicien. par la logique de probabilités que de sa réfutabilité. Celle-ci
Nous suivrons Davidson [10] dans son élaboration selon dépend à son tour du degré de testabilité de l'hypothèse plu-
laquelle les contraintes rencontrées lors de la mesure du tôt que du calcul probabiliste. On peut ainsi retenir que, si le
mental, sa traduction en langue mathématique, ne permettent savoir scientifique vise à atteindre un degré élevé de confir-
pas de déterminer un système univoque. Si dans des interac- mation des hypothèses, il ne faudrait pas identifier degré de
tions physico-naturelles on peut assigner des nombres, infé- confirmation et probabilité d'occurrence, ce rapport pouvant
rés à partir d'un référentiel invariable, à un état présentant être même paradoxalement inversé. Parce que, plus le contenu
une propriété variable, ce n'est pas le cas de l'assignation des affirmé dans l'énoncé d'une hypothèse est élevé, moins cet
nombres à la subjectivité. Car la traduction de la parole du énoncé est « statistiquement » probable. Ainsi, atteindre un
sujet au langage des nombres se réalise par le biais d'un pro- degré élevé de confirmation nécessite la formulation
cessus interprétatif. La description et la signification accor- d'énoncés avec un contenu informatif élevé et donc d'une
dées nous renvoient à des procédés où la fidélité aux normes probabilité absolue basse.
de mesure relève de l'intersubjectivité, car l'assignation des En effet, puisqu'en thérapie on est confronté à des situa-
nombres se fait à partir de l'ensemble potentiellement infini tions de haute complexité ou face à des hypothèses de con-
de nos propres énoncés. C'est donc cette construction inter- tenu élevé, on ne recherchera pas la corroboration par une
subjective qui détermine le fondement des critères d'objecti- probabilité élevée mais la réfutabilité par la poursuite de sa
vité. On rejoint, sur ce point, la thèse relativiste de Quine testabilité intersubjective, compatible avec l'expérience par-
[41] sur l'indétermination de la traduction à propos de la con- tagée, même si cela comporte de diminuer la probabilité. Or,
frontation d'énoncés empiriquement équivalents mais logi- les trivialités hautement probables, comme résultats de la re-
quement contradictoires. Il y a donc plusieurs traductions cherche, ne suscitent que très peu d'intérêt et, au contraire,
possibles, sous-déterminées par des constats empiriques dif- des conjectures cliniques de faible probabilité inductive et
férents et par l'indétermination des références imposant, en pourtant rigoureusement étayées ont une valeur prédictive
définitive, une nécessaire tolérance épistémologique. Même certaine.
dans les domaines empiriques, selon Granger, les validations
Les preuves vérifiables d'un énoncé sur le sujet à propos
n'échappent pas à une contrepartie subjective, les spécialis-
de son état psychique, adequatio rei et intellectus, relèvent
tes des sciences formelles devant appliquer à la vérification
des logiques rationnelles non tributaires de faits reproducti-
d'un fait statistique une norme subjective [20]. La vérifica-
bles ni mathématisables. Trois conditions doivent ainsi s'ar-
tion des faits et des hypothèses relève des méthodes de vali-
ticuler d'après Gil [19] pour un savoir fondé sur les preuves :
dation à la fois spécifiques mais entièrement solidaires,
nécessitant également de respecter certaines conditions. Les z une condition de vérité, émergeant d'une vérification,

preuves empiriques ont une « créance subjective », empor- qu'elle soit déductive ou inductive ;
tant ainsi des degrés variables d'assentiment, car le caractère z une condition d'explicitation logique et argumentative
vraisemblable d'une donnée factuelle doit s'associer à la entraînant la conviction ;
776 Évaluation des psychotherapies / Annales Médico Psychologiques 163 (2005) 769–779

z enfin la condition d'étayage sur le champ de la rationa- niste en psychiatrie et un scientisme réducteur. Car le des-
lité propre à la communauté vers laquelle elles s'adres- sein de standardisation complète du psychisme n'est pas une
sent. avancée de la science objective sur le long chemin des dé-
mystifications indispensables. Il s'agit d'un présupposé éli-
5.3. Le singulier et l'universel : sujets, types et moyennes minativiste des méthodes des sciences de l'homme, fondé sur
une ontologie physicaliste, relevant, comme le souligne Pop-
Est-il possible d'identifier le sujet singulier à la moyenne, per [40], tout autant d'une « assertion archimétaphysique »
figure improbablement déductible des lois du calcul et des que d'une hypothèse scientifique. Le sujet résistera pourtant
grands nombres ? Tout d'abord, les principes de l'évaluation à toutes les tentatives de naturalisation, échappant aux ré-
psychologique renvoient, comme dans les sciences sociales, ductionnismes et à l'opérationalisation statistique. L'ontolo-
à la dichotomie classique entre sciences nomothétiques, gie propre au langage, comme le rappelle Gori [21],
cherchant à établir des lois universelles, et les sciences idio- constitue cette limite indépassable par des normes de mesure
graphiques consacrées à l'individuel, au non reproductible, sous peine d'éliminer ce qui réalise la dimension propre du
voire à l'unique. Cependant, au-delà de cette grande division psychisme humain.
des sciences, il est possible d'établir, en accord avec Bunge Le risque inhérent à ce processus, selon Hottois [29], est
[1], à partir de méthodologies différentes, des ponts créant de transgresser ces limites et, comme dans les cas des tech-
des liens entre elles. niques de saisie opératoire du vivant, de procéder à la nor-
Les recherches en psychopathologie quantitative aspirent à malisation opératoire standardisée du psychisme humain.
établir des conclusions nomothétiques de valeur universelle, Cette limite renvoie à la fois à une dimension épistémologi-
en tenant compte de la reproductibilité et de la comparabilité que et à un choix déontologique. Ainsi, nous pourrions nous
objective des études, vérifiées sur un nombre élevé de sujets demander avec Canguilhem : « Que pourrions-nous avoir
supposés homogènes. En revanche, la formulation d'hypo- contre l'ordinateur si notre cerveau est lui-même un
thèses nomothétiques à partir des données idiographiques re- ordinateur ? L'ordinateur chez soi ? Pourquoi pas puisqu'un
quiert la création de dispositifs tels que la constitution de ordinateur est en chacun de nous ? Un modèle de recherche
« types idéaux » expliquant les régularités catégorielles des scientifique a été converti en machine de propagande idéo-
sujets. C'est la méthode du cas clinique qui, partant du trait logique à deux fins : prévenir ou désarmer l'opposition à
singulier, construit un paradigme modélisable. l'envahissement d'un moyen de régulation automatisée des
Quelles sont alors ces raisons qui rendent la démarche rapports sociaux ; dissimuler la présence de décideurs der-
évaluative extrêmement complexe et les prescriptions rière l'anonymat de la machine » [3], p. 21.
aléatoires ? Les difficultés rencontrées lors de l'évaluation Une dernière remarque concernera les logiques économi-
des psychothérapies, confondant la qualité propre à la nor- ques implicites dans l'évaluation des psychothérapies. La
mativité subjective avec la règle de normativité objectivable raison technocratique cherche à justifier ses impératifs de
par des moyennes calculées, s'expliquent plus aisément en productivité et de réduction des dépenses de santé, s'ap-
admettant le postulat que l'on se trouve, ici donc, plus proche puyant, à la fois, sur deux logiques convergentes, mises en
du pôle du singulier idiographique que du multiple nomothé- évidence par Lesage et al., celle des principes de l'EBM et
tique. Car, la perception du changement psychique ainsi que celle de l'aspiration médicale à la scientificité [25,33,49].
la conscience du normal et du pathologique relèvent de nor- Les preuves factuelles issues des principes de l'Evidence-
mes subjectives qui échapperont toujours au savoir quanti- based medicine composent alors, sous la forme d'une extra-
fiable et prédictible. Ce qui est normal pour un sujet dans le polation dogmatique, la caution légitimante de l'idéologie du
rapport vécu à ses symptômes, affirme Canguilhem [2], rapport pragmatique du vrai à l'immédiatement utile. Le souci
émerge du sens qu'il donne à sa propre normativité différen- de l'efficacité vise ici surtout à calculer la relation d'aide et à
ciée de la normativité érigée sur la base des grands nombres dévoyer la relation psychothérapeutique vers un procédé
et, de surcroît, susceptible d'être imposée en tant que règle de d'accréditation et de maîtrise comptable. Ainsi, ira la théra-
normalisation sociale. peutique des relations entre logos et pathos, sous couvert des
progrès de la « science évaluative » ou de rentabilité finan-
5.4. Rationalité et idéologie pseudoscientifique cière, transformée en prescription des techniques de sugges-
tion standardisées, paramédicalisées voire digitalisées avec
Les techniques de standardisation et de quantification des supports audiovisuels ad hoc, consommables par des co-
rencontrent ainsi « une ligne de démarcation » entre science hortes de « malades », ainsi préalablement « éclairés » et
et fausse science, un seuil d'illégitimité entre savoir justifié « responsabilisés ».
et idéologie d'allure scientifique, quand la complexité du
subjectif et de l'intersubjectif dépasse des états qualitatifs
fondamentaux et qu'advient ainsi la dimension de l'incom- 6. Conclusions
mensurable. Le projet d'une naturalisation intégrale de l'hu-
main créera, comme certains auteurs tel Odier [38] Au terme de nos remarques, nous pouvons conclure que
l'avertissent, des profonds clivages entre la tradition huma- le rapport de l'Inserm devrait être considéré comme le para-
Évaluation des psychotherapies / Annales Médico Psychologiques 163 (2005) 769–779 777

digme des dérives possibles de l'application des critères de [10] Davidson D. La mesure du mental (1992) In: Bilgrami A, Davidson
l'EBM, ainsi que de ses méprises subséquentes, à un domaine D, Engel P. Lire Davidson. Paris : L'Éclat ; 1994. p. 31–49.
[11] Dazord A. Évaluation des effets des psychothérapies. Paris : Elsevier.
de l'activité psychiatrique et des pratiques de soins pour
Encycl. Med. Chir. Psychiatr., 37–802–A–10,1997,7 p.
lesquels ils ne sont pas tout à fait adéquats. Cependant, les [12] Dongier M. Evidence-based Psychiatry: the pros and cons. C,
enjeux que recèle le rapport déploient une toute autre inten- J. Psychiatry 2001; 46: 394–5.
tionnalité. En effet, la seule évocation des biais méthodolo- [13] Duruz N, Lob R. I. Qu'est-ce que la psychothérapie ?.
giques ne peut masquer la partialité de son objectif : Psychothérapies 1996 ; 16 : 171–80.
omission des études non conformes au dogme préétabli, [14] Duruz N, Lob R : II. Psychothérapeutes : analyse de trois
présupposés. Psychothérapies, 1997 ; 17 : 67–77.
choix des études primaires non représentatives de la pratique
[15] Fonagy P. An Open Door Review of Outcome Studies in Psychoanalysis;
psychothérapique courante, une technique statistique biaisée Londres: Ed IPA; 2001. Résumé et trad. fr. J.-M. Thurin : disponible en
par le manque de puissance statistique de l'approche qu'on a format électronique in http://www.techniques-psychotherapiques.org/
souhaité comparer, la négligence de l'hétérogénéité des ob- Documentation/Psychanalyse/OpDres.
jectifs des diverses approches confondant efficacité sympto- [16] Geddes J, Carney S. Recent Advances in Evidence-based Psychiatry.
matique à très court terme avec efficience globale réelle sur Can. J. Psychiatr. 2001 ; 46 : 403–6.
[17] Gelenberg A. Honouring our evidence base. J. Clin. Psychiatr. 2004 ;
la personnalité. Or, les résultats de l'évaluation comparative 65 : 750–1.
s'appuient sur un procédé tautologique conçu pour entériner [18] Gerin P, Dazord A, Sali A. Psychothérapies et changements. Paris :
ce à quoi le rapport était destiné. Une méthodologie moins PUF ; 1991.
opiniâtrement orthodoxe et plus appropriée à son objet aurait [19] Gil F. La preuve. In: D. Lecourt D éd. Dictionnaire d'histoire et
produit des conclusions plus réservées et des recommanda- philosophie des sciences. Paris : PUF ; 1999. p. 755–9.
tions nuancées. Ainsi, ses résultats explicites sont déducti- [20] Granger GG. La vérification. Paris : Odile Jacob ; 1991.
[21] Gori R. La destitution de la preuve par la parole dans les sciences
bles des prémisses générales mandatées dès le départ de la
modernes. In: Gori R, Hoffmann C : La science au risque de la
mission. Ce rapport, tel un coup de semonce asséné aux pra- psychanalyse. Paris : Érès ; 1999. p. 285–318.
ticiens, a donc bien le mérite d'exister. Pourtant, dans le con- [22] Guelfi JD, Dreyfus JF, Pull CB. Les essais thérapeutiques en
texte français sonnant le glas d'une coexistence sereine entre psychiatrie : méthodologie, éthique et législation. CPLF Rapport de
divers paradigmes cliniques, il a provoqué une action délé- Thérapeutique. Paris: Masson; 1978.
tère dans le champ professionnel. L'orientation proposée par [23] Guelfi JD. Psychiatres et psychanalystes d'aujourd'hui, Topique
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le rapport Inserm nous conduira vers une psychothérapie
[24] Guelfi JD. Sémiologie et échelles d'évaluation en psychiatre de
calculée au rabais, non pas sous couvert d'objectivité scien- l'adulte. L'Évolution psychiatrique 1983 ; 48 : 486–505.
tifique ni d'efficience réelle, mais sous les uniques auspices [25] Hayat M. Les enjeux philosophiques de l'évaluation en psychiatrie.
du rendement économique d'une psychiatrie, également cal- Psychiatr. française 2001 ; 2 : 58–81.
culée au rabais. La réelle défense psychiatrique de la qualité [26] Hillard R. Single-case methodology in psychotherapy process and
des soins psychothérapiques passera par une démarche véri- outcome research. J. Consult. Clin. Psychol. 1993 ; 61 : 373–80.
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Br. J. Psychiatr. 2000 ; 177 : 123–30. sont des modes de traitement. Il est donc légitime, quelles que
[38] Odier B. La psychiatrie à l'épreuve du scientisme. Inf. psychiatrique soient les difficultés, de chercher à en évaluer les effets. La psycha-
2004 ; 80 : 557–65.
nalyse est par définition une analyse, non une thérapie ; elle vise le
[39] Perron R, Brusset B, Baruch C, Cupa D, Emmanuelli M. Quelques
remarques méthodologiques à propos du rapport Inserm, 2004 19 mai.
sujet, non les symptômes et par conséquent elle est impossible à
Disponible en format électronique in http://www.techniques- soumettre à l'évaluation.
psychotherapiques.org Dr Feugère-Engel – L'évaluation en psychothérapie analytique
[40] Popper K. La démarcation entre la science et la métaphysique. In: est nécessaire : en psychothérapie analytique des enfants, il existe
Conjectures and réfutations, Londres: Routledge and Kegan Paul; des outils, mais il y a des difficultés à les faire valider.
1963. traduction française, Conjectures et réfutations. Paris : Payot ; Il y a la nécessité de maintenir le champ de la psychothérapie
1985. p. 373–429. analytique en psychiatrie de l'adulte et de l'enfant afin que les pa-
[41] Quine WV. Pursuit of Truth. Harvard University Press; 1990. trad. fr. tients puissent bénéficier de ces soins et que les pouvoirs publics
La Poursuite de la vérité. Paris : Seuil ; 1993.
respectent et reconnaissent leur exercice et leur remboursement
[42] Raine R, Sanderson C, Hutchings A, Carter S, Larkin K, Black N. An
pour certaines interventions, notamment auprès des enfants.
experimental study of determinants of group judgements in clinical
guideline development. Lancet 2004 ; 364 : 429–37. Dr Veyrat – Cette notion de « psychothérapie-placebo » me
[43] Rappard E. Évaluation des psychothérapies. In: Widlöcher D, laisse assez perplexe. Vous dites que le « faux » psychothérapeute
Braconnier A. Psychanalyse et psychothérapies. Paris : Flammarion ; n'y fait que le minimum d'interventions (ce qui n'est pas très diffé-
1996 : 245–55. rent d'un « vrai » psychanalyste), et en tout cas pas d'intervention à
[44] Sacket DL, Rosenberg W, Gray J et al. Evidence-based medicine: visée thérapeutique ; mais :
what it is and what it isn't. Br. Med. J. 1996 ; 312 : 71–2. z le but d'une psychanalyse n'est pas à proprement parler théra-
[45] Sandell R, Blomberg A, Lazar A, Schubert J, Carlson J, Broberg J. peutique, la guérison ne survenant que « par surcroît »,
Varieties of long term outcome among patients in psychoanalysis and
comme le rappelait le Pr Laxenaire ;
long term psychotherapy. Int. J. Psychoanal. 2000 ; 81 : 921–42.
z et même avec cette précaution d'utilisation, il y a tout de
[46] Schachter J, Luborsky L. Who's afraid of psychoanalytical research?
Int. J. Psychoanal. 1998 ; 79 : 965–9. même, nécessairement, une relation qui peut, par l'effet simple
[47] Schepens Ph. Le rapport de l'Inserm sur les psychothérapies : du transfert et du contre-transfert, avoir un effet thérapeutique,
quelques points d'analyse. Cliniques méditerranéennes 2005 ; 71 : comme on a pu le voir dans le récent film de Patrick Leconte,
71–87. « Confidences trop intimes », montrant une patiente qui se
[48] Shulman D. Psychoanalysis and the quantitative research tradition. trompe de porte et se confie à un conseiller fiscal qui, sidéré,
Psychoanal. Rev. 1990 ; 77 : 245–61. reste muet, sans la détromper…
[49] Swendsen J, Blatier C. Psychopathologie et modèles Réponse du Rapporteur. Au Pr Laxenaire – Tout d'abord, je
cognitivo-comportementaux. Grenoble: Presses Universitaires de tiens à tous vous remercier de l'écoute attentive et bienveillante de
Grenoble; 1996.
mon exposé. Je vous remercie, Pr Laxenaire, de cette question qui
[50] Thurin JM. Expertise collective Inserm sur les psychothérapies,
contexte, déroulement, enseignements et perspectives. Cliniques
mérite d'amples développements. Certes, bien que certains psy-
méditerranéennes 2005 ; 71 : 19–40. chanalystes ne définissent leurs pratiques que de manière restric-
[51] Thurin JM. Évaluation des psychothérapies psychodynamiques. Que tive, s'autoexcluant du champ des psychothérapies et donc des
trouve-t-on dans la littérature ? Disponible in: 2004 http:// préoccupations de soins en santé mentale, cette position ne paraît
www.techniques-psychotherapiques.org pas être celle de la majorité des cliniciens. Sous le signifiant psy-
[52] Thurin JM. La démarche EBM en psychiatrie et santé mentale. In chanalyse, parlons-nous tous de la même chose ? Il serait toujours
Pour la Recherche ; Fed. Fr. Psychiatr. 2004, no 41. nécessaire de cerner la complexité de ce qu'on désigne sous ce ter-
[53] Vaughan SC, Marshall R, Mackinnon R et al. Can we do me synthétique.
psychoanalytic outcome research? A feasibility study. Int. J.
Pour ma part, je pense que la séparation entre la psychanalyse
Psychoanal. 2000 ; 81 : 513–27.
et les psychothérapies, bien qu'elle existe, n'est pas radicale et
[54] Waldron S. How can study the efficacy of psychoanalysis;
Psychoanal. Quart 1997 ; 66 : 283–322. dans bien des cas, les critères de différenciation rendent la distinc-
[55] Wallerstein R. Forty-two lives in treatment. A study of tion indécidable. Freud évoquait déjà l'alliage de l'or de la psycha-
psychoanalysis and psychotherapy. New York: Guilford Press; 1986. nalyse et du cuivre des psychothérapies. Comment qualifier sinon
[56] Widlöcher D. Le cas au singulier. Nouv. Rev. Psychanal. 1990; 42: les psychothérapies actives ou intensives, celles dites de référence
285–302. ou d'inspiration psychanalytique ou les psychanalyses avec cadre
[57] Widlöcher D. Place de la psychanalyse parmi les traitements des aménagé ? Les psychothérapies psychanalytiques existent donc
troubles mentaux. Paris: Doin; 1996. bien.
[58] Williams DR, Garner J. The case against "the evidence": a different Il serait encore plus difficile de cliver radicalement le sujet de
perspective on evidence-based medicine. Br. J. Psychiatr. 2002 ; 180 :
ses symptômes. En tant que sujet, on ne se sépare pas de ses symp-
8–12.
tômes comme on ôterait son chapeau d'un portemanteau. Chacun
[59] Zarin D, Young J, West J. Challenges to evidence-based medicine: a
comparison of patients and treatments in a practice research network. sait que la mise entre parenthèses du symptôme est considérée dans
Soc. Psychiatr. Epidemiol. 2005; 40: 27–35. cette conception psychopathologique, en rapport à la formation des
symptômes par le sujet. Quant au rôle de la personnalité, il est exact
que les buts d'en modifier les défenses sont ambitieux et difficiles.
Discussion L'évaluation en psychanalyse est, mutatis mutandis, possible
mais plus comme un processus de changement que de « guérison »
Pr Laxenaire – J'ai trouvé cet exposé passionnant et il m'incite médicale, avec des critères qui ne sont pas médicalisables.
à vous demander ce que vous penseriez d'une séparation radicale D'ailleurs, les psychothérapies ne constituent pas non plus un trai-
Évaluation des psychotherapies / Annales Médico Psychologiques 163 (2005) 769–779 779

tement médical, mais des actions psychologiques pratiquées par cessairement raccourcies, de l'autre. Bref, une extension de la frac-
des médecins. ture sociale sur le plan psychothérapique. Les enjeux sont donc
Je reformulerai votre question pour ceux qui croient bien faire bien plus sérieux que des disputes du marché des psychothérapies
en séparant radicalement du champ du soin cet ensemble hétéro- par des écoles rivales ou qu'un règlement de compte corporatiste.
gène et multiple que l'on désigne sous le terme de pratiques Au Dr Veyrat – C'est une question difficile mais très intéressante.
psychanalytiques : avons-nous bien compris qu'il ne s'agit pas de Le cinéma et le public mal informé véhiculent souvent des projec-
la causerie de luxe dans les beaux quartiers, réservée aux gens for- tions de fantasmes divers. Certainement, l'expérience glaçante et
tunés, qu'on est en train d'exclure des soins psychiatriques et du inoubliable de la figure du psychanalyste marmoréen est mythique.
champ de la santé mentale ? Or, ce qu'on vise par une pseudoéva- Par extension, ainsi, les approches psychanalytiques, en général,
luation risque de fait de priver de très larges populations de pa- font l'objet de caricatures faciles, de même d'ailleurs que toutes les
tients de l'accès aux soins psychothérapeutiques de qualité et de psychothérapies pourraient aussi être tournées en dérision.
durée efficace. Afin de dépasser cette querelle mutuellement dis-
qualifiante et en respectant les sensibilités de chacun, on pourra La discussion qui nous intéresse ne concerne que les psychothé-
peut-être un jour nommer ces thérapies de manière moins rapies dites de bona fide. La distinction entre le « vrai » et le
polémique : psychothérapies intégratives ou peut-être psychana- « faux » introduit ici une confusion malicieuse. Nous sommes d'ac-
lytico-cognitives ; nous pourrions alors mieux préserver toutes les cord qu'au musée, regarder un tableau de maître en appliquant la
formes de psychothérapie. psychanalyse n'est pas une thérapeutique. Tandis qu'une « vraie »
Au Dr Feugère-Engel – Oui, je suis tout à fait d'accord avec psychothérapie psychanalytique est thérapeutique car c'est son but,
vous. Le risque est de voir sortir les psychothérapies psychanalyti- de surcroît. En psychiatrie également, il conviendrait de ne pas con-
ques du champ des soins remboursables. Ces prises en charge qui fondre le soin aux patients et la guérison des maladies.
constituent la majorité des actes psychothérapies effectuées en Quant au transfert et contre-transfert, il est bien évident que le
France, concernent des centaines de milliers de patients, enfants et comportementaliste n'en veut rien savoir. Il ne reste pas moins vrai
adultes. Je me demande si nous avons assez pris conscience que ce que pour le premier terme, il en bénéficie tout autant que le
qui s'annonce derrière l'idéologie de la performance, c'est la sépa- psychanalyste ; et pour le second il l'agit à son insu, pour le meilleur
ration radicale des psychothérapies : des thérapies au long cours et pour le pire, convaincu d'être le « Sujet supposé savoir »… et
pour les privilégiés, d'un côté, et des thérapies pour les pauvres, né- l'allié de la « Science », de surcroît…

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