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HARVARD BUSINESS REVIEW FRANCE

LE MUST HORS-SÉRIE
PRINTEMPS
PRINTEMPS 2017
2017
| HORS-SÉRIE N°4

du
MARKETING
12 enseignements
MARKETING | PRINTEMPS 2017

pour séduire vos clients


et affiner votre stratégie
Amazon, Apple, Diageo, Disney, eBay, Jack Daniel’s, L’Oréal,
Nike, Tesla… leurs bonnes pratiques décryptées par nos experts.

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mettons donc notre savoir-faire au service de nos clients, en leur proposant
des solutions d’épargne immobilière innovantes et performantes.

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ÉRIC COSSERAT
PRÉSIDENT DE PERIAL

Les performances passées des SCPI ne préjugent pas de leurs performances futures. Un
investissement dans nos SCPI est un investissement immobilier sur le long terme, avec une
liquidité limitée et dont le capital et les rendements ne sont pas garantis et peuvent varier à la
baisse comme à la hausse.

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libératoire versé pour l’année n par le prix de la part acquéreur moyen de l’année n.

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Editorial

Pour en finir avec


la myopie du marketing

M
arketing Myopia » (« La devez vous demander : ‘‘Dans quel busi-
Myopie du marketing ») ness sommes-nous vraiment ?’’ »
est un texte fondateur D’où l’importance de ce numéro théma-
de la pensée de nom- tique. Nous avons réuni des spécialistes du
breux c adres et diri- monde académique, du conseil et de
geants. Ecrit par Theodore Levitt en 1960 l’entreprise dont beaucoup ont été pétris par
(et republié en 2004), cet article de ce l’enseignement de Levitt qui suggérait de
célèbre professeur de la Harvard Busi-
penser différemment. Nous vous proposons
ness School – qui fut aussi rédacteur en
le fruit de leurs plus récentes recherches
chef de Harvard Business Review de 1985
menées sur le marketing. Bien sûr, la
à 1989 – a marqué de son sceau la manière
dimension digitale qui n’existait pas en
de voir le client. Pour Levitt, les entre-
prises passent trop de temps à produire 1960 est aujourd’hui fondamentale, qu’il
des produits et des services, et pas assez à s’agisse de vendre ses produits via une
comprendre ce que veulent les clients et plateforme, de créer un parcours client
ce dont ils ont besoin. irréprochable ou de chercher – justement – à
On pourrait penser que les firmes ont toujours mieux connaître ses clients grâce à
changé de paradigme. Eh bien, apparem- la puissance d’analyse du big data… à condi-
ment, non. Cette myopie frappe toujours, tion de faire preuve de discernement.
hélas, de nombreuses organisations, les Lors du dernier Peter Drucker Forum, à
menant droit dans le mur plus souvent qu’à Vienne (Autriche), Clayton Christensen, un
leur tour. Selon certaines recherches, le autre maître de la Harvard Business School,
pourcentage de nouveaux produits qui a raconté cette histoire : « Un homme arrive
échouent varie de 75 à 95% ! Beaucoup de au paradis et demande à son guide céleste :
temps, d’énergie et d’argent sont donc ‘‘Pourquoi n’y a-t-il pas de data ici ?’’ “Parce
gaspillés dans des lancements qui ne pas- que la data ment !’’ répond son guide. » Et
seront pas le cap d’une année. En 2017, la
c’est pourquoi, quand on lui demande « Où
pensée de Theodore Levitt (décédé en
est la data ? », le professeur Christensen
2006) a donc toujours autant de pertinence.
répond : « Allez en enfer ! »
Comme il le disait, non sans humour, à ses
Savourez donc les 12 enseignements
étudiants : «Les gens ne veulent pas une
que nous vous proposons dans ce numéro
mèche de 8  mm, ils veulent un trou de
8  mm. » En d’autres termes, il faut passer « Le Must du marketing », pour séduire
d’une vision orientée production à une vi- vos clients et affiner votre stratégie, mais
sion orientée client. Levitt martelait aux gardez toujours à l’œil que même à l’ère
dirigeants qu’il voulait guérir de cette du digital, plus important que les algo-
myopie : « Vous êtes dans le business parce rithmes et la data, il faut se focaliser sur
que vous avez un consommateur. Vous les vrais besoins du client.

Gabriel Joseph-Dezaize, Rédacteur en chef.

Ce magazine «�Le Must�» est le quatrième de notre collection. Vous lui avez réservé un accueil exceptionnel depuis son lancement,
à l’automne 2015. Soucieux des besoins de nos lecteurs et de nos acheteurs, nous voudrions connaître votre avis.
Vous trouverez un questionnaire de satisfaction en page 109�; nous vous remercions de prendre quelques instants pour y répondre.

4 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


CONSCIOUS & CARING LEADERSHIP @ THE DIGITAL AGE
�� AVRIL ����
Campus de Paris - emlyon business school
Speakers inspirants, workshops « meet the leaders », meditation room…
Pour réinventer l’art du leadership à l’ère digitale�!
Parmi les intervenants�:

Clara Gaymard Antoine Frérot Gonzague de Blignières


Cofondatrice RAISE CEO Veolia Cofondateur RAISE

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VP American Express CEO Novo Nordisk CEO HP Enterprise France CEO Never Eat Alone

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du leadership positif
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@IFLPositif #PLF
Sommaire
10 LA PRISE DE
DÉCISION AU CŒUR
DU MARKETING 48 LE COCKTAIL
PHYSICO�
Les bons processus de décision NUMÉRIQUE
permettent de faire tomber les silos Pour les consommateurs, les
et d’optimiser les performances. mondes virtuel et réel ne font
Par Aditya Joshi qu’un. Il devrait en être de même
et Eduardo Giménez pour votre entreprise.
Par Darrell K. Rigby

18 VOULEZ�VOUS
VRAIMENT
RESSEMBLER À EBAY�? 58 LA VÉRITÉ SUR L’EXPÉRIENCE CLIENT
Les sociétés s’attachent aux interactions
Structurer votre business avec le client avant, pendant et après l’achat,
comme une place de marché mais c’est le parcours client dans son intégralité
peut sembler attrayant, qui compte vraiment.
mais s’avère souvent risqué. Par Alex Rawson, Ewan Duncan
Par Andrei Hagiu et Julian Wright et Conor Jones

26 STRATÉGIE DE
MARQUE�: UNE
CARTOGRAPHIE PLUS EFFICACE 68 PARCOURS CLIENT�:
FAIRE MIEUX QUE
Ou comment cultiver la spécificité SES CONCURENTS
de sa marque tout en étant un Les outils numériques ont donné
leader central dans sa catégorie. le pouvoir aux consommateurs.
Par Niraj Dawar Les entreprises doivent reprendre
et Charan K. Bagga la main de façon proactive en
utilisant notamment les nouvelles
technologies.
Par David C. Edelman
et Marc Singer

36
SOCIAUX
LE BRANDING À
L’HEURE DES RÉSEAUX

Les entreprises ont investi


massivement dans la production
de contenu pour mobiliser le public
80 POUR GARDER
VOS CLIENTS…
FAITES SIMPLE�!
autour de leurs marques. Sans Ne les sollicitez pas sans répit,
succès. Un modèle alternatif, le et contentez-vous de les aider
«branding culturel», peut les aider à faire les bons choix.
à séduire les consommateurs. Par Patrick Spenner
Par Douglas Holt et Karen Freeman

6 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


Le must du marketing
90 EN QUOI L’IDENTITÉ
SOCIALE DE VOS CLIENTS
INFLUENCE LEURS ACHATS
La façon dont les consommateurs
se perçoivent détermine leur
comportement, et fausse souvent les
120 PUBLICITÉ ET
CRÉATIVITÉ, QUAND
ÇA PASSE ET QUAND ÇA CASSE
prédictions du marketing. Mais vous Des messages créatifs retiennent
pouvez influencer leurs décisions. mieux l’attention et induisent des
Par Guy Champniss, Hugh N. Wilson attitudes positives envers le produit.
et Emma K. Macdonald Mais comment tirer le meilleur parti
d’un investissement publicitaire�?
Par Werner Reinartz et Peter Saffert
100 COMMENT
LA CERTITUDE
SE TRANSFORME EN
PERSUASION
Un individu sûr de ses choix
consommera davantage, plus vite
et avec un budget plus important.

130
Voici quatre leviers pour accroître cette certitude.
Par Zakary L. Tormala et Derek D. Rucker
LE TRAVAIL D’UNE VIE�
Le designer Marc Newson a tout
110 L’EXPÉRIENCE
HUMAINE,
NOUVEAU LEVIER DE LA
d’abord étudié la joaillerie dans
son Australie natale, avant de
concevoir de nombreux produits
PUBLICITÉ pour des marques prestigieuses,
Dans un monde saturé comme Qantas ou Dom Pérignon.
d’informations, les publicitaires Cet «�artisan nomade�» travaille
doivent se concentrer sur le lieu désormais à mi-temps pour Apple,
et le moment où le consommateur sous la direction de Jony Ive.
sera réceptif, en agissant sur Interview�: James de Vries
la bonne sphère d’influence.
Par Jeffrey F. Rayport

ÉDITION FRANÇAISE Assistante commerciale Corinne Prod’homme (64 50) La plupart des articles de HBR édition française ont déjà été
Rédacteur en chef Gabriel Joseph-Dezaize (48 27) MARKETING ET DIFFUSION publiés par Harvard Business Review. © 2017, Harvard Business
Chef de service et responsable du site Hbrfrance.fr Directeur marketing client Laurent Grolée (60 25) School Publishing Corporation. Tous droits réservés.
Caroline Montaigne (48 36) Directeur commercialisation réseau Serge Hayek (64 71) Hors-série n°�� - Printemps ����
Rédactrice spécialisée Charlotte Laurent (47 43) Directeur des ventes Bruno Recurt (56 76) Imprimé en Pologne �: RR Donnelley, ul. Obr. Modlina 11,
Rédactrice Hélène Fargues (48 36)
Directeur artistique Frank Sérac (45 93) Directeur de la publication Rolf Heinz 30-733 Krak�w, Poland. © PrismaMedia 2013.
Chef de studio Nathalie Moritz (45 16) Directrice exécutive Pôle Premium Gwendoline Michaelis Dépôt légal�: avril 2017. Diffusion�: Presstalis - ISSN�: 2267-4284.
1re SR Stéphanie Labruguière (53 91) Directrice marketing et business development Date de création�: janvier 2014.
Réviseur Michel Wechsler Dorothée Fluckiger (68 76) Commission paritaire�: 1014 K 85861.
Traduction Philippe Bonnet, Sylvie Froschl, Lyse Leroy, Chef de marque Katarina Dear (50 78)
Etienne Leyris, Amélie Rousseaux,Emmanuelle Serrano Assistante Valérie Boudon (61 12)
Fabrication Jean-Bernard Domin (49 50), Eric Zuddas (49 51) ABONNEMENTS HBR France, 62066, Arras Cedex 9,
Secrétariat Béatrice Boston (48 01), Dounia Hadri (48 53) 13, rue Henri-Barbusse, 92624 Gennevilliers Cedex. Tél.�: 01 73 05
Comptabilité Laurence Tronchet (45 58) 0 811 23 22 21 0,06 € / min 45 45. Internet�: www.prismamedia.com. Société en nom collectif
ou www.prismashop.hbrfrance.fr. au capital de 3 000 000 d’euros ayant pour gérant Gruner und
PUBLICITÉ Abonnement�: 1 an (6 numéros + accès à hbrfrance.fr)�: 107,40 �€. Jahr Communication GmbH. Ses trois principaux associés sont�:
Directeur exécutif Prisma Media Solutions� Dom-Tom, étranger�: 00 331 70 99 29 52. Média Communication SAS, Gruner und Jahr Communication
Philipp Schmidt (51 88) GmbH et France Constanze-Verlag GmbH & Co. La reproduction
Directrice exécutive adjointe Anouk Kool (49 49) RÉDACTEUR EN CHEF, GROUPE HBR
même partielle de tout matériel publié dans le magazine est
Directeur délégué PMS Premium Thierry Dauré (64 49) Adi Ignatius
Brand solutions director Camille Habra (64 53) Rédactrice en chef et responsable des éditions mondiales strictement interdite. Pour joindre un contact, composer le 01 73
Account director Nicolas Serot Almeras (64 57) HBR Amy Bernstein 05 suivi des 4 chiffres du poste.
Senior account managers� Frédérique Anceau (64 06), Directeur de la création, groupe HBR James de Vries Provenance du
Charles Rateau (45 51) Correspondant HBR, Paris David Champion papier�: Finlande
Luxe et automobile Brand solutions director Dominique Chef du secrétariat de rédaction Christine Wilder Taux de fibres
Bellanger (45 28) Editeur, groupe HBR Joshua Macht recyclées�: 0 %
Trading manager� Alice Antunes (46 59) Directeur (finance, opérations) Edward Crowley Eutrophisation�: Ptot
Planning manager� Rachel Eyango (46 39) Directeur (services analytiques) Alex Clemente 0 Kg/To de papier

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 7


Contributeurs

David C. Edelman (photo)


Darrell K. Rigby est un associé est directeur du marketing chez
du cabinet Bain & Company Aetna. Auparavant, il était
à Boston. Spécialiste de la spécialiste du marketing et des
distribution, il aborde un problème ventes digitales chez McKinsey
clé. Selon lui, les mondes virtuel & Company. Avec son collègue
et réel ne font qu’un pour les Marc Singer, il explique comment
consommateurs, mais pas pour repenser les parcours clients
de nombreuses entreprises… à l’ère du digital. Un de leur cas
Il prédit que les firmes devront d’école est l’appli de L’Oréal
fusionner leurs expériences Makeup Genius, qui a créé «�un
numériques et physiques pour parcours de rétention consolidant
permettre à leurs clients de passer la fidélité des clientes�».
facilement d’un monde à l’autre.
Après avoir enseigné au
département stratégie de la Harvard
Business School, Andrei Hagiu
(ci-dessus) a rejoint la MIT Sloan
School of Management. Il y enseigne
l’innovation technologique,
l’entrepreneuriat et le management
stratégique. Ses recherches portent
sur les défis stratégiques que
doivent relever des plateformes
comme Airbnb, Amazon ou encore
eBay. Dans un article coécrit avec
Julian Wright, de l’université Niraj Dawar (photo) est
professeur de marketing à l’Ivey
nationale de Singapour (« Voulez- Business School de London,
vous vraiment ressembler à eBay ? »), Après avoir enseigné à la Harvard Ontario (Canada). Une de ses
Business School et à l’université spécialités : la stratégie de
il s’interroge sur le bon modèle que d’Oxford, Douglas Holt a fondé marque. Avec Charan K. Bagga,
doivent adopter les entrepreneurs le Cultural Strategy Group. il offre une méthodologie aux
ILLUSTRATION: MANACH ET BIENVENU / PHOTOS: DR

qui veulent créer leur propre Selon lui, les entreprises ont professionnels du marketing
dépensé des milliards de dollars – en donnant des exemples dans
plateforme. « Structurer votre dans la production de contenu sur les secteurs de l’automobile
business comme une place de les réseaux sociaux dans l’espoir et de la bière – pour cultiver
de mobiliser les clients autour
marché peut sembler attrayant, de leurs marques… en pure perte.
la spécificité de leurs marques
tout en leur garantissant
mais c’est souvent le meilleur Il propose un modèle alternatif une position centrale de leader
moyen pour échouer », préviennent pour séduire les consommateurs, dans leur catégorie.
qu’il nomme le «�branding
les deux chercheurs. Et ils donnent culturel�». Et il illustre ses propos
des méthodes pour y remédier. avec le whisky Jack Daniel’s.

8 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


LA PRISE
DE DÉCISION
AU CŒUR
DU MARKETING
Les bons processus de décision permettent de faire
tomber les silos et d’optimiser les performances.
Par Aditya Joshi et Eduardo Giménez.
Illustration: Renaud Perrin

es spécialistes du marketing ont toujours dû développer les marques, créer la demande, se


charger de la promotion des ventes et assurer à leur entreprise la fidélité des clients. Mais
l’environnement agité dans lequel ils évoluent actuellement leur impose de nouveaux rôles
essentiels : ils doivent être stratèges et distribuer des ressources restreintes afin de soutenir
les priorités de l’entreprise, tout en optimisant la rentabilité. Ils doivent aussi être de fins
utilisateurs des nouvelles technologies afin de suivre et d’exploiter les plus utiles et les plus
sophistiquées des dernières innovations qui inondent leur secteur. Enfin, ils doivent être des
hommes et des femmes de science, car le futur de leur activité n’a plus grand-
chose en commun avec le passé : les expériences qui ont, à une époque, joué un
rôle accessoire dans des campagnes marketing préplanifiées occupent de plus en
plus une place centrale dans leur travail.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 11


LA PRISE DE DÉCISION AU CŒUR DU MARKETING

Au cours des dernières années, on a pu voir d’esprit pour toutes les personnes concernées ainsi
nombre de professionnels du marketing tenter qu’un engagement commun dans la réflexion rela-
avec courage de s’attaquer à ces défis. Mais la plu- tive aux prises de décision et à la réalisation des
part d’entre eux voient leurs efforts contrariés par missions. Il est évident que certaines entreprises
des contraintes d’ordre structurel ou des limites en réalisent ainsi qu’il leur faut également envisager
termes de capacités. Les barrières organisation- des changements organisationnels. Néanmoins, la
nelles empêchent une circulation fluide des priori- perspective décisionnelle les aide à établir une
tés stratégiques, à tel point que le marketing et les base plus solide pour construire d’éventuelles res-
ventes se retrouvent parfois en conflit. Les compé- tructurations tout en fournissant une dynamique
tences dont les marketeurs ont besoin se trouvent qui leur permet d’avancer dans l’intervalle.
dans d’autres fonctions, par exemple au sein du Généralement, trois grandes catégories de déci-
service informatique ou dans des groupes d’ana- sions relatives au marketing concernent des inter-
lyse centralisés. sections au sein de l’organisation :
L’écart entre les aspirations des professionnels Les décisions de stratégie et de plani�ication
du marketing et ce que leurs entreprises sont en impliquent d’aligner les objectifs marketing sur les
mesure d’accomplir montre la nécessité pressante stratégies relatives à l’activité et aux clients, mais
de revoir l’approche marketing. Mais par où com- aussi d’aligner les priorités du marketing et celles
mencer ? Récemment, des entreprises de renom de  ventes. Ces décisions amènent habituellement
ont développé une démarche innovante qui se les  questions suivantes :
concentre sur les intersections entre le marketing ► Sur quel segment client et sur quelles lignes
et les autres fonctions avec lesquelles il interagit de produits notre marketing devrait-il se
– les différents postes de haute direction, l’infor- concentrer  ?
matique, les ventes, la finance, etc. C’est à ces in- ► Quel serait le niveau de dépenses optimal et
tersections que la communication est le plus sou- comment ventiler celles-ci entre les divers vecteurs
vent interrompue et que les processus s’enrayent. et   canaux ?
Pour ne rien arranger, les frontières entre les fonc- ► Quel programme d’études et de tests met-on
tions elles-mêmes sont de plus en plus floues, cer- en place ?
taines missions se déplaçant de l’une à l’autre. Les Les décisions de mise en œuvre, qui incombent
entreprises avant-gardistes mettent en place des traditionnellement aux marketeurs, sont plus ar-
organisations marketing d’un genre nouveau, plus dues que par le passé. La prolifération de nouveaux
interactives et partic ipatives, où les silos vecteurs marketing et de technologies numériques
s’estompent, où le marketing se trouve revalorisé a complexifié la problématique de la création et de
et son efficacité renforcée. la diffusion des messages, mais aussi des offres,
dans un environnement où une rapidité d’exécu-
Une perspective décisionnelle tion et une pression budgétaire exacerbées sont
Les équipes de direction, conscientes des barrières devenues la norme. Ces décisions amènent les
présentes dans l’organisation, tentent souvent de questions suivantes :
redessiner les cadres et les lignes de leurs organi- ► Quelles caractéristiques produit devrions-
grammes. Mais on arrive, dans le meilleur des cas, nous mettre en avant dans nos initiatives
à des solutions incomplètes, car cela risque surtout marketing ?
de créer d’autres silos. Comme l’ont découvert les ► Quels outils de motivation devrions-nous of-
pionniers du marketing, il s’avère plus productif frir aux clients pour les inciter à essayer ou à ache-
d’adopter une approche dans laquelle on identifie ter les produits et services que nous proposons ?
les décisions capitales qui entrent en jeu dans les ► Quel est le bon mix entre les vecteurs marke-
succès marketing des produits ou des services de ting traditionnels et ceux issus de l’ère numérique ?
l’entreprise, puis de se  concentrer sur l’améliora- Les décisions opérationnelles et d’infrastructure
tion de l’efficacité de ces prises de décision. couvrent toutes les nouvelles capacités dont l’im-
En fait, les dirigeants de ces structures injectent portance ne cesse de croître au sein du marketing.
plus de méthodologie dans le processus de prise de Elles induisent plusieurs interrogations :
décision – en clarifiant le rôle du marketing et des ► Comment évaluer, acquérir et gérer les nou-
autres fonctions utiles et en définissant les critères velles technologies et outils marketing ?
de décision. Cette approche n’a rien de particuliè- ► Comment trouver le bon équilibre entre mar-
rement complexe, mais elle requiert un nouvel état keting numérique et marketing traditionnel ?

12 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


L'I D É E E N B R E F
LE PROBLÈME LA SOLUTION LE BÉNÉFICE
Les organisations marketing doivent Pour briser les barrières, les marketeurs Des entreprises telles que Target et Nordstrom
travailler bien plus en collaboration avant-gardistes remettent à plat les processus ont amélioré le travail en collaboration entre
avec les autres fonctions qu’auparavant. de prise de décision aux intersections entre le marketing et les autres fonctions à partir
Mais les contraintes structurelles les fonctions, en se concentrant sur trois d’outils simples permettant de rationaliser la
et les accrocs dans la communication domaines�: les décisions de planification et de prise de décision grâce à des rôles clairement
les éloignent souvent des informations stratégie, les décisions de mise en œuvre, les établis, à des critères décisionnels précis
et des ressources dont elles ont besoin. décisions opérationnelles et d’infrastructure. et à des processus bien définis.

► Qu’est-ce que cela implique quant à la nature


et à  la place des compétences spécifiques au marke-
ting numérique ?
Les décisions à la croisée des fonctions
Le marketing travaillant conjointement avec d’autres fonctions, il doit,
De manière plus globale, les marketeurs doivent
pour prendre et mettre en œuvre les décisions relevant de ces intersections,
déterminer quelles missions maintenir en interne, répondre à des questions comme celles présentées ci-dessous.
lesquelles automatiser et lesquelles sous-traiter.
Aucune de ces décisions ne peut être prise par le
marketing seul, car elles se trouvent toutes à la croi-
sée de plusieurs fonctions. Certaines nécessitent de
travailler en collaboration avec le P�DG ou un direc-
teur général. D’autres impliquent une coopération 1 2
rapprochée avec les ventes, la gestion des produits STRATÉGIE
VENTES
et des prix, les groupes d’analyse, l’informatique ou
d’autres fonctions à la périphérie du marketing
(voir ci-contre « Les décisions à la croisée des fonc-
tions »). C’est ici qu’intervient ce que nous appelons
« l’exploitation des intersections » : lorsque le mar- AUTRES 3
FONCTIONS IT
keting travaille main dans la main avec ces autres
fonctions a�in de mettre en œuvre des décisions MARKETING
cruciales, il peut éviter les goulots d’étranglement
organisationnel et accomplir ses missions bien plus
rapidement et efficacement qu’auparavant.
A en juger par l’expérience de la plupart des or-
4
ganisations marketing, exploiter les intersections
est plus facile à dire qu’à faire. Parmi les entraves,
6 ANALYSE
FINANCE
on trouve communément la divergence des pers-
pectives, ainsi qu’un manque de cohérence et d’en- 5
gagement communs entre les fonctions. Par POLITIQUE
DE PRIX
exemple, lorsqu’on demande aux personnes aussi
bien du marketing que d’autres fonctions perti-
nentes quel est leur rôle dans une décision, il y a de
grandes chances pour que leurs réponses soient
extrêmement variées, voire contradictoires. Illus-
1 Sur quels points 3 Devrions-nous
construire, acquérir
5 Comment définissons-
tration classique en la matière, les spécialistes du devrions-nous renforcer nous un prix attractif et
nos efforts marketing�? ou sous-traiter optimisé afin d’obtenir le
marketing et les ingénieurs du développement de la
Quels sont ceux dont les technologies comportement attendu
division européenne d’un constructeur automobile nous devrions nous marketing dont nous de la part des clients�?
étaient respectivement convaincus que c’était à eux désengager�? avons besoin�?
d’avoir le dernier mot quant aux caractéristiques
produit à inclure dans un nouveau modèle. Aussi
n’était-il pas surprenant que cela se traduise par des 2 Comment devrions-nous
aligner les indicateurs de
4 Selon quels critères
devrions-nous
6 Comment définir nos
attentes en termes
marchandages interminables et des retards com- performance afin de affecter nos rares financiers pour des
promettant les lancements (lire l’article « Who Has nous assurer que le ressources analytiques investissements sûrs,
marketing et les ventes au marketing contre d’autres,
the D ?», de Paul Rogers et Marcia Blanko, HBR édi- travaillent dans le même plutôt qu’à d’autres prometteurs mais n’ayant
tion américaine, janvier 2006). sens�? fonctions�? pas fait leurs preuves�?

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 13


LA PRISE DE DÉCISION AU CŒUR DU MARKETING

Guide pratique pour exploiter étant de définir le « quoi, qui, comment et quand »
les intersections du nouveau processus à mettre en place.
Comment le marketing devrait-il revoir les proces- ► Définir le « quoi » – quel est, exactement, l’objet
sus de décision à la croisée de ces fonctions ? Pre- de la décision – impliquait de garantir un accord sur
nons l’exemple d’une entreprise mondiale dans le la portée du processus d’attribution ainsi que sur les
secteur des services financiers, qui avait des diffi- princ ipes directeurs qui guideraient cette
cultés à répartir son budget marketing entre ses attribution.
différentes lignes de produits. Etant donné la na- ► Préciser le « qui » signifiait identifier la tâche
ture strictement compétitive d’un tel exercice et les spécifique de quelqu’un et s’accorder sur son rôle
objectifs naturellement contradictoires des parties dans la prise de décision, à savoir qui rédigerait la
prenantes, il s’agissait d’une question particulière- recommandation, qui fournirait les observations,
ment épineuse. qui prendrait effectivement la décision, etc. (un
L’entreprise transforma le processus de décision exemple de méthode de distribution des rôles est
à partir d’une approche en trois étapes : elle réalisa présenté dans l’encadré « Décider comment
une radiographie des décisions, puis une remise à décider »).
plat des prises de décision, et ensuite une mise en ► Etablir le « comment et quand » signifiait s’ac-
application du nouveau processus. corder sur une méthodologie et des critères d’attri-
Une radiographie des décisions permet de dia- bution, sur les données requises pour les participants
gnostiquer la manière dont les décisions sont prises et sur le timing de la décision.
à un moment donné. Dans le cas présent, l’équipe Cette révision nécessitait un investissement en
a commencé par recueillir les observations des temps conséquent et un tact considérable, car les
principaux interlocuteurs concernés par la déci- changements discutés touchaient des points sen-
sion d’attribution budgétaire, via des entretiens et sibles. La définition des rôles, en particulier, appelait
des questionnaires. un certain nombre de délibérations avant que les
L’équipe a ensuite établi un schéma détaillé du participants ne trouvent un accord. Mais le jeu en
processus de décision, puis organisé un atelier ras- valait la chandelle, car le nouveau processus était à
semblant les participants afin de discuter des ob- la fois plus structuré et plus efficace et, détail crucial,
servations recueillies. Un certain nombre de pro- avait d’ores et déjà obtenu l’adhésion des différentes
blèmes se  sont détachés : les rôles étaient opaques fonctions participant à la décision.
– les personnes avaient ainsi des perceptions va- Dans l’étape finale, l’entreprise pilota la mise en
riées non seulement sur le décisionnaire effectif, place du processus au cours de la révision du budget
mais aussi sur les personnes chargées de recom- prévisionnel du trimestre suivant, en examinant les
mander les attributions. Le processus de décision étapes du processus et les rôles de chacun dans la
manquait d’une ossature de  base, qu’il s’agisse décision, et en évaluant le résultat en termes d’af-
d’une méthodologie cohérente, de critères d’éva- fectation du budget. Tout ne se passa pas comme
luation des attributions ou d’une direction expli- prévu, mais les membres de l’équipe furent en me-
cite quant à la collecte des données nécessaires. sure de modifier les procédures et les rôles. Puis ils
Les réunions finissaient souvent sans conclusion lancèrent l’application du processus remanié dans le
ou sans accord clair concernant les étapes sui- cadre du cycle budgétaire de l’année suivante. Au-
vantes. Il n’était donc pas très surprenant de jourd’hui, l’affectation du budget marketing de l’en-
constater que tant la qualité que la rapidité de cette treprise correspond bien plus à la stratégie de son
décision étaient perçues comme décevantes. activité. De plus, la définition des rôles au préalable
Une remise à plat de la prise de décision implique a considérablement accéléré la prise de décision.
la transformation du processus afin d’en améliorer Cette approche en trois étapes peut être appli-
l’ef�icacité. Dans notre exemple, l’équipe a lancé quée à un vaste éventail de décisions marketing si-
cette étape en créant un groupe de travail composé tuées à la  croisée des fonctions. Pour preuve, pen-
de cadres dirigeants concernés par la décision chons-nous maintenant sur trois schémas de
d’attribution et représentant le marketing, la �i- coopération cruciaux : le marketing et la stratégie, le
nance et les divisions en question. Le cadre du marketing et les ventes et, enfin, le marketing, l’in-
marketing, dont le  directeur marketing était le su- formatique et l’analyse.
périeur direct, présidait le groupe. Marketing et stratégie. Dans de nombreuses
Dans une série de trois ateliers, le groupe exa- entreprises, le marketing se concentre essentielle-
mina tous les éléments de la décision, la mission ment sur la plani�ication tactique et sa mise en

14 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


Décider comment décider œuvre. Il élabore par exemple des campagnes TV
ou presse, mais l’étape finale du processus d’appro-
bation revient à l’équipe de direction, aux respon-
Distribuer les rôles pour prendre des décisions importantes est souvent complexe,
sables de division ou aux responsables produit.
mais un outil qui fait consensus peut faciliter ce processus. Quand les équipes
utilisent l’outil suivant, conçu par le cabinet Bain et connu sous l’acronyme Limiter le marketing à un rôle aussi étroit est insuf-
«�Rapid�», elles arrivent généralement à s’accorder sur un seul décisionnaire. fisant et inefficace dans un monde au rythme inin-
terrompu et aux canaux multiples qui appelle des
actions immédiates – et risque de placer la fonction
Une personne, dont l’accord
dans une position contradictoire par rapport aux
formel sur la recommandation
grandes priorités de l’entreprise.
ACCEPTER est essentiel (appartenant
par exemple à la finance ou Lorsque Jeff Jones a rejoint la chaîne de maga-
au département juridique), sins Target en tant que directeur marketing en
doit donner son approbation.
2012, l’entreprise avait derrière elle un riche passé
de moments de pure « magie » marketing – ses pro-
cessus étaient extrêmement créatifs mais aussi
RECOM- hautement subjectifs. Jones voulait maintenir ce
INPUT MANDER DÉCIDER PRATIQUER
niveau de créativité, mais était convaincu qu’il
était aussi essentiel d’établir une approche plus
systématisée, intégrant des outils technologiques,
des données et un cadre de travail permettant de
concevoir de manière systématique un marketing
puissant pour les produits de Target. Ceci nécessi-
S’attacher à ne recueillir La personne en charge La personne détentrice
que l’input crucial pour de la recommandation du «�D�» (Décider) en est tait un nouvel état d’esprit stratégique que Jones
une bonne prise de recueille les inputs auprès au final également résuma à trois grands principes pour son équipe :
décision et sa mise en de groupes désignés au responsable. promouvoir le trafic en magasin ; approfondir les
œuvre. préalable avant de interactions ; consolider l’attachement des clients
proposer une action.
à  la marque. Toute initiative marketing clé devait
refléter au moins un de ces principes.
Jones et son équipe ont remanié le modèle opé-
rationnel afin d’établir un processus de décision plus
cadré. Ils ont conçu un outil qu’ils ont appelé brief
stratégique – un schéma de travail standardisé des-
tiné à la plani�ication de toute initiative ou cam-
pagne marketing d’envergure. Le brief accordait
une importance particulière à la problématique
Une entreprise attribuant les pouvoirs concernant concernée. Il comprenait en outre une définition
les décisions de communication marketing peut schématiser précise des clients ciblés, une analyse de leur com-
les rôles des différentes fonctions de la manière suivante.
portement, une description concise du marché, de
la concurrence et des tendances en question, un
DÉCISIONS
QUELLE EST LA STRATÉGIE R I énoncé sans fioritures de la problématique marke-
GLOBALE EN TERMES DE MESSAGE? D P ting et une présentation claire des résultats souhai-
tés en termes de clients et d’activité – le tout devant
QUELLE PROMESSE I
SOUHAITONS-NOUS FAIRE? QUELLES
CARACTÉRISTIQUES ET AVANTAGES
D R A P I tenir sur deux pages maximum. On était bien loin
VOULONS-NOUS METTRE EN AVANT? des dossiers marketing traditionnels basés sur des
À QUOI RESSEMBLENT R montagnes de données mais qui offraient pourtant
NOS SUPPORTS? I D I
P
une vision limitée. La force du brief résidait dans la
clarté qu’il apportait en termes d’analyse et de cri-
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tères déterminants, permettant de prendre les


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bonnes décisions.
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Afin d’obtenir l’impact souhaité, Target a dû éga-


LA
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lement définir les rôles décisionnaires et les proces-


sus d’élaboration et d’utilisation de chaque brief.
Un rôle partagé dans un même carré signale des rôles décisionnels distincts pour des personnes différentes
(souvent de niveaux différents) au sein de la même fonction. Tout d’abord, l’équipe dirigeante s’est rassemblée

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 15


LA PRISE DE DÉCISION AU CŒUR DU MARKETING

pour un atelier destiné à s’accorder sur les pouvoirs systèmes de l’entreprise afin de trouver ou d’élabo-
de décision à un haut niveau pour les groupes de rer ce dont ils avaient besoin, alors que le temps
marques, les fournisseurs, la stratégie médias, passé à cela aurait pu être consacré aux clients. Non
l’analyse clients, la création, etc. Ensuite, un groupe seulement c’était du gâchis, mais il en résultait des
de travail a modélisé le processus de réalisation supports dont l’apparence, le ton et la cohérence
d’un brief stratégique et évalué les pouvoirs de dé- pouvaient varier largement, sapant les
cision attribués en utilisant une initiative marketing investissements que l’entreprise consacrait par
réelle en tant que projet pilote. L’équipe s’est régu- ailleurs pour développer son image de marque.
lièrement retrouvée pour des ateliers destinés à Ici encore, la perspective décisionnelle s’est mon-
examiner ce qui fonctionnait ou pas dans le pilote trée utile. Dans un premier temps, les dirigeants ont

Le travail
et a effectué quelques ajustements avant d’en géné- redéfini la mission de l’organisation de la promotion
raliser l’approche. des ventes (ou des supports de vente), qui se trou-
Dans le cas de Target, les chefs de groupe sont
peut être vait sous la direction du responsable des ventes, et

fait plus
maintenant responsables de la création de chaque l’ont mandatée pour travailler de manière rappro-
brief, avec des points précis concernant la participa- chée avec le marketing. Puis ils ont établi explicite-
tion des fournisseurs, la stratégie médias et l’ana-
vite, avec ment les  processus de décision et les pouvoirs asso-

beaucoup
lyse clients. Ils indiquent les décisions à prendre ciés. La promotion des ventes définirait les normes
lors de chaque réunion marketing, les personnes pour les supports de vente en fonction de sa
qui doivent y assister, celles à qui reviennent les
moins connaissance des besoins de chaque type de com-

d’allers et
pouvoirs pour chaque décision, et ce que l’on at- merciaux, comme les responsables de comptes, les
tend des participants. La cohérence, la clarté et la spécialistes et les responsables préventes. Le mar-
transparence dont chacun bénéficie grâce au brief
retours keting ébaucherait des modèles pour chaque sup-

entre les
stratégique permettent à l’équipe marketing pro- port en précisant bien la nature du contenu à
duits de Target de se rapprocher efficacement du incorporer, la décision finale appartenant à la pro-
merchandising afin d’établir les objectifs commer-
différentes motion des ventes. Le marketing superviserait éga-

parties.
ciaux de l’entreprise et sa stratégie marketing dans lement l’aspect de chaque support afin d’assurer sa
son ensemble. L’équipe peut également intégrer des cohérence avec la charte graphique de la marque.
savoir-faire marketing comme la stratégie créative Les équipes dédiées aux produits ont pris la respon-
ou le mix médias, afin d’assurer une planification et sabilité de fournir les informations concernant les
une mise en œuvre plus fluides de ses grandes ini- caractéristiques produits et les avantages de l’offre.
tiatives. Enfin, le travail peut être fait bien plus rapi- Les objectifs ainsi clarifiés et l’accès aux données
dement, avec beaucoup moins d’allers- retours nécessaires ouvert, les professionnels du marketing
entre les différentes parties concernées. ont pu créer des supports satisfaisants aussi bien du
Marketing et ventes. La dichotomie entre ces point de vue de la marque que de celui des ventes.
deux fonctions tient quasiment du cliché – elles tra- Aujourd’hui, les supports de vente répondent aux
vaillent chacune de leur côté, communiquant et besoins des commerciaux, assurés d’être à jour en
collaborant peu, voire pas du tout. Telle était la si- permanence, et reflètent la participation du service
tuation d’une entreprise mondiale du secteur des commercial. De plus, cela a libéré du temps aux com-
technologies il a y quelques années. Comme la plu- merciaux pour qu’ils le consacrent effectivement à la
part des entreprises opérant en B to B, elle dépend vente, avec des retombées financières évidentes.
fortement des compétences de sa force de vente On trouve un autre exemple dans le secteur des
pour conclure des contrats et assurer la croissance biens de consommation. Historiquement, les profes-
du chiffre d’affaires grâce à ses plus gros clients. Le sionnels du marketing de ce secteur se sont toujours
marketing a pour responsabilité de réaliser les cam- efforcés de développer leurs ventes grâce à un flux
pagnes de communication et de créer les supports continu de lancements de produits. Mais cela en-
de vente dont se serviront les commerciaux. Aupa- traîne un problème récurrent : la prolifération de pro-
ravant, malheureusement, il arrivait fréquemment duits a non seulement pour effet d’engorger les
que ces supports ne correspondent pas aux besoins rayons et de semer la confusion chez les consomma-
des commerciaux, et nombre d’entre eux modi- teurs, mais aussi d’augmenter la pression qui pèse sur
�iaient ce dont ils disposaient ou créaient leur les épaules des commerciaux, constamment forcés
propre matériel. Une étude interne révéla d’ailleurs d’attirer l’attention sur une offre nouvelle parmi tant
que ces derniers passaient en moyenne près d’un d’autres. De plus, les lancements de nouveaux pro-
jour par semaine à effectuer des recherches dans les duits ne reçoivent qu’un soutien peu enthousiaste

16 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


– voire pas de soutien – de la distribution, dont les termes d’analyse et de test que celles dont elle dis-
propres capacités sont arrivées à saturation. posait avant. Elle a ainsi découvert que les clients
Aujourd’hui, quelques entreprises européennes qui font leurs achats auprès de plusieurs canaux
du secteur ouvrent une brèche avec une approche ont habituellement une « valeur vie » plus élevée
différente en matière de décision de lancements de que ceux qui n’achètent que sur un canal. Elle a
nouveaux produits et redéfinissent le « comment » appris que les clients qui dépensent 100 dollars
et le « qui » du processus. Dès le départ, les équipes dans certaines catégories clés ont une « valeur vie »
du marketing produit prennent en considération les supérieure à ceux qui dépensent la même somme
contraintes des partenaires de la distribution mais dans d’autres catégories. Ce genre d’analyse
concernant les rayons et rassemblent les données permet aux spécialistes du  marketing de Nordstrom
concernant l’espace qu’ils peuvent s’attendre à ob- de placer les clients au cœur de leurs initiatives,
tenir de façon réaliste dans un point de vente, ainsi plutôt que les catégories de produits ou les
que le temps passé par les consommateurs devant marques. Brian Dennehy, le nouveau directeur
leurs produits. Le rôle des commerciaux est main- marketing de l’entreprise, a adopté une philosophie
tenant plus important : les observations de terrain fortement axée sur l’approche « tester et en tirer les
qu’ils fournissent sur les contraintes induites par le leçons », dont il mesure le succès à l’aune d’indica-
calendrier des promotions, la disponibilité des têtes teurs tels que l’acquisition de nouveaux clients, la
de gondole, etc., sont autant de facteurs cruciaux migration des clients d’un canal à l’autre et  la « va-
– et parfois même déterminants – pour le lancement leur vie » des clients.
du produit et la stratégie marketing. En remettant à A�in d’accélérer le développement d’une
plat le processus de décision pour tenir compte de connaissance solide des clients, Nordstrom a placé
ces paramètres en amont, les spécialistes du marke- la responsabilité et le pouvoir de décision concer-
ting peuvent mieux calculer le timing des lance- nant nombre d’activités d’analyse entre les mains
ments de nouveaux produits et augmenter ainsi du marketing en partenariat avec le service infor-
leurs chances de succès. matique. C’est maintenant en collaboration avec
Marketing, IT et analyse. Les organisations l’informatique que le marketing évalue et sélec-
marketing d’avant-garde comptent de plus en plus tionne les technologies qui lui permettent d’acqué-
sur la technologie : systèmes de gestion de la rela- rir les compétences analytiques dont il a besoin.
tion clients, analyse des big data, outils d’optimisa- Bien évidemment, le service informatique joue en-
tion du marketing et nombre de logiciels spéciali- core un rôle crucial dans de telles décisions et doit
sés. Depuis l’origine, la fonction informatique approuver les technologies en question du point de
héberge et gère l’essentiel de ces technologies, tan- vue de l’interconnectivité, de la sécurité et de la sta- À PROPOS
dis que les groupes analytiques centralisés traitent bilité du réseau. Mais en redistribuant le pouvoir de DES AUTEURS
et exploitent les données. Mais cela est en train de décision et en clarifiant les rôles des fonctions mar-
Au moment de la
changer rapidement. keting, analyse et informatique, Nordstrom s’est rédaction de cet article,
Penchons-nous, par exemple, sur l’évolution de assuré de pouvoir améliorer rapidement ses les auteurs occupaient
la fonction marketing qui s’est produite chez Nord- capacités en technologies et outils essentiels. les fonctions suivantes:
strom. Chaque année, l’objectif stratégique global Aditya Joshi est associé
de l’entreprise reste l’amélioration de l’expérience TOUTE ORGANISATION MARKETING constatera proba- du cabinet Bain
client. Auparavant, sa structure marketing centrale blement que certaines intersections sont plus im- & Company, et cadre
dirigeant de la branche
avait pour rôle de prendre les commandes et de portantes que d’autres. Nous n’avons vu que trois stratégie client et
mettre en œuvre ce que planifiaient les marchands des interfaces entre le marketing et d’autres fonc- marketing. Il est en outre
à la tête du centre
pour chaque catégorie de produits. De plus, chaque tions. Leur importance peut varier largement d’une d’Excellence marketing
équipe se concentrait individuellement sur le ser- entreprise à l’autre, et certaines organisations obser- de l’entreprise.
Eduardo Giménez est
vice ou la ligne de produits dont elle avait la respon- veront que des interfaces entièrement différentes
associé du cabinet Bain et
sabilité et personne ne se préoccupait d’établir un – avec le  développement produit, ou même la �i- travaille dans la branche
profil complet et précis du client. nance, par exemple – représentent pour elles autant biens de consommation en
Europe. Il est en outre
Aujourd’hui, l’entreprise fait face à de nouveaux d’opportunités. Aucune entreprise ne peut gérer spécialisé dans les
enjeux, tels que le suivi et l’interaction avec les toutes ces intersections en même temps, mais celles organisations marketing.
clients sur l’ensemble de ses quatre canaux de distri- qui identifient les décisions les plus importantes et La version originale de
bution (Nordstrom, Nordstrom Rack, Nordstrom. trouvent le moyen le plus ef�icace de les prendre cet article a été publiée
en juillet-août 2014
com et HauteLook). Elle a entrepris de s’y attaquer auront une longueur d’avance dans la mise en œuvre dans l’édition américaine
avec des compétences bien plus sophistiquées en d’un marketing plus pointu et plus puissant. de HBR.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 17


18 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017
VOULEZ-VOUS
VRAIMENT
RESSEMBLER
À EBAY?
Structurer votre business comme une place
de marché peut sembler attrayant, mais
c’est souvent le meilleur moyen pour échouer.
Par Andrei Hagiu et Julian Wright.
Illustrations: Jean-François Martin

n très grand nombre d’entreprises qui jouent les intermédiaires entre acheteurs
et vendeurs sont confrontées à un choix stratégique fondamental : doivent-elles
être de simples revendeurs qui achètent pour revendre des biens ou des ser-
vices, comme le font les supermarchés ? Doivent-elles être des plateformes mul-
tifaces comme eBay et mettre en rapport des acheteurs avec des vendeurs sans
contrôler ou posséder en propre ce qui fait l’objet des transactions ? Ou doivent-
elles combiner ces deux modèles ?
La dernière décennie a vu fleurir une ribambelle de plateformes multifaces
(PMF). Une des causes de ce phénomène est sans nul doute le succès d’eBay, de
Rakuten et de Taobao, les homologues respectifs d’eBay au Japon et en Chine.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 19


VOULEZ-VOUS VRAIMENT RESSEMBLER À EBAY?

Autre fait expliquant ce phénomène, les plateformes ils passent par un gros revendeur plutôt que par
multifaces semblent financièrement plus attirantes une myriade de petits vendeurs. Le revendeur peut
que les e-commerçants, car ces places de marché capitaliser sur les économies d’échelle réalisées sur
prélèvent généralement un pourcentage sur chaque les  achats, les investissements en infrastructures
transaction qui tombe presque directement dans (entrepôts et centres de distribution, par exemple),
leurs poches. Par conséquent, leurs coûts d’exploi- la livraison, le support client et ainsi de suite. Ce-
tation sont faibles et leurs marges élevées. Les re- pendant, ces avantages ne s’appliquent pas aux
vendeurs devant acheter puis vendre ce qui consti- produits « de longue traîne », pour lesquels il
tue leur offre, ils engrangent généralement des n’existe qu’une faible demande. C’est pourquoi
recettes plus élevées, mais leurs coûts d’exploita- Amazon revend les produits très demandés mais
tion et en capitaux sont également plus élevés et agit comme une plateforme multiface pour les pro-
leurs marges plus faibles. Les atouts des plate- duits de longue traîne, qui sont disponibles sur son
formes multifaces ont poussé de nombreuses en- site via des vendeurs indépendants.
treprises, petites et grandes, à adopter ce modèle, Effets d’agrégation. Certains produits et ser-
dans des contextes où celui du revendeur leur au- vices revêtent une valeur beaucoup plus élevée aux
rait donné de meilleures chances de succès. Toutes yeux des acheteurs quand ils sont achetés groupés
les tentatives menées par exemple depuis le début plutôt que séparément auprès de vendeurs indé-
des années 2000 pour créer une place de marché pendants. Dans ces cas-là, les revendeurs ont géné-
des brevets sur le modèle d’eBay ont été arrêtées, ralement plus de succès que les plateformes multi-
réorientées ou réduites et limitées à des services de Les produits faces, qui risquent même de ne pas être viables. Par
courtage ou de conseils en technologie. A ses dé- pour lesquels exemple, aux yeux des acheteurs ou des preneurs
buts en 1999, Zappos, l’e-commerçant de chaus- de licences potentiels, la plupart des brevets sur les
il existe une
sures américain, était une place de marché, mais, produits high-tech tels que les smartphones, pris
au milieu des années 2000, il s’est transformé en
forte demande seuls, ont peu de valeur, voire aucune, parce que
pur revendeur, stockant ses produits et prenant le se vendent les brevets individuels peuvent être contournés par
contrôle plein et entier des transactions avec les mieux quand une autre invention, contrés par des brevets
utilisateurs finaux. connexes ou invalidés par un  tribunal. C’est l’une
ils passent
Que vous soyez le fondateur d’une start-up, le des principales raisons pour lesquelles les modèles
dirigeant d’une entreprise ayant pignon sur rue ou
par un gros de plateformes multifaces d’intermédiation sur des
bien  encore un investisseur, cet article peut vous revendeur brevets (comme Ocean Tomo et ses enchères en
aider à déterminer quel modèle ou quelle combi- plutôt que par direct ou les places de marchés en ligne comme
naison de modèles est le ou la mieux adapté(e) à yet2 et Tynax) n’ont pas réussi à attirer grand
une myriade
vos besoins. monde. A l’opposé d’Intellectual Ventures et
Le choix par une entreprise d’un modèle situé
de petits d’autres agrégateurs de brevets, qui, eux, ont pros-
entre celui du pur revendeur et celui de la pure pla- vendeurs. péré en achetant les brevets, en les regroupant puis
teforme multiface est déterminé par le degré de en les vendant ou en les concédant « en gros » sous
contrôle qu’elle souhaite avoir sur les transactions licence. Les revendeurs sont également dans une
(voir l’encadré « Comment les entreprises utilisent bien meilleure position pour exploiter les relations
différents modèles de ventes »). Dans quelle me- complémentaires existant entre les produits.
sure l’intermédiaire contrôle-t-il le prix, la présen- Comme iTunes fonctionne surtout sur un modèle
tation des produits et les autres paramètres impac- de revente, Apple peut mettre en œuvre, grâce à la
tant l’acte d’achat ? Dans quelle mesure est-il combinaison iTunes-iPod, une politique de prix
responsable de l’exécution des commandes et de la dans laquelle « si l’on sacri�ie les lames, on vend
livraison des produits ? quand même le rasoir ». La société a fixé des prix
uniformes très bas pour la musique (99 cents ou
Choisir le bon modèle 1,29 dollar par chanson aux Etats-Unis) et a réalisé
Pour déterminer quel degré de contrôle sur les d’énormes marges sur les ventes d’iPod. Cette stra-
transactions entre acheteurs et vendeurs permettra tégie n’aurait pas fonctionné si iTunes avait été
à votre entreprise de créer une valeur plus impor- plus proche du modèle de la plateforme multiface,
tante ou de réaliser plus de pro�its, vous devez donnant aux maisons de disques le contrôle sur les
prendre en compte quatre facteurs. ventes de disques et sur les prix.
Effets d’échelle. Les produits pour lesquels il Pourquoi Apple n’a-t-il pas adopté la stratégie
existe une forte demande se vendent mieux quand du revendeur pour son App Store ? S’il n’y a qu’une

20 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


L'I D É E E N B R E F

Les plateformes multifaces, ces places de marché qui permettent aux acheteurs et aux vendeurs
d’effectuer des transactions directement entre eux, ont émergé comme un business model puissant.
Mais l’essor prodigieux de places de marché comme eBay a poussé des entrepreneurs à les copier dans
des situations où ils auraient plutôt dû agir comme des revendeurs traditionnels, qui achètent puis
revendent des produits ou des services. S’en est suivie une vague de faillites et de restructurations.

LA LEÇON Pour cela, il faut évaluer le modèle la qualité du produit ou la fiabilité


Les dirigeants et les investisseurs le mieux adapté pour permettre des vendeurs ou des fournisseurs.
devraient réfléchir au positionnement à l’entreprise de tirer parti d’effets Une fois le business lancé, les dirigeants
d’une société sur l’axe allant du d’agrégation et d’effets d’échelle, d’une entreprise doivent réévaluer
pur revendeur à la pure plateforme d’offrir une meilleure expérience leur positionnement en fonction
multiface et réaliser que plusieurs client à l’acheteur ou au vendeur, des changements intervenus dans
étapes peuvent être nécessaires et de surmonter les failles du marché le paysage concurrentiel. Sinon,
avant de décrocher la timbale. telles que l’incertitude concernant l’activité risque d’en être ébranlée.

poignée de maisons de disques puissantes, il y a pratiquent des marges plus élevées. Une fois en-
des milliers de développeurs d’applications. Par core, le contrôle des produits (et surtout de leur
conséquent, Apple aurait eu à supporter des coûts présentation et de leur prix) est nécessaire pour
exorbitants en essayant de négocier tous ces ac- atteindre cet objectif.
teurs, et n’aurait pas gagné grand-chose en prenant L’expérience client des acheteurs et des
le contrôle des ventes d’applications : la concur- vendeurs. Les plateformes multifaces créent
rence féroce que se livrent les développeurs main- généralement de la valeur en mettant en relation
tient les prix à un niveau extrêmement bas : 28 % les acheteurs avec les bons vendeurs et inverse-
des applications iPhone sont gratuites, le reste est ment, puis en leur permettant de réaliser une
vendu à un prix moyen de 4 dollars. Cela augmente transaction. Cependant, dans certains contextes, le
aussi la valeur de l’iPhone aux yeux des utilisateurs risque est qu’une des parties refuse de traiter avec
et permet à Apple de réaliser des marges confor- plusieurs interlocuteurs, ce qui rend préférable le
tables au niveau des ventes. Par conséquent, le modèle de la revente.
modèle de la plateforme multiface est beaucoup C’est la raison pour laquelle Zappos a choisi de
plus pertinent pour l’App Store. migrer de la plateforme multiface vers le modèle de
Même lorsque les complémentarités sont limi- la revente. Au début, Zappos s’appuyait uniquement
tées, un revendeur qui pratique l’agrégation de sur des partenariats avec des fabricants de chaus-
produits peut réaliser de meilleurs bénéfices sur sures propriétaires de leurs stocks qui honoraient
ses ventes en adoptant des stratégies telles que les directement les commandes des clients. Mais l’en-
ventes groupées ou les prix sacri�iés, ce que les treprise a rapidement compris que les clients avaient
fournisseurs indépendants ne peuvent se per- plus de chances d’acheter et d’être �idélisés si la
mettre de faire. Par exemple, on peut considérer vente leur offrait une expérience client mémorable :
que compléter la Discovery Channel avec la chaîne livraison rapide garantie, politique de retour très
sportive américaine ESPN ne tombe pas nécessai- avantageuse et identique partout, informations
rement sous le sens, mais, en intégrant ces chaînes �iables et normalisées concernant les caractéris-
dans son bouquet, Comcast peut en tirer des reve- tiques des produits et leur disponibilité, etc. Quand
nus d’abonnement beaucoup plus élevés et des Zappos a compris qu’elle ne pourrait pas garantir ce
rentrées publicitaires nettement plus juteuses que niveau de satisfaction à ses  clients si elle continuait
si elle les vendait séparément. Costco, Target, Wal- à fonctionner comme une place de marché, l’entre-
mart et d’autres détaillants attirent les clients dans prise a décidé de construire ses propres entrepôts et
leurs magasins en pratiquant des prix coûtants ou de prendre entièrement le  contrôle des interactions
des prix inférieurs au prix de revient pour certains avec les utilisateurs finaux. Sa stratégie ayant porté
produits (comme le gaz chez Costco ou les télévi- ses fruits, elle est devenue une cible d’acquisition
seurs haute dé�inition chez Walmart), tout en se séduisante : en 2009, Amazon a déboursé près de
rattrapant avec d’autres produits sur lesquels ils 1 milliard de dollars pour acheter l’entreprise.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 21


VOULEZ�VOUS VRAIMENT RESSEMBLER À EBAY�?

Comment les Les places de marché comme eBay ou Taobao ont toujours été de pures plateformes
entreprises multifaces�: elles n’ont jamais exercé beaucoup de contrôle sur les interactions entre
acheteurs et vendeurs et n’ont jamais été propriétaires des marchandises vendues.
utilisent différents En revanche, des distributeurs comme Walmart, 7-Eleven et autres sont surtout de
purs revendeurs. Exception de taille, il arrive qu’un distributeur vende du linéaire à
modèles de vente DISTRIBUTION
un fournisseur connu, comme Coca-Cola, et qu’il lui accorde le contrôle sur les prix,
ET E-COMMERCE l’agencement ou le stockage sur le linéaire.
Les entreprises peuvent se Amazon a commencé comme un pur revendeur�: de 1994 à 2000, l’entreprise a
acheté et revendu des produits en son nom. Amazon a ensuite commencé à se transformer en
positionner différemment plateforme multiface en autorisant des commerçants tiers à vendre des produits directement à
sur l’axe séparant le ses utilisateurs. En 2011, ces revenus ont représenté 30 % des ventes unitaires. Pour une
modèle du pur revendeur catégorie de produits donnée, Amazon peut fonctionner comme pur revendeur, pure plateforme
(acheter puis revendre multiface ou selon un modèle hybride, en prenant par exemple des commandes, mais en laissant
des commerçants contrôler les prix et la relation avec les acheteurs.
des produits) de celui de
la pure plateforme Costco
multiface (fournir une eBay
Walmart Amazon Rakuten
Zappos Taobao
place de marché où
acheteurs et vendeurs
Pur revendeur Pure plateforme multiface
réalisent des transactions
directement les uns
avec les autres). Voici
la façon dont opèrent Les prestataires de services satellites et câblés (Comcast, Dish Network, iTunes ou
quelques entreprises Netflix) sont des revendeurs�: les relations contractuelles sont établies entre les
présentes dans trois utilisateurs et ces prestataires de services et non avec les fournisseurs de
contenus. De plus, ces prestataires contrôlent les prix et la fourniture aux
secteurs différents. CONTENU DIGITAL utilisateurs. L’App Store d’Apple et Google Play, la place de marché des
Dans certains cas, leur applications Android, se situent à l’autre bout du spectre. Sur ces places de
positionnement a marché, les utilisateurs achètent les applications de développeurs tiers. Mais il ne s’agit pas de
évolué au fil du temps. pures plateformes multifaces, car Apple et Google exercent un contrôle sur la qualité et la
distribution des applications (plus qu’eBay ne le fait sur sa place de marché). Certains
fournisseurs de contenus digitaux se situent entre les deux modèles. Quand des internautes
achètent des films et des jeux sur Xbox Live ou sur le site PlayStation Store, les contrats d’achat
sont passés avec Microsoft et Sony mais les éditeurs de jeux et les studios de cinéma gardent le
contrôle sur les prix.

Comcast PlayStation Store


DirecTV Xbox Live App Store
iTunes Marketplace Google Play
Netflix

Pur revendeur Pure plateforme multiface

Les loueurs de voitures traditionnels comme Avis, Budget ou Zipcar sont de purs
revendeurs�: ils possèdent les voitures qu’ils louent. En revanche, des prestataires de
services comme Getaround, Lyft, RelayRides ou Uber facilitent simplement les
transactions entre propriétaires de voitures et automobilistes. Aucun de ces
AUTOPARTAGE prestataires ne possède de flotte et les propriétaires des voitures fixent leurs propres
tarifs, sauf dans le cas d’Uber, qui impose des tarifs standards. Avec Uber et Lyft, les
utilisateurs peuvent monter à bord de véhicules conduits par des chauffeurs professionnels (dans
le cas d’Uber) ou par des particuliers (dans le cas de Lyft). Getaround et RelayRides, quant à eux,
proposent aux utilisateurs de louer des véhicules appartenant à des particuliers.

Avis Getaround
Budget Uber Lyft
Zipcar RelayRides

Pur revendeur Pure plateforme multiface

22 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


Parfois, le besoin d’apporter au vendeur une expé- taire a repris possession de son bien et a confirmé
rience client de qualité fait de la revente le seul mo- qu’aucun dégât important ne lui avait été infligé.
dèle envisageable. Prenons l’exemple de Gazelle, un Néanmoins, ce serait une erreur de conclure que
des principaux revendeurs en ligne de produits élec- ces mécanismes commerciaux suffisent toujours à
troniques d’occasion. Gazelle achète des produits à assurer qualité et fiabilité. Parfois, il est nécessaire de
des particuliers par le biais de son site Web et les re- se rapprocher d’un modèle de revendeur en exerçant
vend via divers canaux, y compris des grossistes spé- plus de contrôle sur les transactions. C’est le doulou-
cialisés dans l’export, ou via eBay, sur lequel Gazelle reux enseignement retiré par SellaBand, Bandstocks
a remporté la prestigieuse distinction de PowerSeller. et Slicethepie, qui espéraient tous porter un coup fa-
Il peut sembler ironique que cette entreprise fasse tal aux maisons de disques en créant des plateformes
des profits en achetant à des utilisateurs et en reven- où les fans auraient interagi avec leurs groupes préfé-
dant sur eBay. Mais Gazelle a fait le constat perspicace Les acheteurs rés pour les �inancer. Toutefois, trop de groupes
que les vendeurs individuels et occasionnels sont très médiocres ont fait fuir les investisseurs et les trois
désavantagés sur les plateformes multifaces, car il
ne rejoindront sociétés ont déposé le bilan. SellaBand a toutefois été
leur manque l’expertise et la crédibilité ainsi que le pas votre ressuscitée grâce à un groupe d’investisseurs exté-
temps nécessaire pour rivaliser avec les vendeurs place de rieurs et sur un modèle plus proche de celui des mai-
professionnels présents sur ces places de marché. marché si sons de disques traditionnelles. « Si vous voulez
Dans ce contexte, la valeur de la proposition de re- réussir dans ce domaine [du crowdfunding appliqué
vendeurs comme Gazelle réside dans la commodité
vous n’avez au secteur musical], vous devez exercer un certain
de transaction et la vitesse d’échange, même si le prix pas assez de contrôle sur ce qui se passe sur votre site en raison
est inférieur à celui que les vendeurs auraient pu ob- vendeurs et des divergences qui peuvent survenir entre les deux
tenir via une enchère sur eBay. les vendeurs parties en termes d’objectifs et d’attentes », nous a
Cela étant, certaines plateformes multifaces expliqué l’ancien P�DG de SellaBand.
réussissent l’impossible en garantissant une expé-
en feront Une autre des failles potentielles du marché dont
rience client de qualité à la fois aux acheteurs et aux de même si les plateformes multifaces ne peuvent venir à bout
vendeurs. Comme oDesk, qui a créé une des princi- vous n’avez réside dans les avantages, qu’il s’agisse d’informa-
pales places de marché en ligne pour le travail vir- pas assez tions ou de leviers de négociation, qu’une partie
tuel en permettant aux employeurs de trouver, peut détenir par rapport à l’autre. Si elle craint d’être
d’embaucher, de gérer et de payer leurs collabora-
d’acheteurs. exploitée, il est possible que la partie la plus faible
teurs individuels. Contrairement aux agences de refuse de participer. Le modèle du revendeur peut
travail temporaire traditionnelles, oDesk peut ainsi aider à résoudre ce problème. Intellectual Ventures
répondre aux besoins des deux parties sans prendre (IV), le plus grand agrégateur de brevets au monde,
de responsabilité directe pour l’une ou l’autre, ni a collecté plus de 5 milliards de dollars et dépensé
dans les accords passés par les parties en présence. plus de 2  milliards de dollars pour acquérir plus de
Les failles du marché. Livrées à elles-mêmes, 30  000 brevets. IV s’approvisionne généralement en
les places de marché s’effondrent parfois. La cause brevets auprès d’universités, de PME et d’inven-
la plus évidente d’un échec commercial réside dans teurs indépendants, puis les revend ou les cède sous
la part d’inconnu liée à la qualité du produit ou à la licence, la plupart du temps à de grandes entreprises
fiabilité des vendeurs ou des fournisseurs. qui les exploitent ensuite.
De nombreuses plateformes multifaces ont ré- En plus des avantages de l’agrégation mention-
solu ce problème sans pour autant se transformer en nés ci-dessus, IV crée de la valeur en corrigeant
revendeurs. eBay a mis en place un système de feed- – dans une certaine mesure – l’énorme déséquilibre
back pour les acheteurs et les vendeurs. Airbnb, qui en termes de pouvoir qui existe entre les petits
permet aux propriétaires de maisons et d’apparte- titulaires de brevets et les grandes entreprises qui
ments de louer des chambres à de parfaits étrangers, les exploitent. Ces petits titulaires ne possèdent
fournit non seulement un système de recomman- pas l’expertise et les ressources nécessaires pour
dation similaire à celui d’eBay, mais aussi plusieurs négocier avec succès ou faire face à un éventuel li-
autres fonctions garantissant l’honnêteté des deux tige : ils n’obtiennent donc généralement que de
parties. Par exemple, le règlement du locataire au maigres, voire d’inexistantes royalties de la part
propriétaire n’est débloqué que vingt-quatre heures des grandes entreprises exploitant leurs brevets. La
après que  le  locataire a vérifié et confirmé que le bien pierre angulaire de la stratégie adoptée par IV
loué était conforme à sa description. Et le site re- consiste à négocier avantageusement avec ces
tourne sa  caution au locataire après que le proprié- entreprises pour le compte de la myriade de petits

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 23


VOULEZ�VOUS VRAIMENT RESSEMBLER À EBAY�?

Créer une place de marché n’est pas une mince affaire


Mettre en contact des acheteurs et des vendeurs sans jamais posséder le produit est un business model alléchant�: les capitaux et les
coûts d’exploitation sont faibles et les marges élevées. Mais revendre s’avère souvent un meilleur choix. Si vous répondez oui à l’une des
questions ci-dessous, la revente (ou une approche hybride) est probablement une meilleure option pour votre entreprise.

Votre entreprise Si votre entreprise Est-ce qu’une


peut-elle créer plus prend le contrôle des parties jouit
Les acheteurs Les acheteurs
Y a-t-il de valeur et tirer des transactions, d’un avantage
retirent-ils ont-ils besoin d’être
d’importantes plus de profits de pourra-t-elle créer disproportionné
d’importants protégés des
économies d’échelle ventes groupées ou une meilleure en termes
bénéfices de vendeurs et
à exploiter�? de la vente de expérience client d’information
l’agrégation�? réciproquement�?
produits pour l’acheteur ou ou de leviers de
complémentaires�? le vendeur�? négociation�?

titulaires de brevets qui sont ses fournisseurs et, ce Karma, une start-up qui a lancé au début de
faisant, à engranger des bénéfices considérables. Là 2012 une application mobile permettant aux utili-
encore, une plateforme multiface ne pourrait pas sateurs de sélectionner, d’acheter et d’envoyer des
garantir ce résultat, ce qui explique pourquoi cadeaux à partir de différentes sources, a opté pour
presque toutes les tentatives de créer des places de une approche similaire. Le cœur de sa proposition
marché pour les brevets ont échoué. La société IV de valeur réside dans sa capacité à recommander
est devenue le courtier en brevets le plus influent certains cadeaux en se basant sur des données pu-
dans le secteur des technologies. bliées par les utilisateurs des réseaux sociaux. Ac-
tuellement, Karma achète des articles à des fabri-
Démarrer et se développer cants et détaillants pour les revendre, en réalisant
Les faits évoqués plus haut suffisent à la plupart au passage une petite marge bénéficiaire. Mais le
des entreprises pour déterminer où se situer sur Dans modèle du pur revendeur n’est probablement pas
l’axe allant du revendeur à la plateforme multiface. optimal sur le long terme : pour la plupart des caté-
Mais une entreprise ne peut pas toujours parvenir
le scénario gories de cadeaux, les grands détaillants et fabri-
à ses fins du premier coup. Parfois, les entreprises de rupture cants qui fournissent les articles de Karma opèrent
qui devraient finalement être des plateformes mul- classique, à une échelle supérieure ; Karma n’est pas obligée
tifaces doivent commencer par être des revendeurs les places d’être propriétaire des articles pour que les ache-
et vice versa. teurs aient une expérience client de qualité et,
La quadrature du cercle. Supposons que vous
de marché comme les cadeaux sont généralement des pro-
êtes une start-up ou une grande entreprise qui sou- émergentes duits de marques connues, les consommateurs ne
haite entrer sur un nouveau marché et que vous poussent les vont pas se préoccuper de qualité ou de fiabilité.
avez choisi la plateforme multiface comme étant le revendeurs Néanmoins, l’entreprise peut être obligée d’agir au
modèle qui vous convient le mieux. Le problème est départ comme un revendeur afin de prouver la va-
que les acheteurs ne viendront pas sur votre plate-
historiques leur de son concept aux fabricants et aux détail-
forme si  vous n’avez pas assez de vendeurs, et que vers la sortie. lants. De plus, le modèle de revendeur permet à
les vendeurs en feront de même si vous n’avez pas Karma d’exercer un contrôle et cela lui donne plus
assez d’acheteurs. Parfois, vous pouvez résoudre ce de latitude pour expérimenter différentes façons
problème en bâtissant progressivement votre crois- de servir les acheteurs. Une fois qu’elle a pu imagi-
sance à partir d’une petite niche sur le marché, ner la meilleure solution pour y parvenir, une so-
comme eBay l’a fait avec les collectionneurs de dis- ciété peut commencer à migrer vers un modèle de
tributeurs de dragées Pez. Si vous ne parvenez pas à plateforme multiface.
trouver une telle niche, adopter le modèle du reven- Capital limité. Si le modèle du revendeur est
deur pendant une période transitoire peut consti- finalement le mieux adapté à votre activité, mais
tuer une sage décision. C’est exactement la stratégie que vous devez vous développer rapidement à
choisie par Amazon : en achetant et en revendant court terme sans en avoir les ressources néces-
des livres et d’autres produits, la  société s’est consti- saires, opérer comme une plateforme multiface, où
tué une base importante d’acheteurs avant d’essayer les coûts d’exploitation et les besoins en capitaux
d’attirer des vendeurs indépendants. sont plus faibles, peut être une bonne solution de

24 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


transition. Gome, le plus grand distributeur de pro- susceptibles d’être perturbés par les plateformes
duits électroniques de Chine, a choisi cette straté- multifaces accessibles en ligne ou via les télé-
gie. Depuis sa création, au début des années 2000, phones mobiles. Li & Fung, le principal intermé-
Gome a vendu ou loué à ses fournisseurs des em- diaire en textile d’habillement dans le monde, n’a
placements dans ses magasins, exploités de facto fait que jouer les revendeurs depuis ses débuts, en
comme des concessions indépendantes. Dans les 1906. Bien qu’une plateforme en ligne bien conçue
magasins Gome, les produits sont donc organisés puisse constituer une sorte de guichet unique pra-
par marque, et non par catégorie, et 80% des ven- tique, il lui manquerait l’atout majeur d’un Li &
deurs du magasin sont des salariés de ces fournis- Fung : la capacité d’agréger la demande de nom-
seurs. Ce modèle ne procurant pas une expérience breux clients, qui permet d’obtenir des prix plus
client de qualité, il est donc dif�icile d’imaginer avantageux de la part de ses fournisseurs, de livrer
qu’il puisse se pérenniser. Mais opérer comme un plus vite et de favoriser une meilleure utilisation
revendeur traditionnel ne permettait pas à l’entre- des capacités des fournisseurs.
prise de disposer des ressources indispensables De même, la prolifération des places de marché
pour réaliser son souhait d’être la première à ouvrir vidéo basées sur Internet, tels que Hulu, YouTube,
des magasins d’électronique dans toutes les ou Xbox Live, sur lesquelles les internautes
grandes villes chinoises. En effet, la croissance de achètent directement des contenus aux fournis-
Gome s’est faite à un rythme beaucoup plus sou- seurs, n’a pas rendu pour autant les agrégateurs de
tenu que ses concurrents. Bien que la société ait chaînes câblées ou satellites obsolètes, car, en pro-
traversé une mauvaise passe financière l’obligeant posant des bouquets, ces derniers peuvent tirer de
à fermer des magasins qui affichaient de mauvais leurs audiences et de leurs panels d’annonceurs
résultats, le fond du problème semble être la pénu- des bénéfices beaucoup plus élevés que les fournis-
rie de managers compétents plutôt que le business seurs de contenus, qui commercialisent leurs pro-
model adopté par la société. De fait, le plus proche duits de façon indépendante via des places de mar-
rival de Gome en Chine, Suning, qui fonctionne sur ché en ligne. Des scénarios de rupture inverses
le même modèle, est en plein essor. commencent à se dessiner, où des revendeurs
émergents viennent concurrencer des plateformes
Rupture et désintermédiation multifaces établies. Gazelle en est un exemple. Cela
Le cadre que nous avons exposé plus haut peut laisse à penser que les plateformes multifaces qui
aussi servir à identifier les possibilités de rupture ont du succès fournissent inévitablement aux re-
ou les menaces si vous opérez déjà comme inter- vendeurs des opportunités d’agréger la demande
médiaire. Dans le scénario de rupture classique, les ou l’offre sur des marchés spécifiques, ou d’offrir à
places de marché émergentes poussent les reven- un segment d’acheteurs ou de vendeurs une meil-
deurs historiques vers la sortie. En effet, le modèle leure expérience client.
des plateformes multifaces est devenu particuliè-
rement puissant et répandu avec le développement AU COURS DE LA DERNIÈRE DÉCENNIE, les plateformes
d’Internet et des communications mobiles. De multifaces se sont imposées comme faisant partie
nouvelles places de marché naissent chaque jour, des business models les plus puissants et les plus
ce qui rend d’autant plus facile l’interaction entre profitables. Il est important, cependant, de ne pas
À PROPOS
acheteurs et vendeurs sans passer par les intermé- surestimer leur attractivité par rapport au modèle DES AUTEURS
diaires traditionnels. eBay a rendu les boutiques plus traditionnel du revendeur. Avant de prendre le Au moment de la
d’objets de collection obsolètes. oDesk et des sites train en marche des plateformes multifaces, les rédaction de cet article,
les auteurs occupaient
similaires se substituent aux agences de travail entrepreneurs et les investisseurs devraient réflé- les fonctions suivantes:
temporaire. Le Kindle d’Amazon et les autres plate- chir soigneusement au positionnement d’un inter-
Andrei Hagiu, professeur
formes d’autoédition et de distribution viennent médiaire sur l’axe allant de revendeur à plateforme
agrégé au département
marcher sur les plates-bandes des éditeurs. Les multiface. Mais aussi être conscients que plusieurs stratégie de la Harvard
services d’autopartage entre particuliers, comme étapes peuvent être nécessaires avant de décrocher Business School.
Julian Wright, professeur
RelayRides ou Getaround, font concurrence aux la timbale. Ils doivent réévaluer rapidement leur d’économie à l’université
loueurs de voitures établis comme Zipcar (ces en- positionnement en fonction des changements du nationale de Singapour.
treprises fonctionnant toutes comme des reven- paysage concurrentiel. Sinon, ils prennent le risque La version originale
deurs qui achètent leurs  propres véhicules et les de constater in �ine que leur business apparem- de cet article a été
publiée en mars 2013
louent aux utilisateurs). Toutefois, ce serait une ment à l’abri du danger est menacé par des concur- dans l’édition américaine
erreur de penser que tous les revendeurs sont rents d’un côté comme de l’autre. de HBR.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 25


STRATÉGIE
DE MARQUE:
UNE CARTOGRAPHIE
PLUS EFFICACE
Les professionnels du marketing ont toujours
dû concilier deux objectifs en apparence
contradictoires�: cultiver la spécificité de leurs
marques tout en leur garantissant une
position centrale de leader dans leur catégorie.
Par Niraj Dawar et Charan K. Bagga.
Illustrations: Gian Paolo Pagni

26 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 27
STRATÉGIE DE MARQUE : UNE CARTOGRAPHIE PLUS EFFICACE

L
es marques « centrales » (leaders) sont de marchandises qui sera vendue et leur prix – et, en
celles qui sont les plus représentatives définitive, la rentabilité. Et pourtant, jusqu’ici, les
dans leur secteur d’activité. C’est le cas experts en marketing ne disposaient pas des outils
de Coca-Cola pour les boissons non al- nécessaires pour parvenir à cet équilibre. Tradition-
coolisées et de McDonald’s pour la res- nellement, les entreprises ont toujours analysé de
tauration rapide. Ces marques servent de points de manière distincte le positionnement de la marque et
repère comparatifs et leurs noms sont les premiers à ses performances. Pour identifier les brèches au sein
venir à l’esprit. Elles influent sur les dynamiques de du marché et évaluer ce que les consommateurs
leur secteur, notamment sur les préférences des pensent des marques, les professionnels du marke-
consommateurs, les prix affichés, le rythme et les ting ont eu largement recours à des cartes percep-
tendances en termes d’innovation. Certaines tuelles (ou cartes de positionnement), qui repré-
marques spécifiques, comme Tesla (véhicules élec- sentent graphiquement, selon des critères opposés
triques) et Dos Equis (bière), sortent du lot et évitent – pas cher/premium ou épicé/doux, par exemple –
la concurrence directe avec les marques leaders ex- la perception qu’ont les consommateurs de marques
trêmement réputées. ou de produits donnés. Et, pour évaluer la perfor-
Trouver le bon équilibre entre être « central » et mance, ils ont recours à une autre gamme d’outils
être spécifique est crucial, car les choix que fait une stratégiques qui cartographient ou évaluent les
entreprise n’influencent pas seulement la manière marques selon des critères tels que la part de mar-
dont une marque sera perçue, mais aussi la quantité ché, le taux de croissance et la rentabilité.
Nous proposons ici une nouvelle approche : la
carte de centralité-spécificité (ou carte C�S), qui, à
notre connaissance, est le premier outil offrant la
La carte C-S (centralité-spécificité) possibilité à une entreprise de mettre en relation le
La carte C-S établit des connexions entre la perception que se font les positionnement d’une marque et les résultats atten-
consommateurs des marques d’une catégorie et les performances commerciales dus, tels que les volumes et les prix de vente. Grâce
de ces marques. Les marques sont réparties en quadrants selon la place que leur à cet outil, les managers pourront définir quel posi-
assignent les consommateurs en fonction de leur centralité (le degré de repré-
tionnement ils souhaitent avoir sur le marché, déci-
sentativité dans leur catégorie) et de leur spécificité (en quoi se distinguent-elles
dans leur catégorie). La taille des points varie en fonction des performances der quelles ressources affecter et quelle stratégie de
financières des marques (volumes de ventes, prix). marque adopter, suivre leur performance par rap-
Chaque quadrant a des implications stratégiques sur les ventes, le pricing port à leurs concurrents, et évaluer la stratégie à par-
(tarification), les risques et la rentabilité. La répartition des marques sur tir des résultats. Ce faisant, ils constateront que cen-
l’ensemble de la carte donne un aperçu des opportunités et des menaces par tralité et spéci�icité ne sont pas nécessairement
rapport à la concurrence. contradictoires. Les entreprises peuvent viser les
deux objectifs simultanément – et en retirer des
bénéfices appréciables.

Positionnement et performance
Concevoir la carte C�S d’une catégorie de marques
NON CONVENTIONNELLE ASPIRATIONNELLE est un travail laborieux mais assez simple. L’entre-
prise identifie tout d’abord l’aire géographique du
marché (un pays, une région, une ville) ainsi que
SPÉCIFICITÉ DE LA MARQUE

les segments de clientèle sur lesquels portera


l’étude. Comme nous le verrons, ces variables
influent considérablement sur la position de la
marque sur la carte. L’entreprise mène alors une
étude pour collecter des données sur la perception
qu’ont les clients de la centralité et de la spécificité
PÉRIPHÉRIQUE GRAND PUBLIC de la marque (sur une échelle de 0 à 10). Ces don-
nées déterminent les coordonnées propres à
chaque marque sur une matrice en deux dimen-
sions. La carte rend également compte des perfor-
mances du marché : la taille du point représentant
CENTRALITÉ DE LA MARQUE chacune des marques est proportionnelle au

28 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


L'I D É E E N B R E F
LE PROBLÈME LA SOLUTION LES CONSÉQUENCES
Les entreprises utilisent des cartes La carte C-S (centralité-spécificité) Grâce à cet outil, les experts
perceptuelles (ou de positionnement) établit de nouvelles connexions entre en marketing peuvent déterminer
pour savoir ce que pensent les clients de perception et performance. Elle met en le positionnement réel d’une marque
leurs marques et pour renforcer la évidence le positionnement relatif de la ainsi que celui qui serait souhaité,
position de ces dernières. Mais leur marque sur le marché, selon la façon prévoir ses performances commerciales,
valeur est limitée car elles ne font pas de dont sont perçues sa «�centralité�» (la élaborer une stratégie marketing
liens entre la position de la marque et les marque est-elle représentative dans sa et contrôler sa mise en œuvre.
indicateurs de performance du marché. catégorie�?) et sa «�spécificité�» (la L’analyse en profondeur des marchés
D’autres outils marketing intègrent des marque se distingue-t-elle des autres de l’automobile et de la bière
critères tels que la part de marché, le marques�?). Cette carte rend également met en évidence l’utilité de cet outil
taux de croissance et la rentabilité, mais compte des performances financières à pour les gestionnaires de marques,
ils ne prennent pas en compte la travers certains indicateurs, tels que le quelle que soit la catégorie envisagée.
perception du consommateur. volume des ventes ou le prix.

volume des ventes, au prix ou à d’autres critères (voir entreprises aux performances solides telles que
le schéma « La carte C�S [centralité-spécificité] »). Heineken et Sam Adams. Ces marques hautement
En se focalisant sur la centralité et la spécificité spécifiques ont tendance à pratiquer des prix plus
– des paramètres qui s’appliquent à toutes les élevés que les autres marques du secteur ayant des
marques quelle que soit leur catégorie, contraire- résultats plus faibles.
ment aux caractéristiques propres à chacun des pro- C’est dans le quadrant inférieur droit que se
duits – les entreprises peuvent effectuer des compa- concentrent les marques présentant un fort attrait
raisons au-delà des catégories et des périmètres mais une faible spécificité. Ce sont les noms de ces
géographiques. Le positionnement de la marque sur marques grand public qui viennent le plus souvent
la carte a des conséquences sur les ventes, la fixation à l’esprit des consommateurs lorsqu’ils pensent à
des prix, les risques et la rentabilité. Cela permet une catégorie de produits. Leur manque de spécifi-
aussi aux professionnels du marketing de procéder cité réduit leur « pricing power » (leur capacité à aug-
à d’importantes évaluations stratégiques, comme menter leur prix sans que cela affecte la demande),
« le nombre de marques spécifiques est plus impor- mais elles sont très populaires et le plus souvent
tant sur tel marché que sur tel autre ». choisies par les consommateurs. Dans la catégorie
des voitures, les marques grand public comme Ford
Deux études de cas et Chevrolet cumulent environ 44% des ventes ;
Considérons les cartes C�S de deux catégories de dans le cas des bières, les marques très connues
marques, les voitures et les bières, sur le marché comme Miller et Busch représentent 19% des ventes.
américain (voir le schéma « La carte C�S appliquée Les marques périphériques ne présentent que
aux voitures et aux bières »). Dans les deux cas, les peu de signes distinctifs. Les consommateurs les
marques sont largement distribuées, ce qui laisse citent rarement en premier choix. Dans ce quadrant
penser qu’elles peuvent être en situation de inférieur gauche, on trouve Kia et Mitsubishi
concurrence dans bien des situations –  même, (voitures) et Old Milwaukee (bières). Malgré leur
étonnamment, dans le cas de marques qui ne sont prix peu élevé et leur manque de spécificité, nombre
ni centrales ni spécifiques. Détaillons chacun des de marques périphériques réussissent pourtant bien
quadrants des cartes. à cet emplacement apparemment peu attractif ; elles
Les marques aspirationnelles – celles du constituent 24% des ventes de voitures et environ
quadrant supérieur droit – sont très différenciées 15% des ventes de bières.
et exercent pourtant un large attrait. Dans le cas Dans le quadrant supérieur gauche sont repré-
des voitures, ce quadrant représente presque un sentées les marques non conventionnelles, qui sont
tiers des unités vendues (30%) ; on y trouve des dotées de caractéristiques exclusives les distinguant
marques phares telles que Mercedes et BMW. Dans des produits traditionnels de leur catégorie. Comme
le cas des bières, ce quadrant se taille la part du Tesla, Mini et Smart, trois marques qui, chacune à
lion en matière de ventes (62%) et inclut des leur manière, s’écartent de l’idée standard que l’on

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 29


STRATÉGIE DE MARQUE : UNE CARTOGRAPHIE PLUS EFFICACE

La carte C-S appliquée aux voitures


et aux bières
Pour établir ces cartes, nous avons demandé à des personnes adultes, en différents endroits des Etats-Unis,
quelle était leur perception de 30 marques de voitures et de 23 marques de bières différentes, et de les classer,
sur une échelle de 0 à 10, en fonction des critères de centralité et de spécificité.

UN EFFET MÉCANIQUE Comme le montrent ces cartes, le volume


des ventes a tendance à croître en même temps que la centralité,
tandis que les prix ont tendance à chuter. Plus une marque est
spécifique, plus les ventes baissent et plus les prix augmentent.

VOITURES VOITURES
(VOLUME DES VENTES) (PRIX) Porsche
Porsche
BMW
BMW
Mercedes
Jaguar
Jaguar
Mercedes
Tesla Lexus
Lexus
Tesla Mini Audi
Mini Audi
Cadillac Volvo
Smart Volvo Cadillac
Smart Infiniti
SPÉCIFICITÉ

VW Toyota Fiat VW
Fiat Infiniti Toyota
Chevrolet
Acura Chevrolet Lincoln
Lincoln Acura
Chrysler Honda Honda
Subaru Chrysler Ford
Ford Subaru
Scion Mazda Scion Mazda Nissan
Nissan
Mitsubishi Dodge Mitsubishi Dodge
Buick Buick
Hyundai Hyundai
Kia Kia

CENTRALITÉ LES VOITURES SONT UNIQUEMENT DES VÉHICULES DE TOURISME.

UN CUMUL POSSIBLE De nombreuses marques surfent sur le succès en étant à la fois centrales
et spécifiques (Guinness et Heineken, par exemple) ; d’autres entrent dans la compétition en
n’étant ni centrales ni spécifiques (Old Milwaukee). Les entreprises peuvent aussi se servir d’une
carte C-S pour repérer les opportunités de positionnement et les menaces potentielles.

BIÈRES BIÈRES Guinness


(VOLUMES DES VENTES) Guinness (PRIX) Samuel Adams
Samuel Adams
Heineken
Heineken

Dos Equis Blue Moon


Budweiser Budweiser
Blue Moon
Corona Stella
Dos Equis Corona
Stella Yuengling Michelob
Michelob
SPÉCIFICITÉ

Coors Coors
Yuengling Newcastle
Newcastle
Sierra Nevada Rolling Rock Miller Tecate Rolling Rock
Tecate Miller
Modelo Sierra Nevada
Modelo Busch
Natural Natural
Pabst Busch
Pabst
Icehouse
Icehouse
Milwaukee’s Best
Old Milwaukee Milwaukee’s Best
Old Milwaukee

CENTRALITÉ

30 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


se fait d’une voiture. Dans la catégorie des bières, la centralité assure des volumes de ventes plus
Dos Equis et Stella sont deux produits non conven- importants. La réponse réside dans les prix plus élevés
tionnels sur le marché des Etats-Unis. Le faible que peuvent appliquer les marques plus spécifiques.
pourcentage de vente des marques de ce quadrant Porsche, la marque de voitures la plus spécifique
(entre 2 et 4 %) suggère, comme on peut l’imaginer, de notre étude, avait le prix moyen de vente au dé-
qu’il s’agit là d’une stratégie de niche. tail le plus élevé. Et c’était également le cas de Guin-
Voyons maintenant de quelle façon la centralité ness, la marque de bière la plus spécifique. Dans le
et la spécificité influent, au sein des catégories étu- cas des marques automobiles, une progression d’un
diées, sur les performances commerciales, selon point de la spécificité entraîne une augmentation du
deux paramètres : le volume des ventes et le prix. prix de vente au détail de 12 900 dollars en moyenne
Volume des ventes. Sur le marché des voitures par unité. Côté bière, une progression d’un point se
comme sur celui des bières, plus la centralité d’une traduit par une augmentation du prix de vente au
marque est affirmée, plus son volume de ventes est détail d’environ 2,59 dollars par pack de 12.
important. Toyota, la marque de voitures qui, dans A l’inverse, dans les deux catégories, la centralité
notre étude, atteint le score le plus élevé selon ce a tendance à avoir un effet négatif sur les prix, en-
critère, est la seule marque à avoir vendu plus d’un core que, dans le cas des voitures, la réduction n’ait
million de véhicules de tourisme aux Etats-Unis en pas été statistiquement significative. Une augmen-
2014. Budweiser, la plus « centrale » des marques de tation d’un point de la centralité était associée, dans
bière, a également, dans sa catégorie, atteint les la catégorie des bières, à une réduction du prix de
volumes de ventes les plus élevés (près de 30% du vente au détail d’environ 1,10 dollar par pack de 12.
marché de la bière aux Etats-Unis).
Augmenter la centralité, même de façon légère, a Conséquences stratégiques
des effets spectaculaires : selon notre analyse, une L’emplacement d’une marque sur la carte peut va-
progression d’un point (sur une échelle de 0 à 10) rier considérablement selon le segment de clien-
correspond à 200 000 véhicules supplémentaires tèle, l’aire géographique et d’autres facteurs. Dans
vendus par an, en moyenne, pour une marque don- notre étude nationale du secteur automobile, par
née ; et, pour une marque de bière, le gain annuel est exemple, la marque Subaru n’était ni centrale ni
en moyenne de 10,3 millions de fûts. Ce sont là des spécifique ; pourtant, une enquête sur les consom-
données théoriques, bien sûr, résultant d’une modé- mateurs du nord-est des Etats-Unis placerait très
lisation mathématique. En pratique, de nombreux certainement Subaru dans le quadrant aspiration-
facteurs influent sur les volumes de ventes, et pour nel. De la même façon, les consommateurs plus
de nombreuses entreprises une progression d’un âgés percevront probablement la marque Cadillac
point sur une échelle de 0 à 10 nécessiterait un inves- comme aspirationnelle, alors que les consomma-
tissement insurmontable en R & D, marketing et teurs plus jeunes la situeront très certainement en
autres. Toutefois, le message est clair et la perspec- position périphérique.
tive très attrayante. De fait, augmenter la centralité Quelle que soit la position d’une marque sur la
est un objectif stratégique essentiel pour la marque carte, celle-ci doit refléter la stratégie de l’entreprise
de véhicules Testa, très spécifique et coûteuse. et être cohérente avec son modèle économique.
En revanche, à l’accroissement de la spécificité Examinons maintenant les conséquences straté-
sont associés des volumes de ventes inférieurs, tant giques pour chacun des quadrants.
pour les voitures que pour les bières, même si l’effet Aspirationnelle. Les marques aspirationnelles
est moins prononcé. Selon notre analyse, augmen- étant tout à la fois centrales et spécifiques, les com-
ter la spéci�icité d’une marque d’un seul point pagnies peuvent tirer parti aussi bien des volumes
entraînerait une réduction des ventes annuelles de ventes élevés que des prix premium. Ces marques
d’environ 144 000 unités dans le cas d’une marque fiables, éprouvées, sont bien placées pour lancer des
automobile et de près de 8  millions de fûts pour une innovations susceptibles de faire évoluer le secteur.
marque de bière. Avec la Prius, Toyota a introduit des véhicules
Prix. Si un accroissement de la spéci�icité hybrides sur le marché, devenant l’acteur principal
occasionne une chute des ventes, comment se fait-il du secteur et ouvrant la voie à bon nombre d’autres
que tant de marques aient pour objectif les qua- marques. Les recherches menées par Daimler (so-
drants si recherchés de la haute spéci�icité ? En- ciété mère de Mercedes-Benz) et Toyota dans le
semble, ils représentent plus de 65 % des volumes de domaine des piles à combustible pré�igurent la
ventes de bière, alors même qu’un accroissement de prochaine révolution dans le secteur automobile.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 31


STRATÉGIE DE MARQUE : UNE CARTOGRAPHIE PLUS EFFICACE

L’essentiel pour les marques aspirationnelles


est de rendre leurs caractéristiques spéci�iques
suf�isamment grand public pour qu’elles inté-
ressent le plus grand nombre, sans pour autant
tomber dans la banalité. Elles doivent défendre
leur position contre les challengers venant des
quadrants grand public et non conventionnel.
Grand public. Les marques grand public bâ-
tissent leur positionnement central en mettant en
œuvre des techniques très minutieuses d’ingénie-
rie et de développement produit de manière à
s’adapter aux goûts dominants (voire même à les
façonner) et en réalisant des campagnes de publi-
cité massives pour que la marque et sa catégorie
deviennent synonymes. Vu la position stratégique
de la marque, il faut procéder avec une grande
prudence et éviter de faire des vagues. Mais le
poids de l’entreprise permet de façonner le marché
et les préférences des consommateurs plus adroi-
tement que les marques des autres quadrants.
Coca-Cola, par exemple, a pris en compte l’évolu-
tion de la demande en faveur de boissons moins
sucrées et moins gazeuses et a mené avec succès la
transformation du marché, tout d’abord avec ses
marques allégées, puis avec sa marque d’eau en
bouteille Dasani.
Le premier dé�i concurrentiel auquel sont
confrontées les marques grand public vient des
produits périphériques et non conventionnels que
l’évolution des goûts des consommateurs pourrait
placer en position centrale. Prenons l’exemple des
aspirateurs. Le Roomba de iRobot est vendu à plus
d’un million d’unités chaque année, et les robots
aspirateurs revendiquent 15 % du marché. Ces pro-
duits non conventionnels constituent maintenant

L’essentiel pour les une véritable menace pour les produits grand pu-
blic actuels.

marques aspirationnelles Périphérique. Ces marques ont tendance à


suivre une stratégie « me too ». Elles offrent des

est de rendre leurs avantages similaires à ceux des marques plus cen-
trales. Les consommateurs y recourent comme

caractéristiques substituts, généralement parce qu’ils sont attirés


par des prix moins élevés ou que leur engagement

spécifiques suffisamment dans cette catégorie est minimal. La plupart des


marques périphériques n’accèdent ni aux volumes

grand public pour qu’elles des marques plus centrales, ni aux prix premium
des marques plus spécifiques. Toutefois, ce posi-

intéressent le plus grand tionnement peut être viable dans le cas de marques
dont le business model prend pour base des coûts

nombre, sans pour autant peu élevés de marketing et d’innovation, comme


les fabricants de médicaments génériques et les

tomber dans la banalité. marques de distributeurs dans les secteurs de la


pharmacie et de l’alimentaire.

32 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


Les marques périphériques seront peut-être ten- Voici cinq applications possibles de cette carte.
tées de modi�ier leur positionnement en s’adjoi- Evaluer votre stratégie de positionnement.
gnant des caractéristiques spécifiques ou en lançant Les responsables de marques estiment habituelle-
des campagnes publicitaires, mais c’est là un choix ment que leur stratégie de différenciation singula-
ardu et coûteux. Durant la dernière décennie, par rise leur marque dans l’esprit du consommateur et
exemple, Hyundai a proposé des garanties de plus rend compte des ventes. Mesurer la spéci�icité
longue durée et des modèles de luxe comme la Ge- d’une marque aux yeux du consommateur et
nesis et l’Equus. Ces choix ont stimulé les ventes établir des liaisons statistiques entre les résultats
mais n’ont en rien modifié la position de Hyundai obtenus et les performances de vente fournit une
comme suiveur périphérique et peu éloigné de sa évaluation ponctuelle de l’efficacité d’une straté-
marque sœur Kia et de marques japonaises de se- gie. Par exemple, si l’objectif marketing est de
conde zone, comme Mazda. En fin de compte, les maximiser les prix, mais que la marque, aux yeux
marques périphériques ont moins d’avenir que les du consommateur, rentre de plus en plus dans la
marques des autres quadrants (Pontiac et Saturn, catégorie grand public, la carte C�S mettra en évi-
par exemple, se sont ainsi retirées du marché), mais dence le découplage entre la stratégie et l’objectif.
le coût peu élevé de leur business model les aide à Les entreprises peuvent alors recourir à cet outil
renforcer leur position relativement peu compéti- pour établir si les ajustements apportés à la
tive. C’est ainsi que RC Cola s’est maintenue dans sa stratégie produisent les effets escomptés sur les
catégorie durant près d’un siècle. performances business.
Marques non conventionnelles. Les marques Suivre la concurrence. Les cartes convention-
de cette catégorie exploitent des marchés de niche. nelles évaluent la perception qu’a le consommateur
Leur business model vise une rentabilité à bas vo- de caractéristiques bien précises d’un produit.
lumes – c’est le cas de Mini et de Dos Equis – ou alors Ainsi seront appréciées l’amertume et la qualité de
leur positionnement dans le quadrant leur sert de la mousse de différentes bières. Mais des bières très
marchepied pour accroître leur centralité. Les ef- voisines sur ce type de cartes ne sont pas nécessai-
forts en direction de la centralité peuvent être de rement concurrentes. Heineken et Old Milwaukee
deux sortes : accentuer le caractère grand public de sont tout aussi amères et mousseuses l’une que
leur produit (comme le fait Tesla en encourageant l’autre mais ces deux marques ne sont pas en
les politiques en faveur des véhicules électriques) ; concurrence directe.
ou adjoindre des caractéristiques grand public au Les cartes C�S réduisent ce risque d’erreur, car
produit (la bière Stella est maintenant disponible à elles mettent en évidence le positionnement d’une
la pression comme en bouteille). La bonne stratégie, marque par rapport aux autres, d’une manière qui
pour Tesla comme pour Stella, consisterait désor- reflète fidèlement les représentations mentales que
mais à migrer du quadrant non conventionnel vers se font les consommateurs de cette catégorie de
le quadrant aspirationnel. Il en résulterait un ac- produits. Il est alors plus facile de focaliser les
croissement des ventes sans pour autant compro- efforts de compétitivité sur la concurrence réelle
mettre leur spéci�icité (et les prix premium qui plutôt que sur la concurrence telle qu’elle est
l’accompagnent). perçue. Ainsi, les responsables de la marque
Lincoln seront-ils peut-être surpris d’apprendre
Comment utiliser la carte C-S que leur marque est plus proche de Chrysler que de
Comme nous l’avons montré, la position des marques Cadillac dans l’esprit des consommateurs. De
sur la carte C�S a des conséquences stratégiques. En même, si Dodge et Chevrolet se positionnent en
recourant aux méthodes statistiques de régression, concurrents, les cartes C�S suggèrent que les
les entreprises peuvent élaborer des scénarios prédic- consommateurs perçoivent des différences
tifs pour une série de stratégies en déplaçant une substantielles entre les deux marques.
marque sur l’axe de la centralité ou de la spécificité, Gérer votre portefeuille de marques. Les
et en observant les incidences de ces déplacements cartes C�S pouvant être réalisées pour n’importe
sur les ventes ou la rentabilité. Le suivi dans le temps quelle marque de n’importe quelle catégorie, elles
du positionnement de leurs marques (et de celles de offrent la possibilité aux entreprises de comparer la
leurs concurrents) sur la carte donne aux entreprises stratégie et les performances d’une marque dans
une meilleure compréhension des coûts associés aux les diverses catégories. Ainsi, une entreprise qui
différentes stratégies et de l’impact qu’ont ces vend de multiples marques de différents types de
déplacements sur les performances des marques. produits peut recourir à ces cartes pour allouer les

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 33


STRATÉGIE DE MARQUE : UNE CARTOGRAPHIE PLUS EFFICACE

Nombre d’entreprises définir des objectifs de performance réalistes sur


les différents marchés géographiques d’une

qui s’efforcent de gérer marque d’envergure mondiale. Deuxièmement,


cela permet d’expliquer les différences de perfor-

des marques mondiales mances d’un pays à l’autre. Enfin, cela aiguille les
responsables au niveau mondial dans leurs prises

de manière standardisée de décision : faut-il standardiser la marque ou au


contraire envisager des spécialisations locales ?

rencontrent des problèmes Suivre et analyser les résultats. Les mana-


gers se démènent souvent pour évaluer l’impact de

importants en raison leurs efforts marketing sur les perceptions des


consommateurs. Les deux dimensions que consi-

des particularités propres dèrent les cartes C�S – la centralité et la spécificité  –
sont propres à toutes les marques et restent perti-

à chacun des marchés. nentes dans le temps. En repérant sur ces cartes, à
des moments successifs, les changements de posi-
tionnement résultant des initiatives marketing, les
gestionnaires de marques devraient être à même
d’apprécier dans quelle mesure leurs actions (et
ressources de la manière la plus efficace possible celles de leurs concurrents) affectent les percep-
dans les diverses catégories. Supposons que le tions des consommateurs.
géant des biens de consommation Unilever ait l’in- Ainsi, les entreprises devraient établir des liens
tention d’accroître les ventes de deux marques non entre ce qui perturbe les prix (comme lorsque la
centrales sur le marché des Etats-Unis : Tigi (soins holding E�Trade brade les frais de courtage), ou
capillaires) et Degree (déodorants). Grâce aux certaines campagnes publicitaires ciblées («  Je suis
cartes C�S, le groupe peut estimer le volume de res- un Mac… Je suis un PC » d’Apple), et les déplace-
sources marketing à allouer à chaque marque ments des marques sur les cartes C�S pour avoir un
(après avoir pris en compte la taille de la catégorie aperçu de ce qui influe sur les perceptions des
et les dépenses publicitaires) pour parvenir à un consommateurs et les performances des marques.
objectif donné – par exemple, une augmentation Plus le mapping est fréquent, notamment dans les
précise de la centralité susceptible d’entraîner à son catégories où l’innovation et le marché connaissent
tour une hausse bien définie du volume des ventes. des rebondissements fréquents, plus le tableau qui
La carte C�S permettrait à Unilever non seulement en résultera sera instructif.
de standardiser et de rationaliser les budgets al-
À PROPOS
DES AUTEURS loués au sein des marques, mais donnerait aussi la LE QUADRANT occupé par une marque sur la carte
Au moment de la possibilité à l’entreprise d’observer l’usage que les centralité-spécificité reflète la stratégie et les capa-
rédaction de cet article, équipes en charge d’une marque font des sommes cités d’une entreprise, ainsi que les caractéristiques
les auteurs occupaient
les fonctions suivantes: mises à leur disposition, et ce en mesurant le dépla- du marché, mais cette position n’est pas immuable.
cement des marques sur les cartes. Il se peut en effet qu’une entreprise décide de la
Niraj Dawar est professeur Gérer des marques mondiales. Nombre modifier pour exploiter un marché moins engorgé
de marketing à l’Ivey
Business School, à London, d’entreprises qui s’efforcent de gérer des marques ou faire croître le volume des ventes. Les marques
Ontario (Canada). Il est mondiales de manière standardisée rencontrent non conventionnelles chercheront peut-être à de-
l’auteur de «�Tilt: Shifting
Your Strategy from des problèmes importants en raison des particula- venir plus centrales dans l’esprit des consomma-
Products to Customers�» rités propres à chacun des marchés. La carte C�S teurs, de façon à gagner des parts de marché,
(Harvard Business Review offre un moyen de visualiser les différences de per- comme le fait Tesla. Ou des marques périphériques,
Press, 2013). Charan K.
Bagga, doctorant à l’Ivey ception des consommateurs et les écarts de perfor- comme Kia, verront-elles peut-être quelques avan-
Business School, est maître mance sur les différents marchés. Prenons Chevro- tages à devenir plus grand public.
de conférences détaché
à la Tulane’s Freeman let et Tide. L’une et l’autre marques sont en position En donnant la possibilité à une entreprise d’éva-
School of Business depuis centrale aux Etats-Unis, mais leurs résultats sont luer le positionnement stratégique d’une marque,
juillet 2015.
nettement moins bons, tant en centralité qu’en spé- d’apprécier les risques et les avantages qu’il y aurait
La version originale cificité, sur les marchés émergents tels que l’Inde. à le modifier et de suivre le processus au fil de l’eau,
de cet article a été publiée
en juin 2015 dans l’édition Etre capable d’évaluer ces différences est utile à les cartes C�S sont là pour s’assurer qu’un investis-
américaine de HBR. trois niveaux. Tout d’abord, cela aide l’entreprise à sement donné se révèle payant.

34 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


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. . . . . . . . . . pratiques
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. . . . . . . . . . . . . . . . . .Explorez
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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . sur
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . les
. . . . . . . . thématiques
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . essentielles
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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .du. . . business, . . . . . . . . . . source
. . . . . . . . . . . .véritable . . . . . . . . .d’inspiration
. . . . . . . . . . . . . . . . et. . .de
. . . .connaissances.
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. . . . . . . . . . . . . . de
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. . . . . . qualité
. . . . . . . . . . . . . .gagner
. . . . . . . . . . .compétences
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. . . . . . . . . . . . . . . . . contenus
. . . . . . . . . . . . . .référence
. . . . . . . . . . . . .de
. . . . . . . . . . .pour
. . . . . . . . . . . . . .en ..........................................
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. . . . . . . . . . . . . manager
. . . . . . . . . . . . . . .équipe
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. . . . méthodologie
. . . . . . . . . . .Ř. .Une . . . . . . . . . . . . . . . .validée
. . . . . . . . par
. . . . les
. . . .experts
. . . . . . . . de
. . . .la. .prestigieuse
. . . . . . . . . . . . . Harvard
. . . . . . . . . Business
. . . . . . . . . .Review
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. . . . . . . . . . . . . . . . . . Grâce
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .aux
. . . . . . . . . . . . références
. . . . . . . . . . . . . . . . .de
. . . . . . . . . . . . . . . . .la. . Harvard
. . . . . . . . . . . . . . . .Business
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Review,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .apprenez
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36 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017
LE BRANDING
À L’ÈRE DES
RÉSEAUX SOCIAUX
Par Douglas Holt. Illustration: Laurent Bazart

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 37


LE BRANDING À L’ÈRE DES RÉSEAUX SOCIAUX

A
l’ère de Facebook et de YouTube, le un phénomène que j’appelle la « crowdculture »
développement de marque est (« culture participative »). La crowdculture modifie les
devenu un problème épineux. Mais règles du branding – il faut redéfinir quelles sont les
les choses n’étaient pas censées techniques qui fonctionnent, quelles sont celles qui
prendre cette tournure. Il y a dix ne fonctionnent pas. Si nous saisissons la nature de la
ans, la plupart des entreprises annonçaient l’arrivée crowdculture, nous pouvons comprendre pourquoi
d’un nouvel âge d’or du branding. Elles ont engagé les stratégies de contenu de marque ont échoué, et
des agences de création et des troupes entières de découvrir quelles méthodes alternatives de branding
technologues pour introduire les marques au sein de sont reconnues et valorisées par les réseaux sociaux.
l’univers numérique. Viral, buzz, mèmes, stickiness et
facteur de forme sont devenus la lingua franca du Pourquoi le contenu de marque et le
branding. Mais, malgré tout ce bruit, les efforts sponsoring fonctionnaient auparavant
déployés n’ont pas vraiment porté leurs fruits. Bien que ses promoteurs s’obstinent à dire que le
contenu de marque est une méthode ultramoderne,
il s’agit en réalité d’un vestige de l’ère des médias de

Dès que le public a pu masse, dont on a redoré l’image pour en faire un


concept numérique. Au début de cette époque, les

contourner les publicités, entreprises empruntaient des techniques au divertis-


sement populaire pour accroître la notoriété de leurs

il est devenu bien plus


marques : elles utilisaient des formes courtes de
narration, des astuces cinématographiques, des

difficile pour les marques


chansons et des personnages attendrissants pour
séduire le public. De grands classiques, tels que la
réplique « I Can’t Believe I Ate the Whole Thing » pour

d’acheter leur renommée. Alka-Seltzer, la chanson « Frito Bandito » pour la


marque Frito-Lay, ou encore la pub pour Noxema
dans laquelle Joe Namath se fait « mousser » par Far-
En le plaçant au cœur de leur stratégie numé- rah Fawcett, se sont glissés dans la culture populaire
rique, les entreprises ont misé très gros sur ce que américaine car ils divertissaient les téléspectateurs.
l’on appelle souvent le « contenu de marque ». L’idée Cette première forme de contenu de marque
était la suivante : les réseaux sociaux devaient per- fonctionnait à merveille car les médias du divertis-
mettre aux entreprises de contourner les médias sement étaient alors des oligopoles – la compétition
traditionnels, pour nouer des liens directement avec culturelle était donc limitée. Aux Etats-Unis, trois
les clients. Leur raconter des histoires passionnantes réseaux produisaient des émissions de télévision
et établir une connexion avec eux en temps réel de- pendant environ trente semaines par an, et pas-
vait permettre aux marques de se transformer en saient ensuite des rediffusions. Seuls les cinémas
plateformes pour une communauté de consomma- locaux distribuaient les films, tandis que la rivalité
teurs. Les entreprises ont investi des milliards pour entre magazines se limitait à l’espace disponible sur
réaliser cette idée. Pourtant, rares sont celles qui les étagères des drugstores. Les entreprises de biens
sont parvenues à susciter sérieusement l’intérêt des de consommation pouvaient s’offrir un chemin vers
consommateurs en ligne. Les réseaux sociaux la gloire en plaçant leurs marques dans cette arène
semblent même avoir rendu les marques moins culturelle strictement contrôlée.
importantes. Qu’est-ce qui a mal tourné ? Les marques infiltraient aussi la culture en sponso-
Pour résoudre cette énigme, nous devons nous risant des émissions de télévision et des événements,
souvenir que le succès des marques dépend de leur s’associant ainsi à du contenu performant. Les fans
capacité à se faire une place au sein de la culture. Et n’ayant qu’un accès limité à leurs artistes préférés, les
le branding est un ensemble de techniques conçues marques pouvaient jouer le rôle d’intermédiaires.
pour produire de la pertinence culturelle. Les techno- Pendant des décennies, il était monnaie courante que
logies numériques ont non seulement créé de nou- des chaînes de fast-food sponsorisent de nouvelles
veaux réseaux sociaux puissants, mais elles ont aussi superproductions cinématographiques, que des
complètement bouleversé le fonctionnement de la voitures de luxe parrainent des compétitions de golf
culture. Les foules numériques sont désormais des et de tennis, et que des marques pour les jeunes
innovateurs culturels à la fois efficaces et prolifiques, soutiennent des groupes musicaux et des festivals.

38 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


L'I D É E E N B R E F
CONTEXTE CE QUI A MAL TOURNÉ LA VOIE À SUIVRE
Les entreprises ont perdu Les réseaux sociaux ont transformé Si la crowdculture a entraîné la chute
des milliards de dollars dans le fonctionnement de la culture. des modèles conventionnels de branding,
la production de contenu sur Les foules numériques sont devenues elle a rendu encore plus puissant
les réseaux sociaux, dans de puissants innovateurs culturels�: un modèle alternatif�: le branding
l’espoir de mobiliser un public un nouveau phénomène appelé culturel. En adoptant cette approche,
autour de leurs marques. «�crowdculture�». Ces foules produisent les marques collaborent avec
Mais les consommateurs désormais du divertissement créatif des crowdcultures et soutiennent
n’ont pas répondu à l’appel. si efficace que les entreprises ne sont leurs idéologies sur le marché.
plus en mesure de rivaliser.

Avec la montée des nouvelles technologies, qui a influence culturelle est devenue directe et impor-
permis au public de contourner les publicités –  grâce tante. Ces nouvelles crowdcultures se divisent en
aux réseaux câblés, aux enregistreurs numériques, deux catégories : les sous-cultures, qui font éclore
puis à Internet – il est devenu bien plus difficile pour de nouvelles idéologies et pratiques, et les univers
les marques d’acheter leur renommée. Elles se sont artistiques, qui ouvrent de nouveaux horizons
retrouvées en compétition directe avec le véritable dans le domaine du divertissement.
divertissement. Les entreprises ont alors augmenté la Des sous-cultures amplifiées. De nos jours,
mise. A commencer par BMW, qui a été la première à presque tous les sujets ont droit à leur crowdculture
se lancer dans la création de courts-métrages pour florissante : l’expresso, la mort de l’American
Internet. Peu de temps après, les sociétés ont fait ap- Dream, les romans victoriens, le mobilier d’artisa-
pel à des réalisateurs de renom (Michael Bay, Spike nat, le libertarianisme, le nouvel urbanisme, l’im-
Jonze, Michel Gondry, Wes Anderson, David Lynch) pression 3D, le dessin d’animation japonais, l’obser-
et se sont mises en quête d’effets spéciaux et de pro- vation des oiseaux, l’enseignement à domicile ou
ductions toujours plus spectaculaires. encore le barbecue. Avant, les adeptes de ces sous-
Ces efforts digitaux (pré-réseaux sociaux) ont cultures devaient se réunir physiquement et man-
poussé les entreprises à croire qu’elles pourraient quaient de moyens pour communiquer ensemble ;
conquérir un vaste public si elles réalisaient des il y eut les magazines, puis les groupes Usenet pri-
créations de type hollywoodien à toute allure. Ainsi mitifs et les réunions.
est née la grande ruée vers le contenu de marque. Les réseaux sociaux ont élargi et démocratisé
Mais c’était sans compter sur une nouvelle concur- ces sous-cultures. En quelques clics, il est désor-
rence. Et cette fois-ci, elle n’allait pas venir des mais possible de rejoindre le centre névralgique de
grandes sociétés de médias, mais du public. n’importe quelle sous-culture et d’interagir avec les
participants sans difficulté, aussi bien sur le Web
L’émergence de la crowdculture que dans des lieux physiques et au travers des mé-
De tout temps, l’innovation culturelle est apparue dias traditionnels. Ensemble, les membres font pro-
en marge de la société – découlant de groupes mar- gresser des idées, des pratiques, des esthétiques
ginaux, de mouvements sociaux et de cercles artis- nouvelles et des produits innovants, court-circui-
tiques qui défiaient les normes et les conventions tant ainsi les gardiens de la culture de masse. Avec
établies. Les entreprises et les médias de masse l’émergence de la crowdculture, les innovateurs
faisaient of�ice d’intermédiaires en diffusant ces culturels et leurs premiers marchés sont devenus
nouvelles idées sur le marché de masse. Mais les une seule et même entité.
réseaux sociaux ont tout changé. Des univers artistiques surboostés. Pro-
Ces derniers rassemblent des communautés duire du divertissement populaire innovant néces-
autrefois isolées géographiquement, accélérant site un mode d’organisation distinct – ce que les
ainsi le rythme et l’intensité des échanges colla- sociologues appellent un « univers artistique ».
boratifs. Ces groupes jadis éparpillés étant désor- Dans ces derniers, des artistes (musiciens, réalisa-
mais étroitement connectés les uns aux autres, leur teurs, écrivains, designers, dessinateurs, etc.) sont

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 39


LE BRANDING À L’ÈRE DES RÉSEAUX SOCIAUX

placés dans une concurrence collaborative et inspi- Comment cela est-il arrivé ? Tout a commencé
rée : ils travaillent ensemble, apprennent les uns avec les sous-cultures de jeunes qui se sont consti-
des autres, échangent des idées et s’encouragent tuées autour des jeux vidéo. Lorsqu’elles ont
mutuellement. Les efforts collectifs déployés par débarqué sur les réseaux sociaux, elles sont deve-
les participants dans ces « scènes » génèrent sou- nues une superpuissance. Autrefois perçue comme
vent d’importantes percées créatives. Avant la excentrique, la sous-culture du divertissement par le
montée des réseaux sociaux, les industries de la jeu vidéo venue de Corée du Sud s’est démocratisée
culture de masse (cinéma, télévision, presse, à l’échelle mondiale, donnant ainsi naissance à un
mode) prospéraient en subtilisant et en réadaptant gigantesque sport-spectacle, désormais connu sous
leurs innovations.
La crowdculture a surboosté les univers artis-
tiques, augmentant considérablement le nombre
de participants, mais aussi la vitesse et la qualité de Sur les réseaux sociaux,
leurs interactions. Plus besoin de faire partie d’une
scène locale. Plus besoin de travailler pendant un la technique qui
fonctionne pour Shakira
an pour trouver des financements et des distribu-
teurs pour un court-métrage. Des millions d’entre-
preneurs culturels communiquent désormais en
ligne pour parfaire leur art, échanger des idées,
peaufiner leur contenu et se battre pour produire le
s’avère un échec cuisant
prochain tube. L’effet Net est un nouveau mode
rapide de prototypage culturel, qui permet de ré- pour Crest et Clorox.
colter des données instantanées sur la réception
des idées sur le marché, d’obtenir un retour cri-
tique et de les retravailler de façon à identifier rapi- le nom de « sports électroniques », réunissant près de
dement le contenu le plus efficace. Au cours de ce 100  millions de supporters (Amazon a récemment
processus, de nouveaux talents émergent et de acheté le réseau de sports électroniques Twitch pour
nouveaux genres voient le jour. S’infiltrant dans un montant de 970  millions de dollars).
tous les recoins de la culture populaire, ce contenu Dans les e-sports classiques, les animateurs pro-
innovant est en phase avec le public et est produit posent des commentaires en direct de chaque par-
à moindre coût. Ces crowdcultures d’univers artis- tie de jeu vidéo. PewDiePie et ses camarades ont
tiques sont la principale raison qui explique l’échec improvisé à partir de ces commentaires et les ont
du contenu de marque. tournés en dérision pour en faire un nouveau genre
de comédie potache. D’autres joueurs vidéastes,
Au-delà du contenu de marque tels que VanossGaming (n° 19 sur YouTube avec
Bien que les entreprises se soient jetées à corps 15,6 millions d’abonnés), elrubiusOMG (n° 20 ;
perdu dans l’aventure du contenu de marque ces dix 15,6 millions), CaptainSparklez (n° 60 ; 9 millions),
dernières années, de sérieuses preuves empiriques et Ali-A (n° 94 ; 7,4 millions), sont également des
les poussent aujourd’hui à revoir leurs positions. Les membres influents de cette tribu. Au départ, cette
marques corporate sont quasiment absentes des crowdculture était organisée par des plateformes
classements par nombre d’abonnés des chaînes You- spécialisées qui diffusaient ce contenu et par des
Tube ou Instagram. Seules trois d’entre elles ont fans initiés qui se rassemblaient et émettaient des
réussi à s’immiscer dans le top 500 de YouTube. Les critiques, louant certains efforts et en dénigrant
premières places sont plutôt occupées par des ar- d’autres. PewDiePie est devenu la star incontour-
tistes inconnus, presque sortis de nulle part. nable de cet univers artistique numérique, de la
Le plus gros succès de YouTube est de loin même manière que Jean-Michel Basquiat et Patti
PewDiePie (de son vrai nom Felix Arvid Ulf Kjell- Smith l’étaient devenus dans des univers artistiques
berg) : ce Suédois poste des films de ses parties de urbains de l’époque. La principale différence : le
jeux vidéo, qu’il agrémente de commentaires pouvoir de la crowdculture l’a propulsé vers la
narquois, le tout avec un montage minimaliste. En gloire en un temps record.
janvier 2016, il avait accumulé près de 11 milliards Le « gaming comedy », ou « humour par le jeu
de vues, et sa chaîne YouTube totalisait plus de vidéo », n’est qu’un nouveau genre parmi les cen-
41 millions d’abonnés. taines que le phénomène de crowdculture a créés.

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Comment la marque Under Armour a utilisé des célébrités pour percer

DE QUOI SURPRENDRE
Les vidéos publicitaires
tournées avec Gisele
Bündchen et Misty
Copeland ont remis
en question les idées
reçues sur les femmes.

Dans sa campagne intitulée «�I Will What I Want�», backstage de Gisele en plein entraînement
Under Armour associe le parrainage de célébrités au branding culturel. de kick-boxing. L’entreprise a annoncé
Under Armour est devenue emblématique des secteurs encore dominés par des ce partenariat avant le tournage.
en dérobant la stratégie culturelle de Nike idéaux traditionnels de féminité. Cette nouvelle a immédiatement semé
– et en l’améliorant. L’approche de Nike, La danseuse étoile Misty Copeland, qui a la zizanie chez les crowdcultures�:
lancée dans les années 1970 et améliorée grandi dans la pauvreté avec un seul parent, les amateurs de sport étaient cyniques,
dans les années 1990, consistait à raconter est une ballerine athlétique et musclée qui les fans de Gisele étaient curieux,
des histoires d’athlètes ayant surmonté évolue dans une profession glorifiant les les fashionistas étaient perplexes et les
des obstacles sociétaux par la simple force femmes frêles et maigres. Under Armour féministes étaient tout simplement ravies.
de leur volonté. Mais il y a dix ans, Nike a réalisé un film montrant son combat Under Armour a puisé dans les
a abandonné son idéologie d’outsider face à l’adversité (la voix off lit la lettre commentaires de cette discussion
compétitif pour tout miser sur le contenu de refus d’un employeur expliquant que numérique, puis a projeté des citations
de marque, en faisant appel à des athlètes son corps n’est pas du tout fait pour sur les murs qui se trouvaient derrière
de renom pour réaliser des vidéos sportives la danse classique). Elle y danse dans Gisele Bündchen. Dans la vidéo qui
divertissantes. Under Armour a alors une brassière moulante et un short en résulte, on peut la voir en sueur donner
repris le flambeau de Nike et a produit de sportif, qui soulignent sa morphologie des coups de pied dans un sac de frappe,
nouvelles publicités comme « Protect This tout en courbes. ignorant la vague d’attaques déferlant
House�», qui soutenait la même idéologie Le film avec Gisele Bündchen a repris autour d’elle�: «�Prendre la pose, c’est
et qui a explosé sur les réseaux sociaux. ce même modèle visant à briser les un sport maintenant�?�», «�C’est quoi son
Under Armour a également suivi Nike conventions, mais en mélangeant cette sport, le sourire�?�», «�Contente-toi de
en exposant à quel point la surcompétitivité, fois-ci des crowdcultures hétérogènes pour faire le mannequin, chérie�».
traditionnellement associée aux hommes, provoquer une réaction sur les réseaux Under Armour a percé parce qu’elle innovait
s’appliquait tout autant aux femmes, en sociaux. L’ancienne star de Victoria’s Secret avec l’idéologie, en utilisant des célébrités
diffusant des spots publicitaires présentant est généralement présentée dans le monde féminines pour secouer les normes
des athlètes féminines. Le dernier effort de glamour des podiums et de la jet-set. sexospécifiques. Les communiqués
la marque, «�I Will What I Want�», a repoussé Under Armour a brisé cette image en de l’entreprise ciblaient directement les
encore plus loin les frontières entre les la faisant apparaître dans une publicité crowdcultures défendant ces normes,
sexes, bousculant les normes dans portant l’ancienne patte de Nike�: une vidéo ce qui a provoqué un tollé général.

Ces genres comblent tous les espaces vacants ima- populaire, pour un coût infiniment moins impor-
ginables du divertissement dans la culture popu- tant. Prenons Red Bull, dont la stratégie de contenu
laire : des conseils de mode féminine à la malbouffe de marque est la plus performante. La société s’est
écœurante, en passant par les commentaires des transformée en plateforme nouveaux médias pro-
fanatiques de sport. En dépit de leurs investisse- duisant du contenu de sports extrêmes et alterna-
ments, les marques ne peuvent rivaliser. Comparez tifs. Bien qu’elle affecte une grande partie de son
PewDiePie, qui fait des vidéos bon marché depuis budget marketing annuel de 2 milliards de dollars
chez lui, à McDonald’s, l’une des entreprises qui au contenu de marque, Red Bull voit sa chaîne You-
investit le plus dans les réseaux sociaux. La chaîne Tube (n° 184 ; 4,9 millions d’abonnés) se faire de-
de McDonald’s (n° 9 414) ne totalise que 204 000 vancer par des dizaines de start-up issues de
abonnés sur YouTube. PewDiePie est 200 fois plus crowdcultures, dont les budgets de production

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LE BRANDING À L’ÈRE DES RÉSEAUX SOCIAUX

Comment le branding culturel crée


des icônes�: le cas Jack Daniel’s sont inférieurs à 100 000 dollars. La chaîne Dude
Les marques emblématiques sont des innovateurs culturels�: Perfect (n° 81 ; 8 millions d’abonnés), créée par
elles contournent les conventions de leurs segments
pour promouvoir de nouvelles idéologies qui parlent aux clients. cinq athlètes universitaires texans qui font des vi-
déos d’exploits sportifs improvisés et drôles, af-
En retour, elles bénéficient d’une même�: ces valeurs misaient sur la fiche par exemple de bien meilleurs résultats.
forte fidélité des clients, dégagent des production d’un whisky filtré au L’exemple de Coca-Cola offre une autre mise en
profits supérieurs et jouissent d’une charbon, destiné à un consommateur garde. En 2011, l’entreprise a annoncé en fanfare sa
large couverture médiatique gratuite. chic. A la place, l’entreprise a suivi une
nouvelle stratégie marketing, appelée Liquid & Lin-
Dans les affaires, peu d’exploits sont approche de branding culturel. Les
aussi prisés que la création d’une idéaux masculins étant façonnés par ked. Misant le tout pour le tout, elle a remplacé
marque emblématique. Pourtant, les la société, ils évoluent au fil du temps. l’excellence créative (l’ancienne approche des mé-
deux modèles de branding prédomi- La guerre froide avait profondément dias de masse) par l’excellence de contenu (le
nants ne sont pas conçus pour y modifié la façon dont les Américains contenu de marque sur les réseaux sociaux). Jona-
parvenir. Le mindshare branding percevaient la masculinité. Face à une than Mildenhall, chargé à l’époque du marketing
(«�branding de notoriété�») a longtemps menace nucléaire, les cadres sem-
de Coca-Cola, a alors déclaré que l’entreprise pro-
été utilisé par les entreprises. Il traite blaient trop sédentaires. Le public
une marque comme un ensemble était davantage attiré par la «�brute�» duirait en continu « le contenu le plus convaincant
d’associations psychologiques du Far West, qui, dans l’imaginaire, du monde », qui capterait « une part démesurée de
(avantages, émotions, personnalité). avait participé au succès du pays. la culture populaire », doublant par la même occa-
Le purpose branding («�branding L’incroyable popularité des westerns sion les ventes avant 2020.
d’objectif�») a gagné en popularité ces témoignait de ce changement de L’année suivante, Coca-Cola a lancé son pre-
dix dernières années : une marque perception. Cette énorme opportunité mier pari, en transformant son site Web statique en
adhère à des valeurs ou à des idéaux culturelle, également exploitée par
véritable magazine numérique : « Coca-Cola Jour-
partagés par ses clients. J’ai développé Marlboro et Levi’s, apparaît comme
une approche alternative, le branding une évidence lorsqu’elle est vue à ney ». On y trouve des articles sur presque tous les
culturel, pour transformer ce qui travers le prisme du branding culturel. sujets de la culture pop – sports, gastronomie, dé-
n’était qu’un coup de chance en La distillerie Jack Daniel’s se trouvait veloppement durable, voyages… C’est l’incarna-
discipline rigoureuse. Penchons-nous dans une région rurale du Tennessee tion parfaite d’une stratégie de contenu de marque.
sur le cas Jack Daniel’s, distillerie que les mass media d’après-guerre « Coca-Cola Journey » existe depuis maintenant
régionale au bord de la faillite, décrivaient comme un trou paumé
plus de trois ans, et n’enregistre presque aucune
devenue producteur numéro 1 habité par des péquenauds. Mais,
de whisky premium américain. dans l’imaginaire américain, il s’agissait visite. Le magazine ne s’est pas hissé dans le top
Les whiskys rivalisent pour être aussi de l’un des derniers foyers 10 000 des sites aux Etats-Unis, ni même dans le
perçus comme haut de gamme et authentiques de l’Ouest, d’où Davy top 20 000 à l’échelle mondiale. De plus, la chaîne
masculins. Dans les années 1950, Crockett et Daniel Boone étaient issus. YouTube de Coca-Cola (n° 2 749) ne comptabilise
les grandes marques cherchaient à Ainsi, lorsque les hommes américains que 676 000 abonnés.
s’aligner sur l’idéal masculin de ont voulu raviver l’idéologie du Far Il s’avère que les consommateurs ne s’inté-
l’époque�: le cadre chic et moderne. West, le whisky s’est présenté comme
ressent que très peu au contenu diffusé par les
Jack Daniel’s, un petit whisky s’adres- un symbole au potentiel énorme.
sant aux hommes de la classe Ce thème a d’abord été abordé par les marques. Rares sont ceux qui en veulent dans leur
moyenne supérieure, se faisait alors magazines masculins, qui ont publié �il d’actualité. La plupart le considèrent même
battre à plates coutures par ses des histoires idéalisant la distillerie comme bon à jeter –  un spam de marque. Lorsque
concurrents nationaux. Comment comme un lieu dirigé par des pionniers Facebook a pris conscience du problème, ses
pouvait-il tirer son épingle du jeu�? et quasi inchangé depuis le XIXe siècle. décideurs ont commencé à faire payer les
Les experts du mindshare branding La campagne imprimée de l’entreprise
entreprises pour afficher du contenu « sponsorisé »
conseilleraient à l’entreprise de reprenait simplement ces histoires,
transmettre avec insistance un y ajoutant une touche rustique. dans les fils d’actualité de ceux qui étaient censés
message basé sur les associations clés Jack Daniel’s est vite devenu un être leurs fans.
de la marque�: un whisky masculin, whisky prisé par les hommes de la Le problème auquel les entreprises sont
sophistiqué, doux, classique. Mais c’est classe moyenne supérieure urbaine. confrontées n’est pas créatif, mais structurel. Le
précisément la technique que suivait Le branding a transformé son origine mode d’organisation de leurs efforts marketing se
déjà Jack Daniel’s. Ses publicités géographique autrefois stigmatisée trouve aux antipodes des univers artistiques, dans
calquaient celles des marques en région où les hommes sont des
ce que j’appelle des bureaucraties de marque.
nationales, montrant des cadres hommes, des vrais. Les modèles
ultramasculins dégustant un whisky conventionnels ne construiraient Celles-ci excellent lorsqu’il s’agit de coordonner et
raffiné. Et elles ne fonctionnaient pas. jamais une stratégie autour d’une de mettre à exécution des programmes marketing
Les spécialistes du purpose version si rétrograde de la masculinité. complexes au sein de multiples marchés à travers
branding encourageraient la marque à Mais dans le branding culturel, le globe. Mais lorsqu’il est question d’innovation
promouvoir ses valeurs fondamentales. renverser les idéologies marginales culturelle, ce modèle organisationnel fournit alors
Mais l’argument de fond reste le fait partie des ficelles du métier.
des résultats médiocres.

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Les sponsors de marque Le branding culturel
sont désintermédiés Si la montée du phénomène de crowdculture réduit
Les « propriétés » de divertissement – artistes, l’impact du contenu de marque et du sponsoring,
athlètes, équipes sportives, �ilms, programmes elle a en revanche préparé le terrain pour une ap-
télévisés et jeux vidéo – jouissent également d’une proche alternative que j’appelle le branding culturel
grande popularité sur les réseaux sociaux. Chaque (voir l’encadré « Comment le branding culturel crée
grande plateforme est dominée par l’élite habi- des icônes »). La percée spectaculaire de la chaîne
tuelle de stars. Rihanna, One Direction, Katy Perry, américaine de restauration rapide mexicaine
Eminem, Justin Bieber ou encore Taylor Swift ont Chipotle observée entre 2011 et 2013 (avant l’épidé-
par exemple fidélisé un large public sur YouTube. mie d’intoxication alimentaire qui s’est déclarée ré-
On retrouve le même style d’artistes sur Twitter, cemment) démontre l’efficacité de cette approche.
aux côtés de célébrités médiatiques telles qu’Ellen Chipotle a tiré profit d’une formidable opportu-
DeGeneres, Jimmy Fallon, Oprah Winfrey, Bill nité culturelle, apparue lorsque les mouvements
Gates et le pape. Les fans s’amassent autour des jadis marginaux qui avaient défié la culture de l’ali-
tweets des athlètes stars que sont Cristiano mentation industrielle dominante aux Etats-Unis
Ronaldo, LeBron James, Neymar et Kaká, ou de
ceux d’équipes telles que le FC Barcelone et le Real
Madrid (dont la popularité dépasse largement celle
des deux principales marques sportives, Nike et La crowdculture
a transformé une
Adidas). Le schéma est plus ou moins identique
sur Instagram.

préoccupation d’élite
Toutes ces célébrités parviennent à réunir la
communauté ultra-impliquée que les réseaux
sociaux étaient censés fournir, d’après les experts.
Mais celle-ci n’est pas à la portée de main des
entreprises et de leurs biens et services de marque. en traumatisme social
Rétrospectivement, cela n’a rien d’étonnant :
interagir avec son artiste favori n’a rien à voir avec
le fait de dialoguer avec une marque de voitures de
à l’échelle nationale.
location ou de jus d’orange. La technique qui –
fonctionne pour Shakira s’avère un échec cuisant sont devenus des acteurs incontournables sur les
pour Crest et Clorox. L’idée même que les consom- réseaux sociaux. La chaîne s’est jetée dans l’arène
mateurs voudraient discuter de Corona ou de et s’est faite le vecteur de l’idéologie de cette
Coors de la même manière qu’ils débattent du crowdculture. En recourant au branding culturel,
talent de Cristiano Ronaldo et de Lionel Messi est Chipotle est devenue l’une des marques les plus
complètement absurde. percutantes et les plus en vue des Etats-Unis (bien
Les réseaux sociaux permettent aux fans de que son image ait été quelque peu ternie par de
créer de vastes communautés autour d’artistes qui récents problèmes de sécurité alimentaire). Plus
interagissent directement avec eux, grâce à une précisément, Chipotle doit son succès à l’applica-
pluie de tweets, de pins et de posts. Les équipes tion des cinq principes suivants :
sportives engagent désormais des ambassadeurs 1. Schématiser l’orthodoxie culturelle. Dans le
sur les réseaux sociaux : leur rôle est d’entrer en branding culturel, la marque défend une idéologie
contact avec les fans en temps réel au cours des innovante qui rompt avec les conventions de son
matchs, d’envoyer des photos des coulisses et de segment. Pour ce faire, elle doit d’abord identifier les
transmettre des discussions qui ont lieu dans les conventions à contourner – ce que j’appelle l’ortho-
vestiaires à la fin de l’événement. Outre les plate- doxie culturelle. L’idéologie américaine de l’alimen-
formes principales, de nouveaux sites tels que tation industrielle a été inventée au début du
Vevo, SoundCloud et Apple Music incitent à des XXe  siècle par des entreprises de marketing alimen-
connexions numériques encore plus directes. taire. Les Américains en étaient venus à croire que,
Ne nous y trompons pas, les artistes sont tou- grâce à d’éblouissantes découvertes scientifiques (la
jours ravis d’accepter l’argent des sponsors, mais la margarine, le café instantané, la boisson en poudre
valeur culturelle censée déteindre sur la marque Tang) et à des processus standardisés de produc-
est en train de s’estomper. tion, les grandes entreprises, sous la supervision de

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 43


LE BRANDING À L’ÈRE DES RÉSEAUX SOCIAUX

la Food and Drug Administration, garantiraient des britannique du XIXe siècle, NDLR), les opposants à
denrées alimentaires à la fois abondantes, saines et l’idéologie de l’alimentation industrielle avaient été
savoureuses. Ces hypothèses ont constitué le socle écartés d’un simple revers de main, et étaient restés
du segment de la restauration rapide depuis l’essor sur la touche pendant plus de quarante ans. De pe-
de McDonald’s dans les années 1960. tites sous-cultures s’étaient développées autour
2. Repérer l’opportunité culturelle. Au �il du d’une production biologique et de bétail en pâtu-
temps, les bouleversements de société peuvent faire rage, gagnant tout juste de quoi vivre au sein de
perdre de l’ampleur à certaines orthodoxies. Les marchés agricoles soutenus par leur communauté,
consommateurs se mettent alors à chercher des al- en marge du marché traditionnel. Mais avec l’émer-
ternatives – créant ainsi pour les marques l’opportu- gence des réseaux sociaux, un groupe influent et
nité d’introduire une nouvelle idéologie au sein de varié de sous-cultures imbriquées a tout mis en
leurs segments. Pour l’alimentation industrielle, le œuvre en faveur d’innovations alimentaires. Parmi
point de bascule a été atteint en 2001, lorsqu’elle a eux se trouvaient notamment des militants de la
été fortement remise en question par le livre « Fast nutrition évolutive et du régime paléo, des adeptes
Food Nation », d’Eric Schlosser. Celui-ci a été suivi de l’élevage durable, une nouvelle génération d’ac-
par la sortie en 2004 du film « Super Size Me », de tivistes environnementaux, des jardiniers urbains
Morgan Spurlock, et par celle en 2006 de l’ouvrage et des restaurants «farm-to-table». En un rien de
très influent de Michael Pollan, « Le Dilemme de temps, un important mouvement culturel prônant
l’omnivore ». Ces critiques ont profondément affecté un retour à l’alimentation préindustrielle s’est orga-
la classe moyenne supérieure, propageant rapide-
ment des inquiétudes concernant l’alimentation
industrielle et insufflant une formidable dynamique
à Whole Foods Market, Trader Joe’s et tout un tas En ciblant des idéologies
d’autres fournisseurs d’alimentation haut de
gamme. La même transformation peut être obser- nouvelles issues
de crowdcultures,
vée dans d’autres pays dominés par l’idéologie de
l’alimentation industrielle. Par exemple, les chefs
vedettes Jamie Oliver et Hugh Fearnley-Whittings-
tall ont joué un rôle similaire au Royaume-Uni.
Avant les réseaux sociaux, l’influence de ces
les marques peuvent
œuvres n’aurait pas dépassé le cadre de cette petite
fraction de la société. A l’inverse, les crowdcul- trouver un moyen
tures se sont emparées de ces critiques et les ont
amplifiées, généralisant ainsi les angoisses liées à
l’alimentation industrielle au sein de la société.
de se distinguer.
Les scandales concernant des problèmes majeurs
dans la production alimentaire industrielle –  ali- nisé. C’est en s’associant à cette crowdculture et en
ments transformés saturés de sucre, conservateurs embrassant sa cause que Chipotle a réussi.
cancérigènes, présence de somatotropine bovine 4. Diffuser la nouvelle idéologie. Chipotle a
dans le lait ou de bisphénol A dans le plastique, défendu l’idéologie de l’alimentation préindus-
OGM, etc. – ont commencé à circuler à la vitesse de trielle par le biais de deux vidéos. En 2011, l’entre-
la lumière. Des vidéos sur le « pink slime » (un addi- prise a lancé « Back to the Start », un film d’anima-
tif alimentaire à base de bœuf ) sont devenues tion réalisé avec de simples figurines de bois. On y
virales sur le Web. Les parents s’inquiétaient en voit la transformation d’une ferme traditionnelle
permanence de ce qu’ils donnaient à manger à en simulacre de ferme industrielle hyperstandardi-
leurs enfants. La crowdculture a transformé une sée : les porcs sont entassés dans une grange en
préoccupation d’élite en traumatisme social à béton, puis sont poussés vers une chaîne de pro-
l’échelle nationale, montant en épingle un pro- duction dans laquelle ils sont engraissés à l’excès
blème de santé publique. par injection de produits chimiques, avant d’être
3. Cibler la crowdculture. Considérés comme compressés en cubes qui sont chargés dans des
des luddites névrosés (personnes considérées semi-remorques. Le fermier, hanté par cette trans-
comme réticentes aux nouvelles technologies, par formation, décide de revenir à la version originale
analogie avec le luddisme, mouvement ouvrier de sa ferme pastorale.

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Le second film, intitulé « The Scarecrow », parodie sujets particulièrement fascinants ou controversés,
une entreprise d’alimentation industrielle qui omniprésents dans le discours médiatique lié à une
présente ses produits à l’aide d’une imagerie d’agri- idéologie. C’est ce que Ben & Jerry’s est parvenu à
culture naturelle. En réalité, il s’agit d’une usine ou faire avec brio en défendant sa philosophie d’entre-
les animaux reçoivent des injections de produits prise durable. L’entreprise s’est servie de lancements
chimiques et subissent des traitements inhumains. de nouveaux produits pour attaquer le gouverne-
Celle-ci produit en masse des déjeuners étiquetés ment Reagan d’un ton moqueur, dans des questions
« 100% presque bœuf », que les enfants, inconscients d’actualité telles que les armes nucléaires, la destruc-
de la réalité, dévorent à pleines dents. Démoralisé tion des forêts tropicales et la lutte antidrogue.
par ce qu’il voit, un épouvantail employé dans l’usine Pour prospérer, Chipotle doit continuer d’agir en
a une idée. Il cueille et ramasse des produits de son chef de file sur des problèmes clés, par le biais de
jardin, les emporte en ville et ouvre une petite ta- produits et de communiqués. A cet égard, son suc-
quería – qui n’est autre qu’une réplique de Chipotle. cès a été plus mitigé. L’entreprise a poursuivi ses
Les �ilms ont été lancés avec de petits achats efforts avec une série sur le site Hulu, mais celle-ci
média, puis ont germé sur les plateformes des ré- n’a eu que très peu d’effet sur les réseaux sociaux :
seaux sociaux. Tous deux ont eu un énorme impact : elle reproduisait les films précédents plutôt que de
ils ont été visionnés par des dizaines de millions de soulever de nouveaux problèmes d’actualité.
personnes, ont généré une incroyable attention mé- Chipotle s’est ensuite attaquée à un autre sujet, se
diatique et ont aidé à faire croître massivement les faisant la championne de l’alimentation sans OGM.
ventes et les béné�ices. Ils ont également reçu le Outre le fait que cette revendication remettait en
Grand Prix aux Cannes Lions, le festival internatio- cause sa crédibilité (après tout, Chipotle continuait
nal de la créativité, à Cannes. de vendre de la viande d’animaux nourris aux OGM
Les films de Chipotle sont perçus à tort comme et des sodas contenant des édulcorants produits à
de simples exemples de contenus de marque effi- partir d’OGM), les OGM ne constituaient pas vrai-
caces. Ils ont réussi parce qu’ils sont allés au-delà du ment un sujet brûlant. Cette question controversée
simple divertissement. Ces deux films étaient certes touchait seulement les consommateurs les plus acti-
ingénieux, mais on peut en dire autant de milliers vistes et était déjà revendiquée par des centaines
d’autres qui ne sont pourtant pas sortis du lot. Les d’autres produits. Ces efforts n’ont pas réussi à mo-
histoires qu’ils traitaient n’avaient rien de particuliè- biliser la crowdculture. D’autres préoccupations
rement original : elles avaient déjà été ressassées actuelles, comme les boissons sucrées et les huiles
avec beaucoup d’énergie créative depuis près de dix végétales industrielles, suscitent bien plus de
ans. Mais elles ont explosé sur les réseaux sociaux controverse et attendent toujours de devenir le che-
car elles étaient des mythes qui capturaient avec val de bataille d’une grande entreprise alimentaire.
passion l’idéologie de la crowdculture florissante Evidemment, promouvoir une idéologie sur le
soutenant l’alimentation préindustrielle. Chipotle a marché de masse peut être une arme à double tran-
dépeint une vision inspirée de l’Amérique, retour- chant pour les marques. Si leurs actions ne sont pas
nant à des traditions bucoliques de production agri- en cohérence avec leurs déclarations, elles seront
cole et alimentaire, et mettant fin à de nombreux pointées du doigt. Chipotle est une grande entreprise
problèmes du système alimentaire dominant. en plein essor utilisant de nombreux procédés à
La bête noire du mouvement prônant une ali- échelle industrielle, pas une petite taqueria farm-to-
mentation préindustrielle est la restauration rapide. table. Proposer des denrées fraîches périssables – ce
Par conséquent, l’idée qu’une chaîne de fast-food à quoi l’entreprise s’engage en tant que défenseur de
promeuve cette histoire a particulièrement touché l’alimentation préindustrielle – est un dé�i opéra-
le public. Chipotle s’attaquait au pink slime ! En tionnel de taille. Les épidémies d’ « E. coli » et de
outre, l’alimentation locavore était onéreuse, mais, contaminations par le norovirus, fortement média-
chez Chipotle, les gens pouvaient désormais apaiser tisées, ont sérieusement terni la réputation de
leurs craintes avec un burrito à 7 dollars. Parce Chipotle. Et ce ne sont pas des publicités ou des ac-
qu’ils puisaient dans les inquiétudes répandues tions de relations publiques qui l’aideront à regagner
dans la crowdculture, les films de Chipotle ont pu la confiance des consommateurs. L’entreprise doit
éviter toute rivalité avec le grand divertissement. convaincre la crowdculture qu’elle compte redoubler
5. Innover en permanence, en s’appuyant sur d’efforts pour respecter son engagement en faveur
des tensions culturelles. Une marque peut maintenir de l’alimentation préindustrielle – ce n’est qu’ensuite
sa pertinence culturelle en rebondissant sur des que le public défendra de nouveau sa marque.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 45


LE BRANDING À L’ÈRE DES RÉSEAUX SOCIAUX

Se disputer les crowdcultures Dove rassemble les foules qui prônent une
Pour réussir leur branding sur les réseaux sociaux, image positive du corps. L’attitude agressive d’Axe
les entreprises devraient cibler les crowdcultures. a donné l’opportunité à une autre marque de sou-
De nos jours, la plupart des marques cherchent de tenir le camp féministe dans cette guerre des
la pertinence du côté des tendances. Mais il s’agit genres. Dove était une marque banale, dans un seg-
là d’une approche non différenciée du branding : ment qui base habituellement son marketing sur
des centaines de sociétés adoptent exactement la les tendances beauté édictées par les maisons de
même méthode, à partir de la même liste géné- mode et les médias. Dans les années 2000, l’idéal
rique de tendances. Il n’est donc pas surprenant du corps féminin avait été poussé à un extrême ri-
que les consommateurs n’y prêtent aucune atten- dicule. Des critiques féministes sur l’omniprésence
tion. En ciblant des idéologies nouvelles issues des de mannequins rachitiques ont commencé à circu-
crowdcultures, les marques peuvent faire valoir ler sur les médias sociaux et traditionnels. Au lieu
un point de vue qui se distingue de l’environne- d’inspirer, le marketing beauté était devenu inac-
ment médiatique saturé. cessible et aliénant pour de nombreuses femmes.
Observons le segment des produits de soin. La campagne « Dove pour la vraie beauté » s’est
Trois marques – Dove, Axe et Old Spice – ont réussi inspirée de cette crowdculture émergente en célé-
à susciter l’intérêt des consommateurs et à créer un brant le corps des femmes dans toute sa diversité
moyen d’identification pour ces derniers, dans un – âgé, jeune, plantureux, mince, petit, grand, ridé,
segment générant traditionnellement très peu d’en- lisse. Des femmes du monde entier ont contribué à
gagement et dont le succès sur les réseaux sociaux produire, faire circuler et encourager ces images de
n’était pas couru d’avance. Elles ont percé en pre- corps qui ne sont pas conformes aux canons de
nant à bras-le-corps des idéologies du genre autour beauté. Ces dix dernières années, Dove a continué
desquelles des crowdcultures s’étaient formées. de cibler des sujets culturels brûlants, tels que
Axe exploite la « lad culture », un phénomène l’abus d’images « photoshoppées » dans les maga-
britannique d’hypermasculinité. Dans les an- zines de mode, pour maintenir la marque au centre
nées  1990, des universitaires américains ont émis de ce débat des genres.
des critiques féministes sur la culture patriarcale. Old Spice, enfin, s’adresse au public hipster. Le
Ces attaques ont entraîné une réaction conserva- combat idéologique opposant la position lad au
trice ridiculisant le « politiquement correct » de la féminisme de valorisation du corps a laissé va-
question du genre. Ce mouvement estimait que les cante une autre opportunité culturelle dans le
hommes étaient assiégés et devaient raviver leur marché des produits de soin. Dans les années
masculinité traditionnelle. Au Royaume-Uni puis 2000, une nouvelle idéologie hipster est née au
aux Etats-Unis, cette rébellion a engendré une sein des sous-cultures urbaines, caractérisée par
forme de sexisme ironique appelée « lad culture ». une certaine sophistication chez les jeunes adultes
Des magazines, tels que « Maxim », « FHM » et cosmopolites. Ces derniers ont adopté avec en-
« Loaded », se sont alors inspirés de l’époque de thousiasme l’idéal de la bohème d’antan, doublé
« Playboy » en publiant des histoires lubriques d’une bonne dose d’autodérision. Les garde-robes
accompagnées de photos érotiques. Cette idéologie ironiquement miséreuses (casquettes de camion-
a trouvé un écho auprès de nombreux jeunes neur, pulls hideux de l’Armée du salut) et la pilosité
hommes. Au début des années 2000, la lad culture faciale (moustaches en guidon, barbes fournies)
s’est fait une place sur Internet, devenant une sont devenues omniprésentes. Brooklyn débordait
crowdculture incontournable. de bûcherons. Amplifiée par la crowdculture, cette
Axe (commercialisée sous le nom de Lynx au sensibilité s’est vite propagée à travers le pays.
Royaume-Uni et en Irlande) était présente sur les Le branding d’Old Spice s’est rattaché à cette
marchés européen et sud-américain depuis les sophistication hipster avec une parodie d’Axe et
années 1980, mais était considérée comme une des clichés masculins. Dans cette campagne, Isaiah
marque ringarde et démodée. Jusqu’au jour où Mustafa, ex-joueur de football américain, exhibait
l’entreprise a suivi le mouvement lad, avec « L’ef- son corps musclé tout en vantant les mérites d’Old
fet Axe », une campagne qui poussait à l’extrême Spice : « The man your man could smell like »
les fantasmes sexuels politiquement incorrects. (« L’homme comme lequel votre homme pourrait
Celle-ci s’est propagée comme une traînée de sentir »). En présentant un homme extrêmement
poudre sur Internet, faisant d’Axe le chef de file sexy pour se moquer des normes de beauté mascu-
du public lad. line, les films ont fait mouche auprès des hipsters.

46 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


Vous aussi, vous pouvez être sexy si vous offrez à DIX ANS PLUS TARD, les entreprises peinent toujours
votre femme des aventures extraordinaires, des à créer un modèle de branding efficace dans l’uni-
diamants, de l’or et des poses d’Apollon – le tout en vers chaotique des réseaux sociaux. Les grandes
vous aspergeant copieusement d’Old Spice. plateformes (Facebook, YouTube, Instagram et
Ces trois marques ont percé sur les réseaux so- autres) semblent dicter les règles, tandis que la À PROPOS
ciaux car elles utilisaient le branding culturel – plupart des marques sont vouées au silence cultu- DE L’AUTEUR
une stratégie qui fonctionne différemment du rel, en dépit des milliards de dollars investis. Les Au moment de la
rédaction de cet article,
modèle conventionnel de contenu de marque. entreprises doivent détourner leur regard des pla- l’auteur occupait les
Chacune s’est positionnée dans le débat culturel teformes en elles-mêmes, pour se concentrer sur fonctions suivantes�:
sur le genre et la sexualité, extrêmement répandu le véritable cœur du pouvoir numérique –  les
Douglas Holt est fondateur
sur les réseaux sociaux – une crowdculture – en crowdcultures. Les opportunités qu’elles créent et président du Cultural
adoptant une idéologie distincte. Chacune a fait pour les marques sont plus nombreuses que ja- Strategy Group.
Auparavant, il était
du prosélytisme, prêchant cette idéologie auprès mais. Le succès d’Old Spice n’est pas le résultat professeur à la Harvard
d’une large audience. De telles opportunités n’ap- d’une stratégie Facebook, mais d’une stratégie qui Business School ainsi
qu’à l’université d’Oxford.
paraissent que si l’on regarde au travers du prisme tire profit de l’esthétique ironique des hipsters. Le
Il est l’auteur de «�How
du branding culturel – c’est-à-dire en effectuant succès de Chipotle ne repose pas sur une stratégie Brands Become Icons��:
des recherches pour identifier des idéologies qui YouTube, mais sur des produits et des communi- The Principles of Cultural
Branding�» (Harvard
sont pertinentes au sein du segment en question, cations qui trouvent un écho auprès du mouve- Business School Press,
et en gagnant de l’ampleur dans les crowdcul- ment en faveur de l’alimentation préindustrielle. 2004).
tures. Les entreprises qui ne s’appuient que sur Les entreprises peuvent à nouveau remporter la La version originale
des modèles traditionnels de segmentation et des bataille de la pertinence culturelle grâce au bran- de cet article a été publiée
en mars 2016 dans
rapports de tendances auront toujours du mal à ding culturel, qui leur permettra d’exploiter toute l’édition américaine
identifier ces opportunités. la puissance du public. de HBR.

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DES IDÉES NEUVES SUR L’ENTREPRISE, À TOUT MOMENT, EN LIGNE


LE COCKTAIL
PHYSICO-
NUMÉRIQUE
Pour les consommateurs, les mondes virtuel
et réel ne font qu’un. Il devrait en être de même
pour votre entreprise.
Par Darrell K. Rigby. Illustration: Hélène Builly

48 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


LE COCKTAIL PHYSICO-NUMÉRIQUE

ux premières heures de la révolu- à 29,97 dollars. Pour être sûre de l’avoir – les �êtes de
tion numérique, de nombreux Noël approchaient – elle décida de se rendre au ma-
dirigeants de sociétés bien gasin local du distributeur pour l’acheter. Mais il y
établies ont tout tenté pour était vendu à 47,97  dollars, 60% plus cher. Elle fut
ignorer ce bouleversement, surprise, mais se souvint que l’entreprise garantis-
convaincus que les nou- sait le meilleur prix et demanda qu’on lui applique le
velles technologies ne re- tarif proposé en ligne. « Pas question », lui répondit la
présenteraient jamais un caissière, la garantie ne s’appliquait qu’aux prix pro-
grand danger. Voyant posés par les concurrents.
leur hypothèse s’effon- « Attendez, rétorqua Stacy. Je peux acheter ce jeu
drer, beaucoup ont en ligne et me le faire expédier au magasin gratuite-
changé d’avis et en ment, non ? » La caissière acquiesça, mais la prévint
ont déduit que le que cela pourrait prendre plusieurs jours. Ma fille
numérique allait répondit : « Mais il est là, en rayon. Je ne peux pas
i n exo r a b l e m e nt l’acheter en ligne et le prendre maintenant ? » La ré-
détruire leurs em- ponse fut négative, bien entendu ; la boutique en
plois. Pour survivre, ces dirigeants pensaient devoir ligne et le magasin étaient des activités distinctes, et
cesser d’investir de l’argent dans des activités appar- cela mettrait le bazar dans les comptes. Debout à
tenant au passé, sauver ce qui pouvait l’être, et lan- côté de la caisse, Stacy commanda le produit par té-
cer des activités numériques indépendantes. Les léphone et, quelques jours plus tard, revint le cher-
business existants n’y résisteraient probablement cher, autre démarche exaspérante.
pas, mais ces activités digitales disruptives rempla- Les gens font constamment les frais de ce genre
ceraient bien ces dinosaures dans le portefeuille de rupture dans le service. La révolution numérique
d’actifs d’une entreprise. a commencé depuis un quart de siècle, mais de nom-
Ces deux points de vue se sont révélés faux. L’er- breux dirigeants d’entreprise se torturent les mé-
reur d’analyse que trahit le premier se passe d’expli- ninges pour savoir s’il faut investir des ressources
cations : aucune entreprise ne peut faire fi des chan- importantes dans des capacités numériques. Ceux
gements apportés par les technologies digitales. qui ont adopté cette stratégie ont tendance à diriger
L’erreur d’appréciation du second est peut-être leurs activités numériques comme des business
moins évidente, mais les preuves sont désormais units indépendantes, c’est-à-dire comme les entre-
nombreuses. Les entreprises qui exploitaient jusqu’à prises pré�èrent les gérer, par opposition à la façon
la moelle les activités existantes tout en misant sur dont les clients pensent qu’elles vont les utiliser.
des start-up numériques indépendantes sans avan- Au fur et à mesure que la révolution progresse,
tages compétitifs �inissaient généralement par se certaines entreprises, comme Tower Records, ver-
débarrasser d’actifs matériels qu’il avait fallu des ront leurs activités perturbées puis détruites par des
décennies pour constituer, dilapidant ainsi des mil- alternatives numériques. Mais la plupart réaliseront
lions de richesse bien réelle. Sears Holdings est peut- qu’elles doivent fusionner mondes physique et nu-
être l’exemple le plus flagrant de ce type d’erreur de mérique, comme le font les consommateurs. Pen-
calcul : il a sous-investi dans ses magasins tout en chez-vous sur votre propre entreprise : est-ce que
investissant à tort et à travers dans des activités en son volet physique va vraiment disparaître ? Les in-
ligne, et a vu de fait son cours de Bourse dévisser de novations fusionnant le numérique et le physique
75% au cours des sept dernières années. Des cas si- n’ouvrent-elles pas le champ à de nouvelles oppor-
milaires existent dans de nombreux secteurs. tunités ? Et même si certaines de ces fusions ne
Le gros problème, dans ces exemples extrêmes, s’avèrent que des transitions de dix à vingt ans vers
est qu’aucun ne tient compte du fait que les clients de nouvelles ruptures, ne restent-elles pas le meil-
ont changé : ces derniers mélangent désormais phy- leur moyen de prolonger votre cœur de métier, de
sique et numérique si étroitement qu’ils ne com- générer de la trésorerie pour �inancer l’évolution
prennent pas pourquoi les entreprises n’en ont pas continue et de construire les capacités essentielles
fait de même. Permettez-moi de vous raconter une pour votre succès futur ?
petite histoire personnelle qui illustre cela. Mes collègues et moi avons étudié plus de
En décembre 2013, ma fille Stacy voulut acheter 300  entreprises dans le monde entier et avons
le jeu vidéo « Just Dance 4 » pour sa petite fille. Elle travaillé directement avec des centaines d’autres qui
le trouva sur le site Internet d’une grande enseigne essaient de s’adapter aux changements fabuleux

50 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


L'I D É E E N B R E F
LE PROBLÈME L’ANALYSE LE CONSEIL
Trop d’entreprises gèrent Les partisans de la rupture digitale Une étude de leaders sectoriels
séparément leurs activités assurent que les modes de au niveau mondial révèle l’existence
physiques et numériques, fonctionnement traditionnels de cinq règles qui tirent la
créant des ruptures appartiennent au passé. Mais la plupart croissance. Elles vous permettront
dans le service, des entreprises se rendront compte de revoir l’organisation de
ce qui agace les clients. qu’elles ont besoin de fusionner votre activité et de créer un avantage
les expériences numériques et physiques compétitif durable.
pour permettre à leurs clients
de passer facilement de l’une à l’autre.

mais redoutables qui sont en train de modi�ier durables étaient définitivement obsolètes. D’après
radicalement le marché. Nous avons constaté que la eux, la technologie évolue si rapidement de nos
plupart des secteurs en sont encore aux premiers jours et les avantages concurrentiels sont copiés si
stades de la transformation physico-numérique vite que les entreprises doivent apprendre à surfer
(voir l’encadré « La transformation physico-numé- sans cesse d’une vague d’opportunités à l’autre,
rique s’accélère »). Nous avons également constaté même si chaque nouvelle vague risque d’être proba-
que le principal obstacle à l’adoption de stratégies blement plus courte, les concurrents plus nom-
de fusion n’est pas le scepticisme vis-à-vis de ce breux, et que cette vague sera de moins en moins
qu’on peut en attendre, mais le manque d’expé- reliée à la précédente. Le problème d’une telle ap-
rience dans leur mise en œuvre. Les cadres sont in- proche, c’est qu’une entreprise peut finir par gâcher
trigués par les possibilités qu’elles offrent. Ils recon- des atouts historiques alors qu’elle consacre des res-
naissent leur potentiel, mais ignorent encore sources à des projets risqués qui n’offrent aucun
comment les faire fonctionner. avantage concurrentiel ou aucune possibilité de ga-
Sans surprise, les meilleures pratiques dans ce gner. Pour déjouer les pronostics, vous devez soit
domaine sont encore émergentes. Mais en s’ap- être très chanceux, soit trouver l’avantage que votre
puyant sur notre étude d’entreprises leaders issues cœur de métier va pouvoir fournir à la nouvelle en-
de 20 secteurs internationaux, nous avons identifié treprise et vice versa. Ces avantages peuvent être
cinq règles qui expliquent en grande partie la diffé- des informations clients exclusives, des caractéris-
rence entre le succès et l’échec. tiques distinctives et des moyens de capitaliser sur
Certaines règles sont frappées au coin du bon les vulnérabilités d’un concurrent.
sens mais ne sont pas utilisées couramment. Les fusions physico-numériques peuvent renfor-
D’autres peuvent s’apparenter à une hérésie, du cer les forces d’une entreprise pour lui permettre de
moins pour les partisans de la rupture numérique. faire la différence. Prenons le cas de la Com-
Mais les entreprises leaders que nous avons étudiées monwealth Bank of Australia (CBA). Fondée en 1911,
y ont puisé d’importantes opportunités de crois- elle emploie aujourd’hui 52 000 employés dans une
sance, tandis que leurs rivales se lamentaient de ne dizaine de pays. Lorsque Ralph Norris a été nommé
pas y parvenir. Il est donc intéressant d’observer de P�DG, en 2005, CBA avait les pires résultats du sec-
plus près ce que ces sociétés avant-gardistes ont ac- teur en termes de satisfaction client et perdait des
compli et comment elles l’ont fait. parts de marché sur plusieurs segments d’activité.
Comme d’autres grandes banques, elle avait essayé

Règle #1 de réduire les coûts et redoutait qu’Internet ne


sonne le glas des agences bancaires. Donc, elle en
Construisez votre stratégie autour avait réduit le nombre, passant de 1 756 en 1993 à
de la fusion physico-numérique. 1 006 en 2005. Ces fermetures avaient non
Cela peut constituer votre nouvel seulement permis aux banques en ligne de gagner
avantage compétitif. plus de parts de marché, mais elles avaient aussi
Certains des plus grands experts mondiaux en encouragé de nouveaux concurrents, comme AHL
stratégie ont déclaré que les avantages compétitifs Investments ou d’autres prêteurs non bancaires, à

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 51


LE COCKTAIL PHYSICO�NUMÉRIQUE

ouvrir leurs propres succursales et en ont favorisé Ces efforts ont produit une succession impres-
la croissance. Ces rivaux agressifs en ont également sionnante d’innovations physico-numériques. Le
profité pour récupérer un grand nombre d’anciens projet Finest Online a modernisé le service bancaire
directeurs d’agence, de chargés de prêts et de Internet de CBA et l’a combiné à des services per-
clients de CBA. sonnalisés afin d’éliminer des problèmes trop fré-
Ralph Norris a commencé son mandat en visi- quents, comme l’impossibilité de relier des comptes
tant les agences et en étudiant les plaintes des bancaires personnels à des comptes commerciaux.
clients. Il a constaté que les usagers critiquaient L’appli immobilière de CBA reconnaît les photos des
pratiquement chaque aspect de la relation client propriétés, montre les plans des étages, aide les
–  ils trouvaient les produits nuls, évoquaient les clients à déterminer s’ils peuvent se permettre d’ac-
files d’attente interminables, disaient que les em- quérir une telle habitation et lance le processus de
ployés étaient idiots et vitupéraient les taux d’er- la demande d’emprunt. L’appli Kaching de la
reur élevés. Venant du secteur informatique, Norris banque a été l’une des premières à permettre de
réaliser différents types de paiement à l’aide d’un
smartphone, y compris via Facebook (la société ré-

L’OBSTACLE PRINCIPAL À L’ADOPTION pond en temps réel aux demandes d’informations


sur un mur Facebook). CBA propose de répondre en
DE STRATÉGIES DE FUSION 24 heures à une demande de prêt en ligne, là où elle

N’EST PAS LE SCEPTICISME VIS�À�VIS mettait auparavant entre 14 et 21 jours. Et, en 2013,
elle a lancé SmartSign, un service qui permet aux
DE CE QU’ON PEUT EN ATTENDRE, clients de remplir électroniquement des demandes

MAIS LE MANQUE D’EXPÉRIENCE DANS de prêt via un portail en ligne sécurisé. Elle a égale-
ment introduit la vidéoconférence dans ses
LEUR MISE EN ŒUVRE. agences, permettant ainsi aux clients, en particulier
ceux situés dans des zones rurales, de se mettre en
relation plus facilement avec les conseillers spécia-
passa aussi au peigne fin l’infrastructure numérique lisés au sein de la banque.
et découvrit des systèmes vieux de plusieurs dé- Le système de CBA est maintenant si bien rodé
cennies qui empêchaient même les meilleurs em- qu’il continue de se développer, alors même que les
ployés de mener à bien leurs missions pour le bien concurrents investissent dans leurs propres sys-
de leurs clients. tèmes et l’optimisation de leurs services. Sa straté-
La vision de Ralph Norris a été de construire la gie basée sur la fusion a contribué à propulser la
meilleure organisation de services financiers d’Aus- banque à la plus haute place en matière de satisfac-
tralie en excellant dans le service client. Il a fixé un tion client pour les banques de détail en 2013. Le
objectif, celui de passer de la pire à la meilleure place cours de Bourse de CBA a augmenté de plus de 80%
en matière de satisfaction client, et a indexé la ré- entre la mi-2006 et la mi-2014, et a progressé de 9%
munération de tous les cadres supérieurs sur l’at- sur l’indice S & P/ASX 200 pendant la même période.
teinte de cet objectif. Puis il a décidé de faire mieux Plus important encore, les concurrents semblent
dans cinq domaines : les prêts immobiliers, les dé- mettre plus de temps à copier les plateformes tech-
pôts, les dépôts à terme, les livrets et les systèmes de nologiques, la culture axée sur le client ainsi que les
relations clients. Le P�DG s’est également mis à dé- procédés d’innovation très rapides que CBA a déve-
velopper les capacités digitales qui permettraient loppés au cours de ces huit années.
d’atteindre cet objectif, en embauchant ou en favo-
risant la promotion de dirigeants informatiques ta-
lentueux qui partageaient sa vision. Il a convaincu le Règle #2
conseil d’administration de CBA de déployer un pro- Ajoutez des liens et renforcez l’aspect
gramme de « modernisation des services bancaires relationnel de l’expérience client.
de base » en y consacrant un budget de 580 millions On pense que Thomas Edison est l’inventeur de
de dollars australiens sur quatre ans (budget porté l’ampoule électrique, mais son ampoule à filament
ensuite à 1,1 milliard de dollars australiens sur six de carbone était en réalité une amélioration de mo-
ans). En parallèle, il a lancé un programme visant à dèles existants. La vraie contribution d’Edison a
réorganiser le réseau d’agences pour améliorer les consisté à créer un système de production et de dis-
niveaux de confort et de service. tribution d’énergie électrique qui a fait fonctionner

52 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


les ampoules. Il a imaginé chaque élément du sys- pendant la journée et en enregistrant des indica-
tème, mis en place une sorte d’usine à idées pour teurs tels que les pas qu’il a faits et les calories qu’il
développer des innovations pour chacune d’elles et a brûlées. Comme avec Nike+, les utilisateurs
les a commercialisées l’une après l’autre. Les résul- peuvent capturer ces données, suivre et enregistrer
tats ont transformé la vie quotidienne. leur niveau d’activité et partager ces informations
Les innovations physico-numériques sont simi- via les réseaux sociaux.
laires. Elles ne se contentent pas de changer les pro- Les résultats de toutes ces innovations ont été
duits ou services existants d’une entreprise, comme spectaculaires. Dans son secteur d’activité, Nike se
chez CBA. Elles leur permettent d’identi�ier des félicite de l’engagement client le plus élevé sur les
contiguïtés qui renforcent l’activité de base et réseaux sociaux. Il a augmenté sa part de marché
créent de nouvelles sources de revenus. Comme dans des zones clés (y compris en Europe de l’Ouest
Edison, une société agile sur le plan physico-numé- et dans le secteur du football  –  région et marché
rique pense systématiquement à chaque étape de autrefois dominés par Adidas). Son chiffre d’affaires
l’expérience client. Elle développe des composants dans l’e-commerce a progressé de 42% entre les
innovants et les combine à l’intérieur d’un système exercices fiscaux 2013 et 2014. Son taux de crois-
global qui prolonge les avantages concurrentiels et sance global dépasse de manière significative celui
accélère la croissance. de ses principaux rivaux. Et il ne s’agit peut-être
Nike illustre cette approche. Pendant de nom- que d’un début. « Le sport digital est extrêmement
breuses années, l’entreprise était fermement enra- important pour nous, a déclaré Mark Parker, le P�DG
cinée dans le monde physique comme n’importe de Nike, à CNBC en avril 2014. Vous allez voir le di-
quelle autre, produisant des chaussures, du maté- gital s’incorporer de plus en plus à d’autres produits
riel et des équipements sportifs vendus en maga- de notre fabrication. » Grâce à ses partenariats avec
sins. Puis, en 1996, elle a ouvert un site Internet, Apple et d’autres, a-t-il af�irmé, la société espère
mais, pendant trois ans, a refusé de vendre ses pro- étendre le rayonnement du système NikeFuel et
duits en ligne. En 1999, les choses ont commencé à celui d’autres applications à 100 millions d’utilisa-
bouger avec le programme NIKEiD. Les clients pou- teurs à travers le monde.
vaient visiter le site Nike.com et personnaliser cer-
taines chaussures Nike, en choisissant leurs cou-
leurs de base et une touche colorée différenciante, Règle #3
ainsi qu’en ajoutant une « marque d’identification Changez la façon dont vous
personnelle » au produit. Nike a ensuite commencé concevez l’innovation.
à introduire des innovations physico-numériques Lorsque les entreprises traditionnelles ajoutent des
dans d’autres maillons de la chaîne constitutive de fonctions numériques à leurs programmes d’inno-
l’expérience client. En 2006, Nike a dévoilé l’appli- vation, elles adoptent généralement une approche
cation Nike+, qui connecte une chaussure équipée en cascade. Les responsables du marketing et les
d’un capteur intégré et d’un récepteur à un iPod concepteurs de produits trouvent des idées,
Nano. Les joggeurs peuvent consulter les données construisent des prototypes puis transmettent
sur la durée de leur jogging, la distance parcourue, leurs idées pêle-mêle au service informatique, en
les calories brûlées et leur rythme cardiaque sur lui demandant de développer des fonctions numé-
l’écran de l’iPod Nano ou l’entendre via leurs écou- riques spéci�iques. « Nous lançons une nouvelle
teurs. Après une séance d’entraînement, ils peuvent campagne produit et marketing. Nous voulons que
synchroniser le Nano avec un ordinateur et consul- l’application mobile nous aide à faire passer des
ter leurs progrès. Ils peuvent même obtenir un coa- messages marketing, à distribuer des bons de ré-
ching personnalisé. duction et à permettre aux clients de nous envoyer
Aujourd’hui, plus de 30 millions de clients uti- plus facilement des e-mails quand ils ont des ques-
lisent Nike+, ils suivent et partagent leurs perfor- tions à poser. Le P�DG dit qu’il faut qu’elle soit prête
mances de jogging, leurs séances d’entraînement et dans quatre semaines. »
leurs objectifs de remise en forme. Et ils fournissent Mais une autre façon de fusionner le numérique
à l’entreprise de précieuses données qui lui ap- et le physique est de commencer en créant une
prennent qui sont ses clients et ce qu’ils apprécient équipe d’experts complémentaires. Des équipes de
le plus. Les bracelets électroniques Nike+ FuelBand ce genre ne sont pas nouvelles, mais l’innovation
SE prolongent la relation postachat avec le client, en physico-numérique nécessite une intégration
mesurant tous les mouvements d’un utilisateur considérablement plus profonde et plus large. Les

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 53


LE COCKTAIL PHYSICO�NUMÉRIQUE

dirigeants engagent des experts digitaux à tous les nirs). Les bracelets interagissent aussi avec les
étages, de la production d’idées au développe- capteurs situés dans le parc et transmettent des
ment, en passant par le test et le lancement, et ils informations comportementales qui permettent à
constituent des équipes pour chaque type possible Disney d’améliorer encore l’expérience client.
de projet d’innovation. Leur approche débouche Grâce aux futures applications, on pourra person-
sur des solutions plus ambitieuses, innovantes et naliser excursions et attractions : par exemple,
intégrées, parce que l’expertise combinée des Winnie l’Ourson pourrait saluer un enfant par son
membres de l’équipe peut associer le meilleur des prénom et lui souhaiter un joyeux anniversaire.
deux mondes, physique et numérique, à toutes les Cette initiative devrait permettre à Disney de ga-
étapes du projet. gner près de 500 millions de dollars de revenus
Disney a adopté cette démarche depuis la annuels supplémentaires, en réalisant une marge
conception de Disneyland, en 1952. Mais même les d’exploitation de 20%. Si ces chiffres se concré-
compétences physico-numériques prodigieuses tisent, le retour sur le milliard de dollars investi
de Disney ont été soumises à rude épreuve lorsque sera confortable.
la société a lancé un projet révolutionnaire en
2009. Les objectifs étaient de créer une expérience
« plus personnelle, plus immersive et plus transpa- Règle #4
rente » pour ses clients et de recueillir des données La séparation organisationnelle
en temps réel sur leurs comportements, afin d’ai- n’est qu’une étape intermédiaire.
der la société à analyser leurs modes de fréquenta- Le choix entre la rupture numérique et la transfor-
tion et habitudes de dépense, d’optimiser l’effica- mation physico-numérique a des répercussions
c ité du personnel et les futures dépenses spectaculaires sur le mode opératoire et la struc-
d’investissement de l’entreprise. Le projet concer- ture organisationnelle d’une entreprise. Mais ces
nerait l’expérience vécue dans sa globalité par le conséquences peuvent ne pas sauter aux yeux de
client dans le parc à thèmes et à chaque interaction prime abord, parce que, dans un cas comme dans
avec lui. Disney décida que ce projet qui dépassait l’autre, les innovateurs qui réussissent com-
1 milliard de dollars était tellement plus ambitieux mencent généralement par séparer leurs activités
que tout ce que les concepteurs et développeurs digitales révolutionnaires de leur activité tradi-
de son célèbre département Imagineering avaient tionnelle. Cette scission permet à ces entreprises
jamais entrepris qu’il fallait revoir de fond en d’attirer des innovateurs et des programmeurs ta-
comble l’organisation. Le groupe décida de créer lentueux qu’elles installent ensuite à San Fran-
une cellule entrepreneuriale, baptisée Next Gene- cisco, Cambridge, Tel-Aviv ou Hyderabad, au
ration Experience, qui a fini par employer plus de choix. Une force de frappe spécialisée  –  ni entra-
1 000 collaborateurs du groupe répartis entre diffé- vée par la bureaucratie d’entreprise, ni contaminée
rentes fonctions. par une tendance au conservatisme  –  peut s’instal-
Les dirigeants de Next Generation ont embau- ler rapidement. Une nouvelle culture peut re-
ché des experts venant des départements informa- mettre en cause le statu quo et chercher à dévelop-
tique, Imagineering, exploitation des parcs à per des innovations radicales. Les programmes de
thème, marketing et autres domaines fonction- rémunération et d’incitation sont à adapter aux
nels. Leur première réalisation, le système MyMa- besoins de la nouvelle génération plutôt qu’aux
gic+, combine la technologie numérique avec le exigences de l’ancienne.
parc à thème en trois dimensions : MyDisney Expe- Mais à un moment ou à un autre, ces entre-
rience, un nouveau site Internet et une application prises ont une décision à prendre. Si elles doivent
mobile, facilite la plani�ication des vacances et faire face à une rupture numérique, elles laisseront
permet de collecter des informations sur les préfé- les activités séparées pendant une longue période,
rences individuelles ; FastPass+ permet aux visi- peut-être pour toujours. Le cœur historique de l’ac-
teurs de réserver des attractions, des rencontres tivité, après tout, est un ennemi qu’il faut exploiter
avec les personnages et des places pour les spec- à fond et finalement réduire à néant. Les différents
tacles ; et MagicBands (des bracelets munis d’une départements d’une société se battent à mort pour
puce RFID) prend en charge billets, clés de gagner une part de marché, attirer l’attention de la
chambre, confirmations FastPass+ et cartes de cré- direction ou capter des ressources financières. Un
dit (un simple geste du poignet permet aux visi- seul restera debout. C’est peut-être ce modèle que
teurs de régler des repas ou d’acheter des souve- Sears a adopté. Quand Edward S. Lampert était son

54 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


La transformation
physico-numérique s’accélère
P�DG, le groupe de distribution a investi massive-
ment dans son département d’e-commerce, qui Les innovations physico-numériques agiront sur certaines entreprises
était totalement séparé de ses autres activités. Un beaucoup plus durement et rapidement que sur d’autres. Une première
analyste de Credit Suisse a dit à ce propos : « Son site étape clé est donc d’évaluer l’environnement de votre entreprise.
Internet est de meilleure qualité que celui de bien A quel point la transformation en cours a-t-elle déjà changé l’offre
d’autres distributeurs que je couvre. » Les ventes en et la dynamique de la concurrence de votre secteur d’activité�?
ligne ont progressé de façon constante et, à la fin Dans quelle mesure risque-t-elle de le faire dans les prochaines années�?
2013, elles atteignaient environ 1,2 milliard de dol- Le graphique ci-dessous résume l’évaluation, selon le cabinet Bain,
lars par an, selon les analystes. En revanche, l’en- de la transformation physico-numérique de 20 secteurs d’activité. On peut
treprise a notoirement sous-investi dans son parc saisir en un coup d’œil quelques-unes des principales conclusions�:
de magasins. En 2012, par exemple, Sears a consa-
L’éventail de l’impact est large. Le changement a été trois fois plus important
cré en moyenne 15,72 dollars par mètre carré de dans les médias, les technologies et les télécommunications que dans le pétrole
magasin, tandis que ses quatre principaux concur- et le gaz, le secteur minier ou la construction.
rents y consacraient 101,72 dollars, selon le « New Les plus grands changements sont encore à venir. Au cours des prochaines
York Times ». Les ventes en ligne ne représentaient années, la plupart des secteurs connaîtront bien plus d’innovations qu’ils
environ que 2,5 % des ventes totales, qui ont dimi- n’en ont connu par le passé. Les compagnies aériennes, l’automobile
nué de façon constante depuis 2007, les revenus
et les assurances, par exemple, sont sur le point de connaître de profondes
transformations physico-numériques.
tirés de l’e-commerce ne pouvant absolument pas
Des facteurs atypiques peuvent affecter le rythme du changement. Des
progresser assez vite pour compenser ceux perdus paramètres externes peuvent empêcher certains secteurs d’évoluer. Les secteurs
au niveau des magasins. du matériel médical et de la santé, en particulier, n’évolueront pas aussi vite
Les transformations physico-numériques ont qu’ils le pourraient autrement, en raison des réglementations, des pratiques
des objectifs et donc des modes opératoires diffé- de remboursement et des questions de responsabilité.
rents. L’objectif initial est d’acquérir des compé- LENT RAPIDE
tences digitales aussi solides que celles de n’importe
quel pure player perturbateur. Mais le but ultime est MÉDIAS
de créer le meilleur des deux mondes, en dévelop-
TECHNOLOGIES
pant des capacités que des pure players seraient
incapables ou refuseraient de copier. La séparation TÉLÉCOMS
ne constitue donc qu’une phase de transition. Au fil
BANQUE DE DÉTAIL
du temps, l’entreprise devra au moins créer une
certaine intégration, ce qui présente en soi des GRANDE DISTRIBUTION

avantages : cela répond au souhait des clients de COMPAGNIES AÉRIENNES


connaître une expérience physico-numérique com-
plète et débouche sur une plus grande efficacité et AUTOMOBILE CHANGEMENT
POTENTIEL
sur des économies d’échelle. Cela permet aussi une ASSURANCES
meilleure coordination, en évitant les doublons inu-
HÔTELS & RESTAURANTS
tiles. La communication devient plus efficace et les
décisions sont mieux appliquées, ce qui réduit les ÉDUCATION
conflits. Une activité intégrée peut doper les actifs
MATÉRIEL MÉDICAL
d’une entreprise existante, par des moyens qu’une
activité séparée ne possède pas. TRANSPORT & LOGISTIQUE

Ce type de fusion fonctionne bien pour Macy’s. SANTÉ


�PRESTATAIRES & PAYEURS�
Dès 2005, la société a consacré des ressources consi-
PRODUITS DE CONSOMMATION
dérables à son site Internet et à la capacité de ses
infrastructures, et, en 2010, elle a défini une straté- INDUSTRIE
gie omnicanale, un plan à long terme incluant toute
PHARMACIE
une série d’initiatives visant à créer une expérience
client globale à la fois en ligne et en magasins. CHANGEMENT
SERVICES PUBLICS
D’ICI À ����
Constatant que les clients ayant utilisé les deux ca-
PÉTROLE ET GAZ
naux étaient cinq fois plus rentables que ceux qui
SOURCE�: BAIN

achetaient uniquement en ligne, Macy’s a investi SECTEUR MINIER


massivement dans son magasin iconique de Herald
CONSTRUCTION
AUJOURD’HUI
Square, à New York, ainsi que dans des centaines

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 55


LE COCKTAIL PHYSICO-NUMÉRIQUE

d’autres, et a commencé à les intégrer dans son acti-


vité en ligne. Elle les a presque tous transformés en Règle #5
centres de traitement omnicanaux : les clients Créez une équipe de direction
peuvent commander en ligne et récupérer leurs ar- physico-numérique incluant le P-DG.
ticles dans le magasin le plus proche. Le magasin de Si les technologies numériques sont censées sup-
Herald Square est en cours de rénovation pour un planter le cœur de métier, la principale mission du
montant de 400 millions de dollars. Il sera équipé P�DG est de modifier la palette d’activités, et non les
de registres interactifs, des étiquettes RFID seront capacités fondamentales des personnes y travaillant.
utilisées massivement pour suivre les produits et Ce genre de transformation de l’entreprise ressemble
une application mobile guidera les clients pendant un peu à l’évolution biologique : les organismes indi-
qu’ils effectuent leurs achats. Les vendeurs, équi- viduels ne changent pas, mais la population évolue
pés d’appareils mobiles, seront en mesure de faire au fur et à mesure que les espèces supérieures dé-
venir des chaussures de l’arrière du magasin, sans truisent celles qui s’adaptent le moins. Le P�DG de
jamais quitter le client. l’entreprise encourage le business physique pour
Les changements organisationnels reflètent maintenir l’esprit de combativité et pouvoir investir
l’intégration croissante de Macy’s. En janvier 2013, de l’argent dans les nouveaux projets sur lesquels la
par exemple, Robert B. Harrison, auparavant vice- société a fondé ses espoirs.
président exécutif pour la stratégie omnicanale, est Les P�DG qui mènent des transformations phy-
sico-numériques font face à une tâche plus com-
plexe. Ils doivent changer non seulement la palette
ANDY SUNN, P�DG DE BONOBOS�: d’activités, mais aussi les capacités des personnes

��EN ����, NOUS NOUS SOMMES DIT impliquées de près ou de loin dans ces activités, y
compris eux-mêmes, les membres des conseils d’ad-
QUE LE MONDE ENTIER ALLAIT ministration, leurs équipes de direction et l’organi-

UNIQUEMENT SUR INTERNET ET QUE sation opérationnelle. Nommer un directeur de


l’information, de la technologie ou un directeur
NOUS DEVIONS FAIRE DE MÊME. numérique (souvent, les dénominations varient) se
révèle utile mais n’est pas suffisant. Et aura des re-
MAIS NOUS AVONS RÉCEMMENT tombées négatives si cela crée l’illusion que le nou-
CONSTATÉ QUE L’EXPÉRIENCE veau directeur gérera seul les outils numériques et
que personne d’autre n’a besoin de s’impliquer.
‘‘OFFLINE’’ DE TOUCHER ET DE SENTIR En général, les P�DG qui se sentent menacés par
LES VÊTEMENTS NE DISPARAÎT PAS.�� le numérique ne sont pas conscients de l’ampleur
de leur ignorance et ont du mal à recruter des spé-
cialistes dans ce domaine. Ils ont aussi tendance à
devenu le premier directeur omnicanal, rapportant réduire les investissements dans le digital, à pro-
au P�DG Terry Lundgren. Il est également entré au mouvoir de mauvaises idées et à tuer les bonnes
comité exécutif. Au fur et à mesure qu’il continuait (ou alors à demander de nombreux rounds d’amé-
à orchestrer des stratégies pour intégrer étroite- lioration). Mais de plus de plus de P�DG prennent
ment les magasins et les activités mobiles et en en compte ces questions. Ils entrent aux conseils
ligne, Harrison a pris en charge les systèmes et la d’administration de sociétés avancées sur le plan
technologie, la logistique et les fonctions opéra- numérique. Ils passent plus de temps avec des ex-
tionnelles connexes. perts en technologies, des spécialistes du capital-
La fusion physico-numérique de Macy’s a in- risque, des gens travaillant dans des start-up high-
fluencé de façon très positive sa performance finan- tech et des professionnels au sein de leurs propres
cière. Les ventes totales ont crû de 4,4 milliards de entreprises. Ils lisent des ouvrages sur le numé-
dollars (+ 19%) au cours des quatre dernières an- rique, suivent des cours en ligne, prennent des
nées, et la société a récemment fait état d’une cin- mentors et jouent avec les technologies que leurs
quième année consécutive de croissance à deux clients utilisent. Ils invitent également des leaders
chiffres de son bénéfice. Son cours en Bourse a pro- du secteur des technologies à intégrer leurs
gressé de façon constante de 2010 à 2013, augmen- conseils d’administration et lancent des pro-
tant de 43% sur la seule année 2013 (à comparer grammes de formation pour tous les cadres afin de
avec la hausse d’environ 30% de l’indice S & P 500). s’assurer que chaque leader de leur organisation

56 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


accélère sa formation numérique. Les P�DG n’ont a été la motivation première de leur achat. Delta Air
pas besoin d’apprendre à coder, mais ils doivent Lines était en faillite en 2005 et lanterne rouge du
comprendre pourquoi la technologie est impor- classement, établi par « Fortune » en 2007, des com-
tante et comment elle peut transformer le business pagnies aériennes les plus admirées. Or elle est
et les fonctions dans le portefeuille de l’entreprise. devenue très rentable et figure aujourd’hui en pre-
La métamorphose remarquable de Burberry, vé- mière place sur la liste du magazine. Parmi les
nérable compagnie de confection de vêtements du nombreuses raisons de ce redressement, on peut
Royaume-Uni, est révélatrice à cet égard (voir l’ar- avancer les importants investissements de Delta
ticle « Turning An Aging British Icon into a Global dans le prolongement numérique de l’expérience
Luxury Brand », HBR édition américaine, janvier- physique du vol. Son application Fly Delta, par
février 2013). Lorsque Angela Ahrendts a repris la exemple, fournit non seulement des informations
direction de Burberry, en 2006, la marque avait en- sur les itinéraires aériens, les avions et les aéro-
tamé sa mue, mais avait du mal à attirer les plus ports, mais elle permet également aux passagers
jeunes clients. Ahrendts a apporté une nouvelle vi- d’enregistrer leurs places de parking, de s’enregis-
sion. Elle pensait que Burberry devait explicitement trer, de changer de siège, de récupérer leurs cartes
cibler les clients négligés jusqu’à présent – les mil- d’embarquement, de payer les excédents de ba-
lennials  –  et leur parler dans leur langue maternelle : gages et de visualiser les lieux intéressants que
le numérique. Elle a embauché une toute nouvelle l’avion survole (avec Glass Bottom Jet). Immensé-
équipe de marketing, dont la plupart des membres ment populaire, l’application a été téléchargée
avaient moins de 25  ans, et a innové avec le très onze millions de fois à fin avril 2014.
populaire Tweetwalk, qui projette des images des Peut-être le signe le plus fiable que les technolo-
dé�ilés Burberry prises en coulisses. Elle a égale- gies numériques transforment les entreprises phy-
ment créé un nouveau club de réflexion à la tête de siques plutôt que les détruire est-il le nombre crois-
l’entreprise, comprenant elle-même, le directeur de sant d’entreprises digitales qui se dirigent
la création Christopher Bailey et le directeur de la d’elles-mêmes vers des fusions entre les mondes
technologie John Douglas. Elle a instauré un numérique et physique. Deux pionniers du com-
« conseil stratégique de l’innovation » et y a fait en- merce en ligne, E*Trade et TD Ameritrade, ont in-
trer ceux qu’elle considérait comme les dirigeants vesti dans des locaux réels. Google qui, au départ,
les plus jeunes et les plus visionnaires de l’entre- n’était qu’un moteur de recherche numérique, pro-
prise. Le conseil a développé des expériences phy- duit maintenant des smartphones, des tablettes et
siques numériquement immersives – diffusion en des lunettes intelligentes ; l’entreprise construit aussi
continu de dé�ilés et de vidéos sur des écrans des voitures sans conducteur, rachète des sociétés
géants, miroirs numériques qui se transforment en spécialisées dans la robotique, travaille dans la fibre
écrans affichant des scènes de défilés – qui don- optique, crée des services de livraison et s’intéresse
naient l’impression aux clients des magasins d’en- aux objets connectés dans l’univers domestique. Des
trer dans un « Burberry World » physico-numérique. distributeurs Internet comme Warby Parker et Bono-
Les marchandises du magasin portaient des éti- bos ouvrent de vrais magasins. Andy Dunn, le P�DG À PROPOS
DE L’AUTEUR
quettes RFID, si bien qu’un client prenant un article de Bonobos, reconnaît : « Au début, nous nous Au moment de la
pouvait instantanément consulter les informations sommes trompés. En 2007, la société a démarré, et rédaction de cet article,
produit et les messages marketing sur un écran. nous nous sommes dit que le monde entier allait uni- l’auteur occupait
les fonctions suivantes�:
Cette stratégie physico-numérique a contribué à un quement sur Internet et que nous devions faire de
essor significatif du cours de l’action : entre l’arrivée même. Mais nous avons constaté récemment que Darrell K. Rigby est
d’Ahrendts et son départ, début 2014, le cours en l’expérience ‘‘offline’’ de toucher et de sentir les vê- associé au sein du cabinet
Bain & Company à Boston
Bourse de Burberry a plus que triplé, et l’indice tements ne disparaît pas pour autant. » (Etats-Unis) et dirige le
FTSE 100 a bondi d’environ 19%. Une approche physico-numérique changera la pôle distribution monde.
Il est l’auteur, entre autres,
façon dont les gens perçoivent et gèrent presque de «�Winning in
L’avenir du physico-numérique toutes leurs activités, dans leur vie privée comme Turbulence�» (Harvard
Les innovations physico-numériques permettent à dans leur vie professionnelle. Faites le test. Exami- Business Review Press,
2009).
des entreprises de premier plan de s’engager dans nez la chaîne d’expérience de vos clients pour com-
La version
un nombre croissant d’activités. La Ford Fiesta se prendre comment agissent les technologies numé- originale de cet article
vend mieux que ses concurrentes en partie à cause riques. La combinaison du physique et du numérique a été publiée en septembre
de sa technologie révolutionnaire Ford Sync ; plus annonce des transformations dans presque tous les 2014 dans l’édition
américaine de HBR.
de la moitié des acheteurs déclarent que Ford Sync secteurs, y compris dans le vôtre.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 57


LA VÉRITÉ SUR
L’EXPÉRIENCE
CLIENT
Les points de contact sont importants, mais c’est
le parcours dans son intégralité qui compte vraiment.
Les entreprises mettent l’accent depuis longtemps
sur les points de contact – ces nombreux moments
cruciaux où les clients sont en interaction avec
l’entreprise et ses offres avant, pendant et après l’achat.
Mais ne chercher à maximiser leur satisfaction qu’à
ces moments-là peut donner une image déformée de
la réalité, laissant penser que les clients sont plus satisfaits
de l’entreprise qu’ils ne le sont vraiment. Cela détourne
aussi l’attention d’un contexte plus général (et plus
important)�: l’expérience du client dans sa globalité.
Par Alex Rawson, Ewan Duncan et Conor Jones.
Illustrations: Melinda Beck

58 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 59
LA VÉRITÉ SUR L’EXPÉRIENCE CLIENT

habituels pour garder les clients étaient également


bien maîtrisés, mais ils étaient coûteux : il fallait faire
Prenez le cas d’un événement de service client des offres de plus grande qualité, proposer des pro-
habituel – par exemple, une requête concernant un grammes de remise tarifaire et offrir des services
produit – et considérons-le du point de vue de l’en- SAVE (Solution Accès Valeur Education) pour retenir
treprise, puis de celui du client. La société peut re- les candidats au départ. C’est pourquoi les dirigeants
cevoir des millions d’appels téléphoniques au sujet ont étudié un autre levier, celui de l’expérience
de ce produit et se doit de gérer chacun d’entre eux client, pour déterminer si des améliorations dans ce
de manière satisfaisante. Mais si on interrogeait un domaine pouvaient limiter la perte d’abonnés et
client au sujet de cette expérience des mois après permettre d’obtenir un avantage concurrentiel.
les faits, il ne décrirait jamais ce type d’appel Au fur et à mesure qu’ils avançaient dans cette
comme une simple « demande de renseignements direction, ils ont observé que les efforts consentis par
sur le produit ». Comprendre le contexte dans lequel l’entreprise pour améliorer les points de contact ne
a été passé un appel est primordial. Le client peut suf�isaient pas. La société avait depuis longtemps
avoir tenté de s’assurer de la continuité d’un service pris le pli et mesurait le degré de satisfaction des
après un déménagement, de vérifier les options de clients à chaque transaction (centres d’appels, ser-
reconduction au terme d’un contrat, ou encore de vices in situ et site Internet), et les scores obtenus
régler dé�initivement un problème technique te- étaient régulièrement très bons. Mais des groupes
nace. Une entreprise gérant le parcours client de témoins ont révélé que de nombreux clients étaient
bout en bout ferait non seulement de son mieux mécontents des relations qu’ils avaient avec l’entre-
pour que le cas particulier soit géré de façon satis- prise de manière globale. Quand on ne s’arrête
faisante, mais elle s’évertuerait aussi à comprendre qu’aux transactions individuelles, l’entreprise a du
les motivations plus profondes de l’appel, elle cher- mal à définir sur quoi elle doit concentrer ses efforts
cherait à résoudre la cause du problème et elle crée- d’amélioration. Si les niveaux de satisfaction mesu-
rait des processus de feed-back afin d’améliorer en rés sur des paramètres spéci�iques sont élevés, il
permanence les interactions avant et après l’appel. devient complexe de motiver les employés pour
qu’ils changent leur façon de faire.
Gérer l’intégralité de l’expérience En avançant un peu plus dans leur travail, les
Dans le cadre de notre travail de recherche et de nos dirigeants de l’entreprise ont découvert d’où venait
missions de conseil sur les parcours clients, nous le problème. La plupart des clients n’étaient pas las-
avons constaté que les entreprises qui géraient sés par les appels téléphoniques, les visites sur le
habilement l’intégralité de l’expérience étaient terrain ou par toute autre interaction – en fait, ils
celles qui obtenaient les meilleurs retours : une n’accordaient pas beaucoup d’attention à ces points
satisfaction accrue de la clientèle, un pourcentage de contact singuliers. Ce qui faisait chuter leur satis-
de désabonnement limité, une hausse des revenus faction tenait à un élément à côté duquel passaient
et une plus grande satisfaction des employés. Ces nombre d’entreprises : les expériences cumulées
sociétés découvrent aussi des moyens plus efficaces dues à des prises de contact répétées au fil du temps
de collaborer entre fonctions transversales et de- et survenant par le biais de canaux multiples.
grés hiérarchiques. Ce processus permet en outre Prenez le cas de la conquête d’un nouveau
de réaliser des gains à travers toute l’entreprise. client, qui s’étale généralement sur une durée de
Prenez l’exemple d’une des principales chaînes trois mois et requiert peu ou prou six appels télé-
de télévision payante avec qui nous avons travaillé. phoniques ainsi que la visite à domicile d’un tech-
Bien qu’elle �ît partie des sociétés qui géraient le nicien et de nombreux échanges sur le Web et par
mieux les résiliations d’abonnement, elle devait e-mails inter posés. Chaque interaction avec ce
faire face à un marché arrivé à maturité, à une fournisseur avait une forte probabilité de se passer
concurrence plus vive et à une escalade des coûts sans souci. Pourtant, sur des segments de clientèle
pour garder ses meilleurs clients. La perte d’abon- clés, le taux de satisfaction moyen tombait de près
nés était un problème bien connu, bien sûr, et ses de 40% au �il du parcours. Les points de contact
causes étaient bien comprises : les tarifs pratiqués
incitaient certains clients à mettre un terme à leur
abonnement, tandis que la technologie ou les bou-
quets offerts par la concurrence en convainquaient
d’autres de changer de fournisseur. Les moyens

60 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


L'I D É E E N B R E F
LE PROBLÈME L’ARGUMENT LA SOLUTION
Beaucoup d’entreprises excellent Les entreprises qui obtiennent Les entreprises doivent combiner des
dans les interactions individuelles avec les retours les plus fructueux sont celles évaluations descendantes basées sur
les clients, mais elles ne prêtent pas qui cherchent à parfaire l’expérience le jugement et une analyse ascendante
suffisamment attention au parcours client�: satisfaction accrue de la clientèle basée sur les données pour identifier les
que le client effectue avant, pendant et des salariés, taux d’attrition limité principales étapes de ces parcours clients
et après l’achat. des clients, hausse des recettes, coûts avant de lancer toute l’organisation dans
plus faibles et collaboration améliorée la redéfinition de l’expérience client.
dans toute l’entreprise. Cela nécessite de troquer les méthodes
de travail en silos contre des approches
transversales et d’aller au-delà des points
de contact avec le client au profit d’une
orientation de son parcours.

n’avaient pas besoin d’être améliorés, c’était le pro- équipes, une fois le téléphone raccroché, avaient
cessus d’intégration du client dans son ensemble très peu de visibilité sur ce qui se produisait après,
qui devait l’être. La plupart des interventions de en dehors de la décision du client de poursuivre
service étaient positives stricto sensu – les em- l’installation ou pas. La confusion à propos des pro-
ployés résolvaient les problèmes sur-le-champ – motions et les interrogations concernant l’installa-
mais les problèmes sous-jacents étaient évitables, tion, les options de matériels et les bouquets de
les causes fondamentales étaient ignorées, et l’effet programmes provoquaient souvent du mécontente-
cumulé auprès du client était nettement négatif. ment par la suite chez les clients, qui appelaient
Résoudre les problèmes apporterait une valeur alors les centres d’appels pour se plaindre. Mais les
ajoutée significative, mais cela ne serait pas facile : commerciaux obtenaient rarement les commen-
la société avait besoin d’une toute nouvelle façon taires qui auraient pu les aider à adapter leur pra-
de gérer ses activités opérationnelles, afin de réin- tique initiale.
venter les parcours clients qui importaient le plus. Pour qu’il n’y ait pas de rupture dans la chaîne
de service au client, la solution n’est pas de rem-
Prendre en compte la multiplicité placer les responsables chargés des points de
des points de contact contact. Les unités opérationnelles possèdent
Le problème rencontré par la chaîne de télévision une expertise essentielle et les points de
payante est beaucoup plus fréquent que la plupart contact continueront d’être des sources
des entreprises ne veulent l’admettre et il peut être irremplaçables d’informations, en parti-
difficile à repérer. Le cloisonnement des prestations culier dans un contexte de transforma-
de service et les tendances autarciques fleurissant tion numérique rapide (lire « Bran-
dans les unités opérationnelles qui conçoivent et ding in the Digital Age : You’re
offrent un service sont au cœur du défi à relever. Spending Your Money in All
Ces entités façonnent la manière dont l’entreprise the Wrong Places », HBR édi-
interagit avec les clients. Mais même si elles s’ef- tion américaine, décembre
forcent d’améliorer l’expérience client, elles 2010). Au lieu de cela, les
perdent souvent de vue ce que ces derniers veulent entreprises doivent inté-
vraiment. grer les parcours clients
Les équipes commerciales de la chaîne de télévi- dans leur modèle opéra-
sion payante, par exemple, ne cherchaient qu’à si- tionnel de quatre façons :
gner de nouvelles ventes et à aider le client à faire elles doivent identifier les
son choix parmi une offre pléthorique de technolo- parcours où il leur faut ex-
gies et d’options de programmation – mais ces celler, comprendre comment

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 61


LA VÉRITÉ SUR L’EXPÉRIENCE CLIENT

elles procèdent actuellement sur chacun d’entre processus pouvant être mis en œuvre rapidement
eux, construire des processus transversaux pour et de manière centrale) qui donnent le ton pour une
redessiner et faciliter ces expériences clients, et, transformation plus profonde.
enfin, instaurer un changement de culture en in- Pour les entreprises ne cherchant à résoudre
terne et une amélioration continue pour soutenir qu’une poignée de problèmes flagrants concernant
les initiatives au bon niveau. des parcours spécifiques, de telles méthodes des-
cendantes de résolution de problèmes peuvent suf-
Identifier les parcours clients clés �ire. Mais les entreprises qui veulent transformer
Dé�inir les parcours qui comptent et décider où l’expérience client globale doivent créer simultané-
commence la transformation nécessite de mener à ment une feuille de route détaillée pour chaque par-
la fois des évaluations descendantes et une analyse cours client : elle décrira le processus du début à la
ascendante axée sur les données à des degrés va- fin, prendra en compte l’impact commercial qu’ap-
riés. Nous recommandons de mener ces initiatives portera cette optimisation de parcours et établira
en parallèle, chaque fois que cela est possible. une séquence d’actions cohérentes et faisables.
Une session de travail entre dirigeants, basée C’est une initiative ascendante qui commence
sur les recherches existantes, peut suffire à identi- par des recherches supplémentaires sur les expé-
fier les parcours les plus significatifs et les points riences que les clients ont eues de leurs parcours en
sensibles parmi ces derniers – c’est-à-dire les tant que consommateurs et, parmi elles, sur celles
lacunes de service spéci�iques qui sont préjudi- qui comptent le plus, à la fois en termes de perfor-
ciables à l’expérience client. Cette recherche est mance commerciale et de satisfaction client. Une
généralement fragmentée et comprend souvent entreprise a tout intérêt à combiner des enquêtes
des données concernant le nombre de clients dans clients, des sondages menés auprès de ses employés
un parcours donné, les raisons des plaintes recueil- ainsi que des données opérationnelles entre les
lies par les centres d’appels et les écarts de perfor- fonctions à chaque point de contact pour évaluer sa
mance évidents, comme les écarts entre les performance et la mesurer à l’aune des résultats
promesses faites par le marketing dans ses docu- obtenus par ses concurrents. Les meilleures entre-
mentations commerciales et les prestations effecti- prises utilisent des modèles de régression pour com-
vement servies. prendre quels parcours ont le plus d’impact sur la
Dans trois entreprises avec lesquelles nous satisfaction client et les résultats commerciaux, puis
avons travaillé, des sessions de ce type ont permis elles réalisent des simulations pour obtenir un
de faire la lumière sur les problèmes clés rencon- aperçu de l’impact potentiel de diverses initiatives.
trés lors du parcours client. L’équipe de direction Mener à bien cette recherche et cette analyse
d’un opérateur de télécommunications fixe s’est n’est pas une mince affaire, car cela nécessite géné-
concentrée sur les 50% de clients se déclarant mé- ralement d’acquérir de nouveaux types d’informa-
contents du processus d’installation ; l’équipe de tions et de les assembler de façon différente. Pour
direction d’un acteur de l’énergie de premier plan de nombreuses entreprises, combiner des données
s’est mise à cibler les 40% de clients le quittant de recherche sur leurs opérations, leur marketing
suite à un changement de résidence ; et les réu- et leur compétitivité pour comprendre les parcours
nions de travail réunissant l’équipe de direction clients est une nouvelle aventure, et cela peut
d’un opérateur de télécommunications intégré ont prendre du temps, parfois plusieurs mois. Mais cela
été consacrées aux nouveaux clients ayant opté en vaut la peine, parce que la base de faits obtenue
pour la �ibre optique et qui, pour plus d’un tiers permet à la direction d’identifier clairement les dif-
d’entre eux, revenaient sur leur engagement avant férents parcours suivis par le client et de décider
l’installation ou dans les 90 jours suivants. Dans quels sont ceux à privilégier.
chaque cas, l’attention des managers a conduit à un
effort concerté pour dé�inir ce à quoi devait res- Comprendre la performance actuelle
sembler le parcours client souhaité, et le fait que le Une fois qu’une entreprise a identifié ses princi-
leadership joigne les actes à la parole a favorisé la paux parcours clients, elle doit les examiner les uns
mise en place de programmes d’amélioration et de après les autres en détail afin de comprendre les
changements organisationnels plus larges. Ces ré- causes de la performance actuelle. Cette plongée
sultats montrent à quel point un travail initial des- en profondeur implique d’effectuer des recherches
cendant permet d’identifier des gains rapides (sou- supplémentaires, y compris au moyen de groupes
vent liés à des changements de politique ou de de discussion entre clients et entre employés et de

62 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


Quels bénéfices retire-t-on
suivis d’appels. Combinée avec l’analyse ascen-
dante initiale, cette plongée permet à l’entreprise
des parcours clients�?
de cartographier les permutations les plus signifi- La plupart des dirigeants com- des secteurs, l’écart entre les entre-
catives de chaque parcours au fur et à mesure que prennent aisément le concept de prises les mieux classées et celles
le client l’expérimente et le décrit, afin de révéler
parcours client, mais ils se demandent se situant en bas de classement en
si l’améliorer peut se traduire en cash. matière de parcours client était de
l’enchaînement des étapes qu’il est susceptible de
Les enquêtes clients annuelles que 50% plus important que celui séparant
suivre du début à la fin. L’exercice de cartographie nous réalisons dans différents secteurs les sociétés les plus performantes et
permet aussi d’isoler les écarts par rapport à l’expé- (y compris la télévision payante, les moins performantes en termes
rience client idéale et leurs causes. Et il révèle sou- la banque ou l’assurance automobile) de points de contact avec les clients.
vent quels sont la politique ou les processus choisis le démontrent. En d’autres termes, la plupart des
par l’entreprise qui engendrent involontairement Les entreprises qui proposent un entreprises obtiennent d’assez bons
parcours client optimal ont tendance résultats en matière de points
des effets adverses. Ainsi, de nombreuses entre-
à gagner des parts de marché. Dans de contact, mais une entreprise peut
prises facturent leur support technique télépho- les secteurs de l’assurance et de la se distinguer par son parcours client.
nique, pensant que faire payer les clients poussera télévision payante, les entreprises Notre recherche montre également
ces derniers à choisir les options de libre-service. dont les parcours clients sont les plus que les performances en matière de
Mais le risque peut être de générer au contraire de efficaces sont aussi celles dont la parcours client en disent plus sur les
nombreuses demandes de rappel ou des répara- croissance des revenus est la plus résultats que l’on peut escompter
tions « fait maison » inadaptées, dégradant l’expé-
forte�: dans les mesures de satisfaction de l’entreprise que celles en matière
des clients vis-à-vis des parcours les de points de contact. En effet, dans
rience client, dans un cas comme dans l’autre.
plus importants que leur font suivre les tous les secteurs, les bons résultats
Reprenons l’exemple de l’entreprise de télécom- entreprises, obtenir en termes de obtenus dans le domaine des parcours
munications qui affichait un taux d’insatisfaction performance un point de plus que les clients sont de 30 à 40% plus
initial de ses clients de 50%. Les dirigeants savaient sociétés concurrentes sur une échelle étroitement corrélés à la satisfaction
que le « parcours d’approvisionnement » – l’opéra- en contenant dix correspond au moins client que ceux obtenus en matière
tion d’installation du service de téléphonie fixe au à deux points en termes de croissance de point de contact. Ils sont aussi
des revenus. En outre, les entreprises de 20% à 30% plus intimement liés
domicile d’un client – était une priorité, et, au fur
excellant dans leurs parcours clients aux résultats commerciaux, tels que
et à mesure qu’ils étudiaient de nouvelles données, possèdent un atout concurrentiel plus l’augmentation des revenus,
ils ont commencé à voir se dégager un scénario pes- net que celles qui se distinguent le renouvellement des achats,
simiste. Quand ils ont sollicité de nouveaux clients par des points de contact avec leurs le faible taux d’attrition de la clientèle
à propos de l’expérience qu’ils avaient vécue à par- clients très performants�: dans l’un et le bouche-à-oreille positif.
tir du moment où ils avaient passé commande du
service jusqu’à l’installation et à l’activation (un LES BONS PARCOURS CLIENTS DOPENT LA CROISSANCE
parcours client comportant quatre points de Les études réalisées dans les secteurs de la télévision à péage et de l’assurance automobile
révèlent un lien étroit entre la satisfaction client, un parcours après-vente complet et la
contact), ils ont appris que, bien que près de la moi- hausse des revenus. Le tableau ci-dessous montre les résultats obtenus par sept entreprises
tié des clients aient été ravis du service, lui accor- dans chacun de ces secteurs.
dant un 8 ou un 9 sur une échelle de 10 points,
��% CROISSANCE DES REVENUS
l’autre moitié d’entre eux était furieuse, ne lui ac- ���������
cordant que 1 ou 2 points.
��%
Un complément d’enquête a permis à l’entre-
prise de découvrir que, dans le cas des clients mé-
contents, le processus d’installation était compro-
��%
TV à péage Assurance automobile
mis par les retards découlant d’initiatives �%
incohérentes : les employés des services support
n’étaient pas évalués ou récompensés pour l’exac- �%
titude des tickets de commande et ils les traitaient
parfois avec des informations manquantes ou �%
incorrectes. Le tableau de bord traditionnel de
l’expérience client avait masqué le problème, car il �%

ne comportait aucune mesure point par point du


�%
succès. « Les indicateurs de notre tableau de bord �,� �,� �,� �,� �,� �,� �,�
étaient comme une pastèque, nous a dit un mana-
��%
ger. A l’extérieur, tout était vert, mais, quand on
regardait à l’intérieur, tout était rouge, et unique- INDICE DE SATISFACTION MOYEN OBTENU PAR SEPT ENTREPRISES
AVEC SES TROIS PRINCIPAUX PARCOURS CLIENTS DANS DEUX SECTEURS
ment rouge. » D’ACTIVITÉ �SUR UNE ÉCHELLE DE � À ��, EN �����

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 63


LA VÉRITÉ SUR L’EXPÉRIENCE CLIENT

Suivre un parcours client


Quand il déménage, un client se retrouve à faire toute une série de démarches
auprès de fournisseurs de services, pour avoir accès au téléphone, à Internet,
au câble, mais aussi à l’eau et à l’électricité. Le «�parcours de déménagement�»
commence par un appel informant la société du changement de domicile et
s’achève sur une première facture correcte à la nouvelle adresse. Le schéma
ci-dessous montre les étapes importantes d’un parcours de service vu à la fois
par le client et par le fournisseur d’électricité.

Le client Le client La compagnie Le service de Le client Le service de


achète une contacte le centre d’électricité facturation lit son compteur facturation
nouvelle maison. d’appels de la lui envoie une lettre enregistre son à son ancienne lui envoie la facture
compagnie de confirmation ancienne et sa adresse, remplit de clôture qui
d’électricité et lui et un relevé de nouvelle adresse le relevé et l’envoie concerne son ancien
indique la date de compteur vierge pour indiquer le à son fournisseur domicile.
son déménagement. à compléter. déménagement. d’électricité.

Redessiner l’expérience client décidé de déménager jusqu’à ce que le service soit


et monter au créneau activé dans leurs nouveaux domiciles.
Une fois qu’une entreprise a identifié ses parcours La réunion a permis une avancée décisive. Le fait
prioritaires et qu’elle a acquis une bonne compréhen- de voir l’expérience représentée du début à la fin a été
sion de leurs problèmes intrinsèques, les dirigeants très efficace, parce que chacun des groupes avait pu
doivent éviter de se précipiter et d’édicter des solu- voir l’expérience dans son intégralité et, sans même
tions ; en effet, ils devraient éviter toutes solutions parler de responsabilité, reconnaître les erreurs faites
(y compris celles d’experts externes) qui n’accordent lors du parcours. Très vite, il est devenu clair que le
pas un rôle central aux employés dans l’élaboration processus avait évolué vers quelque chose de beau-
du résultat. Même si une mesure corrective semble coup plus complexe que ce qu’on aurait pu imaginer ;
évidente vue de l’extérieur, les causes profondes en tout, il y avait 19 interactions avec les clients. Un
d’une expérience client de piètre qualité sont tou- grand nombre d’entre elles incluait des étapes com-
jours à chercher à l’intérieur de l’entreprise. Elles plexes d’un groupe à un autre au sein de l’entreprise,
sont souvent dues à des déconnexions entre les ce qui a créé plusieurs interfaces où les choses ris-
fonctions. Ce n’est qu’en persuadant les équipes quaient d’aller de travers –et elles ont effectivement
opérant de manière transversale d’étudier les pro- mal tourné. Mais il ne s’agissait pas uniquement
blèmes elles-mêmes et de concevoir des solutions d’incidents opérationnels : une partie de la frustra-
en groupe que les entreprises peuvent espérer ap- tion éprouvée par certains clients mécontents était
porter des solutions pertinentes. due à un manque de communication à des moments
Le fournisseur d’énergie a identifié le « déménage- clés où, sur le plan opérationnel, les choses fonction-
ment » comme un parcours dont il devait garantir la naient bien – par exemple, lors de la planification de
bonne réalisation. Les cadres ont commencé par ras- la résiliation d’un service à une ancienne adresse. A
sembler les représentants des différents groupes d’autres moments, par exemple, après le démarrage
opérationnels et commerciaux travaillant sur ce par- d’un service à une nouvelle adresse, les clients
cours. Bien que n’étant pas de nature technique, la avaient trop d’informations et étaient déroutés par
réunion s’est révélée puissante : un mur de la salle de des messages apparemment contradictoires.
conférence a été réservé à des affiches, des citations Après que les membres de l’équipe eurent identi-
de clients et des représentations visuelles de ce �ié les raisons de cette myriade d’interactions et
qu’ont vécu des clients, à partir du moment où ils ont commencé à apprécier les défis auxquels faisaient

64 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


Le client Le centre Le Le client Le Le service de
vérifie la facture d’appels département emménage dans département facturation
et contacte le demande au service services sa nouvelle maison. services lui envoie un relevé
centre d’appels de facturation de organise la mise en active le service à initial et une
pour lui signaler une lui envoyer par service de la ligne la nouvelle adresse explication des
erreur. courrier une facture pour la date prévue et fait le relevé du différentes options
corrigée. du déménagement. compteur. de paiement.

face leurs homologues dans d’autres groupes opéra- missions : cartographier l’expérience client et re-
tionnels, ils purent réfléchir ensemble à une nou- chercher de nouvelles idées de services pour l’amé-
velle manière d’agir. Ils mirent leurs idées en com- liorer ; faire en sorte que les employés de première
mun au sein d’une « war room », établirent des ligne au sein de chacune de ces fonctions colla-
équipes ad hoc chargées de piloter et d’améliorer les borent ensemble pour identifier les causes des pro-
idées et les autorisèrent à prendre des risques et à blèmes et trouvent des solutions ; et coordonner les
mener des expériences en testant des solutions, activités afin de maximiser la vitesse de service du
quitte à se tromper. Enfin, ils ont sollicité l’avis des point de vue du client.
clients sur leur processus de conception, a�in de Dans une de ces régions, une équipe a découvert
veiller à ce que l’approche développée leur plaise. Le un goulot d’étranglement majeur : la société man-
résultat : un nouveau processus quatre fois plus effi- quait souvent de voitures propres au moment où la
cace et satisfaisant pour les clients, et beaucoup plus demande enregistrait un pic. Parmi les remèdes que
cohérent par rapport à la promesse de l’entreprise : proposa l’équipe figurait l’installation d’un avertis-
« On assure. » La proportion de clients mécontents seur sonore entre le comptoir de location et le par-
de leur déménagement a chuté de façon significa- king où stationnait la voiture. Lorsque la file d’at-
tive, ce qui a permis de réaliser un gain de 4 millions tente au comptoir s’allongeait, les membres du
d’euros de chiffre d’affaires (pour un exemple de personnel pouvaient prévenir leurs collègues sur le
processus typique, voir « Suivre un parcours client »). parking qu’ils auraient bientôt besoin de plus de
Une importante société de location de véhicules voitures. A la �in de cette expérience pilote, les
automobiles avec laquelle nous avons travaillé avait notes obtenues par le service client sur site avaient
conduit une série d’initiatives et d’expériences pi- doublé, les revenus avaient grimpé de 5% grâce à
lotes similaires en mettant en place dans des aéro- l’augmentation des ventes, et le coût de la presta-
ports clés des équipes en contact direct avec les tion délivrée aux clients avait diminué de 10%. En
clients, équipes incluant des agents de nettoyage outre, l’équipe marketing – impliquée dès le pre-
des véhicules, des membres du personnel au gui- mier jour  – a contribué à identifier les modifications
chet de sortie et des chauffeurs d’autobus. La direc- nécessaires à apporter au processus de sortie (quand
tion a sélectionné plusieurs zones géographiques les clients prenaient leur voiture sur le parking), ce
cibles, a nommé un cadre senior référent pour cha- qui a fait progresser les ventes en élargissant la
cune d’entre elles et a chargé ces équipes de trois gamme de véhicules disponibles.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 65


LA VÉRITÉ SUR L’EXPÉRIENCE CLIENT

Utiliser les parcours comme outils de différenciation


Identifier les parcours clients qui comptent en charge à l’aéroport, qui aurait pu durer pour aider les clients à gérer leurs
le plus peut être très bénéfique, même moins d’une heure, passait en fait par une réservations à partir de leurs appareils
quand les entreprises ne rencontrent pas de demi-douzaine ou plus de points de contact. mobiles et elle a installé des kiosques
problème récurrent avec leur service client�: L’aspect le plus important était la vitesse de de service client virtuels sur les lieux
accomplir cette démarche peut les aider service dans sa globalité, du bus au comptoir où le volume d’affaires était élevé afin de
à trouver un moyen de se différencier de location puis au véhicule et enfin permettre aux gens d’éviter de faire la queue
de la concurrence (un «�différenciateur à la barrière de sortie du parking – mais et d’avoir toujours affaire à un agent et non
compétitif�»). Une agence de location personne n’était chargé de ce problème. à un robot. Elle s’est également efforcée
de voitures désirait améliorer son SAV En se concentrant de manière de changer la donne en ne cherchant plus à
qui obtenait déjà de bons résultats et se transfonctionnelle sur la vitesse de la prise fournir la «�voiture disponible�» mais à mettre
démarquer de ses rivaux, car le secteur où en charge à l’aéroport, la société a été en à disposition «�la bonne voiture au bon client
elle opérait ressemblait de plus en plus à un mesure d’innover de telle façon qu’elle s’est au bon moment�». Ces efforts ont vraiment
marché de produits de base. En étudiant ce distinguée de ses concurrents�: elle a permis à la société de se différencier
qui comptait le plus aux yeux des clients, elle introduit plus de souplesse dans le choix des non seulement sur l’expérience de service,
se rendit compte que le parcours d’une prise voitures, a développé le volet technologique mais sur la marque elle-même.

Faire changer les modes de pensée sont plus nécessaires, mais ils sont essentiels durant
à l’échelle de l’entreprise les premières années du déploiement. La compa-
Bien sûr, il ne suffit pas à une entreprise d’analyser gnie d’énergie a installé son équipe chargée du chan-
les parcours de ses clients et de refondre ses proces- gement juste à côté de la salle de réunion pour signa-
sus de service. Mettre en œuvre les changements à ler l’importance de son initiative. La chaîne TV à
travers toute l’entreprise est très important et diffi- péage a promu un cadre opérationnel en lui confiant
cile à réaliser. Débattre en détail de la façon de dé- cette mission et en le rattachant hiérarchiquement
ployer et de soutenir les initiatives de transforma- au P�DG. Plusieurs opérateurs télécoms avec qui
tion nécessiterait d’aller au-delà du champ nous avons collaboré ont choisi de mettre en pra-
d’application de cet article. Toutefois, pour mettre tique des changements organisationnels plus du-
en œuvre des parcours clients à l’échelle de toute rables et ont laissé les équipes de changement trans-
une entreprise, il faut introduire deux changements versales en place pour assurer l’équilibre continu des
de taille qui méritent d’être mentionnés ici : (1) mo- pouvoirs en dépit des tensions naturelles s’exerçant
difier l’entreprise et ses processus pour fournir des entre les fonctions. Dans les cas les plus efficaces, les
parcours clients d’exception, et (2) ajuster les para- entreprises conçoivent des méthodes de travail et
mètres et les incitations pour que les efforts soient des postes de responsabilités transversaux dans leur
concentrés sur le soutien aux parcours clients, et pas cœur de métier, en définissant clairement leurs at-
uniquement aux points de contact avec eux. tentes en matière de propriété, d’autorité, de me-
D’un point de vue organisationnel, en adoptant sures et de performance, qui complètent les struc-
une approche centrée sur le parcours client, les en- tures fonctionnelles existantes.
treprises peuvent ainsi abandonner des fonctions Regardez comment cela a fonctionné avec l’en-
cloisonnées et une innovation descendante au profit treprise de location de voitures. Tandis que les ini-
de procédés transversaux et d’une innovation as- tiatives prenaient de l’ampleur sur les sites pilotes,
cendante. La plupart des entreprises gardent leurs le P�DG a laissé libre chaque membre de son équipe
alignements fonctionnels intacts et ajoutent des de direction de mettre en œuvre le programme
équipes et des processus de travail transversaux dans tous les sites d’une région géographique parti-
pour conduire le changement. C’est dans ce but que culière, sachant que les cadres devraient trouver
de nombreuses entreprises que nous avons étudiées des alliances avec leurs pairs de façon innovante. Le
ont mis en place une équipe centrale dédiée à la directeur financier, par exemple, pouvait avoir pour
conduite du changement, avec à sa tête un cadre mission de garder un œil sur les améliorations in-
dirigeant pour concevoir et appliquer le tout et veil- terfonctionnelles dans la région de Philadelphie et
ler à ce que l’organisation s’affranchisse des préjugés de prendre en charge la résolution de tous les
fonctionnels qui ont historiquement bloqué le chan- problèmes y survenant, y compris ceux de nature
gement. Ces rôles ont tendance à ne pas être perma- purement opérationnelle. Et bien que la société ait
nents : en effet, le succès implique en fin de compte déjà établi un modèle pour son premier site pilote,
un changement de culture tel que même les rôles ne cela créait une émulation avec les autres équipes

66 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


aujourd’hui. Pour l’entreprise de télécommunica-
tions axée sur l’installation de nouveaux produits,
cela signifiait tenir le commercial, le technicien, le
centre d’appels et les agents chargés du back-office
pour responsables d’une mise en service sans pro-
blème et d’une haute satisfaction client à la fin du
processus, au lieu d’exiger simplement un transfert
jusqu’au prochain point de contact. Pour la com-

pagnie d’énergie, cela signifiait


mettre en place de nouvelles mesures transfonc-
implantées dans d’autres endroits, poussant ces der- tionnelles destinées à faciliter le travail de chaque
nières à adapter le modèle en se l’appropriant et en employé de première ligne chargé de procéder aux
tentant de surpasser les résultats obtenus par le site changements d’adresse (par exemple, l’enregistre-
pilote d’origine. Les équipes au contact des clients ment sans erreur des informations nécessaires en
ont été autorisées à tester sans relâche de nouvelles aval par les agents du centre d’appels). Disney est
idées que leurs cadres dirigeants pouvaient alors connu pour construire toute sa culture de parcs à
promouvoir auprès du reste de l’entreprise. thème autour de l’expérience qu’ils vont faire vivre
Revenons au cas de la compagnie d’énergie. Le à leurs « hôtes » : dès l’entretien d’embauche, il éva-
champ d’application a été élargi à cinq parcours lue chaque membre des équipes en contact direct
clients cruciaux, un membre de l’équipe de direc- avec les clients pour ses capacités à satisfaire les
tion chapeautant chaque initiative et réalisant des demandes de la clientèle. Une grande banque de
revues hebdomadaires auprès des parties prenantes détail a commencé aussi à exiger que chaque
de chaque fonction. Quant à l’opérateur de télécom- membre de son équipe dirigeante et que chaque
munications intégrées, son équipe de direction a membre de son conseil d’administration appelle
créé un nouveau rôle permanent, en redéployant les tous les mois cinq clients s’étant plaints des services
cadres supérieurs des fonctions en silos pour les de la société qu’ils dirigent : une façon simple mais
nommer « managers de chaîne » chargés de la sur- efficace d’obliger le management à ne pas perdre de
veillance de parcours clients spécifiques, tels que vue les problèmes d’expériences clients.
l’approvisionnement de câbles en fibre optique. Il a
créé des « war rooms » d’où les managers de chaîne OPTIMISER UN SEUL PARCOURS CLIENT relève de la
pouvaient surveiller les initiatives prises et rencon- tactique ; faire bouger les processus, la culture et
trer les équipes fonctionnelles impliquées. Ainsi, le les mentalités d’une organisation pour qu’elle
programme a été porté par la production d’idées s’oriente vers cette notion de parcours est straté-
transversales et ascendantes, mais il gardait son élan gique et relève du changement. Les transforma-
À PROPOS
tout en restant ciblé car il bénéficiait d’un encadre- tions qui sont fondées sur le parcours client ne sont DES AUTEURS
ment et d’une coordination descendants. pas faciles à mettre en place, et elles peuvent Au moment de la
Une fois leurs nouvelles structures de manage- prendre des années à s’améliorer. Mais la récom- rédaction de cet article,
les auteurs occupaient
ment en place, les entreprises doivent identifier les pense est une plus grande satisfaction des clients et les fonctions suivantes:
bons paramètres et créer les systèmes de mesure et des salariés, une augmentation des recettes et une
Alex Rawson et Ewan
de motivation appropriés pour soutenir l’accent baisse des coûts. Permettre à un client de vivre une
Duncan sont partenaires
mis sur les parcours clients. Même si une entreprise expérience réussie provoque un changement du bureau de Seattle
utilise déjà un système de mesure étendu de la sa- opérationnel et culturel qui engage toutes les (Etats-Unis) de McKinsey
et Conor Jones est
tisfaction client, privilégiant les parcours clients fonctions à tous les niveaux hiérarchiques d’une partenaire du bureau de
aux points de contact, cela nécessite généralement organisation, générant l’enthousiasme et l’innova- Dublin (Irlande).
des mesures adaptées à chaque parcours, pouvant tion et mettant l’accent sur l’amélioration en La version originale de
être utilisées pour maintenir les fonctions et les continu. Cela crée une culture qu’il est difficile de cet article a été publiée
en septembre 2013
employés concernés responsables du parachève- construire autrement, et les entreprises qui y dans l’édition américaine
ment du parcours. Très peu d’entreprises font cela parviennent en tirent un avantage concurrentiel. de HBR.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 67


PARCOURS
CLIENT: FAIRE
MIEUX QUE SES
CONCURRENTS
Il vous faut créer plus de valeur à chaque étape.
Par David C. Edelman et Marc Singer.
Illustration: Gérard Dubois

68 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 69
PARCOURS CLIENT : FAIRE MIEUX QUE SES CONCURRENTS

L ’envolée des technologies numériques au


cours des dix dernières années a doté les
consommateurs d’un véritable pouvoir, et ces
derniers ont développé une telle maîtrise de l’utili-
sation des outils et des informations à leur disposi-
tion qu’ils peuvent dicter leur loi, allant dénicher
ce qu’ils veulent au moment où ils le veulent pour
se le faire livrer à domicile au prix le plus bas.
Face à cela, la distribution et les prestataires de fluide, s’appuyant sur une gestion innovante des
services se sont empressés de développer des ou- données relatives au potentiel solaire de chaque
tils de collecte et d’analyse du big data afin de com- résidence ou entreprise. Sungevity rend ce par-
prendre leurs clients et de reprendre tant bien que cours si attractif que, une fois les clients engagés,
mal le contrôle de la situation. En grande partie, les beaucoup d’entre eux n’accordent pas la moindre
entreprises ont agi en réaction face à leurs clients, considération à ses concurrents.
cherchant à anticiper la prochaine action et à se L’un des auteurs de cet article (David C. Edel-
positionner sur la trajectoire des consommateurs, man) a personnellement vécu l’expérience du par-
alors que ceux-ci avançaient dans leur parcours cours Sungevity. Le processus a débuté lorsqu’il a
décisionnel allant de la considération à l’achat. reçu un message d’une campagne e-mailing dont le
Aujourd’hui, grâce à l’exploitation de technolo- sujet était : « Ouvrez cet e-mail afin de découvrir les
gies, de processus et de structures organisation- économies que peut faire la famille Edelman sur
nelles émergentes, les entreprises rétablissent son budget énergétique grâce à des panneaux so-
l’équilibre des forces et créent une valeur nouvelle, laires. » Le corps du message contenait une URL
aussi bien pour les marques que pour les acheteurs. unique qui menait à une image Google Earth de la
Au cœur de cette évolution se trouve une nouvelle maison de David avec des panneaux solaires en
manière de penser : au lieu de se contenter de réa- surimpression sur le toit. Le clic suivant l’a ensuite
gir aux parcours que les consommateurs tracent dirigé sur une page présentant les calculs person-
eux-mêmes, les entreprises façonnent ces trajec- nalisés des économies réalisables à partir des esti-
toires, les guident au lieu de les suivre. Les spécia- mations de Sungevity concernant la consommation
listes du marketing gèrent de plus en plus ces par- de la famille, l’angle d’inclinaison du toit, la pré-
cours, au même titre qu’ils le feraient pour sence d’arbres à proximité et le potentiel de pro-
n’importe quel produit. Les parcours deviennent duction d’énergie des 23 panneaux que le toit était
ainsi un aspect central de l’expérience client a priori en mesure d’accueillir.
concernant une marque – aussi importants que les Un autre clic a connecté David en direct, via le
produits eux-mêmes dans l’avantage concurrentiel bureau de son ordinateur, à un commercial qui
qu’ils sont susceptibles d’apporter. visionnait les mêmes pages que lui. Le commercial
Considérons la manière dont une entreprise a répondu de manière très pointue à ses questions
basée à Oakland, Sungevity, se positionne face à ses et lui a envoyé immédiatement des liens vers des
concurrents à partir de sa capacité à façonner un tel vidéos qui détaillaient le processus d’installation
parcours. A première vue, Sungevity est un simple et les aspects économiques comparés du leasing et
fournisseur de panneaux solaires résidentiels. Mais de l’achat. Deux jours plus tard, Sungevity a en-
à y regarder de plus près, il apparaît que l’activité voyé un e-mail à David, dans lequel figuraient les
de l’entreprise consiste à gérer de bout en bout un noms et les coordonnées de propriétaires du voisi-
processus de vente et d’installation personnalisé nage qui utilisaient son système et avaient accepté
coordonnant le travail de tout un écosystème d’en- de servir de référence. Après s’être renseigné au-
treprises qui viennent fournir, financer, installer et près d’eux, David s’est de nouveau rendu sur le site
entretenir ces panneaux. Le « produit » de Sunge- de Sungevity, où un simple clic l’a mis en contact
vity est un parcours client numérique entièrement avec un commercial qui savait exactement à quel

70 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


L'I D É E E N B R E F
LE PROBLÈME LA SOLUTION LA STRATÉGIE
Les outils numériques ont placé Les entreprises peuvent utiliser les Les meilleurs parcours se caractérisent
le gouvernail entre les mains nouvelles technologies, ainsi que par l’automatisation, la personnalisation,
des consommateurs, en leur de nouveaux processus et de nouvelles l’interaction contextuelle et une
permettant d’étudier et de structures organisationnelles, afin de innovation continue. Pour accomplir
comparer les produits, de passer reprendre la main de manière proactive cela, les entreprises doivent considérer
leurs commandes et de les faire au lieu de se contenter de suivre les et gérer ces parcours comme des
livrer à domicile avec une grande clients dans leur parcours numérique. produits à part entière, construits et
facilité. Les vendeurs ont En faisant de ce parcours une expérience portés par une équipe multidisciplinaire
essentiellement agi en réaction, attractive, personnalisée, à durée puisant dans diverses fonctions,
se débrouillant pour se positionner indéterminée, les entreprises peuvent elle-même sous la direction d’un
là où les clients sont susceptibles séduire les acheteurs, gagner leur fidélité manager responsable des performances
de les trouver. et obtenir un avantage concurrentiel. économiques du parcours.

point du parcours il se trouvait, et qui avait pré- Devenir proactif


paré un crédit-bail adapté à son profil. Le commer- Dans le cadre de son activité de conseil marketing
cial le lui a envoyé et l’a revu point par point avec et commercial, McKinsey a consacré plus de six ans
David, qui l’a ensuite signé électroniquement. Lors à l’étude des « parcours de décision des consomma-
de sa visite suivante sur le site Web, la page sur teurs ». L’expression (telle qu’elle est présentée
laquelle atterrissait David avait changé et présen- dans l’article « Branding in the Digital Age », HBR
tait maintenant l’avancement de l’obtention des édition américaine, décembre 2010) décrit dans les
permis pour l’installation, avec de nouvelles grandes lignes le cheminement d’un individu de-
alertes l’informant des progrès en la matière. Au- puis le moment où il considère un produit ou un
jourd’hui, en tant que client Sungevity, David re- service jusqu’à celui où il passe à l’achat puis s’at-
çoit régulièrement des rapports faisant état de la tache à une marque. Plus spécifiquement, l’expres-
production d’énergie de ses panneaux et des éco- sion peut faire référence à la séquence d’interac-
nomies qui en résultent, ainsi que des conseils tions dans laquelle les consommateurs sont
pour maîtriser sa consommation à partir des carac- impliqués avant de parvenir à un but particulier
téristiques de son foyer. – par exemple, transférer ses services TV�Internet-
Depuis la prise de contact initiale jusqu’à l’ins- téléphone à une nouvelle adresse, ou même décou-
tallation et la gestion en continu des panneaux de vrir et acheter le bon mascara. Nombre d’entre-
David, Sungevity a personnalisé et automatisé prises ont acquis les compétences requises afin de
chaque étape du parcours, en rendant les choses si comprendre le parcours que suivent leurs clients et
simples – et si évidentes – lorsqu’il s’agissait de d’optimiser leur expérience à divers points de
passer à l’étape suivante que David n’a jamais réel- contact individuels en cours de route. Les entre-
lement pris en considération d’autres fournisseurs. prises plus sophistiquées ont repensé leur fonc-
Au fond, l’entreprise a reconfiguré le modèle clas- tionnement opérationnel et leur organisation afin
sique du parcours de prise de décision du consom- d’étayer des parcours intégrés (voir « La vérité sur
mateur en réduisant l’éventail considéré à une l’expérience client », HBR France, octobre-no-
seule marque, ce qui épure d’autant la phase d’éva- vembre 2016). Dans l’ensemble, les entreprises se
luation, et en amenant David directement dans une sont surtout montrées réactives, en améliorant
« boucle de fidélité » qui l’engage dans une relation l’efficacité de parcours existants ou en identifiant
monogame, pour une période indéfinie, avec l’en- et en résolvant les difficultés qui les ponctuaient
treprise (voir l’encadré « Rationaliser le parcours de éventuellement.
décision »). La stratégie parcours de Sungevity Aujourd’hui, nous assistons à une évolution
fonctionne. Ses ventes ont doublé entre 2014 et majeure de la stratégie, depuis un mode essentiel-
2015 pour dépasser les 65 millions de dollars, bien lement réactif jusqu’à une démarche résolument
au-delà des objectifs de croissance de l’entreprise, proactive. Qu’il s’agisse du secteur de la grande dis-
ce qui fait de Sungevity l’acteur le plus florissant du tribution, des services bancaires, du voyage, des
secteur du solaire résidentiel. services à domicile ou d’autres secteurs encore, les

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 71


PARCOURS CLIENT : FAIRE MIEUX QUE SES CONCURRENTS

entreprises conçoivent et affinent les parcours afin Quatre capacités clés


d’attirer les prospects et les retenir, à travers une Les entreprises qui élaborent les parcours les plus
expérience personnalisée si ajustée que les efficaces maîtrisent quatre capacités reliées entre
consommateurs, une fois engagés sur une trajec- elles : l’automatisation, la personnalisation proac-
toire, sont irrésistiblement et définitivement em- tive, l’interaction contextuelle et l’innovation dans
portés. Contrairement aux stratégies coercitives le parcours. Chacune augmente le pouvoir de ré-
que les entreprises utilisaient il y a de cela une di- tention du parcours – qui a alors plus de chances
zaine d’années (repensez aux contrats de services d’attirer et de capter des clients de façon durable.
de téléphonie mobile), ces parcours hyperaffinés Si ces capacités s’appuient sur des outils informa-
sont couronnés de succès parce qu’ils proposent tiques sophistiqués (voir l’encadré « Les technolo-
une valeur nouvelle aux clients : ces derniers gies des nouveaux parcours clients »), elles dé-
restent parce que c’est le parcours lui-même qui pendent tout autant d’une réflexion conceptuelle
leur apporte un bénéfice. créative et de nouvelles approches managériales,
Notre expérience de conseil auprès de plus de comme nous le verrons ultérieurement.
50  entreprises en matière d’architecture, d’infra– L’automatisation. Elle implique la numérisa-
structure et de structure organisationnelle rela- tion et la rationalisation de certaines étapes du par-
tives à ces parcours, notre travail de fond avec des cours qui étaient jusqu’alors gérées manuellement.
dizaines de directeurs chargé du digital et plus Considérons par exemple le processus analogue
d’une centaine de dirigeants d’entreprises numé- consistant à déposer un chèque sur son compte,
riques à travers le monde, et nos travaux de re- qui nécessitait auparavant de se rendre à la banque
cherche impliquant plus de 200 entreprises en ou à un guichet automatique. Avec l’automatisa-
matière de bonnes pratiques dans le développe- tion numérique, il suffit maintenant de photogra-
ment de capacités numériques nous ont permis phier le chèque avec son smartphone et de le dépo-
d’être les témoins directs de cette évolution. Et si ser par le biais d’une application. De même, étudier
nous en sommes encore aux premières heures, divers modèles, acheter et organiser la livraison,
nous sommes convaincus que la capacité à façon- disons, d’une nouvelle télévision, peut maintenant
ner les parcours clients deviendra un axe décisif s’effectuer d’une seule traite à travers un processus
d’avantage concurrentiel. numérique. En permettant aux consommateurs
d’accomplir diverses actions du parcours, aupara-
vant complexes, rapidement et facilement, l’auto-
matisation constitue la base essentielle de tout
parcours de rétention. Cela peut sembler de prime
RATIONALISER LE PARCOURS DE DÉCISION abord évident, mais ce n’est que récemment que les
entreprises ont commencé à construire des plate-
DÉPART DU
PARCOURS formes d’automatisation solides expressément
CLASSIQUE destinées à valoriser ces parcours. Et les consom-
CONSIDÉRER
mateurs voient d’emblée qui s’en sort le mieux.
ÉVALUER Une automatisation de pointe, tout en étant d’un
DÉPART DU
NOUVEAU niveau technique très élevé, relève d’un certain art,
PARCOURS
BOUCLE DE FIDELITÉ en ce qu’elle transforme des opérations secon-
S’ATTACHER CONSIDÉRER daires complexes et fastidieuses en expériences de
RECOMMANDER première ligne simples et attrayantes, s’appuyant
APPRÉCIER ACHETER de plus en plus sur des applications.
Considérons par exemple la manière dont So-
LE PARCOURS CLASSIQUE LE NOUVEAU PARCOURS nos, une société de systèmes audio intelligents et
Dans le parcours classique, les Le nouveau parcours réduit l’étape connectés, automatise sa configuration. Avant, le
consommateurs se lancent dans une de considération et raccourcit, voire processus impliquait d’installer des fils à travers
phase de considération et d’évaluation élimine, l’étape d’évaluation, pour toute la maison, de relier les enceintes à un ordina-
assez longue avant d’entrer dans la mener directement les clients à la teur et de créer des comptes séparés en ligne au-
boucle de fidélité ou d’enchaîner boucle de fidélité et les y verrouiller.
près des fournisseurs de musique. Sonos a rationa-
avec un nouveau cycle de considé-
ration et d’évaluation qui mènera lisé la configuration avec des enceintes sans fils (il
éventuellement à l’achat suivant, suffit d’appuyer sur un bouton pour les connecter)
peut-être auprès d’une autre marque. et une appli qui récupère les sources de streaming

72 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


Les technologies des nouveaux parcours clients
A l’origine de la montée en puissance particulier redéfini la manière dont les d’exploiter des montagnes de données
de tels parcours compétitifs, on trouve entreprises interagissent avec leurs clients. clients et de prévoir des comportements.
l’émergence de nouvelles technologies 1- Une capacité de connexion en continu. Pega et d’autres outils similaires permettent
de programmation, d’accès aux données Les produits intelligents connectés créent pour leur part la mise en œuvre d’une
et d’interfaces utilisateurs qui permettent un lien permanent entre le client et communication cohérente et personnalisée
un suivi des comportements clients l’entreprise, apportant à celle-ci un flux sur un ensemble de supports différents.
et une personnalisation sans précédent. continu de données concernant la manière Enfin, Adobe et d’autres sociétés proposent
Les outils d’attribution, par exemple, dont les individus utilisent les produits, des outils de gestion et d’exécution
peuvent révéler quels supports influencent ce qui aide les entreprises à les de flux plus complexes.
le plus fortement les décisions des personnaliser et à les améliorer – par 3- Une adoption généralisée des
consommateurs et mènent à un achat. exemple, en résolvant les problèmes interfaces de programmation.
D’autres technologies peuvent discerner ou en ajoutant des fonctionnalités. Les interfaces de programmation
quand et pourquoi les clients changent de 2- Des outils de gestion et d’analyse du des applications permettent à des
support ou d’appareil tandis qu’ils font du nouveau parcours client. ClickFox et applications très diverses, y compris celles
shopping ; les programmes peuvent alors d’autres systèmes similaires suivent le de différentes entreprises, de communiquer.
proposer en conséquence des messages comportement client sur divers points de Ces interfaces existent depuis un moment,
personnalisés qui suivent les prospects. contact en ligne et hors ligne, ce qui aide les mais les entreprises commencent seulement
Les outils de conception d’interfaces entreprises à cartographier et à optimiser à les adopter pour construire des parcours
permettent à une application mobile ou à les parcours. Des plateformes telles que clients interentreprises intégrés. C’est
un site Web de changer de fonctionnalité Cloudera permettent aux entreprises par exemple cet outil qui permet à l’appli
ou d’apparence en fonction de l’étape du d’analyser des données non structurées, de gestion des déplacements de Delta Air
parcours dans laquelle se trouve le client. tandis que des logiciels d’apprentissage Lines de mettre ses clients en relation
Trois développements majeurs ont en machine tels que �R� sont capables avec Uber sans le moindre accroc.

en quelques mouvements du bout des doigts, et l’utilisation du produit) dans le but de créer une
permet notamment aux utilisateurs de sélection- représentation unique et globale de ce que font les
ner leur musique, de contrôler le volume et de clients et de ce qui en résulte. Ceci permet d’appré-
choisir quel morceau jouer dans quelle pièce – le hender en temps réel leurs comportements (et
tout depuis un appareil mobile. d’isoler, en fait, des moments où l’entreprise peut
La personnalisation proactive. En tirant influencer ce parcours), ce qui permet l’envoi de
parti de leur capacité d’automatisation, les entre- messages ou le déclenchement de fonctionnalités
prises doivent rassembler les informations recueil- personnalisées (par exemple, l’insc ription
lies soit depuis des interactions réalisées par le immédiate d’un passager important sur une liste de
passé avec un client, soit depuis des sources exis- surclassement). Le distributeur Kenneth Cole re-
tantes, et les utiliser afin de personnaliser en ins- configure les éléments de son site Web en fonction
tantané l’expérience d’un client. Le moteur de re- des interactions du visiteur avec le site dans le
commandations d’Amazon et les algorithmes temps : certaines personnes voient plus d’avis
intelligents de commandes répétées (qui savent concernant le produit, tandis que d’autres voient
quelle encre il vous faut pour votre imprimante) en plus d’images, de vidéos ou d’offres spéciales. L’al-
sont des exemples bien connus. Mais savoir se sou- gorithme de l’entreprise apprend constamment
venir des préférences d’un client n’est qu’un début : quel contenu et quelle configuration marchent le
la capacité de personnalisation s’étend à l’optimisa- mieux pour chaque visiteur et présente en consé-
tion des étapes suivantes de son parcours. Au mo- quence une version adaptée du site en temps réel.
ment où un client entre en jeu (par exemple, en Makeup Genius, appli de la marque L’Oréal,
répondant à un message ou en lançant une appli), pousse ces capacités encore plus loin en permet-
l’entreprise doit analyser son comportement et tant aux clientes d’essayer du maquillage virtuelle-
ajuster les interactions qui s’ensuivent en consé- ment et en leur proposant des réponses toujours
quence. Des entreprises telles que Pega et ClickFox plus personnalisées en temps réel. L’appli photo-
(où McKinsey a pris des parts) proposent des appli- graphie le visage de la cliente, analyse plus de
cations qui suivent les clients transversalement, 60 caractéristiques, puis affiche des images mon-
c’est-à-dire sur plusieurs canaux, afin d’agréger les trant la manière dont différents produits et nuances
données issues de plusieurs sources (comme l’his- de teintes permettent d’obtenir un certain rendu.
torique de navigation et de transactions ou bien Les clientes peuvent sélectionner un look qui leur

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 73


PARCOURS CLIENT : FAIRE MIEUX QUE SES CONCURRENTS

plaît et commander instantanément le bon assorti- moment-là. Par exemple, l’appli d’une compagnie
ment de produits en ligne ou en magasin. Comme aérienne peut afficher votre carte d’embarquement
l’appli suit la manière dont la cliente l’utilise et ce alors que vous arrivez à l’aéroport, et un site de
qu’elle achète, elle assimile aussi ses préférences, en vente peut vous donner le dernier état de suivi de
tire certaines déductions en se basant sur les choix votre commande au moment où vous vous rendez
de clientes au profil similaire, et ajuste ainsi sa ré- sur la page d’accueil.
ponse. L’Oréal a créé une expérience agréable qui Des versions plus sophistiquées permettent une
accompagne rapidement et avec une grande fluidité série d’interactions qui façonnent encore plus fine-
la cliente tout au long de la trajectoire allant de la ment, tout en la renforçant, l’expérience client sur
considération à l’achat, et, à mesure que le degré de son parcours. La chaîne Starwood Hotels, par
personnalisation augmente, vers la boucle de fidé- exemple, a lancé une appli qui envoie un message
lité (voir l’encadré « Avec Makeup Genius (L’Oréal), texte au client lui indiquant le numéro de sa
les clientes reviennent – et achètent encore »). Déjà chambre lorsqu’il franchit le seuil de l’hôtel, l’enre-
forte de 14 millions d’utilisatrices, l’appli est deve- gistre en scannant l’empreinte digitale de son pouce
nue un atout majeur pour la marque, tant comme sur son smartphone et, alors qu’il s’approche de sa
canal interagissant avec les clientes qu’en tuyau chambre, transforme son téléphone en clé virtuelle
bouillonnant d’informations continues sur la ma- qui ouvre la porte. L’appli envoie ensuite des re-
nière dont ces clientes interagissent avec la marque. commandations personnalisées, selon un timing
L’interaction contextuelle. Une autre capa- opportun, concernant les divertissements ou les
cité clé implique l’utilisation de la connaissance de options de dîners à sa disposition.
l’étape à laquelle se situe un client dans son L’innovation dans le parcours. L’innovation,
parcours, physiquement (il entre dans un hôtel) ou la dernière des quatre capacités nécessaires, pro-
virtuellement (il lit les avis concernant un produit), vient d’une démarche d’expérimentation continue
afin de l’amener à avancer dans les interactions qui et d’une analyse active des besoins des clients, des
suivent et dans lesquelles l’entreprise souhaiterait technologies et des services afin de déceler les op-
le voir s’engager. Ceci peut se traduire par la portunités de développer la relation avec le client.
modification de l’affichage d’un écran suite à une Au �inal, l’objectif est d’identi�ier de nouvelles
étape clé ou par l’arrivée d’un message pertinent sources de valeurs aussi bien pour l’entreprise que
déclenché par le contexte où se trouve le client à ce pour les consommateurs.

Avec l’appli L’Oréal, les clientes reviennent – et achètent encore


Appli de L’Oréal, Makeup Genius 1envoie
Une amie de Leah lui
permet à ses utilisatrices d’essayer par SMS un lien vers
virtuellement du maquillage. la nouvelle appli de L’Oréal,
Makeup Genius. Elle la
Elle a été téléchargée plus de télécharge sur sa tablette
14��millions de fois depuis son et son écran devient un
lancement en 2014 et a généré miroir qui lui renvoie son
reflet. Leah autorise l’appli
plus de 250 millions d’essais à scanner son visage.
de produits virtuels. En faisant en
sorte qu’essayer, partager et acheter 9 Leah apprécie la 8 Connaissant ses
devienne une expérience aussi simplicité et la praticité de préférences et ses achats
l’appli, elle devient une précédents, l’appli lui
fluide que plaisante, l’entreprise cliente fidèle et la suggère régulièrement
a déroulé un parcours au pouvoir recommande, en envoyant d’autres looks. Leah
de rétention très élevé qui vient des liens à un groupe continue de les essayer et
consolider la fidélité des clientes croissant d’amies qui d’acheter des produits.
partagent ses looks et ses
vis-à-vis des produits L’Oréal. conseils préférés.

74 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


Les meilleurs en la matière conçoivent des logi- naturellement avec les services de livraison de pro-
ciels de parcours permettant la réalisation de tests duits d’épicerie Peopod. La clé de ces parcours élar-
ouverts. Ils testent constamment une hypothèse A gis réside souvent dans l’intégration de divers pres-
contre une hypothèse B a�in de comparer diffé- tataires. Dans la mesure où cela accroît la valeur du
rentes versions d’un message ou d’une interface parcours, remettre (avec grand soin) les clients
afin de voir laquelle fonctionne le mieux. Ils éla- entre les mains d’une autre entreprise peut en fait
borent les prototypes de nouveaux services et ana- augmenter le pouvoir de rétention du parcours.
lysent les résultats dans le but non seulement
d’améliorer le parcours existant, mais aussi de le Mettre en pratique ces capacités
développer en ajoutant des étapes ou des fonction- Revenons sur le cas de Sungevity afin de voir com-
nalités utiles. Une innovation parcours peut être ment l’entreprise associe ces quatre capacités pour
aussi simple que le message des hôtels Starwood créer un parcours valorisé et évolutif.
proposant à leurs clients de passer une commande Depuis le premier contact avec le client jusqu’à
en room service après que ceux-ci ont utilisé leur l’installation et au-delà, Sungevity a automatisé la
clé, en se souvenant des commandes précédentes, plupart des étapes du parcours, y compris la
sur lesquelles se basent les premières options of- collecte et l’intégration des données clients, le
fertes. Ou cela peut être plus sophistiqué, et élargir calcul de la consommation d’énergie et la création
le périmètre du parcours en intégrant divers types d’une visualisation personnalisée des panneaux
de services qui s’enchaînent dans une même expé- sur le toit. Le point crucial, ici, est l’utilisation des
rience client. L’appli mobile de Delta Air Lines, par API (interface de programmation applicative) pour
exemple, est devenue un outil de gestion d’un dé- recueillir des données auprès d’autres fournis-
placement pour pratiquement tous les aspects d’un seurs tels que Google Earth et les services immobi-
voyage en avion, depuis la réservation jusqu’à liers Trulia, a�in de se faire une image du client.
l’embarquement, en passant par l’expression d’un L’analyse des données a permis une personnalisa-
avis sur les divertissements à bord puis la com- tion proactive qui ciblait David avec des informa-
mande d’un véhicule Uber à l’atterrissage. Kraft a tions sur mesure telles que le coût, les délais, ainsi
élargi son appli de recettes afin d’en faire un outil que le seuil de rentabilité et les économies esti-
de gestion des réserves d’aliments dans les foyers, mées, le tout disponible sur plusieurs supports,
qui génère une liste de courses se connectant tout dont les e-mails, le site Sungevity et les outils des

2 L’appli lui demande si


elle aimerait « essayer »
3lookElleafintapote sur chaque
de voir le rendu
4 Lorsqu’elle décide
d’acheter, plusieurs icônes
des produits individuels ou de ce dernier sur son lui permettent de choisir
un maquillage complet. propre visage. Un clic son distributeur. Elle
Elle choisit la deuxième supplémentaire lui montre choisit Amazon et passe
option et l’appli affiche les produits lui permettant sa commande.
instantanément une galerie de le réaliser.
de photos présentant
plusieurs modèles.

7 Elle considère une


photo d’elle-même avec ce
6 Quelques jours plus
tard, l’appli alerte Leah
5 Lorsque sa commande
arrive et qu’elle ouvre
look. L’appli lui indique les de l’arrivée d’un nouveau à nouveau l’appli,
produits supplémentaires style qu’elle pourrait celle-ci s’est proactivement
dont elle a besoin pour aimer, basant ses reconfigurée pour
ce rendu, elle achète du recommandations sur ses lui fournir des instructions
bout du doigt. préférences et celles sur la manière d’appliquer
d’utilisatrices aux goûts son maquillage.
similaires.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 75


PARCOURS CLIENT : FAIRE MIEUX QUE SES CONCURRENTS

Aujourd’hui, la portée d’une action


commerciale peut se limiter à un seul individu,
et la stratégie ne consiste pas simplement ration constante. Les entreprises ont également
besoin de nouvelles structures organisationnelles
à vendre un produit supplémentaire, mais et de nouvelles formes de management. Nous
à inviter les clients à entamer l’étape avons travaillé avec de nombreuses entreprises
suivante de leurs parcours personnalisé. digital natives, qui ont eu ce grand luxe de pouvoir
construire des organisations optimisées dès le dé-
part pour la création de parcours efficaces – et leurs
commerciaux. Les capacités d’interaction contex- expériences respectives sont riches de leçons pour
tuelle ont permis à Sungevity de proposer le bon les entreprises traditionnelles. Nous avons constaté
contenu sur le bon support pour chacune des que ces dernières ont plus de chances de réussir
interactions de David, utilisant ainsi des API pour lorsqu’elles se concentrent sur une sélection de
suivre l’installation des panneaux solaires par le parcours à forte valeur et mettent en place des
sous-traitant local de l’entreprise puis en affichant équipes dédiées pour les gérer, en allant puiser
régulièrement des mises à jour de cet avancement dans toutes les fonctions de l’entreprise.
sur la page qui accueillait David. Si nous avons pu voir nombre de modèles orga-
Sungevity poursuit toujours sur cette voie de nisationnels différents pour la gestion des parcours
l’innovation dans le parcours, en utilisant ce qu’elle (et une foule de fonctions pour les cadres impli-
sait de ses clients pour élargir le parcours à des ser- qués), ces modèles possèdent généralement une
vices de stockage et de maîtrise de l’énergie. Il n’y a structure similaire (voir l’encadré « La nouvelle or-
pas si longtemps, ce type d’activité aurait consisté ganisation de gestion du parcours client »).
en une vente de montée en gamme couvrant tout un A la tête de toutes les interactions de l’entre-
segment de clientèle, avec des argumentaires de prise avec ses clients se trouve généralement une
vente pour cette nouvelle offre. Aujourd’hui, la por- personne dans le rôle de directeur expérience
tée d’une action commerciale peut se limiter à un client (« chief experience officer »), un poste relati-
seul individu, et la stratégie ne consiste pas simple- vement récent dans les équipes dirigeantes. Les
ment à vendre un produit supplémentaire, mais directeurs du digital commencent eux aussi à avoir
aussi à inviter les clients à entamer l’étape suivante ce haut niveau de responsabilité. Ils ont habituelle-
de leurs parcours personnalisés. Avec des données ment sous leurs ordres un stratégiste dont la fonc-
aussi affinées sur les habitudes de consommation tion est centrée sur le parcours, qui oriente les déci-
énergétique de chaque foyer, Sungevity peut les sions quant aux investissements dans ces parcours
conseiller individuellement à ce sujet et leur recom- et aux segments sur lesquels se concentrer. Il, ou
mander un éventail de produits et de services les elle, définit les parcours prioritaires en termes de
aidant à réduire leur dépendance vis-à-vis du réseau développement numérique et décèle les opportu-
électrique et à faire des économies. A cette fin, l’en- nités d’en développer de nouveaux.
treprise va bientôt proposer des batteries du four- Au cœur de l’action se trouve un nouveau type
nisseur allemand Sonnenbatterie pour stocker le de manager, le responsable parcours client. Les
surplus d’électricité généré par les panneaux so- personnes qui jouent ce rôle (communément appe-
laires. Elle a aussi entrepris la création d’un tableau lées « responsables solution », « responsables expé-
de bord client destiné à suivre la production et l’uti- rience » ou « responsables segment  ») sont les admi-
lisation d’énergie. Au �inal, l’entreprise envisage nistrateurs de la création et de la gestion du
l’intégration de ses services dans les réseaux domo- parcours client. Ce sont eux qui ont la responsabi-
tiques qui peuvent automatiser la maîtrise de l’éner- lité �inale des performances du parcours et le
gie (en ajustant, par exemple, les lumières et le gèrent comme ils géreraient n’importe quel pro-
chauffage) en fonction de règles décisionnelles que duit. Et comme tout responsable produit, ils sont
Sungevity développera avec chaque client. Un autre évalués selon un certain nombre de critères mesu-
projet consiste en la création de communautés de rables, dont le retour sur investissement du par-
clients attachés à la préservation des ressources. cours (voir l’encadré «Les responsables parcours
client ont des comptes à rendre »).
Un nouveau type de manager Selon les priorités stratégiques de l’entreprise
Une excellente maîtrise des technologies est néces- (augmenter sa part de marché, accroître son chiffre
saire mais insuffisante lorsqu’il s’agit de concevoir d’affaires, améliorer la satisfaction des clients, par
des parcours capables de rivaliser avec la concur- exemple), ils envisagent diverses manières de dé-
rence et s’inscrivant dans une démarche d’amélio- velopper et d’optimiser les parcours dont ils ont la

76 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


La nouvelle organisation de gestion
du parcours client
LES MEMBRES DE L’ÉQUIPE �SCRUM�
DIRECTEUR EXPÉRIENCE LES DESIGNERS conceptualisent l’apparence
CLIENT / DIRECTEUR DU visuelle et l’ambiance du parcours, et modélisent
DIGITAL les interfaces utilisateurs.
LES DÉVELOPPEURS construisent les programmes
des applis, des sites Web et des étapes automatisées
du parcours.
RESPONSABLE RESPONSABLE STRATÉGISTE LES ANALYSTES DE DONNÉES suivent les interactions
PRODUIT PARCOURS PARCOURS clients et épluchent les données afin de comprendre
CLIENT les comportements individuels et de mesurer
l’incidence de modifications des variables du
parcours.
LES MANAGERS OPÉRATIONNELS supervisent
le fonctionnement des opérations de second plan
ÉQUIPE SCRUM ÉQUIPE SCRUM ÉQUIPE SCRUM pour chaque phase du parcours, de la supply chain
aux ventes en passant par les services clients.
LES SPÉCIALISTES MARKETING apportent leur
connaissance du client et s’assurent que la charte
de la marque est bien reprise à travers l’ensemble
du parcours – par exemple, dans tous les
aspects de ciblage et de personnalisation.

Les membres des équipes


CONCEPT DÉVELOPPEMENT ANALYSES OPÉRATIONS MARKETING scrum gardent un lien
organisationnel avec leurs
fonctions respectives.

responsabilité, d’augmenter leur pouvoir de réten- questions telles que « Quel type de fonctionnalités,
tion, de s’associer à de nouveaux partenaires, d’affichage, d’ambiance et de message propulsera
d’écarter la concurrence et de réduire les coûts, le client à l’étape suivante ? » ou « Comment le ti-
particulièrement à travers la digitalisation des pro- ming des propositions affecte-t-il les réactions des
cessus manuels. D’un point de vue purement opé- clients ? ». Dans leur quête de réponses à ce genre
rationnel, c’est à eux qu’il revient de comprendre la de question, les équipes se lancent dans des séries
manière dont les clients évoluent dans le parcours, de développement et testent des prototypes itéra-
de déceler les comportements clients inhabituels tifs de parcours numériques ; elles analysent les
(comme le contournement ou l’abandon à un point données opérationnelles et celles relatives à l’utili-
de contact crucial) et de discerner ce qui attire les sation client, puis mesurent l’impact sur le client
clients – ou les rebute. de chaque amélioration apportée au parcours.
Pour construire des parcours qui fonctionnent, Nordstrom est l’une des entreprises qui ont
ces managers peuvent compter sur des équipes de utilisé la méthode des équipes scrum. Afin d’enri-
développement que l’on appelle équipes « scrum », chir le parcours autour de l’achat de lunettes de
qui rassemblent des spécialistes dans les domaines soleil, par exemple, l’équipe a temporairement
informatiques, analytiques, opérationnels, marke- « planté sa tente » dans l’un des magasins phares
ting ou autres. Ces équipes sont axées sur l’exécu- du distributeur et a lancé une série d’expériences
tion, elles sont rapides et agiles, enchaînent les d’une durée d’une semaine a�in de parfaire une
tests et les améliorations. Leurs membres tra- nouvelle appli. Celle-ci avait été envisagée comme
vaillent collectivement à la compréhension des un outil destiné à guider les clients dans le proces-
souhaits et des besoins des clients à chaque étape sus de sélection en associant des styles de lunettes
du parcours et font en sorte que s’engager dans de soleil aux traits de leur visage et à leurs préfé-
l’étape suivante en vaille la peine. Ils posent des rences. Sur le terrain, directement dans le magasin,

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 77


PARCOURS CLIENT : FAIRE MIEUX QUE SES CONCURRENTS

les membres de l’équipe ont élaboré des maquettes repas. Ceci crée des opportunités de construire
papier de l’appli et ont étudié la manière dont la tout un éventail de services qui aident les clients à
clientèle tapotait dessus comme si elle utilisait une profiter au maximum de cet équipement.
version réelle. Tout au long de ce processus, ils ont Même si l’entreprise possédait une expérience de
demandé aux clients quels aspects de l’appli leur longue date en matière de conception et de design
semblaient utiles, superflus ou même gênants. A produit, lorsqu’elle a commencé à inclure un aspect
partir de ces retours, les codeurs de l’équipe ont connectivité dans ses produits, les dirigeants se sont
programmé une version live de l’appli qu’ils ont rendu compte qu’ils en savaient finalement assez
soumise aux clients à titre d’essai, en faisant des peu en matière de création de services venant valo-
ajustements en temps réel au fur et à mesure qu’ils riser ces produits. Admettant alors qu’il faudrait une
recevaient davantage de retours. Après une nouvelle structure afin de concevoir et de gérer de
semaine d’améliorations, ils ont diffusé l’appli sur tels services, l’entreprise a mis sur pied une équipe
les tablettes des vendeurs du magasin, qui l’ont innovation-expérience internationale, sous la hou-
alors utilisée avec les clients a�in de les aider à lette d’un manager chargé du développement de
choisir leurs lunettes. nouvelles activités, lui-même épaulé par un cadre
Il est courant que les responsables parcours conception de produit. Agissant de concert en tant
amènent leurs équipes de développement sur le que directeurs expérience client pour les nouveaux
terrain (comme l’a fait Nordstrom) ou les ras- services envisagés, ces cadres supervisent toutes les
semblent dans un même lieu de travail, souvent initiatives de l’entreprise en termes de produits
appelé « war room », où s’engagent alors de véri- connectés et dirigent les responsables parcours (ou
tables courses à la conception, durant lesquelles « leaders innovation ») chargés de ces projets.
les équipes présentent de nouvelles trajectoires de Le responsable parcours du robot cuiseur avait
parcours ainsi que leurs caractéristiques, puis pour tâche la création des divers services associés
développent, testent et ajustent des prototypes. (aide pour la planification, l’achat des ingrédients et
Les expériences peuvent être centrées sur n’im- la préparation des repas) et l’élaboration des par-
porte quel aspect, allant de la maquette de la page cours qui permettraient de se les procurer concrète-
sur laquelle arrive le client à l’élaboration de ment. Fort de son équipe scrum de concepteurs, de
conversations en direct avec les commerciaux, en programmeurs, de managers opérationnels et de
passant par l’optimisation des processus opéra- spécialistes marketing, le responsable a dirigé le dé-
tionnels ou l’amélioration de la « fluidité de l’expé- veloppement d’un service qui fournit des recettes à
rience » (ou comment le client avance d’une étape travers l’appli du robot, suit l’historique de ce que
du parcours à une autre). cuisine le client et personnalise ensuite ses sugges-
Si les meilleurs responsables parcours tra- tions dans le temps. L’équipe développe maintenant
vaillent ainsi afin d’affiner en continu les parcours une appli de planification des menus de la semaine
existants, ils n’en perdent pas pour autant de vue et s’est associée avec des acteurs du secteur agroali-
une perspective plus large, à travers l’introduction mentaire afin de créer des recettes et de proposer des
d’innovations à plus grande échelle qui étendent coupons de réduction pour certains ingrédients clés.
le parcours et augmentent sa valeur et son pouvoir Au bout du compte, l’équipe prévoit de fédérer une
de rétention. Considérons ainsi l’un de nos clients, communauté de clients dont les membres créeraient
un fabricant international de biens électroniques, et partageraient leurs propres recettes.
qui développe et commercialise un nouveau robot A�in d’accomplir tout cela, l’équipe épluche
cuiseur. Le produit dispose de compartiments toutes les données récupérées à travers l’appli : le
programmables qui peuvent être pilotés depuis pourcentage de clients l’ayant téléchargée, le nombre
une appli, ce qui permet aux clients de préparer de personnes qui s’inscrivent, comment (et à quelle
simultanément plusieurs parties d’un même fréquence) ils l’utilisent, les variations dans l’utilisa-
tion du robot cuiseur et dans le type de repas en
fonction de la localisation géographique, et, pour
Il est courant que les responsables parcours ceux qui ont cessé d’utiliser l’appli, le moment où ils
amènent leurs équipes de développement l’ont quittée. Ces données permettent à l’équipe d’af-

sur le terrain (comme l’a fait Nordstrom) ou finer la navigation et les messages, ainsi que les idées
de repas et les avantages incitant les clients à rester
les rassemblent dans un même lieu de travail, impliqués dans l’interaction. Les analystes, à un ni-
souvent appelé «�war room�». veau de perspective plus large, se concentrent sur

78 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


Les responsables parcours client ont des comptes à rendre
Tout comme le management de produit traditionnel dépend du suivi méticuleux de critères mesurables
choisis avec pertinence, la gestion du parcours client nécessite le suivi d’éléments chiffrés –�généraux
ou spécialisés – qui jaugent les progrès et les performances. Outre qu’ils fournissent toute une série
d’informations en termes d’investissements et de ROI du parcours, les bons critères chiffrés sont des garants
de la responsabilité.
Les responsables parcours client doivent installateurs), les performances de ces pourcentage de ceux ayant téléchargé
être capables de répondre à des questions protagonistes doivent être suivies et l’appli mobile, et parmi ceux-ci le
d’ordre financier : que pouvons-nous nous mesurées afin qu’eux aussi puissent être pourcentage qui ont embarqué sur le
permettre d’investir dans le développement tenus pour responsables. D’autres critères nouveau vol sans aide directe. Elle évalue
de parcours ? Quels revenus ou ventes chiffrés devraient en outre mesurer le ROI aussi le pourcentage de ceux ayant fourni un
supplémentaires nous faudra-t-il générer ? du parcours en calculant les coûts numéro de téléphone mobile ou une adresse
Quel coût variable par client ou par action permanents relatifs à la réalisation du e-mail et, parmi ceux-ci, le pourcentage
avons-nous les moyens de financer ? Il leur parcours, le chiffre d’affaires et les profits ayant ouvert le message leur notifiant
faut aussi évaluer la satisfaction client sur qu’il génère, et l’impact des innovations la réservation sur un nouveau vol et, dans
l’ensemble du parcours et lors d’interactions continuellement apportées au parcours. ce sous-groupe, le pourcentage ayant
à des points de contact spécifiques. Une compagnie aérienne avec laquelle embarqué sans aide. De plus, la compagnie
Dans la mesure où différents points nous travaillons mesure son efficacité aérienne calcule le pourcentage
de contact peuvent être pris en charge à aider ses clients à se diriger dans de passagers ayant pris le premier vol
par différents partenaires ou fonctions le parcours leur permettant de faire une de remplacement qui leur a été proposé.
(par exemple, la vente d’un appareil nouvelle réservation et de reprendre L’équipe analyse tous ces chiffres
électroménager peut impliquer leur voyage lorsqu’un vol est annulé. pour différents niveaux de voyageurs
l’intermédiaire d’un magasin affilié, La compagnie rassemble une abondance fréquents et de tranches tarifaires, afin
un commercial d’un centre d’appels, de données sur les clients ayant une d’optimiser les coûts et les revenus associés
des établissements de crédit et des nouvelle réservation, y compris le à ce parcours pour chaque client.

des segments ciblés de la base utilisateurs, en se fo- l’entreprise développe maintenant des parcours
calisant par exemple sur différents pays pour com- axés sur les services pour des produits de soins de
prendre les variations dans les habitudes alimen- santé à domicile ou de gestion domotique.
taires. Ce suivi peut aller jusqu’au niveau de
l’individu et révéler le type de recettes qu’une cliente REPENSER le parcours client pour le considérer comme
donnée essaie, la fréquence à laquelle elle utilise son un produit entraîne un changement majeur dans la
robot cuiseur et l’appli, et quelles fonctionnalités de manière dont les investissements produits sont défi-
l’appli elle utilise – tout cela permettant des innova- nis, priorisés, financés et mesurés. Les entreprises
tions et une personnalisation continue du parcours. tendent de plus en plus à se focaliser sur la manière
À PROPOS
Passer de la vente de produits à la gestion d’un dont un investissement améliore l’équation écono- DES AUTEURS
parcours client permanent nécessite, pour toutes les mique consistant à procurer des produits et des par- Au moment de la
entreprises qui souhaitent rester compétitives, la cours à un segment de clientèle – et à quel point cela rédaction de cet article,
les auteurs occupaient
maîtrise des quatre capacités : l’automatisation (ici, renforce son engagement – au lieu de se contenter de
les fonctions suivantes:
la capacité de piloter le robot depuis une appli), la voir en quoi il pousse les ventes ou réduit les coûts.
personnalisation (proposer des recettes particu- Pour les entreprises quelque peu éloignées des tran- David C. Edelman
est l’un des dirigeants
lières), l’interaction contextuelle (changer l’inter- sactions clients, comme les fabricants de biens de monde de l’activité de
face de l’appli quand les clients passent de l’achat consommation et les entreprises B to B, ceci requiert conseil en marketing et
ventes digitales de
des ingrédients à la préparation du repas) et l’inno- en particulier l’acquisition de compétences et de McKinsey & Company.
vation dans le parcours (ajout de nouvelles recettes, structures radicalement nouvelles afin de recueillir Marc Singer est le
possibilités d’achat en ligne et communauté). et d’analyser les données clients, d’interagir avec directeur monde de
l’activité de conseil en
A travers le perfectionnement de ces capacités, eux et de se focaliser sur un concept d’expérience engagement client de
l’entreprise a fait de ce parcours continu une partie allant de pair avec le concept de création de produit. McKinsey & Company.
intégrante de la marque au même titre que le Aujourd’hui, les marques leaders doivent leur suc- La version originale
produit lui-même – et une source de valeur tout cès non seulement à la qualité et à la valeur de ce de cet article a été
publiée en novembre 2015
aussi importante. En s’appuyant sur sa nouvelle qu’elles vendent, mais aussi à la supériorité des dans l’édition
structure managériale centrée sur le parcours, parcours qu’elles proposent. américaine de HBR.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 79


POUR GARDER
VOS CLIENTS…
FAITES SIMPLE�!
Ils ne veulent pas être «�en relation�» avec vous.
Contentez-vous de les aider à faire les bons choix.
Par Patrick Spenner et Karen Freeman.
Illustrations: Sébastien Plassard

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 81


POUR GARDER VOS CLIENTS… FAITES SIMPLE !

elon les professionnels du mar- La stratégie de référencement de la marque A est


keting, les consommateurs de capter tous les consommateurs qui tapent les
d’aujourd’hui seraient des mots clés habituels comme « appareils photo numé-
�iltres à données webo- riques » dans leur moteur de recherche et de les
philes équipés de télépho- orienter vers le site de leur entreprise, où ils vont
nes mobiles qui se jettent sur n’im- trouver les caractéristiques et les informations tech-
porte quelle marque ou n’importe niques détaillées ainsi que des photos des produits
quel magasin leur faisant la qu’ils peuvent examiner à 360 degrés, le tout pou-
meilleure offre. On entend vant être regroupé et trié par modèle. Dans les maga-
dire aussi que la fidélité à la sins, les étiquettes sur les linéaires résument les ca-
marque est en train de dis- ractéristiques techniques essentielles, comme le
paraître. Pour y remédier, nombre de mégapixels et la mémoire, et comportent
les entreprises ont intensi- un QR  Code qui invite les  consommateurs à se
�ié leur communication, connecter à une version mobile du site Internet de la
en espérant que plus elles marque, où ils peuvent consulter les spécifications
privilégieraient l’interaction détaillées du produit de  manière approfondie.
et l’information, plus leurs La stratégie de référencement de la marque B
chances seraient grandes de gar- consiste à comprendre d’abord ce qui pousse la
der captifs des clients devenus de plus consommatrice à acheter et à déterminer à quelle
en plus distraits et  volages. Or, pour de nombreux phase du processus de recherche elle est suscep-
consommateurs, l’accroissement du volume des tible de se situer. Pourquoi recherche-t-elle un ap-
messages marketing n’est pas dynamisant mais bel pareil photo ? Commence-t-elle juste par jeter un
et bien étouffant. Plutôt qu’attirer à eux les clients, coup d’œil ou est-elle prête à acheter ? La société
les professionnels du marketing se les mettent à guide les consommateurs qui n’en sont qu’aux pré-
dos en s’acharnant à les solliciter sans répit et à mices de leurs recherches vers des sites d’évalua-
tort et à travers. tion tiers (où ses appareils photo ont de bonnes
C’est l’une des principales conclusions issues appréciations) et  renvoie ceux d’entre eux qui sont
des nombreuses enquêtes réalisées par la société des acheteurs actifs vers son propre site Internet.
Corporate Executive Board auprès de plus de Les avis et notes donnés par les utilisateurs re-
7 000  consommateurs, et d’entretiens menés avec vêtent une importance essentielle dans ce cas, et
des centaines de responsables marketing et autres un outil de navigation permet aux consommateurs
experts du monde entier (voir l’encadré « Le projet de trouver rapidement les avis pertinents au regard
de recherche »). Dans notre étude, nous nous de l’usage qu’ils comptent faire de l’appareil photo
sommes concentrés sur ce qui permet de faire des (portraits de famille ou photos de vacances, photo-
consommateurs des « �idèles à toute épreuve », graphies de la nature, d’événements sportifs, etc.).
c’est-à-dire des personnes susceptibles d’acheter Dans les magasins, la marque  B n’utilise pas de
le produit comme prévu, mais aussi de le racheter termes techniques pour décrire les caractéristiques
à plusieurs reprises et de le recommander à autrui. de ses appareils. Au lieu de mettre l’accent sur les
Nous avons étudié l’impact de plus de quarante mégapixels et la capacité de mémoire, par exemple,
variables sur cette fidélité indéfectible, y compris elle précise le nombre de photos haute résolution
le prix, les perceptions que les consommateurs ont que sa carte mémoire peut contenir. Le QR  Code
d’une marque et la fréquence à laquelle ils intera- figurant sur les étiquettes des linéaires renvoie à
gissent avec elle. Le principal facteur d’une fidélité une simple application qui donne un aperçu de l’un
à toute épreuve était, de loin, « la simplicité de des facteurs clés de différenciation de l’appareil
décision », c’est-à-dire la facilité avec laquelle les photo : sa fonction de retouche photo.
consommateurs peuvent recueillir des informa- Les informations très détaillées que la marque A
tions fiables au sujet d’un produit et évaluer effica- fournit à chaque étape du parcours d’achat peuvent
cement et  en toute confiance leurs options avant permettre au consommateur de se faire une idée des
d’acheter. Ce que les consommateurs attendent performances d’un appareil photo donné, mais cela
des professionnels du marketing est, tout simple- ne rend pas pour autant sa décision aisée. La marque
ment, la simplicité. B lui mâche le travail en lui apportant des informa-
Penchons-nous sur les stratégies marketing de tions fiables adaptées à ses propres besoins, ce qui
deux marques d’appareils photo numériques. l’aide dans son parcours d’achat et lui permet de

82 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


L'I D É E E N B R E F

Pour de nombreux consommateurs, l’accroissement du volume des messages marketing


est étouffant. Plutôt que d’attirer à eux les clients, les responsables marketing se les mettent
à dos en s’acharnant à les solliciter sans répit, et à tort et à travers.
Pour que la fidélité des clients Les experts utilisent 2- Ils offrent des outils
soit à toute épreuve, c’est-à-dire trois tactiques. aux consommateurs
pour que ces derniers achètent 1- Ils réduisent le nombre pour évaluer leurs options
le produit comme prévu, le rachètent des sources d’information en identifiant les caractéristiques
à plusieurs reprises et le recommandent que les consommateurs qui sont les plus pertinentes
à autrui, les spécialistes du marketing doivent solliciter au fur et pour eux.
doivent simplifier la décision des à mesure qu’ils se convainquent 3- Ils fournissent des sources
consommateurs et les aider à naviguer de la pertinence de leur futur achat. fiables d’informations produits
dans leur parcours d’achat. et de recommandations.

prendre sa décision rapidement et en toute à construire une relation de confiance et à simpli-


confiance. Notre recherche montre que les clients �ier l’évaluation de différentes options sont sou-
qui étudient l’offre des deux marques vont proba- vent concomitantes, ou du moins elles ne sont pas
blement être plus radicalement fidèles à la marque  B. strictement linéaires, mais, pour être plus clairs,
nous les aborderons séparément dans les para-
Simplifier le processus décisionnel graphes suivants.
Qu’est-ce qu’un service marketing doit faire pour Faciliter la navigation. En exigeant une at-
fidéliser durablement les consommateurs ? tention accrue de la part de consommateurs hyper-
Notre étude a révélé que le meilleur outil pour sollicités, les marques finissent par rendre leur pro-
mesurer la fidélité des consommateurs est « l’indice cessus d’achat inutilement confus. Pour rendre ce
de simplicité de décision », qui permet d’évaluer le dernier plus efficace, il faut réduire le nombre de
degré de facilité selon lequel des consommateurs sources d’information auxquelles les consomma-
peuvent recueillir et comprendre (ou se repérer teurs ont recours avant d’acheter en toute
dans) les informations communiquées sur une con�iance. Les marques les plus malignes y par-
marque, mais aussi avoir confiance dans ces infor- viennent en personnalisant l’itinéraire de
mations et comment ils peuvent peser le pour et le navigation.
contre avant d’acheter. Plus une marque facilite le Les experts en marketing ne sont pas du tout
parcours d’achat d’un consommateur, plus son familiers de ce type d’approche, car, dans de nom-
score, sur l’échelle de la simplicité de décision, est breux cas, le chemin d’apprentissage le plus simple
élevé. Dans notre étude, les marques qui se sont et le plus rassurant passe par des points de contact
classées dans le quart supérieur avaient 86% plus qui échappent au contrôle direct d’une marque.
de chances d’être achetées par les consommateurs Souvent, ce dont le consommateur a besoin, ce
qui les avaient évaluées que celles situées dans le n’est pas d’une expérience interactive tape-à-l’œil
quart inférieur. Les probabilités d’être rachetées sur le microsite d’une marque mais d’un échange
étaient également 9% plus élevées et celles d’être approfondi avec les utilisateurs sur les avantages et
recommandées à d’autres 115% plus fortes. les inconvénients du produit et la façon dont il
Changer d’orientation pour simpli�ier la déci- s’intégrerait dans son quotidien.
sion et aider les consommateurs à acheter en toute Les professionnels du marketing sont ici
con�iance est une transformation profonde, qui confrontés à deux défis pratiques. Tout d’abord,
exige généralement des responsables marketing de comment peuvent-ils détecter à quel stade du pro-
faire fonctionner autrement leurs méninges et de cessus d’achat se situe un consommateur lambda
revoir leurs façons de communiquer. Certaines et de quelles informations a-t-il le plus besoin ?
marques sont à l’avant-garde sur le sujet, et l’on Deuxièmement, comment peuvent-ils s’assurer
peut en tirer quelques enseignements pratiques. que les consommateurs qu’ils orientent vers des
Les démarches consistant à faciliter la navigation, sources d’information tierces reviendront ?

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 83


POUR GARDER VOS CLIENTS… FAITES SIMPLE !

EN
ANALYSANT Pour répondre à la première question, les pro- teurs automobiles, distributeurs ou voyagistes ont
LES MOTS fessionnels du marketing les plus audacieux uti- passé au crible les informations recherchées par les
lisent le big data et des méthodes d’analyse sophis- consommateurs sur le Net pour déterminer ce que
CLÉS DE tiquées pour cartographier les parcours d’achat des les mots clés de recherche et le type de plateforme
RECHERCHE, consommateurs. Une société spécialisée dans de recherche (par exemple, à partir d’un mobile ou

LES FIRMES l’électronique a recueilli des données auprès de


quatre sources principales : le suivi des médias so-
d’un ordinateur) utilisés apprennent des intentions
des consommateurs et de leur positionnement sur
PEUVENT ciaux, le feed-back sur les campagnes publicitaires le parcours d’achat. Ils ont constaté, par exemple,
SAVOIR et l’efficacité des publicités, l’analyse des flux de que 70% des personnes se servant d’un appareil
clics et les enquêtes de consommation indivi- mobile pour faire leurs recherches réalisent leurs
QUELLES duelles pour identifier les parcours d’achat com- achats quelques heures plus tard, tandis que 70%
SONT LES muns. Elle étudie les cartographies obtenues pour de ceux qui utilisent un ordinateur ne le font

INFOS DONT déterminer le volume de trafic issu des différents


parcours, définir lequel inspire le plus de confiance,
qu’une semaine plus tard.
De plus, en analysant les mots clés de recherche,
LE CLIENT quels points de contact sont les mieux adaptés les entreprises peuvent savoir quelles sont les
AURA LE pour transmettre tel ou tel type de message, et à
quels moments les consommateurs perdent
informations dont le consommateur aura le plus
besoin ensuite. Quelqu’un qui entre le terme géné-
PLUS BESOIN confiance ou décrochent. rique de « berlines de luxe » en est à un stade
ENSUITE. Les marques qui ont fait le choix de stratégies précoce par rapport à quelqu’un qui cherche une
simplifiant la décision tirent pleinement parti de expression spécifique comme « BMW par rapport à
ces informations pour savoir où les consomma- Audi ». Les professionnels du marketing qui privi-
teurs en sont dans leur parcours et les diriger vers légient la simplicité de décision guideraient le pre-
les meilleurs points de contact. Certains construc- mier consommateur vers les dernières critiques

84 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


automobiles de leurs berlines. Quant au second, ils décision d’un internaute donnant des conseils et
l’enverraient plutôt vers une communauté de pro- sur l’utilisation de la marque.
priétaires automobiles enthousiastes. Si le consom- A quoi ressemblent des conseils �iables ? Pre-
mateur déjà avancé dans ses recherches utilisait un nons l’exemple des vidéos post-shopping, phéno-
appareil mobile (indiquant qu’il était probablement mène actuellement très fréquent chez les adoles-
déjà en repérage à l’extérieur), le moteur de re- centes. Après avoir fait du shopping dans un centre
cherche lui proposerait certainement un lien payé commercial, de nombreuses filles publient des vi-
par un concessionnaire le redirigeant sur sa page de déos sur YouTube les montrant en train de parler
localisation, avec une fonction d’appel par simple de leurs emplettes. Dans les vidéos, elles parlent
clic lui permettant de prendre facilement un ren- non seulement de ce qu’elles ont acheté, mais
dez-vous pour un essai sur route. aussi des raisons pour lesquelles elles ont acheté
Construire un lien de confiance. En matière ces produits et comment elles comptent les combi-
de simplicité de décision, la « confiance » n’est pas ner avec le reste de leur garde-robe. Le monde
celle qu’on place dans la marque mais bien plutôt complexe de l’habillement et des accessoires pour
celle accordée aux informations recueillies. Les adolescentes, cet univers où les risques de change-
professionnels du marketing passent souvent à ments de tendances sont élevés et les possibilités
côté de ce point et mettent tous leurs efforts dans de choix illimitées, s’en trouve simplifié, grâce à la
l’activation des prescripteurs de la marque, qui se mise en avant d’adolescentes aux looks tendance
concentrent seulement sur les caractéristiques et et de conseils en ligne dignes de con�iance. En
les avantages du produit. Les consommateurs ont substance, celui ou celle qui poste la vidéo de son
également besoin d’informations sur les critères de shopping réduit les options dans cet océan de choix

Ce que les consommateurs veulent vraiment


Les entreprises se trompent LES RAISONS RÉELLES LES CROYANCES
largement sur ce que les DES CONSOMMATEURS DES ENTREPRISES
consommateurs attendent qui les poussent à interagir avec
les entreprises via leurs sites sur
sur ce qui incite les consommateurs
à les suivre sur leurs
d’elles sur Internet. En les réseaux sociaux. sites via les réseaux sociaux.
particulier, les responsables
���%� PROMOTIONS DÉCOUVRIR DE NOUVEAUX
marketing imaginent souvent PRODUITS ���%�
que les consommateurs ���%� ACHAT
INFORMATIONS GÉNÉRALES ���%�
interagissent avec eux sur ���%� AVIS ET CLASSEMENTS
DE PRODUITS DONNER LEUR AVIS SUR LES
les réseaux sociaux pour PRODUITS�SERVICES ACTUELS
rejoindre une communauté ���%� INFORMATIONS ���%�
GÉNÉRALES
et se sentir connectés à INFORMATIONS EXCLUSIVES ���%�
���%� INFORMATIONS
la marque. Mais entretenir AVIS ET CLASSEMENTS DE
SOURCE: INSTITUT IBM DE RECHERCHE EN VALEUR COMMERCIALE

EXCLUSIVES
PRODUITS ���%�
un lien au-delà de la seule ���%� DÉCOUVRIR DE
dimension transactionnelle NOUVEAUX PRODUITS SE SENTIR CONNECTÉS ���%�
ne suscite que peu d’intérêt ���%� DONNER LEUR AVIS SUR SERVICE CLIENTS ���%�
LES PRODUITS�SERVICES ACTUELS
chez les consommateurs. SOUMETTRE DES IDÉES DE
Ils se connectent en ligne ���%� SERVICE CLIENTS NOUVEAUX PRODUITS�SERVICES
���%�
principalement pour ���%� PARTICIPATION À DES
FAIRE PARTIE D’UNE
ÉVÉNEMENTS
obtenir des informations, COMMUNAUTÉ ���%�
���%� SE SENTIR CONNECTÉS
des promotions et acheter PARTICIPER À DES ÉVÉNEMENTS
des produits. ���%� SOUMETTRE DES IDÉES DE ���%�
NOUVEAUX PRODUITS�SERVICES
ACHAT ���%�
���%� FAIRE PARTIE D’UNE
COMMUNAUTÉ PROMOTIONS ���%�

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 85


POUR GARDER VOS CLIENTS… FAITES SIMPLE !

Un trop-plein d’informations peut s’avérer paralysant


Une des réactions les plus courantes des Les consommateurs se disent submergés. ment�». Les recherches menées par Aner Sela
consommateurs face à un trop-plein Une étude de 2004 du cabinet Yankelovich (université de Floride) et Jonah Berger
d’informations est de renoncer à l’achat. Dans révèle que les deux tiers des répondants (Wharton) montrent que plus une décision est
le cadre d’une expérience menée par Sheena se sentaient «�constamment assaillis par un difficile à prendre, plus on imagine qu’elle est
Iyengar, actuellement professeure à la excès d’informations marketing et publici- importante. Pour des consommateurs tentant
Columbia Business School dans le cadre de taires�». Dix ans plus tard, ce bombardement de faire un choix parmi des produits mal
son doctorat, des pots de confiture avaient d’informations n’a fait que s’amplifier. différenciés, comme les appareils photo
été disposés sur des étalages dans des L’implication pour les professionnels du numériques, la difficulté pour se repérer
supermarchés en groupes de 6 ou 24. Environ marketing est claire�: solliciter de manière parmi les options renforce le caractère
30% des consommateurs auxquels on avait agressive les cerveaux déjà saturés des important de la décision. Cela pousse les
soumis 6 choix ont acheté de la confiture�; consommateurs peut se retourner contre eux. gens à passer plus de temps et à consacrer
seulement 3% de ceux à qui on en avait Mais les centaines de responsables marketing plus d’effort à la prise de décision, ce qui
proposé 24 ont fait de même. Comme le que nous avons interrogés nous ont dit que augmente encore son importance apparente.
démontre le psychologue Barry Schwartz leurs stratégies étaient expressément Une décision d’achat banale peut donc
dans son livre «�The Paradox of Choice�», un conçues pour intensifier les interactions et devenir d’une complexité disproportionnée
excès d’informations provoque angoisse, approfondir les relations. et chronophage, et la démarche ne rend pas
indécision, regret, et, en définitive, la La propension des humains à suranalyser les consommateurs plus heureux. Ainsi,
satisfaction liée à l’achat comme aux produits des décisions banales constitue un facteur 41% de ceux que nous avons interrogés nous
s’en trouve diminuée. Des dizaines d’autres aggravant. L’explosion des messages et des ont fait part d’inquiétudes concernant
rapports confirment ce qui semble relever du informations sur les produits alimente cette les achats qu’ils avaient fait, et 20% d’entre
bon sens�: un excès de choix ou d’informations tendance, dont l’une des conséquences est la eux ont poursuivi leurs investigations après
peut s’avérer paralysant. formation d’une «�spirale de mécontente- l’achat afin de valider leurs décisions.

apparemment infini et fournit des critères de déci- examinant son profil sur le site Internet de Disney
sion. Les sociétés JC Penney et American Eagle ont World, où elle parle de sa famille, de sa ville na-
capitalisé sur le phénomène en proposant à des tale, et même des circonstances de sa rencontre
acheteurs aux avis impartiaux qui postaient des avec son mari. Ces détails sont importants, car ils
vidéos de leur shopping de s’exprimer sur leurs aident les clients à évaluer la crédibilité des
propres sites et sur leurs supports de communica- conseils qu’ils reçoivent et leur permettent de ju-
tion digitale. Aucun de ces deux distributeurs ne ger dans quelle mesure cette recommandation
demande à ces « prescripteurs de tendance » de ne s’applique à leur propre cas.
montrer que les marques qu’ils ont achetées dans La leçon pour les professionnels du marketing :
leurs magasins, et les acheteurs ne dissimulent pas élaborez des groupes d’internautes donnant des
les liens qu’ils entretiennent avec les entreprises conseils dignes de confiance au lieu de développer
(JC Penney, par exemple, offre des cartes cadeaux un réseau de prescripteurs qui se contenteront de
à ses meilleurs acheteurs postant des vidéos). faire la promotion de la marque ; puis agrégez
Donner des informations sur la personne qui leurs conseils et facilitez leur découverte et leur
donne son avis contribue aussi à renforcer la utilisation par les consommateurs, comme JC Pen-
confiance. Disney a fait un travail remarquable à ney – dont les vidéos de shopping sont vues des
cet égard avec son « panel mondial de mamans centaines de milliers de fois – y parvient si
Walt Disney » (« Walt Disney World Moms Panel »). brillamment.
Un groupe composé de mères s’étant déjà rendues Faciliter l’évaluation des options. Pour aider
plusieurs fois à Disney World a répondu aux ques- les consommateurs à évaluer les options qui
tions posées par des clients potentiels qui envi- s’offrent à eux, la plupart des marques décrivent les
sagent de se rendre chez Disney pour des vacances. critères et les atouts qui les distinguent. Par
Dans un cas récent, une cliente a demandé des exemple, une banque peut constituer un catalogue
places offrant une bonne vue sur la parade ; elle des options de ses comptes chèques répertoriant
avait deux enfants qui ne pouvaient rester debout les caractéristiques de chacune d’entre elles.
tout le temps. Elle a ainsi pu bénéficier des avis sur Certaines font un pas de plus en proposant des
mesure de Jackie    S. Avec 25 voyages à Disney guides d’achat présentant des comparaisons entre
World, l’expérience de Jackie est considérée leurs marques et produits et ceux des concurrents.
comme suffisante pour faire d’elle une source d’in- Les deux approches fournissent un grand nombre
formations crédible. Les consommateurs peuvent d’informations, mais aucune d’entre elles n’offre
se faire une idée plus précise de son sérieux en beaucoup de conseils, laissant ainsi le consomma-

86 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


Le projet de
teur plus perplexe que jamais quant à ce qui consti- mations produits détaillées, mais il permet égale-
recherche
Pendant trois mois,
tue le « meilleur » choix. ment de réduire le champ des possibles et de faire
Corporate Executive
Les marques ont besoin de changer de tactique. un choix sur mesure en toute transparence, de fa- Board (CEB) a mené
Si l’on fait exception des produits de faible valeur, çon simple, étape par étape. Des questions avec des enquêtes pré-
les consommateurs consacrent de plus en plus de réponses en un clic sur la nature, la longueur et la et post-achat auprès de
temps à rechercher des informations et à évaluer texture des cheveux (raides, courts, fins, épais) et plus de 7�000 consom-
les avantages et les inconvénients avant de faire un autres besoins capillaires (coloration, volume) per- mateurs, aux Etats-Unis,
mettent au visiteur de trier plus d’une trentaine
au Royaume-Uni et en
choix. Pour les articles dont le prix dépasse 50 dol-
Australie, appartenant
lars, un quart des clients disent consacrer la plus de  références pour trouver le produit idéal. à des tranches d’âges,
grande part de leur énergie à la recherche d’infor- La technologie peut également aider les des milieux sociaux et
mations sur les produits. Environ 20% d’entre eux consommateurs à résoudre le problème insoluble des groupes ethniques
affirment qu’ils consacrent leurs efforts à faire des du choix en leur permettant de sauter cette étape. très différents. Des
recherches sur des  sites comparatifs. Les consommateurs se fieront probablement à des dizaines de questions
L’objectif d’un responsable marketing est d’ai- recommandations fondées sur les données d’achat
concernant leurs
habitudes et leurs
der les clients à avoir confiance dans le choix qu’ils qu’ils auront accumulées eux-mêmes ou bien sur expériences d’achat sur
font. Se contenter de fournir plus d’informations d’autres expériences passées, parce que ces élé- une large gamme
est souvent insuffisant. Au lieu de cela, les profes- ments constituent généralement des étalons de de prix, de circuits de
sionnels du marketing ont besoin de fournir aux mesure précise des préférences. ShoeDazzle.com distribution et de
clients des outils qui permettent à ces derniers et JustFab.com, des clubs pour fans de chaussures, catégories de produits
d’identi�ier et d’évaluer les caractéristiques qui collectent des informations sur chaque membre,
incluant vêtements,
voitures, produits
sont les plus pertinentes pour eux. Exemple clas- comme leurs icônes de mode préférées et  leurs
de luxe, articles non
sique, l’utilisation des « 4 C » – couleur, pureté, préférences générales en matière de chaussures récurrents (comme
taille, poids en carats (« color, clarity, cut, carat (taille du talon, couleur, etc.), et font des sugges- les billets d’avion, par
weight ») – du joaillier De Beers permet d’encadrer tions en conséquence. La banque espagnole BBVA exemple) et services
la comparaison complexe et souvent probléma- fait  des recommandations de produits financiers permanents (comme
tique des diamants. Les « 4 C » simplifient la déci- personnalisées après avoir étudié la typologie des
la téléphonie mobile)
ont été posées aux
sion d’achat des consommateurs, en leur donnant dépenses des clients, historiques de leurs cartes de
répondants.
l’assurance de prendre en compte les caractéris- crédit et questionnaires à l’appui, puis elle com- Les questions
tiques essentielles des diamants qu’ils envisagent pare leurs dépenses avec celles de leurs pairs. Dans portaient sur la durée
d’acquérir et donc de faire un choix éclairé. chaque cas, l’établissement élimine une grande du shopping, l’effort
Cependant, de nombreuses marques ont rendu partie sinon la totalité des difficultés liées à l’éva- consenti, les recherches
le procédé d’évaluation plus difficile en introdui- luation des options en fournissant le meilleur
liées à l’achat,
l’état d’esprit du
sant un nombre vertigineux de références. Le site choix dès le départ.
consommateur, la
Internet de Crest, par exemple, propose 35  types de relation avec la marque,
dentifrices. Bien que la consommatrice puisse les Savoir assembler le tout la fréquence des
trier en fonction de quelques caractéristiques Aucune des sociétés que nous connaissons n’a to- interactions
comme « saveur à découvrir », « élaboré avec des talement intégré les trois composantes d’une stra- avec la marque, et la
dentistes », « haleine fraîche », « classique », elle n’y tégie simplifiant la décision, mais la société améri-
probabilité de racheter
et de recommander
trouve que peu d’aide pour définir quelles sont les caine Intuit fait partie de celles qui ont une
le produit.
propriétés les plus importantes à ses yeux et quelle longueur d’avance en la matière (la société est pré- En outre, nous
pâte serait le meilleur choix pour elle. Les denti- sente en France, NDLR). Prenons l’exemple de son avons interviewé
frices « élaborés avec des dentistes » sont-ils plus logiciel TurboTax. Faire sa déclaration d’impôts 200��directeurs
béné�iques dans son cas que les dentifrices dits est complexe et les contribuables ont à leur dispo- marketing, brand
« classiques » ? L’erreur des guides d’achat de ce sition une gamme d’options allant de l’expert-
managers et autres
responsables marketing
type est de donner l’impression de fournir des comptable au logiciel informatique en passant par
représentant
conseils alors qu’ils compliquent en fait le  proces- le crayon et le papier. Rien que dans le domaine 125 marques grand
sus de décision. des logiciels, la palette de choix existante est ahu- public de 12 secteurs
Les professionnels du marketing, en particulier rissante. Intuit a fait un effort concerté pour sim- d’activité au niveau
ceux qui proposent une myriade de références, pli�ier ces choix en aidant les consommateurs à mondial pour
doivent aider les clients à maîtriser le processus naviguer, à agir en toute confiance et à évaluer les déterminer leurs
stratégies et convictions
d’évaluation. Herbal Essences fait un très bon tra- informations les menant jusqu’à l’achat, comme
concernant les facteurs
vail en proposant un guide de sélection en ligne nous le décrivons ci-dessous. « Nous avons de fidélisation.
pour ses shampooings. Le guide fournit des infor- constaté dans de nombreux cas que simplifier la

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 87


POUR GARDER VOS CLIENTS… FAITES SIMPLE !

trouver les plus pertinents pour eux. Les notes


vont de une à cinq étoiles et la publication des éva-
luations négatives renforce la con�iance des
consommateurs, car elle leur montre qu’Intuit ne
fait pas de censure en ne retenant que les com-
mentaires positifs. Les consommateurs peuvent
utiliser les paramètres de sélection « profils simi-
laires au vôtre » pour trier les évaluations selon le
statut matrimonial de leurs auteurs, leur niveau de
vie et les principales caractéristiques de leurs
foyers fiscaux. Ils peuvent trouver des avis rédigés
par des amis ou des membres de leur famille en se
connectant à Facebook ou à Twitter : TurboTax
encourage les clients à poster sur ces deux sites
quand ils ont déclaré leurs impôts, et ces posts re-
présentent en fin de compte des bannières de pu-
blicité vraiment dignes de con�iance car ils pro-
viennent des consommateurs eux-mêmes. Le taux
de conversion de ces publicités est de 30% plus
élevé que celui de la bannière publicitaire tradi-
tionnelle de TurboTax.
Evaluer les options. Sur la page d’accueil de
TurboTax, on trouve une gamme de produits
standards affichés côte à côte pour faciliter la com-
paraison. Une fonction « Aide au choix » permet aux
consommateurs de faire un exercice du type « co-
prise de décision des consommateurs rapporte très chez la case correspondante » qui dure trente se-
gros », explique Christine Morrison, chargée des condes. Cela les guide non seulement vers le pro-
médias sociaux chez TurboTax. AUTODIAGNOSTIC duit le plus adapté à leurs besoins, mais donne
Navigation. TurboTax a créé un forum pour Découvrez le parcours aussi les raisons pour lesquelles ce produit consti-
ses clients, appelé TurboTax Live Community, où simple ou complexe tue le meilleur choix. De plus, Intuit permet aux
qu’effectuent vos clients
les visiteurs peuvent poser des questions à propos pour prendre une décision consommateurs de filtrer les avis des utilisateurs
des produits et des impôts, demander de l’aide ou en consultant notre grâce à la méthode de déclaration fiscale prélimi-
partager des informations. Il contient une base de audit (en anglais) sur naire, pour que les consommateurs puissent
www.executiveboard.com/
données de réponses de clients et d’experts dont la simplicity consulter les informations que les internautes aux
pertinence est assurée par un algorithme qui fait profils de déclaration fiscale similaires aux leurs ont
apparaître les cinq réponses les plus fréquentes à laissées au sujet de l’adoption de TurboTax. Cela
une question donnée. Par exemple, sur la page leur permet de répondre à la question : « Qu’est-ce
consacrée aux hypothèques-déductions, un utili- que cela changerait si j’abandonnais la solution que
sateur trouvera des réponses aux questions de pla- j’utilise actuellement au profit de TurboTax ? »
fonds et de mode de calcul des déductions pour
l’achat d’une maison. Les utilisateurs de TurboTax À PROPOS COMPTE TENU du développement rapide des réseaux
ne paient pour le logiciel que lorsqu’ils déclarent DES AUTEURS sociaux et des technologies mobiles, les experts en
leurs impôts. TurboTax Live Community contribue Au moment de la marketing auront de plus en plus d’occasions de
rédaction de cet article,
ainsi à accroître le taux de conversion en accompa- les auteurs occupaient noyer les consommateurs sous les messages. Et si
gnant les consommateurs tout au long de la   prépa- les fonctions suivantes�: l’histoire a valeur de guide, c’est exactement ce
ration de leurs impôts jusqu’à la déclaration, en qu’ils feront. Mais vouloir créer un lien avec leurs
Patrick Spenner et Karen
fournissant la bonne information au moment Freeman sont directeurs clients de façon agressive ne fera que rendre la dé-
où  elle est nécessaire. A ce jour, plus de 12 millions généraux chez Corporate cision plus complexe et déroutante. Les marke-
Executive Board (CEB).
d’utilisateurs ont rejoint cette communauté. teurs qui cherchent à faciliter la décision des
Confiance. Intuit met en ligne plus de La version originale consommateurs tireront mieux leur épingle du jeu,
de cet article a été publiée
160 000 commentaires et évaluations non filtrés sur en mai 2012 dans l’édition et leurs clients leur témoigneront une �idélité à
le site de TurboTax et aide les consommateurs à américaine de HBR. toute épreuve.

88 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


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rectification, de suppression et d’opposition au traitement des informations vous concernant. Pour exercer ces
j’indique ci-dessous mon adresse mail : droits, il vous suffit de nous écrire en envoyant un e-mail ou un courrier à cil@prismamedia.com ou PRISMA
MEDIA, Le Correspondant Informatique et Libertés, 13, rue Henri Barbusse - 92230 Gennevilliers. Si vous
______________________@______________________ acceptez que ces informations soient transmises à des partenaires du Groupe Prisma Media, ceux-ci peuvent
être situés hors de l’Union Européenne.
EN QUOI
L’IDENTITÉ
SOCIALE DE
VOS CLIENTS
INFLUENCE
LEURS ACHATS
La façon dont les consommateurs
se perçoivent détermine leur
comportement. Or vous pouvez
agir sur leur perception.
Par Guy Champniss, Hugh N. Wilson
et Emma K. Macdonald.
Illustrations: Brett Ryder

90 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 91
EN QUOI L’IDENTITÉ SOCIALE DE VOS CLIENTS INFLUENCE LEURS ACHATS

P ourquoi les clients ne font-ils pas ce qu’ils


disent qu’ils vont faire�? Prenons l’exemple
du fabricant d’appareils électroménagers
Electrolux. S’appuyant sur le feed-back de
ses clients, il a pensé mettre gratuitement à leur
disposition des machines à laver et à ne leur
facturer que les lessives, grâce à l’intégration
d’une technologie intelligente dans ses appareils.
Lors des études de prélancement, les consomma- Certains comportements renforceront l’apparte-
teurs ont accueilli favorablement cette idée pour nance à tel ou tel groupe ; de même, certaines atti-
plusieurs raisons : les machines à laver n’impli- tudes trahiront le groupe. Ce n’est pas une coïnci-
quaient aucun coût d’acquisition initial, consom- dence si les personnes exerç ant la même
maient moins d’énergie, elles seraient mises aux profession, des athlètes accomplis, par exemple,
dernières normes gracieusement et pourraient être ou bien des dirigeants d’entreprise, ont tendance à
réparées rapidement et avec plus de précision grâce s’acheter les mêmes voitures ou à lire les mêmes
aux outils de diagnostic embarqués. C’était assuré- magazines. Quand il s’agit d’un achat, le groupe
ment la voie d’avenir pour la lessive. Pourtant, auquel vous vous identifiez au moment de l’acqui-
lorsqu’un essai fut mené en Suède, il n’y eut tout sition influence de façon majeure votre choix.
simplement aucune demande pour des lavages gra- Mais l’identité sociale d’un client, à un moment
tuits et le projet fut abandonné. donné, ne peut être facilement cernée au seul
Pour de nombreux professionnels du marketing, moyen de questions posées dans le cadre d’une en-
ce  genre de leçon montre ce qui se produit lorsque quête, que cela soit avant ou après l’achat. Des évo-
vous mettez les individus devant le fait accompli, lutions subtiles du contexte social peuvent à tout
autrement dit une décision déjà prise, plutôt que de moment modifier le groupe auquel nous nous iden-
leur soumettre une suggestion. Cela fait certes par- tifions, et ce de façon spectaculaire. En attendant
tie de l’explication, mais il y a un autre facteur ici à l’embarquement dans le lounge d’une compagnie
l’œuvre : l’identité sociale. aérienne, nous pouvons nous saisir d’un exemplaire
Les clients sont des animaux très sociaux, ap- de  Harvard Business Review , pas seulement pour
partenant à de nombreuses catégories, ayant cha- en lire le contenu, mais aussi, inconsciemment,
cune une identité bien définie. Vous pouvez vous pour mettre en avant notre identité de cadre perfor-
réclamer de la foi catholique, juive ou hindoue, mant. Toutefois, quelques propos fortuitement
être de citoyenneté américaine ou française, exer- échangés avec notre voisin sur la musique diffusée
cer le métier de professeur ou de musicien, et ainsi en arrière-fond pourraient tout aussi bien nous
de suite. Les individus ne s’identifient pas à tous pousser à choisir un magazine de musique pour sou-
leurs groupes d’appartenance en même temps, ligner que nous sommes un fan de rock.
bien sûr. Vous ne revendiquez probablement pas Cela permet de comprendre pourquoi l’expé-
votre statut de fan du PSG lorsque vous êtes à rience d’Electrolux s’est soldée par un échec. Le fait
l’église, pas plus que vous ne vous sentez particu- de répondre à des questions dans le cadre d’une
lièrement catholique quand vous assistez à un étude de consommateurs pourrait avoir favorisé
match de foot au Parc des Princes. l’éclosion d’une identité de « participant à une
Les identités sociales sont importantes aux étude de marché » chez les sondés, les amenant à
yeux des professionnels du marketing parce tenter d’évaluer au mieux le service proposé, de
qu’elles déterminent le comportement de chacun. façon objective et en faisant preuve d’ouverture

92 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


L'I D É E E N B R E F
LE PROBLÈME L’ANALYSE LE CONSEIL
Le comportement des clients s’avère Le groupe social auquel les clients L’étude de marché et l’élaboration de
souvent très différent de ce que prédit s’identifient influence leur façon de réagir l’expérience client doivent tenir compte
la recherche en marketing. quand ils se retrouvent face à un produit de l’identité sociale de ces derniers
ou à une marque. Des modifications et influencer leurs réactions en mettant
assez subtiles du contexte peuvent faire en avant une identité particulière, en
rapidement changer les individus redéfinissant ce que cela signifie de
d’identité sociale, et déclencher des posséder cette identité ou en trouvant
réactions radicalement différentes. un moyen de la changer. Les entreprises
peuvent également créer rapidement de
nouvelles identités qui inspireront les
comportements ciblés.

d’esprit (comportement approprié à cette identité).


Mais dans la vie réelle, son concept de machines à
laver s’est heurté à un autre aspect bien spécifique
de l’identité sociale : les familles de la classe
moyenne ne louent pas leurs appareils ménagers et
elles n’ont certainement pas besoin de payer leurs
lessives à l’unité, ce qui ressemblerait beaucoup
trop à ce qui se fait dans certains foyers à faibles
revenus, où l’on peut acheter son courant en met-
tant de la monnaie dans le compteur électrique.
Les consommateurs cibles ne voulaient pas que les
autres remettent en question leur statut de
membres de la classe moyenne.
Au cours des cinq dernières années, nous avons
étudié la façon dont l’identité sociale façonne le
comportement des clients, en travaillant avec des
organisations venant de secteurs aussi divers que
les biens de grande consommation, la distribution,
les services aux professionnels ou la philanthropie.
Comme nous le montrerons dans les pages qui
suivent, les entreprises peuvent influencer de fa-
çon subtile les identités sociales vers lesquelles les
clients se tournent. Et même favoriser l’émergence
de nouvelles identités sans trop de peine. Com-
mençons par examiner la dynamique de l’identité
sociale plus en détail.

Comment les identités


sociales évoluent
Nous avons tous une image de nous-mêmes ou une
idée de qui nous sommes ; cela s’appelle le concept
de soi. L’identité sociale est la partie de ce concept
qui découle de notre appartenance supposée à un
groupe. Nous pouvons scinder cette notion, plutôt
abstraite au demeurant, en deux composantes.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 93


EN QUOI L’IDENTITÉ SOCIALE DE VOS CLIENTS INFLUENCE LEURS ACHATS

Premièrement, nous nous rangeons naturellement On peut façonner de nouvelles identités sociales
dans certains groupes et pas dans d’autres. A tout assez facilement et assez vite, comme le montre
moment, ce que nous faisons et où nous sommes cette expérience de façon flagrante. Des chercheurs
nous relie à un de « nos » groupes. Lorsque nous fai- de  l’université de Lancaster, au Royaume-Uni, ont
sons du sport au club de gym, par exemple, nous recruté un certain nombre de supporters de
nous identifions plus volontiers au groupe de ceux l’équipe de Manchester United, en leur disant qu’ils
qui entretiennent leur forme physique plutôt qu’à voulaient savoir ce que cela signifiait d’être un fan
celui des amateurs de vin. de football. La moitié du groupe devait expliquer
Deuxièmement, il y a tout un ensemble de com- ce que cela signifiait d’être un fan de Manchester
portements que nous estimons compatibles avec un United, tandis que l’autre devait expliquer ce
groupe donné. Ainsi, au club de sport, nous achète- qu’être un passionné de football en général repré-
rons un Gatorade, pas uniquement pour son goût et sentait pour eux.
son apport nutritif, mais aussi (inconsciemment) Les supporters ont ensuite été amenés en petits
pour prouver que nous faisons partie de ceux qui groupes dans un autre lieu, où ils ont assisté à une
font attention à leur santé physique. Notre identité scène dans laquelle un homme tombait dans des
sociale nous aide à savoir comment agir dans un escaliers de façon accidentelle. C’est du moins ce
contexte donné, de manière à renforcer notre diffé- qu’on leur a laissé croire. En réalité, il s’agissait
rence et notre statut. d’une cascade réalisée par un professionnel. Dans
certains cas, celui-ci portait un maillot de Manches-

Un client de
ter United, dans d’autres, celui de l’équipe rivale,
Liverpool, et en�in, troisième option, une simple

supermarché peut
chemise. Les chercheurs ont voulu voir si l’apparte-
nance de la victime à un groupe en particulier in-
fluençait sa probabilité d’être aidée. Les résultats

avoir moult identités furent sans équivoque. Les individus que les cher-
cheurs avaient interrogés sur leur engouement pour

sociales –�le cuisinier Manchester United étaient beaucoup plus enclins à


aider une personne portant un maillot de Manches-

de la famille, celui qui ter United ou une simple chemise plutôt qu’un mail-
lot de Liverpool. Alors que ceux qui avaient évoqué

gère de près le budget,


leur passion pour le football en général accordaient
plus d’importance au fait que la victime portait un

un bon hôte. Tout cela


maillot (plutôt qu’une simple chemise) et beaucoup
moins au nom de l’équipe figurant dessus.

influence ses décisions.


Cette expérience a clairement démontré à quel
point notre identité sociale dépend du contexte, par
exemple de qui se trouve autour de nous et de ce qui
nous est dit. Nous pouvons concevoir l’éventail de
Des recherches récentes sur les raisons qui nos identités sociales comme des stations de radio ;
poussent certaines personnes à installer des pan- chacun d’entre nous cherche inconsciemment une
neaux solaires sur leurs maisons montrent bien fréquence jusqu’à trouver celle qui est en harmonie
comment cela fonctionne. Vous pourriez penser que avec ce que l’on est et avec notre environnement.
ce qui les motive au premier chef est leur volonté de Cette fréquence nous aide à comprendre le contexte
réduire leur facture d’énergie ou leur souci de proté- social de manière très claire. Nous ne pouvons sélec-
ger l’environnement. Mais il s’avère que le facteur le tionner qu’une fréquence à la fois, même si elles
plus déterminant est la proximité d’autres maisons émettent toutes au même moment. Mais en
équipées de panneaux solaires. Votre quartier repré- quelques instants, nous pouvons changer de station
sente une identité sociale puissante et il donne un et adopter une autre identité.
caractère particulier aux décisions que vous envisa-
gez de prendre concernant votre domicile. Si vous Gérer les identités sociales
voyez des panneaux solaires sur les maisons voi- Les implications pour les professionnels du marke-
sines, vous en arriverez peut-être à la conclusion ting sont évidentes. Si l’identité sociale façonne les
que vous devriez en faire de même. décisions, alors la stratégie marketing de l’entreprise

94 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


Les leçons à tirer de l’expérience
devrait encourager les clients à se couler dans une
de la prison de Stanford
identité qui les amène à visiter un site Web, entrer En 1971, Philip Zimbardo a réalisé ce qui est devenu l’une
dans un magasin, acheter un produit ou un service, des expériences les plus célèbres et les plus controversées
en tirer plus de valeur, en parler à d’autres et aider
de la psychologie. Pour cela, il a recruté des étudiants
à concevoir un meilleur produit.
pour participer à un jeu de rôles, à la demande de l’armée
La première étape est de déplacer le focus mis
habituellement sur les attitudes d’un individu vers
américaine, qui voulait comprendre les sources de conflit
les attitudes liées à sa conscience sociale. Une fois ce
entre les gardiens militaires et les prisonniers.
basculement fait, il devient plus facile de détermi- Zimbardo a assigné de manière aléatoire les rôles de garde ou de prisonnier
aux participants. A sa grande surprise, les deux groupes ont tenu leurs rôles
ner les identités que le consommateur pourrait être
avec enthousiasme�; non seulement les gardes sont devenus rapidement très
amené à sélectionner, au moment où il tombe sur autoritaires, mais les prisonniers (après une première rébellion) ont tout aussi
cette marque. Un client de supermarché peut par vite adopté des attitudes passives, presque impuissantes. En réalité, les façons
exemple endosser plusieurs identités sociales de de faire des gardes sont devenues tellement dures que l’expérience a été
manière intuitive et être à la fois le cuisinier de la brusquement interrompue, au bout de six jours seulement, par crainte que
famille, celui qui gère de près le budget, un bon hôte certains participants ne soient victimes d’un grave préjudice.
et ainsi de suite. Des interviews et d’autres tech-
Les commentateurs ont commencé par faire remarquer que l’expérience avait
démontré les effets pernicieux de la loi du plus fort (il faut se rappeler que le
niques de recherche vous aideront à découvrir les
mouvement des droits civiques faisait justement parler de lui à cette époque).
différentes identités qui pourraient influencer la Mais depuis, la recherche sur l’identité sociale suggère une interprétation plus
décision du consommateur que vous ciblez. subtile�: les personnes impliquées se sont comportées conformément à leurs
Mais des entretiens rétrospectifs ne révéleront identités sociales de garde ou de prisonnier nouvellement acquises.
pas l’identité qui a été choisie à ce moment-là. Pour Qui plus est, les membres du groupe ont essayé d’exceller dans ces nouvelles
le savoir, il est nécessaire d’observer les consomma- fonctions. Ainsi, dans le cas des gardes, les risques croissants d’attitudes
brutales, d’actes de torture ou de préjudice psychologique ont nécessité
teurs au fil du temps. Cela peut être fait en procé-
de mettre un terme à l’expérience.
dant littéralement à un marquage des clients pen- Autre leçon à tirer de cette expérience�: ces changements radicaux de compor-
dant leurs itinéraires ou grâce à la technologie. Dans tement sont survenus très rapidement et ont nécessité peu d’investissement de
certains secteurs, on peut obtenir des informations la part des étudiants pour y parvenir. Cela donne à penser que les individus sont
sur le contexte social à partir d’une analyse minu- prompts à trouver et à adopter de nouvelles identités sociales.
tieuse des messages déposés sur les réseaux so-
ciaux. Une autre option efficace consiste à faire du
tracking en temps réel. Cette approche consiste à
demander aux consommateurs de signaler par SMS clients quand ils sortaient avec des amis le soir, en
toutes les fois où ils rencontrent une certaine passant de  la publicité sur des panneaux d’affichage
marque (voir l’article « Mieux voir ses clients, en et en déployant une brigade, estampillée « Axe », de
temps réel », HBR n° 2, avril-mai 2014). jeunes femmes séduisantes parfumant les hommes
Unilever a utilisé le suivi en temps réel dans ses qui passaient à leur portée. La cible de consomma-
campagnes de marketing pour le déodorant Axe teurs était la même et le message inchangé, mais il
(baptisé Lynx dans certains pays). Ces publicités se était délivré dans un autre contexte, avec une autre
focalisent notamment sur la façon dont le produit identité sociale. Une fois que l’éventail des identi-
rend les jeunes hommes de son marché cible plus tés sociales possibles a été quadrillé, la stratégie
séduisants aux yeux du sexe opposé. Les respon- des professionnels du marketing devrait être d’at-
sables marketing ont d’abord été déconcertés de teindre l’un des objectifs suivants :
voir que les campagnes, qui remportaient tant de «�Augmenter la puissance du signal.� »
succès dans d’autres pays, ne fonctionnaient pas Quand les consommateurs s’identifient à un groupe
en Italie. La recherche en temps réel a mis en évi- social qui a une image positive bien définie, ils ont
dence le problème : en Italie, les jeunes hommes tendance à choisir des produits qui transmettent le
vivaient encore souvent chez leurs parents, de plus clairement l’idée d’une adhésion. Le marketing
sorte que, lorsqu’ils voyaient les publicités à la télé- de Toyota autour de son véhicule hybride Prius
vision, leur identité sociale était plutôt celle du montre comment y parvenir avec succès. En sep-
« bon �ils » plutôt que celle de « l’homme dispo- tembre 2014,  la Prius représentait plus de la moitié
nible ». Par conséquent, ils n’adhéraient pas au des hybrides vendus jusqu’à présent aux Etats-
message publicitaire, car ce dernier faisait réfé- Unis, et ses ventes cumulées dans ce pays étaient
rence à un comportement qui semblait inapproprié sept fois plus élevées que celles de sa concurrente la
devant la « mamma ». La solution a été de cibler ces plus proche, la Honda Civic.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 95


EN QUOI L’IDENTITÉ SOCIALE DE VOS CLIENTS INFLUENCE LEURS ACHATS

La principale différence entre les deux modèles gées d’être de parfaites ménagères, aux petits soins
est que la Prius est disponible uniquement en mo- pour leurs époux travaillant dur. L’entreprise a
torisation hybride et a un look radicalement diffé- donc modifié son approche. Au lieu de prétendre
rent de celui des voitures traditionnelles à essence que ce nouveau produit permettrait de réduire le
de Toyota. A contrario, le modèle hybride de Honda temps qu’il leur faut pour préparer un café, les
a été lancé dans le cadre d’une gamme qui compre- publicités ont insisté sur l’idée qu’il les aiderait à
nait aussi des voitures classiques du même type. servir un meilleur café, et qu’en outre il leur laisse-
Etre au volant d’une Prius signifiait donc forcément rait du temps pour accomplir d’autres tâches pour
que vous conduisiez une voiture hybride, alors que, leurs maris. Aussi dépassé et insultant que cela
pour la Honda Civic, impossible de le savoir sans puisse paraître aujourd’hui, le recadrage a été effi-
loucher sur son hayon pour voir s’il portait le sigle cace. Les ventes ont triplé au cours de la décennie
hybride. En d’autres termes, la Prius a donné aux et ont même été multipliées par 12 au milieu des
consommateurs qui se voyaient comme des défen- années 1970.
seurs de l’environnement une bien meilleure occa- «�Ajouter une chanson à la playlist de la
sion de prouver leur engagement écologique, ce qui station radio.�» Les identités sociales ne se défi-
a eu en outre pour effet de renforcer le groupe. nissent pas en fonction d’un seul comportement,
«�Mieux adapter son programme aux mais d’un ensemble de comportements (d’une
clients.�» Dans certains cas, les messages émis par playlist). Par conséquent, une autre option pour
une entreprise peuvent, par inadvertance, suggérer les professionnels du marketing est d’ajouter un
que l’utilisation de tel produit risque d’être contraire nouveau comportement à l’ensemble déjà connu.
Cela peut se faire en proposant un nouvel objectif
au groupe.

Les membres des Prenez l’exemple des véhicules tout-terrain


Jeep, qui donnent à leurs propriétaires le privilège

groupes dotés d’une d’atteindre des endroits difficiles d’accès. En tant


que partenaire de longue date de l’initiative Tread

forte identité sociale Lightly, qui exhorte les individus à respecter et à


protéger l’environnement, Jeep encourage les pro-

sont ceux qui ont le priétaires à  conduire de façon responsable, par


exemple en laissant un minimum de traces de leur

plus facilement choisi


passage dans les espaces naturels. L’entreprise or-
ganise même des formations à la conduite pendant

les comportements que


des week-ends Jeep, fréquentés par les conduc-
t e u r s d e vé h i c u l e s t o u t- t e r r a i n l e s p l u s
enthousiastes.

l’entreprise souhaitait Ainsi, le fabricant automobile a fixé comme ob-


jectif au groupe social des propriétaires de Jeep de

leur voir adopter. protéger la nature et les a poussés à adopter des


comportements conformes à cette ambition. La for-
mation est dispensée par des clients Jeep plus ex-
périmentés, sur la base du volontariat, ce qui ren-
aux comportements attendus des membres d’un force leur statut au sein du groupe. Les conducteurs
groupe social donné. Cela peut souvent être réglé plus novices s’impliquent dans la formation et
par un simple recadrage du message. adoptent de nouvelles pratiques non seulement par
Nescafé en a fait l’expérience au début du lance- respect de l’environnement, mais aussi pour mieux
ment de son premier café instantané dans les an- s’intégrer. En échange d’un investissement mineur,
nées 1950. Le positionnement initial insistait sur le le programme améliore de manière signi�icative
gain de temps que permettait le produit. Vous ne l’image de la marque Jeep, ce qui se traduit par des
perdrez plus dix minutes à préparer une cafetière. recommandations et des achats récurrents.
Le message a manqué sa cible. Pourquoi ? Il s’est «�Trouver une autre station qui diffuse
avéré que gagner du temps et faire moins d’efforts votre chanson.�» Parfois, les clients découvrent
était contraire à l’identité de la plupart des femmes un produit alors qu’ils ont déjà adopté une identité
qui, au cours de cette décennie, se sont senties obli- sociale à laquelle sont attachés des comportements

96 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


en totale opposition avec la proposition de valeur herbe en leur offrant la possibilité, quand ils
de ce produit. Dans ce cas, les entreprises les plus voyagent sur Delta, de gagner un siège en classe af-
malignes cherchent un moyen de susciter, ou faires, à côté d’un gourou du business. Cette opéra-
d’induire, une identité plus constructive. tion associe étroitement la marque aux acteurs éco-
Dans le cadre de son initiative pour réduire la nomiques qui comptent, une identité sociale que les
consommation d’eau dans le monde, Unilever com- gourous et les entrepreneurs peuvent facilement
mercialise un adoucissant textile, Comfort One assumer. Elle modifie aussi les attentes en matière de
Rinse, qui nécessite beaucoup moins d’eau que la voyages, qui cessent d’être des moments sans relief
plupart des produits de ce type. Objectivement, pour devenir des expériences d’apprentissage.
c’est un avantage dans les régions d’Asie où le Les identités sociales sont plus qu’un prisme à
manque d’eau est criant, comme en Inde, en Thaï- travers lequel il est possible de décrypter les com-
lande, au Vietnam ou en Indonésie. Pourtant, mal- portements des clients. Les experts du marketing
gré l’accueil très positif reçu par le produit lors des peuvent en effet créer de nouvelles identités so-
premiers essais, l’équipe chargée de la marque n’a ciales, pour approfondir la relation établie avec les
pas obtenu les ventes escomptées et n’a pas non clients existants et pour en attirer de nouveaux.
plus fait varier la consommation d’eau ; la plupart Nous allons à présent étudier ce que cela implique.
des clients ont continué à utiliser le produit avec de
grandes quantités d’eau de rinçage. De fait, Lancer une toute nouvelle station
sur  beaucoup de marchés où était distribué ce pro- L’idée que les entreprises peuvent tirer profit de la
duit, les femmes font leur lessive dans des espaces construction d’une communauté autour d’une
publics. A ce moment-là, l’identité sociale qui pri- identité sociale n’est certainement pas nouvelle.
mait pour elles était celle de la « mère faisant son Le club des propriétaires de Harley-Davidson,
devoir », et donner l’impression de lésiner en lancé par le fabricant de motos, est un cas d’école
rinçant les vêtements dans un seau d’eau au lieu de qui montre comment une entreprise peut entrete-
trois ne l’aurait pas renforcée. nir un socle de passionnés. Il y a aussi le fameux
Pour surmonter ce problème, Unilever a tenté groupe des anciens de McKinsey, qui joue un rôle
de promouvoir, chez ses clientes, une identité de capital dans la part de contrats remportés par ce
« ménagère futée et débrouillarde », à travers une cabinet de conseil. Les entreprises savent depuis
série d’initiatives : distribution de guides pratiques longtemps qu’il est possible de créer une identité
donnant des conseils pour faire des économies commune autour de leurs produits, de leurs ser-
d’argent et  de temps, organisation de formations vices et de leurs marques, et elles ont fait des in-
pour des  groupes locaux de femmes lors des vestissements importants pour y parvenir.
séances de lessive… En  outre, les publicités télévi- Toutes ces approches, cependant, se concentrent
sées s’étant moins concentrées sur la formulation sur des individus qui sont déjà clients. Elles s’appa-
du produit et davantage sur les femmes qui avaient rentent donc à des outils qui permettent de gérer la
l’intelligence de faire leurs lessives ensemble, cela �idélisation clients et de tirer le meilleur parti du
a renforcé l’idée qu’une consommation d’eau socle existant. Dans la plupart des cas, les commu-
moins importante était acceptable. Ces efforts nautés puisent dans une identité sociale déjà exis-
semblent avoir eu un effet, car  les ventes de Com- tante. L’idée de créer un groupe de prospects, qui ne
fort One Rinse ont augmenté de   66% en trois ans. sont pas encore clients d’un produit, lui-même pas
Il arrive que les clients utilisant un produit ou un encore lancé ou qui n’a pas fait l’objet d’études mar-
service ne soient pas fortement rattachés à un keting, ne semble a priori pas très pratique.
groupe en particulier. Ou que le groupe soit défini Mais cette hypothèse fait fi d’un enseignement clé
par une expérience négative. Le transport aérien en révélé par la plupart des recherches en psychologie
est un bon exemple : la plupart des voyageurs se sociale sur l’identité, réalisées en dehors de la sphère
voient comme des individus devant endurer ce qui commerciale : les expériences menées sur la constitu-
est au mieux une expérience plutôt ennuyeuse, tion de groupes laissent penser que les identités
même dans le confort relatif de la classe affaires. La sociales peuvent être créées très facilement, d’un cla-
solution ici est d’associer l’offre avec une autre quement de doigts. Certaines de ces expériences re-
identité, plus positive. montent aux années 1960 et 1970. La plus célèbre
Le programme Classe Innovation de Delta d’entre elles peut-être a été menée par Philip Zim-
amène les passagers à adopter une identité diffé- bardo à Stanford, en 1971 (voir l’encadré « Les leçons à
rente et plus singulière. Il vise les entrepreneurs en tirer de l’expérience de la prison de Stanford »).

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 97


EN QUOI L’IDENTITÉ SOCIALE DE VOS CLIENTS INFLUENCE LEURS ACHATS

Ainsi, créer de nouvelles identités sociales n’im-


plique pas nécessairement un engagement impor-
tant. En réfléchissant à tout cela, on s’est alors de-
mandé si les professionnels du marketing ne
pourraient pas susciter des comportements spéci-
fiques en créant rapidement des groupes tempo-
raires dotés de nouvelles identités sociales . Si
c’était le cas, ils auraient alors un puissant outil à
leur disposition. Et si cela pouvait être fait avec de
nouvelles marques n’ayant pas de relations clients
sur lesquelles s’appuyer, n’importe quel expert en
marketing, et pas seulement ceux ayant des ré-
seaux déjà bien établis et de confortables moyens
financiers, pourrait l’utiliser.

Créer de nouvelles identités


(en vingt minutes seulement)
Pour tester cette idée, nous avons inventé une
marque de smoothie aux fruits, en avançant que ce
produit était à la fois sain et pratique, et nous avons
proposé aux consommateurs de nous aider à conce-
voir des projets de lancement pour cette marque.
Nous avons demandé aux participants de donner
leur avis sur quelques pistes marketing. Les
consommateurs ont été répartis au hasard entre
trois groupes. Nous avons dit aux membres du pre-
mier que leur équipe était composée de personnes
ayant des compétences créatives supérieures. Et à
ceux du second qu’ils participaient tout simple-
ment à une étude de marché. Notre objectif était de
créer une identité sociale plus forte au  sein du pre-

Il est très facile de


mier groupe, et qui se renforcerait en  permanence,
tout au long de l’expérience. Par exemple, nous

faire changer
avons donné au groupe le nom de « Groupe de vi-
sion créative 20/20 ». Une dénomination qu’ils
avaient en permanence sous les yeux. L’idée était

les consommateurs que cette identité les encourage à déployer des tré-
sors de créativité, pour faire bonne �igure par

d’identité sociale rapport à ceux qui ne faisaient pas partie du groupe.


Le troisième groupe s’est vu attribuer lui aussi

et même de leur une identité forte, mais d’une autre manière. On a


indiqué à ses membres que l’ambition de l’entre-

en faire adopter de
prise était de  lancer une marque « durable », qui
serait socialement et écologiquement responsable,

nouvelles. Cela offre


alors que l’on avait affirmé au premier et au deu-
xième groupe que l’objectif visé était simplement

aux professionnels
de réussir le lancement. En �in de compte, nous
avons créé deux groupes sociaux ayant chacun une
identité sociale bien spéci�ique, l’une associée à

du marketing de une qualité (la créativité), l’autre à un but précis


(faire de ce produit quelque chose de pérenne).

belles opportunités. L’équipe travaillant sur la marque a demandé à


tous les participants d’adopter certains compor-

98 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


tements : examiner avec attention les documents les poster sur un site Web. Les meilleurs spots, aux
marketing, s’engager à acheter le produit, et yeux des internautes qui votent sur le site, sont
promettre de faire du bénévolat et des dons au pro- diffusés pendant le match. Présenter un objectif
fit des organismes de bienfaisance avec lesquels la clair aux participants des groupes – décrocher la
marque travaillait. Nous avons suivi ces comporte- première place, en termes d’efficacité, des publici-
ments, puis, à la fin de l’étude, mesuré la force de la tés d’« USA Today » diffusées ce soir-là – a permis
relation entre le consommateur et la marque. de « crowdsourcer » efficacement des publicités qui
Les résultats sont clairs : les participants appar- n’ont pas à rougir de la concurrence de spots
tenant aux groupes dont les identités sociales coûteux à produire. Les publicités du Crash the
étaient les plus fortes ont été ceux qui ont adopté Super Bowl se  sont vu décerner à trois reprises la
de la façon la plus marquée les comportements meilleure note.
souhaités par l’entreprise. Ce concours illustre bien le caractère concret du
De plus, ces comportements sont apparus très marketing à travers la création d’une nouvelle
rapidement. Les participants ont été autorisés à identité sociale. Cela génère de l’engagement on-
passer autant de temps qu’ils le voulaient à évaluer line avec la marque : ainsi, pendant plusieurs se-
le matériel marketing censé être utilisé pour le lan- maines, des consommateurs postent des milliers
cement du produit ; en moyenne, il leur a fallu de propositions et réagissent à celles des autres. Le
27  minutes pour achever l’exercice entier, ce qui concours bénéficie aussi d’une couverture média-
comprenait l’examen de deux projets marketing, le tique importante et positive. Frito-Lay a donné
passage en revue d’une batterie de questions et naissance à un groupe doté d’une identité sociale
des contrôles a posteriori. Mais, au sein des sans ambiguïté, qui prône la créativité, avec lequel
groupes dotés d’une identité sociale claire, nous l’entreprise interagit fréquemment. La concurrence
commencions en général à constater des  signes directe avec les agences de publicité booste l’iden-
des comportements souhaités 15  minutes tité du groupe, car les membres font tout leur pos-
seulement après le début de l’expérience. Dans sible pour protéger leur statut et leur spécificité.
l’ensemble, il suffisait de 20  minutes environ pour Qui n’aimerait pas dire qu’il est plus créatif que les
construire une identité sociale assez puissante, plus grandes agences internationales de publicité ?
capable de générer des comportements spéci- Et cette identité transforme la façon dont les
�iques. En outre, ce phénomène se produisait individus s’identifient à la marque Doritos. À PROPOS
DES AUTEURS
quelles qu’aient été les attitudes adoptées aupara-
Au moment de la
vant par les participants. C’était par exemple le cas QUAND LES PROFESSIONNELS DU MARKETING veulent rédaction de cet article,
pour les membres du groupe « durable », qu’ils se amener les consommateurs à s’identi�ier à un les auteurs occupaient
les fonctions suivantes:
soient ou non intéressés jusque-là aux questions produit, ils songent en général à construire une
environnementales. Le seul facteur déterminant communauté, à créer de l’engagement à long Guy Champniss est
était l’identité sociale. Et il s’agissait de comporte- terme, ce qui risque cependant de nécessiter de professeur associé à la
Henley Business School
ments qui, en général, ne sont pas facilement en- gros investissements. Cela peut être une stratégie et fait partie des dirigeants
couragés parmi les consommateurs. utile. Mais il arrive que les expériences que nous de Meltwater Consulting.
Hugh N. Wilson est
En d’autres termes, nous n’avions pas besoin de venons de décrire offrent l’opportunité de tirer un professeur à la Cranfield
trouver des consommateurs dont certaines atti- autre enseignement, moins évident au premier School of Management
tudes déboucheraient sur des comportements spé- abord : il est étonnamment facile de faire changer et dirige le Forum
de la relation clients
cifiques. Nos identités sociales « fabriquées » les ont les consommateurs d’identité et même de leur en de Cranfield. Emma K.
incités à  adopter directement ces comportements. faire adopter de nouvelles. Selon nous, une grande Macdonald est maître
de conférences à la
Et parce que nous avons obtenu ces résultats avec partie de la « friture » qui perturbe les communica- Cranfield School of
une marque qui n’existait pas dans l’esprit des tions à destination des clients et les expériences Management. Elle est
directrice de la recherche
consommateurs vingt minutes plus tôt, nous qu’ils font des marques est provoquée par la rota-
du Forum de la relation
croyons que ces effets sont à la portée de chaque tion constante du bouton de réglage sur la radio de clients de Cranfield, et
expert en marketing. l’identité sociale. Si c’est le cas, en procédant à un chercheuse adjointe à
l’Institut Ehrenberg-Bass
Quelques entreprises ont déjà pris des initia- réglage quotidien et en offrant de nouvelles identi- de l’université d’Australie
tives qui ressemblent à notre expérience. Dans le tés, les responsables du marketing peuvent clari- du Sud.
cadre du concours innovant Crash the Super Bowl, �ier et ajuster ces communications au pro�it des La version originale de
que Frito-Lay organise depuis 2007, on demande clients comme des entreprises. Cela devrait réson- cet article a été publiée
en janvier-février 2015
aux consommateurs de concevoir leurs propres ner comme une douce musique aux oreilles des dans l’édition américaine
publicités télévisées pour les chips Doritos et de professionnels du marketing. de HBR.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 99


COMMENT
LA CERTITUDE
SE TRANSFORME
EN PERSUASION
Le pouvoir de la certitude comme outil
de persuasion est un atout largement
négligé dans le monde des affaires.
Voici quatre leviers permettant
de lui donner davantage de poids.
Par Zakary L. Tormala et Derek D. Rucker.
Illustrations: Serge Bloch

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 101


COMMENT LA CERTITUDE SE TRANSFORME EN PERSUASION

L a certitude détermine foncière-


ment notre comportement. Plus
nous sommes certains d’une
conviction (quelle qu’en soit la jus-
tesse), plus celle-ci sera solide et in-
fluencera nos actes. A travers des
dizaines d’études menées sur plus de
vingt ans, les spécialistes de la psy-
chologie du consommateur et de la
psychologie sociale ont démontré que
les personnes sûres de leurs convic-
tions ont plus de chances d’effectuer
des achats, et ceci plus rapidement
et selon un budget plus conséquent.
En bref, la certitude est le catalyseur qui trans- différemment – et de ce fait, il y a moins de probabi-
forme les attitudes en actions, en donnant vie aux lités qu’elle choisisse à nouveau Virgin que l’habi-
convictions et en leur conférant du sens et de tuée de la compagnie. Elles ont peut-être exprimé le
l’importance. même point de vue, mais celle qui est davantage
Imaginez par exemple que deux passagères de la convaincue sera la meilleure cliente. De même,
compagnie aérienne Virgin America lui attribuent la deux membres d’un conseil d’administration ayant
même note élevée de 9 sur 10 dans un questionnaire la même haute opinion de leur P�DG lorsque celui-ci
de satisfaction. La plupart des spécialistes du mar- est mis sur la sellette peuvent lui apporter un sou-
keting, observant que les clientes sont toutes les tien différent en fonction du niveau de certitude
deux satisfaites, supposent qu’elles auront des com- qu’ils octroient respectivement à cette opinion.
portements similaires – qu’elles présentent les Tel est le pouvoir de la conviction. Mais malgré la
mêmes chances de voyager à nouveau avec Virgin montagne d’études menées en la matière, il s’agit
America, de la recommander à des amis, etc. d’un facteur mal compris dans le monde des af-
Mais leur comportement dépend souvent moins faires, rarement mesuré ou même utilisé. Résultat :
de l’opinion exprimée que de la fermeté de cette les entreprises négligent l’un des outils de persua-
dernière. Emettons l’hypothèse que l’une des deux sion les plus puissants mis à leur disposition.
clientes de Virgin est une abonnée de son pro- Nous avons passé plus d’une décennie à explorer
gramme de fidélité et qu’elle a à ce titre déjà accu- méthodiquement les sources, la nature et l’inci-
mulé un certain nombre d’expériences positives. dence de la certitude. Nos travaux de recherche
Elle a des chances d’être particulièrement sûre de montrent que, en augmentant les certitudes des
son avis, favorable, et de rester une cliente fidèle. personnes sur les opinions et les positions qu’elles
L’autre, pour sa part, n’effectuait peut-être que son défendent, les individus et les organisations ont
premier vol avec cette compagnie aérienne. Elle est plus de chances de réussir à transformer ces
probablement moins sûre de son opinion – elle se convictions en action. Nous présentons quatre le-
demande si d’autres trajets à venir se dérouleraient viers que vous pouvez appliquer à tous les niveaux

102 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


L'I D É E E N B R E F
LA PROBLÉMATIQUE LA SOLUTION EN PRATIQUE
Les individus sûrs de leurs opinions Les auteurs ont identifié quatre leviers Les entreprises devraient appliquer
ont davantage de chances d’effectuer permettant d’accroître la certitude�: méthodiquement les principes
des achats, plus rapidement et selon 1- le consensus (savoir que de la certitude�: à un niveau tactique
un budget plus conséquent. Ils sont d’autres partagent votre opinion), (par exemple, dans les programmes
davantage prêts à recommander 2- la répétition (exprimer marketing et les enquêtes de satisfaction
des produits et sont plus aptes à résister une position plusieurs fois), client), en tant qu’outil managérial
lorsque leurs convictions sont remises 3- l’aisance (la facilité avec dans les relations interpersonnelles
en question. Pourtant, le pouvoir laquelle une idée vient à l’esprit), ou au sein d’une équipe, et de manière
de la certitude en tant qu’outil de 4- la défense (assumer et s’en tenir stratégique (par exemple, dans
persuasion reste largement négligé à ses convictions). les négociations avec des partenaires
dans le monde des affaires. et autres parties prenantes).

(des argumentations en face-à-face jusqu’aux acti-


vités de vente et de marketing, en passant par di-
verses initiatives de leadership) pour optimiser les
LE POUVOIR DES FACTEURS SUBJECTIFS
stratégies de persuasion de votre entreprise. La certitude –�la confiance en nos convictions�– est profondément influencée par
des facteurs subjectifs ayant peu, ou même rien à voir avec les éléments objectifs
ou les données factuelles. Considérez par exemple comme facteur subjectif
En quoi consiste la certitude? la manière dont les informations sont présentées. Les études montrent que les
La certitude est la confiance que nous avons en nos individus sont plus sûrs de leurs opinions lorsque les informations examinent
convictions, y compris le sentiment que quelque à la fois le pour et le contre – même lorsque le contenu présenté est identique.
chose est simplement « comme il faut ». Bien que
purement subjective, la certitude peut être mesurée
empiriquement. Dans nos travaux, nous avons ob- DIGIMAX 2700 7.2MP
servé que des questions directes telles que « A quel 3X OPTICAL 5X
point êtes-vous certain de votre attitude envers X ? »
Commentaire
suivies d’une échelle numérique allant de 1 (pas cer- Tous les éléments de cet appareil sont formidables. Son grand écran
tain du tout) à 9 (très certain) constituent une jauge LCD, la puissance impressionnante de son zoom et sa résolution
fiable. Grâce à l’utilisation de cette mesure simple, il exceptionnelle. Petit et léger, on peut toujours l’emmener avec soi. Il est
est possible d’évaluer correctement la force de facile à utiliser, même pour les débutants. Rien à redire !
conviction d’une personne.
Pour comprendre comment établir une certi-
tude, il faut d’abord en saisir les fondamentaux. Les DIGIMAX 2700 7.2MP
3X OPTICAL 5X
facteurs affectant la certitude peuvent être répartis
en diverses catégories en fonction de la manière Commentaire
dont les individus réalisent leurs évaluations ou es- Pour
timations. Plus largement, ces évaluations sont for- Tous les éléments de cet appareil sont formidables. Son grand écran
LCD, la puissance impressionnante de son zoom et sa résolution
mulées à partir de principes tels que l’exactitude,
exceptionnelle. Petit et léger, on peut toujours l’emmener avec soi.
l’intégrité, la pertinence, la légitimité, l’importance Il est facile à utiliser, même pour les débutants.
perçue d’une information et la « validation affec-
Contre
tive » – c’est-à-dire le fait que quelque chose semble Rien à redire !
convenir. Chaque appréciation peut se fonder sur
des informations objectives ou factuelles, ainsi que
sur des éléments de perception subjectifs. Par
SOURCE: ��WHAT’S IN A FRAME ANYWAY?�� �� QU’EST�CE QU’IL Y A DANS UN CADRE, D’AILLEURS�? ��,
exemple, vous pouvez recueillir des informations DEREK D. RUCKER, RICHARD E. PETTY ET PABLO BRIÑOL, KELLOGG INSIGHT, MAI ����.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 103


COMMENT LA CERTITUDE SE TRANSFORME EN PERSUASION

objectives concernant une voiture (le rendement du seuls les avantages sont effectivement décrits. Par
carburant, par exemple) auprès de sources diverses, exemple, formater un commentaire essentiellement
mais aussi avoir des impressions d’ordre subjectif favorable à un produit selon une liste de « pour » et
tenant à son confort et à son style après l’avoir es- de « contre » accroît la légitimité perçue de l’évalua-
sayée. Les informations objectives et subjectives tion et la certitude des individus à son sujet.
affectent toutes deux la perception de notre certi- Dans une autre recherche, la même équipe a ob-
tude. (Pour une discussion plus approfondie sur la servé que l’on est plus sûr de ses croyances quand
manière dont les individus réalisent leurs apprécia- on a le sentiment d’être dans une position de pou-
tions, référez-vous à l’article « Consumer Convic- voir —par exemple, lorsqu’on endosse le rôle d’un
tion and Commitment: An Appraisal-Based Fra- responsable et que l’on est installé dans un grand
mework for Attitude Certainty » [« L’engagement et fauteuil derrière un grand bureau.
la conviction du consommateur : un cadre de certi- La certitude, en tant qu’outil de persuasion, peut
tude des attitudes basé sur l’appréciation »], dans le être appliquée efficacement à tout niveau : interper-
numéro de janvier 2014 du « Journal of Consumer sonnel, managérial ou organisationnel. Penchons-
Psychology ».) nous maintenant sur la manière dont cela fonc-
Une grande part de notre recherche, ainsi que de tionne en pratique.
celles de nos confrères et de nos collaborateurs,
s’attache à la compréhension des facteurs subjectifs Quatre leviers de certitude
qui affectent la certitude – autant d’influences qui Nous présentons ici quatre leviers que les entre-
ont peu, ou rien, à voir avec les éléments qui sous- prises peuvent utiliser pour dynamiser la certitude :
tendent une conviction. Considérons par exemple le consensus, la répétition, l’aisance et la défense.
les effets de la crédibilité perçue : les travaux menés Chaque levier peut être actionné afin d’amplifier la
par l’un de nous (Derek D. Rucker), en collaboration force de persuasion d’un argument, qu’il s’agisse
avec Richard Petty et Pablo Briñol, montrent que, d’un effort interne destiné à fédérer les troupes
lorsque les consommateurs évaluent les informa- autour d’une initiative ou d’une campagne marke-
tions relatives à un produit, ils se sentent plus sûrs ting de grande envergure pour un nouveau produit.
de leur opinion si les données sont présentées d’une Il est possible que ces leviers ne soient pas étrangers
manière mettant en avant le fait que les avantages et aux managers. Cependant, leur application en tant
les défauts ont été pris en compte – même lorsque qu’outils de persuasion en est une facette nouvelle,
puissante et sous-estimée.
1- Le consensus. Il est bien connu que les indi-
vidus suivent naturellement le groupe. Nos travaux
de recherche ont révélé que, dans un contexte de
certitude, les personnes sont encore plus sûres de
leurs opinions lorsqu’elles pensent que d’autres les

L’EFFET DE partagent. Nous appelons ce genre de validation


sociale l’« effet de consensus ».
CONSENSUS Dans le cadre d’une étude menée par John
Les individus sont confortés dans Petrocelli, il a été demandé à des étudiants de
leurs opinions lorsqu’ils pensent premier et deuxième cycle d’exprimer leur avis sur
que d’autres les partagent. un règlement universitaire �ictif obligeant les
La campagne de l’entreprise étudiants à badger pour accéder aux bâtiments du
Chevron portant sur la
campus. Aussitôt après qu’ils ont donné leurs avis,
responsabilité sociale renforce
la notion de consensus en nous avons dit à la moitié d’entre eux que 89% des
invitant les internautes à cliquer étudiants consultés partageaient le même point de
sur «�I Agree�» («�Je suis d’accord�») vue ; et nous avons dit à l’autre moitié que seule
afin de manifester leur soutien une minorité (11%) était du même avis qu’eux. Puis
envers les objectifs placés au nous avons demandé à tous les étudiants à quel
centre de la mission de Chevron.
ILLUSTRATION�: CHEVRON

point ils étaient sûrs de leur opinion. Les étudiants


Un compteur dénombrant les
personnes partageant ce point de qui pensaient que la plupart des gens étaient
vue est affiché en évidence et peut d’accord avec eux ont manifesté une certitude
aider à renforcer la certitude signi�icativement plus élevée – alors qu’ils déte-
de ceux qui consultent le site. naient le même niveau d’information concernant le

104 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


Persuader par l’incertitude
règlement �ictif que l’autre groupe. Leur plus
grande certitude avait des conséquences claires : les Parfois, injecter une dose d’incertitude dans vos propos
étudiants ayant reçu un feed-back de consensus peut augmenter la force de persuasion de votre message,
élevé opposaient plus de résistance lorsque nous car un message légèrement ambigu peut s’avérer plus
tentions de les faire changer d’avis. Des recherches captivant qu’un autre d’une clarté limpide, en piquant
en cours menées en colla boration avec Lauren
la curiosité du public et en l’invitant ainsi à prêter plus
Cheatham montrent aussi que les individus sûrs de
leurs convictions du fait d’un feed-back très
d’attention au contenu présenté. Mais l’incertitude
consensuel sont plus disposés à essayer de persua- doit être utilisée avec parcimonie et prudence.
der les autres d’adopter leur point de vue. Voici trois situations dans lesquelles elle peut être
Les entreprises et les individus peuvent utiliser un élément catalyseur de la persuasion�:
le levier du consensus de diverses manières.
Lorsque votre public exprime déjà l’opinion désirée Lorsqu’elle est utilisée par des sources expertes.
– à savoir une inclination favorable envers votre Un message provenant d’une personne non experte sera d’autant plus
avis ou votre produit – renforcez-la en démontrant convaincant que cette personne donne une impression de certitude. Cependant,
qu’elle est largement partagée. La campagne de les messages émanant d’experts peuvent être plus probants lorsqu’ils
reconnaissent une certaine incertitude. Par exemple, dans plusieurs expériences,
marketing de masse de Chevron intitulée « We
les sujets lisaient une critique de restaurant plus attentivement, et se montraient
Agree » («Nous sommes d’accord ») en est un bel même plus disposés à essayer le restaurant en question lorsqu’un critique
exemple (www.chevron.com/weagree). Dans le gastronomique reconnu exprimait une légère incertitude dans une critique
cadre des initiatives de l’entreprise en termes de favorable. Dans la pratique, les marques qui emploient des experts en tant
responsabilité sociale, Chevron invite les inter- que porte-parole peuvent tirer parti de ce facteur en les invitant à commencer
nautes à cliquer sur un bouton « I Agree » (« Je suis leurs interventions par des déclarations du type «��Même moi, j’avais quelques
d’accord ») figurant sur de courts messages comme
doutes…�» ou «�Bien qu’il soit difficile d’être tout à fait certain…�».
« Le monde a besoin de plus que de pétrole » ou Lorsqu’elle met en lumière un potentiel.
« Protéger la planète devrait être le travail de cha- Les individus peuvent être davantage convaincus par des publicités,
cun ». Un compteur situé sur la page du site indique des recommandations ou même des CV mettant en avant un potentiel
le nombre total de personnes partageant des points incertain mais prometteur plutôt que par des résultats impressionnants
de vue communs (environ 600  000 en mars 2015),
et sûrs. Cette incertitude attise l’intérêt du sujet concerné, ce qui
le pousse à lire plus attentivement et à attribuer une grande valeur
soulignant ainsi l’alignement affirmé du public avec
à des retombées futures incertaines.
les messages de Chevron, ce qui peut aider à conso-
lider la certitude des personnes consultant le site. Lorsqu’elle est amenée par une interruption.
L’effet de consensus peut aussi être mis en œuvre Interrompre un message (même par une pause destinée à lancer une vidéo dans
à travers l’utilisation des enquêtes de satisfaction une présentation) peut raviver la curiosité d’un auditoire à propos d’un argument
en cours de développement, dans la mesure où cela recadre son attention
client et des commentaires relatifs aux produits et
et rend le message plus convaincant. En substance, une pause inattendue génère
services postés en ligne. Les enquêtes et les com- de la curiosité, ce qui amène le public à se demander ce qui va venir ensuite
mentaires sont depuis longtemps utilisés par les et le place sur la même longueur d’onde que l’information quand elle arrive.
entreprises non seulement pour collecter des
données, mais aussi pour dynamiser l’engagement
des clients ou des employés. Notre recherche semble
indiquer que, de surcroît, les enquêtes pourraient
renforcer la certitude des clients sur ce qu’ils croient
et ainsi promouvoir des comportements correspon-
dant aux objectifs de l’entreprise. Par exemple, les
consommateurs qui remplissent un sondage de sa-
tisfaction en ligne ont plus de chances d’être rassu-
rés sur les bonnes notes qu’ils octroient s’ils re-
çoivent un feed-back leur indiquant la proportion de
personnes qui sont d’accord avec leur propre éva-
luation. Afin d’augmenter l’assurance des auteurs
de commentaires en ligne, une société peut envisa-
ger de répondre aux clients qui attribuent des notes
positives à un produit ou à un service par des don-
nées leur montrant que d’autres partagent leur point

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 105


COMMENT LA CERTITUDE SE TRANSFORME EN PERSUASION

de vue : « Merci de nous avoir attribué quatre étoiles ! sur le contrôle des armes à feu, puis avons demandé
85% de nos internautes ayant publié un commen- à chacun d’exprimer son opinion. Quand nous
taire pensent la même chose ! » Ce feed-back pourrait avons ensuite demandé à tous les participants
accroître la certitude et façonner le comportement d’évaluer à quel point ils étaient sûrs de leur avis,
des consommateurs. ceux du deuxième groupe ont af�iché des scores
Enfin, l’effet de consensus peut être utilisé dans plus élevés. Le simple fait d’exprimer leur avis plu-
des situations interpersonnelles ou organisation- sieurs fois avait augmenté leur certitude à ce sujet.
nelles. Que vous soyez en train de conclure une De plus, comme nous en avions émis l’hypothèse,
vente ou de mobiliser votre équipe autour d’une la répétition augmentait la résistance des sujets à
idée, trouvez des moyens de cautionner votre opi- l’évolution de leur point de vue, et, dans une étude
nion. Soyez à l’affût de commentaires favorables complémentaire dirigée par Lauren Cheatham,
tels que : « Je n’avais jamais considéré cela sous cet nous avons constaté que cela stimulait leur volonté
de partager ces opinions avec d’autres – même avec

Les marketeurs connaissent


de parfaits étrangers.
Pour appliquer le levier de répétition, les mana-

le pouvoir d’un message réitéré. gers devraient encourager les clients, les employés
et d’autres parties prenantes à exprimer des opi-

Un effet apparenté se produit nions ou des prises de position positives alignées


sur les objectifs de l’entreprise aussi souvent que
lorsqu’on exprime ses propres possible. Les médias sociaux offrent aux marke-

opinions de manière répétée.


teurs beaucoup d’occasions de le faire. Il est déjà
relativement commun pour les entreprises d’inviter
leurs clients à cliquer « J’aime », à partager ou à cau-
tionner leur marque afin d’en assurer la promotion
angle » ou bien « Je vois bien en quoi cela pourrait auprès de nouveaux clients, mais elles ne leur four-
nous aider », et répliquez avec une réponse du type nissent souvent qu’une seule occasion de dire
« Oui, on me le dit souvent » ou « Un autre client m’a « J’aime » telle ou telle marque sur une plateforme
dit la même chose hier », ou bien encore « Quasi- donnée. Sur les médias sociaux, les spécialistes du
ment tous ceux à qui j’en ai parlé pensent comme marketing devraient concevoir une stratégie qui
vous ». De la sorte, vous augmentez le niveau de renforce la certitude des clients existants d’être
certitude des personnes sur le sujet en question, et dans le vrai et s’assurer que ces derniers ont de
donc la probabilité qu’elles le défendent ou argu- nombreuses opportunités d’exprimer cette appro-
mentent en sa faveur. Une version de cette tactique bation ou encore leur fidélité.
est communément appliquée (parfois avec une sin- La marque de café Peet’s Coffee, par exemple,
cérité feinte) par les serveurs de restaurant lorsqu’ils invite régulièrement ses clients à remplir un ques-
confortent la sélection faite par les clients avec un tionnaire de satisfaction en échange d’une remise
commentaire du type : « C’est l’un de nos plats les sur la commande suivante. Les clients �idèles
plus appréciés ! » Leur but étant que le client soit peuvent remplir le même questionnaire plusieurs
encore plus certain d’avoir fait le bon choix. fois pendant quelques mois, apporter des notes
2- La répétition. Les marketeurs connaissent positives à chaque fois et renforcer ainsi la certitude
bien le pouvoir d’un message réitéré. Un effet appa- de leur opinion.
renté se produit lorsqu’on exprime ses propres opi- Comme avec l’effet de consensus, la répétition
nions de manière répétée. Notre recherche montre peut être mise à contribution dans la conception des
qu’une telle répétition accroît la certitude que l’on a enquêtes. Par exemple, si un client accorde une note
de sa propre opinion et donc la volonté de la pro- favorable à une question de l’enquête, enchaînez
mouvoir, de la défendre et d’agir en fonction. avec des questions additionnelles induisant la répé-
Dans une expérience menée en collaboration tition. Ainsi les clientes de la compagnie Virgin Ame-
avec John Petrocelli, nous avons demandé aux par- rica ayant exprimé leur satisfaction en lui accordant
ticipants quel était leur point de vue en matière de la note de 9 sur 10 pourraient être invitées à préciser
contrôle des armes à feu. Dans un groupe, nous leur opinion : quelle note accorderaient-elles au
avons simplement demandé aux personnes d’expri- personnel embarqué, aux choix des divertisse-
mer leur opinion ; dans l’autre groupe, nous avons ments, etc. On peut attendre de chacune de ces ré-
d’abord posé six questions sondant l’avis général ponses qu’elle augmente leur certitude vis-à-vis de

106 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


leur note positive globale. Le risque est, bien sûr, règlement universitaire �ictif selon lequel les
qu’une investigation aussi poussée dévoile des étudiants de quatrième année devraient réussir
sources de mécontentement, là aussi avec un poten- une série complète d’épreuves pour obtenir leur
tiel de répétition renforçant la certitude de la réac- diplôme, puis on leur a demandé de formuler des
À PROPOS DES TRAVAUX
tion négative. Aussi de telles enquêtes devraient- DE RECHERCHE arguments en faveur de cette approche. Certains
elles être conçues de façon à rediriger les questions Les idées issues de participants devaient préparer deux arguments (ce
où à conclure si les réponses deviennent négatives. cet article sont puisées qui était facile), d’autres devaient en rédiger dix (ce
dans plus de vingt ans
Dans des contextes organisationnels ou inter- qui était bien plus dif�icile). Une fois cette tâche
de recherche dans les
personnels, donnez des occasions aux individus de domaines de la psychologie accomplie, on a demandé aux étudiants quel était
répéter les points de vue souhaités. Par exemple, comportementale leur niveau de certitude quant aux arguments qu’ils
et de la psychologie
au cours d’une réunion au cours de laquelle vous avaient avancés et s’ils étaient en faveur d’un tel
du consommateur.
soutenez la candidature d’une personne spécifique Les analyses présentées règlement. La recherche a révélé que les étudiants
à un poste, encouragez les autres à réaffirmer votre dans les articles n’ayant eu à proposer que deux arguments étaient
suivants illustrent bien
opinion. Si un autre individu participant à cette plus sûrs de leur validité et plus favorables au règle-
cette recherche�:
réunion avalise cette candidature, vous pouvez ment en question que ceux de l’autre groupe.
«�Consumer Conviction
l’inviter à réitérer son opinion : « C’est intéressant. Le confort visuel produit des effets similaires.
and Commitment:
Pourriez-vous répéter afin que tout le monde vous An Appraisal-Based Rebecca Norwick et Nicholas Epley ont présenté à
entende ? » Ou alors, vous pourriez revenir un peu Framework for des sujets des questionnaires dont les polices de
Attitude Certainty�»
plus tard vers un décisionnaire clé et lui demander caractères et les couleurs étaient soit difficiles, soit
(«�L’engagement et
de développer les pensées qu’il avait exprimées la conviction du faciles à lire, et ils ont pu constater, alors que les
auparavant. Cette technique peut être utilisée pour consommateur�: un cadre questionnaires étaient par ailleurs tout à fait iden-
de certitude des
transformer le soutien personnellement apporté à tiques, que les participants se montraient davan-
attitudes basé sur
votre idée en certitude affirmée – puis en caution l’appréciation�»), tage confiants dans leurs réponses lorsque le ques-
publique encore plus forte. Considérez un cas dans par Derek D. Rucker, tionnaire était facile à lire. Voilà une astuce
Zakary L. Tormala, Richard
lequel vous essayez de convaincre un collègue de E. Petty et Pablo Briñol. inexploitée : bien que nos travaux de recherche et
s’engager dans un nouveau programme dont vous «�Journal of Consumer ceux menés par d’autres semblent indiquer qu’un
Psychology�», janvier 2014
êtes l’ardent défenseur. S’il exprime un soutien jeu de slides dépouillés, des polices de caractères
mitigé – en suggérant, par exemple : « Cela pourrait «�Unpacking Attitude faciles à lire et des illustrations graphiques simples
Certainty: Attitude
marcher si nous impliquons un sponsor » – vous Clarity and Attitude sont plus convaincantes – et confortent auprès du
pouvez lui demander comment il s’y prendrait Correctness�» public le sentiment de vérité ou de légitimité du
(«�Réveler la certitude
concrètement et lui donner de nouvelles occasions des attitudes�: message – les entreprises continuent de négliger
d’exprimer son opinion. Par exemple, paraphrasez clarté et bien-fondé cette pratique à fort potentiel.
des attitudes�»),
les propos de votre collègue, puis demandez-lui : par John V. Petrocelli, 4- La défense. Comme nous l’avons évoqué,
« Est-ce bien cela que vous pensez ? » Zakary L. Tormala les individus sont davantage capables de défendre
et Derek D. Rucker.
3- L’aisance. Le troisième levier qu’une entre- «�Journal of Personality des opinions dont ils sont convaincus, et ils se
prise peut utiliser pour amplifier la certitude est and Social Psychology�», sentent encore plus sûrs de leur point de vue après
janvier 2007
l’aisance. Lorsqu’on leur demande « Quelle est l’avoir défendu.
votre marque préférée de soft drink ? », certains «�What Doesn’t Kill Me Dans les années 1960, le spécialiste en psycholo-
Makes Me Stronger: The
consommateurs répondent instantanément, tan- Effects of Resisting gie sociale William McGuire a avancé l’idée que, de
dis que d’autres doivent y réfléchir à deux fois. De Persuasion on Attitude la même manière que l’on peut vacciner notre corps
Certainty�» («�Ce qui ne
nombreux travaux de recherche à ce sujet me tue pas me rend plus contre un agent infectieux en l’exposant à une
montrent que plus une idée vient facilement à fort�: l’incidence de la faible dose de ce dernier, nos convictions peuvent
résistance à la persuasion
l’esprit, plus nous en sommes sûrs. Lorsqu’il est sur la certitude des être vaccinées contre une attaque en étant expo-
facile de prendre une décision ou de formuler une attitudes�»), sées à de petites doses d’une telle attaque – à condi-
par Zakary L. Tormala
opinion, nous sommes d’autant plus convaincus et Richard E. Petty. tion de réussir à la réfuter. Dans nos travaux, nous
qu’elle est valide. «�Journal of Personality avons développé cette idée en démontrant que,
and Social Psychology�»,
Dans le cadre de nos recherches, nous avons décembre 2002 lorsque les individus résistent aux messages
examiné l’impact des sentiments subjectifs attaquant leur point de vue, leur certitude à leur
d’aisance sur la force de persuasion des idées et sur égard s’en trouve renforcée. Psychologiquement, le
les convictions des individus. Dans une étude que fait de résister à une attaque portant sur notre point
l’un de nous (Zakary L. Tormala) a menée avec de vue nous amène à penser que nous devons avoir
Carlos Falces, Pablo Briñol et Richard Petty, il a été raison (sinon nous aurions changé d’avis !), ce qui
présenté à des étudiants de deuxième cycle un augmente la certitude de son bien-fondé.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 107


COMMENT LA CERTITUDE SE TRANSFORME EN PERSUASION

Les personnes ayant défendu leur opinion


face à une attaque ont plus de chances
de résister à des assauts encore plus forts
par la suite, de rester fidèles à leur
position initiale, et d’être prêts à agir
pour promouvoir leur point de vue.
A cet égard, dans une expérience représentative Pour les spécialistes du marketing, créer (ou sai-
menée par l’un de nous (Zakary L. Tormala) avec sir) les opportunités permettant aux clients de dé-
Richard Petty, des étudiants de deuxième cycle ont fendre la marque peut réellement consolider leurs
été soumis à un message faisant la promotion d’un certitudes, et donc leur soutien. Les travaux de re-
règlement auquel ils étaient opposés, puis on leur a cherche de Neeru Paharia, Jill Avery et Anat Keinan
demandé de rédiger un contre-argumentaire. Bien montrent que, lorsque les consommateurs ont le
que tous les étudiants aient reçu le même message, sentiment qu’une petite marque se trouve menacée
il a été indiqué à certains participants que les argu- par une marque plus puissante, ils se mobilisent
ments du message étaient puissants, tandis qu’il a pour la soutenir en achetant plus et en publiant plus
été indiqué aux autres que les arguments étaient de commentaires positifs sur la Toile. Neeru Paharia
faibles. Tous les participants ont réussi à défendre et ses collègues indiquent que cet « activisme par
leur opposition au règlement en question, et leur l’achat » est déclenché par le désir des consomma-
point de vue est resté inchangé. Cependant, ceux teurs d’exprimer leur point de vue. Nos travaux ré-
qui pensaient avoir défendu leur point de vue contre vèlent que, lorsqu’une marque appréciée est sou-
une attaque puissante devinrent d’autant plus cer- mise à une attaque, les consommateurs qui la
tains de leurs convictions. défendent en se lançant dans de tels « buycots »
A travers de nombreuses études, nous avons («protestations par l’achat», jeu de mots avec « boy-
constaté que la certitude renforcée par le fait d’avoir cott », NDLR) sont confortés dans leur position – ce
dû élaborer une défense façonne les comportements qui consolide d’autant plus leur fidélité.
futurs. Les personnes ayant défendu leur opinion
face à une attaque ont plus de chances de résister à LA PLUPART DES ENTREPRISES appliquent sporadique-
des assauts encore plus forts par la suite, de rester ment les principes de la certitude, mais sans que cela
fidèles à leur position initiale, et d’être prêts à agir résulte d’une démarche intentionnelle ou straté-
pour promouvoir leur point de vue. gique. Etant donné la facilité avec laquelle la certi-
Engager ainsi les individus à défendre leur tude peut être mesurée et influencée, nous voyons
À PROPOS
point de vue – en supposant qu’ils aient déjà cela comme une vaste opportunité manquée. D’un DES AUTEURS
adopté la position souhaitée – peut être un outil point de vue tactique, les principes de la certitude Au moment de la
managérial et marketing efficace. Lorsqu’on aime peuvent aisément être intégrés dans les programmes rédaction de cet article,
les auteurs occupaient
déjà votre idée, votre produit ou votre marque, des marketing existants – par exemple, dans les en-
les fonctions suivantes:
attaques bien pensées peuvent asseoir les certi- quêtes de satisfaction ou les commentaires clients.
tudes, mobiliser les soutiens et renforcer la résis- D’un point de vue managérial, nous recommandons Zakary L. Tormala est
professeur de marketing
tance face aux défis à venir. de passer d’une application occasionnelle, et sou- à la Graduate School
Dans un contexte organisationnel, ce genre de vent fortuite, du consensus, de la répétition, de l’ai- of Business de Stanford.
Derek D. Rucker est
vaccination peut augmenter la conviction – et donc sance et de la défense à une utilisation réfléchie et
titulaire de la chaire Sandy
l’ef�icacité – des personnes dans des situations structurée de ces leviers dans les situations interper- & Morton Goldman
susceptibles de les mettre à l’épreuve. Envisagez un sonnelles ou relatives aux équipes. Enfin, les cadres d’études entrepreneuriales
en marketing à la
scénario dans lequel vous préparez des collègues à dirigeants pourraient opter pour une réflexion stra- Northwestern’s Kellogg
une présentation imminente. Faites-vous l’avocat du tégique sur le rôle que la certitude pourrait jouer School of Management.
diable. Poussez-les dans leurs retranchements avec dans un contexte plus large, comme dans les négo- La version originale
des questions assez agressives comme : « Qu’est-ce ciations avec des partenaires ou d’autres parties pre- de cet article a été publiée
en septembre 2015
qui vous permet de penser cela ? » ou « Que répon- nantes. A tous les niveaux, la certitude constitue un dans l’édition américaine
drez-vous si l’équipe n’est pas d’accord avec vous ? ». outil de persuasion nouveau et puissant. de HBR.

108 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


QUESTIONNAIRE

Donnez-nous votre avis sur LE MUST


Que pensez-vous de cette parution «Le Must�»�? Merci de répondre�* avant
le 8 juin 2017 à ce questionnaire en ligne sur www.mrcc.fr/hbrlemust ou
par courrier. Vous pourrez participer à un tirage au sort permettant de gagner
le hors-série HBR «�Expert�».

SELON VOUS, LES PHRASES SUIVANTES CORRESPONDENT�ELLES AU CONTENU COMMENT AVEZ�VOUS CONNU
DE CE NUMÉRO ��LE MUST DU MARKETING�� ? LA COLLECTION ��LE MUST�� ?
Chez votre marchand de journaux
Tout à fait Assez Pas vraiment Pas du tout
En lisant Harvard Business Review
Il présente des sujets inédits
Par le site hbrfrance.fr
Il présente une sélection
des sujets les plus à jour Par les réseaux sociaux
sur le marketing
Par le bouche-à-oreille
Il présente l’essentiel
à savoir sur le marketing
CE NUMÉRO DE LA COLLECTION
Il permet d’approfondir ��LE MUST�� VOUS A�T�IL INTÉRESSÉ�?
des sujets sur le marketing
Beaucoup
AVEZ�VOUS DÉJÀ LU LES AUTRES PARUTIONS DE LA COLLECTION ��LE MUST���? Assez

Oui Non Peu

Le Must de la stratégie Pas du tout


Le Must de l’innovation
VOUS ÊTES�
Le Must du leadership Un homme
Une femme
��LE MUST�� EST UNE COLLECTION REGROUPANT LES NOTIONS ESSENTIELLES
SUR DE GRANDES THÉMATIQUES MANAGÉRIALES. PENSEZ�VOUS ACHETER… VOTRE TRANCHE D’ÂGE
Uniquement ce numéro 18-29 ans
Quelques numéros en fonction des thèmes qui vous intéressent 30-39 ans
Tous les numéros ou presque afin de constituer une collection 40-49 ans
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QUEL EST VOTRE FRÉQUENCE D’ACHAT DU BIMESTRIEL HARVARD BUSINESS
REVIEW FRANCE ?
Vous l’achetez plus souvent qu’avant
Vous l’achetez autant qu’avant
Vous l’achetez moins souvent qu’avant
Vous ne l’avez jamais acheté

* Pour répondre, connectez-vous à www.mrcc.fr/hbrlemust ou renvoyez ce questionnaire, sous enveloppe timbrée, avant le 8 juin
à�: Prisma Media, Enquête lecteurs HBR, Sylvain Sacleux, 13, rue Henri-Barbusse, 92624 Gennevilliers Cedex. Vos réponses sont
confidentielles et seront agrégées. Pour participer au tirage au sort permettant de gagner le hors-série HBR «�Expert�», merci de nous
communiquer vos nom et adresse postale.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 109


L’EXPÉRIENCE
HUMAINE,
NOUVEAU
LEVIER DE
LA PUBLICITÉ
Trop de pub tue la pub�! Vous voulez que la vôtre
soit accueillie avec bienveillance�? Pour cela,
il vous suffit de mieux connaître le consommateur
et d’agir sur la bonne sphère d’influence.
Par Jeffrey F.Rayport. Illustrations: Ludwick Hernandez

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 111


L’EXPÉRIENCE HUMAINE, NOUVEAU LEVIER DE LA PUBLICITÉ

L ors de l’été 2012,


le géant des boissons
Diageo, installé à Londres,
trains, bus, ascenseurs, stations essence, bars, res-
taurants et métros. Ces soi-disant réseaux de diffu-
sion ciblée, comme Wal-Mart TV, sont devenus de
véritables vecteurs pour les médias, qui ont atteint
facilement des auditoires aussi larges que ceux des
principaux réseaux câblés.

a réalisé, pour son whisky Dans ce monde saturé par les médias, les straté-
gies publicitaires reposant sur l’idée que l’on peut

destiné au marché convaincre par le manque, la répétition et une om-


niprésence envahissante sont de plus en plus inef-

brésilien, des étiquettes


�icaces. Cherchant à se soustraire à ce flot, les
consommateurs utilisent leur magnétoscope nu-

qui ont transformé les


mérique (pour éviter les spots télévisés), bloquent
les pop-up sur leurs navigateurs, esquivent les ban-

bouteilles en supports pour


nières publicitaires et paient des fournisseurs de
contenu comme Pandora pour qu’ils ne leur dif-

des vidéos sur mesure.


fusent pas de publicités. Pour avoir un impact, les
experts du marketing doivent revoir de fond en
comble le contenu et le déploiement de leur straté-
gie et élargir leur dé�inition de ce qu’est exacte-
Leur mise en rayons était planifiée pour la �ête des ment la publicité.
Pères et la personne qui offrait la bouteille pouvait Cet article propose de donner un cadre à ce pro-
scanner un code imprimé sur l’étiquette et téléchar- cessus. Il s’appuie sur l’idée que l’expérience hu-
ger un message vidéo stocké dans le cloud. maine – que ce soient les navigations en ligne et hors
De son côté, le père pouvait lire le code à l’aide de son ligne, les interactions sociales, les adhésions à des
propre smartphone et prendre connaissance de ces groupes et les cheminements intellectuels – est un
vœux préenregistrés. Les vidéos permettaient à la vaste support publicitaire qui peut et doit être ap-
société de faire la promotion de sa marque, de resser- préhendé de façon stratégique. Le succès de la pu-
rer les liens sociaux et de reprendre contact à la fois blicité dépend de ce que les professionnels du mar-
avec la personne offrant la bouteille et avec celle la keting veulent en faire, de la façon dont ils
recevant en cadeau. Elle pouvait ainsi les informer conçoivent et font passer leurs messages et, point
des promotions à venir, des manifestations, des dé- plus essentiel encore, de l’accueil favorable que
gustations et leur adresser des offres. Diageo a ainsi peuvent lui réserver les consommateurs en invitant
transformé la forme de publicité la plus banale – une les marques à intégrer leur vie.
étiquette portant un logo – en un système de com- Ce modèle est à la base de la formation et des
munication personnalisée, ouvert et capable de s’in- conseils que je donne aux cadres supérieurs au sein
filtrer dans la vie des consommateurs. On est loin de de  l’agence de publicité et de communication Omni-
la forme habituelle de la publicité – c’est-à-dire diffu- com Group et de MarketspaceNext, un cabinet de
sée à grande échelle mais souvent mal ciblée – intru- conseil en stratégie digitale. Les concepts qui l’ali-
sive, au mieux ignorée et au pire activement repous- mentent ont été appliqués aux médias, à la distribu-
sée. A l’heure actuelle, les consommateurs sont tion, aux services financiers, à l’industrie pharma-
noyés sous des messages sans pertinence que leur ceutique et aux entreprises produisant des biens de
bombardent une multitude de médias : Internet, TV, grande consommation.
radio, presse et panneaux d’af�ichage extérieurs,
sans oublier tous les appareils mobiles. Les écrans Avoir une présence
sont partout : les smartphones et les tablettes, les dis- Les messages publicitaires banals, les créations et
tributeurs automatiques, les terminaux d’enregistre- les positionnements sans véritable créativité de-
ment dans les aéroports, les caisses enregistreuses, viennent rapidement dépassés. Pour gagner l’atten-
les kiosques d’information dans les commerces et les tion et la confiance des consommateurs, les profes-
grandes surfaces portent tous des messages conçus sionnels du marketing doivent moins penser à ce
par des professionnels du marketing. Les médias se que la publicité dit à ses cibles et plus à ce qu’elle fait
sont immiscés dans un nombre infini de lieux pu- pour eux. Plutôt que de concevoir des campagnes
blics qui font partie de notre vie quotidienne : taxis, publicitaires avec un début, un milieu et une fin qui

112 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


L'I D É E E N B R E F

Dans un monde saturé par les • la sphère publique, où nous Chaque sphère a des
médias, tenter de convaincre passons d’un endroit ou d’une niveaux d’efficacité variables
par le manque et la répétition activité à l’autre, à la fois pour influencer la prise
en ligne et hors ligne�; de conscience, l’achat
est de plus en plus inefficace.
• la sphère sociale, où nous ou la fidélité à une marque.
Pour aborder les consomma-
interagissons les uns avec les autres�; Faire de la publicité avec succès
teurs, les publicitaires doivent • la sphère tribale, où nous adhérons dans chacun de ces domaines
se concentrer sur le lieu et le à des groupes pour définir implique que les messages
moment où ils seront réceptifs. ou exprimer notre identité�; apportent de la valeur
Cela nécessite d’intégrer des • la sphère psychologique, et que les consommateurs
publicités de façon stratégique où nous connectons le langage leur fassent confiance, mais
dans quatre domaines à des pensées et à des sentiments aussi qu’ils les accueillent
de l’expérience humaine�: spécifiques. avec bienveillance.

martèlent un point, ils doivent penser à la publicité du marketing peuvent-ils amener les consomma-
– ainsi qu’aux offres qu’elle promeut – comme à une teurs à s’y intéresser volontairement ?
présence durable et enrichissante dans la vie des Dans mon travail, je conseille aux experts du
consommateurs. marketing d’appréhender cette expérience humaine
C’est une voie nouvelle et perturbante pour une comme un paysage composé de quatre domaines :
discipline qui demeure plus à l’aise avec des spots la  sphère publique, où nous nous déplaçons d’un
télévisés et des publicités sur écran. Malgré tout, les endroit ou d’une activité à l’autre, à la fois en ligne
équipes marketing de Diageo et d’autres entreprises et  hors ligne ; la sphère sociale, où nous interagissons
n’hésitent pas à repousser les limites de la publicité. les uns avec les autres ; la sphère tribale, où nous
Des sociétés comme Demand Media, Skyword et nous intégrons dans des groupes pour dé�inir ou
BuzzFeed, par exemple, ont alimenté la croissance exprimer notre identité ; et la sphère psychologique,
de contenu dit natif, créant à la fois un texte et une où nous connectons le langage à des pensées et à des
vidéo qui complètent le message commercial, et sentiments spécifiques.
encouragent les consommateurs à s’y plonger parce Depuis longtemps, les professionnels du marke-
qu’ils vont au-delà de la simple publicité. Rolex as- ting ont positionné la publicité dans chacune de ces
socie ses  publicités en ligne au monde de la musique sphères, mais souvent à leur insu ou de façon non
– une critique de concerts et d’opéras publiée dans le stratégique. En cartographiant de façon explicite
« New York Times » avec sa marque représentée par leurs programmes et en envoyant leurs messages
une couronne, logo emblématique de l’horloger qui vers ces quatre domaines, ils peuvent identifier de
est destiné à attirer le public achetant des Rolex. Peu nouvelles voies pour amener les consommateurs à y
de temps après l’élection présidentielle américaine, prêter attention. Plutôt que de se concentrer d’abord
Fidelity a publié de pleines pages de publicité dans sur la stratégie de communication et le « marketing
les  principaux journaux américains en posant la mix », ils devraient commencer par examiner la fa-
question « Comment les résultats des élections çon dont les  consommateurs vivent leur vie et dans
pourraient-ils affecter les marchés ?» et a invité les quelles circonstances ils se révéleront réceptifs à des
lecteurs à télécharger des analyses rédigées par le messages dans ces domaines.
panel d’experts de l’entreprise.
Ce type de publicité se distingue indéniablement La sphère publique
du reste. Dans le meilleur des cas, elle se caractérise La publicité dans la sphère publique cible généra-
par son intégrité éditoriale et attire le consomma- lement les consommateurs pendant les moments
teur par sa pertinence et sa valeur. Quel que soit de pause, lorsqu’ils passent d’un point ou d’une
l’intérêt de votre message, vouloir attirer l’attention activité à un(e) autre et peuvent prendre en consi-
simplement en criant plus fort que le reste de la dération de nouvelles sollicitations. Ces publicités
meute sur toute une multitude de plateformes mé- ont une longue histoire, bien sûr : au début des an-
dias dont le nombre ne cesse de croître n’est pas une nées 1920, par exemple, Burma-Shave s’est rendu
stratégie durable. Si l’expérience humaine est un célèbre pour avoir fait ériger des panneaux dérou-
levier pour la publicité, comment les professionnels lants délivrant des messages publicitaires vantant,

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 113


L’EXPÉRIENCE HUMAINE, NOUVEAU LEVIER DE LA PUBLICITÉ

en rimes, sa crème à raser aux automobilistes qui tournent instinctivement vers leurs appareils. Une
passaient à proximité. Plus récemment, Captivate étude parue dans HBR de janvier-février 2013 (« How
Network a installé des écrans sponsorisés silencieux People Really Use Mobile ? ») révélait que les
dans les ascenseurs des tours de bureaux et Pump- consommateurs consacrent près de la moitié du
Top TV a fait de même avec des écrans digitaux sur temps qu’ils passent sur leurs appareils mobiles à se
des pompes à essence. détendre ou à se divertir.
Dans le monde virtuel, la capacité à (ré)agir vite Les publicités efficaces dans la sphère publique
et les enchères en temps réel permettent aux res- suivent un ou plusieurs de ces quatre principes :
ponsables marketing d’acheter des espaces publici- Elles sont pertinentes par rapport au contexte.
taires en ligne et de proposer une publicité bien pré- Ainsi, le message correspond à l’expérience que le
cise parmi des centaines ou des milliers de consommateur vit au moment où son regard croise
possibilités, pour qu’elle soit adaptée au profil du la publicité. Zappos, l’entreprise de vente en ligne
consommateur et, de plus en plus, à sa situation de chaussures, l’a compris quand elle a placé des
géographique, le tout en quelques millisecondes publicités dans les petites caisses utilisées pour
(voir l’encadré « Les publicités en ligne dans les déposer ses affaires, dont ses chaussures, aux
quatre sphères »). Comme ces annonces sont mieux contrôles de sécurité des aéroports américains.
ciblées dans la sphère publique, elles seront moins Cette initiative permet de pro�iter d’un temps
considérées comme des intrusions et davantage d’inactivité, en transit, pour faire passer un mes-
comme des messages de bienvenue. Les applica- sage non intrusif mais pertinent. Une publicité sur
tions et les services mobiles qui intègrent ces fonc- un panneau d’affichage, en lien avec vos besoins
tionnalités offrent un excellent moyen d’atteindre (pour un restaurant sur une autoroute, par
les consommateurs entre deux activités ou lorsqu’ils exemple), est de la même façon pertinente dans ce
sont en transit, car c’est à ce moment-là qu’ils se contexte.
Elles aident les individus à atteindre leurs objec-
tifs personnels. Ikea, le vendeur de meubles dis-
count suédois, fait sa publicité au travers d’une
offre de solutions de transport pour les clients de
son magasin new-yorkais de Brooklyn. La société
fournit un bateau-taxi et un bus navette portant sa
marque, peint en bleu et jaune (les couleurs emblé-
matiques d’Ikea), pour se rendre à Manhattan. Elle
facilite aussi la réservation de véhicules chez Zip-
car, dont certains sont eux aussi estampillés Ikea,
pour se rendre dans l’un de ses magasins. Les bus,

Les publicités en ligne bateaux et véhicules de Zipcar servent ainsi de pan-


neaux d’af�ichage itinérants à la marque, tout en
dans les quatre sphères réglant un problème pour le  consommateur.
Elles s’introduisent dans la vie des consomma-
Les technologies de publicité en ligne améliorent profondément la capacité
teurs de façon ciblée et utile au moment et à l’endroit
des responsables marketing à adapter la publicité au contexte spécifique
d’un consommateur. où on les désire. Arrêtons-nous un instant sur l’ini-
Grâce aux enchères en temps réel sur les plateformes d’échanges de publicités, tiative du fabricant de piles Duracell après l’ouragan
les professionnels du marketing font des offres en une fraction de seconde pour Sandy, qui a ravagé la côte nord-est des Etats-Unis
mieux cibler un consommateur en fonction de son historique de navigation, en octobre 2012. Duracell a dépêché des camions de
de son utilisation des médias sociaux, de son comportement d’achat en ligne premiers secours arborant sa marque dans les zones
et hors ligne, de sa localisation géographique ou encore de son appartenance dévastées, pour servir de stations mobiles de re-
à une classe démographique. Après avoir créé plusieurs milliers de versions
chargement, fournir à la population un accès à In-
d’une publicité pour un modèle d’annonce en ligne standard, comme une
bannière, les experts du marketing peuvent choisir celle qui est la plus adaptée ternet et, bien sûr, des piles gratuites.
–�dans un processus appelé «�exécution dynamique�»�– de façon à ce que l’impact Elles offrent des expériences stimulantes, inédites
sur le destinataire soit plus élevé. Tout cela se passe en 30 à 120 millisecondes, ou attrayantes. Les magasins éphémères et les ca-
à partir du moment où un utilisateur clique sur un lien ou entre une URL mions événementiels, qui créent la surprise, ap-
(lançant ainsi un «�appel d’annonce�») jusqu’à ce que la page Web se charge. portent une expérience riche au consommateur et
La même technologie peut être étendue au Web mobile et va bientôt concerner
sont centrés sur la marque, en constituent un bel
tous les médias électroniques, y compris la télévision.
exemple. De 2006 à 2010, la marque de papier hy-

114 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


giénique Charmin a installé de façon temporaire teurs à atteindre certains « objectifs sociaux ». Pour
des toilettes publiques pour faire la promotion de lancer sa console de jeux vidéo Wii, Nintendo s’est
ses produits sur Times Square, à Manhattan, pen- inspiré d’un manuel de stratégie des affaires de
dant la période des �êtes, améliorant ainsi sa noto- Tupperware. Il a identi�ié des femmes ayant le
riété et son image. Les installations permanentes profil de « jeunes mamans » et leur a fourni tout ce
des marques, comme celles des six magasins Her- dont elles avaient besoin – les consoles de jeux, le
shey aux Etats-Unis, à Shanghai, à Dubaï et à Singa- buffet… – pour organiser des parties de Wii et
pour, en sont un autre exemple. Idem pour les ac-
tions flash menées dans le flux de la vie quotidienne,
comme cette opération de Starbucks : des salariés Exemple d’action flash qui ne se
arborant des tabliers avec le célèbre logo à  la sirène
qui offrent aux consommateurs des tasses de cidre limite pas à une simple publicité�:
chaud épicé lors des froides journées d’hiver. Dans
la sphère publique, les publicités ont en général une
des salariés de Starbucks,
dimension pratique bien spéci�ique, mais elles
peuvent aussi avoir de l’influence dans les trois
arborant des tabliers avec le
domaines restants, comme nous le verrons. célèbre logo à la sirène, qui
La sphère sociale offrent des tasses de cidre chaud
Dans la sphère sociale, la publicité aide les gens à se
faire de nouveaux contacts ou à enrichir ceux qu’ils
lors des froides journées d’hiver.
ont déjà. Elle peut transformer les interactions
sociales elles-mêmes en vecteurs de messages pu- prendre contact avec d’autres mamans. Cela a occa-
blicitaires. Comme la publicité dans la sphère pu- sionné un bouche-à-oreille inattendu « entre ména-
blique, elle doit intervenir au bon endroit, au bon gères » en ligne et hors ligne, au sein d’une popula-
moment et porter le bon message. Celui-ci doit être tion qui ne prête normalement aucune attention
pertinent par rapport au contexte, conforme aux aux vidéos ou aux jeux électroniques.
attentes de chacun, répondre à un besoin social et
faciliter l’interaction de manière innovante. La sphère tribale
Les bouteilles « parlantes » de Diageo en sont un Tandis que la sphère sociale s’appuie sur des ré-
bon exemple : elles consolident les liens existants seaux larges et diversifiés, la sphère tribale relève
tout en renforçant la marque. En effet, toutes les d’un engagement social plus ciblé ; dans ce cas, les
publicités que les consommateurs sont incités à dif- professionnels du marketing utilisent ou même
fuser servent cet objectif. Ainsi, plusieurs millions créent chez le consommateur une forme d’identifi-
de personnes ont  partagé les publicités vidéo co- cation à des groupes. La publicité qui veut renforcer
miques d’Old Spice, de Procter & Gamble, ce qui le sentiment d’appartenance à une tribu doit
permet à la fois de divertir ses amis, de renforcer les s’adapter aux spéci�icités et aux valeurs des per-
liens et de « booster» considérablement la marque. sonnes concernées ; prendre en compte leur besoin
Shopycat de Walmart et d’autres plateformes desti- d’exister, de s’exprimer et d’appartenir à une com-
nées à faire des cadeaux communiquent sur leur munauté ; adresser un signal de reconnaissance
capacité à répondre à un « besoin social » : comme sociale, comme un marqueur de statut, et donner
trouver le bon cadeau pour un ami. Shopycat re- du pouvoir à l’individu.
commande ainsi des cadeaux pour les amis Face- Prenons l’exemple d’une marque culte comme
book des consommateurs ; ce service a été lancé en Oakley, avec ses lunettes de soleil très performantes
2011 auprès des 11 millions de fans qui avaient ou ses vêtements, qui exploite tout particulière-
« liké » la page de la grande enseigne. Il exploite les ment le levier du positionnement tribal. Non seule-
données diffusées sur le réseau social, interprète les ment les clients portent des produits siglés Oakley,
commentaires des utilisateurs – en notant, par mais ils af�ichent aussi le logo séparément, par
exemple, qu’une personne a aimé ou n’a pas aimé exemple, en collant des autocollants sur leurs voi-
tel livre ou tel �ilm – pour proposer ensuite des tures. Utiliser le nom de la marque, indépendam-
recommandations sur mesure. Une autre forme de ment du produit, c’est montrer que l’on fait partie
publicité dans la sphère sociale se sert des événe- d’une tribu dédiée aux sports extrêmes et à l’excel-
ments promotionnels pour aider les consomma- lence dans ce domaine.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 115


L’EXPÉRIENCE HUMAINE, NOUVEAU LEVIER DE LA PUBLICITÉ

Yelp, comme d’autres sites en ligne similaires, consommateurs de montrer leur statut social
fait de cette dimension tribale un vecteur clé de – leur appartenance à un groupe – en mettant en
son projet entrepreneurial. L’entreprise rassemble valeur les logos et les noms des marques.
exclusivement des critiques déposées par des
consommateurs qui racontent leur expérience, La sphère psychologique
qu’il s’agisse d’un dîner au restaurant ou de la vi- C’est le domaine du langage, de la connaissance et
site d’un musée. Aujourd’hui, elle compte près de de l’émotion. Evidemment, dans ce cas, toute pu-
33 millions de commentaires et revendique envi- blicité �init par fonctionner, d’une manière ou
ron 84 millions de visiteurs uniques par mois. d’une autre. Mais les annonces optimales pour cet
Cependant, les princ ipaux producteurs de univers sont celles qui sont conçues pour intro-
contenu du site ne représentent pas un groupe duire des mots, des expressions ou des émotions
très large. En fait, de nombreux avis proviennent dans l’inconscient du consommateur, qui vont ser-
de ce que l’entreprise appelle sa patrouille d’élite, vir de raccourcis à des concepts complexes, inspi-
rant soit un passage à l’action, soit des sentiments

Les marques elles-mêmes


positifs. Les principes sur  lesquels repose une pu-
blicité réussie dans le domaine de la psychologie

utilisent le langage pour être sont simples : fournir de nouveaux modes d’expres-
sion des idées, susciter l’émergence de nouvelles ha-

associées à une action ou bitudes, orienter la réflexion et susciter l’émotion.


Ces publicités fonctionnent en général de l’une des
à un attribut particulier, en quatre façons suivantes :
Elles utilisent le langage pour façonner une image
s’appropriant les mots d’une qui représente la marque dans son ensemble. Elles

manière nouvelle, comme peuvent associer des mots ou des expressions cou-
rantes, comme Staples l’a fait avec « C’est simple »,

Facebook l’a fait avec «�ami�». Apple avec « Pensez différemment » et Nike avec
« Just do it ». La devise de Nike est aujourd’hui syno-
nyme de la marque et est associée à l’objectif d’at-
dont les membres sont invités à des événements teindre sa meilleure performance personnelle – en
dans des restaurants, des discothèques, des mu- d’autres mots, c’est à la fois une publicité et un fac-
sées, et sont célèbres pour leur affiliation à une teur de motivation. Les publicités de la sphère psy-
tribu. Leur fort sentiment d’appartenance fait chologique peuvent aussi permettre aux marques
d’eux de puissants ambassadeurs de la marque, de s’introduire dans le langage courant, le plus sou-
grâce à un bouche-à-oreille élogieux concernant vent sous la forme de verbes, comme « googliser »
Yelp, online et offline. (pour faire une recherche sur Google). Les marques
Starbucks aussi a effectué un important travail elles-mêmes utilisent le langage pour être associées
de communication sur les médias sociaux pour à une action ou à un attribut particulier, en s’appro-
renforcer son identité tribale. Son initiative la plus priant les mots d’une manière nouvelle, comme
astucieuse a été récemment de rapprocher les uni- Facebook l’a fait avec « ami » (« friend ») et Twitter
vers online et offline, en remettant des marqueurs avec « suivre » (« follow »).
de statut – des badges spéciaux de « barista » – à Elles peuvent frapper fort avec des mots ou des
des personnes devenues des « clients d’honneur » expressions dont on se souvient, comme Budweiser
de magasins Starbucks, en vertu du nombre d’avis avec « Whatssup ? » (« Quoi d’neuf ? ») ou Taco Bell
qu’elles avaient déposés sur Foursquare. Ces avec « Yo quiero Taco Bell » (« J’aime Taco Bell »), qui
badges donnent à leurs détenteurs le droit de cu- ont pris vie aux yeux des consommateurs, renfor-
muler des réductions. çant ainsi l’impact des messages à chaque fois qu’ils
La publicité de la sphère tribale ne se limite étaient vus. Un nombre incalculable de consomma-
bien sûr pas aux foules. Les marques de luxe ont teurs américains prononcent chaque jour le slogan
souvent recours à la publicité conventionnelle via de Verizon « Can you hear me now ? » (« Tu m’en-
les médias de masse, mais comptent aussi et tends maintenant ? ») pour des raisons purement
surtout sur leurs clients pour diffuser le message pratiques ; mais à chaque fois, ils renforcent la
qui aura le plus d’impact possible. Hermès, Gucci notoriété de la marque et laissent entendre que
et Louis Vuitton, tous dépendent du désir des Verizon dispose du meilleur des réseaux.

116 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


Comment intégrer
Elles cherchent à créer des habitudes. « Just do
it » pousse les consommateurs à courir tous les
de la publicité dans
jours ou à atteindre le meilleur d’eux-mêmes. Le « I
can’t believe I ate the whole thing » (« Je n’arrive
la vie quotidienne
pas à croire que j’ai mangé tout ça ») d’Alka-Seltzer Pour être efficace dans chaque sphère de l’expérience humaine,
a été conçu il y a des années pour pousser les une publicité doit être pertinente et apporter de la valeur.
consommateurs à utiliser son produit après
chaque repas pantagruélique.
Elles orientent la façon de penser. Depuis sa EXIGENCES
création, IBM a utilisé « THINK » (« PENSEZ ») pour
inspirer les salariés et diffuser ses valeurs dans le
POUR LA PUBLICITÉ EXEMPLES
reste du monde, tout comme l’a fait plus récem-
ment le magazine « The Economist » avec ses
slogans « Think responsibly » (« Pensez de façon Sphère publique
Là où nous passons d’un endroit ou d’une activité à l’autre
responsable ») et « Think someone under the table »
(« Pensez plus vite que votre voisin »). Le désor- • Etre pertinente dans son contexte • Les publicités de Zappos
mais célèbre « Don’t be evil » (« Ne faites pas le • Correspondre aux objectifs sur les caissettes de sécurité
mal ») de Google, qui avait été inclus dans sa bro- du consommateur des aéroports
chure d’introduction en Bourse, est devenu un • Répondre à un besoin • Les installations éphémères
• Etre engageante, convaincante de Charmin
mantra pour les entrepreneurs et les consomma-
et inédite • Les camions Rapid Responder
teurs – malgré un certain scepticisme quant à la
de Duracell
capacité de Google à respecter cette devise. Josh
James, le fondateur d’Omniture, une société de
webanalytics qui appartient désormais à Adobe, a
doté son entreprise d’un slogan très simple, Sphère sociale
« Think, go, do » (« Réfléchissez, foncez, agissez »). Là où nous interagissons les uns avec les autres
D’un point de vue cognitif, c’est à la fois inspirant
• Etre pertinente dans le contexte • Les codes des étiquettes
et pragmatique. Et Oneupweb, une société de ser- social du whisky Diageo
vices numériques dont l’objectif est de mettre en • Répondre à un besoin social • Shopycat de Walmart
contact des clients avec des marques de toutes les ou résoudre un problème social • Les parties Wii de Nintendo
façons ima ginables, fonctionne selon une • Faciliter les interactions sociales pour jeunes mamans
consigne sans équivoque : « Be relentless » (« N’ar-
rêtez jamais »). Elle  aussi fait la promotion de la
marque et oriente la  façon de penser.
Elles associent une marque à une humeur ou à Sphère tribale
Là où nous adhérons à des groupes afin d’exprimer notre identité
une émotion. Prenez l’exemple des frères Bert et
John Jacobs, qui faisaient du porte-à-porte pour • Répondre à des désirs individuels • Les produits et autocollants
vendre des tee-shirts dans les universités et lors d’expression de soi ou d’identité de marque Oakley
des �êtes de rue, avec un succès limité. Tout a • Envoyer un signal social ou servir • Les sacs Hermès, Gucci
changé quand ils ont créé une chemise arborant de marqueur de statut et Louis Vuitton
un personnage souriant, Jake, et un slogan : « La • Fournir une forme d’affiliation
vie est belle ». La chemise a immédiatement gé- • Valoriser l’individu
néré une réaction positive chez leurs amis. Au-
jourd’hui, Life is Good Inc. vend près de 900  mo-
dèles via un réseau de 4 500 magasins et de plus
de 100 revendeurs indépendants. Bien que ses
Sphère psychologique
Là où nous lions le langage à des pensées et à des sentiments spécifiques
distributeurs utilisent des formes classiques de
publicité, Life is Good Inc. ne communique qu’au • Fournir un nouveau moyen • «�Just do it�» de Nike
d’articuler des idées • «�C’est simple�» de Staples
moyen de son logo bien identifiable et de son slo-
• Identifier une marque à une action • Slogan et logo de Life is Good Inc.
gan affiché sur les produits. L’entreprise comme sa
ou à un attribut
publicité sont ancrées dans la sphère psycholo- • Lier un mot à un système de pensée
gique et font la promotion d’un état d’esprit, l’op- • Associer la marque à une émotion
timisme, en une phrase.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 117


L’EXPÉRIENCE HUMAINE, NOUVEAU LEVIER DE LA PUBLICITÉ

Se positionner plus sensibles à la marque, les amènent à tester le


dans les sphères d’influence produit voire à l’acheter, tandis que la publicité dans
Bien que les annonces publicitaires visant les quatre la sphère tribale pousse le consommateur à l’achat, à
sphères d’influence présentent des similitudes avec préférer une marque à une autre et renforce sa fidé-
les campagnes classiques, elles impliquent une lité (voir l’encadré « Choisissez la bonne sphère d’in-
approche plus centrée sur le client que sur les médias. fluence pour atteindre vos objectifs »).
Au lieu de cibler d’abord les médias à privilégier lors
d’une campagne – télévision, Web, mobile, écrans en 3. Tester, écouter et ajuster les publicités
plein air – les professionnels du marketing devraient pour améliorer l’expérience client. Au même
commencer par déterminer comment la publicité titre que les stratégies publicitaires traditionnelles,
prévue peut s’intégrer dans la vie des consomma- une approche fondée sur les sphères d’influence
teurs en leur apportant une réelle valeur ajoutée et en nécessite d’être testée. Même dans la sphère appro-
gagnant leur con�iance. S’engager dans une cam- priée, une campagne publicitaire peut être ineffi-
pagne classique devient alors moins pertinent. La cace pour de multiples raisons. Par conséquent, il
publicité centrée sur les sphères d’influence est est essentiel d’«écouter» les cibles visées par cette
conçue pour établir une présence soutenue qui va du campagne grâce aux outils technologiques dispo-
simple support promotionnel à l’outil conceptuel. nibles – du suivi de leur comportement en ligne à

Si les experts du marketing abusent


des outils à leur disposition, leur publicité
peut passer de «�présente et précieuse�»
à «�invasive et assimilable à du harcèlement
commercial�».
Les cinq étapes qui suivent offrent un cadre utile l’observation anthropologique des consommateurs
pour appliquer ces idées : dans le monde réel, en passant par l’analyse des
1. Définir d’abord des objectifs du point de commentaires sur les réseaux sociaux – et ajuster
vue du consommateur et non du publicitaire. tout cela en temps réel. Le système Beacon de Face-
Souvent, les responsables du marketing ne par- book, qui alertait un cercle d’amis quand l’un de ses
viennent pas à énoncer clairement leurs objectifs membres faisait un achat en ligne, a provoqué une
stratégiques dès le début, ou bien les objectifs qu’ils réaction immédiate ; Facebook l’a rapidement retiré
choisissent sont vagues, trop orientés médias ou au profit d’actions moins invasives, telles que des
encore excessivement larges. Avec une stratégie publicités en ligne ciblées.
axée sur les sphères d’influence, avoir des objectifs
et des priorités clairs est plus important que jamais. 4. Identifier une stratégie de croissance. En
Est-ce que le but de la campagne est de se faire fonction des résultats obtenus ou d’objectifs qui
connaître ? D’être reconnu ? De susciter l’achat ? De auront évolué au cours du temps, les experts du
renforcer la fidélité à la marque ? marketing peuvent retirer la publicité d’une sphère
ou l’étendre à d’autres. Par exemple, une publicité
2. Cibler la campagne afin de créer de la ef�icace dans la sphère sociale peut conduire une
valeur pour les consommateurs. Chacune des communauté n’entretenant que des liens distendus à
sphères offre des atouts spécifiques ; choisir quelle(s) agir peu à peu comme une « tribu » au sein de laquelle
sphère(s) privilégier dans le cadre d’un projet publici- les individus expriment leur identité via leur apparte-
taire, au départ et au fil du temps, dépend du point nance à ce groupe. Au début, les clubs de moto BMW
de  rencontre entre les objectifs du consommateur et ne regroupaient que des personnes entretenant de
ceux de l’annonceur. Les sociétés qui appliquent ce vagues liens sociaux. Puis ce sont devenus des
modèle ont découvert, par exemple, que la publicité groupes très soudés, assez proches de ceux des pro-
dans la sphère publique rend les consommateurs priétaires de Harley, qui sont fortement marqués par

118 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


Choisissez la bonne sphère
d’influence pour atteindre
vos objectifs
Faible

Moyenne
Même si lancer une publicité dans n’importe laquelle
de ces quatre sphères peut servir les objectifs du marketing,
Forte
chacune d’entre elles exerce des niveaux d’influence
divers sur le comportement des consommateurs.

RÉACTION DU CONSOMMATEUR
Reconnaissance Essai Achat Préférence Fidélité
de la marque de marque
SPHÈRE
PUBLIQUE
SPHÈRE
SOCIALE
SPHÈRE
TRIBALE
SPHÈRE
PSYCHOLOGIQUE

leur identité tribale. De même, une campagne lancée temps ; délivrer un message sans cesse actualisé est
dans la sphère publique peut produire une associa- essentiel pour  s’assurer qu’une campagne reste perti-
tion de mots ou d’expressions dont l’impact sera nente et de  qualité. Le slogan de Twitter, qui favorise
renforcé grâce à des publicités spéci�iquement tout particulièrement les comportements tribaux, est
conçues au départ pour la sphère psychologique. passé de « Tout un monde entre vos mains » à « Que
faites-vous ? » puis à « Suivez vos intérêts » au slogan
5. Chercher en permanence des moyens plus informatif mais aussi plus verbeux « Découvrez
d’actualiser le message. Les attitudes et les com- ce que font en ce moment même les personnes et les
portements des consommateurs évoluent à un organisations qui vous intéressent ». 
rythme accéléré. Les professionnels du marketing À PROPOS
DE L’AUTEUR
doivent constamment évaluer la performance de leur BIEN QU’UNE PUBLICITÉ intimement liée à la vie des
Au moment de la
campagne et adapter leur approche en temps réel. consommateurs soit moins intrusive que ses alter- rédaction de cet article,
C’est fondamental, notamment pour la publicité dans natives conventionnelles, elle est néanmoins omni- l’auteur occupait
les fonctions suivantes�:
la sphère publique, où le message doit répondre à un présente. C’est pourquoi, si les experts du marketing
besoin, être adapté au contexte et créer de la valeur abusent des outils à leur disposition, leur publicité Jeffrey F. Rayport est
dans le quotidien des individus. Mais cela s’applique peut passer de « présente et précieuse » à « invasive et consultant auprès de
grands groupes et
également à la publicité dans les trois autres sphères. assimilable à du harcèlement commercial ». d’entreprises privées,
Par exemple, de nombreuses marques parviennent à Ainsi, ils doivent non seulement obtenir la « per- spécialisés dans les
services de distribution,
continuer à susciter le même intérêt dans la sphère mission » des consommateurs qu’ils approchent,
d’information et de
psychologique en renouvelant soit leur message (via mais aussi les aborder avec un profond respect. La marketing. C’est l’un des
leur slogan et les promesses faites aux consomma- publicité dans les  sphères publique, sociale, tribale fondateurs d’Omnicom
University et le directeur
teurs), soit leurs modes de traitement. Pensez au et psychologique ne fonctionne que lorsqu’elle est associé du cabinet en
nombre de fois où Coca-Cola a changé son logo et bienvenue et utile. Dès qu’elle agresse les sens, stratégie digitale
MarketspaceNext.
ses slogans sans pour autant que la marque perde en envahit la vie privée, vise l’appât du gain de façon
cohérence (contrairement à Pepsi). Réfléchissez inappropriée ou empiète sur la vie des consomma- La version originale de cet
article a été publiée en
aussi à la façon dont les réseaux sociaux ou les com- teurs, ils la rejettent ou, pire, réagissent en s’y op- mars 2013 dans l’édition
munautés de consommateurs évoluent au �il du posant violemment. américaine de HBR.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 119


PUBLICITÉ ET
CRÉATIVITÉ,
QUAND ÇA PASSE
ET QUAND ÇA CASSE
Par Werner Reinartz et Peter Saffert.
Illustration: Alain Pilon

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 121


PUBLICITÉ ET CRÉATIVITÉ : QUAND ÇA PASSE ET QUAND ÇA CASSE

S
i vous demandez à un publicitaire ce destinées à promouvoir 90 marques dynamiques
qui fait le succès d’une publicité, la du secteur de la grande consommation en Alle-
réponse que vous recevrez vous fera magne entre janvier 2005 et octobre 2010. Nous
sans doute penser au mantra de Ste- avons demandé à un panel de consommateurs en-
phan Vogel, directeur de la création de traînés à l’évaluation de juger le degré de créativité
l’agence Ogilvy & Mather en Allemagne : «Rien n’est des spots publicitaires et nous avons étudié les
plus efficace que la créativité en matière de publi- liens entre les perceptions de ces spots et les
cité. Elle reste gravée dans les mémoires et son effet ventes des produits concernés. Les familles de pro-
perdure. On atteint son objectif tout en réduisant les duits que nous avons étudiées (laits pour le corps,
investissements médias et on construit une commu- chewing-gums, cafés, boissons à base de cola et li-
nauté de fans... plus vite.» monades, détergents, soins du visage, sham-
Mais les publicités créatives réussissent-elles pooings, rasoirs et yaourts) appartenaient toutes à
mieux à persuader les consommateurs d’acheter que des secteurs où la concurrence est féroce et les in-
celles qui se contentent de cataloguer tout simple- vestissements publicitaires massifs.
ment les caractéristiques ou les atouts d’un produit ? Les résultats obtenus con�irment le bon sens
De nombreuses expériences menées en laboratoire populaire selon lequel la créativité joue un rôle dé-
ont montré que les messages créatifs retiennent terminant : dans l’ensemble, les campagnes plus
mieux l’attention et induisent chez les consomma- créatives sont nettement plus efficaces. Nous avons
teurs des attitudes positives vis-à-vis des produits également constaté que certains paramètres de la
commercialisés, mais il n’y a aucune preuve irréfu- créativité influencent de façon beaucoup plus
table attestant que ces messages exercent une in- importante le comportement de l’acheteur et que
fluence sur le comportement de l’acheteur. De les campagnes de nombreuses entreprises se
même, il y a étonnamment très peu d’études empi- concentrent sur de mauvais paramètres. Il nous
riques établissant un lien entre les messages publici- semble par ailleurs qu’adapter le modèle de l’étude,
taires créatifs et les recettes réelles générées par les de façon à prendre en compte les préférences cultu-
ventes. Etant donné que les responsables produits et relles et les motivations qui poussent les consom-
les brand managers – sans oublier les agences qui mateurs à acheter sur les différents marchés géogra-
leur soumettent des projets lors des compétitions – phiques, peut s’avérer un bon moyen pour toutes
n’évaluent jamais de façon systématique l’efficacité les entreprises d’améliorer considérablement leur
de leurs annonces publicitaires, la publicité créative capacité à prédire l’ef�icacité potentielle de leurs
relève plus du coup de dés. publicités créatives et, par conséquent, à faire des
Nous nous sommes donc inspirés de la recherche investissements plus pertinents.
en psychologie de la communication pour dévelop-
per une méthode d’étude des consommateurs des- Qu’est-ce que la créativité�?
tinée à évaluer leur perception de la créativité selon Pour définir les paramètres d’évaluation de la créa-
cinq paramètres. Nous avons utilisé cette méthode tivité, nous nous sommes référés aux ouvrages de
en analysant 437 campagnes de publicité télévisées psychologie sociale et de psychopédagogie qui défi-
nissent la créativité comme une pensée non confor-
miste, c’est-à-dire comme la capacité de résoudre un
problème grâce à des solutions non conventionnelles

Choisir le bon modèle et sortant des sentiers battus.


Pionnier dans ce domaine, Ellis Paul Torrance, un
Quand elles analysent la relation entre la créativité et l’efficacité de la
psychologue américain, a développé les tests de pen-
publicité, les entreprises utilisent généralement des matrices de projection
des ventes basées sur des analyses de régression conventionnelles. Nous avons sée créative de Torrance («Torrance Tests of Creative
constaté, toutefois, que ce type d’analyse est problématique, car il suppose Thinking»), une batterie de mesures utilisées pour
que les effets des variables d’entrée (créativité et budget alloué, par exemple) évaluer la capacité des individus à adopter un mode
ne sont pas corrélés. En réalité, plus une annonce créative est diffusée de pensée non conformiste dans le monde des
longtemps, plus ses retombées sur les ventes sont positives. C’est affaires et de l’enseignement. Torrance a noté les
pourquoi nous utilisons une matrice hiérarchique de prévision des ventes. réponses aux questions du test suivant cinq para-
Les modèles hiérarchiques permettent de s’affranchir de ce problème en
mètres : l’éloquence, l’originalité, l’élaboration
imbriquant un modèle de régression dans un autre. Cela nous permet de voir
à la fois l’impact direct de la créativité sur les ventes et l’effet d’amplification (concept emprunté à Joy Paul Guilford, un autre
du budget, et ainsi de parvenir à une estimation globale plus précise psychologue américain), ainsi que l’abstraction et ce
de l’influence de la créativité sur les ventes. qu’il appelle le refus de tirer des conclusions hâtives.

122 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


L'I D É E E N B R E F

Des expériences Une nouvelle méthode dynamiques du secteur sont plus payants
montrent que les d’étude des consommateurs de la grande consommation que d’autres, et qu’ils
messages créatifs s’attaque à ce problème en Allemagne. fonctionnent souvent
en évaluant leur perception Une analyse des mieux quand ils sont
retiennent mieux
de la créativité selon conclusions de l’étude combinés.
l’attention et induisent
cinq critères�: l’originalité, sur les ventes réalisées Ces données suggèrent
des attitudes positives la flexibilité, l’élaboration, a confirmé que, que, en centrant
vis-à-vis des produits. la synthèse et la généralement, plus leurs campagnes sur
Mais aucune preuve valeur artistique. les campagnes de mauvais paramètres,
n’atteste que ces Les auteurs ont appliqué étaient créatives, plus de nombreuses entreprises
messages exercent leur modèle à l’étude de elles étaient efficaces. ne parviennent pas
une influence sur 437 campagnes de publicité Les résultats ont également à tirer le meilleur parti
le comportement télévisées destinées à montré que certains de leurs investissements
de l’acheteur. promouvoir 90 marques paramètres de la créativité publicitaires.

L’éloquence renvoie au nombre d’idées perti- d’un détergent en montrant une ménagère satisfaite
nentes formulées en réponse à une question comme de sa  lessive qui lave plus blanc que blanc ; un autre
«Listez tous les usages possibles d’un trombone». Et fait la promotion d’un parfum en affichant des man-
l’originalité mesure le caractère non conventionnel nequins à la plastique irréprochable ; un dernier
ou unique des réponses. montre des voitures traversant des paysages magni-
L’élaboration se ré�ère à la quantité de détails fiques sans le moindre trafic routier à l’horizon.
donnés dans une réponse. Et l’abstraction permet de Une des campagnes que nous avons étudiées,
mesurer à quel point le pouvoir d’un slogan ou d’un pourtant, excellait en termes d’originalité. Elle re-
mot va au-delà de la simple dénomination de présentait de façon surprenante l’intérieur d’un dis-
quelque chose de concret. Le refus de tirer des tributeur automatique de boissons. Il s’agissait d’un
conclusions hâtives mesure la capacité d’un indi- spot publicitaire de Coca-Cola baptisé «Happiness
vidu à prendre en  compte différents facteurs quand Factory» («L’usine du bonheur»).
il traite l’information. Flexibilité. Une publicité très flexible établira un
Au début des années 2000, les tests mis au point lien subtil entre le produit et ses nombreuses utili-
par Ellis Paul Torrance ont été adaptés pour les sations possibles. Par exemple, une publicité pour
besoins de la publicité par Robert Smith, chercheur la marque de café Jacobs Krönung, du groupe Kraft
en communication à l’université de l’Indiana, et ses Foods, diffusée en Allemagne en 2011 et 2012, mon-
collègues. Ils ont modifié la définition de la créati- trait un homme confronté à une série de travaux
vité comme suit : «Est créative une publicité qui ménagers (faire la vaisselle, coudre un bouton sur
contient des éléments liés à la marque ou des élé- une veste, couper un oignon en dés et faire le lit)
ments “exécutionnels” différents, nouveaux, non tandis qu’un groupe de femmes dégustaient en-
conventionnels, originaux, uniques, etc.» Leur but semble une tasse de café.
était de mesurer la créativité en n’utilisant que les Elaboration. De nombreuses publicités
facteurs les plus pertinents dans un contexte publi- contiennent des détails inattendus ou transfor-
citaire. Ils ont défini cinq paramètres de créativité ment des idées simples au départ en situation plus
publicitaire qui forment la base de notre enquête. complexes, voire compliquées. Le spot publici-
Originalité. Une annonce originale comprend taire des yaourts aux fruits Ehrmann, l’une des
des éléments rares ou surprenants, ou qui sortent marques leaders en Allemagne, en est un bon
des sentiers battus et ne sont pas courants. L’accent exemple. Dans ce  spot, une femme mange un
est mis sur le caractère unique des idées ou des ca- yaourt et se lèche les lèvres avec la langue, qui
ractéristiques contenues dans l’annonce. prend alors l’aspect d’une fraise (Ehrmann a réa-
Une publicité peut s’écarter de la norme ou de la lisé différentes versions de ce spot pour plusieurs
réalité en mettant en œuvre des visuels ou des parfums), renforçant ainsi considérablement
discours uniques, par exemple. De nombreuses l’idée de saveur fruitée du yaourt. Autre exemple,
campagnes publicitaires sont tout sauf originales : le fabricant Wrigley, dans une pub pour son
un spot publicitaire archétypal vante les propriétés chewing-gum baptisé 5 : un homme est plongé

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 123


PUBLICITÉ ET CRÉATIVITÉ : QUAND ÇA PASSE ET QUAND ÇA CASSE

Quelles combinaisons créatives sont les plus fructueuses�?


Combinés, les paramètres de la créativité ont des effets extrêmement variables. La combinaison la plus usitée, celle de la
L’efficacité relative dans le schéma ci-dessous représente l’augmentation des flexibilité et de l’élaboration, est l’une des
ventes obtenue grâce à une combinaison particulière au regard de l’efficacité moins efficaces. L’association la plus efficace,
moyenne. Les entreprises que nous avons étudiées ont utilisé les 10 combinai- mariant l’originalité à l’élaboration, a
sons de façon à peu près égale, ce qui laisse penser que de nombreuses un impact presque deux fois plus puissant.
entreprises ne tirent pas le meilleur parti de leurs investissements publicitaires.

Flexibilité Flexibilité Synthèse Flexibilité Synthèse


+ + + + +
Valeur artistique Elaboration Valeur artistique Synthèse Elaboration
MOINS EFFICACE
EFFICACITÉ RELATIVE EFFICACITÉ RELATIVE EFFICACITÉ RELATIVE EFFICACITÉ RELATIVE EFFICACITÉ RELATIVE
���% ���% ���% ���% ��%
UTILISATION UTILISATION UTILISATION UTILISATION UTILISATION
8,7% 11,6% 8,8% 9,4% 9,7%

Prévoir l’efficacité
dans un lit de petites billes métalliques qui rebon-
dissent sur sa peau pour traduire le picotement
d’une publicité
Pour évaluer le degré de créativité de votre campagne, demandez à un panel de
ressenti en mâchant ce chewing-gum. consommateurs de noter les publicités suivant chaque paramètre sur une échelle
Synthèse. Ce paramètre de la créativité consiste de 1 à 7, en tenant compte des questions ci-dessous (basées sur la théorie du
à associer ou à rapprocher des objets ou des idées chercheur en communication Robert Smith, ces questions sont censées présenter
normalement dissociés. Par exemple, Wrigley a dif- certaines zones de recouvrement). Le score de créativité global de votre
fusé une publicité où des lapins, parqués dans un campagne est égal à la moyenne des notes obtenues pour chaque paramètre.
enclos comme du bétail, sont nourris avec des ba-
En comparant les scores des différentes campagnes et en analysant le budget
et la stimulation des ventes correspondantes, vous pouvez améliorer votre
nanes, des baies et du melon et voient leurs inci-
capacité à prédire l’efficacité probable de vos publicités créatives et à réaliser
sives pousser comme des dragées de chewing-gum des investissements judicieux.
Juicy Fruit Squish. Le spot associe donc des objets
dissociés –  des lapins et du chewing-gum  – pour
créer la trame d’une histoire non conformiste.
Valeur artistique. Les publicités dont le degré Originalité
de créativité artistique est élevé contiennent des
• La publicité sort-elle
éléments discursifs, visuels, sonores ou esthétique- des sentiers battus�?
ment attrayants : elles sont produites suivant des • S’affranchit-elle des
standards de qualité élevés, leurs dialogues sont stéréotypes�?
pleins d’esprit, leur gamme de couleurs est originale • Est-elle unique�?
ou on se remémore facilement leur musique. COCA�COLA
Il arrive souvent que les consommateurs consi- �HAPPINESS FACTORY�
dèrent les publicités quasiment comme des œuvres
d’art plutôt que comme de vulgaires argumentaires
commerciaux. La publicité animée pour le yaourt
Fantasia de Danone, diffusée à la �in de l’année
2009, que nous avons étudiée, faisait partie de celles Flexibilité
qui ont obtenu les meilleurs scores en matière de • La publicité contient-elle
valeur artistique. Le spot montrait une femme flot- des idées menant d’un sujet
à un autre�?
tant sur un pétale à la surface d’une mer de yaourt
• Contient-elle des idées
Fantasia, entourée de fleurs chargées de fruits.
différentes�?
Dans notre étude, nous avons demandé à un pa-
• Passe-t-elle d’une idée
nel de consommateurs entraînés à l’évaluation de à une autre�?
noter les campagnes publicitaires diffusées à la télé-
JACOBS KRÖNUNG
vision allemande en fonction de chacun de ces pa- �UNE PAUSE CAF�
ramètres, sur une échelle allant de 1 à 7. Le score de

124 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


La flexibilité est un des Bien que l’originalité ait un impact faible en soi sur
paramètres les moins efficaces, les ventes, elle semble jouer un rôle de catalyseur
qu’elle soit utilisée seule très important, puisqu’elle apparaît dans trois des
ou en combinaison. quatre combinaisons les plus fructueuses.

Originalité Originalité Elaboration Originalité Originalité


+ + + + +
Flexibilité Synthèse Valeur artistique Valeur artistique Elaboration
PLUS EFFICACE
EFFICACITÉ RELATIVE EFFICACITÉ RELATIVE EFFICACITÉ EFFICACITÉ RELATIVE EFFICACITÉ RELATIVE
��% ��% RELATIVE ���% ���%
UTILISATION UTILISATION ���% UTILISATION UTILISATION
9,8% 10,7% UTILISATION 10,9% 9,9%
10,5%

Elaboration créativité globale de la campagne correspondait à la


• La publicité contient-elle moyenne obtenue. Nous avons ensuite cherché des
de nombreux détails�? liens entre le score obtenu par chaque campagne,
• Exploite-t-elle des idées son budget publicitaire et son ef�icacité commer-
élémentaires pour les rendre
plus complexes�? ciale (pour une brève description des méthodes sta-
• Contient-elle plus de détails tistiques employées dans le cadre de notre étude,
que prévu�? voir l’encadré «Choisir le bon modèle»).
YAOURT EHRMANN
� LA LANGUE FRAISE� Ce que nous avons découvert
Notre étude nous a permis d’identifier une variation
spectaculaire du score de créativité globale selon les
campagnes. Le score moyen était de 2,98 (sur une
Synthèse échelle de 1 à 7), le score le plus bas de   1, et le plus
haut de 6,2.
• Est-ce que la publicité relie
des objets généralement Seulement 11 des 437 campagnes ont reçu une
dissociés les uns des autres�? note globale supérieure à 5 (cinq d’entre elles
• Contient-elle des rapproche- étaient des campagnes pour des boissons à base de
ments inhabituels�?
cola). A l’autre extrémité de l’échelle de notation, 10
• Associe-t-elle des éléments
inhabituels�? campagnes ont obtenu un score global inférieur à
1,5. Nous avons constaté que les scores revêtaient
JUICY FRUIT SQUISH DE
WRIGLEY une grande importance. Un euro investi dans une
�LE RANCH DE JUICY FRUIT� campagne de publicité très créative avait, en
moyenne, un impact deux fois plus positif sur les
ventes qu’un euro dépensé dans une campagne qui
ne l’était pas. Au départ, les retombées de la créati-
Valeur artistique vité étaient relativement faibles, mais gagnaient
• La publicité possède-t-elle généralement en force au fur et à mesure du dé-
des propriétés visuelles
ou discursives distinctes�? ploiement de la campagne.
• Les idées prennent- Nous avons abouti à deux constatations intéres-
elles vie graphiquement santes sur la façon dont la créativité dope les ventes.
ou verbalement�? Les différents paramètres exercent une
• Sa production est-elle influence variable sur les ventes. Les entre-
artistique�?
prises ont une marge d’amélioration considérable
FANTASIA DE DANONE en termes de créativité de leurs campagnes publici-
�VOYAGE DANS LA SAVEUR�
taires. Par exemple, il arrive souvent que les types

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 125


PUBLICITÉ ET CRÉATIVITÉ : QUAND ÇA PASSE ET QUAND ÇA CASSE

de créativité privilégiés à l’heure actuelle par les combinaient plutôt que lorsqu’ils étaient envisagés
agences ne soient pas les plus efficaces pour stimu- isolément. Sur les 10 associations possibles, nous
ler les ventes. avons constaté que la combinaison la plus utilisée
Dans notre étude, nous avons quantifié l’impact –  flexibilité et élaboration  – soit près de 12% de
que chaque paramètre exerce sur les ventes. Bien toutes les combinaisons, était l’une des moins per-
que tous aient eu une influence bénéfique, l’élabo- formantes, avec un indice de 0,41 par rapport à la
ration était nettement le paramètre le plus puissant moyenne de toutes les paires établie à 1.
(1,32 rapporté à la créativité moyenne globale éta- Formant un contraste saisissant, l’alliance de
blie à 1), suivie de la valeur artistique (1,19). L’origi- l’élaboration et de l’originalité (soit près de 10% de
nalité (1,06) et la flexibilité (1,03) arrivaient loin der- toutes les combinaisons identifiées) avait presque
rière, la synthèse arrivant en queue de peloton, au deux fois plus d’impact sur les ventes (1,96), suivie
cinquième rang (0,45). Pourtant, l’étude montre de près par la combinaison de la valeur artistique
que les agences publicitaires utilisent l’originalité et et de l’originalité (1,89, soit près de 11 % de toutes
la valeur artistique davantage qu’elles n’ont recours les associations).
à l’élaboration. Probablement parce que les entre- Fait intéressant, l’originalité fait souvent partie
prises cherchent peut-être plus à faire preuve d’ori- des combinaisons les plus efficaces, ce qui suggère
ginalité quand elles essaient d’être créatives. que ce type de créativité joue un rôle de catalyseur
Nous avons aussi étudié les campagnes qui essentiel. Au fond, être original ne suffit pas et l’ori-
avaient obtenu un score au-dessus de la moyenne ginalité ne dope les ventes que si elle est associée à
sur au moins deux paramètres et nous avons d’autres paramètres créatifs. C’est peut-être en rai-
constaté que les retombées sur les ventes variaient son de son pouvoir de catalyseur que de nombreuses
encore plus nettement quand deux paramètres se entreprises utilisent l’originalité dans leurs cam-
pagnes publicitaires, bien que, prise isolément, son
efficacité soit médiocre.
L’usage de la créativité diffère suivant les
familles de produits. Les niveaux de créativité
Plus de créativité varient considérablement selon les familles de
en vaut-il la chandelle? produits, avec des notes comprises entre 2,62 pour
le shampooing et 3,6 pour les boissons au cola.
Si les publicités créatives peuvent inciter les consommateurs à acheter, est-ce
qu’une pincée de créativité en plus fait exploser les ventes�? Pas si sûr. D’après Pour le cola et le café, les annonceurs et les clients
l’étude que nous avons menée sur des publicités allemandes, l’efficacité relative ont tendance à favoriser des niveaux de créativité
d’un surcroît de créativité dans une campagne peut varier considérablement. plus élevés, alors que pour les shampooings, les
soins du corps et du visage, les campagnes mettent
Les familles de produits habituel- … et parmi les familles
l’accent sur l’utilisation réelle du produit, même si
lement associées à des publicités de produits associées à une
l’environnement est idéalisé. Peut-être parce qu’il
très créatives –��comme le café ou le créativité médiocre –��telles que
cola��– ne voient pas toujours leurs les détergents ou les laits pour le est encore important pour certaines familles de
ventes décoller parce qu’on a mis plus corps��– faire preuve de créativité n’est produits de démontrer factuellement leurs quali-
de créativité dans les campagnes… pas toujours une mauvaise idée. tés intrinsèques.
Lorsque les produits remplissent un rôle fonc-
IMPACT SUR LES VENTES* tionnel et satisfont des besoins de consommation
�,��% sans ambiguïté (nettoyage de vêtements à l’aide de
détergents, protection de la peau avec un lait pour
le corps), les approches peu orthodoxes ne sont
�,��% pas privilégiées. En revanche, lorsque les produits
sont faciles à appréhender, présentent des simili-
tudes ou renvoient à des préférences personnelles
�,��% (étancher sa soif avec une boisson gazeuse, par
–��,��% exemple, ou déguster une tasse de café), une ap-
RASOIRS, COLAS, SHAMPOOINGS, proche non conformiste peut s’avérer plus efficace
CAFÉ YAOURTS DÉTERGENTS
LAITS pour stimuler les ventes.
CORPORELS,
SOINS POUR Nous avons également cherché à savoir si in-
LE VISAGE vestir davantage dans la créativité était payant et
* IMPACT SUR LES VENTES D’UNE HAUSSE D’UN POINT DES SCORES DE CRÉATIVITÉ D’UNE CAMPAGNE PUBLICITAIRE �EN %�. nous avons constaté que cela dépendait totale-

126 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


ment de la famille de produits concernée. Comme demandant à des panels de consommateurs d’éva-
l’encadré «Plus de créativité en vaut-il la chan- luer les projets de campagne et les story-boards
delle ?» le montre, dans les familles de produits où suivant les cinq paramètres cités plus haut.)
la créativité est faible, un zeste de créativité sup- Après avoir entré les scores et les budgets dans
plémentaire peut porter ses fruits : selon notre une matrice hiérarchique de prévision des ventes
étude, une hausse d’un point des scores de créati- (pour cet exemple hypothétique, nous avons utilisé
vité a fait progresser les ventes de 4% dans le cas les données de notre étude), la société estime que,
de campagnes publicitaires pour des shampooings dans le cas de la campagne B (celle qui affiche un
ou des détergents. score de créativité de 3,5), l’impact sur les ventes
Toutefois, les ventes de laits pour le corps et de sera de 1,07 % plus élevé la première semaine de dif-
soins du visage, où la créativité a tendance à être fusion du spot à la  télévision que dans le cas de la
médiocre, ont été fragilisées par un surcroît de créa- campagne A. Les semaines suivantes, l’écart se
tivité : elles ont chuté de près de 2%. Les familles de creuse et passe à 1,93% (semaine 2), puis à 2,63%
produits où la créativité est forte présentent aussi (semaine 3) et, enfin, à 3,19% (semaine 4), grâce à
des variations. Consentir un effort d’investissement l’effet de report, au phénomène de reconnaissance
supplémentaire dans la créativité peut faire grimper des clients et à leur fidélisation. De cette façon, en
les ventes de rasoirs et de café de près de 8%, mais réaffectant à la création une partie du budget alloué
les ventes de colas et de yaourts ne feront que fré- à l’achat de temps d’antenne, on renforce l’efficacité
mir en augmentant de moins de 1%. Alors, avant de de la publicité. En fait, la matrice montre que l’en-
lancer une prochaine campagne de repositionne- treprise pourrait ramener ses dépenses de passage à
ment qui risque de vous coûter une petite fortune, l’antenne à 330  000 euros, avant que l’impact néga-
assurez-vous de bien connaître la vulnérabilité de tif de temps réduit d’antenne n’ait dépassé l’effet
votre produit à la créativité. positif de la créativité.
Les entreprises peuvent également utiliser une
Mesurer l’efficacité d’une campagne méthode d’étude pour évaluer l’impact de certains
publicitaire choix créatifs. Imaginons que vous deviez travailler
Notre étude a des implications importantes pour les sur un produit comme le café et que vous ayez à
agences de publicité et les entreprises qui les en- choisir entre deux projets de publicité tous deux
gagent. Les publicitaires peuvent utiliser des mé- notés 4 sur l’échelle de la créativité et dotés chacun
thodes comme la nôtre pour déterminer où dé- d’un budget de temps d’antenne hebdomadaire de
ployer leurs énergies créatrices de la façon la plus 400  000 euros. La campagne C met l’accent sur
efficace. Les entreprises peuvent avoir recours à des l’élaboration et l’originalité, tandis que la campagne
modèles pour estimer l’impact �inancier de leurs D est bâtie autour de la valeur artistique et de la
investissements en termes de créativité. synthèse. Nos conclusions suggèrent que la cam-
Dans de nombreux cas, la plupart en fait, les en- pagne C constituerait la meilleure option, car cette
treprises se rendront compte qu’elles n’investissent combinaison de paramètres créatifs produit un effet
pas suf�isamment dans la créativité. Notre re- sur les ventes trois fois plus efficace que celle utili-
cherche montre clairement que les approches sée dans la campagne D.
conservatrices adoptées pour de nombreuses fa-
milles de produits font perdre de l’argent aux entre- LA CRÉATIVITÉ dans la publicité n’est pas facile à
prises. Augmenter les investissements s’avère géné- concevoir et à mettre en œuvre. Et ses effets sur les
À PROPOS
ralement judicieux : des annonces créatives plus ventes demeurent encore largement mesurables DES AUTEURS
efficaces permettront de  réduire de façon significa- uniquement a posteriori. De plus, vouloir faire éva- Au moment de la
tive d’autres lignes du budget publicitaire. luer le degré de créativité d’une campagne avant sa rédaction de cet article,
les auteurs occupaient
Supposons, par exemple, qu’une société prévoie diffusion à la télévision par un «focus group» de
les fonctions suivantes�:
de diffuser à la télévision deux campagnes : la cam- consommateurs peut être tout à fait inapproprié,
pagne A affiche un score de créativité de 3, et son voire constituer une erreur de ciblage. Néanmoins, Werner Reinartz est
professeur et Peter Saffert
budget de diffusion TV est de 500  000 euros par les entreprises peuvent se servir d’un modèle est chargé de recherche
semaine ; la campagne B affiche un score de créati- comme le nôtre et le combiner à des données de à l’université de Cologne,
en Allemagne.
vité de 3,5, mais, parce que son coût de création est base fiables, afin d’étayer le processus de création et
plus élevé, la société prévoit de dépenser seulement d’évaluation des concepts publicitaires. En procé- La version originale de
cet article a été publiée
400  000 euros par semaine pour le temps d’antenne dant ainsi, elles peuvent faire bon usage de bien plus en mars 2013 dans l’édition
(la société réalise des évaluations de la créativité en de la moitié de leur budget publicitaire. américaine de HBR.

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 127


L’ÉTAT DE LA QUESTION
COMMENT UNE VIDÉO
DEVIENT�ELLE VIRALE�?
La version originale de cet article a été publiée en septembre 2015 dans l’édition américaine de HBR.

Une vidéo virale, c’est le rêve de tous les psychologique (comment le contenu nous Dans «�Puppyhood�», une
vidéo produite par BuzzFeed
marketeurs. Elle représente la meilleure touche) et la motivation sociale (pourquoi on pour le produit Puppy Chow
façon de se différencier sur la Toile. Des études veut le partager). Plus l’intensité de l’émotion de Purina (aliments pour
montrent que les personnes qui regardent suscitée par le contenu sera grande, plus animaux domestiques), un
homme adopte un chiot et
du contenu partagé plutôt que des vidéos les gens auront tendance à le partager apprend à vivre avec, comme
qu’elles découvrent en surfant prescrivent et –�la réponse du Web au bouche-à-oreille, la si c’était un colocataire.
achètent beaucoup plus de produits que façon la plus efficace de faire de la pub.
ceux qui tombent par hasard sur du contenu. Nous explorons ici ce qui rend un contenu
Mais qu’est-ce qui fait qu’on s’emballe partageable, en utilisant l’analyse faite par
pour une vidéo alors que d’autres ne suscitent Unruly de la vidéo «�Puppyhood�» de Purina,
pas de réactions�? vidéo qui a récolté 5 millions de vues en
Unruly, une agence spécialisée dans les six semaines après son lancement en mai 2015.
technologies de marketing, apporte une Nous notons aussi, à partir des observations
réponse. Son analyse de 430 milliards d’Unruly, qu’une minorité de personnes
de vues de vidéos et de 100�000 données de sont responsables de la grande majorité des
consommateurs révèle les deux moteurs partages et que la plupart des partages se
les plus puissants du succès viral�: la réaction produisent peu après le lancement d’une vidéo.

128 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


POURQUOI LES GENS PARTAGENT�: LA MOTIVATION SOCIALE LA RÉACTION ÉMOTIONNELLE
Unruly a identifié �� motivations du partage social. Les meilleures vidéos La plupart des gens pensent que l’humour est la raison principale du
révèlent une grande diversité de motivations. Regardons les motivations partage, mais il s’agit d’une réaction difficile à provoquer et spécifique
sociales avancées par les visionneurs de «�Puppyhood�». La recherche de selon les cultures. Les entreprises devraient essayer de susciter une
réaction des autres était très importante, mais les trois quarts des multiplicité de réponses positives afin d’être sûres que le contenu fasse
visionneurs ont trouvé d’autres bonnes raisons de la partager. écho. Encore une fois, plus une réaction est intense, mieux c’est.

LE TOP 4 DES ÉMOTIONS POSITIVES


SUSCITÉES PAR LA VIDÉO ��PUPPYHOOD��
BIEN C

CHALEUR
58% JOIE
OMMU

56%
EX

N
PR

IO
CT
ES

A
SI


ON

DE
IN

HE
DI

RC
VI

E
DU

CH
EL

LANCEU RE
LE

R DE DIA
LOGUE HILARITÉ
31% LE TOP 4 DES ÉMOTIONS NÉGATIVES

PS PASS
EM SO ION
DUT CI PART
R AL AGÉE
S L’AI DA
SURPRISE
AN 10%
RED NS
É

ÊT
NCH

LA CONFUSION

RI

VR 8%
TO

BRA

AI MÉPRIS
UTILITÉ
AU

E 8%
VI
E

E
’AIR
IR

DÉGOÛT
FA

IR L

4%
SOCIAL

COLÈRE
AVO

1%
E

� RECHERCHE DE RÉACTION À LE DIRE À MES AMIS��


��JE VEUX VOIR CE QU’EN PENSENT � FAIRE AUTORITÉ ��JE VEUX
MES AMIS�� MONTRER MON SAVOIR��
� PASSION PARTAGÉE ��ÇA ME � ÊTRE DANS L’AIR DU TEMPS LE BON TIMING EST ESSENTIEL
PERMETTRA DE ME CONNECTER ��ÇA PARLE D’UNE TENDANCE OU
AVEC MES AMIS AUTOUR D’UN D’UN ÉVÉNEMENT ACTUEL�� Plus une vidéo générera de partages dans les deux jours suivant son
lancement, plus son «�pic viral�» sera haut, et plus le nombre de
INTÉRÊT COMMUN�� � LANCEUR DE DIALOGUE partages sera important. Les professionnels du marketing devraient
� SOCIAL DANS LA VRAIE VIE ��JE VEUX COMMENCER UNE
CONVERSATION EN LIGNE��
envisager de faire des campagnes d’anticipation afin de maximiser leur
� JE POURRAI ENTRER EN RELATION visibilité durant ce créneau.
AVEC MES AMIS HORS LIGNE � � EXPRESSION INDIVIDUELLE Le jour de lancement fait aussi une différence�: la plupart des
� UTILITÉ SOCIALE � ÇA POURRAIT ��ÇA RACONTE QUELQUE CHOSE
DE MOI��
partages se font le mercredi (jour optimal), le jeudi et le vendredi.
ÊTRE UTILE À MES AMIS��
� AVOIR L’AIR BRANCHÉ � BIEN COMMUN ��C’EST POUR UNE
2015
��JE VEUX ÊTRE LE PREMIER BONNE CAUSE, ET JE VEUX RENDRE
SERVICE�� ��,�%

LES � SUPER PARTAGEURS � MÈNENT LA DANSE


Environ ��% des utilisateurs Internet partagent des vidéos au moins une fois
par semaine, et presque �% en partagent quotidiennement. Les entreprises
devraient trouver des moyens d’atteindre ces «�super partageurs�»
responsables de plus des quatre cinquièmes de l’ensemble des partages. 2013
��,�%

SUPER PARTAGEURS
��,�%

PARTAGEURS NORMAUX JOURS


��,�% LA ZONE IDÉALE

Printemps 2017 - Hors-série LE MUST - Harvard Business Review 129


Le travail d’une vie
Marc Newson a étudié la joaillerie dans
son Australie natale, avant de concevoir des
produits pour quelques-unes des plus grandes
sociétés du monde. Il a imaginé par exemple
les intérieurs des A380 de la compagnie Qantas,
des bateaux Riva ou des bouteilles de Dom Pérignon.
Nomade convaincu, il travaille maintenant à temps
partiel chez Apple, où son ami Jony Ive, «�pape�» du
design, est son patron. Interview: James de Vries

HBR: Comment avez-vous appris à naviguer


dans l’univers des grands groupes �?
Marc Newson: Cela a été un processus évolutif.
Curieusement, les grands groupes peuvent être
les clients les moins satisfaisants et les moins
intellectuellement exigeants, parce que vous ne
travaillez pas avec une personne, mais avec une
société. Ou, si vous travaillez avec une personne,
il se peut qu’elle ne soit là que pour un certain temps.
Les meilleures relations que j’ai eues avec de
grandes entreprises, c’est quand j’avais directement
accès au P�DG.

Comment trouvez-vous du temps pour le travail


créatif�? Il me suffit de m’enfermer chez moi,
littéralement. Je conçois 85% de ce qui sort de mon
atelier, parce que c’est la partie de mon travail
que j’aime. J’ai essayé par le passé d’avoir d’autres
designers, mais les clients veulent s’engager avec
moi, et c’est devenu l’une des caractéristiques
de la manière dont je travaille.

Vous semblez encore très ancré dans l’artisanat.


Pourquoi�? Les limitations qui vous sont imposées
si vous devez faire les choses de façon analogique
favorisent la créativité. Quand vous avez des options
infinies en termes de réalisation de prototypes en 3D,
cela ouvre tout simplement trop de possibilités.
Un grand nombre de mes produits ont été suscités
par ma capacité à parvenir à un certain résultat avec
les ressources dont je disposais.

Que vous ont appris vos voyages�? Que le design est


une activité créative internationale et sans frontières.
Contrairement à la musique ou au cinéma, le design
n’a aucune spécificité géographique.

Comment travaillez-vous avec Jony Ive�? Nous nous


asseyons, nous discutons et nous faisons des croquis
ensemble. Ce qui nous anime, c’est en grande partie
un sentiment d’insatisfaction. Il n’y a pas besoin de
chercher très loin pour se rendre compte que les
PHOTO: TREVOR RAY HART

choses pourraient être beaucoup mieux, et la raison


pour laquelle ce n’est pas le cas, c’est que personne
n’y a suffisamment réfléchi.

La version originale de cet article a été publiée en janvier-février 2015 dans l’édition américaine de HBR.

130 Harvard Business Review - Hors-série LE MUST - Printemps 2017


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