Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
LE MUST HORS-SÉRIE
PRINTEMPS
PRINTEMPS 2017
2017
| HORS-SÉRIE N°4
du
MARKETING
12 enseignements
MARKETING | PRINTEMPS 2017
M 08178 - 4H - F: 20,00 E - RD
3’:HIKSLH=]WUUUY:?k@a@k@e@f";
BEL : 20 € – CH : 29 CHF - Can : 29.99 CAD – ESP : 20 € - LUX : 20 € - PORT. CONT : 20 € - DOM : Avion: 20 € - Maroc : 215 DH – Tunisie : 44 TND – Zone CFA Avion : 12 900 XAF
F ondé en 1966, PERIAL exerce son expertise sur l’ensemble de la chaîne
de production de valeur de l’immobilier. En toute indépendance, nous
mettons donc notre savoir-faire au service de nos clients, en leur proposant
des solutions d’épargne immobilière innovantes et performantes.
Ce que nos SCPI offrent en plus n’a pas de prix : une performance durable,
optimisée chaque jour par plus d’un demi-siècle d’expérience.
ÉRIC COSSERAT
PRÉSIDENT DE PERIAL
Les performances passées des SCPI ne préjugent pas de leurs performances futures. Un
investissement dans nos SCPI est un investissement immobilier sur le long terme, avec une
liquidité limitée et dont le capital et les rendements ne sont pas garantis et peuvent varier à la
baisse comme à la hausse.
* Distribution sur Valeur de Marché. Il correspond à la division : du dividende brut avant prélèvement
libératoire versé pour l’année n par le prix de la part acquéreur moyen de l’année n.
M
arketing Myopia » (« La devez vous demander : ‘‘Dans quel busi-
Myopie du marketing ») ness sommes-nous vraiment ?’’ »
est un texte fondateur D’où l’importance de ce numéro théma-
de la pensée de nom- tique. Nous avons réuni des spécialistes du
breux c adres et diri- monde académique, du conseil et de
geants. Ecrit par Theodore Levitt en 1960 l’entreprise dont beaucoup ont été pétris par
(et republié en 2004), cet article de ce l’enseignement de Levitt qui suggérait de
célèbre professeur de la Harvard Busi-
penser différemment. Nous vous proposons
ness School – qui fut aussi rédacteur en
le fruit de leurs plus récentes recherches
chef de Harvard Business Review de 1985
menées sur le marketing. Bien sûr, la
à 1989 – a marqué de son sceau la manière
dimension digitale qui n’existait pas en
de voir le client. Pour Levitt, les entre-
prises passent trop de temps à produire 1960 est aujourd’hui fondamentale, qu’il
des produits et des services, et pas assez à s’agisse de vendre ses produits via une
comprendre ce que veulent les clients et plateforme, de créer un parcours client
ce dont ils ont besoin. irréprochable ou de chercher – justement – à
On pourrait penser que les firmes ont toujours mieux connaître ses clients grâce à
changé de paradigme. Eh bien, apparem- la puissance d’analyse du big data… à condi-
ment, non. Cette myopie frappe toujours, tion de faire preuve de discernement.
hélas, de nombreuses organisations, les Lors du dernier Peter Drucker Forum, à
menant droit dans le mur plus souvent qu’à Vienne (Autriche), Clayton Christensen, un
leur tour. Selon certaines recherches, le autre maître de la Harvard Business School,
pourcentage de nouveaux produits qui a raconté cette histoire : « Un homme arrive
échouent varie de 75 à 95% ! Beaucoup de au paradis et demande à son guide céleste :
temps, d’énergie et d’argent sont donc ‘‘Pourquoi n’y a-t-il pas de data ici ?’’ “Parce
gaspillés dans des lancements qui ne pas- que la data ment !’’ répond son guide. » Et
seront pas le cap d’une année. En 2017, la
c’est pourquoi, quand on lui demande « Où
pensée de Theodore Levitt (décédé en
est la data ? », le professeur Christensen
2006) a donc toujours autant de pertinence.
répond : « Allez en enfer ! »
Comme il le disait, non sans humour, à ses
Savourez donc les 12 enseignements
étudiants : «Les gens ne veulent pas une
que nous vous proposons dans ce numéro
mèche de 8 mm, ils veulent un trou de
8 mm. » En d’autres termes, il faut passer « Le Must du marketing », pour séduire
d’une vision orientée production à une vi- vos clients et affiner votre stratégie, mais
sion orientée client. Levitt martelait aux gardez toujours à l’œil que même à l’ère
dirigeants qu’il voulait guérir de cette du digital, plus important que les algo-
myopie : « Vous êtes dans le business parce rithmes et la data, il faut se focaliser sur
que vous avez un consommateur. Vous les vrais besoins du client.
Ce magazine «�Le Must�» est le quatrième de notre collection. Vous lui avez réservé un accueil exceptionnel depuis son lancement,
à l’automne 2015. Soucieux des besoins de nos lecteurs et de nos acheteurs, nous voudrions connaître votre avis.
Vous trouverez un questionnaire de satisfaction en page 109�; nous vous remercions de prendre quelques instants pour y répondre.
18 VOULEZ�VOUS
VRAIMENT
RESSEMBLER À EBAY�? 58 LA VÉRITÉ SUR L’EXPÉRIENCE CLIENT
Les sociétés s’attachent aux interactions
Structurer votre business avec le client avant, pendant et après l’achat,
comme une place de marché mais c’est le parcours client dans son intégralité
peut sembler attrayant, qui compte vraiment.
mais s’avère souvent risqué. Par Alex Rawson, Ewan Duncan
Par Andrei Hagiu et Julian Wright et Conor Jones
26 STRATÉGIE DE
MARQUE�: UNE
CARTOGRAPHIE PLUS EFFICACE 68 PARCOURS CLIENT�:
FAIRE MIEUX QUE
Ou comment cultiver la spécificité SES CONCURENTS
de sa marque tout en étant un Les outils numériques ont donné
leader central dans sa catégorie. le pouvoir aux consommateurs.
Par Niraj Dawar Les entreprises doivent reprendre
et Charan K. Bagga la main de façon proactive en
utilisant notamment les nouvelles
technologies.
Par David C. Edelman
et Marc Singer
36
SOCIAUX
LE BRANDING À
L’HEURE DES RÉSEAUX
130
Voici quatre leviers pour accroître cette certitude.
Par Zakary L. Tormala et Derek D. Rucker
LE TRAVAIL D’UNE VIE�
Le designer Marc Newson a tout
110 L’EXPÉRIENCE
HUMAINE,
NOUVEAU LEVIER DE LA
d’abord étudié la joaillerie dans
son Australie natale, avant de
concevoir de nombreux produits
PUBLICITÉ pour des marques prestigieuses,
Dans un monde saturé comme Qantas ou Dom Pérignon.
d’informations, les publicitaires Cet «�artisan nomade�» travaille
doivent se concentrer sur le lieu désormais à mi-temps pour Apple,
et le moment où le consommateur sous la direction de Jony Ive.
sera réceptif, en agissant sur Interview�: James de Vries
la bonne sphère d’influence.
Par Jeffrey F. Rayport
ÉDITION FRANÇAISE Assistante commerciale Corinne Prod’homme (64 50) La plupart des articles de HBR édition française ont déjà été
Rédacteur en chef Gabriel Joseph-Dezaize (48 27) MARKETING ET DIFFUSION publiés par Harvard Business Review. © 2017, Harvard Business
Chef de service et responsable du site Hbrfrance.fr Directeur marketing client Laurent Grolée (60 25) School Publishing Corporation. Tous droits réservés.
Caroline Montaigne (48 36) Directeur commercialisation réseau Serge Hayek (64 71) Hors-série n°�� - Printemps ����
Rédactrice spécialisée Charlotte Laurent (47 43) Directeur des ventes Bruno Recurt (56 76) Imprimé en Pologne �: RR Donnelley, ul. Obr. Modlina 11,
Rédactrice Hélène Fargues (48 36)
Directeur artistique Frank Sérac (45 93) Directeur de la publication Rolf Heinz 30-733 Krak�w, Poland. © PrismaMedia 2013.
Chef de studio Nathalie Moritz (45 16) Directrice exécutive Pôle Premium Gwendoline Michaelis Dépôt légal�: avril 2017. Diffusion�: Presstalis - ISSN�: 2267-4284.
1re SR Stéphanie Labruguière (53 91) Directrice marketing et business development Date de création�: janvier 2014.
Réviseur Michel Wechsler Dorothée Fluckiger (68 76) Commission paritaire�: 1014 K 85861.
Traduction Philippe Bonnet, Sylvie Froschl, Lyse Leroy, Chef de marque Katarina Dear (50 78)
Etienne Leyris, Amélie Rousseaux,Emmanuelle Serrano Assistante Valérie Boudon (61 12)
Fabrication Jean-Bernard Domin (49 50), Eric Zuddas (49 51) ABONNEMENTS HBR France, 62066, Arras Cedex 9,
Secrétariat Béatrice Boston (48 01), Dounia Hadri (48 53) 13, rue Henri-Barbusse, 92624 Gennevilliers Cedex. Tél.�: 01 73 05
Comptabilité Laurence Tronchet (45 58) 0 811 23 22 21 0,06 € / min 45 45. Internet�: www.prismamedia.com. Société en nom collectif
ou www.prismashop.hbrfrance.fr. au capital de 3 000 000 d’euros ayant pour gérant Gruner und
PUBLICITÉ Abonnement�: 1 an (6 numéros + accès à hbrfrance.fr)�: 107,40 �€. Jahr Communication GmbH. Ses trois principaux associés sont�:
Directeur exécutif Prisma Media Solutions� Dom-Tom, étranger�: 00 331 70 99 29 52. Média Communication SAS, Gruner und Jahr Communication
Philipp Schmidt (51 88) GmbH et France Constanze-Verlag GmbH & Co. La reproduction
Directrice exécutive adjointe Anouk Kool (49 49) RÉDACTEUR EN CHEF, GROUPE HBR
même partielle de tout matériel publié dans le magazine est
Directeur délégué PMS Premium Thierry Dauré (64 49) Adi Ignatius
Brand solutions director Camille Habra (64 53) Rédactrice en chef et responsable des éditions mondiales strictement interdite. Pour joindre un contact, composer le 01 73
Account director Nicolas Serot Almeras (64 57) HBR Amy Bernstein 05 suivi des 4 chiffres du poste.
Senior account managers� Frédérique Anceau (64 06), Directeur de la création, groupe HBR James de Vries Provenance du
Charles Rateau (45 51) Correspondant HBR, Paris David Champion papier�: Finlande
Luxe et automobile Brand solutions director Dominique Chef du secrétariat de rédaction Christine Wilder Taux de fibres
Bellanger (45 28) Editeur, groupe HBR Joshua Macht recyclées�: 0 %
Trading manager� Alice Antunes (46 59) Directeur (finance, opérations) Edward Crowley Eutrophisation�: Ptot
Planning manager� Rachel Eyango (46 39) Directeur (services analytiques) Alex Clemente 0 Kg/To de papier
qui veulent créer leur propre Selon lui, les entreprises ont professionnels du marketing
dépensé des milliards de dollars – en donnant des exemples dans
plateforme. « Structurer votre dans la production de contenu sur les secteurs de l’automobile
business comme une place de les réseaux sociaux dans l’espoir et de la bière – pour cultiver
de mobiliser les clients autour
marché peut sembler attrayant, de leurs marques… en pure perte.
la spécificité de leurs marques
tout en leur garantissant
mais c’est souvent le meilleur Il propose un modèle alternatif une position centrale de leader
moyen pour échouer », préviennent pour séduire les consommateurs, dans leur catégorie.
qu’il nomme le «�branding
les deux chercheurs. Et ils donnent culturel�». Et il illustre ses propos
des méthodes pour y remédier. avec le whisky Jack Daniel’s.
Au cours des dernières années, on a pu voir d’esprit pour toutes les personnes concernées ainsi
nombre de professionnels du marketing tenter qu’un engagement commun dans la réflexion rela-
avec courage de s’attaquer à ces défis. Mais la plu- tive aux prises de décision et à la réalisation des
part d’entre eux voient leurs efforts contrariés par missions. Il est évident que certaines entreprises
des contraintes d’ordre structurel ou des limites en réalisent ainsi qu’il leur faut également envisager
termes de capacités. Les barrières organisation- des changements organisationnels. Néanmoins, la
nelles empêchent une circulation fluide des priori- perspective décisionnelle les aide à établir une
tés stratégiques, à tel point que le marketing et les base plus solide pour construire d’éventuelles res-
ventes se retrouvent parfois en conflit. Les compé- tructurations tout en fournissant une dynamique
tences dont les marketeurs ont besoin se trouvent qui leur permet d’avancer dans l’intervalle.
dans d’autres fonctions, par exemple au sein du Généralement, trois grandes catégories de déci-
service informatique ou dans des groupes d’ana- sions relatives au marketing concernent des inter-
lyse centralisés. sections au sein de l’organisation :
L’écart entre les aspirations des professionnels Les décisions de stratégie et de plani�ication
du marketing et ce que leurs entreprises sont en impliquent d’aligner les objectifs marketing sur les
mesure d’accomplir montre la nécessité pressante stratégies relatives à l’activité et aux clients, mais
de revoir l’approche marketing. Mais par où com- aussi d’aligner les priorités du marketing et celles
mencer ? Récemment, des entreprises de renom de ventes. Ces décisions amènent habituellement
ont développé une démarche innovante qui se les questions suivantes :
concentre sur les intersections entre le marketing ► Sur quel segment client et sur quelles lignes
et les autres fonctions avec lesquelles il interagit de produits notre marketing devrait-il se
– les différents postes de haute direction, l’infor- concentrer ?
matique, les ventes, la finance, etc. C’est à ces in- ► Quel serait le niveau de dépenses optimal et
tersections que la communication est le plus sou- comment ventiler celles-ci entre les divers vecteurs
vent interrompue et que les processus s’enrayent. et canaux ?
Pour ne rien arranger, les frontières entre les fonc- ► Quel programme d’études et de tests met-on
tions elles-mêmes sont de plus en plus floues, cer- en place ?
taines missions se déplaçant de l’une à l’autre. Les Les décisions de mise en œuvre, qui incombent
entreprises avant-gardistes mettent en place des traditionnellement aux marketeurs, sont plus ar-
organisations marketing d’un genre nouveau, plus dues que par le passé. La prolifération de nouveaux
interactives et partic ipatives, où les silos vecteurs marketing et de technologies numériques
s’estompent, où le marketing se trouve revalorisé a complexifié la problématique de la création et de
et son efficacité renforcée. la diffusion des messages, mais aussi des offres,
dans un environnement où une rapidité d’exécu-
Une perspective décisionnelle tion et une pression budgétaire exacerbées sont
Les équipes de direction, conscientes des barrières devenues la norme. Ces décisions amènent les
présentes dans l’organisation, tentent souvent de questions suivantes :
redessiner les cadres et les lignes de leurs organi- ► Quelles caractéristiques produit devrions-
grammes. Mais on arrive, dans le meilleur des cas, nous mettre en avant dans nos initiatives
à des solutions incomplètes, car cela risque surtout marketing ?
de créer d’autres silos. Comme l’ont découvert les ► Quels outils de motivation devrions-nous of-
pionniers du marketing, il s’avère plus productif frir aux clients pour les inciter à essayer ou à ache-
d’adopter une approche dans laquelle on identifie ter les produits et services que nous proposons ?
les décisions capitales qui entrent en jeu dans les ► Quel est le bon mix entre les vecteurs marke-
succès marketing des produits ou des services de ting traditionnels et ceux issus de l’ère numérique ?
l’entreprise, puis de se concentrer sur l’améliora- Les décisions opérationnelles et d’infrastructure
tion de l’efficacité de ces prises de décision. couvrent toutes les nouvelles capacités dont l’im-
En fait, les dirigeants de ces structures injectent portance ne cesse de croître au sein du marketing.
plus de méthodologie dans le processus de prise de Elles induisent plusieurs interrogations :
décision – en clarifiant le rôle du marketing et des ► Comment évaluer, acquérir et gérer les nou-
autres fonctions utiles et en définissant les critères velles technologies et outils marketing ?
de décision. Cette approche n’a rien de particuliè- ► Comment trouver le bon équilibre entre mar-
rement complexe, mais elle requiert un nouvel état keting numérique et marketing traditionnel ?
Guide pratique pour exploiter étant de définir le « quoi, qui, comment et quand »
les intersections du nouveau processus à mettre en place.
Comment le marketing devrait-il revoir les proces- ► Définir le « quoi » – quel est, exactement, l’objet
sus de décision à la croisée de ces fonctions ? Pre- de la décision – impliquait de garantir un accord sur
nons l’exemple d’une entreprise mondiale dans le la portée du processus d’attribution ainsi que sur les
secteur des services financiers, qui avait des diffi- princ ipes directeurs qui guideraient cette
cultés à répartir son budget marketing entre ses attribution.
différentes lignes de produits. Etant donné la na- ► Préciser le « qui » signifiait identifier la tâche
ture strictement compétitive d’un tel exercice et les spécifique de quelqu’un et s’accorder sur son rôle
objectifs naturellement contradictoires des parties dans la prise de décision, à savoir qui rédigerait la
prenantes, il s’agissait d’une question particulière- recommandation, qui fournirait les observations,
ment épineuse. qui prendrait effectivement la décision, etc. (un
L’entreprise transforma le processus de décision exemple de méthode de distribution des rôles est
à partir d’une approche en trois étapes : elle réalisa présenté dans l’encadré « Décider comment
une radiographie des décisions, puis une remise à décider »).
plat des prises de décision, et ensuite une mise en ► Etablir le « comment et quand » signifiait s’ac-
application du nouveau processus. corder sur une méthodologie et des critères d’attri-
Une radiographie des décisions permet de dia- bution, sur les données requises pour les participants
gnostiquer la manière dont les décisions sont prises et sur le timing de la décision.
à un moment donné. Dans le cas présent, l’équipe Cette révision nécessitait un investissement en
a commencé par recueillir les observations des temps conséquent et un tact considérable, car les
principaux interlocuteurs concernés par la déci- changements discutés touchaient des points sen-
sion d’attribution budgétaire, via des entretiens et sibles. La définition des rôles, en particulier, appelait
des questionnaires. un certain nombre de délibérations avant que les
L’équipe a ensuite établi un schéma détaillé du participants ne trouvent un accord. Mais le jeu en
processus de décision, puis organisé un atelier ras- valait la chandelle, car le nouveau processus était à
semblant les participants afin de discuter des ob- la fois plus structuré et plus efficace et, détail crucial,
servations recueillies. Un certain nombre de pro- avait d’ores et déjà obtenu l’adhésion des différentes
blèmes se sont détachés : les rôles étaient opaques fonctions participant à la décision.
– les personnes avaient ainsi des perceptions va- Dans l’étape finale, l’entreprise pilota la mise en
riées non seulement sur le décisionnaire effectif, place du processus au cours de la révision du budget
mais aussi sur les personnes chargées de recom- prévisionnel du trimestre suivant, en examinant les
mander les attributions. Le processus de décision étapes du processus et les rôles de chacun dans la
manquait d’une ossature de base, qu’il s’agisse décision, et en évaluant le résultat en termes d’af-
d’une méthodologie cohérente, de critères d’éva- fectation du budget. Tout ne se passa pas comme
luation des attributions ou d’une direction expli- prévu, mais les membres de l’équipe furent en me-
cite quant à la collecte des données nécessaires. sure de modifier les procédures et les rôles. Puis ils
Les réunions finissaient souvent sans conclusion lancèrent l’application du processus remanié dans le
ou sans accord clair concernant les étapes sui- cadre du cycle budgétaire de l’année suivante. Au-
vantes. Il n’était donc pas très surprenant de jourd’hui, l’affectation du budget marketing de l’en-
constater que tant la qualité que la rapidité de cette treprise correspond bien plus à la stratégie de son
décision étaient perçues comme décevantes. activité. De plus, la définition des rôles au préalable
Une remise à plat de la prise de décision implique a considérablement accéléré la prise de décision.
la transformation du processus afin d’en améliorer Cette approche en trois étapes peut être appli-
l’ef�icacité. Dans notre exemple, l’équipe a lancé quée à un vaste éventail de décisions marketing si-
cette étape en créant un groupe de travail composé tuées à la croisée des fonctions. Pour preuve, pen-
de cadres dirigeants concernés par la décision chons-nous maintenant sur trois schémas de
d’attribution et représentant le marketing, la �i- coopération cruciaux : le marketing et la stratégie, le
nance et les divisions en question. Le cadre du marketing et les ventes et, enfin, le marketing, l’in-
marketing, dont le directeur marketing était le su- formatique et l’analyse.
périeur direct, présidait le groupe. Marketing et stratégie. Dans de nombreuses
Dans une série de trois ateliers, le groupe exa- entreprises, le marketing se concentre essentielle-
mina tous les éléments de la décision, la mission ment sur la plani�ication tactique et sa mise en
IEN S/
OD ON
UÉ S
ÉA ING
N
L
TS
IQ ON
UIT
ES
CL NTE
MI
RA
PR STI
CE KET
CR ET
PL TI
OR
RK
R
NF
MA
MA
bonnes décisions.
CO
F
TIO
pour un atelier destiné à s’accorder sur les pouvoirs systèmes de l’entreprise afin de trouver ou d’élabo-
de décision à un haut niveau pour les groupes de rer ce dont ils avaient besoin, alors que le temps
marques, les fournisseurs, la stratégie médias, passé à cela aurait pu être consacré aux clients. Non
l’analyse clients, la création, etc. Ensuite, un groupe seulement c’était du gâchis, mais il en résultait des
de travail a modélisé le processus de réalisation supports dont l’apparence, le ton et la cohérence
d’un brief stratégique et évalué les pouvoirs de dé- pouvaient varier largement, sapant les
cision attribués en utilisant une initiative marketing investissements que l’entreprise consacrait par
réelle en tant que projet pilote. L’équipe s’est régu- ailleurs pour développer son image de marque.
lièrement retrouvée pour des ateliers destinés à Ici encore, la perspective décisionnelle s’est mon-
examiner ce qui fonctionnait ou pas dans le pilote trée utile. Dans un premier temps, les dirigeants ont
Le travail
et a effectué quelques ajustements avant d’en géné- redéfini la mission de l’organisation de la promotion
raliser l’approche. des ventes (ou des supports de vente), qui se trou-
Dans le cas de Target, les chefs de groupe sont
peut être vait sous la direction du responsable des ventes, et
fait plus
maintenant responsables de la création de chaque l’ont mandatée pour travailler de manière rappro-
brief, avec des points précis concernant la participa- chée avec le marketing. Puis ils ont établi explicite-
tion des fournisseurs, la stratégie médias et l’ana-
vite, avec ment les processus de décision et les pouvoirs asso-
beaucoup
lyse clients. Ils indiquent les décisions à prendre ciés. La promotion des ventes définirait les normes
lors de chaque réunion marketing, les personnes pour les supports de vente en fonction de sa
qui doivent y assister, celles à qui reviennent les
moins connaissance des besoins de chaque type de com-
d’allers et
pouvoirs pour chaque décision, et ce que l’on at- merciaux, comme les responsables de comptes, les
tend des participants. La cohérence, la clarté et la spécialistes et les responsables préventes. Le mar-
transparence dont chacun bénéficie grâce au brief
retours keting ébaucherait des modèles pour chaque sup-
entre les
stratégique permettent à l’équipe marketing pro- port en précisant bien la nature du contenu à
duits de Target de se rapprocher efficacement du incorporer, la décision finale appartenant à la pro-
merchandising afin d’établir les objectifs commer-
différentes motion des ventes. Le marketing superviserait éga-
parties.
ciaux de l’entreprise et sa stratégie marketing dans lement l’aspect de chaque support afin d’assurer sa
son ensemble. L’équipe peut également intégrer des cohérence avec la charte graphique de la marque.
savoir-faire marketing comme la stratégie créative Les équipes dédiées aux produits ont pris la respon-
ou le mix médias, afin d’assurer une planification et sabilité de fournir les informations concernant les
une mise en œuvre plus fluides de ses grandes ini- caractéristiques produits et les avantages de l’offre.
tiatives. Enfin, le travail peut être fait bien plus rapi- Les objectifs ainsi clarifiés et l’accès aux données
dement, avec beaucoup moins d’allers- retours nécessaires ouvert, les professionnels du marketing
entre les différentes parties concernées. ont pu créer des supports satisfaisants aussi bien du
Marketing et ventes. La dichotomie entre ces point de vue de la marque que de celui des ventes.
deux fonctions tient quasiment du cliché – elles tra- Aujourd’hui, les supports de vente répondent aux
vaillent chacune de leur côté, communiquant et besoins des commerciaux, assurés d’être à jour en
collaborant peu, voire pas du tout. Telle était la si- permanence, et reflètent la participation du service
tuation d’une entreprise mondiale du secteur des commercial. De plus, cela a libéré du temps aux com-
technologies il a y quelques années. Comme la plu- merciaux pour qu’ils le consacrent effectivement à la
part des entreprises opérant en B to B, elle dépend vente, avec des retombées financières évidentes.
fortement des compétences de sa force de vente On trouve un autre exemple dans le secteur des
pour conclure des contrats et assurer la croissance biens de consommation. Historiquement, les profes-
du chiffre d’affaires grâce à ses plus gros clients. Le sionnels du marketing de ce secteur se sont toujours
marketing a pour responsabilité de réaliser les cam- efforcés de développer leurs ventes grâce à un flux
pagnes de communication et de créer les supports continu de lancements de produits. Mais cela en-
de vente dont se serviront les commerciaux. Aupa- traîne un problème récurrent : la prolifération de pro-
ravant, malheureusement, il arrivait fréquemment duits a non seulement pour effet d’engorger les
que ces supports ne correspondent pas aux besoins rayons et de semer la confusion chez les consomma-
des commerciaux, et nombre d’entre eux modi- teurs, mais aussi d’augmenter la pression qui pèse sur
�iaient ce dont ils disposaient ou créaient leur les épaules des commerciaux, constamment forcés
propre matériel. Une étude interne révéla d’ailleurs d’attirer l’attention sur une offre nouvelle parmi tant
que ces derniers passaient en moyenne près d’un d’autres. De plus, les lancements de nouveaux pro-
jour par semaine à effectuer des recherches dans les duits ne reçoivent qu’un soutien peu enthousiaste
n très grand nombre d’entreprises qui jouent les intermédiaires entre acheteurs
et vendeurs sont confrontées à un choix stratégique fondamental : doivent-elles
être de simples revendeurs qui achètent pour revendre des biens ou des ser-
vices, comme le font les supermarchés ? Doivent-elles être des plateformes mul-
tifaces comme eBay et mettre en rapport des acheteurs avec des vendeurs sans
contrôler ou posséder en propre ce qui fait l’objet des transactions ? Ou doivent-
elles combiner ces deux modèles ?
La dernière décennie a vu fleurir une ribambelle de plateformes multifaces
(PMF). Une des causes de ce phénomène est sans nul doute le succès d’eBay, de
Rakuten et de Taobao, les homologues respectifs d’eBay au Japon et en Chine.
Autre fait expliquant ce phénomène, les plateformes ils passent par un gros revendeur plutôt que par
multifaces semblent financièrement plus attirantes une myriade de petits vendeurs. Le revendeur peut
que les e-commerçants, car ces places de marché capitaliser sur les économies d’échelle réalisées sur
prélèvent généralement un pourcentage sur chaque les achats, les investissements en infrastructures
transaction qui tombe presque directement dans (entrepôts et centres de distribution, par exemple),
leurs poches. Par conséquent, leurs coûts d’exploi- la livraison, le support client et ainsi de suite. Ce-
tation sont faibles et leurs marges élevées. Les re- pendant, ces avantages ne s’appliquent pas aux
vendeurs devant acheter puis vendre ce qui consti- produits « de longue traîne », pour lesquels il
tue leur offre, ils engrangent généralement des n’existe qu’une faible demande. C’est pourquoi
recettes plus élevées, mais leurs coûts d’exploita- Amazon revend les produits très demandés mais
tion et en capitaux sont également plus élevés et agit comme une plateforme multiface pour les pro-
leurs marges plus faibles. Les atouts des plate- duits de longue traîne, qui sont disponibles sur son
formes multifaces ont poussé de nombreuses en- site via des vendeurs indépendants.
treprises, petites et grandes, à adopter ce modèle, Effets d’agrégation. Certains produits et ser-
dans des contextes où celui du revendeur leur au- vices revêtent une valeur beaucoup plus élevée aux
rait donné de meilleures chances de succès. Toutes yeux des acheteurs quand ils sont achetés groupés
les tentatives menées par exemple depuis le début plutôt que séparément auprès de vendeurs indé-
des années 2000 pour créer une place de marché pendants. Dans ces cas-là, les revendeurs ont géné-
des brevets sur le modèle d’eBay ont été arrêtées, ralement plus de succès que les plateformes multi-
réorientées ou réduites et limitées à des services de Les produits faces, qui risquent même de ne pas être viables. Par
courtage ou de conseils en technologie. A ses dé- pour lesquels exemple, aux yeux des acheteurs ou des preneurs
buts en 1999, Zappos, l’e-commerçant de chaus- de licences potentiels, la plupart des brevets sur les
il existe une
sures américain, était une place de marché, mais, produits high-tech tels que les smartphones, pris
au milieu des années 2000, il s’est transformé en
forte demande seuls, ont peu de valeur, voire aucune, parce que
pur revendeur, stockant ses produits et prenant le se vendent les brevets individuels peuvent être contournés par
contrôle plein et entier des transactions avec les mieux quand une autre invention, contrés par des brevets
utilisateurs finaux. connexes ou invalidés par un tribunal. C’est l’une
ils passent
Que vous soyez le fondateur d’une start-up, le des principales raisons pour lesquelles les modèles
dirigeant d’une entreprise ayant pignon sur rue ou
par un gros de plateformes multifaces d’intermédiation sur des
bien encore un investisseur, cet article peut vous revendeur brevets (comme Ocean Tomo et ses enchères en
aider à déterminer quel modèle ou quelle combi- plutôt que par direct ou les places de marchés en ligne comme
naison de modèles est le ou la mieux adapté(e) à yet2 et Tynax) n’ont pas réussi à attirer grand
une myriade
vos besoins. monde. A l’opposé d’Intellectual Ventures et
Le choix par une entreprise d’un modèle situé
de petits d’autres agrégateurs de brevets, qui, eux, ont pros-
entre celui du pur revendeur et celui de la pure pla- vendeurs. péré en achetant les brevets, en les regroupant puis
teforme multiface est déterminé par le degré de en les vendant ou en les concédant « en gros » sous
contrôle qu’elle souhaite avoir sur les transactions licence. Les revendeurs sont également dans une
(voir l’encadré « Comment les entreprises utilisent bien meilleure position pour exploiter les relations
différents modèles de ventes »). Dans quelle me- complémentaires existant entre les produits.
sure l’intermédiaire contrôle-t-il le prix, la présen- Comme iTunes fonctionne surtout sur un modèle
tation des produits et les autres paramètres impac- de revente, Apple peut mettre en œuvre, grâce à la
tant l’acte d’achat ? Dans quelle mesure est-il combinaison iTunes-iPod, une politique de prix
responsable de l’exécution des commandes et de la dans laquelle « si l’on sacri�ie les lames, on vend
livraison des produits ? quand même le rasoir ». La société a fixé des prix
uniformes très bas pour la musique (99 cents ou
Choisir le bon modèle 1,29 dollar par chanson aux Etats-Unis) et a réalisé
Pour déterminer quel degré de contrôle sur les d’énormes marges sur les ventes d’iPod. Cette stra-
transactions entre acheteurs et vendeurs permettra tégie n’aurait pas fonctionné si iTunes avait été
à votre entreprise de créer une valeur plus impor- plus proche du modèle de la plateforme multiface,
tante ou de réaliser plus de pro�its, vous devez donnant aux maisons de disques le contrôle sur les
prendre en compte quatre facteurs. ventes de disques et sur les prix.
Effets d’échelle. Les produits pour lesquels il Pourquoi Apple n’a-t-il pas adopté la stratégie
existe une forte demande se vendent mieux quand du revendeur pour son App Store ? S’il n’y a qu’une
Les plateformes multifaces, ces places de marché qui permettent aux acheteurs et aux vendeurs
d’effectuer des transactions directement entre eux, ont émergé comme un business model puissant.
Mais l’essor prodigieux de places de marché comme eBay a poussé des entrepreneurs à les copier dans
des situations où ils auraient plutôt dû agir comme des revendeurs traditionnels, qui achètent puis
revendent des produits ou des services. S’en est suivie une vague de faillites et de restructurations.
poignée de maisons de disques puissantes, il y a pratiquent des marges plus élevées. Une fois en-
des milliers de développeurs d’applications. Par core, le contrôle des produits (et surtout de leur
conséquent, Apple aurait eu à supporter des coûts présentation et de leur prix) est nécessaire pour
exorbitants en essayant de négocier tous ces ac- atteindre cet objectif.
teurs, et n’aurait pas gagné grand-chose en prenant L’expérience client des acheteurs et des
le contrôle des ventes d’applications : la concur- vendeurs. Les plateformes multifaces créent
rence féroce que se livrent les développeurs main- généralement de la valeur en mettant en relation
tient les prix à un niveau extrêmement bas : 28 % les acheteurs avec les bons vendeurs et inverse-
des applications iPhone sont gratuites, le reste est ment, puis en leur permettant de réaliser une
vendu à un prix moyen de 4 dollars. Cela augmente transaction. Cependant, dans certains contextes, le
aussi la valeur de l’iPhone aux yeux des utilisateurs risque est qu’une des parties refuse de traiter avec
et permet à Apple de réaliser des marges confor- plusieurs interlocuteurs, ce qui rend préférable le
tables au niveau des ventes. Par conséquent, le modèle de la revente.
modèle de la plateforme multiface est beaucoup C’est la raison pour laquelle Zappos a choisi de
plus pertinent pour l’App Store. migrer de la plateforme multiface vers le modèle de
Même lorsque les complémentarités sont limi- la revente. Au début, Zappos s’appuyait uniquement
tées, un revendeur qui pratique l’agrégation de sur des partenariats avec des fabricants de chaus-
produits peut réaliser de meilleurs bénéfices sur sures propriétaires de leurs stocks qui honoraient
ses ventes en adoptant des stratégies telles que les directement les commandes des clients. Mais l’en-
ventes groupées ou les prix sacri�iés, ce que les treprise a rapidement compris que les clients avaient
fournisseurs indépendants ne peuvent se per- plus de chances d’acheter et d’être �idélisés si la
mettre de faire. Par exemple, on peut considérer vente leur offrait une expérience client mémorable :
que compléter la Discovery Channel avec la chaîne livraison rapide garantie, politique de retour très
sportive américaine ESPN ne tombe pas nécessai- avantageuse et identique partout, informations
rement sous le sens, mais, en intégrant ces chaînes �iables et normalisées concernant les caractéris-
dans son bouquet, Comcast peut en tirer des reve- tiques des produits et leur disponibilité, etc. Quand
nus d’abonnement beaucoup plus élevés et des Zappos a compris qu’elle ne pourrait pas garantir ce
rentrées publicitaires nettement plus juteuses que niveau de satisfaction à ses clients si elle continuait
si elle les vendait séparément. Costco, Target, Wal- à fonctionner comme une place de marché, l’entre-
mart et d’autres détaillants attirent les clients dans prise a décidé de construire ses propres entrepôts et
leurs magasins en pratiquant des prix coûtants ou de prendre entièrement le contrôle des interactions
des prix inférieurs au prix de revient pour certains avec les utilisateurs finaux. Sa stratégie ayant porté
produits (comme le gaz chez Costco ou les télévi- ses fruits, elle est devenue une cible d’acquisition
seurs haute dé�inition chez Walmart), tout en se séduisante : en 2009, Amazon a déboursé près de
rattrapant avec d’autres produits sur lesquels ils 1 milliard de dollars pour acheter l’entreprise.
Comment les Les places de marché comme eBay ou Taobao ont toujours été de pures plateformes
entreprises multifaces�: elles n’ont jamais exercé beaucoup de contrôle sur les interactions entre
acheteurs et vendeurs et n’ont jamais été propriétaires des marchandises vendues.
utilisent différents En revanche, des distributeurs comme Walmart, 7-Eleven et autres sont surtout de
purs revendeurs. Exception de taille, il arrive qu’un distributeur vende du linéaire à
modèles de vente DISTRIBUTION
un fournisseur connu, comme Coca-Cola, et qu’il lui accorde le contrôle sur les prix,
ET E-COMMERCE l’agencement ou le stockage sur le linéaire.
Les entreprises peuvent se Amazon a commencé comme un pur revendeur�: de 1994 à 2000, l’entreprise a
acheté et revendu des produits en son nom. Amazon a ensuite commencé à se transformer en
positionner différemment plateforme multiface en autorisant des commerçants tiers à vendre des produits directement à
sur l’axe séparant le ses utilisateurs. En 2011, ces revenus ont représenté 30 % des ventes unitaires. Pour une
modèle du pur revendeur catégorie de produits donnée, Amazon peut fonctionner comme pur revendeur, pure plateforme
(acheter puis revendre multiface ou selon un modèle hybride, en prenant par exemple des commandes, mais en laissant
des commerçants contrôler les prix et la relation avec les acheteurs.
des produits) de celui de
la pure plateforme Costco
multiface (fournir une eBay
Walmart Amazon Rakuten
Zappos Taobao
place de marché où
acheteurs et vendeurs
Pur revendeur Pure plateforme multiface
réalisent des transactions
directement les uns
avec les autres). Voici
la façon dont opèrent Les prestataires de services satellites et câblés (Comcast, Dish Network, iTunes ou
quelques entreprises Netflix) sont des revendeurs�: les relations contractuelles sont établies entre les
présentes dans trois utilisateurs et ces prestataires de services et non avec les fournisseurs de
contenus. De plus, ces prestataires contrôlent les prix et la fourniture aux
secteurs différents. CONTENU DIGITAL utilisateurs. L’App Store d’Apple et Google Play, la place de marché des
Dans certains cas, leur applications Android, se situent à l’autre bout du spectre. Sur ces places de
positionnement a marché, les utilisateurs achètent les applications de développeurs tiers. Mais il ne s’agit pas de
évolué au fil du temps. pures plateformes multifaces, car Apple et Google exercent un contrôle sur la qualité et la
distribution des applications (plus qu’eBay ne le fait sur sa place de marché). Certains
fournisseurs de contenus digitaux se situent entre les deux modèles. Quand des internautes
achètent des films et des jeux sur Xbox Live ou sur le site PlayStation Store, les contrats d’achat
sont passés avec Microsoft et Sony mais les éditeurs de jeux et les studios de cinéma gardent le
contrôle sur les prix.
Les loueurs de voitures traditionnels comme Avis, Budget ou Zipcar sont de purs
revendeurs�: ils possèdent les voitures qu’ils louent. En revanche, des prestataires de
services comme Getaround, Lyft, RelayRides ou Uber facilitent simplement les
transactions entre propriétaires de voitures et automobilistes. Aucun de ces
AUTOPARTAGE prestataires ne possède de flotte et les propriétaires des voitures fixent leurs propres
tarifs, sauf dans le cas d’Uber, qui impose des tarifs standards. Avec Uber et Lyft, les
utilisateurs peuvent monter à bord de véhicules conduits par des chauffeurs professionnels (dans
le cas d’Uber) ou par des particuliers (dans le cas de Lyft). Getaround et RelayRides, quant à eux,
proposent aux utilisateurs de louer des véhicules appartenant à des particuliers.
Avis Getaround
Budget Uber Lyft
Zipcar RelayRides
titulaires de brevets qui sont ses fournisseurs et, ce Karma, une start-up qui a lancé au début de
faisant, à engranger des bénéfices considérables. Là 2012 une application mobile permettant aux utili-
encore, une plateforme multiface ne pourrait pas sateurs de sélectionner, d’acheter et d’envoyer des
garantir ce résultat, ce qui explique pourquoi cadeaux à partir de différentes sources, a opté pour
presque toutes les tentatives de créer des places de une approche similaire. Le cœur de sa proposition
marché pour les brevets ont échoué. La société IV de valeur réside dans sa capacité à recommander
est devenue le courtier en brevets le plus influent certains cadeaux en se basant sur des données pu-
dans le secteur des technologies. bliées par les utilisateurs des réseaux sociaux. Ac-
tuellement, Karma achète des articles à des fabri-
Démarrer et se développer cants et détaillants pour les revendre, en réalisant
Les faits évoqués plus haut suffisent à la plupart au passage une petite marge bénéficiaire. Mais le
des entreprises pour déterminer où se situer sur Dans modèle du pur revendeur n’est probablement pas
l’axe allant du revendeur à la plateforme multiface. optimal sur le long terme : pour la plupart des caté-
Mais une entreprise ne peut pas toujours parvenir
le scénario gories de cadeaux, les grands détaillants et fabri-
à ses fins du premier coup. Parfois, les entreprises de rupture cants qui fournissent les articles de Karma opèrent
qui devraient finalement être des plateformes mul- classique, à une échelle supérieure ; Karma n’est pas obligée
tifaces doivent commencer par être des revendeurs les places d’être propriétaire des articles pour que les ache-
et vice versa. teurs aient une expérience client de qualité et,
La quadrature du cercle. Supposons que vous
de marché comme les cadeaux sont généralement des pro-
êtes une start-up ou une grande entreprise qui sou- émergentes duits de marques connues, les consommateurs ne
haite entrer sur un nouveau marché et que vous poussent les vont pas se préoccuper de qualité ou de fiabilité.
avez choisi la plateforme multiface comme étant le revendeurs Néanmoins, l’entreprise peut être obligée d’agir au
modèle qui vous convient le mieux. Le problème est départ comme un revendeur afin de prouver la va-
que les acheteurs ne viendront pas sur votre plate-
historiques leur de son concept aux fabricants et aux détail-
forme si vous n’avez pas assez de vendeurs, et que vers la sortie. lants. De plus, le modèle de revendeur permet à
les vendeurs en feront de même si vous n’avez pas Karma d’exercer un contrôle et cela lui donne plus
assez d’acheteurs. Parfois, vous pouvez résoudre ce de latitude pour expérimenter différentes façons
problème en bâtissant progressivement votre crois- de servir les acheteurs. Une fois qu’elle a pu imagi-
sance à partir d’une petite niche sur le marché, ner la meilleure solution pour y parvenir, une so-
comme eBay l’a fait avec les collectionneurs de dis- ciété peut commencer à migrer vers un modèle de
tributeurs de dragées Pez. Si vous ne parvenez pas à plateforme multiface.
trouver une telle niche, adopter le modèle du reven- Capital limité. Si le modèle du revendeur est
deur pendant une période transitoire peut consti- finalement le mieux adapté à votre activité, mais
tuer une sage décision. C’est exactement la stratégie que vous devez vous développer rapidement à
choisie par Amazon : en achetant et en revendant court terme sans en avoir les ressources néces-
des livres et d’autres produits, la société s’est consti- saires, opérer comme une plateforme multiface, où
tué une base importante d’acheteurs avant d’essayer les coûts d’exploitation et les besoins en capitaux
d’attirer des vendeurs indépendants. sont plus faibles, peut être une bonne solution de
L
es marques « centrales » (leaders) sont de marchandises qui sera vendue et leur prix – et, en
celles qui sont les plus représentatives définitive, la rentabilité. Et pourtant, jusqu’ici, les
dans leur secteur d’activité. C’est le cas experts en marketing ne disposaient pas des outils
de Coca-Cola pour les boissons non al- nécessaires pour parvenir à cet équilibre. Tradition-
coolisées et de McDonald’s pour la res- nellement, les entreprises ont toujours analysé de
tauration rapide. Ces marques servent de points de manière distincte le positionnement de la marque et
repère comparatifs et leurs noms sont les premiers à ses performances. Pour identifier les brèches au sein
venir à l’esprit. Elles influent sur les dynamiques de du marché et évaluer ce que les consommateurs
leur secteur, notamment sur les préférences des pensent des marques, les professionnels du marke-
consommateurs, les prix affichés, le rythme et les ting ont eu largement recours à des cartes percep-
tendances en termes d’innovation. Certaines tuelles (ou cartes de positionnement), qui repré-
marques spécifiques, comme Tesla (véhicules élec- sentent graphiquement, selon des critères opposés
triques) et Dos Equis (bière), sortent du lot et évitent – pas cher/premium ou épicé/doux, par exemple –
la concurrence directe avec les marques leaders ex- la perception qu’ont les consommateurs de marques
trêmement réputées. ou de produits donnés. Et, pour évaluer la perfor-
Trouver le bon équilibre entre être « central » et mance, ils ont recours à une autre gamme d’outils
être spécifique est crucial, car les choix que fait une stratégiques qui cartographient ou évaluent les
entreprise n’influencent pas seulement la manière marques selon des critères tels que la part de mar-
dont une marque sera perçue, mais aussi la quantité ché, le taux de croissance et la rentabilité.
Nous proposons ici une nouvelle approche : la
carte de centralité-spécificité (ou carte C�S), qui, à
notre connaissance, est le premier outil offrant la
La carte C-S (centralité-spécificité) possibilité à une entreprise de mettre en relation le
La carte C-S établit des connexions entre la perception que se font les positionnement d’une marque et les résultats atten-
consommateurs des marques d’une catégorie et les performances commerciales dus, tels que les volumes et les prix de vente. Grâce
de ces marques. Les marques sont réparties en quadrants selon la place que leur à cet outil, les managers pourront définir quel posi-
assignent les consommateurs en fonction de leur centralité (le degré de repré-
tionnement ils souhaitent avoir sur le marché, déci-
sentativité dans leur catégorie) et de leur spécificité (en quoi se distinguent-elles
dans leur catégorie). La taille des points varie en fonction des performances der quelles ressources affecter et quelle stratégie de
financières des marques (volumes de ventes, prix). marque adopter, suivre leur performance par rap-
Chaque quadrant a des implications stratégiques sur les ventes, le pricing port à leurs concurrents, et évaluer la stratégie à par-
(tarification), les risques et la rentabilité. La répartition des marques sur tir des résultats. Ce faisant, ils constateront que cen-
l’ensemble de la carte donne un aperçu des opportunités et des menaces par tralité et spéci�icité ne sont pas nécessairement
rapport à la concurrence. contradictoires. Les entreprises peuvent viser les
deux objectifs simultanément – et en retirer des
bénéfices appréciables.
Positionnement et performance
Concevoir la carte C�S d’une catégorie de marques
NON CONVENTIONNELLE ASPIRATIONNELLE est un travail laborieux mais assez simple. L’entre-
prise identifie tout d’abord l’aire géographique du
marché (un pays, une région, une ville) ainsi que
SPÉCIFICITÉ DE LA MARQUE
volume des ventes, au prix ou à d’autres critères (voir entreprises aux performances solides telles que
le schéma « La carte C�S [centralité-spécificité] »). Heineken et Sam Adams. Ces marques hautement
En se focalisant sur la centralité et la spécificité spécifiques ont tendance à pratiquer des prix plus
– des paramètres qui s’appliquent à toutes les élevés que les autres marques du secteur ayant des
marques quelle que soit leur catégorie, contraire- résultats plus faibles.
ment aux caractéristiques propres à chacun des pro- C’est dans le quadrant inférieur droit que se
duits – les entreprises peuvent effectuer des compa- concentrent les marques présentant un fort attrait
raisons au-delà des catégories et des périmètres mais une faible spécificité. Ce sont les noms de ces
géographiques. Le positionnement de la marque sur marques grand public qui viennent le plus souvent
la carte a des conséquences sur les ventes, la fixation à l’esprit des consommateurs lorsqu’ils pensent à
des prix, les risques et la rentabilité. Cela permet une catégorie de produits. Leur manque de spécifi-
aussi aux professionnels du marketing de procéder cité réduit leur « pricing power » (leur capacité à aug-
à d’importantes évaluations stratégiques, comme menter leur prix sans que cela affecte la demande),
« le nombre de marques spécifiques est plus impor- mais elles sont très populaires et le plus souvent
tant sur tel marché que sur tel autre ». choisies par les consommateurs. Dans la catégorie
des voitures, les marques grand public comme Ford
Deux études de cas et Chevrolet cumulent environ 44% des ventes ;
Considérons les cartes C�S de deux catégories de dans le cas des bières, les marques très connues
marques, les voitures et les bières, sur le marché comme Miller et Busch représentent 19% des ventes.
américain (voir le schéma « La carte C�S appliquée Les marques périphériques ne présentent que
aux voitures et aux bières »). Dans les deux cas, les peu de signes distinctifs. Les consommateurs les
marques sont largement distribuées, ce qui laisse citent rarement en premier choix. Dans ce quadrant
penser qu’elles peuvent être en situation de inférieur gauche, on trouve Kia et Mitsubishi
concurrence dans bien des situations – même, (voitures) et Old Milwaukee (bières). Malgré leur
étonnamment, dans le cas de marques qui ne sont prix peu élevé et leur manque de spécificité, nombre
ni centrales ni spécifiques. Détaillons chacun des de marques périphériques réussissent pourtant bien
quadrants des cartes. à cet emplacement apparemment peu attractif ; elles
Les marques aspirationnelles – celles du constituent 24% des ventes de voitures et environ
quadrant supérieur droit – sont très différenciées 15% des ventes de bières.
et exercent pourtant un large attrait. Dans le cas Dans le quadrant supérieur gauche sont repré-
des voitures, ce quadrant représente presque un sentées les marques non conventionnelles, qui sont
tiers des unités vendues (30%) ; on y trouve des dotées de caractéristiques exclusives les distinguant
marques phares telles que Mercedes et BMW. Dans des produits traditionnels de leur catégorie. Comme
le cas des bières, ce quadrant se taille la part du Tesla, Mini et Smart, trois marques qui, chacune à
lion en matière de ventes (62%) et inclut des leur manière, s’écartent de l’idée standard que l’on
VOITURES VOITURES
(VOLUME DES VENTES) (PRIX) Porsche
Porsche
BMW
BMW
Mercedes
Jaguar
Jaguar
Mercedes
Tesla Lexus
Lexus
Tesla Mini Audi
Mini Audi
Cadillac Volvo
Smart Volvo Cadillac
Smart Infiniti
SPÉCIFICITÉ
VW Toyota Fiat VW
Fiat Infiniti Toyota
Chevrolet
Acura Chevrolet Lincoln
Lincoln Acura
Chrysler Honda Honda
Subaru Chrysler Ford
Ford Subaru
Scion Mazda Scion Mazda Nissan
Nissan
Mitsubishi Dodge Mitsubishi Dodge
Buick Buick
Hyundai Hyundai
Kia Kia
UN CUMUL POSSIBLE De nombreuses marques surfent sur le succès en étant à la fois centrales
et spécifiques (Guinness et Heineken, par exemple) ; d’autres entrent dans la compétition en
n’étant ni centrales ni spécifiques (Old Milwaukee). Les entreprises peuvent aussi se servir d’une
carte C-S pour repérer les opportunités de positionnement et les menaces potentielles.
Coors Coors
Yuengling Newcastle
Newcastle
Sierra Nevada Rolling Rock Miller Tecate Rolling Rock
Tecate Miller
Modelo Sierra Nevada
Modelo Busch
Natural Natural
Pabst Busch
Pabst
Icehouse
Icehouse
Milwaukee’s Best
Old Milwaukee Milwaukee’s Best
Old Milwaukee
CENTRALITÉ
L’essentiel pour les une véritable menace pour les produits grand pu-
blic actuels.
est de rendre leurs avantages similaires à ceux des marques plus cen-
trales. Les consommateurs y recourent comme
grand public pour qu’elles des marques plus centrales, ni aux prix premium
des marques plus spécifiques. Toutefois, ce posi-
intéressent le plus grand tionnement peut être viable dans le cas de marques
dont le business model prend pour base des coûts
des marques mondiales mances d’un pays à l’autre. Enfin, cela aiguille les
responsables au niveau mondial dans leurs prises
des particularités propres dèrent les cartes C�S – la centralité et la spécificité –
sont propres à toutes les marques et restent perti-
à chacun des marchés. nentes dans le temps. En repérant sur ces cartes, à
des moments successifs, les changements de posi-
tionnement résultant des initiatives marketing, les
gestionnaires de marques devraient être à même
d’apprécier dans quelle mesure leurs actions (et
ressources de la manière la plus efficace possible celles de leurs concurrents) affectent les percep-
dans les diverses catégories. Supposons que le tions des consommateurs.
géant des biens de consommation Unilever ait l’in- Ainsi, les entreprises devraient établir des liens
tention d’accroître les ventes de deux marques non entre ce qui perturbe les prix (comme lorsque la
centrales sur le marché des Etats-Unis : Tigi (soins holding E�Trade brade les frais de courtage), ou
capillaires) et Degree (déodorants). Grâce aux certaines campagnes publicitaires ciblées (« Je suis
cartes C�S, le groupe peut estimer le volume de res- un Mac… Je suis un PC » d’Apple), et les déplace-
sources marketing à allouer à chaque marque ments des marques sur les cartes C�S pour avoir un
(après avoir pris en compte la taille de la catégorie aperçu de ce qui influe sur les perceptions des
et les dépenses publicitaires) pour parvenir à un consommateurs et les performances des marques.
objectif donné – par exemple, une augmentation Plus le mapping est fréquent, notamment dans les
précise de la centralité susceptible d’entraîner à son catégories où l’innovation et le marché connaissent
tour une hausse bien définie du volume des ventes. des rebondissements fréquents, plus le tableau qui
La carte C�S permettrait à Unilever non seulement en résultera sera instructif.
de standardiser et de rationaliser les budgets al-
À PROPOS
DES AUTEURS loués au sein des marques, mais donnerait aussi la LE QUADRANT occupé par une marque sur la carte
Au moment de la possibilité à l’entreprise d’observer l’usage que les centralité-spécificité reflète la stratégie et les capa-
rédaction de cet article, équipes en charge d’une marque font des sommes cités d’une entreprise, ainsi que les caractéristiques
les auteurs occupaient
les fonctions suivantes: mises à leur disposition, et ce en mesurant le dépla- du marché, mais cette position n’est pas immuable.
cement des marques sur les cartes. Il se peut en effet qu’une entreprise décide de la
Niraj Dawar est professeur Gérer des marques mondiales. Nombre modifier pour exploiter un marché moins engorgé
de marketing à l’Ivey
Business School, à London, d’entreprises qui s’efforcent de gérer des marques ou faire croître le volume des ventes. Les marques
Ontario (Canada). Il est mondiales de manière standardisée rencontrent non conventionnelles chercheront peut-être à de-
l’auteur de «�Tilt: Shifting
Your Strategy from des problèmes importants en raison des particula- venir plus centrales dans l’esprit des consomma-
Products to Customers�» rités propres à chacun des marchés. La carte C�S teurs, de façon à gagner des parts de marché,
(Harvard Business Review offre un moyen de visualiser les différences de per- comme le fait Tesla. Ou des marques périphériques,
Press, 2013). Charan K.
Bagga, doctorant à l’Ivey ception des consommateurs et les écarts de perfor- comme Kia, verront-elles peut-être quelques avan-
Business School, est maître mance sur les différents marchés. Prenons Chevro- tages à devenir plus grand public.
de conférences détaché
à la Tulane’s Freeman let et Tide. L’une et l’autre marques sont en position En donnant la possibilité à une entreprise d’éva-
School of Business depuis centrale aux Etats-Unis, mais leurs résultats sont luer le positionnement stratégique d’une marque,
juillet 2015.
nettement moins bons, tant en centralité qu’en spé- d’apprécier les risques et les avantages qu’il y aurait
La version originale cificité, sur les marchés émergents tels que l’Inde. à le modifier et de suivre le processus au fil de l’eau,
de cet article a été publiée
en juin 2015 dans l’édition Etre capable d’évaluer ces différences est utile à les cartes C�S sont là pour s’assurer qu’un investis-
américaine de HBR. trois niveaux. Tout d’abord, cela aide l’entreprise à sement donné se révèle payant.
A
l’ère de Facebook et de YouTube, le un phénomène que j’appelle la « crowdculture »
développement de marque est (« culture participative »). La crowdculture modifie les
devenu un problème épineux. Mais règles du branding – il faut redéfinir quelles sont les
les choses n’étaient pas censées techniques qui fonctionnent, quelles sont celles qui
prendre cette tournure. Il y a dix ne fonctionnent pas. Si nous saisissons la nature de la
ans, la plupart des entreprises annonçaient l’arrivée crowdculture, nous pouvons comprendre pourquoi
d’un nouvel âge d’or du branding. Elles ont engagé les stratégies de contenu de marque ont échoué, et
des agences de création et des troupes entières de découvrir quelles méthodes alternatives de branding
technologues pour introduire les marques au sein de sont reconnues et valorisées par les réseaux sociaux.
l’univers numérique. Viral, buzz, mèmes, stickiness et
facteur de forme sont devenus la lingua franca du Pourquoi le contenu de marque et le
branding. Mais, malgré tout ce bruit, les efforts sponsoring fonctionnaient auparavant
déployés n’ont pas vraiment porté leurs fruits. Bien que ses promoteurs s’obstinent à dire que le
contenu de marque est une méthode ultramoderne,
il s’agit en réalité d’un vestige de l’ère des médias de
Avec la montée des nouvelles technologies, qui a influence culturelle est devenue directe et impor-
permis au public de contourner les publicités – grâce tante. Ces nouvelles crowdcultures se divisent en
aux réseaux câblés, aux enregistreurs numériques, deux catégories : les sous-cultures, qui font éclore
puis à Internet – il est devenu bien plus difficile pour de nouvelles idéologies et pratiques, et les univers
les marques d’acheter leur renommée. Elles se sont artistiques, qui ouvrent de nouveaux horizons
retrouvées en compétition directe avec le véritable dans le domaine du divertissement.
divertissement. Les entreprises ont alors augmenté la Des sous-cultures amplifiées. De nos jours,
mise. A commencer par BMW, qui a été la première à presque tous les sujets ont droit à leur crowdculture
se lancer dans la création de courts-métrages pour florissante : l’expresso, la mort de l’American
Internet. Peu de temps après, les sociétés ont fait ap- Dream, les romans victoriens, le mobilier d’artisa-
pel à des réalisateurs de renom (Michael Bay, Spike nat, le libertarianisme, le nouvel urbanisme, l’im-
Jonze, Michel Gondry, Wes Anderson, David Lynch) pression 3D, le dessin d’animation japonais, l’obser-
et se sont mises en quête d’effets spéciaux et de pro- vation des oiseaux, l’enseignement à domicile ou
ductions toujours plus spectaculaires. encore le barbecue. Avant, les adeptes de ces sous-
Ces efforts digitaux (pré-réseaux sociaux) ont cultures devaient se réunir physiquement et man-
poussé les entreprises à croire qu’elles pourraient quaient de moyens pour communiquer ensemble ;
conquérir un vaste public si elles réalisaient des il y eut les magazines, puis les groupes Usenet pri-
créations de type hollywoodien à toute allure. Ainsi mitifs et les réunions.
est née la grande ruée vers le contenu de marque. Les réseaux sociaux ont élargi et démocratisé
Mais c’était sans compter sur une nouvelle concur- ces sous-cultures. En quelques clics, il est désor-
rence. Et cette fois-ci, elle n’allait pas venir des mais possible de rejoindre le centre névralgique de
grandes sociétés de médias, mais du public. n’importe quelle sous-culture et d’interagir avec les
participants sans difficulté, aussi bien sur le Web
L’émergence de la crowdculture que dans des lieux physiques et au travers des mé-
De tout temps, l’innovation culturelle est apparue dias traditionnels. Ensemble, les membres font pro-
en marge de la société – découlant de groupes mar- gresser des idées, des pratiques, des esthétiques
ginaux, de mouvements sociaux et de cercles artis- nouvelles et des produits innovants, court-circui-
tiques qui défiaient les normes et les conventions tant ainsi les gardiens de la culture de masse. Avec
établies. Les entreprises et les médias de masse l’émergence de la crowdculture, les innovateurs
faisaient of�ice d’intermédiaires en diffusant ces culturels et leurs premiers marchés sont devenus
nouvelles idées sur le marché de masse. Mais les une seule et même entité.
réseaux sociaux ont tout changé. Des univers artistiques surboostés. Pro-
Ces derniers rassemblent des communautés duire du divertissement populaire innovant néces-
autrefois isolées géographiquement, accélérant site un mode d’organisation distinct – ce que les
ainsi le rythme et l’intensité des échanges colla- sociologues appellent un « univers artistique ».
boratifs. Ces groupes jadis éparpillés étant désor- Dans ces derniers, des artistes (musiciens, réalisa-
mais étroitement connectés les uns aux autres, leur teurs, écrivains, designers, dessinateurs, etc.) sont
placés dans une concurrence collaborative et inspi- Comment cela est-il arrivé ? Tout a commencé
rée : ils travaillent ensemble, apprennent les uns avec les sous-cultures de jeunes qui se sont consti-
des autres, échangent des idées et s’encouragent tuées autour des jeux vidéo. Lorsqu’elles ont
mutuellement. Les efforts collectifs déployés par débarqué sur les réseaux sociaux, elles sont deve-
les participants dans ces « scènes » génèrent sou- nues une superpuissance. Autrefois perçue comme
vent d’importantes percées créatives. Avant la excentrique, la sous-culture du divertissement par le
montée des réseaux sociaux, les industries de la jeu vidéo venue de Corée du Sud s’est démocratisée
culture de masse (cinéma, télévision, presse, à l’échelle mondiale, donnant ainsi naissance à un
mode) prospéraient en subtilisant et en réadaptant gigantesque sport-spectacle, désormais connu sous
leurs innovations.
La crowdculture a surboosté les univers artis-
tiques, augmentant considérablement le nombre
de participants, mais aussi la vitesse et la qualité de Sur les réseaux sociaux,
leurs interactions. Plus besoin de faire partie d’une
scène locale. Plus besoin de travailler pendant un la technique qui
fonctionne pour Shakira
an pour trouver des financements et des distribu-
teurs pour un court-métrage. Des millions d’entre-
preneurs culturels communiquent désormais en
ligne pour parfaire leur art, échanger des idées,
peaufiner leur contenu et se battre pour produire le
s’avère un échec cuisant
prochain tube. L’effet Net est un nouveau mode
rapide de prototypage culturel, qui permet de ré- pour Crest et Clorox.
colter des données instantanées sur la réception
des idées sur le marché, d’obtenir un retour cri-
tique et de les retravailler de façon à identifier rapi- le nom de « sports électroniques », réunissant près de
dement le contenu le plus efficace. Au cours de ce 100 millions de supporters (Amazon a récemment
processus, de nouveaux talents émergent et de acheté le réseau de sports électroniques Twitch pour
nouveaux genres voient le jour. S’infiltrant dans un montant de 970 millions de dollars).
tous les recoins de la culture populaire, ce contenu Dans les e-sports classiques, les animateurs pro-
innovant est en phase avec le public et est produit posent des commentaires en direct de chaque par-
à moindre coût. Ces crowdcultures d’univers artis- tie de jeu vidéo. PewDiePie et ses camarades ont
tiques sont la principale raison qui explique l’échec improvisé à partir de ces commentaires et les ont
du contenu de marque. tournés en dérision pour en faire un nouveau genre
de comédie potache. D’autres joueurs vidéastes,
Au-delà du contenu de marque tels que VanossGaming (n° 19 sur YouTube avec
Bien que les entreprises se soient jetées à corps 15,6 millions d’abonnés), elrubiusOMG (n° 20 ;
perdu dans l’aventure du contenu de marque ces dix 15,6 millions), CaptainSparklez (n° 60 ; 9 millions),
dernières années, de sérieuses preuves empiriques et Ali-A (n° 94 ; 7,4 millions), sont également des
les poussent aujourd’hui à revoir leurs positions. Les membres influents de cette tribu. Au départ, cette
marques corporate sont quasiment absentes des crowdculture était organisée par des plateformes
classements par nombre d’abonnés des chaînes You- spécialisées qui diffusaient ce contenu et par des
Tube ou Instagram. Seules trois d’entre elles ont fans initiés qui se rassemblaient et émettaient des
réussi à s’immiscer dans le top 500 de YouTube. Les critiques, louant certains efforts et en dénigrant
premières places sont plutôt occupées par des ar- d’autres. PewDiePie est devenu la star incontour-
tistes inconnus, presque sortis de nulle part. nable de cet univers artistique numérique, de la
Le plus gros succès de YouTube est de loin même manière que Jean-Michel Basquiat et Patti
PewDiePie (de son vrai nom Felix Arvid Ulf Kjell- Smith l’étaient devenus dans des univers artistiques
berg) : ce Suédois poste des films de ses parties de urbains de l’époque. La principale différence : le
jeux vidéo, qu’il agrémente de commentaires pouvoir de la crowdculture l’a propulsé vers la
narquois, le tout avec un montage minimaliste. En gloire en un temps record.
janvier 2016, il avait accumulé près de 11 milliards Le « gaming comedy », ou « humour par le jeu
de vues, et sa chaîne YouTube totalisait plus de vidéo », n’est qu’un nouveau genre parmi les cen-
41 millions d’abonnés. taines que le phénomène de crowdculture a créés.
DE QUOI SURPRENDRE
Les vidéos publicitaires
tournées avec Gisele
Bündchen et Misty
Copeland ont remis
en question les idées
reçues sur les femmes.
Dans sa campagne intitulée «�I Will What I Want�», backstage de Gisele en plein entraînement
Under Armour associe le parrainage de célébrités au branding culturel. de kick-boxing. L’entreprise a annoncé
Under Armour est devenue emblématique des secteurs encore dominés par des ce partenariat avant le tournage.
en dérobant la stratégie culturelle de Nike idéaux traditionnels de féminité. Cette nouvelle a immédiatement semé
– et en l’améliorant. L’approche de Nike, La danseuse étoile Misty Copeland, qui a la zizanie chez les crowdcultures�:
lancée dans les années 1970 et améliorée grandi dans la pauvreté avec un seul parent, les amateurs de sport étaient cyniques,
dans les années 1990, consistait à raconter est une ballerine athlétique et musclée qui les fans de Gisele étaient curieux,
des histoires d’athlètes ayant surmonté évolue dans une profession glorifiant les les fashionistas étaient perplexes et les
des obstacles sociétaux par la simple force femmes frêles et maigres. Under Armour féministes étaient tout simplement ravies.
de leur volonté. Mais il y a dix ans, Nike a réalisé un film montrant son combat Under Armour a puisé dans les
a abandonné son idéologie d’outsider face à l’adversité (la voix off lit la lettre commentaires de cette discussion
compétitif pour tout miser sur le contenu de refus d’un employeur expliquant que numérique, puis a projeté des citations
de marque, en faisant appel à des athlètes son corps n’est pas du tout fait pour sur les murs qui se trouvaient derrière
de renom pour réaliser des vidéos sportives la danse classique). Elle y danse dans Gisele Bündchen. Dans la vidéo qui
divertissantes. Under Armour a alors une brassière moulante et un short en résulte, on peut la voir en sueur donner
repris le flambeau de Nike et a produit de sportif, qui soulignent sa morphologie des coups de pied dans un sac de frappe,
nouvelles publicités comme « Protect This tout en courbes. ignorant la vague d’attaques déferlant
House�», qui soutenait la même idéologie Le film avec Gisele Bündchen a repris autour d’elle�: «�Prendre la pose, c’est
et qui a explosé sur les réseaux sociaux. ce même modèle visant à briser les un sport maintenant�?�», «�C’est quoi son
Under Armour a également suivi Nike conventions, mais en mélangeant cette sport, le sourire�?�», «�Contente-toi de
en exposant à quel point la surcompétitivité, fois-ci des crowdcultures hétérogènes pour faire le mannequin, chérie�».
traditionnellement associée aux hommes, provoquer une réaction sur les réseaux Under Armour a percé parce qu’elle innovait
s’appliquait tout autant aux femmes, en sociaux. L’ancienne star de Victoria’s Secret avec l’idéologie, en utilisant des célébrités
diffusant des spots publicitaires présentant est généralement présentée dans le monde féminines pour secouer les normes
des athlètes féminines. Le dernier effort de glamour des podiums et de la jet-set. sexospécifiques. Les communiqués
la marque, «�I Will What I Want�», a repoussé Under Armour a brisé cette image en de l’entreprise ciblaient directement les
encore plus loin les frontières entre les la faisant apparaître dans une publicité crowdcultures défendant ces normes,
sexes, bousculant les normes dans portant l’ancienne patte de Nike�: une vidéo ce qui a provoqué un tollé général.
Ces genres comblent tous les espaces vacants ima- populaire, pour un coût infiniment moins impor-
ginables du divertissement dans la culture popu- tant. Prenons Red Bull, dont la stratégie de contenu
laire : des conseils de mode féminine à la malbouffe de marque est la plus performante. La société s’est
écœurante, en passant par les commentaires des transformée en plateforme nouveaux médias pro-
fanatiques de sport. En dépit de leurs investisse- duisant du contenu de sports extrêmes et alterna-
ments, les marques ne peuvent rivaliser. Comparez tifs. Bien qu’elle affecte une grande partie de son
PewDiePie, qui fait des vidéos bon marché depuis budget marketing annuel de 2 milliards de dollars
chez lui, à McDonald’s, l’une des entreprises qui au contenu de marque, Red Bull voit sa chaîne You-
investit le plus dans les réseaux sociaux. La chaîne Tube (n° 184 ; 4,9 millions d’abonnés) se faire de-
de McDonald’s (n° 9 414) ne totalise que 204 000 vancer par des dizaines de start-up issues de
abonnés sur YouTube. PewDiePie est 200 fois plus crowdcultures, dont les budgets de production
préoccupation d’élite
Toutes ces célébrités parviennent à réunir la
communauté ultra-impliquée que les réseaux
sociaux étaient censés fournir, d’après les experts.
Mais celle-ci n’est pas à la portée de main des
entreprises et de leurs biens et services de marque. en traumatisme social
Rétrospectivement, cela n’a rien d’étonnant :
interagir avec son artiste favori n’a rien à voir avec
le fait de dialoguer avec une marque de voitures de
à l’échelle nationale.
location ou de jus d’orange. La technique qui –
fonctionne pour Shakira s’avère un échec cuisant sont devenus des acteurs incontournables sur les
pour Crest et Clorox. L’idée même que les consom- réseaux sociaux. La chaîne s’est jetée dans l’arène
mateurs voudraient discuter de Corona ou de et s’est faite le vecteur de l’idéologie de cette
Coors de la même manière qu’ils débattent du crowdculture. En recourant au branding culturel,
talent de Cristiano Ronaldo et de Lionel Messi est Chipotle est devenue l’une des marques les plus
complètement absurde. percutantes et les plus en vue des Etats-Unis (bien
Les réseaux sociaux permettent aux fans de que son image ait été quelque peu ternie par de
créer de vastes communautés autour d’artistes qui récents problèmes de sécurité alimentaire). Plus
interagissent directement avec eux, grâce à une précisément, Chipotle doit son succès à l’applica-
pluie de tweets, de pins et de posts. Les équipes tion des cinq principes suivants :
sportives engagent désormais des ambassadeurs 1. Schématiser l’orthodoxie culturelle. Dans le
sur les réseaux sociaux : leur rôle est d’entrer en branding culturel, la marque défend une idéologie
contact avec les fans en temps réel au cours des innovante qui rompt avec les conventions de son
matchs, d’envoyer des photos des coulisses et de segment. Pour ce faire, elle doit d’abord identifier les
transmettre des discussions qui ont lieu dans les conventions à contourner – ce que j’appelle l’ortho-
vestiaires à la fin de l’événement. Outre les plate- doxie culturelle. L’idéologie américaine de l’alimen-
formes principales, de nouveaux sites tels que tation industrielle a été inventée au début du
Vevo, SoundCloud et Apple Music incitent à des XXe siècle par des entreprises de marketing alimen-
connexions numériques encore plus directes. taire. Les Américains en étaient venus à croire que,
Ne nous y trompons pas, les artistes sont tou- grâce à d’éblouissantes découvertes scientifiques (la
jours ravis d’accepter l’argent des sponsors, mais la margarine, le café instantané, la boisson en poudre
valeur culturelle censée déteindre sur la marque Tang) et à des processus standardisés de produc-
est en train de s’estomper. tion, les grandes entreprises, sous la supervision de
la Food and Drug Administration, garantiraient des britannique du XIXe siècle, NDLR), les opposants à
denrées alimentaires à la fois abondantes, saines et l’idéologie de l’alimentation industrielle avaient été
savoureuses. Ces hypothèses ont constitué le socle écartés d’un simple revers de main, et étaient restés
du segment de la restauration rapide depuis l’essor sur la touche pendant plus de quarante ans. De pe-
de McDonald’s dans les années 1960. tites sous-cultures s’étaient développées autour
2. Repérer l’opportunité culturelle. Au �il du d’une production biologique et de bétail en pâtu-
temps, les bouleversements de société peuvent faire rage, gagnant tout juste de quoi vivre au sein de
perdre de l’ampleur à certaines orthodoxies. Les marchés agricoles soutenus par leur communauté,
consommateurs se mettent alors à chercher des al- en marge du marché traditionnel. Mais avec l’émer-
ternatives – créant ainsi pour les marques l’opportu- gence des réseaux sociaux, un groupe influent et
nité d’introduire une nouvelle idéologie au sein de varié de sous-cultures imbriquées a tout mis en
leurs segments. Pour l’alimentation industrielle, le œuvre en faveur d’innovations alimentaires. Parmi
point de bascule a été atteint en 2001, lorsqu’elle a eux se trouvaient notamment des militants de la
été fortement remise en question par le livre « Fast nutrition évolutive et du régime paléo, des adeptes
Food Nation », d’Eric Schlosser. Celui-ci a été suivi de l’élevage durable, une nouvelle génération d’ac-
par la sortie en 2004 du film « Super Size Me », de tivistes environnementaux, des jardiniers urbains
Morgan Spurlock, et par celle en 2006 de l’ouvrage et des restaurants «farm-to-table». En un rien de
très influent de Michael Pollan, « Le Dilemme de temps, un important mouvement culturel prônant
l’omnivore ». Ces critiques ont profondément affecté un retour à l’alimentation préindustrielle s’est orga-
la classe moyenne supérieure, propageant rapide-
ment des inquiétudes concernant l’alimentation
industrielle et insufflant une formidable dynamique
à Whole Foods Market, Trader Joe’s et tout un tas En ciblant des idéologies
d’autres fournisseurs d’alimentation haut de
gamme. La même transformation peut être obser- nouvelles issues
de crowdcultures,
vée dans d’autres pays dominés par l’idéologie de
l’alimentation industrielle. Par exemple, les chefs
vedettes Jamie Oliver et Hugh Fearnley-Whittings-
tall ont joué un rôle similaire au Royaume-Uni.
Avant les réseaux sociaux, l’influence de ces
les marques peuvent
œuvres n’aurait pas dépassé le cadre de cette petite
fraction de la société. A l’inverse, les crowdcul- trouver un moyen
tures se sont emparées de ces critiques et les ont
amplifiées, généralisant ainsi les angoisses liées à
l’alimentation industrielle au sein de la société.
de se distinguer.
Les scandales concernant des problèmes majeurs
dans la production alimentaire industrielle – ali- nisé. C’est en s’associant à cette crowdculture et en
ments transformés saturés de sucre, conservateurs embrassant sa cause que Chipotle a réussi.
cancérigènes, présence de somatotropine bovine 4. Diffuser la nouvelle idéologie. Chipotle a
dans le lait ou de bisphénol A dans le plastique, défendu l’idéologie de l’alimentation préindus-
OGM, etc. – ont commencé à circuler à la vitesse de trielle par le biais de deux vidéos. En 2011, l’entre-
la lumière. Des vidéos sur le « pink slime » (un addi- prise a lancé « Back to the Start », un film d’anima-
tif alimentaire à base de bœuf ) sont devenues tion réalisé avec de simples figurines de bois. On y
virales sur le Web. Les parents s’inquiétaient en voit la transformation d’une ferme traditionnelle
permanence de ce qu’ils donnaient à manger à en simulacre de ferme industrielle hyperstandardi-
leurs enfants. La crowdculture a transformé une sée : les porcs sont entassés dans une grange en
préoccupation d’élite en traumatisme social à béton, puis sont poussés vers une chaîne de pro-
l’échelle nationale, montant en épingle un pro- duction dans laquelle ils sont engraissés à l’excès
blème de santé publique. par injection de produits chimiques, avant d’être
3. Cibler la crowdculture. Considérés comme compressés en cubes qui sont chargés dans des
des luddites névrosés (personnes considérées semi-remorques. Le fermier, hanté par cette trans-
comme réticentes aux nouvelles technologies, par formation, décide de revenir à la version originale
analogie avec le luddisme, mouvement ouvrier de sa ferme pastorale.
Se disputer les crowdcultures Dove rassemble les foules qui prônent une
Pour réussir leur branding sur les réseaux sociaux, image positive du corps. L’attitude agressive d’Axe
les entreprises devraient cibler les crowdcultures. a donné l’opportunité à une autre marque de sou-
De nos jours, la plupart des marques cherchent de tenir le camp féministe dans cette guerre des
la pertinence du côté des tendances. Mais il s’agit genres. Dove était une marque banale, dans un seg-
là d’une approche non différenciée du branding : ment qui base habituellement son marketing sur
des centaines de sociétés adoptent exactement la les tendances beauté édictées par les maisons de
même méthode, à partir de la même liste géné- mode et les médias. Dans les années 2000, l’idéal
rique de tendances. Il n’est donc pas surprenant du corps féminin avait été poussé à un extrême ri-
que les consommateurs n’y prêtent aucune atten- dicule. Des critiques féministes sur l’omniprésence
tion. En ciblant des idéologies nouvelles issues des de mannequins rachitiques ont commencé à circu-
crowdcultures, les marques peuvent faire valoir ler sur les médias sociaux et traditionnels. Au lieu
un point de vue qui se distingue de l’environne- d’inspirer, le marketing beauté était devenu inac-
ment médiatique saturé. cessible et aliénant pour de nombreuses femmes.
Observons le segment des produits de soin. La campagne « Dove pour la vraie beauté » s’est
Trois marques – Dove, Axe et Old Spice – ont réussi inspirée de cette crowdculture émergente en célé-
à susciter l’intérêt des consommateurs et à créer un brant le corps des femmes dans toute sa diversité
moyen d’identification pour ces derniers, dans un – âgé, jeune, plantureux, mince, petit, grand, ridé,
segment générant traditionnellement très peu d’en- lisse. Des femmes du monde entier ont contribué à
gagement et dont le succès sur les réseaux sociaux produire, faire circuler et encourager ces images de
n’était pas couru d’avance. Elles ont percé en pre- corps qui ne sont pas conformes aux canons de
nant à bras-le-corps des idéologies du genre autour beauté. Ces dix dernières années, Dove a continué
desquelles des crowdcultures s’étaient formées. de cibler des sujets culturels brûlants, tels que
Axe exploite la « lad culture », un phénomène l’abus d’images « photoshoppées » dans les maga-
britannique d’hypermasculinité. Dans les an- zines de mode, pour maintenir la marque au centre
nées 1990, des universitaires américains ont émis de ce débat des genres.
des critiques féministes sur la culture patriarcale. Old Spice, enfin, s’adresse au public hipster. Le
Ces attaques ont entraîné une réaction conserva- combat idéologique opposant la position lad au
trice ridiculisant le « politiquement correct » de la féminisme de valorisation du corps a laissé va-
question du genre. Ce mouvement estimait que les cante une autre opportunité culturelle dans le
hommes étaient assiégés et devaient raviver leur marché des produits de soin. Dans les années
masculinité traditionnelle. Au Royaume-Uni puis 2000, une nouvelle idéologie hipster est née au
aux Etats-Unis, cette rébellion a engendré une sein des sous-cultures urbaines, caractérisée par
forme de sexisme ironique appelée « lad culture ». une certaine sophistication chez les jeunes adultes
Des magazines, tels que « Maxim », « FHM » et cosmopolites. Ces derniers ont adopté avec en-
« Loaded », se sont alors inspirés de l’époque de thousiasme l’idéal de la bohème d’antan, doublé
« Playboy » en publiant des histoires lubriques d’une bonne dose d’autodérision. Les garde-robes
accompagnées de photos érotiques. Cette idéologie ironiquement miséreuses (casquettes de camion-
a trouvé un écho auprès de nombreux jeunes neur, pulls hideux de l’Armée du salut) et la pilosité
hommes. Au début des années 2000, la lad culture faciale (moustaches en guidon, barbes fournies)
s’est fait une place sur Internet, devenant une sont devenues omniprésentes. Brooklyn débordait
crowdculture incontournable. de bûcherons. Amplifiée par la crowdculture, cette
Axe (commercialisée sous le nom de Lynx au sensibilité s’est vite propagée à travers le pays.
Royaume-Uni et en Irlande) était présente sur les Le branding d’Old Spice s’est rattaché à cette
marchés européen et sud-américain depuis les sophistication hipster avec une parodie d’Axe et
années 1980, mais était considérée comme une des clichés masculins. Dans cette campagne, Isaiah
marque ringarde et démodée. Jusqu’au jour où Mustafa, ex-joueur de football américain, exhibait
l’entreprise a suivi le mouvement lad, avec « L’ef- son corps musclé tout en vantant les mérites d’Old
fet Axe », une campagne qui poussait à l’extrême Spice : « The man your man could smell like »
les fantasmes sexuels politiquement incorrects. (« L’homme comme lequel votre homme pourrait
Celle-ci s’est propagée comme une traînée de sentir »). En présentant un homme extrêmement
poudre sur Internet, faisant d’Axe le chef de file sexy pour se moquer des normes de beauté mascu-
du public lad. line, les films ont fait mouche auprès des hipsters.
ux premières heures de la révolu- à 29,97 dollars. Pour être sûre de l’avoir – les �êtes de
tion numérique, de nombreux Noël approchaient – elle décida de se rendre au ma-
dirigeants de sociétés bien gasin local du distributeur pour l’acheter. Mais il y
établies ont tout tenté pour était vendu à 47,97 dollars, 60% plus cher. Elle fut
ignorer ce bouleversement, surprise, mais se souvint que l’entreprise garantis-
convaincus que les nou- sait le meilleur prix et demanda qu’on lui applique le
velles technologies ne re- tarif proposé en ligne. « Pas question », lui répondit la
présenteraient jamais un caissière, la garantie ne s’appliquait qu’aux prix pro-
grand danger. Voyant posés par les concurrents.
leur hypothèse s’effon- « Attendez, rétorqua Stacy. Je peux acheter ce jeu
drer, beaucoup ont en ligne et me le faire expédier au magasin gratuite-
changé d’avis et en ment, non ? » La caissière acquiesça, mais la prévint
ont déduit que le que cela pourrait prendre plusieurs jours. Ma fille
numérique allait répondit : « Mais il est là, en rayon. Je ne peux pas
i n exo r a b l e m e nt l’acheter en ligne et le prendre maintenant ? » La ré-
détruire leurs em- ponse fut négative, bien entendu ; la boutique en
plois. Pour survivre, ces dirigeants pensaient devoir ligne et le magasin étaient des activités distinctes, et
cesser d’investir de l’argent dans des activités appar- cela mettrait le bazar dans les comptes. Debout à
tenant au passé, sauver ce qui pouvait l’être, et lan- côté de la caisse, Stacy commanda le produit par té-
cer des activités numériques indépendantes. Les léphone et, quelques jours plus tard, revint le cher-
business existants n’y résisteraient probablement cher, autre démarche exaspérante.
pas, mais ces activités digitales disruptives rempla- Les gens font constamment les frais de ce genre
ceraient bien ces dinosaures dans le portefeuille de rupture dans le service. La révolution numérique
d’actifs d’une entreprise. a commencé depuis un quart de siècle, mais de nom-
Ces deux points de vue se sont révélés faux. L’er- breux dirigeants d’entreprise se torturent les mé-
reur d’analyse que trahit le premier se passe d’expli- ninges pour savoir s’il faut investir des ressources
cations : aucune entreprise ne peut faire fi des chan- importantes dans des capacités numériques. Ceux
gements apportés par les technologies digitales. qui ont adopté cette stratégie ont tendance à diriger
L’erreur d’appréciation du second est peut-être leurs activités numériques comme des business
moins évidente, mais les preuves sont désormais units indépendantes, c’est-à-dire comme les entre-
nombreuses. Les entreprises qui exploitaient jusqu’à prises pré�èrent les gérer, par opposition à la façon
la moelle les activités existantes tout en misant sur dont les clients pensent qu’elles vont les utiliser.
des start-up numériques indépendantes sans avan- Au fur et à mesure que la révolution progresse,
tages compétitifs �inissaient généralement par se certaines entreprises, comme Tower Records, ver-
débarrasser d’actifs matériels qu’il avait fallu des ront leurs activités perturbées puis détruites par des
décennies pour constituer, dilapidant ainsi des mil- alternatives numériques. Mais la plupart réaliseront
lions de richesse bien réelle. Sears Holdings est peut- qu’elles doivent fusionner mondes physique et nu-
être l’exemple le plus flagrant de ce type d’erreur de mérique, comme le font les consommateurs. Pen-
calcul : il a sous-investi dans ses magasins tout en chez-vous sur votre propre entreprise : est-ce que
investissant à tort et à travers dans des activités en son volet physique va vraiment disparaître ? Les in-
ligne, et a vu de fait son cours de Bourse dévisser de novations fusionnant le numérique et le physique
75% au cours des sept dernières années. Des cas si- n’ouvrent-elles pas le champ à de nouvelles oppor-
milaires existent dans de nombreux secteurs. tunités ? Et même si certaines de ces fusions ne
Le gros problème, dans ces exemples extrêmes, s’avèrent que des transitions de dix à vingt ans vers
est qu’aucun ne tient compte du fait que les clients de nouvelles ruptures, ne restent-elles pas le meil-
ont changé : ces derniers mélangent désormais phy- leur moyen de prolonger votre cœur de métier, de
sique et numérique si étroitement qu’ils ne com- générer de la trésorerie pour �inancer l’évolution
prennent pas pourquoi les entreprises n’en ont pas continue et de construire les capacités essentielles
fait de même. Permettez-moi de vous raconter une pour votre succès futur ?
petite histoire personnelle qui illustre cela. Mes collègues et moi avons étudié plus de
En décembre 2013, ma fille Stacy voulut acheter 300 entreprises dans le monde entier et avons
le jeu vidéo « Just Dance 4 » pour sa petite fille. Elle travaillé directement avec des centaines d’autres qui
le trouva sur le site Internet d’une grande enseigne essaient de s’adapter aux changements fabuleux
mais redoutables qui sont en train de modi�ier durables étaient définitivement obsolètes. D’après
radicalement le marché. Nous avons constaté que la eux, la technologie évolue si rapidement de nos
plupart des secteurs en sont encore aux premiers jours et les avantages concurrentiels sont copiés si
stades de la transformation physico-numérique vite que les entreprises doivent apprendre à surfer
(voir l’encadré « La transformation physico-numé- sans cesse d’une vague d’opportunités à l’autre,
rique s’accélère »). Nous avons également constaté même si chaque nouvelle vague risque d’être proba-
que le principal obstacle à l’adoption de stratégies blement plus courte, les concurrents plus nom-
de fusion n’est pas le scepticisme vis-à-vis de ce breux, et que cette vague sera de moins en moins
qu’on peut en attendre, mais le manque d’expé- reliée à la précédente. Le problème d’une telle ap-
rience dans leur mise en œuvre. Les cadres sont in- proche, c’est qu’une entreprise peut finir par gâcher
trigués par les possibilités qu’elles offrent. Ils recon- des atouts historiques alors qu’elle consacre des res-
naissent leur potentiel, mais ignorent encore sources à des projets risqués qui n’offrent aucun
comment les faire fonctionner. avantage concurrentiel ou aucune possibilité de ga-
Sans surprise, les meilleures pratiques dans ce gner. Pour déjouer les pronostics, vous devez soit
domaine sont encore émergentes. Mais en s’ap- être très chanceux, soit trouver l’avantage que votre
puyant sur notre étude d’entreprises leaders issues cœur de métier va pouvoir fournir à la nouvelle en-
de 20 secteurs internationaux, nous avons identifié treprise et vice versa. Ces avantages peuvent être
cinq règles qui expliquent en grande partie la diffé- des informations clients exclusives, des caractéris-
rence entre le succès et l’échec. tiques distinctives et des moyens de capitaliser sur
Certaines règles sont frappées au coin du bon les vulnérabilités d’un concurrent.
sens mais ne sont pas utilisées couramment. Les fusions physico-numériques peuvent renfor-
D’autres peuvent s’apparenter à une hérésie, du cer les forces d’une entreprise pour lui permettre de
moins pour les partisans de la rupture numérique. faire la différence. Prenons le cas de la Com-
Mais les entreprises leaders que nous avons étudiées monwealth Bank of Australia (CBA). Fondée en 1911,
y ont puisé d’importantes opportunités de crois- elle emploie aujourd’hui 52 000 employés dans une
sance, tandis que leurs rivales se lamentaient de ne dizaine de pays. Lorsque Ralph Norris a été nommé
pas y parvenir. Il est donc intéressant d’observer de P�DG, en 2005, CBA avait les pires résultats du sec-
plus près ce que ces sociétés avant-gardistes ont ac- teur en termes de satisfaction client et perdait des
compli et comment elles l’ont fait. parts de marché sur plusieurs segments d’activité.
Comme d’autres grandes banques, elle avait essayé
ouvrir leurs propres succursales et en ont favorisé Ces efforts ont produit une succession impres-
la croissance. Ces rivaux agressifs en ont également sionnante d’innovations physico-numériques. Le
profité pour récupérer un grand nombre d’anciens projet Finest Online a modernisé le service bancaire
directeurs d’agence, de chargés de prêts et de Internet de CBA et l’a combiné à des services per-
clients de CBA. sonnalisés afin d’éliminer des problèmes trop fré-
Ralph Norris a commencé son mandat en visi- quents, comme l’impossibilité de relier des comptes
tant les agences et en étudiant les plaintes des bancaires personnels à des comptes commerciaux.
clients. Il a constaté que les usagers critiquaient L’appli immobilière de CBA reconnaît les photos des
pratiquement chaque aspect de la relation client propriétés, montre les plans des étages, aide les
– ils trouvaient les produits nuls, évoquaient les clients à déterminer s’ils peuvent se permettre d’ac-
files d’attente interminables, disaient que les em- quérir une telle habitation et lance le processus de
ployés étaient idiots et vitupéraient les taux d’er- la demande d’emprunt. L’appli Kaching de la
reur élevés. Venant du secteur informatique, Norris banque a été l’une des premières à permettre de
réaliser différents types de paiement à l’aide d’un
smartphone, y compris via Facebook (la société ré-
N’EST PAS LE SCEPTICISME VIS�À�VIS mettait auparavant entre 14 et 21 jours. Et, en 2013,
elle a lancé SmartSign, un service qui permet aux
DE CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE, clients de remplir électroniquement des demandes
MAIS LE MANQUE D’EXPÉRIENCE DANS de prêt via un portail en ligne sécurisé. Elle a égale-
ment introduit la vidéoconférence dans ses
LEUR MISE EN ŒUVRE. agences, permettant ainsi aux clients, en particulier
ceux situés dans des zones rurales, de se mettre en
relation plus facilement avec les conseillers spécia-
passa aussi au peigne fin l’infrastructure numérique lisés au sein de la banque.
et découvrit des systèmes vieux de plusieurs dé- Le système de CBA est maintenant si bien rodé
cennies qui empêchaient même les meilleurs em- qu’il continue de se développer, alors même que les
ployés de mener à bien leurs missions pour le bien concurrents investissent dans leurs propres sys-
de leurs clients. tèmes et l’optimisation de leurs services. Sa straté-
La vision de Ralph Norris a été de construire la gie basée sur la fusion a contribué à propulser la
meilleure organisation de services financiers d’Aus- banque à la plus haute place en matière de satisfac-
tralie en excellant dans le service client. Il a fixé un tion client pour les banques de détail en 2013. Le
objectif, celui de passer de la pire à la meilleure place cours de Bourse de CBA a augmenté de plus de 80%
en matière de satisfaction client, et a indexé la ré- entre la mi-2006 et la mi-2014, et a progressé de 9%
munération de tous les cadres supérieurs sur l’at- sur l’indice S & P/ASX 200 pendant la même période.
teinte de cet objectif. Puis il a décidé de faire mieux Plus important encore, les concurrents semblent
dans cinq domaines : les prêts immobiliers, les dé- mettre plus de temps à copier les plateformes tech-
pôts, les dépôts à terme, les livrets et les systèmes de nologiques, la culture axée sur le client ainsi que les
relations clients. Le P�DG s’est également mis à dé- procédés d’innovation très rapides que CBA a déve-
velopper les capacités digitales qui permettraient loppés au cours de ces huit années.
d’atteindre cet objectif, en embauchant ou en favo-
risant la promotion de dirigeants informatiques ta-
lentueux qui partageaient sa vision. Il a convaincu le Règle #2
conseil d’administration de CBA de déployer un pro- Ajoutez des liens et renforcez l’aspect
gramme de « modernisation des services bancaires relationnel de l’expérience client.
de base » en y consacrant un budget de 580 millions On pense que Thomas Edison est l’inventeur de
de dollars australiens sur quatre ans (budget porté l’ampoule électrique, mais son ampoule à filament
ensuite à 1,1 milliard de dollars australiens sur six de carbone était en réalité une amélioration de mo-
ans). En parallèle, il a lancé un programme visant à dèles existants. La vraie contribution d’Edison a
réorganiser le réseau d’agences pour améliorer les consisté à créer un système de production et de dis-
niveaux de confort et de service. tribution d’énergie électrique qui a fait fonctionner
dirigeants engagent des experts digitaux à tous les nirs). Les bracelets interagissent aussi avec les
étages, de la production d’idées au développe- capteurs situés dans le parc et transmettent des
ment, en passant par le test et le lancement, et ils informations comportementales qui permettent à
constituent des équipes pour chaque type possible Disney d’améliorer encore l’expérience client.
de projet d’innovation. Leur approche débouche Grâce aux futures applications, on pourra person-
sur des solutions plus ambitieuses, innovantes et naliser excursions et attractions : par exemple,
intégrées, parce que l’expertise combinée des Winnie l’Ourson pourrait saluer un enfant par son
membres de l’équipe peut associer le meilleur des prénom et lui souhaiter un joyeux anniversaire.
deux mondes, physique et numérique, à toutes les Cette initiative devrait permettre à Disney de ga-
étapes du projet. gner près de 500 millions de dollars de revenus
Disney a adopté cette démarche depuis la annuels supplémentaires, en réalisant une marge
conception de Disneyland, en 1952. Mais même les d’exploitation de 20%. Si ces chiffres se concré-
compétences physico-numériques prodigieuses tisent, le retour sur le milliard de dollars investi
de Disney ont été soumises à rude épreuve lorsque sera confortable.
la société a lancé un projet révolutionnaire en
2009. Les objectifs étaient de créer une expérience
« plus personnelle, plus immersive et plus transpa- Règle #4
rente » pour ses clients et de recueillir des données La séparation organisationnelle
en temps réel sur leurs comportements, afin d’ai- n’est qu’une étape intermédiaire.
der la société à analyser leurs modes de fréquenta- Le choix entre la rupture numérique et la transfor-
tion et habitudes de dépense, d’optimiser l’effica- mation physico-numérique a des répercussions
c ité du personnel et les futures dépenses spectaculaires sur le mode opératoire et la struc-
d’investissement de l’entreprise. Le projet concer- ture organisationnelle d’une entreprise. Mais ces
nerait l’expérience vécue dans sa globalité par le conséquences peuvent ne pas sauter aux yeux de
client dans le parc à thèmes et à chaque interaction prime abord, parce que, dans un cas comme dans
avec lui. Disney décida que ce projet qui dépassait l’autre, les innovateurs qui réussissent com-
1 milliard de dollars était tellement plus ambitieux mencent généralement par séparer leurs activités
que tout ce que les concepteurs et développeurs digitales révolutionnaires de leur activité tradi-
de son célèbre département Imagineering avaient tionnelle. Cette scission permet à ces entreprises
jamais entrepris qu’il fallait revoir de fond en d’attirer des innovateurs et des programmeurs ta-
comble l’organisation. Le groupe décida de créer lentueux qu’elles installent ensuite à San Fran-
une cellule entrepreneuriale, baptisée Next Gene- cisco, Cambridge, Tel-Aviv ou Hyderabad, au
ration Experience, qui a fini par employer plus de choix. Une force de frappe spécialisée – ni entra-
1 000 collaborateurs du groupe répartis entre diffé- vée par la bureaucratie d’entreprise, ni contaminée
rentes fonctions. par une tendance au conservatisme – peut s’instal-
Les dirigeants de Next Generation ont embau- ler rapidement. Une nouvelle culture peut re-
ché des experts venant des départements informa- mettre en cause le statu quo et chercher à dévelop-
tique, Imagineering, exploitation des parcs à per des innovations radicales. Les programmes de
thème, marketing et autres domaines fonction- rémunération et d’incitation sont à adapter aux
nels. Leur première réalisation, le système MyMa- besoins de la nouvelle génération plutôt qu’aux
gic+, combine la technologie numérique avec le exigences de l’ancienne.
parc à thème en trois dimensions : MyDisney Expe- Mais à un moment ou à un autre, ces entre-
rience, un nouveau site Internet et une application prises ont une décision à prendre. Si elles doivent
mobile, facilite la plani�ication des vacances et faire face à une rupture numérique, elles laisseront
permet de collecter des informations sur les préfé- les activités séparées pendant une longue période,
rences individuelles ; FastPass+ permet aux visi- peut-être pour toujours. Le cœur historique de l’ac-
teurs de réserver des attractions, des rencontres tivité, après tout, est un ennemi qu’il faut exploiter
avec les personnages et des places pour les spec- à fond et finalement réduire à néant. Les différents
tacles ; et MagicBands (des bracelets munis d’une départements d’une société se battent à mort pour
puce RFID) prend en charge billets, clés de gagner une part de marché, attirer l’attention de la
chambre, confirmations FastPass+ et cartes de cré- direction ou capter des ressources financières. Un
dit (un simple geste du poignet permet aux visi- seul restera debout. C’est peut-être ce modèle que
teurs de régler des repas ou d’acheter des souve- Sears a adopté. Quand Edward S. Lampert était son
��EN ����, NOUS NOUS SOMMES DIT impliquées de près ou de loin dans ces activités, y
compris eux-mêmes, les membres des conseils d’ad-
QUE LE MONDE ENTIER ALLAIT ministration, leurs équipes de direction et l’organi-
n’avaient pas besoin d’être améliorés, c’était le pro- équipes, une fois le téléphone raccroché, avaient
cessus d’intégration du client dans son ensemble très peu de visibilité sur ce qui se produisait après,
qui devait l’être. La plupart des interventions de en dehors de la décision du client de poursuivre
service étaient positives stricto sensu – les em- l’installation ou pas. La confusion à propos des pro-
ployés résolvaient les problèmes sur-le-champ – motions et les interrogations concernant l’installa-
mais les problèmes sous-jacents étaient évitables, tion, les options de matériels et les bouquets de
les causes fondamentales étaient ignorées, et l’effet programmes provoquaient souvent du mécontente-
cumulé auprès du client était nettement négatif. ment par la suite chez les clients, qui appelaient
Résoudre les problèmes apporterait une valeur alors les centres d’appels pour se plaindre. Mais les
ajoutée significative, mais cela ne serait pas facile : commerciaux obtenaient rarement les commen-
la société avait besoin d’une toute nouvelle façon taires qui auraient pu les aider à adapter leur pra-
de gérer ses activités opérationnelles, afin de réin- tique initiale.
venter les parcours clients qui importaient le plus. Pour qu’il n’y ait pas de rupture dans la chaîne
de service au client, la solution n’est pas de rem-
Prendre en compte la multiplicité placer les responsables chargés des points de
des points de contact contact. Les unités opérationnelles possèdent
Le problème rencontré par la chaîne de télévision une expertise essentielle et les points de
payante est beaucoup plus fréquent que la plupart contact continueront d’être des sources
des entreprises ne veulent l’admettre et il peut être irremplaçables d’informations, en parti-
difficile à repérer. Le cloisonnement des prestations culier dans un contexte de transforma-
de service et les tendances autarciques fleurissant tion numérique rapide (lire « Bran-
dans les unités opérationnelles qui conçoivent et ding in the Digital Age : You’re
offrent un service sont au cœur du défi à relever. Spending Your Money in All
Ces entités façonnent la manière dont l’entreprise the Wrong Places », HBR édi-
interagit avec les clients. Mais même si elles s’ef- tion américaine, décembre
forcent d’améliorer l’expérience client, elles 2010). Au lieu de cela, les
perdent souvent de vue ce que ces derniers veulent entreprises doivent inté-
vraiment. grer les parcours clients
Les équipes commerciales de la chaîne de télévi- dans leur modèle opéra-
sion payante, par exemple, ne cherchaient qu’à si- tionnel de quatre façons :
gner de nouvelles ventes et à aider le client à faire elles doivent identifier les
son choix parmi une offre pléthorique de technolo- parcours où il leur faut ex-
gies et d’options de programmation – mais ces celler, comprendre comment
elles procèdent actuellement sur chacun d’entre processus pouvant être mis en œuvre rapidement
eux, construire des processus transversaux pour et de manière centrale) qui donnent le ton pour une
redessiner et faciliter ces expériences clients, et, transformation plus profonde.
enfin, instaurer un changement de culture en in- Pour les entreprises ne cherchant à résoudre
terne et une amélioration continue pour soutenir qu’une poignée de problèmes flagrants concernant
les initiatives au bon niveau. des parcours spécifiques, de telles méthodes des-
cendantes de résolution de problèmes peuvent suf-
Identifier les parcours clients clés �ire. Mais les entreprises qui veulent transformer
Dé�inir les parcours qui comptent et décider où l’expérience client globale doivent créer simultané-
commence la transformation nécessite de mener à ment une feuille de route détaillée pour chaque par-
la fois des évaluations descendantes et une analyse cours client : elle décrira le processus du début à la
ascendante axée sur les données à des degrés va- fin, prendra en compte l’impact commercial qu’ap-
riés. Nous recommandons de mener ces initiatives portera cette optimisation de parcours et établira
en parallèle, chaque fois que cela est possible. une séquence d’actions cohérentes et faisables.
Une session de travail entre dirigeants, basée C’est une initiative ascendante qui commence
sur les recherches existantes, peut suffire à identi- par des recherches supplémentaires sur les expé-
fier les parcours les plus significatifs et les points riences que les clients ont eues de leurs parcours en
sensibles parmi ces derniers – c’est-à-dire les tant que consommateurs et, parmi elles, sur celles
lacunes de service spéci�iques qui sont préjudi- qui comptent le plus, à la fois en termes de perfor-
ciables à l’expérience client. Cette recherche est mance commerciale et de satisfaction client. Une
généralement fragmentée et comprend souvent entreprise a tout intérêt à combiner des enquêtes
des données concernant le nombre de clients dans clients, des sondages menés auprès de ses employés
un parcours donné, les raisons des plaintes recueil- ainsi que des données opérationnelles entre les
lies par les centres d’appels et les écarts de perfor- fonctions à chaque point de contact pour évaluer sa
mance évidents, comme les écarts entre les performance et la mesurer à l’aune des résultats
promesses faites par le marketing dans ses docu- obtenus par ses concurrents. Les meilleures entre-
mentations commerciales et les prestations effecti- prises utilisent des modèles de régression pour com-
vement servies. prendre quels parcours ont le plus d’impact sur la
Dans trois entreprises avec lesquelles nous satisfaction client et les résultats commerciaux, puis
avons travaillé, des sessions de ce type ont permis elles réalisent des simulations pour obtenir un
de faire la lumière sur les problèmes clés rencon- aperçu de l’impact potentiel de diverses initiatives.
trés lors du parcours client. L’équipe de direction Mener à bien cette recherche et cette analyse
d’un opérateur de télécommunications fixe s’est n’est pas une mince affaire, car cela nécessite géné-
concentrée sur les 50% de clients se déclarant mé- ralement d’acquérir de nouveaux types d’informa-
contents du processus d’installation ; l’équipe de tions et de les assembler de façon différente. Pour
direction d’un acteur de l’énergie de premier plan de nombreuses entreprises, combiner des données
s’est mise à cibler les 40% de clients le quittant de recherche sur leurs opérations, leur marketing
suite à un changement de résidence ; et les réu- et leur compétitivité pour comprendre les parcours
nions de travail réunissant l’équipe de direction clients est une nouvelle aventure, et cela peut
d’un opérateur de télécommunications intégré ont prendre du temps, parfois plusieurs mois. Mais cela
été consacrées aux nouveaux clients ayant opté en vaut la peine, parce que la base de faits obtenue
pour la �ibre optique et qui, pour plus d’un tiers permet à la direction d’identifier clairement les dif-
d’entre eux, revenaient sur leur engagement avant férents parcours suivis par le client et de décider
l’installation ou dans les 90 jours suivants. Dans quels sont ceux à privilégier.
chaque cas, l’attention des managers a conduit à un
effort concerté pour dé�inir ce à quoi devait res- Comprendre la performance actuelle
sembler le parcours client souhaité, et le fait que le Une fois qu’une entreprise a identifié ses princi-
leadership joigne les actes à la parole a favorisé la paux parcours clients, elle doit les examiner les uns
mise en place de programmes d’amélioration et de après les autres en détail afin de comprendre les
changements organisationnels plus larges. Ces ré- causes de la performance actuelle. Cette plongée
sultats montrent à quel point un travail initial des- en profondeur implique d’effectuer des recherches
cendant permet d’identifier des gains rapides (sou- supplémentaires, y compris au moyen de groupes
vent liés à des changements de politique ou de de discussion entre clients et entre employés et de
face leurs homologues dans d’autres groupes opéra- missions : cartographier l’expérience client et re-
tionnels, ils purent réfléchir ensemble à une nou- chercher de nouvelles idées de services pour l’amé-
velle manière d’agir. Ils mirent leurs idées en com- liorer ; faire en sorte que les employés de première
mun au sein d’une « war room », établirent des ligne au sein de chacune de ces fonctions colla-
équipes ad hoc chargées de piloter et d’améliorer les borent ensemble pour identifier les causes des pro-
idées et les autorisèrent à prendre des risques et à blèmes et trouvent des solutions ; et coordonner les
mener des expériences en testant des solutions, activités afin de maximiser la vitesse de service du
quitte à se tromper. Enfin, ils ont sollicité l’avis des point de vue du client.
clients sur leur processus de conception, a�in de Dans une de ces régions, une équipe a découvert
veiller à ce que l’approche développée leur plaise. Le un goulot d’étranglement majeur : la société man-
résultat : un nouveau processus quatre fois plus effi- quait souvent de voitures propres au moment où la
cace et satisfaisant pour les clients, et beaucoup plus demande enregistrait un pic. Parmi les remèdes que
cohérent par rapport à la promesse de l’entreprise : proposa l’équipe figurait l’installation d’un avertis-
« On assure. » La proportion de clients mécontents seur sonore entre le comptoir de location et le par-
de leur déménagement a chuté de façon significa- king où stationnait la voiture. Lorsque la file d’at-
tive, ce qui a permis de réaliser un gain de 4 millions tente au comptoir s’allongeait, les membres du
d’euros de chiffre d’affaires (pour un exemple de personnel pouvaient prévenir leurs collègues sur le
processus typique, voir « Suivre un parcours client »). parking qu’ils auraient bientôt besoin de plus de
Une importante société de location de véhicules voitures. A la �in de cette expérience pilote, les
automobiles avec laquelle nous avons travaillé avait notes obtenues par le service client sur site avaient
conduit une série d’initiatives et d’expériences pi- doublé, les revenus avaient grimpé de 5% grâce à
lotes similaires en mettant en place dans des aéro- l’augmentation des ventes, et le coût de la presta-
ports clés des équipes en contact direct avec les tion délivrée aux clients avait diminué de 10%. En
clients, équipes incluant des agents de nettoyage outre, l’équipe marketing – impliquée dès le pre-
des véhicules, des membres du personnel au gui- mier jour – a contribué à identifier les modifications
chet de sortie et des chauffeurs d’autobus. La direc- nécessaires à apporter au processus de sortie (quand
tion a sélectionné plusieurs zones géographiques les clients prenaient leur voiture sur le parking), ce
cibles, a nommé un cadre senior référent pour cha- qui a fait progresser les ventes en élargissant la
cune d’entre elles et a chargé ces équipes de trois gamme de véhicules disponibles.
Faire changer les modes de pensée sont plus nécessaires, mais ils sont essentiels durant
à l’échelle de l’entreprise les premières années du déploiement. La compa-
Bien sûr, il ne suffit pas à une entreprise d’analyser gnie d’énergie a installé son équipe chargée du chan-
les parcours de ses clients et de refondre ses proces- gement juste à côté de la salle de réunion pour signa-
sus de service. Mettre en œuvre les changements à ler l’importance de son initiative. La chaîne TV à
travers toute l’entreprise est très important et diffi- péage a promu un cadre opérationnel en lui confiant
cile à réaliser. Débattre en détail de la façon de dé- cette mission et en le rattachant hiérarchiquement
ployer et de soutenir les initiatives de transforma- au P�DG. Plusieurs opérateurs télécoms avec qui
tion nécessiterait d’aller au-delà du champ nous avons collaboré ont choisi de mettre en pra-
d’application de cet article. Toutefois, pour mettre tique des changements organisationnels plus du-
en œuvre des parcours clients à l’échelle de toute rables et ont laissé les équipes de changement trans-
une entreprise, il faut introduire deux changements versales en place pour assurer l’équilibre continu des
de taille qui méritent d’être mentionnés ici : (1) mo- pouvoirs en dépit des tensions naturelles s’exerçant
difier l’entreprise et ses processus pour fournir des entre les fonctions. Dans les cas les plus efficaces, les
parcours clients d’exception, et (2) ajuster les para- entreprises conçoivent des méthodes de travail et
mètres et les incitations pour que les efforts soient des postes de responsabilités transversaux dans leur
concentrés sur le soutien aux parcours clients, et pas cœur de métier, en définissant clairement leurs at-
uniquement aux points de contact avec eux. tentes en matière de propriété, d’autorité, de me-
D’un point de vue organisationnel, en adoptant sures et de performance, qui complètent les struc-
une approche centrée sur le parcours client, les en- tures fonctionnelles existantes.
treprises peuvent ainsi abandonner des fonctions Regardez comment cela a fonctionné avec l’en-
cloisonnées et une innovation descendante au profit treprise de location de voitures. Tandis que les ini-
de procédés transversaux et d’une innovation as- tiatives prenaient de l’ampleur sur les sites pilotes,
cendante. La plupart des entreprises gardent leurs le P�DG a laissé libre chaque membre de son équipe
alignements fonctionnels intacts et ajoutent des de direction de mettre en œuvre le programme
équipes et des processus de travail transversaux dans tous les sites d’une région géographique parti-
pour conduire le changement. C’est dans ce but que culière, sachant que les cadres devraient trouver
de nombreuses entreprises que nous avons étudiées des alliances avec leurs pairs de façon innovante. Le
ont mis en place une équipe centrale dédiée à la directeur financier, par exemple, pouvait avoir pour
conduite du changement, avec à sa tête un cadre mission de garder un œil sur les améliorations in-
dirigeant pour concevoir et appliquer le tout et veil- terfonctionnelles dans la région de Philadelphie et
ler à ce que l’organisation s’affranchisse des préjugés de prendre en charge la résolution de tous les
fonctionnels qui ont historiquement bloqué le chan- problèmes y survenant, y compris ceux de nature
gement. Ces rôles ont tendance à ne pas être perma- purement opérationnelle. Et bien que la société ait
nents : en effet, le succès implique en fin de compte déjà établi un modèle pour son premier site pilote,
un changement de culture tel que même les rôles ne cela créait une émulation avec les autres équipes
en quelques mouvements du bout des doigts, et l’utilisation du produit) dans le but de créer une
permet notamment aux utilisateurs de sélection- représentation unique et globale de ce que font les
ner leur musique, de contrôler le volume et de clients et de ce qui en résulte. Ceci permet d’appré-
choisir quel morceau jouer dans quelle pièce – le hender en temps réel leurs comportements (et
tout depuis un appareil mobile. d’isoler, en fait, des moments où l’entreprise peut
La personnalisation proactive. En tirant influencer ce parcours), ce qui permet l’envoi de
parti de leur capacité d’automatisation, les entre- messages ou le déclenchement de fonctionnalités
prises doivent rassembler les informations recueil- personnalisées (par exemple, l’insc ription
lies soit depuis des interactions réalisées par le immédiate d’un passager important sur une liste de
passé avec un client, soit depuis des sources exis- surclassement). Le distributeur Kenneth Cole re-
tantes, et les utiliser afin de personnaliser en ins- configure les éléments de son site Web en fonction
tantané l’expérience d’un client. Le moteur de re- des interactions du visiteur avec le site dans le
commandations d’Amazon et les algorithmes temps : certaines personnes voient plus d’avis
intelligents de commandes répétées (qui savent concernant le produit, tandis que d’autres voient
quelle encre il vous faut pour votre imprimante) en plus d’images, de vidéos ou d’offres spéciales. L’al-
sont des exemples bien connus. Mais savoir se sou- gorithme de l’entreprise apprend constamment
venir des préférences d’un client n’est qu’un début : quel contenu et quelle configuration marchent le
la capacité de personnalisation s’étend à l’optimisa- mieux pour chaque visiteur et présente en consé-
tion des étapes suivantes de son parcours. Au mo- quence une version adaptée du site en temps réel.
ment où un client entre en jeu (par exemple, en Makeup Genius, appli de la marque L’Oréal,
répondant à un message ou en lançant une appli), pousse ces capacités encore plus loin en permet-
l’entreprise doit analyser son comportement et tant aux clientes d’essayer du maquillage virtuelle-
ajuster les interactions qui s’ensuivent en consé- ment et en leur proposant des réponses toujours
quence. Des entreprises telles que Pega et ClickFox plus personnalisées en temps réel. L’appli photo-
(où McKinsey a pris des parts) proposent des appli- graphie le visage de la cliente, analyse plus de
cations qui suivent les clients transversalement, 60 caractéristiques, puis affiche des images mon-
c’est-à-dire sur plusieurs canaux, afin d’agréger les trant la manière dont différents produits et nuances
données issues de plusieurs sources (comme l’his- de teintes permettent d’obtenir un certain rendu.
torique de navigation et de transactions ou bien Les clientes peuvent sélectionner un look qui leur
plaît et commander instantanément le bon assorti- moment-là. Par exemple, l’appli d’une compagnie
ment de produits en ligne ou en magasin. Comme aérienne peut afficher votre carte d’embarquement
l’appli suit la manière dont la cliente l’utilise et ce alors que vous arrivez à l’aéroport, et un site de
qu’elle achète, elle assimile aussi ses préférences, en vente peut vous donner le dernier état de suivi de
tire certaines déductions en se basant sur les choix votre commande au moment où vous vous rendez
de clientes au profil similaire, et ajuste ainsi sa ré- sur la page d’accueil.
ponse. L’Oréal a créé une expérience agréable qui Des versions plus sophistiquées permettent une
accompagne rapidement et avec une grande fluidité série d’interactions qui façonnent encore plus fine-
la cliente tout au long de la trajectoire allant de la ment, tout en la renforçant, l’expérience client sur
considération à l’achat, et, à mesure que le degré de son parcours. La chaîne Starwood Hotels, par
personnalisation augmente, vers la boucle de fidé- exemple, a lancé une appli qui envoie un message
lité (voir l’encadré « Avec Makeup Genius (L’Oréal), texte au client lui indiquant le numéro de sa
les clientes reviennent – et achètent encore »). Déjà chambre lorsqu’il franchit le seuil de l’hôtel, l’enre-
forte de 14 millions d’utilisatrices, l’appli est deve- gistre en scannant l’empreinte digitale de son pouce
nue un atout majeur pour la marque, tant comme sur son smartphone et, alors qu’il s’approche de sa
canal interagissant avec les clientes qu’en tuyau chambre, transforme son téléphone en clé virtuelle
bouillonnant d’informations continues sur la ma- qui ouvre la porte. L’appli envoie ensuite des re-
nière dont ces clientes interagissent avec la marque. commandations personnalisées, selon un timing
L’interaction contextuelle. Une autre capa- opportun, concernant les divertissements ou les
cité clé implique l’utilisation de la connaissance de options de dîners à sa disposition.
l’étape à laquelle se situe un client dans son L’innovation dans le parcours. L’innovation,
parcours, physiquement (il entre dans un hôtel) ou la dernière des quatre capacités nécessaires, pro-
virtuellement (il lit les avis concernant un produit), vient d’une démarche d’expérimentation continue
afin de l’amener à avancer dans les interactions qui et d’une analyse active des besoins des clients, des
suivent et dans lesquelles l’entreprise souhaiterait technologies et des services afin de déceler les op-
le voir s’engager. Ceci peut se traduire par la portunités de développer la relation avec le client.
modification de l’affichage d’un écran suite à une Au �inal, l’objectif est d’identi�ier de nouvelles
étape clé ou par l’arrivée d’un message pertinent sources de valeurs aussi bien pour l’entreprise que
déclenché par le contexte où se trouve le client à ce pour les consommateurs.
responsabilité, d’augmenter leur pouvoir de réten- questions telles que « Quel type de fonctionnalités,
tion, de s’associer à de nouveaux partenaires, d’affichage, d’ambiance et de message propulsera
d’écarter la concurrence et de réduire les coûts, le client à l’étape suivante ? » ou « Comment le ti-
particulièrement à travers la digitalisation des pro- ming des propositions affecte-t-il les réactions des
cessus manuels. D’un point de vue purement opé- clients ? ». Dans leur quête de réponses à ce genre
rationnel, c’est à eux qu’il revient de comprendre la de question, les équipes se lancent dans des séries
manière dont les clients évoluent dans le parcours, de développement et testent des prototypes itéra-
de déceler les comportements clients inhabituels tifs de parcours numériques ; elles analysent les
(comme le contournement ou l’abandon à un point données opérationnelles et celles relatives à l’utili-
de contact crucial) et de discerner ce qui attire les sation client, puis mesurent l’impact sur le client
clients – ou les rebute. de chaque amélioration apportée au parcours.
Pour construire des parcours qui fonctionnent, Nordstrom est l’une des entreprises qui ont
ces managers peuvent compter sur des équipes de utilisé la méthode des équipes scrum. Afin d’enri-
développement que l’on appelle équipes « scrum », chir le parcours autour de l’achat de lunettes de
qui rassemblent des spécialistes dans les domaines soleil, par exemple, l’équipe a temporairement
informatiques, analytiques, opérationnels, marke- « planté sa tente » dans l’un des magasins phares
ting ou autres. Ces équipes sont axées sur l’exécu- du distributeur et a lancé une série d’expériences
tion, elles sont rapides et agiles, enchaînent les d’une durée d’une semaine a�in de parfaire une
tests et les améliorations. Leurs membres tra- nouvelle appli. Celle-ci avait été envisagée comme
vaillent collectivement à la compréhension des un outil destiné à guider les clients dans le proces-
souhaits et des besoins des clients à chaque étape sus de sélection en associant des styles de lunettes
du parcours et font en sorte que s’engager dans de soleil aux traits de leur visage et à leurs préfé-
l’étape suivante en vaille la peine. Ils posent des rences. Sur le terrain, directement dans le magasin,
les membres de l’équipe ont élaboré des maquettes repas. Ceci crée des opportunités de construire
papier de l’appli et ont étudié la manière dont la tout un éventail de services qui aident les clients à
clientèle tapotait dessus comme si elle utilisait une profiter au maximum de cet équipement.
version réelle. Tout au long de ce processus, ils ont Même si l’entreprise possédait une expérience de
demandé aux clients quels aspects de l’appli leur longue date en matière de conception et de design
semblaient utiles, superflus ou même gênants. A produit, lorsqu’elle a commencé à inclure un aspect
partir de ces retours, les codeurs de l’équipe ont connectivité dans ses produits, les dirigeants se sont
programmé une version live de l’appli qu’ils ont rendu compte qu’ils en savaient finalement assez
soumise aux clients à titre d’essai, en faisant des peu en matière de création de services venant valo-
ajustements en temps réel au fur et à mesure qu’ils riser ces produits. Admettant alors qu’il faudrait une
recevaient davantage de retours. Après une nouvelle structure afin de concevoir et de gérer de
semaine d’améliorations, ils ont diffusé l’appli sur tels services, l’entreprise a mis sur pied une équipe
les tablettes des vendeurs du magasin, qui l’ont innovation-expérience internationale, sous la hou-
alors utilisée avec les clients a�in de les aider à lette d’un manager chargé du développement de
choisir leurs lunettes. nouvelles activités, lui-même épaulé par un cadre
Il est courant que les responsables parcours conception de produit. Agissant de concert en tant
amènent leurs équipes de développement sur le que directeurs expérience client pour les nouveaux
terrain (comme l’a fait Nordstrom) ou les ras- services envisagés, ces cadres supervisent toutes les
semblent dans un même lieu de travail, souvent initiatives de l’entreprise en termes de produits
appelé « war room », où s’engagent alors de véri- connectés et dirigent les responsables parcours (ou
tables courses à la conception, durant lesquelles « leaders innovation ») chargés de ces projets.
les équipes présentent de nouvelles trajectoires de Le responsable parcours du robot cuiseur avait
parcours ainsi que leurs caractéristiques, puis pour tâche la création des divers services associés
développent, testent et ajustent des prototypes. (aide pour la planification, l’achat des ingrédients et
Les expériences peuvent être centrées sur n’im- la préparation des repas) et l’élaboration des par-
porte quel aspect, allant de la maquette de la page cours qui permettraient de se les procurer concrète-
sur laquelle arrive le client à l’élaboration de ment. Fort de son équipe scrum de concepteurs, de
conversations en direct avec les commerciaux, en programmeurs, de managers opérationnels et de
passant par l’optimisation des processus opéra- spécialistes marketing, le responsable a dirigé le dé-
tionnels ou l’amélioration de la « fluidité de l’expé- veloppement d’un service qui fournit des recettes à
rience » (ou comment le client avance d’une étape travers l’appli du robot, suit l’historique de ce que
du parcours à une autre). cuisine le client et personnalise ensuite ses sugges-
Si les meilleurs responsables parcours tra- tions dans le temps. L’équipe développe maintenant
vaillent ainsi afin d’affiner en continu les parcours une appli de planification des menus de la semaine
existants, ils n’en perdent pas pour autant de vue et s’est associée avec des acteurs du secteur agroali-
une perspective plus large, à travers l’introduction mentaire afin de créer des recettes et de proposer des
d’innovations à plus grande échelle qui étendent coupons de réduction pour certains ingrédients clés.
le parcours et augmentent sa valeur et son pouvoir Au bout du compte, l’équipe prévoit de fédérer une
de rétention. Considérons ainsi l’un de nos clients, communauté de clients dont les membres créeraient
un fabricant international de biens électroniques, et partageraient leurs propres recettes.
qui développe et commercialise un nouveau robot A�in d’accomplir tout cela, l’équipe épluche
cuiseur. Le produit dispose de compartiments toutes les données récupérées à travers l’appli : le
programmables qui peuvent être pilotés depuis pourcentage de clients l’ayant téléchargée, le nombre
une appli, ce qui permet aux clients de préparer de personnes qui s’inscrivent, comment (et à quelle
simultanément plusieurs parties d’un même fréquence) ils l’utilisent, les variations dans l’utilisa-
tion du robot cuiseur et dans le type de repas en
fonction de la localisation géographique, et, pour
Il est courant que les responsables parcours ceux qui ont cessé d’utiliser l’appli, le moment où ils
amènent leurs équipes de développement l’ont quittée. Ces données permettent à l’équipe d’af-
sur le terrain (comme l’a fait Nordstrom) ou finer la navigation et les messages, ainsi que les idées
de repas et les avantages incitant les clients à rester
les rassemblent dans un même lieu de travail, impliqués dans l’interaction. Les analystes, à un ni-
souvent appelé «�war room�». veau de perspective plus large, se concentrent sur
des segments ciblés de la base utilisateurs, en se fo- l’entreprise développe maintenant des parcours
calisant par exemple sur différents pays pour com- axés sur les services pour des produits de soins de
prendre les variations dans les habitudes alimen- santé à domicile ou de gestion domotique.
taires. Ce suivi peut aller jusqu’au niveau de
l’individu et révéler le type de recettes qu’une cliente REPENSER le parcours client pour le considérer comme
donnée essaie, la fréquence à laquelle elle utilise son un produit entraîne un changement majeur dans la
robot cuiseur et l’appli, et quelles fonctionnalités de manière dont les investissements produits sont défi-
l’appli elle utilise – tout cela permettant des innova- nis, priorisés, financés et mesurés. Les entreprises
tions et une personnalisation continue du parcours. tendent de plus en plus à se focaliser sur la manière
À PROPOS
Passer de la vente de produits à la gestion d’un dont un investissement améliore l’équation écono- DES AUTEURS
parcours client permanent nécessite, pour toutes les mique consistant à procurer des produits et des par- Au moment de la
entreprises qui souhaitent rester compétitives, la cours à un segment de clientèle – et à quel point cela rédaction de cet article,
les auteurs occupaient
maîtrise des quatre capacités : l’automatisation (ici, renforce son engagement – au lieu de se contenter de
les fonctions suivantes:
la capacité de piloter le robot depuis une appli), la voir en quoi il pousse les ventes ou réduit les coûts.
personnalisation (proposer des recettes particu- Pour les entreprises quelque peu éloignées des tran- David C. Edelman
est l’un des dirigeants
lières), l’interaction contextuelle (changer l’inter- sactions clients, comme les fabricants de biens de monde de l’activité de
face de l’appli quand les clients passent de l’achat consommation et les entreprises B to B, ceci requiert conseil en marketing et
ventes digitales de
des ingrédients à la préparation du repas) et l’inno- en particulier l’acquisition de compétences et de McKinsey & Company.
vation dans le parcours (ajout de nouvelles recettes, structures radicalement nouvelles afin de recueillir Marc Singer est le
possibilités d’achat en ligne et communauté). et d’analyser les données clients, d’interagir avec directeur monde de
l’activité de conseil en
A travers le perfectionnement de ces capacités, eux et de se focaliser sur un concept d’expérience engagement client de
l’entreprise a fait de ce parcours continu une partie allant de pair avec le concept de création de produit. McKinsey & Company.
intégrante de la marque au même titre que le Aujourd’hui, les marques leaders doivent leur suc- La version originale
produit lui-même – et une source de valeur tout cès non seulement à la qualité et à la valeur de ce de cet article a été
publiée en novembre 2015
aussi importante. En s’appuyant sur sa nouvelle qu’elles vendent, mais aussi à la supériorité des dans l’édition
structure managériale centrée sur le parcours, parcours qu’elles proposent. américaine de HBR.
EN
ANALYSANT Pour répondre à la première question, les pro- teurs automobiles, distributeurs ou voyagistes ont
LES MOTS fessionnels du marketing les plus audacieux uti- passé au crible les informations recherchées par les
lisent le big data et des méthodes d’analyse sophis- consommateurs sur le Net pour déterminer ce que
CLÉS DE tiquées pour cartographier les parcours d’achat des les mots clés de recherche et le type de plateforme
RECHERCHE, consommateurs. Une société spécialisée dans de recherche (par exemple, à partir d’un mobile ou
EXCLUSIVES
PRODUITS ���%�
un lien au-delà de la seule ���%� DÉCOUVRIR DE
dimension transactionnelle NOUVEAUX PRODUITS SE SENTIR CONNECTÉS ���%�
ne suscite que peu d’intérêt ���%� DONNER LEUR AVIS SUR SERVICE CLIENTS ���%�
LES PRODUITS�SERVICES ACTUELS
chez les consommateurs. SOUMETTRE DES IDÉES DE
Ils se connectent en ligne ���%� SERVICE CLIENTS NOUVEAUX PRODUITS�SERVICES
���%�
principalement pour ���%� PARTICIPATION À DES
FAIRE PARTIE D’UNE
ÉVÉNEMENTS
obtenir des informations, COMMUNAUTÉ ���%�
���%� SE SENTIR CONNECTÉS
des promotions et acheter PARTICIPER À DES ÉVÉNEMENTS
des produits. ���%� SOUMETTRE DES IDÉES DE ���%�
NOUVEAUX PRODUITS�SERVICES
ACHAT ���%�
���%� FAIRE PARTIE D’UNE
COMMUNAUTÉ PROMOTIONS ���%�
apparemment infini et fournit des critères de déci- examinant son profil sur le site Internet de Disney
sion. Les sociétés JC Penney et American Eagle ont World, où elle parle de sa famille, de sa ville na-
capitalisé sur le phénomène en proposant à des tale, et même des circonstances de sa rencontre
acheteurs aux avis impartiaux qui postaient des avec son mari. Ces détails sont importants, car ils
vidéos de leur shopping de s’exprimer sur leurs aident les clients à évaluer la crédibilité des
propres sites et sur leurs supports de communica- conseils qu’ils reçoivent et leur permettent de ju-
tion digitale. Aucun de ces deux distributeurs ne ger dans quelle mesure cette recommandation
demande à ces « prescripteurs de tendance » de ne s’applique à leur propre cas.
montrer que les marques qu’ils ont achetées dans La leçon pour les professionnels du marketing :
leurs magasins, et les acheteurs ne dissimulent pas élaborez des groupes d’internautes donnant des
les liens qu’ils entretiennent avec les entreprises conseils dignes de confiance au lieu de développer
(JC Penney, par exemple, offre des cartes cadeaux un réseau de prescripteurs qui se contenteront de
à ses meilleurs acheteurs postant des vidéos). faire la promotion de la marque ; puis agrégez
Donner des informations sur la personne qui leurs conseils et facilitez leur découverte et leur
donne son avis contribue aussi à renforcer la utilisation par les consommateurs, comme JC Pen-
confiance. Disney a fait un travail remarquable à ney – dont les vidéos de shopping sont vues des
cet égard avec son « panel mondial de mamans centaines de milliers de fois – y parvient si
Walt Disney » (« Walt Disney World Moms Panel »). brillamment.
Un groupe composé de mères s’étant déjà rendues Faciliter l’évaluation des options. Pour aider
plusieurs fois à Disney World a répondu aux ques- les consommateurs à évaluer les options qui
tions posées par des clients potentiels qui envi- s’offrent à eux, la plupart des marques décrivent les
sagent de se rendre chez Disney pour des vacances. critères et les atouts qui les distinguent. Par
Dans un cas récent, une cliente a demandé des exemple, une banque peut constituer un catalogue
places offrant une bonne vue sur la parade ; elle des options de ses comptes chèques répertoriant
avait deux enfants qui ne pouvaient rester debout les caractéristiques de chacune d’entre elles.
tout le temps. Elle a ainsi pu bénéficier des avis sur Certaines font un pas de plus en proposant des
mesure de Jackie S. Avec 25 voyages à Disney guides d’achat présentant des comparaisons entre
World, l’expérience de Jackie est considérée leurs marques et produits et ceux des concurrents.
comme suffisante pour faire d’elle une source d’in- Les deux approches fournissent un grand nombre
formations crédible. Les consommateurs peuvent d’informations, mais aucune d’entre elles n’offre
se faire une idée plus précise de son sérieux en beaucoup de conseils, laissant ainsi le consomma-
50
version papier ET numérique
%
de réduction* +
2 Hors-Séries
collector
version papier ET numérique
+
L’ accès ILLIMITÉ
1 an – 6 nos au site HBR France
ABONNEZ-VOUS SIMPLEMENT :
1 an – 2 nos
Des Hors-Séries collector avec :
• Des auteurs de référence,, experts dans leurs thématiques.
• Le must des sujets cruciaux d’aujourd’hui.
En renvoyant le bon En vous rendant sur internet :
• Des analyses rigoureuses,détaillées et exhaustives. d’abonnement ci-dessous www.prismashop.hbrfrance.fr
• Une nouvelle manière d’appréhender le management.
BULLETIN D’ABONNEMENT A renvoyer sans affranchir à Harvard Business Review Service abonnements -
Libre réponse 20816 - 62069 Arras cedex 9
HBRHS2P
1 Je choisis mon abonnement :
Je suis une entreprise Je suis un particulier Je suis un(e) étudiant(e) Carte bancaire (Visa ou Mastercard)
Nom** : N° :
Adresse** : Cryptogramme :
Code postal** : Ville : *Prix de vente au numéro. **Information obligatoire. A défaut, votre abonnement ne pourra être mis en place.
Offre réservée aux nouveaux abonnés de France Métropolitaine. Photos non contractuelles. Délai de livraison
du premier numéro: 4 semaines. Les informations recueillies font l’objet d’un traitement informatique à des
fins d’abonnement à nos services de presse, de fidélisation et de prospection commerciale. Conformément à
IMPORTANT : pour obtenir l’accès illimité au site HBR et la lettre d’infos réservés aux abonnés, la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d’un droit d’accès, de modification, de
rectification, de suppression et d’opposition au traitement des informations vous concernant. Pour exercer ces
j’indique ci-dessous mon adresse mail : droits, il vous suffit de nous écrire en envoyant un e-mail ou un courrier à cil@prismamedia.com ou PRISMA
MEDIA, Le Correspondant Informatique et Libertés, 13, rue Henri Barbusse - 92230 Gennevilliers. Si vous
______________________@______________________ acceptez que ces informations soient transmises à des partenaires du Groupe Prisma Media, ceux-ci peuvent
être situés hors de l’Union Européenne.
EN QUOI
L’IDENTITÉ
SOCIALE DE
VOS CLIENTS
INFLUENCE
LEURS ACHATS
La façon dont les consommateurs
se perçoivent détermine leur
comportement. Or vous pouvez
agir sur leur perception.
Par Guy Champniss, Hugh N. Wilson
et Emma K. Macdonald.
Illustrations: Brett Ryder
Premièrement, nous nous rangeons naturellement On peut façonner de nouvelles identités sociales
dans certains groupes et pas dans d’autres. A tout assez facilement et assez vite, comme le montre
moment, ce que nous faisons et où nous sommes cette expérience de façon flagrante. Des chercheurs
nous relie à un de « nos » groupes. Lorsque nous fai- de l’université de Lancaster, au Royaume-Uni, ont
sons du sport au club de gym, par exemple, nous recruté un certain nombre de supporters de
nous identifions plus volontiers au groupe de ceux l’équipe de Manchester United, en leur disant qu’ils
qui entretiennent leur forme physique plutôt qu’à voulaient savoir ce que cela signifiait d’être un fan
celui des amateurs de vin. de football. La moitié du groupe devait expliquer
Deuxièmement, il y a tout un ensemble de com- ce que cela signifiait d’être un fan de Manchester
portements que nous estimons compatibles avec un United, tandis que l’autre devait expliquer ce
groupe donné. Ainsi, au club de sport, nous achète- qu’être un passionné de football en général repré-
rons un Gatorade, pas uniquement pour son goût et sentait pour eux.
son apport nutritif, mais aussi (inconsciemment) Les supporters ont ensuite été amenés en petits
pour prouver que nous faisons partie de ceux qui groupes dans un autre lieu, où ils ont assisté à une
font attention à leur santé physique. Notre identité scène dans laquelle un homme tombait dans des
sociale nous aide à savoir comment agir dans un escaliers de façon accidentelle. C’est du moins ce
contexte donné, de manière à renforcer notre diffé- qu’on leur a laissé croire. En réalité, il s’agissait
rence et notre statut. d’une cascade réalisée par un professionnel. Dans
certains cas, celui-ci portait un maillot de Manches-
Un client de
ter United, dans d’autres, celui de l’équipe rivale,
Liverpool, et en�in, troisième option, une simple
supermarché peut
chemise. Les chercheurs ont voulu voir si l’apparte-
nance de la victime à un groupe en particulier in-
fluençait sa probabilité d’être aidée. Les résultats
avoir moult identités furent sans équivoque. Les individus que les cher-
cheurs avaient interrogés sur leur engouement pour
de la famille, celui qui ter United ou une simple chemise plutôt qu’un mail-
lot de Liverpool. Alors que ceux qui avaient évoqué
La principale différence entre les deux modèles gées d’être de parfaites ménagères, aux petits soins
est que la Prius est disponible uniquement en mo- pour leurs époux travaillant dur. L’entreprise a
torisation hybride et a un look radicalement diffé- donc modifié son approche. Au lieu de prétendre
rent de celui des voitures traditionnelles à essence que ce nouveau produit permettrait de réduire le
de Toyota. A contrario, le modèle hybride de Honda temps qu’il leur faut pour préparer un café, les
a été lancé dans le cadre d’une gamme qui compre- publicités ont insisté sur l’idée qu’il les aiderait à
nait aussi des voitures classiques du même type. servir un meilleur café, et qu’en outre il leur laisse-
Etre au volant d’une Prius signifiait donc forcément rait du temps pour accomplir d’autres tâches pour
que vous conduisiez une voiture hybride, alors que, leurs maris. Aussi dépassé et insultant que cela
pour la Honda Civic, impossible de le savoir sans puisse paraître aujourd’hui, le recadrage a été effi-
loucher sur son hayon pour voir s’il portait le sigle cace. Les ventes ont triplé au cours de la décennie
hybride. En d’autres termes, la Prius a donné aux et ont même été multipliées par 12 au milieu des
consommateurs qui se voyaient comme des défen- années 1970.
seurs de l’environnement une bien meilleure occa- «�Ajouter une chanson à la playlist de la
sion de prouver leur engagement écologique, ce qui station radio.�» Les identités sociales ne se défi-
a eu en outre pour effet de renforcer le groupe. nissent pas en fonction d’un seul comportement,
«�Mieux adapter son programme aux mais d’un ensemble de comportements (d’une
clients.�» Dans certains cas, les messages émis par playlist). Par conséquent, une autre option pour
une entreprise peuvent, par inadvertance, suggérer les professionnels du marketing est d’ajouter un
que l’utilisation de tel produit risque d’être contraire nouveau comportement à l’ensemble déjà connu.
Cela peut se faire en proposant un nouvel objectif
au groupe.
faire changer
avons donné au groupe le nom de « Groupe de vi-
sion créative 20/20 ». Une dénomination qu’ils
avaient en permanence sous les yeux. L’idée était
les consommateurs que cette identité les encourage à déployer des tré-
sors de créativité, pour faire bonne �igure par
en faire adopter de
prise était de lancer une marque « durable », qui
serait socialement et écologiquement responsable,
aux professionnels
de réussir le lancement. En �in de compte, nous
avons créé deux groupes sociaux ayant chacun une
identité sociale bien spéci�ique, l’une associée à
objectives concernant une voiture (le rendement du seuls les avantages sont effectivement décrits. Par
carburant, par exemple) auprès de sources diverses, exemple, formater un commentaire essentiellement
mais aussi avoir des impressions d’ordre subjectif favorable à un produit selon une liste de « pour » et
tenant à son confort et à son style après l’avoir es- de « contre » accroît la légitimité perçue de l’évalua-
sayée. Les informations objectives et subjectives tion et la certitude des individus à son sujet.
affectent toutes deux la perception de notre certi- Dans une autre recherche, la même équipe a ob-
tude. (Pour une discussion plus approfondie sur la servé que l’on est plus sûr de ses croyances quand
manière dont les individus réalisent leurs apprécia- on a le sentiment d’être dans une position de pou-
tions, référez-vous à l’article « Consumer Convic- voir —par exemple, lorsqu’on endosse le rôle d’un
tion and Commitment: An Appraisal-Based Fra- responsable et que l’on est installé dans un grand
mework for Attitude Certainty » [« L’engagement et fauteuil derrière un grand bureau.
la conviction du consommateur : un cadre de certi- La certitude, en tant qu’outil de persuasion, peut
tude des attitudes basé sur l’appréciation »], dans le être appliquée efficacement à tout niveau : interper-
numéro de janvier 2014 du « Journal of Consumer sonnel, managérial ou organisationnel. Penchons-
Psychology ».) nous maintenant sur la manière dont cela fonc-
Une grande part de notre recherche, ainsi que de tionne en pratique.
celles de nos confrères et de nos collaborateurs,
s’attache à la compréhension des facteurs subjectifs Quatre leviers de certitude
qui affectent la certitude – autant d’influences qui Nous présentons ici quatre leviers que les entre-
ont peu, ou rien, à voir avec les éléments qui sous- prises peuvent utiliser pour dynamiser la certitude :
tendent une conviction. Considérons par exemple le consensus, la répétition, l’aisance et la défense.
les effets de la crédibilité perçue : les travaux menés Chaque levier peut être actionné afin d’amplifier la
par l’un de nous (Derek D. Rucker), en collaboration force de persuasion d’un argument, qu’il s’agisse
avec Richard Petty et Pablo Briñol, montrent que, d’un effort interne destiné à fédérer les troupes
lorsque les consommateurs évaluent les informa- autour d’une initiative ou d’une campagne marke-
tions relatives à un produit, ils se sentent plus sûrs ting de grande envergure pour un nouveau produit.
de leur opinion si les données sont présentées d’une Il est possible que ces leviers ne soient pas étrangers
manière mettant en avant le fait que les avantages et aux managers. Cependant, leur application en tant
les défauts ont été pris en compte – même lorsque qu’outils de persuasion en est une facette nouvelle,
puissante et sous-estimée.
1- Le consensus. Il est bien connu que les indi-
vidus suivent naturellement le groupe. Nos travaux
de recherche ont révélé que, dans un contexte de
certitude, les personnes sont encore plus sûres de
leurs opinions lorsqu’elles pensent que d’autres les
de vue : « Merci de nous avoir attribué quatre étoiles ! sur le contrôle des armes à feu, puis avons demandé
85% de nos internautes ayant publié un commen- à chacun d’exprimer son opinion. Quand nous
taire pensent la même chose ! » Ce feed-back pourrait avons ensuite demandé à tous les participants
accroître la certitude et façonner le comportement d’évaluer à quel point ils étaient sûrs de leur avis,
des consommateurs. ceux du deuxième groupe ont af�iché des scores
Enfin, l’effet de consensus peut être utilisé dans plus élevés. Le simple fait d’exprimer leur avis plu-
des situations interpersonnelles ou organisation- sieurs fois avait augmenté leur certitude à ce sujet.
nelles. Que vous soyez en train de conclure une De plus, comme nous en avions émis l’hypothèse,
vente ou de mobiliser votre équipe autour d’une la répétition augmentait la résistance des sujets à
idée, trouvez des moyens de cautionner votre opi- l’évolution de leur point de vue, et, dans une étude
nion. Soyez à l’affût de commentaires favorables complémentaire dirigée par Lauren Cheatham,
tels que : « Je n’avais jamais considéré cela sous cet nous avons constaté que cela stimulait leur volonté
de partager ces opinions avec d’autres – même avec
le pouvoir d’un message réitéré. gers devraient encourager les clients, les employés
et d’autres parties prenantes à exprimer des opi-
SELON VOUS, LES PHRASES SUIVANTES CORRESPONDENT�ELLES AU CONTENU COMMENT AVEZ�VOUS CONNU
DE CE NUMÉRO ��LE MUST DU MARKETING�� ? LA COLLECTION ��LE MUST�� ?
Chez votre marchand de journaux
Tout à fait Assez Pas vraiment Pas du tout
En lisant Harvard Business Review
Il présente des sujets inédits
Par le site hbrfrance.fr
Il présente une sélection
des sujets les plus à jour Par les réseaux sociaux
sur le marketing
Par le bouche-à-oreille
Il présente l’essentiel
à savoir sur le marketing
CE NUMÉRO DE LA COLLECTION
Il permet d’approfondir ��LE MUST�� VOUS A�T�IL INTÉRESSÉ�?
des sujets sur le marketing
Beaucoup
AVEZ�VOUS DÉJÀ LU LES AUTRES PARUTIONS DE LA COLLECTION ��LE MUST���? Assez
* Pour répondre, connectez-vous à www.mrcc.fr/hbrlemust ou renvoyez ce questionnaire, sous enveloppe timbrée, avant le 8 juin
à�: Prisma Media, Enquête lecteurs HBR, Sylvain Sacleux, 13, rue Henri-Barbusse, 92624 Gennevilliers Cedex. Vos réponses sont
confidentielles et seront agrégées. Pour participer au tirage au sort permettant de gagner le hors-série HBR «�Expert�», merci de nous
communiquer vos nom et adresse postale.
a réalisé, pour son whisky Dans ce monde saturé par les médias, les straté-
gies publicitaires reposant sur l’idée que l’on peut
Dans un monde saturé par les • la sphère publique, où nous Chaque sphère a des
médias, tenter de convaincre passons d’un endroit ou d’une niveaux d’efficacité variables
par le manque et la répétition activité à l’autre, à la fois pour influencer la prise
en ligne et hors ligne�; de conscience, l’achat
est de plus en plus inefficace.
• la sphère sociale, où nous ou la fidélité à une marque.
Pour aborder les consomma-
interagissons les uns avec les autres�; Faire de la publicité avec succès
teurs, les publicitaires doivent • la sphère tribale, où nous adhérons dans chacun de ces domaines
se concentrer sur le lieu et le à des groupes pour définir implique que les messages
moment où ils seront réceptifs. ou exprimer notre identité�; apportent de la valeur
Cela nécessite d’intégrer des • la sphère psychologique, et que les consommateurs
publicités de façon stratégique où nous connectons le langage leur fassent confiance, mais
dans quatre domaines à des pensées et à des sentiments aussi qu’ils les accueillent
de l’expérience humaine�: spécifiques. avec bienveillance.
martèlent un point, ils doivent penser à la publicité du marketing peuvent-ils amener les consomma-
– ainsi qu’aux offres qu’elle promeut – comme à une teurs à s’y intéresser volontairement ?
présence durable et enrichissante dans la vie des Dans mon travail, je conseille aux experts du
consommateurs. marketing d’appréhender cette expérience humaine
C’est une voie nouvelle et perturbante pour une comme un paysage composé de quatre domaines :
discipline qui demeure plus à l’aise avec des spots la sphère publique, où nous nous déplaçons d’un
télévisés et des publicités sur écran. Malgré tout, les endroit ou d’une activité à l’autre, à la fois en ligne
équipes marketing de Diageo et d’autres entreprises et hors ligne ; la sphère sociale, où nous interagissons
n’hésitent pas à repousser les limites de la publicité. les uns avec les autres ; la sphère tribale, où nous
Des sociétés comme Demand Media, Skyword et nous intégrons dans des groupes pour dé�inir ou
BuzzFeed, par exemple, ont alimenté la croissance exprimer notre identité ; et la sphère psychologique,
de contenu dit natif, créant à la fois un texte et une où nous connectons le langage à des pensées et à des
vidéo qui complètent le message commercial, et sentiments spécifiques.
encouragent les consommateurs à s’y plonger parce Depuis longtemps, les professionnels du marke-
qu’ils vont au-delà de la simple publicité. Rolex as- ting ont positionné la publicité dans chacune de ces
socie ses publicités en ligne au monde de la musique sphères, mais souvent à leur insu ou de façon non
– une critique de concerts et d’opéras publiée dans le stratégique. En cartographiant de façon explicite
« New York Times » avec sa marque représentée par leurs programmes et en envoyant leurs messages
une couronne, logo emblématique de l’horloger qui vers ces quatre domaines, ils peuvent identifier de
est destiné à attirer le public achetant des Rolex. Peu nouvelles voies pour amener les consommateurs à y
de temps après l’élection présidentielle américaine, prêter attention. Plutôt que de se concentrer d’abord
Fidelity a publié de pleines pages de publicité dans sur la stratégie de communication et le « marketing
les principaux journaux américains en posant la mix », ils devraient commencer par examiner la fa-
question « Comment les résultats des élections çon dont les consommateurs vivent leur vie et dans
pourraient-ils affecter les marchés ?» et a invité les quelles circonstances ils se révéleront réceptifs à des
lecteurs à télécharger des analyses rédigées par le messages dans ces domaines.
panel d’experts de l’entreprise.
Ce type de publicité se distingue indéniablement La sphère publique
du reste. Dans le meilleur des cas, elle se caractérise La publicité dans la sphère publique cible généra-
par son intégrité éditoriale et attire le consomma- lement les consommateurs pendant les moments
teur par sa pertinence et sa valeur. Quel que soit de pause, lorsqu’ils passent d’un point ou d’une
l’intérêt de votre message, vouloir attirer l’attention activité à un(e) autre et peuvent prendre en consi-
simplement en criant plus fort que le reste de la dération de nouvelles sollicitations. Ces publicités
meute sur toute une multitude de plateformes mé- ont une longue histoire, bien sûr : au début des an-
dias dont le nombre ne cesse de croître n’est pas une nées 1920, par exemple, Burma-Shave s’est rendu
stratégie durable. Si l’expérience humaine est un célèbre pour avoir fait ériger des panneaux dérou-
levier pour la publicité, comment les professionnels lants délivrant des messages publicitaires vantant,
en rimes, sa crème à raser aux automobilistes qui tournent instinctivement vers leurs appareils. Une
passaient à proximité. Plus récemment, Captivate étude parue dans HBR de janvier-février 2013 (« How
Network a installé des écrans sponsorisés silencieux People Really Use Mobile ? ») révélait que les
dans les ascenseurs des tours de bureaux et Pump- consommateurs consacrent près de la moitié du
Top TV a fait de même avec des écrans digitaux sur temps qu’ils passent sur leurs appareils mobiles à se
des pompes à essence. détendre ou à se divertir.
Dans le monde virtuel, la capacité à (ré)agir vite Les publicités efficaces dans la sphère publique
et les enchères en temps réel permettent aux res- suivent un ou plusieurs de ces quatre principes :
ponsables marketing d’acheter des espaces publici- Elles sont pertinentes par rapport au contexte.
taires en ligne et de proposer une publicité bien pré- Ainsi, le message correspond à l’expérience que le
cise parmi des centaines ou des milliers de consommateur vit au moment où son regard croise
possibilités, pour qu’elle soit adaptée au profil du la publicité. Zappos, l’entreprise de vente en ligne
consommateur et, de plus en plus, à sa situation de chaussures, l’a compris quand elle a placé des
géographique, le tout en quelques millisecondes publicités dans les petites caisses utilisées pour
(voir l’encadré « Les publicités en ligne dans les déposer ses affaires, dont ses chaussures, aux
quatre sphères »). Comme ces annonces sont mieux contrôles de sécurité des aéroports américains.
ciblées dans la sphère publique, elles seront moins Cette initiative permet de pro�iter d’un temps
considérées comme des intrusions et davantage d’inactivité, en transit, pour faire passer un mes-
comme des messages de bienvenue. Les applica- sage non intrusif mais pertinent. Une publicité sur
tions et les services mobiles qui intègrent ces fonc- un panneau d’affichage, en lien avec vos besoins
tionnalités offrent un excellent moyen d’atteindre (pour un restaurant sur une autoroute, par
les consommateurs entre deux activités ou lorsqu’ils exemple), est de la même façon pertinente dans ce
sont en transit, car c’est à ce moment-là qu’ils se contexte.
Elles aident les individus à atteindre leurs objec-
tifs personnels. Ikea, le vendeur de meubles dis-
count suédois, fait sa publicité au travers d’une
offre de solutions de transport pour les clients de
son magasin new-yorkais de Brooklyn. La société
fournit un bateau-taxi et un bus navette portant sa
marque, peint en bleu et jaune (les couleurs emblé-
matiques d’Ikea), pour se rendre à Manhattan. Elle
facilite aussi la réservation de véhicules chez Zip-
car, dont certains sont eux aussi estampillés Ikea,
pour se rendre dans l’un de ses magasins. Les bus,
Yelp, comme d’autres sites en ligne similaires, consommateurs de montrer leur statut social
fait de cette dimension tribale un vecteur clé de – leur appartenance à un groupe – en mettant en
son projet entrepreneurial. L’entreprise rassemble valeur les logos et les noms des marques.
exclusivement des critiques déposées par des
consommateurs qui racontent leur expérience, La sphère psychologique
qu’il s’agisse d’un dîner au restaurant ou de la vi- C’est le domaine du langage, de la connaissance et
site d’un musée. Aujourd’hui, elle compte près de de l’émotion. Evidemment, dans ce cas, toute pu-
33 millions de commentaires et revendique envi- blicité �init par fonctionner, d’une manière ou
ron 84 millions de visiteurs uniques par mois. d’une autre. Mais les annonces optimales pour cet
Cependant, les princ ipaux producteurs de univers sont celles qui sont conçues pour intro-
contenu du site ne représentent pas un groupe duire des mots, des expressions ou des émotions
très large. En fait, de nombreux avis proviennent dans l’inconscient du consommateur, qui vont ser-
de ce que l’entreprise appelle sa patrouille d’élite, vir de raccourcis à des concepts complexes, inspi-
rant soit un passage à l’action, soit des sentiments
utilisent le langage pour être sont simples : fournir de nouveaux modes d’expres-
sion des idées, susciter l’émergence de nouvelles ha-
manière nouvelle, comme peuvent associer des mots ou des expressions cou-
rantes, comme Staples l’a fait avec « C’est simple »,
Facebook l’a fait avec «�ami�». Apple avec « Pensez différemment » et Nike avec
« Just do it ». La devise de Nike est aujourd’hui syno-
nyme de la marque et est associée à l’objectif d’at-
dont les membres sont invités à des événements teindre sa meilleure performance personnelle – en
dans des restaurants, des discothèques, des mu- d’autres mots, c’est à la fois une publicité et un fac-
sées, et sont célèbres pour leur affiliation à une teur de motivation. Les publicités de la sphère psy-
tribu. Leur fort sentiment d’appartenance fait chologique peuvent aussi permettre aux marques
d’eux de puissants ambassadeurs de la marque, de s’introduire dans le langage courant, le plus sou-
grâce à un bouche-à-oreille élogieux concernant vent sous la forme de verbes, comme « googliser »
Yelp, online et offline. (pour faire une recherche sur Google). Les marques
Starbucks aussi a effectué un important travail elles-mêmes utilisent le langage pour être associées
de communication sur les médias sociaux pour à une action ou à un attribut particulier, en s’appro-
renforcer son identité tribale. Son initiative la plus priant les mots d’une manière nouvelle, comme
astucieuse a été récemment de rapprocher les uni- Facebook l’a fait avec « ami » (« friend ») et Twitter
vers online et offline, en remettant des marqueurs avec « suivre » (« follow »).
de statut – des badges spéciaux de « barista » – à Elles peuvent frapper fort avec des mots ou des
des personnes devenues des « clients d’honneur » expressions dont on se souvient, comme Budweiser
de magasins Starbucks, en vertu du nombre d’avis avec « Whatssup ? » (« Quoi d’neuf ? ») ou Taco Bell
qu’elles avaient déposés sur Foursquare. Ces avec « Yo quiero Taco Bell » (« J’aime Taco Bell »), qui
badges donnent à leurs détenteurs le droit de cu- ont pris vie aux yeux des consommateurs, renfor-
muler des réductions. çant ainsi l’impact des messages à chaque fois qu’ils
La publicité de la sphère tribale ne se limite étaient vus. Un nombre incalculable de consomma-
bien sûr pas aux foules. Les marques de luxe ont teurs américains prononcent chaque jour le slogan
souvent recours à la publicité conventionnelle via de Verizon « Can you hear me now ? » (« Tu m’en-
les médias de masse, mais comptent aussi et tends maintenant ? ») pour des raisons purement
surtout sur leurs clients pour diffuser le message pratiques ; mais à chaque fois, ils renforcent la
qui aura le plus d’impact possible. Hermès, Gucci notoriété de la marque et laissent entendre que
et Louis Vuitton, tous dépendent du désir des Verizon dispose du meilleur des réseaux.
Moyenne
Même si lancer une publicité dans n’importe laquelle
de ces quatre sphères peut servir les objectifs du marketing,
Forte
chacune d’entre elles exerce des niveaux d’influence
divers sur le comportement des consommateurs.
RÉACTION DU CONSOMMATEUR
Reconnaissance Essai Achat Préférence Fidélité
de la marque de marque
SPHÈRE
PUBLIQUE
SPHÈRE
SOCIALE
SPHÈRE
TRIBALE
SPHÈRE
PSYCHOLOGIQUE
leur identité tribale. De même, une campagne lancée temps ; délivrer un message sans cesse actualisé est
dans la sphère publique peut produire une associa- essentiel pour s’assurer qu’une campagne reste perti-
tion de mots ou d’expressions dont l’impact sera nente et de qualité. Le slogan de Twitter, qui favorise
renforcé grâce à des publicités spéci�iquement tout particulièrement les comportements tribaux, est
conçues au départ pour la sphère psychologique. passé de « Tout un monde entre vos mains » à « Que
faites-vous ? » puis à « Suivez vos intérêts » au slogan
5. Chercher en permanence des moyens plus informatif mais aussi plus verbeux « Découvrez
d’actualiser le message. Les attitudes et les com- ce que font en ce moment même les personnes et les
portements des consommateurs évoluent à un organisations qui vous intéressent ».
rythme accéléré. Les professionnels du marketing À PROPOS
DE L’AUTEUR
doivent constamment évaluer la performance de leur BIEN QU’UNE PUBLICITÉ intimement liée à la vie des
Au moment de la
campagne et adapter leur approche en temps réel. consommateurs soit moins intrusive que ses alter- rédaction de cet article,
C’est fondamental, notamment pour la publicité dans natives conventionnelles, elle est néanmoins omni- l’auteur occupait
les fonctions suivantes�:
la sphère publique, où le message doit répondre à un présente. C’est pourquoi, si les experts du marketing
besoin, être adapté au contexte et créer de la valeur abusent des outils à leur disposition, leur publicité Jeffrey F. Rayport est
dans le quotidien des individus. Mais cela s’applique peut passer de « présente et précieuse » à « invasive et consultant auprès de
grands groupes et
également à la publicité dans les trois autres sphères. assimilable à du harcèlement commercial ». d’entreprises privées,
Par exemple, de nombreuses marques parviennent à Ainsi, ils doivent non seulement obtenir la « per- spécialisés dans les
services de distribution,
continuer à susciter le même intérêt dans la sphère mission » des consommateurs qu’ils approchent,
d’information et de
psychologique en renouvelant soit leur message (via mais aussi les aborder avec un profond respect. La marketing. C’est l’un des
leur slogan et les promesses faites aux consomma- publicité dans les sphères publique, sociale, tribale fondateurs d’Omnicom
University et le directeur
teurs), soit leurs modes de traitement. Pensez au et psychologique ne fonctionne que lorsqu’elle est associé du cabinet en
nombre de fois où Coca-Cola a changé son logo et bienvenue et utile. Dès qu’elle agresse les sens, stratégie digitale
MarketspaceNext.
ses slogans sans pour autant que la marque perde en envahit la vie privée, vise l’appât du gain de façon
cohérence (contrairement à Pepsi). Réfléchissez inappropriée ou empiète sur la vie des consomma- La version originale de cet
article a été publiée en
aussi à la façon dont les réseaux sociaux ou les com- teurs, ils la rejettent ou, pire, réagissent en s’y op- mars 2013 dans l’édition
munautés de consommateurs évoluent au �il du posant violemment. américaine de HBR.
S
i vous demandez à un publicitaire ce destinées à promouvoir 90 marques dynamiques
qui fait le succès d’une publicité, la du secteur de la grande consommation en Alle-
réponse que vous recevrez vous fera magne entre janvier 2005 et octobre 2010. Nous
sans doute penser au mantra de Ste- avons demandé à un panel de consommateurs en-
phan Vogel, directeur de la création de traînés à l’évaluation de juger le degré de créativité
l’agence Ogilvy & Mather en Allemagne : «Rien n’est des spots publicitaires et nous avons étudié les
plus efficace que la créativité en matière de publi- liens entre les perceptions de ces spots et les
cité. Elle reste gravée dans les mémoires et son effet ventes des produits concernés. Les familles de pro-
perdure. On atteint son objectif tout en réduisant les duits que nous avons étudiées (laits pour le corps,
investissements médias et on construit une commu- chewing-gums, cafés, boissons à base de cola et li-
nauté de fans... plus vite.» monades, détergents, soins du visage, sham-
Mais les publicités créatives réussissent-elles pooings, rasoirs et yaourts) appartenaient toutes à
mieux à persuader les consommateurs d’acheter que des secteurs où la concurrence est féroce et les in-
celles qui se contentent de cataloguer tout simple- vestissements publicitaires massifs.
ment les caractéristiques ou les atouts d’un produit ? Les résultats obtenus con�irment le bon sens
De nombreuses expériences menées en laboratoire populaire selon lequel la créativité joue un rôle dé-
ont montré que les messages créatifs retiennent terminant : dans l’ensemble, les campagnes plus
mieux l’attention et induisent chez les consomma- créatives sont nettement plus efficaces. Nous avons
teurs des attitudes positives vis-à-vis des produits également constaté que certains paramètres de la
commercialisés, mais il n’y a aucune preuve irréfu- créativité influencent de façon beaucoup plus
table attestant que ces messages exercent une in- importante le comportement de l’acheteur et que
fluence sur le comportement de l’acheteur. De les campagnes de nombreuses entreprises se
même, il y a étonnamment très peu d’études empi- concentrent sur de mauvais paramètres. Il nous
riques établissant un lien entre les messages publici- semble par ailleurs qu’adapter le modèle de l’étude,
taires créatifs et les recettes réelles générées par les de façon à prendre en compte les préférences cultu-
ventes. Etant donné que les responsables produits et relles et les motivations qui poussent les consom-
les brand managers – sans oublier les agences qui mateurs à acheter sur les différents marchés géogra-
leur soumettent des projets lors des compétitions – phiques, peut s’avérer un bon moyen pour toutes
n’évaluent jamais de façon systématique l’efficacité les entreprises d’améliorer considérablement leur
de leurs annonces publicitaires, la publicité créative capacité à prédire l’ef�icacité potentielle de leurs
relève plus du coup de dés. publicités créatives et, par conséquent, à faire des
Nous nous sommes donc inspirés de la recherche investissements plus pertinents.
en psychologie de la communication pour dévelop-
per une méthode d’étude des consommateurs des- Qu’est-ce que la créativité�?
tinée à évaluer leur perception de la créativité selon Pour définir les paramètres d’évaluation de la créa-
cinq paramètres. Nous avons utilisé cette méthode tivité, nous nous sommes référés aux ouvrages de
en analysant 437 campagnes de publicité télévisées psychologie sociale et de psychopédagogie qui défi-
nissent la créativité comme une pensée non confor-
miste, c’est-à-dire comme la capacité de résoudre un
problème grâce à des solutions non conventionnelles
Des expériences Une nouvelle méthode dynamiques du secteur sont plus payants
montrent que les d’étude des consommateurs de la grande consommation que d’autres, et qu’ils
messages créatifs s’attaque à ce problème en Allemagne. fonctionnent souvent
en évaluant leur perception Une analyse des mieux quand ils sont
retiennent mieux
de la créativité selon conclusions de l’étude combinés.
l’attention et induisent
cinq critères�: l’originalité, sur les ventes réalisées Ces données suggèrent
des attitudes positives la flexibilité, l’élaboration, a confirmé que, que, en centrant
vis-à-vis des produits. la synthèse et la généralement, plus leurs campagnes sur
Mais aucune preuve valeur artistique. les campagnes de mauvais paramètres,
n’atteste que ces Les auteurs ont appliqué étaient créatives, plus de nombreuses entreprises
messages exercent leur modèle à l’étude de elles étaient efficaces. ne parviennent pas
une influence sur 437 campagnes de publicité Les résultats ont également à tirer le meilleur parti
le comportement télévisées destinées à montré que certains de leurs investissements
de l’acheteur. promouvoir 90 marques paramètres de la créativité publicitaires.
L’éloquence renvoie au nombre d’idées perti- d’un détergent en montrant une ménagère satisfaite
nentes formulées en réponse à une question comme de sa lessive qui lave plus blanc que blanc ; un autre
«Listez tous les usages possibles d’un trombone». Et fait la promotion d’un parfum en affichant des man-
l’originalité mesure le caractère non conventionnel nequins à la plastique irréprochable ; un dernier
ou unique des réponses. montre des voitures traversant des paysages magni-
L’élaboration se ré�ère à la quantité de détails fiques sans le moindre trafic routier à l’horizon.
donnés dans une réponse. Et l’abstraction permet de Une des campagnes que nous avons étudiées,
mesurer à quel point le pouvoir d’un slogan ou d’un pourtant, excellait en termes d’originalité. Elle re-
mot va au-delà de la simple dénomination de présentait de façon surprenante l’intérieur d’un dis-
quelque chose de concret. Le refus de tirer des tributeur automatique de boissons. Il s’agissait d’un
conclusions hâtives mesure la capacité d’un indi- spot publicitaire de Coca-Cola baptisé «Happiness
vidu à prendre en compte différents facteurs quand Factory» («L’usine du bonheur»).
il traite l’information. Flexibilité. Une publicité très flexible établira un
Au début des années 2000, les tests mis au point lien subtil entre le produit et ses nombreuses utili-
par Ellis Paul Torrance ont été adaptés pour les sations possibles. Par exemple, une publicité pour
besoins de la publicité par Robert Smith, chercheur la marque de café Jacobs Krönung, du groupe Kraft
en communication à l’université de l’Indiana, et ses Foods, diffusée en Allemagne en 2011 et 2012, mon-
collègues. Ils ont modifié la définition de la créati- trait un homme confronté à une série de travaux
vité comme suit : «Est créative une publicité qui ménagers (faire la vaisselle, coudre un bouton sur
contient des éléments liés à la marque ou des élé- une veste, couper un oignon en dés et faire le lit)
ments “exécutionnels” différents, nouveaux, non tandis qu’un groupe de femmes dégustaient en-
conventionnels, originaux, uniques, etc.» Leur but semble une tasse de café.
était de mesurer la créativité en n’utilisant que les Elaboration. De nombreuses publicités
facteurs les plus pertinents dans un contexte publi- contiennent des détails inattendus ou transfor-
citaire. Ils ont défini cinq paramètres de créativité ment des idées simples au départ en situation plus
publicitaire qui forment la base de notre enquête. complexes, voire compliquées. Le spot publici-
Originalité. Une annonce originale comprend taire des yaourts aux fruits Ehrmann, l’une des
des éléments rares ou surprenants, ou qui sortent marques leaders en Allemagne, en est un bon
des sentiers battus et ne sont pas courants. L’accent exemple. Dans ce spot, une femme mange un
est mis sur le caractère unique des idées ou des ca- yaourt et se lèche les lèvres avec la langue, qui
ractéristiques contenues dans l’annonce. prend alors l’aspect d’une fraise (Ehrmann a réa-
Une publicité peut s’écarter de la norme ou de la lisé différentes versions de ce spot pour plusieurs
réalité en mettant en œuvre des visuels ou des parfums), renforçant ainsi considérablement
discours uniques, par exemple. De nombreuses l’idée de saveur fruitée du yaourt. Autre exemple,
campagnes publicitaires sont tout sauf originales : le fabricant Wrigley, dans une pub pour son
un spot publicitaire archétypal vante les propriétés chewing-gum baptisé 5 : un homme est plongé
Prévoir l’efficacité
dans un lit de petites billes métalliques qui rebon-
dissent sur sa peau pour traduire le picotement
d’une publicité
Pour évaluer le degré de créativité de votre campagne, demandez à un panel de
ressenti en mâchant ce chewing-gum. consommateurs de noter les publicités suivant chaque paramètre sur une échelle
Synthèse. Ce paramètre de la créativité consiste de 1 à 7, en tenant compte des questions ci-dessous (basées sur la théorie du
à associer ou à rapprocher des objets ou des idées chercheur en communication Robert Smith, ces questions sont censées présenter
normalement dissociés. Par exemple, Wrigley a dif- certaines zones de recouvrement). Le score de créativité global de votre
fusé une publicité où des lapins, parqués dans un campagne est égal à la moyenne des notes obtenues pour chaque paramètre.
enclos comme du bétail, sont nourris avec des ba-
En comparant les scores des différentes campagnes et en analysant le budget
et la stimulation des ventes correspondantes, vous pouvez améliorer votre
nanes, des baies et du melon et voient leurs inci-
capacité à prédire l’efficacité probable de vos publicités créatives et à réaliser
sives pousser comme des dragées de chewing-gum des investissements judicieux.
Juicy Fruit Squish. Le spot associe donc des objets
dissociés – des lapins et du chewing-gum – pour
créer la trame d’une histoire non conformiste.
Valeur artistique. Les publicités dont le degré Originalité
de créativité artistique est élevé contiennent des
• La publicité sort-elle
éléments discursifs, visuels, sonores ou esthétique- des sentiers battus�?
ment attrayants : elles sont produites suivant des • S’affranchit-elle des
standards de qualité élevés, leurs dialogues sont stéréotypes�?
pleins d’esprit, leur gamme de couleurs est originale • Est-elle unique�?
ou on se remémore facilement leur musique. COCA�COLA
Il arrive souvent que les consommateurs consi- �HAPPINESS FACTORY�
dèrent les publicités quasiment comme des œuvres
d’art plutôt que comme de vulgaires argumentaires
commerciaux. La publicité animée pour le yaourt
Fantasia de Danone, diffusée à la �in de l’année
2009, que nous avons étudiée, faisait partie de celles Flexibilité
qui ont obtenu les meilleurs scores en matière de • La publicité contient-elle
valeur artistique. Le spot montrait une femme flot- des idées menant d’un sujet
à un autre�?
tant sur un pétale à la surface d’une mer de yaourt
• Contient-elle des idées
Fantasia, entourée de fleurs chargées de fruits.
différentes�?
Dans notre étude, nous avons demandé à un pa-
• Passe-t-elle d’une idée
nel de consommateurs entraînés à l’évaluation de à une autre�?
noter les campagnes publicitaires diffusées à la télé-
JACOBS KRÖNUNG
vision allemande en fonction de chacun de ces pa- �UNE PAUSE CAF�
ramètres, sur une échelle allant de 1 à 7. Le score de
de créativité privilégiés à l’heure actuelle par les combinaient plutôt que lorsqu’ils étaient envisagés
agences ne soient pas les plus efficaces pour stimu- isolément. Sur les 10 associations possibles, nous
ler les ventes. avons constaté que la combinaison la plus utilisée
Dans notre étude, nous avons quantifié l’impact – flexibilité et élaboration – soit près de 12% de
que chaque paramètre exerce sur les ventes. Bien toutes les combinaisons, était l’une des moins per-
que tous aient eu une influence bénéfique, l’élabo- formantes, avec un indice de 0,41 par rapport à la
ration était nettement le paramètre le plus puissant moyenne de toutes les paires établie à 1.
(1,32 rapporté à la créativité moyenne globale éta- Formant un contraste saisissant, l’alliance de
blie à 1), suivie de la valeur artistique (1,19). L’origi- l’élaboration et de l’originalité (soit près de 10% de
nalité (1,06) et la flexibilité (1,03) arrivaient loin der- toutes les combinaisons identifiées) avait presque
rière, la synthèse arrivant en queue de peloton, au deux fois plus d’impact sur les ventes (1,96), suivie
cinquième rang (0,45). Pourtant, l’étude montre de près par la combinaison de la valeur artistique
que les agences publicitaires utilisent l’originalité et et de l’originalité (1,89, soit près de 11 % de toutes
la valeur artistique davantage qu’elles n’ont recours les associations).
à l’élaboration. Probablement parce que les entre- Fait intéressant, l’originalité fait souvent partie
prises cherchent peut-être plus à faire preuve d’ori- des combinaisons les plus efficaces, ce qui suggère
ginalité quand elles essaient d’être créatives. que ce type de créativité joue un rôle de catalyseur
Nous avons aussi étudié les campagnes qui essentiel. Au fond, être original ne suffit pas et l’ori-
avaient obtenu un score au-dessus de la moyenne ginalité ne dope les ventes que si elle est associée à
sur au moins deux paramètres et nous avons d’autres paramètres créatifs. C’est peut-être en rai-
constaté que les retombées sur les ventes variaient son de son pouvoir de catalyseur que de nombreuses
encore plus nettement quand deux paramètres se entreprises utilisent l’originalité dans leurs cam-
pagnes publicitaires, bien que, prise isolément, son
efficacité soit médiocre.
L’usage de la créativité diffère suivant les
familles de produits. Les niveaux de créativité
Plus de créativité varient considérablement selon les familles de
en vaut-il la chandelle? produits, avec des notes comprises entre 2,62 pour
le shampooing et 3,6 pour les boissons au cola.
Si les publicités créatives peuvent inciter les consommateurs à acheter, est-ce
qu’une pincée de créativité en plus fait exploser les ventes�? Pas si sûr. D’après Pour le cola et le café, les annonceurs et les clients
l’étude que nous avons menée sur des publicités allemandes, l’efficacité relative ont tendance à favoriser des niveaux de créativité
d’un surcroît de créativité dans une campagne peut varier considérablement. plus élevés, alors que pour les shampooings, les
soins du corps et du visage, les campagnes mettent
Les familles de produits habituel- … et parmi les familles
l’accent sur l’utilisation réelle du produit, même si
lement associées à des publicités de produits associées à une
l’environnement est idéalisé. Peut-être parce qu’il
très créatives –��comme le café ou le créativité médiocre –��telles que
cola��– ne voient pas toujours leurs les détergents ou les laits pour le est encore important pour certaines familles de
ventes décoller parce qu’on a mis plus corps��– faire preuve de créativité n’est produits de démontrer factuellement leurs quali-
de créativité dans les campagnes… pas toujours une mauvaise idée. tés intrinsèques.
Lorsque les produits remplissent un rôle fonc-
IMPACT SUR LES VENTES* tionnel et satisfont des besoins de consommation
�,��% sans ambiguïté (nettoyage de vêtements à l’aide de
détergents, protection de la peau avec un lait pour
le corps), les approches peu orthodoxes ne sont
�,��% pas privilégiées. En revanche, lorsque les produits
sont faciles à appréhender, présentent des simili-
tudes ou renvoient à des préférences personnelles
�,��% (étancher sa soif avec une boisson gazeuse, par
–��,��% exemple, ou déguster une tasse de café), une ap-
RASOIRS, COLAS, SHAMPOOINGS, proche non conformiste peut s’avérer plus efficace
CAFÉ YAOURTS DÉTERGENTS
LAITS pour stimuler les ventes.
CORPORELS,
SOINS POUR Nous avons également cherché à savoir si in-
LE VISAGE vestir davantage dans la créativité était payant et
* IMPACT SUR LES VENTES D’UNE HAUSSE D’UN POINT DES SCORES DE CRÉATIVITÉ D’UNE CAMPAGNE PUBLICITAIRE �EN %�. nous avons constaté que cela dépendait totale-
Une vidéo virale, c’est le rêve de tous les psychologique (comment le contenu nous Dans «�Puppyhood�», une
vidéo produite par BuzzFeed
marketeurs. Elle représente la meilleure touche) et la motivation sociale (pourquoi on pour le produit Puppy Chow
façon de se différencier sur la Toile. Des études veut le partager). Plus l’intensité de l’émotion de Purina (aliments pour
montrent que les personnes qui regardent suscitée par le contenu sera grande, plus animaux domestiques), un
homme adopte un chiot et
du contenu partagé plutôt que des vidéos les gens auront tendance à le partager apprend à vivre avec, comme
qu’elles découvrent en surfant prescrivent et –�la réponse du Web au bouche-à-oreille, la si c’était un colocataire.
achètent beaucoup plus de produits que façon la plus efficace de faire de la pub.
ceux qui tombent par hasard sur du contenu. Nous explorons ici ce qui rend un contenu
Mais qu’est-ce qui fait qu’on s’emballe partageable, en utilisant l’analyse faite par
pour une vidéo alors que d’autres ne suscitent Unruly de la vidéo «�Puppyhood�» de Purina,
pas de réactions�? vidéo qui a récolté 5 millions de vues en
Unruly, une agence spécialisée dans les six semaines après son lancement en mai 2015.
technologies de marketing, apporte une Nous notons aussi, à partir des observations
réponse. Son analyse de 430 milliards d’Unruly, qu’une minorité de personnes
de vues de vidéos et de 100�000 données de sont responsables de la grande majorité des
consommateurs révèle les deux moteurs partages et que la plupart des partages se
les plus puissants du succès viral�: la réaction produisent peu après le lancement d’une vidéo.
CHALEUR
58% JOIE
OMMU
56%
EX
N
PR
IO
CT
ES
A
SI
RÉ
ON
DE
IN
HE
DI
RC
VI
E
DU
CH
EL
LANCEU RE
LE
R DE DIA
LOGUE HILARITÉ
31% LE TOP 4 DES ÉMOTIONS NÉGATIVES
PS PASS
EM SO ION
DUT CI PART
R AL AGÉE
S L’AI DA
SURPRISE
AN 10%
RED NS
É
ÊT
NCH
LA CONFUSION
TÉ
RI
VR 8%
TO
BRA
AI MÉPRIS
UTILITÉ
AU
E 8%
VI
E
E
’AIR
IR
DÉGOÛT
FA
IR L
4%
SOCIAL
COLÈRE
AVO
1%
E
SUPER PARTAGEURS
��,�%
La version originale de cet article a été publiée en janvier-février 2015 dans l’édition américaine de HBR.
ÉDITION
LIMITÉE
o n f i a n ce,
c
Mis en é le Master
gr
j’ai inté ais !
vis
que je