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Review

Author(s): Paul-Henri Michel


Review by: Paul-Henri Michel
Source: Revue Philosophique de la France et de l'Étranger, T. 152 (1962), pp. 139-143
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41089952
Accessed: 19-06-2016 05:47 UTC

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Revue Philosophique de la France et de l'Étranger

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ANALYSES ET COMPTES RENDUS 139

Marsile Ficin. - Commentaire sur le Banquet de Platon, texte du


manuscrit autographe présenté et traduit par Raymond Marcel,
Paris, « Les Belles-Lettres », 1956.
Dans son Histoire de V Académie platonicienne de Florence, parue
il y a plus d'un demi-siècle (1902), Arnaldo della Torre soutenait
que le Commentaire de Ficin au Banquet - In Conuiuium Plalonis,
sive de Amore - avait été rédigé deux fois. La première rédaction,
antérieure à la « conversion de Ficin », aurait été détruite ; celle que
nous connaissons serait la seconde. La critique s'inclina devant la
grande autorité d'Arnaldo della Torre dont l'hypothèse aventurée
fut acceptée longtemps sans contrôle. Le premier soin de M. Raymond
Marcel a été de faire justice d'une erreur par laquelle l'unité de la
pensée ficinienne se trouvait compromise. Il relève d'abord le carac-
tère purement conjectural de l'opinion qu'il se propose de réfuter.
Aucun document, en effet, n'atteste la destruction d'une première
version du Commentaire ; Ficin n'en parle jamais, ni aucun de ses
contemporains. L'hypothèse d'une double rédaction se fonde sur des
arguments que M. Marcel a la patience de reprendre un par un,
mais dont il n'a pas grand peine à déceler la faiblesse. Signalons,
à titre d'exemple, la discussion relative à l'ouvrage de Giovanni Corsi,
De Platonicae Philosophiae... sive Marsilii Ficini vita, dont certains
passages semblent faire état d'une conversion ou d'une crise de
conscience de Ficin qui, ordonné prêtre en 1473, serait devenu ex
pagano miles Christi. L'allusion paraît assez nette, mais outre que
cette biographie, écrite en 1506 par un homme qui n'avait connn
Ficin que dans sa vieillesse, ne fait guère autorité, il apparaît qu'en
l'espèce le texte de Corti a été mal interprété. « De païen qu'il était,
devenu soldat du Christ » signifie simplement que, jusqu'alors laïque,
il était entré dans les ordres ; l'expression est d'ailleurs banale et
nous la trouvons appliquée à d'autres personnages, en des circonstances
analogues.
Passant ensuite au problème de la datation du De amore,
M. Marcel substitue à la double date que proposait della Torre
(1467 pour la première rédaction, 1475 pour la seconde) la date
unique de 1469, déjà retenue comme probable par M. Paul-Oscar
Kristeller (Supplementum Ficinianum, 1937), mais maintenant établie
de façon irréfutable après examen du manuscrit autographe, Vali-
canus latin, 7705. Le préambule du De amore spécifie que ce livre
a été écrit à l'occasion du banquet qui eut lieu le 7 novembre 1468,
à Careggi, chez Francesco Bandini, à la demande de Laurent de
Médicis, pour célébrer, conformément à une antique tradition enfin
restaurée, l'anniversaire qui était à la fois, croyait-on, celui de la
naissance et de la mort du grand philosophe athénien. D'autre part, Jp.
Vaticanus 7705 est daté anno 1469, mense Iulii. En sorte que la rédac-
tion de l'ouvrage se situe très précisément entre le 7 novembre 1468
et le mois de juillet de l'année suivante.

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140 REVUE PHILOSOPHIQUE

Quant à la confrontation du texte avec celui de la première édi-


tion imprimée (1484), elle fixe, comme l'avait également noté
M. Kristeller, la limite des retouches que Ficin a pu apporter à son
ouvrage. D'ailleurs, plutôt que de retouches, il conviendrait de
parler d'altérations. Entre le manuscrit autographe et l'impression
florentine, M. Marcel a relevé 432 variantes. Elles lui ont permis
de discerner à quel groupe de manuscrits on avait eu recours en 1484 ;
elles ne permettent nullement de parler de deux rédactions. De toute
façon, compte tenu des erreurs typographiques, d'omissions regret-
tables et de corrections « pour le moins superflues », on doit reconnaître
que le texte du manuscrit original est bien supérieur au texte imprimé
qu'ont reproduit toutes les éditions postérieures et que nous avons
tous lu. M. Marcel a rendu un grand service à l'histoire des lettres
et de la philosophie en restituant le De amore sous sa forme authentique
et en y joignant une traduction française qui le met à la portée d'un
public plus nombreux.
Étant donné l'importance historique d'un ouvrage justement
désigné comme « le manifeste du platonisme de la Renaissance »,
on est heureux d'avoir la certitude qu'il n'est pas, sous la forme
où il nous est parvenu, l'expression d'un repentir tardif, mais que,
dès 1468, Ficin (alors âgé de trente-cinq ans) s'était posé les pro-
blèmes qui devaient dominer sa pensée. Le Commentaire au Banquet
témoigne d'un désir ardent d'exalter « le divin Platon », mais aussi
de la « réconcilier » avec Aristote et avec la religion chrétienne. Dans
la Chrétienté occidentale, Aristote, d'abord combattu et condamné,
mais défendu au cours d'âpres luttes par les théologiens scolastiques,
avait triomphé ; dès le début du xive siècle, son opinion fait loi en
toutes matières profanes ; ses doctrines sont agréées par l'autorité
ecclésiastique ; au « château de la noblesse humaine », dans les limbes
où sont rassemblés les Païens vertueux, Dante lui donne le premier
rang. Et bientôt c'est au tour de Platon de paraître suspect à l'ortho-
doxie. Impatient de réparer cette injustice, Ficin ne pouvait mieux
faire que de chercher à montrer, en toute occasion, que les deux grands
philosophes de l'antiquité, malgré les divergences de leurs doctrines,
avaient été d'accord entre eux sur bien des points, et d'accord, l'un
et l'autre, pour reconnaître la Providence divine et l'immortalité
de l'âme. Aussi l'auteur de la Theologia Platonica invoque-t-il volon-
tiers le témoignage des commentateurs anciens d'Aristote et celui
des docteurs de l'Église. Il en appelle tour à tour à Thémistius et à
saint Thomas.
Jusque dans ce De amore, spécialement destiné à exalter la
mémoire de Platon, l'opinion d'Aristote est alléguée à plusieurs
reprises, et parfois, il faut le reconnaître, quelque peu hors de propos.
En voici un exemple. Au nombre des questions de physique alors
débattues, figure celle de la vision. Le rayon visuel, issu de l'œil,
allait-il aux objets pour en revenir chargé de leur image, ou était-il
issu de l'objet, l'œil jouant en ce cas un rôle moins actif ? Aristote

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ANALYSES ET COMPTES RENDUS 141

dément catégoriquement, dans le De sensu, l'opinion de Platon et


de tous ceux qui soutenaient la première hypothèse. Ficin, suivant
la tradition pythagoricienne et platonicienne, croit à l'existence d'un
rayon visuel issu de l'œil (pp. 246-247), et l'on est surpris de le voir,
à ce sujet, se prévaloir de l'autorité d'Aristote et citer un passage
du De insomniis (459 ò) où le Stagyrite parle des vapeurs de sang
qui sortent des yeux des femmes à l'époque de leurs menstrues et
dont les particules subtiles peuvent ternir la surface d'un miroir.
Il est trop évident que la constatation de ce phénomène (ou de ce
prétendu phénomène), sans rapport avec celui de la vision, n'affaiblit
en rien l'affirmation expresse du De sensu. L'usage qui en est fait
par Marsile Ficin est donc abusif et ne fait que trahir un parti pris
de conciliation qui va jusqu'à faire échec au sens critique. Au demeu-
rant, Aristote ne tient pas grande place dans le De amore. En revanche,
la préoccupation d'accorder les mythes du Banquet aux vérités de
la religion chrétienne y est dominante.
Chacun des convives de Careggi reprend, commente et interprète
librement, très librement même, un des discours du Banquet ; et dès
le premier - celui de Phèdre, exposé par Giovanni Cavalcanti -
apparaît le dessein de donner à l'Amour une signification religieuse
et cosmique. Cavalcanti prend texte de cette première affirmation
de Phèdre : Érôs est le plus ancien des dieux ; il est « ce qui existe
de plus ancien ; il succède immédiatement au chaos » (Banquet,
178 b-c). A vrai dire Phèdre, après avoir allégué ses auteurs -
Hésiode, Parménide, Acousilaos - et après avoir constaté leur
accord, ne développe guère cet argument et passe presque immédia-
tement au second point de son oraison : l'Amour est la source des
biens les plus grands. Cavalcanti, au contraire, s'attarde davantage
à ce thème de l'ancienneté (Oratio prima, cap. 3). Il y trouve le
principe d'une cosmogonie, d'une genèse du cosmos à partir du chaos.
L'Amour précède, dans le temps, tous les mondes et tous les dieux,
c'est-à-dire aussi bien les sphères que les intelligences qui les gou-
vernent et entre lesquelles elles sont réparties. Car l'intelligence,
comme la matière, dut être, dans un premier état, chaotique, inorga-
nique, informe, laide en un mot. Or, l'Amour est ce qui conduit la
laideur vers la beauté. Il ne succède pas au chaos, il en est le contem-
porain. Ficin outrepasse, comme on voit, la pensée de Phèdre. Dieu,
en créant ce chaos d'intelligence et de matière, du même coup l'anime,
lui insuffle l'amour, c'est-à-dire le désir de se tourner vers sa per-
fection pour tenter de la rejoindre. Et de ce désir tout va naître :
« L'Amour accompagne le chaos, précède le monde, éveille ce qui dort,
illumine ce qui est obscur. » Son effort à la fois bienfaisant et dou-
loureux tend àia marnecrérae ture à son principe.
L'Amour n'atteint pas d'emblée ce but suprême, il y accède par
étapes ; il tend d'abord à l'ordre, à l'organisation ; il se complaît
dans les hiérarchies. Ficin développera longuement ces thèmes en
un style plus néoplatonicien que platonicien. A chaque page du

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142 REVUE PHILOSOPHIQUE

De amore se trahit la hantise des architectures dionysiennes, des


degrés, des paliers, des intermédiaires. Le deuxième discours, commen-
taire de celui de Pausanias, et prononcé par Antonio Agli, évêque
de Fiesole, en offre un exemple. Ici la glose déborde encore bien plus
le texte et aboutit à la description d'un univers fait de cercles
concentriques, schéma familier aux théologiens du moyen âge et dont
« nous trouvons la preuve non seulement dans leurs écrits, mais dans
les fresques et les miniatures que leur pensée a inspirées ». M. Marcel
rappelle à ce propos (p. 56) la fresque du Campo Santo de Pise où le
monde est figuré par vingt cercles s'étageant autour de la Terre. La
construction ficinienne est toutefois plus simple que celle de Piero
di Puccio. Quatre principes sont distingués : Dieu, le vouç, l'âme
et la nature. Dieu, étant un et indivisible, est représenté par un
point ; les trois autres principes par trois cercles. Enfin, un quatrième,
cercle, le plus extérieur, le plus éloigné du premier principe, symbolise
la matière (Oratio secunda, cap. 3). Voici donc quatre principes et
quatre cercles. Il faut lire attentivement le chapitre qui suit pour
bien saisir cette ordonnance cosmique. Le premier cercle est immobile
autour du premier principe ; le second gravite autour du second
principe (c'est-à-dire autour du premier cercle) ; le troisième autour
du troisième, le quatrième autour du quatrième. Au premier cercle
(2e principe) correspondent les « idées » ; au deuxième (3e principe),
les « raisons » ; au troisième (4e principe), les « semences » ; au qua-
trième les « formes ». Ficin emprunte cette théorie non pas au Banquet,
mais à un autre texte platonicien aujourd'hui, tenu pour apocryphe,
la IIe lettre à Denys (Lettres, 312 e).
La Septième Oraison (commentaire de Carlo Marsuppini au dis-
cours d'Alcibiade) offre un autre exemple de division quadripartite,
appliquée cette fois non plus à la structure de l'univers, mais aux
pérégrinations de l'âme humaine. C'est dans ce morceau célèbre que
se trouve la définition des « fureurs ». Après avoir distingué deux
sortes de fureurs, l'une bestiale, qui abaisse l'homme au niveau de
la bête, et l'autre divine, « qui élève l'homme au-dessus de la nature
humaine... et le transporte en Dieu » (et in Deum transit), Ficin décrit
les étapes de la remontée de l'âme vers son principe. De même que
de l'Unité, Principe suprême, l'âme était descendue dans le corps
par quatre degrés (l'intellect, la raison, l'opinion et la nature), de
même « il est nécessaire qu'elle remonte par quatre degrés ». Il est
donc quatre espèces de fureurs divines, à savoir la fureur poétique,
la fureur mystériale (ou mystique), la fureur prophétique et l'affec-
tion d'amour (amatorius affectus). Chacune est placée symboliquement
sous une dépendance divine : la première relève des Muses, la seconde
de Dionysos, la troisième d'Apollon, la quatrième de Vénus.
Là encore le commentateur, s'il s'écarte de son texte, s'inspire
d'un autre texte platonicien, le Phèdre (144 sq). Il n'en est plus ainsi^
de Cristoforo Landino, à qui incombe la tâche d'exposer le discours
d'Aristophane (Oratio quarta). On se souvient du récit d'Aristophane

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ANALYSES ET COMPTES RENDUS 143

et de ces êtres doubles et sphériques, mâles, femelles ou androgynes


qui, ayant tenté d'escalader les cieux, encoururent la colère de Jupiter
et furent partagés en deux. L'espèce humaine, sous sa forme actuelle,
est née de cette punition. Chaque homme (ou chaque femme) n'est en
réalité qu'une moitié d'être. De là le désir d'amour qui est, en chacun
de nous, celui de se rapprocher de la moitié dont il a été séparé afin
de retrouver l'unité perdue, la plénitude d'être.
Ces mythes monstrueux dont Ficin donne une interprétation
aussi libre qu'originale cachent, selon lui, un divin mystère. Ils sont
une transposition du dogme de la chute originelle. Les deux « moitiés »
que la vindicte céleste a séparées l'une de l'autre ne sont pas des
« âmes-sœurs », théorie trop facile et qui risque de réduire la fable à
des dimensions d'anecdote, elles sont les deux parties d'une âme
primitivement double parce qu'éclairée d'une double lumière, sur-
naturelle et naturelle, et dont l'orgueil a causé la perte. Pour avoir
tenté de s'égaler à Dieu en se prévalant de sa lumière naturelle, elle
fut privée de la surnaturelle et précipitée dans un corps. La voici
dès lors dévorée du désir de se retrouver elle-même, de reconquérir
la lumière perdue qui seule assurera sa béatitude - désir qui ne
sera comblé que s'il reconnaît la transcendance de son objet, autre-
ment dit s'il s'accompagne d'humilité et non plus d'orgueil : « Ceux
qui usent comme il se doit de la lumière naturelle sont donc ceux qui,
la reconnaissant incomplète et mutilée, ne l'estiment suffisante qu'à
juger des choses de la nature et qui, pensant au contraire que, pour
s'élever à celles qui sont au-dessus de la nature, ils ont besoin d'une
lumière plus haute, se préparent à recevoir l'illumination divine, grâce
à laquelle ils acquerront un juste sentiment de Dieu et recouvreront
leur intégrité première. » En un mot la volonté doit l'emporter sur
l'intellect. « Ce qui nous ramène au ciel, ce n'est pas la connaissance
de Dieu, mais l'Amour. » Quod nos ergo coelo restituii non dei cognilio
est, sed amor.
Le discours de Landino tend ainsi à la double affirmation d'un
bien transcendant et des puissances de l'Amour qui seul nous en
ouvre la voie ; thème que la pensée chrétienne n'a jamais oublié,
mais qui, sous le voile du mythe païen, reprend, et pour plus d'un
siècle, une jeunesse nouvelle1.
Paul-Henri Michel.

1. Quelques inadvertances ne suffisent pas à déparer le bel ouvrage de


M. Raymond Marcel. Il faut néanmoins souhaiter qu'une prochaine édition les
fasse disparaître. Nous n'en relèverons qu'un exemple, p. 120 : « Après Bembo »
(dans la langue liste des auteurs qui se sont plus ou moins inspirés de De amore),
« nous trouvons un juif de Lisbonne, vivant à Naples, Jehudah abarbanel, dit
Léon l'Hébreu (1437-1494), qui, de 1501 à 1506, composa ses Dialoghi d'Amore... ».
Ces données chronologiques ne s'accordent pas ; 1437 n'est d'ailleurs pas la date
de naissance de Léon Hébreu, mais de son père, Isaac Abravanel (1437-1509).

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