idées

MAGAZINE
JAMES GRAY, L’ÉTERNEL  Aux Etats-Unis, l’essor
ENFANT DU QUEENS des catholiques radicaux

WEEK-END
UNIQUEMENT EN FRANCE MÉTROPOLITAINE,
EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG

ÉDITION SPÉCIALE 
SUPPLÉMENT COP27 – 16 PAGES

SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022 - 78E ANNÉE - NO 24209 - 4,90 € - FRANCE MÉTROPOLITAINE - WWW.LEMONDE.FR - FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Climat : la COP27, sommet de l’urgence absolue
▶ La 27e conférence des AIDE
Nations unies sur le cli­ L’un des enjeux sera celui
mat se tient à Charm des éventuelles compensa­
El­Cheikh, en Egypte, tions accordées à l’avenir
aux pays pauvres, victimes
du 6 au 18 novembre du réchauffement sans
▶ Plus de 40 000 person­ en être responsables
nes, venues de 196 pays,
y participeront, entre EUROPE
espoir et fatalisme Le conflit en Ukraine
et la crise de l’énergie
▶ Une centaine de chefs contrarient les ambitions
d’Etat et de gouverne­ de l’UE en matière de
ment sont attendus, transition écologique
dont Emmanuel Ma­
cron, qui devrait s’expri­ ONU
mer mardi 8 novembre Interrogé par « Le Monde »,
le secrétaire général des
▶ Cette conférence a lieu
Nations unies, Antonio
après un été de chaleurs Guterres, appelle les pays
extrêmes et de catastro­ du G20 à agir au plus vite.
phes majeures, que « Nous allons vers
ce soit en Europe, la catastrophe », dit­il
en Afrique ou en Asie
GLACIERS
▶ Le contexte géopoliti­ Selon un récent rapport,
que, notamment la un tiers des glaciers de sites
guerre en Ukraine, classés au Patrimoine
menace de reléguer au mondial de l’Unesco
second plan la question auront disparu en 2050
climatique
SUPPLÉMENT – 16 PAGE S Des habitants d’Obagi, dans l’Etat inondé du Rivers, au Nigeria, le 21 octobre. TEMILADE ADELAJA/REUTERS

Football
Avant le Mondial, le
Immobilier
1 Extrême droite
Au Pays basque,
ministre des affaires
É D I TO R I A L
la population se Le RN accusé
étrangères qatari L’INQUIÉTANT VISAGE  mobilise contre la de racisme
riposte aux critiques D’ISRAËL crise du logement
PAGE 4 PAGE 33 ET INTERNATIONAL P.6
PAGE 13
à l’Assemblée
Le député Grégoire de
Fournas risque de lourdes
sanctions pour des propos
Au menu du « Goût de M » tenus jeudi, lors de l’inter­
vention de l’élu LFI Carlos
©

Le Goût de M n o 3. Supplément à M Le magazine du Monde n o 581. Supplément

au Monde n o 24209/2000 C 81975 SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022. Ne peut être vendu
séparément. Disponible en France métropolitaine, en Belgique et au Luxembourg.
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VOYAGE —
En Italie, la voie florale
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DU 01 AU 30/11

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Ce « Goût de M », décliné sous
quatre couvertures différentes,
aborde les thématiques du voyage, Ukraine
singulieres
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de la cuisine, de la mode et du design

L’avenir incertain 
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 INTERNATIONAL
2|
« Que les prorusses fassent leurs valises ! »
A Lyman et Sviatohirsk, libérées en octobre, les autorités s’efforcent de rétablir la confiance entre les habitants
REPORTAGE
lyman, sviatohirsk (ukraine) ­
envoyé spécial
V
êtue d’une doudoune
rouge, Galina, 74 ans,
prépare une soupe de
légumes sur un brasero
au pied de son immeuble de cinq
étages éventré par un obus, ave­
nue Terechkova. Comme des mil­
liers d’habitants de Lyman (nord
du Donbass), elle n’a plus ni eau ni
électricité, ni gaz, ni chauffage à
son domicile depuis le début de
l’été. Souriante, elle touille son
brouet tout en bavardant avec son
voisin de palier, un gros monsieur
au visage fermé, assis sur un banc.
Galina, qui n’a donné que son
prénom, parvient à garder sa
bonne humeur en dépit d’une si­
tuation catastrophique. « J’ignore
comment nous allons passer l’hi­
ver », dit­elle sans cesser de sou­
rire. « Pour l’instant, le temps est
clément, mais qu’adviendra­t­il de
nous lorsqu’il gèlera ? », s’inter­
roge­t­elle. Son immeuble est
ouvert à tous vents, du fait des
bombardements permanents su­
bis par la ville entre le début du
mois d’avril et sa capture le 27 mai
par les forces russes. Nœud ferro­
viaire sans attrait où résidaient
20 000 habitants avant l’invasion,
Lyman revêtait une importance
stratégique pour l’armée russe,
qui privilégie le rail pour sa logis­
tique. Lyman fut reprise par l’ar­
mée ukrainienne le 1er octobre.
« Mon mari ne peut pas se lever, il
est souffrant. C’est pourquoi nous
sommes restés. Les combats ont été
beaucoup plus longs et durs que
lorsque l’armée ukrainienne a re­
pris la ville », explique Galina. Tous
deux ont passé le printemps dans
la cave de l’immeuble avec 40 per­
sonnes. Son appartement est ex­
posé au nord­est, d’où venait l’at­
taque russe. La façade sud­ouest
ne montre aucun dégât hormis
des fenêtres brisées. « Je ne saurais
pas expliquer ce qui s’est passé, con­
fie­t­elle pourtant. C’est comme si
j’étais resté dans une boîte noire
pendant quatre mois. Nous n’avi­
ons aucune communication avec le
monde extérieur, ni télévision ni té­
léphone ni Internet. Je ne sais pas
qui croire. C’est peut­être les Etats­
Unis et la Russie qui s’affrontent »,
avance­t­elle, reprenant un leit­
motiv de la propagande russe.
« Je n’ai plus rien »
Durant l’occupation, « les choses
n’allaient pas trop mal. C’était l’été.
Les Russes distribuaient de l’aide
humanitaire. Le seul problème, c’est
qu’ils étaient trop souvent ivres. »
Sont­ils définitivement partis ? Le
doute peut subsister dans les es­
prits alors que le tapage des explo­
sions domine l’ambiance sonore
d’une ville à moitié morte, privée
de ses bruits habituels : gronde­
ment et sirènes des trains, cris des
enfants, gazouillis des télévi­
seurs… Les combats font toujours
rage vingt kilomètres plus à l’est.
En bas de chaque cage d’escalier
d’immeuble, c’est la même scène
dans tout le quartier sud de Ly­
man : des braseros de fortune, des
Au 3 novembre
Présence des troupes russes
Territoire repris par Kiev
depuis le 6 septembre
UKRAINE RUSSIE
Kiev
Sviatohirsk
Dni Lyman
epr
Donbass
Territoire
séparatiste
Crimée,
annexée en 2014
Mer Noire
Source : ISW 100 km
dames âgées préparant le thé et se
réchauffant au­dessus du feu. Ra­
res sont les moins de 50 ans en­
core présents dans la ville. Aux
distributions d’aide humanitaire
organisées par diverses ONG, les
files d’attente sont presque exclu­
sivement composées de person­
nes âgées vêtues pauvrement.
A 60 ans, Vladimir Dvorkin
semble en faire dix de plus ; il
vient de recevoir son paquet et le
range lentement dans un chariot
de courses. « Voyez cet immeuble
derrière [le stand de l’ONG], c’était
mon logis », dit­il sans émotion. Il
désigne ce qui était autrefois un
bâtiment de cinq étages, dont il
reste des amas de béton au niveau
du rez­de­chaussée. « Je vis désor­
mais dans une école avec une di­
zaine de personnes. Je n’ai plus
rien », soupire cet électricien en­
core en activité. Pas une habita­
tion, pas un bâtiment de Lyman
ne sont indemnes, et beaucoup
semblent irréparables.
De l’autre côté des voies de che­
min de fer, dans la partie pavillon­
naire de Lyman, une foule agitée et
anxieuse se presse à l’entrée du
siège de la police. Le commissaire
municipal Ihor Ougnevenko ex­
plique au Monde qu’il s’agit d’une
mesure indispensable. « Nous de­
mandons à tout le monde de venir
pour un processus de vérification.
Ceux qui sont restés pendant l’occu­
pation, soit environ 20 % de la po­
pulation, comme ceux qui retour­
nent chez eux. Nous rentrons les
noms des habitants sur les bases de
données du ministère de l’intérieur,
ce qui nous permet de vérifier qui a
collaboré avec l’ennemi. Et qui s’est
distingué par son activité sépara­
tiste. Il y a eu des pillages, des vols,
des viols. Tout le monde doit répon­
dre devant la loi. C’est à ce prix que
nous rétablirons l’Etat de droit. »
Vingt kilomètres plus à l’ouest,
dans la ville voisine de Sviato­
hirsk, le chef de la police munici­
pale voit les choses autrement.
« Personne n’est obligé de venir
nous voir. Il n’y a pas de filtration
comme en RPD [la « république
populaire de Donetsk », Etat sépa­
ratiste prorusse autoproclamé en
avril 2014 et annexé par Vladimir
Poutine en septembre], mais des
mesures de stabilisation. Nous vi­
vons ici dans l’Ukraine libre », pré­
cise Roman, un homme de petite
taille, qui insiste pour que son
nom de famille ne soit pas publié.
Au premier abord, Sviatohirsk
est l’antithèse de Lyman. Dépour­
vue d’industrie, elle est un haut
lieu de l’orthodoxie et du tou­
risme. Logée entre une jolie forêt
de pins au nord, et une falaise au
sud, au pied de laquelle se niche
l’illustre laure de Sviatohirsk, le
monastère orthodoxe jusqu’à
tout récemment affilié au patriar­
cat de Moscou. Mais, en dehors de
ces attraits, la ville partage avec
Lyman le même degré de ravage
dans la pierre et de confusion
dans les esprits.
« Opportunisme »
« Oui, il reste des prorusses ici.
Qu’ils fassent leurs valises et se cas­
sent », peste le policier, avant de se
reprendre : « L’Ukraine est un Etat
de droit, et bien sûr je dois leur of­
frir aussi ma protection. Mon but
premier, c’est de restaurer la con­
fiance. J’ai besoin de connaître le
nombre d’habitants pour faire
face à leurs besoins humanitaires
et sécuritaires. Le principal pro­
blème aujourd’hui, c’est le démi­
nage. De vastes zones ont été mi­
nées de lepiostok [« pétale », mine
antipersonnel PFM­1 de la taille
d’une main d’enfant]. Il ne faut
surtout pas aller là où l’herbe est
haute. Les “rachistes” [mot­valise
forgé sur “Russe” et “fasciste” ] les
tirent au­dessus de nos têtes avec
des roquettes multiples. C’est pour­
quoi nous demandons à ceux qui
ont fui d’attendre avant de reve­
nir. » Les routes menant à Sviato­
hirsk sont barrées par des points
« Il y a eu des
pillages, des vols,
des viols.
Tout le monde
doit répondre
devant la loi »
IHOR OUGNEVENKO
commissaire à Lyman
de contrôle, et il faut avoir son
nom inscrit sur une liste pour
pouvoir les franchir.
Propriétaire d’un grand maga­
sin d’outillage, rue du Général­Ba­
tiouk, Roman Ovtcharenko,
56 ans, s’est débrouillé pour re­
tourner à Sviatohirsk. « Je suis ren­
tré il y a deux jours, dès que j’ai pu,
pour constater les dégâts. Nous
sommes partis le 9 mai avec ma fa­
mille parce que c’était intenable. »
La mine maussade, il observe la
devanture de son magasin criblée
d’éclats d’obus. Une annexe a en­
tièrement brûlé avec les véhicules
qu’elle abritait. Des soldats russes
ont pillé son magasin, croit
M. Ovtcharenko, mais aussi – ce
qui l’irrite encore plus – des voi­
sins. « J’ai aperçu des outils volés
du magasin chez deux villageois. »
Il a déjà déposé plainte auprès de
la police. « Mon associé et moi,
nous allons tout reconstruire. Mais
il va falloir côtoyer ceux qui ont
collaboré et pillé. Vous savez qui
sont les prorusses ? Des ratés, des
envieux, qui ont cru que le moment
était arrivé pour prendre leur re­
vanche. Maintenant, bien sûr, ils
ont pour la plupart changé d’avis,
car eux aussi ont tout perdu. »
Ceux qui ont vraiment collaboré
pendant les trois mois et demi
d’occupation ont fui avec les
Russes, explique Volodymyr Ry­
balkine, le chef de l’administra­
tion militaire de Sviatohirsk. Il es­
quisse un sourire en entendant le
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022
A Lyman (Ukraine),
le 21 octobre.
Privés d’électricité,
de gaz, de chauffage
et d’eau courante,
les habitants ont
installé des braseros
au pied des
immeubles. LAURENCE
GEAI/MYOP POUR « LE MONDE »
nom du maire Vladimir Ban­
doura, qui a publiquement trahi
son pays dès le lendemain de la
prise de Sviatohirsk par les forces
russes. « Bandoura a abandonné
ses administrés. Ce n’était pas un
super­agent russe. Il a juste fait
preuve d’opportunisme, pensant
qu’il aurait plus d’avenir en colla­
borant avec une Russie qu’il imagi­
nait puissante et installée pour
toujours. Au final, c’est un traître,
et il peut faire une croix sur sa car­
rière politique. » Anciens rivaux
pour la mairie de Sviatohirsk,
MM. Rybalkine et Bandoura tra­
vaillaient côte à côte pour proté­
ger la ville au printemps, alors que
le front se rapprochait inexorable­
ment. « Je suis prêt à défendre
Sviatohirsk jusqu’au bout contre
les envahisseurs », affirmait alors,
au Monde, le maire, le 18 avril.
Aujourd’hui, il ne répond plus
aux appels téléphoniques.
« Je ne comprends pas ceux qui
sont restés lorsque les Russes sont
arrivés », reprend M. Rybalkine,
qui, à la tête d’un groupe de vo­
lontaires armés de la défense
territoriale, avait opéré une re­
traite le 2 juin, soit trois jours
avant la chute de la ville. « Après
tout ce qu’on sait de leur comporte­
ment sans foi ni loi. Comment
entendaient­ils se défendre face à
des gens armés jusqu’aux dents ?
Ils sont restés parce qu’ils ont des
poules ou des chats ou une mai­
son à protéger, au lieu de protéger
leurs vies. Au moins trente­quatre
habitants de Sviatohirsk ont été
tués depuis avril », déplore le
responsable local.
Il faut croire que, dans cette ré­
gion du Donbass, même le pas­
sage d’une tornade d’acier n’a pas
suffi à mettre fin à l’influence du
Kremlin. Juchée sur la falaise et
miraculeusement indemne, la
haute statue d’Artiom, héros
bolchevique et ami de Staline,
continue de toiser Sviatohirsk. p
emmanuel grynszpan
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022 international | 3

Les premiers pas de Meloni à Bruxelles et à Rome

Entre apaisement sur le plan européen et polémique en Italie, la présidente du conseil prend ses marques

bruxelles ­ bureau européen guée par des engagements anti­ C’est justement avec Berlin, et Ces tensions interviennent texte juridique a laissé craindre à
rome ­ correspondant
L’importance du européens radicaux, sa position a sur le dossier migratoire, où l’Ita­ alors que le contexte politique in­ plusieurs acteurs de la société
plan de relance évolué au fil de son ascension lie réclame plus de solidarité de la térieur italien est déjà marqué par civile son utilisation abusive

A
lors qu’à Rome son vers le pouvoir. L’importance du part des autres Etats membres, des débats sur un décret­loi contre toute assemblée non auto­
gouvernement de coa­
de l’UE, dont plan de relance européen que les premières frictions polémique adopté lundi. Entre risée, jetant ainsi une ombre
lition met en avant les l’Italie est NextGenerationEU, dont l’Italie diplomatiques du gouvernement rupture sur les mesures liées au menaçante sur le droit de mani­
marqueurs polémi­ est la première bénéficiaire, à Meloni sont apparues. La visite Covid­19, avec la réintroduction fester. Les débats vigoureux qui
ques d’une droite dure, la prési­
la première hauteur de 200 milliards d’euros, européenne de Mme Meloni, qui des personnels soignants non se sont ensuivis, et qui se poursui­
dente du conseil italien, Giorgia bénéficiaire, rend et qui ne peut être renégocié qu’à dit avoir trouvé des « oreilles at­ vaccinés dans les services de vaient jeudi, alimentés par une
Meloni, a fait, jeudi 3 novembre, à la marge, rend improbable toute tentives », coïncide avec le début santé, et étalage de fermeté sur les opposition dénonçant un virage
Bruxelles, ses premiers pas à
improbable toute confrontation d’ampleur avec d’une crise sur ce front. plans sécuritaire et judiciaire, liberticide, ont éclipsé les préoc­
l’étranger dans une atmosphère confrontation Bruxelles. Au large des côtes italiennes, des dispositions prévues au sein cupations principales des Ita­
d’apaisement. « Je suis contente du Enfin, la posture euroatlantique trois navires opérés par des ONG de ce texte hétérogène ont liens, liées à l’inflation et au coût
climat que j’ai trouvé », a déclaré la
d’ampleur prônée par le parti de Mme Meloni se voient en effet refuser depuis immédiatement associé le nou­ de l’énergie. Les marges de
dirigeante, vers 20 heures, après depuis le début de la guerre en plusieurs jours l’autorisation vel exécutif à un changement manœuvre du nouveau gouver­
avoir enchaîné en quelques heu­ Ukraine s’est accompagnée d’une d’accoster en Italie. Deux battent d’atmosphère à Rome. nement sur ces questions sont de
res les rendez­vous avec Roberta « Parler directement avec les per­ approche moins conflictuelle pavillon norvégien, et un pa­ fait étroitement limitées, contrai­
Metsola, Ursula von der Leyen et sonnes peut contribuer à démon­ vis­à­vis de l’Union européenne. villon allemand. Ils ont à leur Préoccupations éclipsées rement à sa capacité à multiplier
Charles Michel, les dirigeants des ter un récit qui a été construit à La position de Mme Meloni con­ bord près d’un millier de mi­ Saisissant l’occasion offerte par les mesures d’affichage sur des
trois institutions de la capitale propos de moi et sur le gouverne­ siste désormais à défendre une grants secourus en mer alors une rave illégale dans la région de sujets susceptibles d’alimenter la
européenne – le Parlement, la ment italien, a poursuivi Mme Me­ « Europe des patries », reconnais­ qu’ils tentaient de rejoindre l’Eu­ Modène pour afficher sa fermeté, polémique.
Commission et le Conseil. loni. Nous ne sommes pas des sant à l’échelon supranational sa rope, en provenance de Libye et Mme Meloni a en effet annoncé la Une croissance inattendue au
« D’un point de vue personnel, Martiens, nous sommes des per­ pertinence, notamment sur la de Tunisie. Dans un entretien au création d’un nouveau délit troisième trimestre, des tempéra­
humain, il s’est créé un échange sonnes en chair et en os qui expli­ question énergétique. Corriere della Sera, publié mer­ rendant possibles des peines de tures encore élevées au cœur de
très franc et très positif », a­t­elle quent leurs positions. » Cette der­ credi, le nouveau ministre de l’in­ six ans de prison pour l’organi­ l’automne, ainsi qu’une augmen­
ajouté. Un constat manifeste­ nière déclaration illustre les in­ Premières frictions avec Berlin térieur italien, Matteo Piante­ sation d’événements de ce type. tation plus modérée que prévu du
ment partagé par ses homolo­ tentions de la nouvelle cheffe du Aussi, si le soutien à l’Ukraine a dosi, a annoncé avoir notifié aux Ce rassemblement musical anec­ prix du gaz devraient favoriser le
gues. « Ce fut une bonne occasion gouvernement transalpin. « En dominé les échanges de jeudi à diplomaties norvégienne et alle­ dotique a pourtant été dispersé maintien des mesures de soutien
d’échanger sur des sujets cru­ allant à Bruxelles pour le premier Bruxelles, la question des mesu­ mande le refus de Rome de pren­ sans le moindre accroc par les aux ménages et aux entreprises
ciaux », a ainsi souligné, dans un déplacement à l’étranger, nous res de lutte contre l’augmenta­ dre en charge les migrants re­ forces de l’ordre. mises en œuvre par son prédéces­
tweet, Mme von der Leyen, évo­ voulons porter un signal politique tion des coûts de l’énergie était cueillis sur ces bateaux, affir­ Signe d’improvisation ou reflet seur. Alors que les parlementaires
quant en particulier l’Ukraine, fort pour montrer que Rome ne se bien l’autre priorité. Sur ce dos­ mant qu’était venu le moment d’une volonté réelle de durcisse­ pourraient assouplir le décret po­
l’énergie et la question des mi­ place pas dans une perspective sier, les positions de Mme Meloni « pour que la solidarité euro­ ment, la formulation floue du lémique annoncé en début de se­
grants. « La réunion a confirmé conflictuelle vis­à­vis de l’Union en faveur du plafonnement des péenne devienne enfin concrète ». maine et que la majorité s’est
que l’Italie continuera à jouer un européenne », soulignait­on dans prix du gaz et de la création d’un De son côté, Berlin a demandé voulue rassurante sur son enga­
rôle central dans le processus l’exécutif italien avant la visite, fonds de solidarité européen, au gouvernement italien « d’ap­ gement à respecter la liberté de
décisionnel de l’Union euro­ l’enjeu principal étant, pour pour faire face à la crise, s’inscri­ porter rapidement son aide » aux
Un décret réunion, de nouvelles aides doi­
péenne [UE] », assure­t­on dans Mme Meloni, de « faire connais­ vent dans la continuité de celles personnes secourues et dont le sur la liberté vent être annoncées vendredi par
l’entourage de Mme Metsola. « Elle sance » avec les dirigeants de de son prédécesseur, Mario Dra­ destin se trouve désormais sus­ l’exécutif. C’est ensuite que le gou­
a surtout réitéré son intention l’Union et de faire preuve de ghi. Elles présagent d’ailleurs des pendu aux échanges entre les
de réunion a vernement affrontera son le pre­
d’être un partenaire loyal et bonne volonté, alors que son convergences avec d’autres Etats deux capitales. Parmi les ONG provoqué des mier défi : l’adoption d’un budget
orienté vers les solutions au sein de image d’eurosceptique la précède. membres, dont la France, face à concernées, dont Médecins sans avant la fin de l’année. p
l’UE », ajoute un haut fonction­ Si, dans sa première vie politi­ une Allemagne hostile à de telles frontières, on se prépare à accroî­
débats houleux philippe jacqué
naire européen. que, Mme Meloni s’était distin­ mesures. tre la pression publique sur Rome sur la péninsule et allan kaval

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 0123
4 | international SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022

Le Qatar riposte aux critiques contre le Mondial

Dans un entretien au « Monde », le ministre des affaires étrangères qatari dénonce l’« hypocrisie des attaques »

ENTRETIEN porteurs respectent nos lois,

comme on attend de nous que

M
ohammed Ben
Abderrahmane
Al Thani est le
ministre des af­
faires étrangères du Qatar, pays
organisateur de la Coupe du
monde de football, qui débute le
20 novembre. Dans cette inter­
view réalisée à Paris, il revient
sur les multiples critiques dont
l’émirat est l’objet, à deux semai­
nes du début de la compétition.
Comment réagissez­vous aux
appels au boycott du Mondial ?
Les raisons avancées pour boy­
cotter la Coupe du monde ne tien­
nent pas la route. Il y a beaucoup
d’hypocrisie dans ces attaques,
qui passent sous silence tout ce
que nous avons accompli. Elles
sont colportées par un tout petit
nombre de personnes, dans dix
pays tout au plus, qui ne sont pas
du tout représentatifs du reste de
la planète. C’est franchement
malheureux. La réalité, c’est que
le monde attend cette célébration
avec impatience. Plus de 97 % des
tickets ont été vendus. Parmi les
dix pays qui ont acheté le plus de
billets, on trouve des pays euro­
péens comme la France.
La Coupe du monde a été attri­
buée au Qatar en 2010. Mais la
principale réforme du code du
travail, l’abolition de la kafala,
le système qui enchaîne les tra­
vailleurs à leur patron, est in­
tervenue en 2020, alors que la
plupart des infrastructures
étaient terminées. Pourquoi
avoir attendu si longtemps ?
Nous avons reconnu les problè­
mes concernant le bien­être des
ouvriers. Nous avons même in­
vité les ONG à venir observer no­
tre système. Nous avons parcouru
un long chemin pour remanier
notre législation. De telles réfor­
mes demandent du temps. Cela
vaut pour n’importe quel pays, ce
n’est pas propre au Qatar. Bien
sûr, il y a encore des failles, et
nous sommes déterminés à y re­
médier. Mais pourquoi imputer
systématiquement ces problè­
mes à notre gouvernement, alors
qu’en Europe, au moindre inci­
dent, c’est l’entreprise qui est
mise en cause ? Pourquoi ce deux
poids deux mesures ? Je pense
que certaines personnes n’accep­
tent pas qu’un petit pays du
Moyen­Orient accueille un tel
événement planétaire.
Les ONG parlent de milliers
d’ouvriers morts dans la prépa­
ration du Mondial. Votre gou­
vernement ne reconnaît que
trois morts, uniquement sur
les chantiers des stades. Pour­
Mohammed Ben Abderrahmane Al Thani, à Berlin, le 4 mars 2020. THOMAS TRUTSCHEL/PHOTOTHEK VIA GETTY IMAGES
quoi ne dispose­t­on toujours
pas de statistiques précises et
exhaustives ?
Chaque décès est une tragédie.
Au Qatar, nous collectons et pu­
blions les chiffres de la mortalité
chaque année, avec des distinc­
tions par âges, genres, causes du
décès et types d’emploi. Bien
entendu, la majorité de ces décès
ne sont pas liés au travail. Ils reflè­
tent le profil démographique du
Qatar, qui a une population très
diverse. Nous sommes en train de
passer ces données en revue pour
obtenir le chiffre exact des morts
du travail. Ce qui est clair, c’est que
les chiffres cités par les médias
sont faux ou fallacieux.
Le Qatar a récemment adopté
un salaire mensuel minimum,
fixé à 1 000 rials (281 euros), en
plus des repas et du logement.
Dans ce pays immensément ri­
che, ce montant n’est­il pas
choquant ?
Non, il ne l’est pas. Ce montant
est proportionnel au coût de la
vie au Qatar, au niveau des prix et
à la taille de l’économie qatarie. Ce
salaire minimum est suffisant
pour mener une vie décente.
Amnesty International a de­
mandé à la FIFA de prélever
400 millions de dollars sur les
« Parmi les dix
pays qui ont
acheté le plus de
billets, on trouve
la France »
6 milliards de dollars de profits
que la Coupe du monde va lui
rapporter, afin de créer un
fonds destiné à indemniser les
ouvriers. Votre ministre du tra­
vail vient de rejeter cette de­
mande. Pourquoi ?
Un tel fonds existe déjà, et il a
prouvé son efficacité. En 2021,
350 millions de dollars ont été dé­
boursés de ce fonds. Cet argent est
allé à des employés qui ont été pri­
vés de leurs salaires et dont l’entre­
prise est en procès, à des employés
qui ont été blessés dans le cadre de
leur travail ou à des cas de mort
liée au travail. Ce mécanisme fonc­
tionne très bien. Alors pourquoi
devrions­nous le dupliquer ?
L’une de nos journalistes
s’est rendue récemment au Né­
pal. Elle n’a eu aucune diffi­
culté à rencontrer des femmes
dont le mari est mort au Qatar
et qui n’ont reçu aucune
compensation…
Vous pouvez nous conduire à
ces cas, et nous les guiderons jus­
qu’au fonds. Vous savez, il y a
quelques jours, j’ai lu un com­
mentaire qui affirmait que le Qa­
tar n’est pas prêt, intellectuelle­
ment et culturellement, à organi­
ser une Coupe du monde. Un tel
racisme est­il acceptable en Eu­
rope, au XXIe siècle ? Le football ap­
partient à tout le monde. Il n’est
pas un club réservé aux élites.
450 millions d’Arabes sont ravis
que le Mondial soit enfin organisé
dans leur région.
Le système de climatisation
installé dans les stades sera­t­il
en service durant les matchs ?
Les températures au Qatar, en
novembre­décembre, sont pres­
que plus fraîches que les tempéra­
tures en Europe pendant l’été.
Donc la climatisation ne sera pas
utilisée. Mais pensez au fait que
certains stades européens sont
chauffés pendant l’hiver. Cela ne
pose aucun problème. Alors pour­
quoi le fait que nos stades soient
climatisés pose­t­il un problème,
alors même que la technologie
utilisée est plus moderne et que
son impact sur l’environnement
est plus limité ?
Le Royaume­Uni enverra des
policiers au Qatar, pour servir
de tampon entre les suppor­
teurs anglais et les forces de
l’ordre locales, au motif que la
différence culturelle pourrait
désorienter certains d’entre
eux. Comment ce dispositif
va­t­il fonctionner ?
La Coupe du monde au Qatar est
comme n’importe quel événe­
ment sportif dans le monde. Le
Qatar entretient une relation ami­
cale avec ces pays, en Europe, en
Amérique du Sud, et nous collabo­
rons avec eux en matière de sécu­
rité. Des forces de sécurité venues
de France, du Royaume­Uni et
d’autres pays européens vont tra­
vailler main dans la main avec no­
tre police. Ils n’agiront pas de leur
côté, nous coordonnerons tout,
car nous sommes responsables de
la sécurité de tous, qu’ils viennent
du Royaume­Uni, de France ou
d’Afrique. Notre pays est l’un des
plus sûrs du monde, et cette
Coupe du monde sera l’une des
plus sûres de l’histoire.
Beaucoup d’observateurs anti­
cipent un « choc des cultures »
entre les fans du monde entier
et votre pays. Comment y ré­
pondrez­vous ?
Notre peuple est très ac­
cueillant, et le monde entier est le
bienvenu chez nous. Tout ce que
l’on demande, c’est que les sup­
l’on respecte vos lois quand on
vient chez vous. Nos forces de sé­
curité garantiront une Coupe du
monde sûre, et il n’y aura aucune
confrontation, à moins que cer­
tains comportements ne mettent
les personnes en danger. C’est le
seul cas de figure où elles inter­
viendront.
L’équipe nationale d’Australie,
en lice dans la compétition, a
publié un clip dans lequel elle
dénonce les « souffrances »
liées à l’organisation de la com­
pétition dans le pays. Com­
ment réagirez­vous si certains
joueurs prennent la parole sur
des sujets extrasportifs ?
En ce moment, le monde est
extrêmement divisé, nous sor­
tons tout juste du Covid­19. Nous
espérons que cette compétition
sera une fête, où tout le monde
pourra découvrir notre pays et no­
tre culture. Notre peuple est très
hospitalier et tolérant. Si des
joueurs souhaitent exprimer leur
opinion, ils seront libres de le
faire, nous n’empêcherons jamais
quelqu’un de s’exprimer.
Il est souvent arrivé, par le
passé, que des stades cons­
truits en vue d’un grand événe­
ment sportif soient abandon­
nés sitôt la compétition termi­
née. Comment pensez­vous
éviter cet écueil ?
La différence, c’est qu’il y a un
alignement parfait entre les in­
frastructures que nous avons éri­
gées pour la Coupe du monde et
celles dont le pays a besoin. Cer­
tains stades seront démantelés,
dont un en intégralité pour être
réemployé dans un autre pays.
Des gradins pourront être donnés
à d’autres pays. Et tous les autres
stades seront utilisés après la
Coupe du monde. Plusieurs
autres grands événements spor­
tifs sont prévus chez nous après le
Mondial, comme les Jeux asiati­
ques, en 2030.
Le soft power sportif dans le­
quel le Qatar a investi depuis
deux décennies va donc se
poursuivre après la Coupe ?
Cette politique a commencé
bien avant l’obtention de la Coupe
du monde, et elle se poursuivra
après. Notre ambition est de faire
des choses qui rassemblent et
unissent les gens. Le sport est un
outil important pour atteindre ce
but. Notre pays est prêt à accueillir
des événements sportifs de pre­
mier plan. La Coupe du monde en
est juste la manifestation. p
propos recueillis par
benjamin barthe
et clément martel

A Bahreïn, le pape défend les droits des travailleurs immigrés

Internationales drôle de paradoxe entre l’esprit et le
Le grand entretien corps qu’a donné à voir le pape François
jeudi 3 novembre, premier jour de son dé­
sur l’actualité du monde placement à Bahreïn dans le cadre du Fo­
rum de dialogue entre l’Orient et l’Occident.
Visiblement affaibli, le souverain pontife
s’est rendu en fauteuil roulant à l’accueil ré­
servé par le roi Hamad Ben Issa Al Khalifa à
l’aéroport. Faible, à l’inverse, son discours
ne l’était pas. Assis à côté du monarque,
Ce samedi à 12 h 00 François a évoqué la question des droits hu­
mains et des droits des travailleurs dans un
Arlette SOUDAN-NONAULT royaume en proie à des soulèvements
d’une population principalement chiite, ré­
Ministre congolaise de l’Environnement et du Développement durable,
coordinatrice technique de la Commission climat du Bassin du Congo primés par un pouvoir sunnite. Les habi­
répond aux questions de tants y sont pour près de la moitié issus de
Antoine Genton (TV5MONDE) pays étrangers, en quête de travail dans une
et Laurence Caramel (Le Monde). pétromonarchie prospère.
François a certes salué un pays où « des
Diffusion sur TV5MONDE et sur Internationales.fr gens de diverses origines forment une origi­
nale mosaïque de vie ». Une référence aux
Regarder le monde différentes nationalités et surtout aux reli­
avec attention
en partenariat avec gions qui composent la population du
royaume. Mais, a­t­il insisté, « les droits hu­
mains fondamentaux ne doivent pas être
violés ». Pour le pape, « l’égale dignité et
l’égalité des chances » doivent être « concrè­
tement reconnues à chaque groupe et à cha­
que personne afin qu’il n’y ait pas de discri­
mination ». Et d’ajouter, dans une allusion
à la peine capitale en vigueur dans le
royaume : « Je pense avant tout au droit à la
vie, à la nécessité de toujours le garantir,
même envers ceux qui sont punis, dont
l’existence ne peut être éliminée. »
« Atteinte à la dignité humaine »
Un premier discours politique dans lequel
le pape ne pouvait ignorer les appels des
ONG de défense des droits de l’homme, qui
lui ont rappelé ces derniers jours les condi­
tions de traitement des opposants au roi
depuis le soulèvement de 2011. Une révolte
dont les soubresauts de ces dernières an­
nées ne cessent d’être réprimés. Dans les
geôles bahreïnies, vingt­six prisonniers at­
tendent d’être exécutés après leur con­
damnation à mort. Venu aussi parler aux
minorités chrétiennes, dont le gros contin­
gent est représenté par des travailleurs is­
sus de pays asiatiques, le pape a aussi eu un
mot sur le sort de ces immigrés, sujet sen­
sible à quelques jours du début de la Coupe
du monde de football au Qatar voisin.
L’événement est de plus en plus critiqué en
Occident alors que les mauvais traite­
ments subis par les milliers de travailleurs
étrangers, qui ont permis sa tenue, sont
aujourd’hui connus.
« On ne peut (…) pas oublier qu’à notre
époque il y a encore trop de manque de tra­
vail et trop de travail déshumanisant : […]
cela représente une atteinte à la dignité hu­
maine », a expliqué le pape. « De ce pays, at­
trayant pour les opportunités de travail
qu’il offre, je voudrais rappeler l’urgence de
la crise mondiale du travail : souvent le tra­
vail, précieux comme le pain, manque ; sou­
vent, c’est du pain empoisonné, parce qu’il
asservit. »
Vendredi matin, dans une allusion à la
guerre en Ukraine, le pape s’est aussi élevé
contre la logique des « blocs opposés » en­
tre « l’Orient et l’Occident », déplorant les
« visions despotiques, impérialistes, natio­
nalistes et populistes ». p
sarah belouezzane
(bahreïn, envoyée spéciale)
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022 international | 5

En mer de Chine, un Falcon en mission d’observation

La marine française participe à la surveillance du contournement des sanctions imposées à la Corée du Nord

REPORTAGE En ces temps « Il ne faut pas se laisser dis­

traire », rappelle le capitaine de
zone complexe… », commente
le chef de cette mission réalisée
caine de Futenma, à Okinawa,
entre les avions à rotor pivotant
menter les bases de données de
l’ONU, qui en tire des rapports ré­
okinawa ­ envoyé spécial
troublés, corvette chef de bord, qui tente dans un « ciel fragmenté » – plu­ Osprey et autres hélicoptères guliers dont la lecture illustre la

A
5 heures, 2 nautiques, de ramener ses cinq hommes à tôt nuageux – et par une Apache ou Sea Stallion. « Les Ma­ complexité des circuits d’appro­
je me demande si ce
la tension leur mission première : traquer mer agitée « peu propice aux rines sont très efficaces. Dès que visionnement mis en place au
n’est pas un [avion de ne retombe pas, les transbordements illicites. Le transbordements ». l’on a besoin de quelque chose, on profit de la Corée du Nord.
chasse chinois] J­16 », biréacteur français, au fuselage L’officier marinier affecté au l’a », apprécie le chef de mission. Le dernier en date, établi en
lance le radariste du Falcon de la
alors que blanc souligné de bleu, patrouille radar doit repérer dans un Le colonel Henry Dolberry, mars, mentionne ainsi la société
marine française. L’avion fran­ Pyongyang dans une zone déterminée par la essaim de bâtiments ceux qui commandant de cette base très Cheng Chiun Shipping Agency,
çais patrouille dans le ciel de la cellule de coordination d’appli­ n’ont pas activé leur AIS, le critiquée par les habitants d’Oki­ basée à Kaohsiung (Taïwan), qui
mer de Chine orientale en
enchaîne les tirs cation des sanctions, installée système d’identification auto­ nawa, qui la jugent dangereuse au exploite le Sky Venus battant pa­
mission de surveillance sur les de missiles sur le site de l’état­major de la matique obligatoire pour les milieu de la ville de Ginowan, est villon palaosien, et le Sunward
transbordements de trafiquants VIIe flotte américaine basée à navires de plus de 300 tonneaux. un homme musculeux, au verbe autrefois sous pavillon pana­
de pétrole, de charbon ou de Yokosuka, au sud de Tokyo. Un AIS désactivé suggère une quasi biblique : « Ici, nous tra­ méen. Les deux bâtiments ont
sable à des bateaux nord­co­ aux aguets. Le Shenyang J­16 est Mais la mission va de nouveau activité suspecte même si, pré­ vaillons pour la stabilité régionale. été repérés en train de transférer
réens. Des pratiques fréquentes l’un des chasseurs les plus ré­ être perturbée par une autre cise le mécano du bord, « cela Les Français sont nos frères. Nous en toute illégalité du pétrole à
destinées à détourner les sanc­ cents de l’Armée populaire de li­ scène illustrant le climat qui peut être dû à une avarie ». avons rompu le pain ensemble, ex­ des navires­citernes de la Corée
tions de l’ONU contre Pyong­ bération chinoise. En juin, un règne dans la zone : non loin plique­t­il après le retour de l’ap­ du Nord. « Cheng Chiun Shipping
yang. Dans cette zone de toutes avion canadien engagé dans la d’un groupe de bateaux de pêche Sur une base américaine pareil français. Nos alliés japonais s’est servi d’une série de sociétés
les tensions, entre Japon, Chine même mission que le Falcon et de navires de transport, une Repérée par l’appareil français, décollent dans l’urgence plusieurs fictives pour faciliter les paie­
et Corée du Nord, ces patrouilles avait été harcelé par un appareil corvette chinoise, la Jiangdao une silhouette blanc et bleu se centaines de fois par an, principa­ ments liés aux transferts entre
n’ont rien d’une sinécure. chinois – au point de devoir inflé­ 615, « marque » le bâtiment de dessine soudain à l’horizon. Le lement à cause d’avions chinois. navires », précise le rapport.
Quasi quotidiennement, l’ap­ chir brusquement sa trajectoire soutien antiaérien japonais Falcon réduit son altitude et sa Leurs F­15 sont équipés de missiles Pyongyang aurait de son côté
pareil de la flottille 25 F de la pour « éviter une collision poten­ Tenryu. A peine quelques enca­ vitesse, passant à 400 km/h le qui sont armés. Ce n’est pas de acheté des bâtiments d’occasion,
marine française, normalement tielle avec l’avion intercepteur », blures séparent les deux navires, plus près possible du bateau sus­ l’entraînement. Nous sommes là autrefois sous pavillon togolais
basé à Papeete, vole au­dessus avait par la suite déploré l’état­ le chinois positionné dans le pecté. Sur la poupe, son identité pour du réel. » ou sierra­léonais, souvent dans
des flots sombres. L’observa­ major canadien. sillage du nippon. Le Falcon fait est clairement visible : c’est le Ta Cette fois, aucun transborde­ un état obligeant à limiter les
tion du respect des sanctions un passage bas pour pren­ Chin, navire battant pavillon de ment illicite n’a été relevé par les sorties par gros temps, pour
imposées à la Corée du Nord Ne pas provoquer dre quelques clichés, mais à dis­ Belize. Le bâtiment est à l’ancre, Français, mais l’ensemble des intensifier le trafic. « Les trans­
en 2017 par le Conseil de sécu­ Cette fois, le J­16 garde ses distan­ tance réglementaire. Il s’agit cales grandes ouvertes. Des pho­ observations réalisées vont ali­ ferts en haute mer rendent plus
rité, en réponse à ses tirs de mis­ ces. Il nargue le Falcon, passant de ne pas provoquer. tos sont prises. Le marin chargé difficile le suivi des importations
siles et à ses essais nucléaires, de droite à gauche, se dissimu­ En ces temps troublés, la ten­ de l’analyse des images fouille nord­coréennes. La récente aug­
est effectuée par neuf pays, dont lant derrière les nuages avant de sion ne retombe pas, alors que dans sa base de données. Le Ta mentation significative des livrai­
les Etats­Unis, le Japon ou en­ réapparaître. « Peut­être qu’il y en Pyongyang enchaîne les tirs Chin n’apparaît pas. Le comman­
« Nous travaillons sons de pétrole souligne la capa­
core la Corée du Sud et le Canada. a deux qui se relaient », avance un de missiles – les derniers datent dant cherche à entrer en com­ pour la stabilité cité actuelle de ce pays à contour­
La France, seule nation euro­ membre de l’équipage. Pendant du 3 novembre – et que l’armée munication. Pas de réponse. La ner les régimes de sanctions », ex­
péenne dotée d’une présence une heure – « un record » – la chinoise impose sa présence quête reprend. Deux autres
régionale. plique le rapport. Selon des
militaire constante dans l’Indo­ silhouette du chasseur plane au­ aux limites aériennes et mariti­ navires bord à bord intriguent Ce n’est pas de estimations onusiennes, les li­
Pacifique, participe par le dé­ dessus du Falcon. L’équipage mes parfois disputées avec le l’équipage. Fausse alerte : il s’agit vraisons de pétrole pourraient
ploiement annuel de frégates « immortalise » la présence de voisin japonais, lui­même de bateaux de pêche chinois.
l’entraînement » avoir dépassé dès 2020 les qua­
et d’avions venus de Polynésie l’appareil reconnaissable à son épaulé par le rival américain. Engagé dans la mission « Aeto » HENRY DOLBERRY tre millions de barils, bien au­
ou de Nouvelle­Calédonie. nez blanc et à sa dérive en biseau « Densité des bateaux de pêche (« aigle » en polynésien), le Fal­ commandant de la base delà de la limite fixée par l’ONU à
Lors de cette sortie réalisée fin en prenant une photo à des fins et de transport, imbrication con déployé pour trois semaines américaine de Futenma, 50 0000 barils par an. p
octobre, l’équipage français est de documentation. des espaces aériens : c’est une est hébergé sur la base améri­ à Okinawa philippe mesmer

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6 | international
Cincu, principale base
de l’armée française sur
le flanc est de l’Europe
Sébastien Lecornu, ministre de la défense, a
inauguré jeudi l’emprise située en Roumanie
cincu, bucarest ­ envoyée spéciale
C’
est peu de dire que le
confort est encore rudi­
mentaire, à Cincu, cette
petite base roumaine située au
milieu des pentes vallonnées des
Carpates, appelée à devenir la
principale emprise militaire fran­
çaise sur le flanc est de l’Europe.
Une partie des quelque 750 sol­
dats qui y sont désormais dé­
ployés aux côtés de 150 Belges et
Néerlandais en rotation sont en­
core logés sous tente. Le réseau
d’eau connaît un certain nombre
de défaillances, et il manque tou­
jours une véritable place d’armes.
Mais personne, parmi les
officiers accueillant le ministre
des armées, Sébastien Lecornu,
venu inaugurer les lieux, jeudi
3 novembre, ne cherche à cacher
le défi logistique que représente,
depuis le printemps, l’aména­
gement de ce vaste terrain argi­
leux. « Cela peut paraître para­
doxal, mais c’était presque plus
simple au Sahel », résume un
gradé. Sur les 485 bungalows ac­
tuels du camp, plus de 360 sont
d’ailleurs directement venus du
Niger où la France a achevé, en
août, son retrait du Mali.
Dans une Roumanie certes très
demandeuse de renforts militai­
res, mais très sourcilleuse sur sa
souveraineté, les Français ont été
contraints de soigner les entrepri­
ses locales dans leurs appels
d’offres pour leurs travaux. Si
Cincu a les vertus de la rusticité
pour l’entraînement à la guerre
de « haute intensité », son isole­
ment et le mauvais état des deux
ponts à traverser pour y parvenir
ont compliqué l’acheminement
d’équipements lourds.
« Signal stratégique »
Autre problème redécouvert par
les armées à l’occasion de l’amé­
nagement de cette nouvelle base :
l’absence d’homogénéité dans les
règles de franchissement des
frontières européennes pour les
équipements militaires. Un pro­
blème ancien dont les chars Le­
clerc, promis par le chef de l’Etat le
13 octobre, sont les premiers à
avoir fait les frais. Alors que Paris
voulait, au détour de cette an­
nonce, démontrer sa rapidité de
déploiement, elle n’a pu, à ce jour,
envoyer, par la route, que ses véhi­
cules blindés de combat et d’in­
fanterie – autour d’une dizaine.
Les chars Leclerc, eux, égale­
ment autour d’une dizaine, se
sont vu, selon nos informations,
opposer un refus catégorique de
transit par voie routière de la part
de l’Allemagne. Et ce, au titre de li­
mitations de tonnages s’appli­
quant même à la Bundeswehr.
C’est donc par le train que les
Leclerc devraient bientôt quitter
la France, autour du 10 novembre.
Un trajet plus long que par la
route, et qui devrait prendre, là
encore, plusieurs jours – environ
une semaine – faute de facilités de
transit. Soit un mois après l’an­
nonce présidentielle.
Alors que la voie aérienne ou
maritime était jusqu’ici le princi­
pal moyen de déploiement logis­
tique de la France en opération
extérieure, l’opération « Aigle » en
Roumanie et la guerre en Ukraine
poussent les armées à redécou­
vrir le transport terrestre, en
particulier ferroviaire, comme
peuvent le faire les Russes pour
leurs bascules d’effort. La direc­
tion générale de l’armement a
d’ailleurs effectué une nouvelle
demande d’information sur ce
sujet, mi­octobre. Elle estime que
les armées auraient besoin d’ici à
2029 de 250 wagons spécialisés
supplémentaires – sur un parc
d’actuellement 500.
Les chars Leclerc
devraient bientôt
quitter la France
par le train,
en raison du
refus allemand
de transit par
voie routière
L’investissement de la France en
Roumanie « est un signal stratégi­
que » à destination de l’OTAN et de
la Russie, a confié au Monde
M. Lecornu, jeudi. Mais c’est aussi
« un bon cadrage pour la future loi
de programmation militaire », a­
t­il ajouté. Alors que ce texte
pourrait être présenté en 2023, le
fait que le nombre de soldats fran­
çais en Roumanie, notamment
sur la base de Cincu, puisse attein­
dre de façon durable les
1 000 hommes d’ici quelques
mois, est un effort qui bouscule
les schémas budgétaires, logisti­
ques et organisationnels sur les­
quels fonctionnaient les armées
lorsqu’elles n’avaient que l’opéra­
tion « Barkhane » au Sahel.
Réinvestir l’OTAN
Au­delà du coût – le milliard
d’euros pourrait être atteint pour
la seule opération « Aigle » d’ici à
la fin de l’année, dont 15 millions
pour le chantier de Cincu –, la
multiplication des déploiements
français sur le flanc est de l’Eu­
rope, qu’ils soient terrestres ou
aériens (en Estonie, dans les Balk­
ans, ou encore dans le ciel polo­
nais), a poussé à la création, mi­
avril, d’un poste de commande­
ment commun pour l’armée de
terre, à Lille, d’une cinquantaine
de personnes. Elle s’accompagne,
par ailleurs, d’un vrai souci de
réinvestir l’OTAN, avec l’enjeu de
mieux maîtriser ses arcanes et ses
procédures longtemps dénigrés.
Après sa visite du camp de
Cincu, M. Lecornu a clôturé son
déplacement à Bucarest par plu­
sieurs entretiens bilatéraux. No­
tamment avec le président rou­
main, Klaus Iohannis, son pre­
mier ministre, Nicolae Ciuca, et le
tout nouveau ministre de la dé­
fense, désigné le 31 octobre, Angel
Tilvar. C’était l’autre enjeu de ce
voyage : pousser le réinvestisse­
ment tous azimuts de la France en
Roumanie, à travers la vente de
canons Caesar, mais aussi de
deux sous­marins Scorpène et de
deux hélicoptères H25M fabri­
qués par Airbus Helicopters, le
tout adossé à de la formation.
Une lettre d’intention concer­
nant les sous­marins et les héli­
coptères a été signée par Bucarest
en juillet et des discussions ont
débuté ces derniers jours au Par­
lement pour l’ouverture d’une li­
gne budgétaire. La vente de qua­
tre corvettes et la rénovation de
deux frégates, dont l’appel d’of­
fres a été remporté par Naval
Group en 2019 pour un montant
de 1,2 milliard d’euros, apparais­
sent par contre toujours enlisées
pour des raisons juridiques.
Au grand dam de Paris, la Rou­
manie a aussi rejoint, le 13 octo­
bre, le projet allemand de bouclier
antimissile, alors que l’armée de
l’air française déploie, depuis mai,
un système de défense sol­air de
type Mamba sur les rives de la
mer Noire. Avec 2 600 hommes
rien que sur la base de Constanta,
les Etats­Unis demeurent le parte­
naire numéro un de la Roumanie
devant Paris. Mais « la France est
là, et nous allons continuer d’être
là », a assuré M. Lecornu lors d’un
discours à Cincu. p
élise vincent
Pakistan : la tentative d’assassinat
d’Imran Khan accroît l’instabilité
L’ancien premier ministre a été visé alors qu’il sillonne le pays pour
demander la tenue d’élections anticipées après son éviction en avril
new delhi ­ correspondante
L
a marche antigouverne­
mentale d’Imran Khan
vers Islamabad a pris un
tour tragique jeudi 3 no­
vembre. L’ancien premier minis­
tre pakistanais, 70 ans, a été la cible
de tirs, dans la ville de Wazirabad,
au Pendjab. Il était perché sur un
conteneur pour haranguer la foule
quand il a reçu une balle dans le ti­
bia. Il est hors de danger, mais
cette attaque risque d’aggraver un
peu plus la crise politique et l’ins­
tabilité que traverse le Pakistan de­
puis six mois. Dans la journée, des
heurts ont été signalés dans le
pays, des manifestants s’en sont
pris à des symboles de l’armée.
Imran Khan a été immédiate­
ment emmené à l’hôpital dans
une voiture sur lequel était mon­
tée une dizaine de personnes de
sa garde rapprochée. Son disposi­
tif de sécurité était assez léger. Il
ne portait pas de gilet pare­balles.
Un de ses partisans a été tué et
sept autres personnes blessées,
dont un sénateur, Faisal Javed, des
dirigeants et un député de son
parti, le Pakistan Tehrik­e­Insaf
(PTI, Mouvement du Pakistan
pour la justice).
Le déroulé de l’attaque et le
nombre d’assaillants impliqués
sont encore flous. Un homme a
été arrêté par la police et a affirmé
qu’il a agi seul. « Imran Khan
trompait les gens et je ne pouvais
pas le tolérer, alors j’ai essayé de le
tuer », a­t­il expliqué dans une vi­
déo diffusée par la police. Le chef
de gouvernement du Pendjab,
Pervez Elahi, a, de son côté, af­
firmé qu’il y avait deux tireurs.
L’ancien champion de cricket
avait pris la tête, le 28 octobre, à
Lahore d’une opération appelée
« Longue marche » qui est en fait
Israël : le décompte final des voix confirme le
retour au pouvoir de Benyamin Nétanyahou
Avec ses alliés d’extrême droite, le chef du Likoud a remporté 64 des 120 sièges de la Knesset
jérusalem ­ correspondant
B enyamin Nétanyahou
peut désormais préparer
un gouvernement de
droite solide, fort d’une majorité
de 64 sièges sur 120. Jeudi 3 no­
vembre au soir, deux jours après
les législatives israéliennes, le
premier ministre, Yaïr Lapid, a
mis un terme à un suspense
éventé, en félicitant leur vain­
queur. Il achève le mandat le plus
court de l’histoire du pays, en pro­
mettant une transition efficace.
En juin 2021, M. Nétanyahou
avait déserté, sans consentir à
une cérémonie de passation des
pouvoirs, ce bureau de Jérusalem
qu’il avait occupé quinze années,
plus que tout autre. Jeudi, il n’a
pas même commenté leur con­
versation téléphonique.
Le décompte définitif des voix
souligne les divisions in fine irré­
conciliables de la « coalition du
changement » de M. Lapid. Parmi
ces sept partis, deux échouent à
entrer à la Knesset, demeurant
sous le seuil des 3,25 % des suffra­
ges, à quelques milliers de voix
près. Le spécialiste des sondages
Kamil Fuchs y voit « toute l’idio­
tie » de ce bloc. En s’associant
dans des listes communes,
comme l’ont fait M. Nétanyahou
et les siens, ils auraient pu obte­
nir 60 sièges sur 120. De nouvel­
un convoi de camions et de voitu­
res devant le mener, le 4 novem­
bre, dans la capitale pakistanaise,
pour exiger des élections généra­
les anticipées, prévues en octo­
bre 2023. Chaque soir, il s’arrête
dans une ville et s’adresse à des
milliers de partisans du haut d’un
conteneur placé sur un camion.
Chassé du pouvoir en avril, à la
suite d’une motion de défiance
des députés, Imran Khan sou­
tient qu’il a été victime d’un com­
plot ourdi par son successeur
Shehbaz Sharif et les Etats­Unis,
ainsi que l’armée. Son éviction a
paradoxalement gonflé sa popu­
larité, bien entamée, lorsqu’il di­
rigeait le pays, par la crise écono­
mique. Le président du PTI mobi­
lise depuis six mois la rue pour
tenter de revenir au pouvoir avec
le soutien populaire. Sa base,
constituée d’urbains de la classe
moyenne, lassés par les dynasties
Bhutto et Sharif qui se sont suc­
cédé au pouvoir, sensibles à sa
rhétorique populiste et à son cha­
risme, s’est élargie aux non ur­
bains et aux femmes. Pour le neu­
traliser, le gouvernement a lancé
de multiples procédures judiciai­
res contre lui.
Un pays miné par l’inflation
Sa tentative d’assassinat pourrait
contribuer à déstabiliser un peu
plus le pays. De l’hôpital, Imran
Khan a désigné, selon son entou­
rage, trois suspects derrière la
tentative d’attentat : le premier
ministre Shehbaz Sharif, le minis­
tre de l’intérieur Rana Sanaullah
et le chef des services secrets, l’In­
ter­Services Intelligence (ISI), Fai­
sal Naseer. Imran Khan vise direc­
tement l’armée, qui l’avait sou­
tenu dans sa conquête du pouvoir
en 2018, avant de le lâcher, il y a
quelques mois. Pour Michael Ku­
les élections étaient alors pres­
que certaines.
Elégie sans fin de la gauche is­
raélienne : les nationalistes ara­
bes de Balad et la gauche sioniste
de Meretz sont donc effacés.
Meretz peut en mourir. Crée
en 1992, ce parti avait fait souffler
un vent nouveau dans l’élection
remportée par Yitzhak Rabin, qui
signerait bientôt le premier ac­
cord de paix d’Oslo.
Négociations difficiles
Au fil de cinq scrutins depuis
2019, Meretz, vestige du « camp
de la paix », en était réduit à solli­
citer la pitié des électeurs, les im­
plorant de ne pas le laisser dispa­
raître. Jeudi, sa cheffe, Zehava Ga­
lon, a regretté que le parti tra­
vailliste ait refusé dès septembre
de fusionner avec eux. Héritiers
des fondateurs de l’Etat, dernier
parti de gauche d’Israël, les tra­
vaillistes demeurent juste au­des­
sus du seuil (quatre sièges, le mi­
nimum).
Jeudi soir, leur présidente, Me­
rav Michaeli, a accusé M. Lapid
d’avoir « voulu effacer » son parti.
Avec 24 sièges pour sa formation
centriste, Yesh Atid, il s’impose
dans la durée comme la princi­
pale force d’opposition, actant un
nouveau déplacement des équili­
bres politiques israéliens, tou­
jours plus à droite.
Imran Khan se dit
victime d’un
complot ourdi par
Shehbaz Sharif,
son successeur,
les Etats-Unis
ainsi que l’armée
gelman, le directeur de l’Institut
d’Asie du Sud au Wilson Center, à
Washington, « l’armée est sur la
sellette ». « Elle a perdu en popula­
rité et son leadership actuel est ins­
table alors qu’elle se prépare à ac­
cueillir un nouveau chef des ar­
mées dans les semaines à venir »,
estime­t­il. Le remplacement du
général Qamar Javed Bajwa doit
intervenir le 20 novembre.
Un autre drame avait galvanisé
la marche vers Islamabad : l’assas­
sinat, le 24 octobre, d’Arshad Sha­
rif, un des journalistes les plus en
vue du Pakistan. Ce proche de
l’ancien premier ministre a été
tué à Nairobi, au Kenya, dans des
circonstances troubles, et les
soupçons du camp d’Imran Khan
se sont immédiatement portés
sur l’armée pakistanaise. Ce
meurtre a bouleversé le pays. Des
dizaines de milliers de personnes
ont assisté à ses funérailles le
27 octobre, à Islamabad. En août,
le présentateur vedette de Ary
News avait été évincé de la chaîne
après avoir critiqué l’armée. Il
était sous le coup d’un mandat
d’arrêt pour sédition et s’était ré­
fugié à l’étranger.
Le jour des obsèques, le porte­pa­
role de l’armée et le chef des servi­
ces d’espionnage, représentant les
deux institutions les plus puissan­
tes du Pakistan, avaient tenu une
Selon son entourage, M. Néta­
nyahou entend former un gou­
vernement au pas de charge, dès
le 15 novembre, après la presta­
tion de serment des parlementai­
res. Il n’a pas attendu pour lancer
ces négociations que le président,
Isaac Herzog, lui en donne for­
mellement mission, dans les
deux semaines à venir. Elles s’an­
noncent difficiles. Son parti, le
Likoud (32 sièges), n’a pas de ma­
jorité au sein de son bloc d’alliés.
Les suprémacistes juifs de la
liste Sionisme religieux (14 siè­
ges) exigent les ministères de la
défense et de la sécurité publi­
que. Racistes, violents, certains
de ces futurs ministres sont bien
connus du département qui
traite du terrorisme juif au ren­
seignement intérieur. Il est dou­
teux qu’ils obtiennent de telles
responsabilités. Ainsi entouré,
M. Nétanyahou paraît destiné à
concentrer en ses mains, et en
celles de quelques hauts fonc­
tionnaires, l’essentiel des déci­
sions stratégiques et militaires
– une tendance qui n’a déjà cessé
de s’aggraver au fil de ses précé­
dents mandats.
Les ministères­clés de la vie pu­
blique (éducation, intérieur) sont
en balance. « La majorité juive,
nettement à droite, veut un Etat
plus juif et plus conservateur. [Les
alliés extrémistes de M. Nétanya­
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022
conférence de presse, une opéra­
tion tout à fait inédite, pour dé­
mentir les allégations de M. Khan,
l’avertir qu’il avait le droit démo­
cratique d’organiser un rassem­
blement à Islamabad, mais pas ce­
lui de déstabiliser le pays, l’accu­
sant par « sa gouvernance errati­
que » d’avoir « conduit le Pakistan
dans un trou noir économique ».
La crise politique s’intensifie
alors que le pays n’est pas remis
des inondations historiques qui
l’ont ravagé et fait 1 735 morts et
33 millions de déplacés en septem­
bre. Sur le plan économique, le Pa­
kistan est miné par l’inflation, le
poids de la dette et la crise énergé­
tique. Mercredi 2 novembre, le
premier ministre était à Pékin
pour tenter d’obtenir une restruc­
turation de la dette. Sans succès.
Les Etats­Unis, par la voix du se­
crétaire d’Etat, Antony Blinken,
ont fait part de leurs préoccupa­
tions. « La violence n’a pas sa place
en politique. Les Etats­Unis sont
profondément attachés à un Pa­
kistan démocratique et pacifi­
que. » Le 13 octobre, le président
américain, Joe Biden, avait décrit
cette puissance nucléaire comme
« l’une des nations les plus dange­
reuses au monde ».
L’histoire de cette république is­
lamique, née de la partition des
Indes en 1947, est ponctuée d’as­
sassinats politiques, dont celui
en 2007 de Benazir Bhutto, l’an­
cienne première ministre. « Il est
temps que tous les partis parvien­
nent à un consensus sur le fait que
la tragédie de l’assassinat de Bena­
zir Bhutto, ainsi que le chaos et la
destruction qui ont suivi, ne peu­
vent plus jamais être infligés à ce
pays », demande dans son édito­
rial du 4 novembre le quotidien
de référence Down. p
sophie landrin
hou] ne veulent pas que les LGBT
montrent leur mode de vie, ils
n’aiment pas voir des femmes dans
la sphère publique. Ils ne vont pas
en faire une loi, mais l’atmosphère
va changer », estime Tamar Her­
mann, analyste à l’Institut d’Israël
pour la démocratie. La majorité
de M. Nétanyahou ne compte que
9 députées, contre 30 pour la pré­
cédente coalition.
M. Nétanyahou n’a jamais gou­
verné sans s’allier à un parti à sa
gauche – sa manière de tenir à dis­
tance ses alliés « naturels ». Il sera
tenté de séduire ses anciens op­
posants. Mais, dans un premier
temps, son bloc peut lui suffire
pour réformer la justice et pour li­
miter les pouvoirs de la Cour su­
prême au profit du Parlement. La
poursuite de son procès pour cor­
ruption, en cours depuis 2020,
n’est pas assurée.
Jeudi, le président hongrois,
Viktor Orban, leader européen de
ces démocraties illibérales dont
Benyamin Nétanyahou a fixé
avant tout autre le mode d’em­
ploi, a été parmi les premiers à
le féliciter. Le président améri­
cain, Joe Biden, attendra quelques
jours. Washington a déjà signalé
qu’il n’entendait pas avoir à
traiter avec les extrémistes qui
ont porté M. Nétanyahou au
pouvoir. p
louis imbert
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022 international | 7

Entre l’Ethiopie et le Tigré, une paix fragile

CORÉE DU S U D
Séoul déploie
des avions furtifs
L’armée sud­coréenne a an­
noncé avoir déployé, ven­
Les deux belligérants ont signé un cessez­le­feu après deux ans de guerre civile dredi 4 novembre, des avions
furtifs, après avoir détecté
180 avions de combat nord­
coréens, nouvel épisode de la
nairobi ­ correspondance te­parole du FPLT, Getachew la région, ainsi qu’un accès libre ils vraiment subi une déroute sur montée des tensions ces der­
Reda. Le parti tigréen a notam­ pour les agences humanitaires, la
D’après Amnesty le champ de bataille ? niers jours dans la péninsule

L’
Ethiopie n’est officiel­ ment accepté « un programme lutte contre les discours de haine International, « Au moment où nous parlons, coréenne, où Séoul et
lement plus en guerre détaillé de désarmement, de dé­ et la mise en place d’un méca­ des milliers de combattants et de Washington conduisent des
contre elle­même. mobilisation et de réintégration » nisme de justice transitionnelle.
de nombreux civils perdent la vie. Il est donc im­ exercices militaires conjoints.
Après dix jours de né­ de ses combattants dans les « Les yeux du monde entier sont « crimes de portant non seulement de signer Ces derniers ont été prolon­
gociations en Afrique du Sud, les trente jours, dans ce qui s’appa­ tournés vers le respect de cet ac­ cet accord, mais aussi qu’il soit im­ gés jusqu’à samedi après le tir
insurgés tigréens du Front popu­ rente à une reddition. Son bras cord », a insisté Olusegun Oba­
guerre » et médiatement mis en œuvre », a d’un missile balistique inter­
laire de libération du Tigré (FPLT) armé, les Forces de défense ti­ sanjo. Un panel de dix experts de « crimes contre déclaré Getachew Reda. « Le dia­ continental par la Corée du
et le gouvernement éthiopien se gréennes (TDF), compterait plus l’Union africaine aura pour mis­ ble se nichera dans les détails », a Nord jeudi matin. Pyongyang
sont engagés, sur le papier, à ces­ de cent mille soldats, selon plu­ sion de vérifier le respect du ces­
l’humanité » ont mis en garde l’ancien président a jugé que leur prolongation
ser immédiatement les hostili­ sieurs observateurs. sez­le­feu au Tigré pendant une été commis dans kényan Uhuru Kenyatta, membre était « un choix très dange­
tés. Un accord conclu presque période de six mois. de la troïka qui a chapeauté les reux » et a de nouveau tiré
deux ans jour pour jour après le Croisade contre les « saboteurs » Le médiateur en chef n’a pas
la province négociations. trois missiles balistiques à
début du conflit, le 4 novem­ Symbole d’une défaite aussi mili­ mentionné l’Erythrée dans son A l’heure actuelle, le FPLT est courte portée jeudi en fin de
bre 2020, mais qui « ne marque taire que politique, le FPLT a dû intervention. Et pour cause : As­ toujours officiellement considéré journée. L’armée sud­
pas la fin du processus de paix, également se résoudre à gouver­ mara était la grande absente des gouvernement fédéral trois jours comme une organisation terro­ coréenne a annoncé qu’elle
plutôt son commencement », a ner le Tigré de concert avec les pourparlers de Pretoria. « C’est le plus tôt sur Twitter, reconnaît que riste par le Parlement éthiopien. procéderait la semaine pro­
souligné Olusegun Obasanjo, autorités fédérales, qui assure­ problème central qu’ils [l’UA] con­ la paix « sera accueillie avec soula­ « Il y aura d’autres rounds de négo­ chaine à son exercice annuel
l’envoyé spécial pour la Corne de ront une présence à Makalé, la ca­ tinuent d’ignorer », déplore un di­ gement » dans un Tigré ravagé par ciations dans un avenir proche, où « Taegeuk » destiné à « amé­
l’Afrique et médiateur en chef de pitale provinciale, à partir de la se­ plomate européen dans la Corne deux ans de guerre. Il a cependant l’on se concentrera sur les ques­ liorer la performance en
l’Union africaine (UA). maine prochaine. Outre l’arrêt de l’Afrique, alors que des soldats promis de partir en croisade con­ tions politiques et l’avenir du FPLT temps de guerre ». – (AFP.)
Au mois de mars, les deux immédiat des hostilités, l’accord et des réservistes venus d’Asmara tre les « saboteurs ». Une formule en tant que parti », confie un di­
camps avaient déjà convenu de paix prévoit la restauration des se battent aux côtés des troupes qui vise clairement le voisin plomate européen qui suit le GAZA
d’une « trêve humanitaire » aux services de base – électricité, télé­ éthiopiennes au Tigré. Force d’oc­ érythréen. « Seule notre détermi­ processus. Frappes israéliennes sur
contours flous. Mal encadrée, cel­ communications, banque – dans cupation pendant plusieurs mois, nation collective peut les empê­ La paix signée, les corridors hu­ l’enclave palestinienne
le­ci avait volé en éclats le 24 août, les troupes érythréennes se sont cher de détruire la paix », a affirmé manitaires vers le Tigré devraient L’aviation israélienne a an­
et les combats avaient repris au rendues coupables de graves le porte­parole du FPLT. rouvrir rapidement. Asphyxiée noncé avoir mené, vendredi
Tigré avec une rare intensité. Pen­ Mer exactions dans la région. par le blocus, la province compte 4 novembre, des frappes aé­
SOUDAN Rouge
dant plus d’une semaine, fin oc­ Exécutions, viols, pillages, net­ Corridors humanitaires 5,2 millions de personnes en be­ riennes contre des « sites mili­
tobre, alors que les deux déléga­ ÉRYTHRÉE toyage ethnique… D’après un Le négociateur tigréen et son ho­ soin d’aide humanitaire, 90 % de taires » dans la bande de Gaza
tions discutaient à Pretoria, l’ar­ TIGRÉ rapport d’Amnesty International mologue envoyé par Addis­ sa population. Le Conseil des après des tirs de roquette
mée fédérale éthiopienne a con­ YÉMEN paru le 6 avril, de nombreux « cri­ Abeba, Redwan Hussein, ont en­ droits de l’homme de l’ONU a, le depuis cette enclave palesti­
quis plusieurs villes stratégiques mes de guerre » et « crimes contre tériné l’accord en échangeant une 28 octobre, « dressé un tableau nienne, sous blocus israélien
Makalé DJIBOUTI
du Tigré, à grand renfort d’artille­ l’humanité » ont été commis par poignée de main glaciale. Malgré très sombre » de la situation du Ti­ depuis 2007, vers Israël, jeudi
rie et de frappes aériennes. Un SOMALIE les belligérants au Tigré. « La ces­ la promesse de « revitaliser les re­ gré, quasiment coupé du monde, soir. Ces tirs intervenaient
avantage sur le champ de bataille Addis-Abeba sation des hostilités doit absolu­ lations » et de « laisser le passé der­ évoquant « l’obstruction à l’accès à après la confirmation de
qui a permis au gouvernement ment rimer avec justice transi­ rière [eux] », les belligérants res­ la nourriture, aux médicaments, et l’élection de Benyamin Néta­
de négocier en position de force ÉTHIOPIE tionnelle, sinon la paix ne sera pas tent méfiants. Et plusieurs ques­ à des services de base ». p nyahou à l’issue des législati­
en Afrique du Sud. durable », met en garde Fisseha tions restent en suspens : en posi­ noé hochet­bodin ves israéliennes de mardi,
« Nous avons fait d’énormes con­ Tekle, chercheur d’Amnesty In­ tion de faiblesse, le Front et à la suite d’un raid israélien
cessions pour permettre de cons­ ternational sur l’Ethiopie. populaire de libération du Tigré a­ à Jénine, bastion des factions
truire la confiance », a souligné, Getachew Reda, qui qualifiait de t­il été contraint de signer ? Les in­ palestiniennes en Cisjorda­
mercredi, depuis Pretoria, le por­
KENYA 400 km
« génocidaires » les intentions du surgés, à court de munitions, ont­ Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus nieoccupée. – (AFP.)

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8 | international
L’école, terrain de lutte de la droite américaine
Dans le Kentucky comme ailleurs aux Etats­Unis, les questions scolaires et identitaires sont un enjeu électoral
REPORTAGE
lexington (kentucky) ­
envoyé spécial
L
a reconnaissance, puis
l’outrage. Au printemps,
Willie Carver a vécu ces
émotions en un temps
record. Elu enseignant de l’année
dans le Kentucky parmi 42 000 de
ses pairs, cet homme ouvert et gé­
néreux a eu le privilège d’être
convié à la Maison Blanche, puis
de témoigner devant le Congrès.
Il y a parlé de son expérience pro­
fessionnelle, de son identité gay,
de la nécessité de protéger les élè­
ves et les professeurs LGBTQ+. Il a
abordé la « tempête » qui menace
d’emporter l’école publique : sa
politisation. Un phénomène exa­
cerbé à l’approche des élections
de mi­mandat, le 8 novembre.
L’école où travaille Willie Car­
ver, à Mount Sterling, petite ville
située à environ 60 kilomètres de
Lexington, pouvait être fière de
son représentant. Pourtant, elle
n’a même pas mentionné ces
honneurs dans ses communica­
tions. Au contraire, à son retour
de Washington, l’instituteur a été
victime d’une campagne de diffa­
mation. « Une femme, probable­
ment mandatée par une église
évangélique, s’est rendue devant le
conseil d’école pour dénoncer le
club de discussion LGBTQ que
j’avais lancé. Elle a dit qu’on vou­
lait endoctriner les enfants, les in­
tégrer dans une secte sexuelle. Elle
m’a dépeint comme un obsédé. »
Au cœur de l’Amérique rurale et
conservatrice, ce genre de ragot
est dévastateur. Willie Carver a
installé des caméras de sur­
veillance autour de sa maison, par
précaution. La direction de l’école,
elle, n’a pas bronché. « Je n’ai
jamais eu l’impression qu’il était
menacé, explique Rocky Franz,
proviseur jusqu’à cet été. Willie
était un prof fantastique, né pour
ça. Et un proviseur est toujours en
discussion avec des parents qui se
plaignent. » Embarrassé, il n’a pas
voulu évoquer les accusations
portées contre Willie Carver.
Effort concerté et systématique
Fin juin, après dix­sept ans passés
dans une salle de classe, l’ensei­
gnant d’anglais et de français a dé­
missionné, trop las. « J’ai choisi ma
santé mentale. » Il travaille
dorénavant à l’université du Ken­
tucky, où il aide les étudiants à
s’orienter dans leur parcours, mais
il est resté l’incarnation d’une
cause. Chaque semaine, il reçoit
des messages d’anciens collègues
ou d’élèves harcelés, pensant à fu­
guer, ne sachant à qui se confier.
Willie Carver a grandi à la dure,
parfois sans eau courante ni élec­
tricité à la maison, entouré de la
bienveillance de ses enseignants.
Son père, vétéran du Vietnam, fut
mineur puis chauffeur routier,
marié de nombreuses fois. Lors­
que, à l’âge de 19 ans, Willie lui a
annoncé son homosexualité, il
s’est fait du souci. « Tu devras
toujours être la personne la plus
courageuse dans la pièce. » Willie
DIMANCHE 6 NOVEMBRE
12H-13H
Marc Fesneau,
Ministre de l’Agriculture
et de la Souveraineté alimentaire
Rachelle Ketron défend les droits des LGBTQ+ dans les écoles publiques. Ici à Owenton ,dans le comté d’Owen, le 13 octobre.
A droite, une aire de jeux, à Monticello, dans le Kentucky. STACY KRANITZ POUR « LE MONDE »
Carver est devenu enseignant
en 2007, une consécration sociale
dans sa famille pléthorique. Au dé­
but, il a caché son homosexualité.
« Vous serez crucifié », l’avait averti
la directrice. Deux ans plus tard, il
se mariait avec Joshua et déména­
geait dans le Vermont. Puis il déci­
dait de rentrer chez lui, comme un
acte militant. Ses lunettes aux
montures arc­en­ciel lui tiennent
lieu d’étendard. « L’Amérique est
devenue très binaire. Le problème
n’est pas qu’on se voie tous comme
des victimes, mais comme des
menaces les uns pour les autres.
Des principes autrefois en partage
sont devenus contestés. Le mot
égalité, par exemple, est mainte­
nant associé à la défense des Noirs,
des latinos et des LGBT. »
La question scolaire est l’une des
thématiques­clés du mouvement
MAGA (Make America Great
Again, slogan de Donald Trump).
Dans la politique tribale améri­
caine, l’éducation concentre les
fantasmes et suscite des croisades.
L’autonomie laissée aux établisse­
« Le problème
n’est pas qu’on se
voie tous comme
des victimes,
mais comme des
menaces les uns
pour les autres »
WILLIE CARVER
enseignant
ments entraîne une démultiplica­
tion des fronts locaux. Dans le
Kentucky, il existe une diversité
politique entre les grandes villes
et les campagnes, où se concentre
une offensive réactionnaire puis­
sante, conduite par une minorité
religieuse. Dorénavant, par en­
droits, des livres sont bannis, les
enseignements scrutés à la loupe,
les enseignants soumis au soup­
çon dès qu’ils évoquent l’escla­
vage, l’égalité raciale ou la tolé­
rance. « Tout est parti en vrille après
l’élection de Trump, assure Cour­
tney Blocker, 35 ans, qui a démis­
sionné de son poste d’enseignante
au début de l’été. De plus en plus de
gens sont devenus véhéments dans
leur rejet de ceux qui ne sont pas
blancs, chrétiens et hétéros. »
Un homme a montré la voie, et
inspire les républicains. En no­
vembre 2021, en Virginie, la vic­
toire de Glenn Youngkin au poste
de gouverneur a été facilitée par
une focalisation habile, au nom
du bon sens, sur les droits paren­
taux. Le candidat, issu du milieu
de la finance, a prétendu qu’il fal­
lait rétablir un contrôle sur les
enseignements. M. Youngkin a
imposé un épouvantail dans le
débat, qui pourtant n’existe pas
dans les programmes : la théorie
critique de la race (CRT), qui aurait
pour but de culpabiliser les en­
fants blancs et de propager l’idée
d’un racisme systémique aux
Etats­Unis, hérité de l’esclavage.
« Quand la CRT est apparue dans
les médias, on a dû se jeter sur notre
clavier pour comprendre ce que
c’était », sourit tristement Laura
OUESTIONS
POLITIOUES.
Hartke, 53 ans, dont dix­sept dans
l’enseignement public dans le
Kentucky. Cette institutrice est à
l’origine du lancement d’un nou­
veau syndicat, en 2018, le KY120
United. Selon la syndicaliste, la
guerre scolaire serait d’abord « une
affaire d’argent. Ils sous­financent
l’école publique depuis des années
pour la casser et pouvoir ensuite la
privatiser. Pour ça, ils montent
l’opinion publique contre nous ».
Laura Hartke voit se développer
cet affrontement épisode par épi­
sode, dans les comtés de l’Etat. Ici,
une enseignante a évoqué Tho­
mas Jefferson, auteur de la déclara­
tion d’indépendance, « génie poli­
tique d’un côté, violeur d’esclaves
de l’autre ». « Elle a été convoquée,
on lui a dit que c’était son opinion
biaisée. » Là, un prof de musique a
démissionné, sous la pression de
familles locales, après avoir reçu
des menaces de mort. Il avait écrit
au tableau : « Vous êtes libres d’être
vous­mêmes avec moi, vous comp­
tez. » Les lettres de « vous­mêmes »
avaient les couleurs de l’arc­en­
ciel, soit une incitation claire à la
déviance, selon les parents.
Dans le Kentucky comme
ailleurs, la composition des con­
seils d’école est devenue un enjeu
politique. Les groupes conserva­
teurs ont organisé des stratégies
de conquête, puis de pression sur
les proviseurs, les superinten­
dants qui dirigent chaque comté,
et bien entendu sur les élus au
sein du parlement local. Certes, la
bataille scolaire n’est guère un
thème nouveau. A l’époque des
débats sur les droits civiques il y a
un demi­siècle, elle faisait rage au
sujet du sort des élèves noirs. Ce
qui est inédit, c’est l’effort con­
certé, systématique, bien financé.
L’offensive puritaine se prétend
une réponse à la volonté, dans
une grande partie du corps ensei­
gnant situé à gauche, de refuser
une vision idéalisée de l’histoire
américaine, d’insister davantage
sur les discriminations et les pa­
ges sombres. Un effort louable,
mais qui déborde parfois de son
lit, faute de cohérence nationale.
Des élèves renvoyés dos à dos
« J’observe une déconnexion entre
les priorités des élites politiques
conservatrices, qui parlent des élè­
ves transgenres, de livres à inter­
dire, de récits historiques à éviter,
et les préoccupations de la popula­
tion, souligne Jason Glass, res­
ponsable du département de
l’éducation du Kentucky. Quand
je parle aux parents d’élèves et aux
enseignants, leur priorité est de se
remettre de la pandémie, de sur­
monter les dégâts causés récem­
ment par les inondations dans
notre Etat. » L’une de ses inquiétu­
des concerne un texte de loi en
discussion dans l’Etat qui oblige­
rait le personnel scolaire à préve­
nir les parents si un élève voulait
changer son identification de
genre, à l’école. De plus en plus de
jeunes cherchent à se définir
ouvertement ou à affirmer leur
fluidité identitaire.
Meryl Ketron, 15 ans, s’est pen­
due, le 19 avril 2020, dans la mai­
son familiale, située sur les colli­
nes d’Owenton, dans le comté
THOMAS
SNEGAROFF avec Carine Bécard,
Nathalie Saint-Cricq
et Claire Gatinois
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022
Dorénavant,
par endroits,
des livres sont
bannis, les
enseignements
scrutés à la loupe
d’Owen. Autrefois, il y avait ici de
nombreuses fermes à tabac.
Aujourd’hui, le paysage ressemble
à un tableau d’automne parfait,
rougeoyant et orangé. Rachelle
Ketron, la mère de Meryl, travaille
dans le secteur de la santé men­
tale. Elle raconte avec pudeur le
parcours de sa fille, séparée de ses
amis pendant l’épidémie due au
Covid­19. Son suicide l’a fait culpa­
biliser, puis l’a poussée à s’investir
pour les autres. Rachelle a été
mariée pendant vingt­trois ans à
un homme. Ils ont élevé quatre
enfants ensemble, puis se sont sé­
parés en 2017. Elle a rencontré alors
en ligne son épouse actuelle. Leur
maison est devenue un lieu animé
accueillant leurs enfants respec­
tifs, et d’autres, en détresse, abrités
un temps.
Lorsque, à 10 ans, lors d’un dî­
ner, sa fille Meryl avait annoncé
brusquement qu’elle était homo­
sexuelle, sa mère n’avait pas bron­
ché. « Si on fait son coming out
trop tôt, on n’a pas les outils et la
résilience pour assumer seul, dit­
elle. Mais Meryl, dès 6 ans, s’était
assise à la table des garçons à la
cantine, à leur stupéfaction. »
Grandir, c’est s’exposer aux sar­
casmes, aux préjugés. La direction
de l’école n’a pas protégé Meryl.
« Elle refusait les classements par
catégorie et a décidé de défendre
les autres élèves, qui s’identifiaient
pareillement. Elle savait que cer­
tains se livraient à de l’automuti­
lation. Je n’ai réalisé qu’après son
suicide le niveau de haine à son
égard sur les réseaux sociaux. »
Au lycée de Meryl, des élèves
sont arrivés un jour en arborant
des drapeaux confédérés, sym­
bole du suprémacisme blanc. En
réponse, les jeunes LGBTQ+ ont
amené des étendards arc­en­ciel.
La direction a renvoyé tout le
monde dos à dos. Aucun drapeau.
Mais l’épisode le plus retentis­
sant a eu lieu lorsqu’un ensei­
gnant a évoqué en classe le livre
The 57 Bus, de Dashka Slater, l’his­
toire vraie d’un élève se définis­
sant comme transgenre, dont la
jupe est incendiée par deux jeunes
à bord d’un bus, à Oakland. « Cela a
provoqué une avalanche, se rap­
pelle Rachelle Ketron. Une Eglise
locale a protesté devant le conseil
d’école, le journal du coin a parlé de
la promotion d’un mode de vie dé­
généré. Le livre n’a pas été retiré,
mais l’enseignant a dû proposer un
devoir alternatif, pour les parents
d’élèves ne voulant pas d’une telle
lecture. » Dès lors, aucun profes­
seur n’a eu le courage de parrainer
le club de discussion LGBTQ+ que
Meryl voulait lancer. Il n’a ouvert
qu’après sa mort. p
piotr smolar
TV canal 27
 FRANCE
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022
Le RN accusé de racisme à l’Assemblée
Le député d’extrême droite Grégoire de Fournas a mis à mal, jeudi, la stratégie de dédiabolisation du parti
D
ans le chaudron des
questions au gouver­
nement à l’Assemblée
nationale, jeudi 3 no­
vembre, le cri d’un député a en­
foncé un nouveau coin dans l’en­
treprise de normalisation du Ras­
semblement national (RN). Gré­
goire de Fournas, député de
Gironde, a hurlé à son collègue de
La France insoumise (LFI) du
Val­d’Oise Carlos Martens Bilongo,
à la peau noire : « Qu’il retourne en
Afrique ! », alors que M. Martens
Bilongo évoquait dans son inter­
vention le bateau de l’ONG SOS
Méditerranée transportant à son
bord 234 migrants secourus au
large de la Libye, et à la recherche
d’un port de débarquement.
La gauche, elle, était persuadée
d’avoir entendu ce cri raciste :
« Retourne en Afrique ! » – une
version contredite par le compte
rendu officiel de la séance. Stu­
péfaits, les parlementaires se lè­
vent, interpellent la présidente,
Yaël Braun­Pivet, se récrient :
« Dehors ! Dehors ! », cependant
que M. de Fournas semble ne
pas comprendre l’indignation de
l’Hémicycle. Du perchoir,
Mme Braun­Pivet prononce une
suspension puis, après quelques
minutes de confusion, met fin à
la séance , « compte tenu de la gra­
vité des faits » et de « l’émotion lé­
gitime ». Un geste rarissime.
Elle annonce dans la foulée que
le bureau de l’Assemblée est
convoqué en urgence vendredi à
14 h 30 pour décider de la sanction
à prononcer contre le député RN.
L’instance, qui réunit la prési­
dente, les six vice­présidents, les
trois questeurs et les douze secré­
taires, est la seule en mesure de dé­
cider de sanctions plus importan­
tes qu’un rappel à l’ordre. « Il est
hors de question de laisser passer
ça, explique Mme Braun­Pivet au
Monde. Mais c’est si grave qu’il ne
fallait pas réagir à chaud, juste­
ment pour convoquer le bureau et
prendre la sanction la plus appro­
priée. » Pour l’élue des Yvelines,
« l’Assemblée nationale est un col­
lectif et nous sommes tous compta­
bles de l’image qu’elle renvoie ».
« La vraie face » du RN
L’ensemble des groupes du Palais­
Bourbon est décidé à mettre dans
l’embarras un RN qui, depuis l’été,
se faisait plutôt discret en com­
mission comme en séance publi­
que, jouant souvent avec les nerfs
des autres députés. Le groupe Re­
naissance « ne siégera plus » tant
que M. de Fournas ne sera pas lour­
dement sanctionné, a ainsi fait sa­
voir le vice­président du groupe,
Sylvain Maillard : « Le vernis est en
train de craquer. C’est ça, le Rassem­
blement national. » « Aujourd’hui,
l’extrême droite a montré son vrai
visage », a déclaré la présidente des
députés LFI, Mathilde Panot, qui
réclame « la sanction la plus forte »
contre l’élu d’extrême droite.
Devant le bureau de l’Assemblée
nationale, où il pourra exposer ses
arguments, le député du RN est
passible d’une « censure simple »,
soit la privation pendant un mois
de la moitié de son indemnité
parlementaire, ou d’une « censure
avec exclusion temporaire », soit la
privation pendant deux mois de la
moitié de l’indemnité, avec inter­
« C’est si grave
qu’il ne fallait
pas réagir à
chaud, justement
pour convoquer
le bureau
et prendre
la sanction la
plus appropriée »
YAËL BRAUN-PIVET
présidente de l’Assemblée
|9
Le député (Gironde) du Rassemblement national Grégoire de Fournas (au centre), dans l’Hémicycle, jeudi 3 novembre. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »
diction de reparaître au Palais­ syan­Bouvet. Une remontrance bre, la députée des Alpes­Mariti­ devant les caméras à l’Assemblée qu’ont suscitée [ses] propos [et] dé­
Bourbon pendant quinze jours. contre une élue de la majorité qui mes Alexandra Masson expliquait pour dénoncer « le racisme » des plore la manipulation politique qui
Devant les micros, M. Martens avait été mal perçue au sein de la que la Société nationale de sauve­ propos. L’entourage du chef de a pu en être faite ». Dans le même
Bilongo déplore être « renvoyé à coalition présidentielle, certains tage en mer devait « sauver des vies l’Etat, Emmanuel Macron, a fait temps, des tweets montrant une
[sa] couleur de peau. Je suis né en craignant l’instauration d’un pré­ en mer et non aller y chercher tou­ savoir que « le président est heurté obsession du député pour l’immi­
France, je suis député français. (…) cédent les empêchant de souli­ jours plus de migrants » – laissant par ces mots qui, dans l’Hémicycle gration africaine disparaissaient
On voit la vraie face du Rassemble­ gner le passé « xénophobe » et « ra­ entendre par là que certains nau­ comme hors de l’Hémicycle, sont subitement. Conseiller départe­
ment national. C’est honteux », s’in­ ciste » du parti d’extrême droite. fragés méritaient moins que intolérables ». Le locataire de mental de Gironde, M. de Fournas
digne l’élu du Val­d’Oise, né à L’épisode a, depuis, posé la ques­ d’autres d’être secourus. l’Elysée a apporté son « soutien au a mené ces dernières années plu­
Villiers­le­Bel de parents congolais tion de la liberté d’expression des parlementaire insulté ». sieurs combats contre l’accueil de
et angolais. Après s’être éclipsé, parlementaires dans un Hémicy­ « Le président est heurté » Grégoire de Fournas, après avoir mineurs non accompagnés dans
comme ses collègues, M. de Four­ cle où les invectives sont devenues L’exécutif n’entend pas laisser pas­ refusé de s’excuser, a transmis à la des communes du territoire. p
nas revient conter sa version des la norme. D’autant que les propos ser. Dès la suspension de séance presse un courriel écrit à M. Mar­ matthieu goar, clément
faits : « Quand le député de La xénophobes des élus d’extrême prononcée, la première ministre, tens Bilongo, dans lequel il se dit guillou, jérémie lamothe
France insoumise parlait du bateau droite se multiplient. Le 31 octo­ Elisabeth Borne, s’est présentée « navré de l’incompréhension et marie slavicek
[de] SOS Méditerranée qui ne par­
venait pas à accoster sur les côtes
européennes, j’ai répondu : “Qu’il
retourne en Afrique.” Qu’il, le ba­
teau, retourne en Afrique. » Le
Richelieu
député explique alors se confor­
site
mer au programme de son parti,
pour lequel les bateaux sauvant
des migrants en mer doivent les
ramener sur leur continent d’ori­
Musée de la BnF
gine. « Soyons sérieux, répondra
plus tard M. Martens Bilongo dans
un communiqué. Cela aurait­il été
plus acceptable qu’un député hurle,
à propos des réfugiés du bateau de
SOS Méditerranée en situation
critique : “Qu’ils retournent en Afri­
que” ? Le racisme est­il devenu si
banal pour que cette phrase soit
devenue acceptable ? »
Si le parti d’extrême droite, à
commencer par Marine Le Pen,
crie à la manipulation, l’incident
de la part d’un des quelques nou­
veaux élus mis en avant depuis le
Bienvenue
début de la législature constitue
un magistral revers dans la straté­
gie de respectabilité impulsée par
le groupe d’extrême droite. M. de
Fournas était pressenti pour deve­
nir l’un des porte­parole en cas
d’élection de Jordan Bardella à la
présidence du RN samedi, comme
l’avait révélé Valeurs actuelles. Le nouveau musée de la BnF dévoile
Depuis la rentrée parlementaire
en octobre, les incidents de séance
près de 900 œuvres exceptionnelles
Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h*
impliquant des députés RN se sont
multipliés. Une réunion du
bureau de l’Assemblée était ini­
tialement prévue le 9 novembre
pour évoquer la tenue des débats,
souvent électriques, dans l’Hémi­
cycle. Lors des séances, les députés
de gauche ou de la majorité ont
plusieurs fois accusé les élus
lepénistes de xénophobie – terme *Le mardi, le musée vous accueille jusqu’à 20 h I © Nicolas Gallon / Agence Contextes / BnF
qui avait valu un rappel à l’ordre,
en octobre, de la part de Yaël BnF I Richelieu 5, rue Vivienne, Paris 2e bnf.fr
Braun­Pivet à l’encontre de la
députée Renaissance Astrid Pano­

10 | france
Jordan Bardella,
le «gendre idéal»
qui «envoie
des horreurs»
Favori pour être élu à la tête du RN, le
protégé de Marine Le Pen manie l’art
du discours radical sans en avoir l’air
PORTRAIT
T
out le monde s’accorde à
le dire, Jordan Bardella a
un talent incontestable :
il parle. Il n’éructe pas,
ne bredouille pas, ne pérore pas. Il
démontre, expose, au besoin
étourdit l’adversaire avec une
punchline bien sentie. Elle tour­
nera sur les réseaux sociaux, élar­
gira le fan­club. Au Rassemble­
ment national (RN), on récite par
cœur la liste des victimes
cathodiques du député européen,
comme si leurs scalps décoraient
le siège de la rue Michel­Ange
(16e arrondissement de Paris) : les
ministres Gabriel Attal et Bruno Le
Maire, l‘eurodéputée Nathalie Loi­
seau, la députée « insoumise » Clé­
mentine Autain.
Samedi, lors de son 18e congrès,
le parti s’apprête à consacrer sa
bête médiatique, 27 ans, une infi­
nité de combats, jamais mis K.­O.
Face à Louis Aliot, son concurrent
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dernières éditions
du journal
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« On lui a mis
les mots dans
la bouche et fait
bouger les bras.
L’avantage, c’est
que c’est un très
bon élève »
PASCAL HUMEAU
conseiller média du RN
aux européennes de 2019
en interne, il a à peine livré
bataille, et surtout pas à la télévi­
sion. On aurait pris le risque de
parler d’idées, donc de fragiliser la
thèse selon laquelle il n’y a qu’une
seule ligne au RN, la « ligne
Marine ». Son entourage espère le
voir obtenir 70 % des voix des
adhérents. Jordan Bardella de­
viendrait le premier président du
RN ne portant pas le nom Le Pen.
Jordan Bardella, aux 50 ans du Rassemblement national, à Paris, le 6 octobre. CYRIL BITTON/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
Aboutissement d’un parcours
interne sans fautes, aussi métho­
dique que météorique, avec cos­
tard bien mis et veste retournée.
En 2013, Jordan Bardella pointe
chaque mercredi au Forum, un
appartement anonyme du 13e ar­
rondissement de la capitale, où les
jeunes frontistes franciliens se
forment au militantisme. Fran­
çois Paradol, devenu son directeur
de cabinet, se souvient d’un type
assis au fond, « assez discret, qui
prenait des notes ». Quelque chose,
tout de même, le distingue : l’ado­
lescent de Seine­Saint­Denis est
tiré à quatre épingles. « On sentait
quelqu’un en pleine maturation, en
recherche aussi. Il découvrait un
monde complètement inconnu »,
se remémore Mathilde Androuët,
députée européenne, à l’époque
coprésidente du Front national de
la jeunesse. La première à lui faire
la courte échelle. Son truc ? « Il
parlait bien, était plutôt plaisant. Et
ça percutait bien là­haut. »
« Physique de beau gosse »
Neuf ans ont passé. Jordan Bar­
della a navigué entre les différents
cercles d’influence autour de Ma­
rine Le Pen, avec la maestria d’un
capitaine de paquebot dans un
champ d’icebergs. Propulsé par
Florian Philippot, alors numéro
deux du parti, il s’est rapproché,
dès le début de sa disgrâce, des
anciens du Groupe Union
Défense (GUD), autour de Frédéric
Chatillon, amis proches de Ma­
rine Le Pen et prestataires du RN.
Puis, quand les scandales politico­
financiers ont rendu ces derniers
moins fréquentables, l’enfant pro­
dige s’est placé sous la houlette du
conseiller le plus écouté – et beau­
frère – de Marine Le Pen, Philippe
Olivier. Anecdote : dans ces trois
cercles, le jeune homme a trouvé
l’amour, auprès d’une militante
philippotiste, de la fille de M. Cha­
tillon, puis de celle de M. Olivier.
« Il sait toujours à qui parler, de
qui se rapprocher et de qui se tenir
éloigné, observe un spectateur
privilégié de son ascension. Habi­
tuer les gens à sa présence, se faire
discrètement connaître, gérer la
distance comme la proximité. »
Jordan Bardella est jeune, il suit la
ligne idéologique et obéit avec di­
ligence aux ordres venus du siège :
en ne faisant peur à personne, il se
rapproche de la présidente sans
craindre les coups fourrés.
Sur le chemin, il a rempli sa
garde­robe de costumes siglés De
Fursac et travaillé le haut du corps,
dans l’idée d’être « taillé en V »
derrière le pupitre. Mathilde
Androuët, restée proche : « Il veut
une enveloppe qui donne de la
résonance au fond et sur le fond, il
est sérieux. Son physique de beau
gosse renforce son aspect sympa­
thique. Jordan, les mamans le
veulent comme gendre, les filles
comme petit copain, et les hommes
veulent lui ressembler. C’est une
manière de magnifier leur vote. »
Car l’enveloppe ne suffit pas, le
parti lui a adjoint, pour sa pre­
mière campagne en tant que tête
de liste – les élections européen­
nes, en 2019 –, deux profession­
nels de la communication : Phi­
lippe Vardon, l’identitaire niçois
alors bien en cour au parti, et Pas­
cal Humeau, ancien journaliste de
BFM­TV reconverti dans le conseil
en média. « C’était une coquille
vide, je ne l’ai jamais vu travailler
sur du fond, certifie ce dernier. On
lui a mis les mots dans la bouche et
fait bouger les bras. L’avantage,
c’est que c’est un très bon élève, qui
bosse. Il a l’attitude, le sourire, tous
les réflexes : il est très fort. »
Jordan Bardella a écumé les
plateaux télé ; il a adoré et n’a plus
cessé. Cet été, il lui a été conseillé
de rendre sa parole plus rare, afin
de ne pas lasser. Visiblement, le
président par intérim du parti n’a
pas écouté : il est l’invité politique
le plus régulier de la rentrée, tous
partis confondus, malgré une
campagne interne qui l’a amené
partout en France – il n’a pu
rencontrer Le Monde, son équipe
avançant un agenda surchargé.
Autour de lui, on souligne sa fasci­
nation pour la télévision et l’image
qu’il renvoie. Pourquoi se priver ? Il
est tellement bon. « Une insolence
maîtrisée, qui tient tête aux minis­
tres les plus expérimentés », salue
Laure Lavalette, députée RN du Var
et autre habituée des plateaux.
« Une mémoire des chiffres, des
arguments et des citations impres­
sionnantes », dit François Paradol.
Stéphane Ravier, sénateur RN des
Bouches­du­Rhône passé chez Re­
conquête !, aimerait avoir son ta­
lent pour faire croire à la théorie
raciste du « grand remplace­
ment » : « Il envoie ce que le politi­
quement correct décrit comme des
horreurs, et ça passe crème ! Tou­
jours sur le même ton, le même vo­
lume, avec son côté gendre idéal… »
La barre très à droite
Les zemmouristes applaudissent
sa capacité à imposer, depuis trois
ans, l’idée d’une « submersion mi­
gratoire », tout en conservant une
popularité intacte et sans jamais
déclencher la moindre tempête
médiatique. Jordan Bardella est
pourtant capable de tenir la barre
très à droite, notamment lorsqu’il
n’est pas à la télévision à une
heure de grande écoute. Dans une
tribune pour Marianne, en juillet,
il juge le « pronostic vital du peu­
ple français engagé », en raison
d’un « changement de peuple [qui]
s’accomplit machinalement »,
« d’une forme de préférence étran­
gère où l’on accorde aux autres des
droits et des privilèges que les
nôtres se voient refuser ou doivent
trimer pour les obtenir ». En
septembre, sous les lustres d’un
restaurant alsacien servant un
repas militant, il fustige la « vio­
lence importée dans ce pays », car
En poussant les
feux identitaires
et sécuritaires,
le député
européen revient
aux prémices de
son engagement
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022
« cela n’a rien de français de rouer
de coups une vieille dame ».
Jordan Bardella est­il le dernier
« identitaire » du RN, simplement
« corseté par Marine Le Pen »,
comme l’imagine M. Ravier ?
Philippe Olivier, conseiller spécial
de Mme Le Pen et l’un de ceux qui
accompagnent l’ascension du
prodige, répond : « Si être identi­
taire, c’est s’inscrire dans la logique
de Génération identitaire [groupe
dissous en 2021 pour son « dis­
cours de haine »], il ne l’est pas. Si
c’est avoir conscience qu’il y a
aujourd’hui une défense de l’iden­
tité française à mener, alors oui. »
L’assistant parlementaire et
conseiller de Jordan Bardella, Pier­
re­Romain Thionnet, juge le mot
« diabolisé ». Cet admirateur de
Jean­Claude Michéa et des pen­
seurs de la Nouvelle Droite préfère
dire que « les peuples et les hom­
mes ne sont pas interchangeables
[et que] l’immigration pose un pro­
blème culturel ». Des positions que
partage le premier cercle de l’aspi­
rant président du RN, un groupe
de jeunes gens qui se croisaient
les mercredis au Forum, dans les
bars nationalistes du Quartier la­
tin ou lors de conférences organi­
sées par le syndicat étudiant d’ex­
trême droite la Cocarde étudiante.
En poussant les feux identitaires
et sécuritaires, le natif de Seine­
Saint­Denis revient aux prémices
de son engagement, motivé par le
deal dans sa cage d’escalier de la
cité Gabriel­Péri de Saint­Denis,
l’insécurité vécue par sa mère,
agente spécialisée dans une école
maternelle, ou l’impression de
voir « [ses] coutumes et [son] mode
de vie » remplacés par d’autres. Il
contredit aussi le Bardella de
20 ans qui, aux côtés de Florian
Philippot, plaidait pour une ligne
moins sévère sur l’immigration,
un « patriotisme tranquille et fédé­
rateur », grâce au collectif qu’il
dirigeait, Banlieues patriotes. Le
reflet, assurent ses ex­protecteurs,
d’un « désintérêt absolu pour les
questions idéologiques », lui per­
mettant de suivre d’autant plus fa­
cilement les évolutions du RN.
Après son élection attendue, il
souhaite prouver qu’il n’est pas
qu’une machine à répéter les
éléments de langage et pousser
ses propres thématiques, comme
la « vision néodroitière » de l’écolo­
gie et la lutte contre les dérives de
l’intelligence artificielle. Jordan
Bardella travaille même à un livre
dans lequel il défendra l’existence
d’un nouveau clivage, entre
tenants de l’ordre et du désordre.
La saillie xénophobe du député
RN de Gironde Grégoire de Four­
nas, prononcée, jeudi, en plein
Hémicycle, rappelle que le futur
président du RN aura surtout
devant lui une tâche moins exal­
tante : faire en sorte que le désor­
dre ne vienne pas de ses rangs. p
clément guillou
 PUBLICITÉ

Alexandre Perra :
« Je ne crois pas à
l’opposition entre
sobriété et progrès. »
Alexandre Perra est directeur exécutif
du Groupe EDF en charge de l’Innovation,
de la RSE et de la Stratégie. Il revient sur
la place de la sobriété dans la construction
d’un monde durable.
On parle beaucoup de sobriété, est-elle
nécessaire à la quête de neutralité carbone ?
Toutes les études prospectives montrent qu’il faut
consommer moins d’énergie au niveau global pour
atteindre la neutralité carbone. En France, nous devons
baisser de 45 à 50 % la consommation totale d’énergie.
Y parvenir suppose d’activer simultanément plusieurs
leviers. Le premier d’entre eux est l’électrification :
passer d’une voiture thermique à une voiture électrique
consomme moins d’énergie, c’est une question de rende-
ment(1). Le deuxième levier est l’efficacité énergétique :
le progrès technique permet aux machines électriques,
un moteur par exemple, de délivrer le même service en
utilisant moins d’électricité. D’après nos études, ces deux
leviers représentent environ 85 % du chemin à parcourir.
Les 15 % restants nécessitent des changements de
comportement, c’est la sobriété. Si je reprends l’exemple
de la voiture, c’est la préférence pour le covoiturage !

L’idée qu’un fournisseur d’énergie préconise
la sobriété énergétique n’est pas forcément
intuitive ? Quelle place occupe-t-elle dans la
vision d’EDF ?
Il n’y a pas de paradoxe pour EDF à appeler à une
moindre consommation d’énergie. La consommation
d’énergie totale doit baisser dans les années à venir,
mais dans le même temps, le déclin du recours à l’énergie
fossile sera partiellement compensé par une forte croissance
de l’électricité. Nous ne serions pas responsables si nous
ne cherchions pas
à minimiser autant
« Être capables de satisfaire que possible cette
nos besoins sans le faire au croissance de la
demande électrique.
détriment de la planète est Bien sûr, nous
serons en mesure
en soi un progrès. » de produire de
l’électricité faible en
CO2(2), mais pour la produire, les impacts de nos instal-
lations sur les territoires, les sols, la biodiversité ou le
recours en eau qu’elle suppose ne sont pas négligeables.
De ce point de vue, nous avons démontré qu’un mix
équilibré entre les énergies nucléaire et renouvelables est
la solution la plus efficace et la plus vertueuse en termes
d’impacts.
Comment l’entreprise s’engage-t-elle
aujourd’hui pour la sobriété énergétique ?
EDF fait ce travail à trois niveaux. D’abord, et comme
toute entreprise désormais, nous agissons sur le fonc-
tionnement au quotidien de l’entreprise avec ses
salariés, sur la manière dont nous nous chauffons ou
nous déplaçons par exemple. Nous avons mis en place
un plan de sobriété interne dont l’objectif est de réaliser
10 % d’économies en matière d’énergie. Il intègre un
certain nombre d’actions ciblées : température à 19 °C
bien entendu, promotion de l’utilisation de la téléconférence
pour limiter les déplacements mais suspension des
fonctionnalités vidéo pendant les périodes de forte
(1)
Figure 37, Etude IEA (2019), Fuel Economy in Major Car Markets www.iea.org/reports/fuel-economy-in-major-car-markets (2)Mix de production électrique du groupe EDF : 76,5 % de nucléaire, 13,6 % d’énergies renou-
velables, 8,4 % de gaz, 1 % de fioul et 0,4 % de charbon - Source EDF 2021 En savoir plus sur EDF.fr/climat (3)www.vicat.fr/actualites/trajectoire-bas-carbone-vicat-et-hynamics-edf-devoilent-le-projet-hynov
demande électrique, bascule automatique de l’ensemble
de notre parc de 30 000 ordinateurs portables sur batterie.
Nos salariés équipés de téléphones portables professionnels
reçoivent des notifications, en fonction des alertes vigilance
RTE, qui les invitent à mettre en place des éco-gestes
adaptés dans leur vie quotidienne. Tout cela n’est au
final qu’une forme d’hygiène qui a vocation à perdurer.
Le deuxième pan de la sobriété chez EDF touche à la
manière dont les produits, les offres, les services sont
conçus. Nous avons engagé un travail d’écoconception
afin d’abaisser notre empreinte carbone, ou tout autre
impact environnemental. C’est un effort que nous éten-
dons à l’ensemble de la chaîne de fournisseurs. Parce
que nous sommes par exemple un grand utilisateur de
béton, nous sommes engagés aux côtés du groupe
cimentier international Vicat pour faire émerger des
solutions innovantes qui permettent de décarboner la
production de béton tout en produisant un nouveau type
de combustible bas carbone, à base d’hydrogène, pour le
transport maritime(3) !
La troisième dimension concerne nos clients. L’approche
d’EDF, liée à notre mission de service public, est d’ac-
compagner nos clients vers plus de sobriété. Notre
programme d’écogestes permet à ceux qui le suivent de
diminuer de plus de 10 % leur consommation d’énergie
et donc leur facture, ce qui est un bon signal. L’enjeu est
d’aider des clients qui vont être confrontés à une
augmentation des usages électriques à maîtriser cette
hausse.
Quels sont aujourd’hui les freins à l’avènement
d’une société sobre en énergie ?
Plutôt que de parler de freins, je préfère voir les choses
positivement et parler de leviers à activer. Il s’agit
d’abord de tenir un discours rationnel afin que nous
comprenions tous pourquoi la sobriété est nécessaire à
l’atteinte de la neutralité carbone en 2050. Ce qui fait
©Julien Knaub
souvent défaut, c’est une approche écosystémique des
enjeux : ceux liés aux gaz à effet de serre sont essentiels,
mais il faut aussi tenir compte de l’artificialisation des
sols, de l’effondrement de la biodiversité, de la rareté
des ressources en l’eau, de la qualité de l’air… C’est
bien le problème dans sa globalité qu’il s’agit de
comprendre pour le résoudre.
Il faut aussi rendre la sobriété désirable : certains
redoutent qu’elle nous fasse régresser. Si, dans sa Raison
d’être, EDF a placé sur un même plan la préservation de
la planète, le bien-être de nos clients et le développement
des sociétés, c’est parce que fondamentalement, nous ne
croyons pas à l’opposition entre sobriété et progrès. Être
capables de satisfaire nos besoins sans le faire au détri-
ment de la planète est en soi un progrès sur le plan de
l’éthique. Cela suppose de faire avancer la science et les
techniques au même rythme. Sans compter qu’il n’y
aura pas de sobriété sans beaucoup d’innovation. Il faut
inventer les business models qui accompagnent le chan-
gement de comportements. Je pense par exemple à
l’économie du partage qui permet d’allier bien-être et
sobriété. Autrement dit, la sobriété est un territoire
neutre à partir duquel tout un imaginaire est à inventer.
Vous abordez la question des imaginaires.
Est-ce quelque chose qui se commande ?
Il faut nourrir la boucle vertueuse entre les attentes
grandissantes des consommateurs et les entreprises, qui
doivent être capables de concevoir et de valoriser des
produits plus sobres et désirables. Manger local coûte
un peu plus cher, mais faire ce choix satisfait aussi un
besoin d’estime chez le client. La publicité a également
un rôle à jouer dans l’évolution des imaginaires. Si des
créatifs talentueux ont réussi à convaincre une génération
entière que fumer faisait de vous un « cow-boy »
enviable, je n’ai pas de doute que le même talent réussira
à déclencher des choix de consommation vertueux.
C’est tout un système qui est entré en transition, et les
entreprises ont bien sûr un rôle essentiel à jouer.

L’énergie est notre avenir, économisons-la !


12 | france
« Les polices municipales glissent
vers une inflexion sécuritaire »
La sociologue Virginie Malochet explique pourquoi les polices
municipales sont de plus en plus sollicitées, et de plus en plus armées
ENTRETIEN
A
bsente de la loi d’orien­
tation et de program­
mation du ministère
de l’intérieur, la ques­
tion des polices municipales de­
meure centrale dans la doctrine
du « continuum de sécurité ».
D’abord envisagée comme un
simple processus de fluidification
des échanges entre acteurs de la
sécurité (Etat, municipalités ou
secteur privé), cette notion a fini
par s’imposer comme un axe ma­
jeur de réflexion opérationnelle,
avec des agents de polices munici­
pales de plus en plus sollicités, de
plus en plus armés. Sociologue,
chargée d’études à l’Institut Paris
Région et chercheuse associée au
Centre de recherche sociologique
sur le droit et les institutions pé­
nales, Virginie Malochet nuance
le caractère inédit de l’essor des
polices municipales, mais souli­
gne un désengagement progressif
de l’Etat en matière de sécurité lo­
cale.
Le développement des polices
municipales n’entre­t­il pas
en collision avec un modèle
français très monolithique,
où seul l’Etat dispose du mono­
pole des moyens de coercition
légitimes ?
A Cergy, une brigade nocturne armée qui divise le conseil municipal
Une équipe de policiers municipaux, qui patrouille la nuit dans la ville du Val­d’Oise, dispose d’armes létales depuis le 1er novembre
P romise en mai, la brigade
de tranquillité nocturne
(BTN), composée de poli­
ciers municipaux, a été déployée
le 1 er novembre à Cergy
(Val­d’Oise). Un lancement com­
pliqué, qui fait toujours débat sur
place, en raison d’un point précis :
cette BTN sera équipée d’armes
létales. Il y a d’un côté ceux qui,
comme cette agente de média­
tion (qui a préféré rester ano­
nyme) à la gare RER de Cergy­Pré­
fecture, sont « totalement pour
que la police soit armée face à des
individus eux­mêmes armés » ; de
l’autre ceux qui, comme Safidy,
étudiante de 19 ans en L2 de lan­
gues à l’université de Cergy, sont
plus dubitatifs sur un armement
« disproportionné et inefficace »
face à certaines incivilités subies
comme le harcèlement en gare.
A la mairie, neuf élus de gauche
du conseil municipal ont fait
connaître leur profond « désac­
cord politique » sur le sujet avec
Jean­Paul Jeandon, maire (Parti
socialiste) de la ville. Réponse de
ce dernier : « J’assume cette déci­
sion. S’il n’y avait pas d’armement,
il n’y aurait pas de brigade. »
Cette police municipale noc­
turne est à l’origine une promesse
de campagne de l’édile pour les
municipales de 2020. L’idée est de
répondre au sentiment d’insécu­
rité partagé par de nombreux
riverains du Grand­Centre, en
mettant en place cette BTN de
17 heures à 2 heures du matin,
tous les jours, sauf le dimanche.
Les missions sont clairement
établies : surveiller les lieux
centraux comme les trois gares
de la ville, faire respecter les arrê­
tés municipaux (notamment sur
la vente d’alcool interdite après
20 heures), mettre fin aux tapa­
ges nocturnes des étudiants ou
problèmes de voisinage, éviter
les dépôts sauvages. En février,
la municipalité lance donc un
appel à candidature et promet
Les travaux des historiens
permettent de relativiser ce carac­
tère inédit et de dissocier les
services de police des fonctions et
des missions dévolues à la police.
En l’espèce, on voit bien que les
missions de police sont investies
par une pluralité d’acteurs, et
depuis longtemps. Ceci étant,
sur la période récente, cette dyna­
mique de diversification des ac­
teurs de la sécurité s’est tout de
même largement accentuée.
Faut­il y voir un retrait de
l’Etat, notamment en raison
de contraintes budgétaires
toujours plus pressantes ?
En partie, oui. Quelles que
soient leurs orientations politi­
ques, les maires et les collectivités
territoriales disent souvent se
sentir contraints de développer
leurs propres services de sécurité
et, notamment, de faire monter
en puissance leurs polices muni­
cipales pour compenser ce qu’ils
perçoivent, à tort ou à raison,
comme un désengagement des
services de l’Etat. Ce sentiment est
partagé du côté des bailleurs so­
ciaux ou des opérateurs de trans­
ports en commun qui, eux aussi,
sont mobilisés sur ce terrain de
la sécurité quotidienne, à travers
une pression parfois explicite de
la part des services de l’Etat. Mais
Le maire socialiste de Cergy (Val­d’Oise), Jean­Paul Jeandon, et Nicolas de Freitas, le chef d’équipe de la brigade nocturne armée
qui opère six jours sur sept, à Cergy, le 24 octobre JEANNE FRANK/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
l’ouverture de treize nouveaux
postes sur le terrain. « Mais de
février à mai, nous n’avons reçu
aucune candidature », confie
Jean­Paul Jeandon.
« Se sentir protégés »
A l’époque, le débat d’équiper
d’armes létales ou non cette
brigade est déjà posé. Il est décidé
que le groupe de nuit aurait le
même équipement que les
agents de jour, à savoir un gilet
le développement des polices mu­
nicipales s’explique aussi, incon­
testablement, par une inflation
des préoccupations sécuritaires.
Comment les policiers et les
gendarmes s’accommodent­
ils de ce développement ?
Finalement assez bien, ce qui est
nouveau. Lorsque les polices mu­
nicipales ont émergé au début des
années 1980, des réticences ont
été vivement exprimées par des
représentants de la police natio­
nale et plusieurs projets de textes
ont même avorté en raison de la
forte opposition des syndicats de
police. Aujourd’hui, ce n’est plus le
cas. La police nationale comme la
gendarmerie ont parfois la tenta­
tion d’employer les polices muni­
cipales comme forces supplétives,
en tout cas comme des variables
d’ajustement, pour pallier leurs
« Sans proposer
l’armement létal,
il devient
extrêmement
difficile pour
les municipalités
de recruter »
pare­balles, une matraque téles­
copique, des bombes lacrymo­
gènes et un Taser. Mais face à
l’échec du recrutement, M. Jean­
don change de doctrine. « Nous
avons pris en compte l’envie des
agents de se sentir protégés grâce
à leur arme, même s’ils ne s’en
servent pas. Surtout de nuit, où
l’on considère que le risque est
plus important et qu’il est plus
difficile d’envoyer des renforts »,
justifie l’édile.
propres carences. Cela ne va pas
sans difficultés pour certains mai­
res, qui essaient de ne pas céder
à ces velléités de subordination.
Dans un tel système, de plus en
plus critiqué, quels rôles sont
dévolus à chacune des forces ?
L’activité des polices municipa­
les se décline en fonction des pro­
blématiques locales, mais aussi,
et peut­être surtout, des doctri­
nes d’emploi fixées par les maires.
C’est pourquoi il est, selon moi,
préférable de parler de polices
municipales au pluriel : il existe
une grande hétérogénéité de si­
tuations. Cependant, par­delà ces
disparités, on constate une trajec­
toire d’ensemble, un glissement
vers un modèle plus interven­
tionniste, une inflexion sécuri­
taire marquée. De ce point de vue,
on peut dessiner à grands traits
une sorte de division du travail de
la sécurité : les affaires courantes,
le travail ordinaire de voies de fait
reviennent aux polices municipa­
les, tandis que les forces de l’Etat
prennent le relais sur les interven­
tions d’urgence et le traitement
des enquêtes judiciaires.
Le champ d’activité des uns
et des autres est­il toujours
aussi défini que le discours
officiel le laisse entendre ?
A côté de lui, Nicolas de Freitas,
futur chef d’équipe de la brigade
nocturne, acquiesce. « Même si
nous intervenons sur de “petites”
incivilités, nous ne sommes ja­
mais à l’abri d’un individu qui sort
un couteau. Et s’il s’attaque à des
gens, on nous reprochera tou­
jours ne pas les avoir protégés »,
ajoute le policier, portant une
arme depuis cinq ans, qu’il n’a
« jamais utilisée, pas même sortie
de l’étui ».
Non. Prenons par exemple le
maintien de l’ordre, domaine dans
lequel aucune police municipale
n’a juridiquement compétence.
En situation sur le terrain, les
policiers municipaux expliquent
pourtant qu’ils interviennent
souvent en première ligne et, de
fait, se retrouvent confrontés à des
situations qui peuvent rapide­
ment basculer de la surveillance
de l’ordre au maintien de l’ordre,
avant même l’arrivée de renforts
de la police nationale. Dans ces
moments­là, ils doivent se reposi­
tionner dans un registre qui n’est
pas le leur initialement, et notam­
ment faire usage de la force, voire
de leur arme. La frontière entre
leur action et celle de la police n’est
donc pas toujours très étanche.
Le ratio de policiers équipés
d’armes à feu est passé de 37 %
en 2014 à 58 % en 2022 : est­ce
pour faire face à ces situations
que les policiers municipaux
sont de plus en plus armés ?
Armer ou non les policiers mu­
nicipaux était autrefois un point
de clivage entre municipalités,
mais la mort d’Aurélie Fouquet
[une jeune policière municipale
abattue par un gang de braqueurs
le 20 mai 2010, à Villiers­sur­Marne
(Val­de­Marne)] et, surtout, celle
de Clarissa Jean­Philippe [une
policière municipale stagiaire de
Montrouge (Hauts­de­Seine), tuée
par le terroriste islamiste Amedy
Coulibaly, le 8 janvier 2015] ont
marqué une nette inflexion. Dans
un contexte d’attentats à répéti­
tion, le décès de Clarissa Jean­Phi­
lippe, assassinée pour la seule rai­
son qu’elle portait un uniforme, a
très fortement marqué les esprits.
De nombreux maires, jusqu’ici ré­
tifs à l’armement des polices mu­
nicipales, se sont résolus à équi­
per leurs agents d’armes de déga­
gement, comme les pistolets à im­
Sept autres policiers ont été re­
crutés depuis le changement de
décision du maire et un autre arri­
vera le 1er décembre. M. Jeandon
s’en félicite, surtout « dans un
contexte où il est très compliqué de
recruter des policiers munici­
paux ». Et l’élu ne cache pas que
l’armement fait partie des argu­
ments pour attirer les agents. « Il y
a une vraie compétition entre les
communes, reconnaît­il. Il faut sa­
voir être plus attractif que ses voi­
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022
pulsion électrique, les matraques
et, pour certains, des armes à feu.
Comment l’Etat a­t­il réagi ?
Du côté du ministère de l’inté­
rieur, il y a eu une forme de
soutien, d’encouragement à l’équi­
pement des polices municipales,
avec la mise à disposition des com­
munes qui souhaitaient s’équiper
de 4 000 revolvers de la police
nationale, et l’assouplissement
juridique du régime d’armement
des policiers municipaux, dans le
cadre de la loi prorogeant l’état
d’urgence en juillet 2016, à la suite
de l’attentat de Nice. La liste des ar­
mes autorisées pour les policiers
municipaux a aussi été étendue
aux pistolets automatiques, du
même type que ceux en dotation
dans la police ou la gendarmerie.
Un tel armement est­il utile
à l’accomplissement des mis­
sions des polices municipales ?
Sans proposer l’armement létal,
il devient extrêmement difficile
pour les municipalités de recruter
et de fidéliser des policiers muni­
cipaux. Curieusement, on se foca­
lise sur l’armement des polices
municipales alors que d’autres ac­
teurs de la sécurité sont autorisés
à porter une arme, comme les
agents de sécurité SNCF ou RATP,
ou les réservistes de la gendarme­
rie, la plupart du temps après une
formation très sommaire. Or, les
policiers municipaux ne sont pas
moins bien formés que les autres.
De ce point de vue, ils ont même
une formation préalable avec des
minima requis supérieurs à ceux
en vigueur dans la police natio­
nale. Là où l’arme a une vraie inci­
dence, c’est en termes d’image.
Mais l’image que renvoie le poli­
cier dans l’espace public, c’est
quelque chose qui se travaille. p
propos recueillis par
antoine albertini
« On ne souhaite
pas que la police
municipale
se substitue
peu à peu
à la police
nationale »
MAXIME KAYADJANIAN
élu EELV
sins. Si vous proposez une brigade
nocturne non armée, alors que
tous les autres proposent des ar­
mes, comme c’est le cas partout en
Ile­de­France, personne ne viendra
chez vous. »
Pour autant, l’argument n’a pas
convaincu tous les élus du conseil
municipal. « On ne souhaite pas
que la police municipale se substi­
tue peu à peu à la police natio­
nale », défend Maxime Kayadja­
nian, élu Europe Ecologie­les
Verts. « On connaît la pression des
policiers municipaux mais il ne
faut pas céder, abonde Daisy Yaïch,
de La France insoumise. On assiste
à un désengagement de l’Etat sur
ses fonctions régaliennes. Ce n’est
pas aux municipalités de combler
les manques avec leur budget, au
détriment d’autres services. »
Les élus contestataires relèvent,
enfin, l’incohérence d’avoir des
policiers de jour non armés tan­
dis que leurs collègues du soir le
sont. Selon eux, le Rubicon ayant
été franchi, « cette distinction jour
et nuit sera très vite effacée ». De
son côté, Jean­Paul Jeandon ré­
pète son attachement « à ce que la
police municipale ne remplace pas
la police nationale » et promet un
premier bilan sur cette brigade
nocturne dans six mois. Quant
aux équipes de jour, il assure
qu’elles ne seront pas armées.
Pour l’instant. p
robin richardot
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022
Une résidence dans le village de Guéthary (Pyrénées­Atlantiques), le 23 septembre. SARAH WITT/HANS LUCAS POUR « LE MONDE »
« Nos enfants sont
exclus de leur territoire »
Au Pays basque, la crise aiguë du logement réveille
le spectre de la violence et inquiète l’Etat
REPORTAGE
bayonne, biarritz et guéthary
(pyrénées­atlantiques) ­
envoyée spéciale
L
e temps a tourné et les
deux amies ont quitté la
plage de la Côte des Bas­
ques et rangé leurs surfs
pour prendre un café dans le cen­
tre de Biarritz (Pyrénées­Atlanti­
ques). Les deux jeunes femmes se
sont installées dans la cité bal­
néaire juste avant la pandémie
pour l’une, après le premier confi­
nement pour l’autre, et ont dé­
couvert les affres de la crise du lo­
gement qui frappe le Pays basque.
Comme pour leurs nombreux
amis surfeurs, trentenaires, web
designers, télétravailleurs ou pro­
fesseurs de yoga, attirés par
l’océan, le bail de leur maison est
illégal et les laisse à la merci de
leurs propriétaires. « Depuis
deux ans j’habite à l’année une
maison Airbnb en colocation, avec
un bail “provisoire”, d’où nous
sommes virées au mois de juin.
Puis nous revenons en septembre,
raconte Juliette (les prénoms ont
été changés). Notre loyer mensuel
est de 2 100 euros, mais en juillet et
en août, la maison est louée entre
2 500 et 3 000 euros la semaine. »
Pendant les vacances d’été, elle
« squatte un peu chez des co­
pains », puis retourne chez ses pa­
rents, à Bordeaux. Pauline a habité
dans plusieurs logements, sou­
vent en sous­location pour quel­
ques mois, « grâce à des connais­
sances, sinon on ne trouve rien ».
« C’est super angoissant, dès que je
regarde les annonces j’ai la boule
au ventre : ici on ne trouve que des
baux étudiants, de septembre à
juin, alors qu’il n’y a aucune univer­
sité dans le coin », poursuit­elle.
A quelques pas de là, dans les
étages de l’imposant bâtiment
municipal Art déco, la maire Les
Républicains (LR) de Biarritz, Mai­
der Arosteguy, reconnaît que la
crise du logement, ancienne au
Pays basque, est devenue « pa­
roxystique ». « Depuis l’arrivée
en 2015 ou 2016 des plates­formes
Airbnb ou Abritel, des habitants et
des investisseurs ont pris cons­
cience de la manne financière que
représentait la location saison­
nière, grâce au flou de la réglemen­
tation et à une fiscalité avanta­
geuse, explique l’édile. Au début,
ça leur fait une poire pour la soif ou
un petit quelque chose pour la re­
traite, mais avec la crise du Covid et
l’attrait pour les stations balnéai­
res, ça a fait exploser la demande
de logements et les prix de l’immo­
bilier à l’achat, de 30 % à 40 %, sur
un marché déjà très élevé. »
Conséquence : la ville manque
de main­d’œuvre, déplore la maire
de Biarritz. « Il y a une tension
énorme sur les métiers de l’hôtelle­
rie, de la restauration, du BTP, des
services à la personne, et même de
l’esthétique. Par contre, des profs
de yoga, de Pilates, des coachs en
bien­être et en embrassage d’arbre,
j’en ai dans tous les quartiers. »
« Les flics nous applaudissaient »
En ce début d’automne, partout,
sur la côte, s’alignent des maisons
aux volets clos. La crise du loge­
ment que les Basques et leurs élus
de tous bords constatent, les chif­
fres de l’Institut national de la sta­
tistique et des études économi­
ques (Insee) la confirment : dans
les zones littorales de Nouvelle­
Aquitaine, les résidences secon­
daires représentent en moyenne
22,5 % des logements et jusqu’à
50 % dans les zones les plus tou­
ristiques. Dans Guéthary, char­
mant village prisé des people, ni­
ché entre Bidart et Saint­Jean­de­
Luz, le taux de résidences secon­
daires atteint même 50,4 %. De
l’autre côté de la baie, à Ciboure, il
frôle les 44 %. « Dans les territoires
où la population augmente parti­
culièrement, le poids ou la crois­
sance des résidences secondaires
accentuent les tensions sur le mar­
ché du logement », analyse l’Insee.
Or, le Pays basque voit sa popu­
lation augmenter de 1 %, soit envi­
Dans Guéthary,
le taux de
résidences
secondaires
atteint 50,4 %.
De l’autre côté de
la baie, à Ciboure,
il frôle les 44 %
ron 3 000 personnes, par an, de­
puis plusieurs décennies. « Le
solde démographique de la popu­
lation résidente est négatif – l’ha­
bitant du Pays basque fait moins
d’enfants qu’il n’y a d’habitants –,
mais le territoire est très attractif,
pour la qualité de vie et les emplois
qu’il propose, explique le sous­
préfet de Bayonne, Philippe Le
Moing­Surzur. Il y a donc une
pression constante sur le système,
on construit moins de logements
qu’il n’y a d’habitants qui arrivent.
Donc la situation se dégrade. »
Après avoir vécu neuf années, à
Arcangues, près de Biarritz, Jean­
Pierre a perdu son logement
en septembre. Son histoire fait fi­
gure de cas d’école au Pays basque.
Son propriétaire lui a donné congé
pour vendre l’appartement. « Mon
loyer était de 720 euros pour un
trois­pièces mais aujourd’hui pour
le même prix, je n’aurai qu’un T2, et
encore, seulement de septembre à
juin pour que le propriétaire puisse
faire du Airbnb l’été, témoigne­t­il.
Nous avons deux enfants et je suis
seul à travailler, donc la seule solu­
tion serait de partir loin dans les
terres, loin de mon travail. » Sur
liste d’attente pour obtenir un
logement social, la famille s’est
installée temporairement chez ses
beaux­parents à Bayonne. « C’est
désagréable de vivre ça, alors que
j’ai grandi ici », dit­il.
Jean­René Etchegaray, maire
UDI de Bayonne et président de la
communauté d’agglomération
Pays basque, estime qu’« on as­
siste à une forme d’expropriation
de fait de la population locale. Nos
enfants et nos petits­enfants sont,
de fait, exclus de leur territoire,
dans l’incapacité de pouvoir trou­
ver, là où ils sont nés, le moyen de
se loger. Donc ils partent ».
Dans les rues de Bayonne, des
murs sont couverts d’affiches
« Airbnb nous expulse », ou « Ur­
gence logement » de l’association
Alda, créée il y a deux ans pour ve­
nir en aide aux classes populaires,
en première ligne dans la lutte
contre la crise du logement. Parmi
ses actions, un mouvement d’oc­
cupations symboliques de rési­
dences secondaires, notamment
celles louées sur Airbnb sans être
déclarées. « A Biarritz, on a fait des
actions d’occupation en 2021 et les
flics nous applaudissaient – c’était
dingue – parce qu’eux­mêmes n’ar­
rivent pas à se loger », raconte
Txetx Etcheverry, militant basque
et cofondateur d’Alda.
Le samedi 20 novembre 2021, ce
sont près de 8 000 habitants du
Pays basque qui défilent à
Bayonne à l’appel du collectif
Vivre et se loger au pays, qui mêle
syndicats, partis politiques et as­
sociations. Dans la rue, « tous les
élus de l’agglomération sont dans
la manif », souligne Txetx Etche­
verry, lorsque tombe sur le cortège
une nuée de tracts, lancés depuis
un toit. Des messages qui appel­
lent à la violence pour mettre fin à
la spéculation immobilière au
Pays basque. « Il s’agissait de jeu­
nes cagoulés, qui n’appartenaient à
aucune des formations politiques
connues. La police n’est jamais arri­
vée à déterminer les choses. », indi­
que Jean­René Etchegaray.
Une action de plus, après de
nombreuses autres, depuis l’in­
cendie en 2017 d’une maison à
Hélette, près d’Espelette, où s’éta­
laient sur la façade les inscrip­
tions « Euskal Herria ez da salgai »,
« le Pays basque n’est pas à
vendre ». En mars, à Saint­Pée­
sur­Nivelle, petite commune près
de Saint­Jean­de­Luz, cinq agen­
ces immobilières et une maison
ont été taguées avec le message
« Aujourd’hui de la peinture, de­
main les bombes ».
« Raidissement culturel »
Propriétaires d’une maison de fa­
mille dont ils ont hérité, sur la
côte près d’Hendaye, Laura et son
mari ont choisi de la découper en
petits appartements et de la louer
à des touristes sur les plates­for­
mes Airbnb et Abritel. « Quand j’ai
commencé, j’ai trouvé sur la boîte
aux lettres un autocollant “le Pays
basque n’est pas à vendre” avec
une bombe dessinée dessus », con­
fie la mère de famille. Des mena­
ces que les élus basques prennent
au sérieux. « La crise du logement,
c’est un des fondamentaux de la
lutte armée au Pays basque, au­
delà de la culture et de la langue,
explique­t­on à la mairie de
Bayonne. Ce sentiment de dépos­
session des terres était aussi une
des raisons de prise d’armes, avant
le renoncement à la violence. »
De côté des autorités, on attri­
bue ces appels à la violence à un
petit groupe, de quelques centai­
nes de jeunes. « Ils sont très sou­
vent les petits­enfants des mili­
tants historiques d’ETA [groupe
terroriste Euskadi ta Askatasuna,
« Pays basque et liberté »], d’Ipar­
retarrak [mouvement séparatiste
basque français], qui ont fait de la
prison, ont renoncé à la violence
politique et s’inquiètent de cette
forme de radicalité nouvelle, ana­
lyse un observateur. Ces jeunes
estiment que leurs aînés n’ont pas
Nikolas Blain, coordinateur du mouvement politique EH Bai,
à Bayonne, le 22 septembre. SARAH WITT/HANS LUCAS POUR « LE MONDE »
su défendre la cause basque depuis
vingt ans et que le pays ne leur ap­
partient plus. » Philippe Le Moing­
Surzur, évoque « un raidissement
culturel de certains. Ce n’est pas
qu’une histoire de logements, c’est
une histoire d’idéologie, de politi­
que, de vision du territoire ».
Figure du militantisme abert­
zale (« gauche patriote », en bas­
que), Txetx Etcheverry voit dans
ces violences « un vrai défi straté­
gique, parce que, effectivement, les
gens ici sont à cran, et il y a effecti­
vement des gens qui disent : il fau­
drait foutre des bombes ». Si son
association Alda pratique la déso­
béissance civile, elle se définit
comme « profondément non vio­
lente, parce que c’est la stratégie la
plus efficace, ajoute­t­il.
La dernière opération retentis­
sante de désobéissance civile au
Pays basque a pris pour cible la
maison de famille de Bruno Le
Maire, à Saint­Pée­sur­Nivelle, le
11 juillet. Orchestrée par la plate­
forme politique EH Bai, le mouve­
ment de la gauche abertzale, elle
visait à obtenir un rendez­vous
avec l’entourage du ministre de
l’économie, pour le convaincre de
déplafonner la taxe sur les rési­
dences secondaires, dans le projet
de loi de finances 2023.
Les militants ont grimpé sur le
toit pour y retirer quelques tuiles
en brandissant une banderole « Ici,
déplafonnement en cours ». « Sa
mère l’a prévenu qu’elle avait du
monde sur le toit. Il a été hyper réac­
tif, raconte Nikolas Blain, adjoint
au maire à Uztaritze et coordina­
teur de EH Bai. La préfecture nous a
fixé un rendez­vous avec ses équi­
pes deux jours plus tard. » Le mou­
vement basque a remporté une
victoire très partielle : le projet de
budget 2023 adopté mercredi par
le biais du 49.3 ne prévoit pas de
déplafonnement, mais la possibi­
lité pour environ cinq fois plus de
communes d’appliquer la taxe ac­
tuelle sur les résidences secondai­
res et, parmi ces communes, celle
de Saint­Pée­sur­Nivelle.
« C’est de la réquisition »
Au cours de ces derniers mois, les
élus locaux ont décidé de ne plus
laisser libre cours à la loi du mar­
ché. L’agglomération a ainsi voté,
en mars, une mesure de compen­
sation très dissuasive, puisqu’elle
oblige les propriétaires de meu­
blés de tourisme des zones ten­
dues à produire, dans la même
ville, un bien sur le marché locatif
à l’année, pour compenser un lo­
gement transformé en location de
type Airbnb. Une mesure attaquée
par des propriétaires de locations
saisonnières, dont Laura. « On a
fait ça pour conserver le patri­
moine familial, mais si on ne peut
pas continuer à louer sur les plates­
formes, je vendrai la maison, au
meilleur prix, pour rembourser
france | 13
« Les gens ici sont
à cran, et il y a
effectivement des
gens qui disent :
il faudrait foutre
des bombes »
TXETX ETCHEVERRY
militant basque et
cofondateur d’Alda
mon emprunt, s’exclame­t­elle.
Donc pas à un local, mais à des
étrangers, comme aux Baléares.
C’est de la réquisition, ce sont les tri­
pes qu’on nous arrache, ce sont eux
qui vendent le Pays basque ! »
Le territoire vient par ailleurs de
se porter candidat au dispositif
d’encadrement des loyers. Il a en­
core obtenu la constitution fin
septembre d’un comité de lutte
contre les baux frauduleux, réu­
nissant les services de l’Etat et le
parquet de Bayonne, sous la hou­
lette du préfet des Pyrénées­At­
lantiques, pour lancer des procé­
dures pénales, administratives et
fiscales contre les arnaques au
faux bail étudiant ou mobilité.
D’autres batailles sont en cours.
Tous les élus veulent remettre en
cause, dans les zones tendues, le
régime fiscal très favorable dont
bénéficient certains propriétaires
de meublés de tourisme. Un avan­
tage datant des années 1970, lors­
que la France, désirant être la pre­
mière destination touristique au
monde, avait incité fiscalement
les Français à investir dans des lo­
gements saisonniers. Le député
socialiste des Pyrénées­Atlanti­
ques Iñaki Echaniz a déposé un
amendement en ce sens au projet
de loi de finances. Il a été rejeté.
Quant au parti abertzale EH Bai, il
défend un statut de résident, qui
nécessiterait d’avoir passé trois à
cinq ans au Pays basque avant d’y
accéder à la propriété. Une solu­
tion séduisante aux yeux de nom­
breux maires, qui la considèrent
toutefois anticonstitutionnelle.
Inquiet du mécontentement
qui monte, l’Etat pousse aussi à la
construction, notamment de lo­
gements sociaux, face à des élus
souvent peu pressés d’accorder
les permis de construire. « Les ci­
toyens ne veulent pas d’habitat
dense à côté de chez eux, justifie la
maire de Biarritz, Maider Aroste­
guy. Aujourd’hui le citoyen biarrot
porte en lui une haine de la densifi­
cation des années 1970, qui a
contribué à abîmer son cadre de
vie. Donc soit on fait des grandes
tours de dix étages pour loger les
gens, et ça, on ne veut plus le faire.
Soit on décide que, peut­être, tout
le monde ne peut pas venir habiter
partout en France. » p
véronique chocron

14 | france
A Nîmes, des « gilets
roses » veillent
au vivre­ensemble
Des femmes du quartier Valdegour ont lancé
ce collectif pour aider les jeunes en difficulté
nîmes ­ correspondante
C e matin­là, elles sont une
vingtaine autour de la
table, chasuble flashy sur
le dos. Leur objectif du jour : dres­
ser la liste de leurs compétences
et qualités. Fatima Saber « pos­
sède une grande dose de pa­
tience ». Jamila Saber, « c’est celle
qui est à l’écoute, pas stressée et
qui n’a pas peur de parler en pu­
blic ». De l’avis de toutes, Faïza
Leshaf est une oratrice hors pair,
« qui parle bien ». Et Stéphanie
Otsmane porte la casquette de
« leadeuse » : « Elle nous a toutes
motivées pour venir. » Beaucoup
plus discrète, Naima Hellal, la
« cuisinière » du groupe…
Toutes ces femmes n’ont pas
pour seul point commun leur
gilet rose. Elles sont nîmoises,
habitent le quartier sensible Val­
degour (14 % de la population au
chômage) et, ensemble, ont dé­
cidé d’agir en créant un collectif de
« gilets roses » pour, disent­elles,
« améliorer les conditions de vie ».
Apparu en 2019, à Corbeil­Es­
sonnes (Essonne), dans la cité des
Tarterêts, à l’initiative de mères
qui souhaitaient ramener le
calme après plusieurs nuits
d’émeutes, le mouvement des
« gilets roses » s’est depuis étendu.
Il existe dans une centaine de
quartiers populaires. En novem­
bre 2021, Nadia Hai, ministre délé­
guée à la ville sous le gouverne­
ment de Jean Castex, a créé un
fonds « gilets roses » pour soute­
nir cette démarche, dotée de
2 millions d’euros.
Maraudes dans les transports
A Nîmes, Jamila, Fatima, Stépha­
nie et les autres sont des figures
incontournables du quartier
depuis des années. Elles sont,
individuellement, engagées dans
les écoles, les associations, les
conseils de quartier, toujours pré­
sentes aux réunions de concerta­
tion, souvent capables d’interpel­
ler les candidats en campagne.
« Si on ne bouge pas, rien ne se
fera. Ça fait trop longtemps qu’on
voit notre quartier s’appauvrir, les
médecins partir, les collèges fer­
mer, les magasins disparaître »,
abonde Leila Laaraj, également
membre du collectif.
Le projet « gilets roses » a été
lancé, avec l’appui de Chloé De­
meulenaere, secrétaire générale
adjointe de la préfecture du Gard,
chargée de la politique de la ville,
qui leur octroie une enveloppe de
30 000 euros.
Le 11 octobre, elles ont com­
mencé une formation pour ap­
prendre à aborder les gens dans la
rue, savoir désamorcer des ten­
sions, et surtout se fixer des ob­
jectifs atteignables…
Réda Didi, de l’association Grai­
nes de France, qui suit huit collec­
tifs de « gilets roses » en France, les
accompagne et les aide « à se struc­
turer ». « Nous avons besoin de
savoir écouter les autres sans juger,
et il faut être bien informée pour
donner de bons conseils aux jeu­
nes, ou pour les orienter vers des
structures qui pourront les aider,
dit Jamila Saber.
Stéphanie Otsmane poursuit :
« Il faudra savoir estimer les diffi­
cultés d’une situation et ne pas
nous mettre en danger. » Pour
leurs premières actions, elles
envisagent de faire des maraudes
dans les transports, afin d’apaiser
de possibles tensions et in fine de
faire recirculer les bus après
18 heures dans le quartier.
Derrière cette dynamique
collective se cache un objectif qui
revient fréquemment dans les
conversations : « Notre priorité,
c’est la réussite scolaire de nos
enfants. Au collège, ils décrochent
à 13 ans. Ce n’est pas normal. Et
même quand ils réussissent, c’est
toujours difficile. Ici, nous avons
un réel problème. Nos enfants avec
master ne trouvent même pas de
stages non rémunérés », constate
Leila Laaraj. Farida Mamine a
vécu pendant plus de vingt ans à
Valdegour et vient de déménager
dans le centre­ville de Nîmes,
mais a décidé de s’investir dans
les « gilets roses ». « Ce sont mes
copines ! Je ne peux pas les laisser
tomber. Plus on sera nombreuses,
plus on fera parler de nous, plus on
fera tomber les barrières. » p
agathe beaudouin
Une ancienne enfant placée fait
condamner la France par la CEDH
France L. a été victime de violences sexuelles dans sa famille d’accueil
L La Cour a
a Cour européenne des
droits de l’homme
(CEDH) a condamné la
France, jeudi 3 novembre,
dans une affaire portée devant
elle par une ressortissante fran­
çaise, née en 1971 et placée de ses
5 ans à ses 20 ans en famille d’ac­
cueil en Tarn­et­Garonne.
France L. s’était adressée à la ju­
ridiction du Conseil de l’Europe
pour deux motifs principaux.
D’une part, se disant victime de
violences sexuelles au sein de sa
famille d’accueil pendant treize
ans, elle estimait n’avoir pas été
protégée par l’aide sociale à l’en­
fance (ASE). D’autre part, issue
d’une famille de confession mu­
sulmane, elle mettait en cause le
rôle des services de l’ASE, qui
n’ont pas fait respecter l’exigence
de neutralité religieuse théori­
quement requise pour les fa­
milles d’accueil, la sienne étant
membre des Témoins de Jéhovah.
Ayant échoué à faire reconnaître
par les juridictions nationales les
manquements de l’Etat et du dé­
partement, garants de la protec­
tion des mineurs confiés, France
L. faisait enfin valoir qu’elle
n’avait pas disposé d’un « recours
effectif » permettant d’examiner
la responsabilité de l’ASE, en rai­
son d’une mauvaise application
des règles de prescription.
Dans son arrêt, la CEDH revient
longuement sur le parcours de
l’ancienne enfant placée et sur
ses combats judiciaires. A l’âge de
5 ans, elle est donc confiée aux
services d’aide sociale à l’enfance
et placée dans une famille d’ac­
cueil. Elle y restera jusqu’à ses
20 ans, de 1976 à 1991.
De son arrivée à ses 17 ans, elle
est victime de « violences sexuel­
les » et d’« atteintes à la pudeur »
perpétrées par le père de sa fa­
Affaire Dupond­Moretti : les syndicats de
magistrats mettent en cause Didier Reynders
Les deux organisations majoritaires de la profession ont écrit à Ursula von der Leyen pour
faire part de leurs doutes sur « l’impartialité objective » du commissaire européen à la justice
J usqu’où la défiance des syndi­
cats de magistrats à l’égard
d’Eric Dupond­Moretti va­t­
elle les amener ? Dans un
courrier adressé le 21 avril à Ursula
von der Leyen, présidente de la
Commission européenne, et Vera
Jourova, vice­présidente de la
Commission et chargée de la
transparence et des valeurs, ils
mettent en doute « l’impartialité
objective » du commissaire euro­
péen à la justice, le Belge Didier
Reynders, dans sa capacité à exa­
miner « les graves atteintes à l’in­
dépendance de la justice française »
qu’ils dénoncent. Ces soupçons
sont basés sur « une certaine proxi­
mité entre M. [Nicolas] Sarkozy ou
ses proches, d’une part, et M. Reyn­
ders ou des membres de son parti
[Mouvement réformateur],
d’autre part », est­il précisé dans
cette lettre que Le Monde a lu.
Alors que le ministre de la justice
est maintenu en poste malgré une
mise en examen et un renvoi de­
vant la Cour de justice de la Répu­
blique (CJR) pour « prise illégale
d’intérêts », une situation inédite
sous la Ve République, le dialogue
avec les syndicats ayant déposé
plainte contre lui reste difficile.
Au moment où les deux syndi­
cats déposaient plainte auprès de
la Cour de justice de la Républi­
que, ils ont adressé, en octobre et
novembre 2020, deux courriers à
Didier Reynders pour attirer son
mille d’accueil, dénoncera­t­elle
en déposant plainte pour ces mo­
tifs des années plus tard, en 1999,
auprès du procureur de la Répu­
blique du tribunal de grande ins­
tance de Créteil. Avant cela, elle
tente d’alerter son entourage à
deux reprises au moins ; à l’âge
de 14 ans, elle se confie à une
membre des Témoins de Jého­
vah, et une nouvelle fois à l’âge de
23 ans, auprès d’un responsable
de la congrégation, ce qui donne
lieu à une confrontation entre la
jeune femme et le mis en cause,
qui conteste.
En revanche, entendu par la po­
lice après le dépôt de plainte, ce
dernier reconnaîtra partielle­
ment les faits, en les minimisant.
La plainte est classée sans suite
en février 2000, les faits étant
prescrits.
« Formalisme excessif »
La jeune femme n’abandonne
pas. Elle réitère en déposant une
nouvelle plainte un an plus tard,
avec constitution de partie civile.
Le père de la famille d’accueil est
mis en examen pour « viol sur
mineur par personne ayant auto­
rité », puis pour « agressions
sexuelles par personne ayant
autorité ». Mais, en raison des rè­
gles de prescription alors en vi­
gueur, une ordonnance de non­
lieu est finalement prononcée, en
septembre 2003.
C’est également pour des rai­
sons de prescription, et précisé­
ment à cause du choix de la date à
partir de laquelle elle courait, que
ses recours déposés devant le tri­
bunal administratif de Toulouse
pour obtenir réparation et faire
reconnaître la responsabilité de
l’Etat et du département (qui a la
charge de la protection de l’en­
fance à compter des lois de décen­
attention sur les procédures pré­
disciplinaires engagées par le
garde des sceaux à l’égard de ma­
gistrats avec qui il avait eu des dif­
férends quand il était avocat.
« Nous prenons bonne note des
préoccupations que vous expri­
mez », leur a écrit le commissaire
européen le 22 février 2021 dans
une réponse polie. Il leur précise
que la Commission « suivra atten­
tivement » la procédure devant la
CJR ainsi que les enquêtes disci­
plinaires à l’encontre des magis­
trats. Une réponse jugée insatis­
faisante par les responsables des
deux syndicats, qui en restent là.
Soupçon de connivence
Un an plus tard, en avril, ils déci­
dent de relancer la Commission
européenne en s’adressant direc­
tement à sa présidente. Cette let­
tre, signée par Kim Reuflet et Cé­
line Parisot, présidentes du Syndi­
cat de la magistrature (SM) et de
l’Union syndicale des magistrats
(USM), ajoute aux précédents
griefs de nouveaux éléments révé­
lant « les faiblesses structurelles des
garanties d’indépendance de la jus­
tice en France ». Elles se réfèrent
notamment à l’intervention de
M. Dupond­Moretti, révélée par Le
Monde, pour faire retirer début
2022 trois juges, dont le juge d’ins­
truction Serge Tournaire, de la liste
annuelle des nominations propo­
sées par les services du ministère.
considéré que
« les autorités
françaises ont
failli à leur
obligation
de protection
de la requérante »
tralisation de 1983) sont finale­
ment rejetés.
Dans son arrêt, la CEDH relève à
cet égard que « les juridictions na­
tionales ont appliqué une exi­
gence procédurale d’une manière
telle qu’elle a fait obstacle à l’exa­
men au fond de l’action de la re­
quérante ». Taclant le « forma­
lisme excessif » dont ont fait
preuve les juridictions françaises,
elle considère que le « droit au re­
cours effectif » de France L. n’a pas
été respecté dans cette affaire.
Mais c’est sur les défaillances
de la France en matière de protec­
tion à l’égard des enfants mi­
neurs qui lui sont confiés que
l’arrêt de la Cour est le plus élo­
quent. En 1988, France L. est hos­
pitalisée à la suite d’un « grave ac­
cident de la voie publique ». Elle
subit plusieurs interventions
chirurgicales, et sa famille d’ac­
cueil signifie alors par écrit son
souhait « qu’aucune transfusion
ou produit sanguin ne [lui] soit
administré lors de l’intervention
ou en postopératoire », ce qui
conduit à un signalement du per­
sonnel médical.
« Ce fait fut nécessairement
porté à la connaissance du service
de l’ASE », écrit la CEDH, sans qu’il
remette pourtant en cause le pla­
cement. Entendue lors de l’en­
« Ces faiblesses fragilisent notre
démocratie et l’Etat de droit en
France », conclut la missive. Les re­
présentantes syndicales deman­
dent en conséquence à la Commis­
sion européenne d’intervenir
pour « que ces atteintes à l’indépen­
dance ne puissent se renouveler ».
Plus surprenant, les signataires
souhaitent le dessaisissement du
commissaire à la justice. Dans ce
courrier de six pages rédigées en
trois parties, la première est intitu­
lée « Sur l’éventualité d’une réattri­
bution du dossier au sein de la
Commission ». Et l’on découvre
que l’USM et le SM soupçonnent
Didier Reynders d’une connivence
coupable avec Nicolas Sarkozy.
Mmes Reuflet et Parisot étayent
leurs soupçons de deux éléments,
« un article paru en 2013 dans La Li­
bre Belgique à l’occasion de la re­
mise de la Légion d’honneur à
M. Reynders par M. Sarkozy lui­
même ou encore d’un ouvrage
paru en Belgique au mois
d’avril 2021 (Le clan Reynders, [de]
Philippe Engels, Kennes Editions) ».
Or l’un des conflits d’intérêts re­
prochés au ministre français de la
justice était la procédure contre le
vice­procureur financier, Patrice
Amar, honni par l’ancien chef de
l’Etat. De plus, l’avocat de
M. Sarkozy, Thierry Herzog, est un
« ami intime d’Eric Dupond­Mo­
retti ». Résultat, lit­on dans cette
lettre, M. Reynders « se trouve en
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022
quête pénale pour viol, l’assis­
tante sociale chargée du suivi de
l’enfant se souvient bien d’une
« discussion sévère » avec la mère
de la famille d’accueil après
qu’elle eut appris son apparte­
nance à la congrégation des Té­
moins de Jéhovah, mais sans con­
séquence. La Cour souligne
d’ailleurs que l’ignorance, avant
cet épisode, des pratiques cultuel­
les de la famille et de l’enfant con­
vertie « révèle l’étendue de la ca­
rence du service de l’ASE dans le
suivi de ses conditions de vie ».
Autre exemple de « carences »
manifestes soulignées dans l’ar­
rêt : malgré un redoublement de
sa première année de classe pré­
paratoire et un « état de nervo­
sité » inscrits dans un compte
rendu lors de sa deuxième année
de placement, « aucun élément
produit ne permet de constater
que les agents du service de l’ASE
auraient effectué régulièrement
des entretiens individuels avec la
requérante », ou établi un quel­
conque échange avec l’établisse­
ment scolaire – ce que prévoit
pourtant la loi. En tout, seules six
visites ont été effectuées entre le
début du placement et l’accident
survenu en 1988, qui marque
aussi la fin des abus sexuels.
Au vu de tous ces éléments, la
Cour a donc considéré que « les
autorités françaises ont failli à leur
obligation de protection de la re­
quérante » contre les mauvais
traitements subis au cours de son
placement, de même qu’elles
n’ont pas mis en œuvre « les me­
sures nécessaires (…) afin de faire
respecter, par la famille d’accueil,
la clause de neutralité religieuse ».
Elle a condamné la France à verser
à France L. 55 000 euros au titre
du préjudice moral subi. p
solène cordier
situation de devoir apprécier l’exis­
tence d’un conflit d’intérêts dans
une affaire disciplinaire à la suite
d’une affaire judiciaire touchant
une personnalité dont il serait pro­
che. (…) Une situation pouvant ca­
ractériser un défaut d’impartialité
objective ». Un raccourci osé.
Céline Parisot se dit aujourd’hui
déçue de « la réponse purement
formelle » venue de Bruxelles mal­
gré « le sérieux » de la mise en cause
de Didier Reynders. « Concernant
vos commentaires sur l’organisa­
tion des travaux de la Commission
en matière d’Etat de droit, je peux
vous garantir qu’il s’agit d’un pro­
cessus collégial emprunt d’une to­
tale impartialité », écrit la vice­pré­
sidente, Vera Jourova, dans sa let­
tre de réponse datée du 2 juillet.
Dans son rapport annuel consa­
cré à « la situation de l’Etat de droit
en France », publié le 13 juillet, le
commissaire européen à la justice
mentionne la procédure concer­
nant Eric Dupond­Moretti enga­
gée devant la CJR ainsi que les pro­
cédures disciplinaires à l’encontre
des magistrats, sans les commen­
ter. En revanche, Didier Reynders
se montre préoccupé par la fai­
blesse structurelle des moyens af­
fectés par la France à la lutte con­
tre la corruption, ainsi que par
l’application des règles de trans­
parence à l’égard des « représen­
tants d’intérêts ». p
jean­baptiste jacquin
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022 | 15

La crise énergétique fragilise les agriculteurs
Beaucoup d’exploitants s’inquiètent pour leurs factures, alors qu’ils renégocient avec leurs fournisseurs

J
e suis de nature optimiste,
mais, cette année, j’ai des
moments de stress en pen­
sant à la facture énergéti­
que », témoigne Philippe
Bréhon, agriculteur à La Couture
dans le Pas­de­Calais. En cause, la
renégociation du contrat d’élec­
tricité pour la société Saveur
d’endives, qu’il possède avec son
frère et sa belle­sœur. Leur entre­
prise produit 3 000 tonnes
d’endives et emploie 48 salariés.
« La facture d’électricité a déjà
doublé en 2022, passant de
157 000 à 326 000 euros. EDF nous
propose un contrat de 1,058 mil­
lion d’euros sur douze mois ou de
800 000 euros par an sur vingt­
quatre mois à partir du 1er jan­
vier 2023 », explique M. Bréhon.
Le cas des endiviers fait partie
des plus épineux. Cette année,
contrairement à de nombreuses
cultures, dont les récoltes ont
été précoces après les épisodes de
fortes chaleurs et de sécheresse,
les racines sont restées un
peu plus longtemps en terre pour
tenter de gonfler un peu avec les
pluies salvatrices d’automne. « Le
vrai démarrage de la récolte se
fera lundi 7 novembre », précise
M. Bréhon.
Mais les racines, une fois
cueillies, sont immédiatement
placées en réfrigérateur, à 0 0C.
Elles sortiront au fil de l’eau pour
être mises en salle de forçage
pendant vingt et un jours, avant
de garnir régulièrement les
rayons des magasins jusqu’en
juin 2023. La culture de l’endive,
une spécificité des Hauts­de­
France, est devenue très éner­
givore en s’industrialisant. En
outre, sa consommation électri­ A La Ferme du plant d’endive, à Flers, dans la Somme, en novembre 2020. CONSTANCE DECORDE/HANS LUCAS
que coïncide avec les tarifs d’heu­
res d’hiver, les plus onéreux.
La conservation en chambre ret cette année, tout comme Ca­ parée, qui dépendra du dispositif contrat. Il est vrai que l’éleveur portations. « L’Espagne a prévu
froide concerne aussi les pom­ therine Decourcelle, présidente d’aide aux PME. « Pour l’instant, le breton passe par une négocia­
« Pour l’instant, d’étendre d’un millier d’hectares
mes de terre, ainsi que les pom­ de l’Association des producteurs plan d’aide du gouvernement reste tion collective au sein de l’Union le plan d’aide du sa production de tomates cet hi­
mes, égrenées au fil des mois d’endives de France, installée à encore flou », réagit M. Beaudet, des groupements de produc­ ver », dit M. Grandin.
dans les étals des supermarchés. Drouvin­le­Marais (Pas­de­Ca­ qui estime sa consommation an­ teurs de viande de Bretagne, qui
gouvernement Parfois, anticipant d’un an ou
Pour les serristes, l’enjeu est lais). Elle chiffre les malchanceux nuelle à 500 000 kWh, pour une représente quelque 2 000 comp­ reste encore deux la retraite, des producteurs
inverse, puisqu’il faut chauffer à un tiers des quelque 400 pro­ facture actuelle de 40 000 euros. teurs. « Nous attendons le dernier vont jeter l’éponge. « J’ai eu con­
pour accélérer la pousse des fruits ducteurs français. De quoi créer Elle correspond à la ventilation et moment, en espérant une baisse.
flou » naissance de trois arrêts d’activité.
ou des légumes. des distorsions de concurrence au à l’éclairage du bâtiment, ainsi Pour l’instant, les prix proposés YVES-MARIE BEAUDET Les agriculteurs cherchent à ven­
sein même des filières. qu’à l’alimentation des poules. représentent une multiplication président du Comité national dre leurs racines à d’autres », dit
« C’est une mauvaise loterie » Tous les agriculteurs concernés par 2,5, voire par 3 », précise pour la promotion de l’œuf Catherine Decourcelle.
Seul point commun : la facture par cette flambée de la facture « Prix multiplié par dix » M. Beaudet. Enfin, certaines filières agrico­
énergétique. Mais même dans ces énergétique – il faudrait aussi « Nous sommes dans le flou com­ Philippe Bréhon passe égale­ les ont une peur bleue de la cou­
filières les plus concernées par évoquer les éleveurs qui doivent plet », confirme un arboriculteur ment par une approche collec­ Difficile de savoir jusqu’à quel pure de courant. « Nous craignons
cette flambée des prix de l’éner­ chauffer leurs bâtiments, ou du Val­de­Loire, qui souhaite res­ tive au sein de la branche locale point le consommateur va suivre davantage la discontinuité du ré­
gie, tout le monde n’est pas logé à ceux qui pompent l’eau pour irri­ ter anonyme. Désireux d’assurer de la Fédération nationale des en cette période d’inflation, avant seau électrique que la hausse de la
la même enseigne. guer leurs champs – attendaient son approvisionnement, il a signé, syndicats d’exploitants agrico­ de décrocher et se tourner vers facture. Le mûrissement des bana­
« C’est une mauvaise loterie, ré­ beaucoup des mesures d’aide début septembre, un contrat de les, forte de ses 380 adhérents. des produits moins onéreux. nes dure cinq jours à une tempéra­
sume Daniel Sauvaître, arbori­ annoncées par le gouvernement. deux ans, au prix élevé de Les discussions sont dans la der­ Des agriculteurs pourraient ture comprise entre 13 0C et 18 0C »,
culteur en Charente et président La première ministre, Elisabeth 800 euros le MWh. A comparer nière ligne droite. faire des choix plus ou moins con­ déclare Philippe Pons, le prési­
de l’Association nationale pom­ Borne, a dévoilé, le 27 octobre, un aux 70 euros le MWh payé actuel­ « La question est de savoir si les traints. « J’avais déjà réduit, cette dent de l’Association interprofes­
mes poires. Un quart des entrepri­ plan doté de 12 milliards d’euros lement. « C’était une erreur, alors entreprises concernées vont survi­ année, de 20 % mes surfaces d’endi­ sionnelle de la banane.
ses de production de pommes et destiné à contenir les prix de que le marché spot [au jour le jour] vre ou non à ces niveaux de tarifs. ves, au profit du blé, après une très Les sucriers comme Tereos ou
de poires jouent de malchance et l’énergie pour les entreprises et est redescendu à 500 euros le MWh. Tout dépendra de leur capacité à bonne récolte 2021 dont je gardais Cristal Union ont choisi d’avancer
doivent renégocier leur con­ les collectivités. Si nous touchons entre 20 % et 25 % répercuter l’augmentation de des stocks », raconte M. Bréhon. le calendrier d’arrachage des
trat avant la fin de l’année. » La facture 2023 des PME concer­ d’aide, quand le prix est multiplié leurs charges sur leur prix. Or, le Les serristes français pour­ betteraves pour terminer leur
M. Sauvaître a tiré le bon numéro, nées sera découpée en deux. Une par dix, cela ne passe pas », dit l’ar­ marché des fruits et légumes est raient être amenés à retarder les broyage avant les grands froids et
puisqu’il est, a priori, couvert première partie (de 40 % à 60 %) boriculteur, déçu par le dispositif un marché d’offre et de de­ mises en culture des tomates, d’éventuels délestages. La ques­
jusqu’à la fin de 2023. sera facturée par les fournisseurs présenté par le gouvernement. mande », relève Laurent Grandin, des concombres ou des fraises tion de l’énergie a mis l’agricul­
« Un tiers des producteurs de au tarif avantageux de l’Accès ré­ D’autres, comme M. Beaudet, président d’Interfel, interpro­ pour limiter les coûts de chauf­ ture française sous tension. p
fraises sont concernés par la gulé à l’électricité nucléaire histo­ n’ont toujours pas signé leur fession des fruits et légumes. fage. Un appel d’air pour les im­ laurence girard
renégociation de leur contrat rique, l’autre sera exposée aux
d’électricité », affirme, de son côté, prix du marché, qui ont atteint des
Xavier Mas, producteur en Lot­et­
Garonne et président de l’Associa­
records ces derniers mois.
L’amortisseur prévoit que l’Etat
Ces fermes où le photovoltaïque limite la facture
tion d’organisations de produc­ prenne en charge jusqu’à 50 % de
teurs nationale Fraises. Il la partie de la facture d’électri­ « l’électricité est une matière pre­ 500 000 kilowattheure pour éclairer et ven­ ainsi couvrir 15 % de ses besoins en éner­
échappe, pour sa part, au coupe­ cité des entreprises exposées à la mière plus que nécessaire. On s’en rend tiler ses poulaillers, et alimenter ses vo­ gie. Il table sur une revente de près d’un
volatilité des marchés, lorsque le compte aujourd’hui », affirme Yves­Marie lailles. Il se dit prêt à en installer cinq autres, tiers de l’électricité produite, en particu­
prix facturé dépasse 325 euros le Beaudet, éleveur de poules pondeuses à pour réduire encore le volume acheté, voire lier en été, lorsque son activité est en
mégawattheure (MWh), avec un Landéhen (Côtes­d’Armor) et président du vendre une partie de l’électricité produite. pause. En effet, le cycle de production de
« J’ai eu plafond fixé à 800 euros le MWh. Comité national pour la promotion de Mais le projet représente un investisse­ l’endive s’étend habituellement de sep­
connaissance Selon le gouvernement, cela l’œuf (CNPO). Il n’a pas attendu la crise ment conséquent. « Chaque tracker solaire tembre à juin.
permettrait d’économiser jusqu’à énergétique qui secoue l’agriculture coûte 60 000 euros », précise M. Beaudet. Toutefois, pour réduire encore sa facture
de trois arrêts 120 euros par MWh. comme d’autres pans de l’économie pour énergétique, qui risque d’exploser à partir
d’activité. Les plus petites exploitations s’en préoccuper. Il y a six ans, il a décidé de Revente de janvier 2023, il a fait l’acquisition d’un
agricoles, dont la puissance élec­ réduire sa dépendance en misant sur le Philippe Bréhon, agriculteur à La Couture, groupe électrogène. « Cela représente un
Les agriculteurs trique ne dépasse pas le plafond photovoltaïque. dans le Pas­de­Calais, et coactionnaire de investissement de 80 000 euros. Je vais le
cherchent de 36 kilovoltampères (kVA), bé­ Plus précisément, il a installé cinq « trac­ la société Saveurs d’endives, a décidé de faire fonctionner quatre heures par jour, de
néficient, elles, du bouclier tari­ kers solaires », autrement appelés « sui­ sauter le pas. « En début d’année, avant 9 heures à 11 heures et de 18 heures à
à vendre faire. C’est le cas, par exemple, de veurs solaires », sur son exploitation. En même l’invasion de l’Ukraine par la Russie, 20 heures, soit pendant les heures de pointe.
leurs racines l’élevage de poules pondeuses bio l’occurrence des panneaux de 120 mètres nous constations une flambée du prix de Le coût du kilowattheure produit par le
d’Yves­Marie Beaudet, président carrés installés sur des mâts de 5 mètres de l’énergie. J’ai signé pour l’installation de groupe électrogène devrait être deux fois
à d’autres » de du Comité national pour la haut dont l’orientation évolue en fonction panneaux photovoltaïques sur les toits du moindre que celui acheté sous contrat », an­
CATHERINE DECOURCELLE promotion de l’œuf, installé à Lan­ de la trajectoire du soleil. bâtiment. Un investissement de ticipe M. Bréhon, qui regrette d’être obligé
présidente de l’Association déhen, dans les Côtes­d’Armor. « Je suis autonome en électricité à hauteur 350 000 euros », explique le producteur de recourir à une énergie fossile. Une
des producteurs Mais pas de son élevage de pou­ de 35 % », estime M. Beaudet, qui chiffre sa d’endives. Les panneaux devraient être en petite ombre au tableau solaire… p
d’endives de France les en plein air, entité juridique sé­ consommation annuelle totale à place mi­novembre. M. Bréhon espère l. gi.

18 | économie & entreprise
Chez Altice, la discrète ascension
de l’héritier David Drahi
Appelé à succéder à son père, Patrick, l’homme de 27 ans dirige déjà,
dans l’ombre, certaines opérations du groupe de télécoms et de médias
L
e 2 février, Patrick Drahi
n’est pas seul face à la
commission d’enquête
du Sénat sur la concentra­
tion des médias. Assis dans l’aile
gauche de la salle d’audience, trois
« Drahi boys », comme on sur­
nomme les fidèles de l’homme
d’affaires, accompagnent du re­
gard le président et propriétaire
d’Altice, la maison mère de l’opé­
rateur de télécoms SFR et des
chaînes RMC et BFM­TV. Arthur
Dreyfuss, patron des médias d’Al­
tice, les activités qui intéressent
les sénateurs, est évidemment là.
Grégory Rabuel, PDG d’Altice
France à l’époque – il sera remer­
cié en août –, est aussi présent.
Le troisième accompagnant
est le plus Drahi des trois
« boys » : il s’agit de David, l’un des
deux fils de Patrick. Le port obli­
gatoire du masque en cette cin­
quième vague de Covid­19 et sa
position dans la salle le rendent
presque invisible. Pourtant, sa
présence à cette audition éclaire
sur sa nouvelle stature dans un
groupe où il est appelé à prendre
la suite de son père. Quelques
semaines plus tard, en mars, il
sera nommé codirecteur général
d’Altice Europe, chargé des tech­
nologies et du développement.
Sa nomination s’est faite discrè­
tement, au milieu d’une série
d’autres promotions, comme s’il
ne fallait pas donner plus d’im­
portance à cette prise de fonc­
tions qu’à une autre. Le moment
est pourtant bien choisi, vingt
ans après l’acquisition par Pa­
trick Drahi et son fidèle bras
droit, Armando Pereira, d’un pre­
mier câblo­opérateur en Alsace,
sur lequel ils bâtiront Altice.
« Vingt ans, c’est une génération :
il est temps maintenant de com­
mencer la transition vers la géné­
ration suivante », explique le fon­
dateur d’Altice dans un e­mail
réservé à ses salariés, alors que
d’autres dirigeants auraient aimé
mettre en scène leur succession
filiale, photos et interview à
l’appui. La famille Drahi, elle,
fuit l’exposition médiatique.
David Drahi, qui n’a pas sou­
haité répondre à nos questions,
aurait d’ailleurs préféré que Le
Monde ne s’intéresse pas à lui.
Mais voilà, avec ses nouvelles
Tous ceux
qui ont croisé
le futur patron
s’accordent
à reconnaître
ses compétences
scientifiques
fonctions, le jeune dirigeant de
27 ans doit sortir de l’ombre de
son père. Depuis plusieurs mois,
il se montre d’ailleurs plus sou­
vent au siège d’Altice, dans le
15e arrondissement de Paris. Un
cadre historique de l’entreprise le
« croise fréquemment au 7e étage,
celui de la présidence ». David
Drahi mène des réunions avec les
cadres et négocie des contrats. Pa­
trick Drahi n’hésite pas à confier à
son fils des missions stratégiques.
David a ainsi personnellement
négocié ces derniers mois la créa­
tion d’une société commune avec
l’opérateur de télécoms britanni­
que Vodafone pour investir dans
la fibre optique en Allemagne.
Un projet de près de 7 milliards
d’euros, central dans le dévelop­
pement européen d’Altice. « Il y a
mis beaucoup d’engagement per­
sonnel », relate un témoin des
négociations. David Drahi est allé
jusqu’à passer quarante­huit heu­
res non­stop chez le notaire alle­
mand pour s’assurer de la bonne
signature du contrat, officialisé
le 17 octobre. En plus de ses fonc­
tions chez Altice Europe, il est
aussi administrateur de la société
cousine américaine, Altice USA, et
de la filiale Altice Portugal.
Comme ses sœurs aînées, An­
gelina et Graziella, et son frère ju­
meau, Nathan, David Drahi est
tombé très tôt dans la marmite
Le fondateur
n’a jamais
caché sa volonté
de transmettre
son empire
à ses quatre
enfants
des affaires. Leur père profite des
introductions en Bourse, en 2013
et 2014, de Numericable puis
d’Altice, pour familiariser ses en­
fants à la recette du rachat par
endettement (leveraged buy­out,
LBO), la potion magique avec la­
quelle il a bâti son groupe.
Patrick Drahi n’a jamais caché
sa volonté de transmettre son
empire à ses quatre enfants. Ils
sont programmés pour ça, cha­
cun sur leur territoire. Après un
passage chez Altice USA comme
data scientist, Angelina, l’aînée
de la fratrie, dirige depuis
juillet 2021 la fondation israé­
lienne créée par Patrick et sa
femme, Lina. Sa sœur Graziella
poursuit son apprentissage chez
Altice USA, à New York. Quant à
Nathan, après des passages dans
la finance, notamment chez
J.P. Morgan, il gravit les échelons
à Hongkong, chez Sotheby’s,
autre propriété de Patrick Drahi.
« Statut pas évident »
Fils à papa ? David Drahi
n’échappe évidemment pas à la
critique. L’ascension est plus ra­
pide quand vous êtes le descen­
dant du patron. Ce lien de parenté
joue aussi dans ses relations avec
les autres dirigeants du groupe, et
sa jeunesse l’oblige parfois à trop
en faire pour imposer son auto­
rité. « David peut être cassant »,
confie un cadre d’Altice. « Patrick
Drahi n’est pas un tendre, mais il
sait être drôle et chaleureux pour
faire passer ses décisions. David n’a
pas ce talent », poursuit un autre.
« Son statut de “fils de…” n’est pas
évident. Il est encore plus scruté
que n’importe quel autre dirigeant
et tout le monde a tendance à
surinterpréter ses silences ou ses
paroles », défend un témoin privi­
légié de son adoubement progres­
sif. Tous ceux qui l’ont croisé
s’accordent en revanche à recon­
naître ses compétences scientifi­
ques. Après un bachelor en scien­
ces à l’Ecole polytechnique fédé­
rale de Lausanne, en Suisse, où il a
grandi, David Drahi suit un mas­
ter en optique à l’Imperial College
de Londres, puis obtient un docto­
rat au Keble College de l’université
d’Oxford, au Royaume­Uni.
Publiée en 2019, sa thèse est
consacrée aux « applications pra­
tiques de l’optique quantique ».
Pour ce travail, il passe un an et
demi à Moscou, au Russian
Quantum Center, un centre
scientifique et technologique fi­
nancé notamment par la fonda­
tion Skolkovo, structure lancée
par le Kremlin au début des an­
nées 2010 pour faire émerger
une « Silicon Valley » russe. En
écrivant sa thèse, il sait déjà que
son futur est chez Altice.
« Merci de m’avoir appris tant de
choses (…), j’attends avec impa­
tience nos glorieux jours à venir »,
écrit­il à son père dans ses remer­
ciements. Le prétendant devra pa­
tienter un peu. Si, dans les cou­
loirs d’Altice, on se demande si
le coup de balai estival à la tête
de l’opérateur ne serait pas une
façon de préparer la place pour le
dauphin désigné, Patrick Drahi, à
59 ans, reste solidement aux com­
mandes. « Il n’y en a encore qu’un
seul qui décide », dit en souriant
un bon connaisseur des Drahi. p
olivier pinaud
Le contrôle technique
des motos et scooters
embarrasse l’exécutif
La justice somme l’Etat de rendre obligatoire
une inspection des deux­roues motorisés
L e samedi 5 novembre, les
habitants de la très cossue
avenue Foch, à Paris, béni­
ront leurs triples vitrages. A
14 heures, l’heure de la sieste, la
section Paris et petite couronne
de la Fédération française des
motards en colère (FFMC) appelle
ses adhérents à manifester
bruyamment, en usant non
seulement du vrombissement de
leurs moteurs, mais aussi de « sif­
flets et casseroles ».
Officiellement, le mot d’ordre
de la manifestation dénonce le
stationnement payant pour les
deux­roues motorisés, en vi­
gueur depuis le 1er septembre
dans la capitale. Mais sur la page
Facebook de l’association, les
commentaires des adhérents ne
laissent planer aucun doute : ils
entendent également protester
contre le « racket » que constitue­
rait, selon eux, un contrôle tech­
nique imposé à leurs engins.
Les deux­roues motorisés, ainsi
que les voiturettes que l’on peut
conduire sans permis, sont en
effet exemptés du contrôle auquel
doivent se soumettre tous les
deux ans, depuis 1996, les proprié­
taires de voitures particulières. Or,
le Conseil d’Etat, saisi par trois
associations, Ras le scoot, Respire
et Paris sans voiture, a décidé,
lundi 31 octobre, que la France ne
pouvait échapper à cette régle­
mentation imposée par une direc­
tive européenne de 2014.
Selon l’Observatoire national
interministériel de la sécurité
routière, 820 usagers de deux­
roues motorisés sont morts sur la
route en 2019, soit 23,4 % des per­
sonnes décédées dans un acci­
dent de circulation, « alors que
leur part estimée dans le trafic rou­
tier est à moins de 2 % ».
« Mesures alternatives »
L’arrêt de la juridiction adminis­
trative signe un énième rebondis­
sement. Le 11 août 2021, quelques
mois avant l’échéance du 1er jan­
vier 2022 prévue par la directive, la
France transposait enfin le texte
européen, par un décret instau­
rant un contrôle technique pour
les deux­roues de plus de 50 cm3,
c’est­à­dire les motos et les scoo­
ters. Dès le lendemain, Emmanuel
Macron réclamait la suspension
du décret, avec une formule attri­
buée à Georges Pompidou : « Ce
n’est pas le moment d’embêter les
Français », en tout cas ceux qui
possèdent l’un des 2,7 millions
d’engins en circulation.
Il avait fallu attendre presque un
an, le 26 juillet, pour qu’un décret
abroge celui d’août 2021. Le gou­
vernement promettait alors des
mesures destinées à réduire l’insé­
curité routière liée aux deux­roues
motorisés : réforme du permis de
conduire, obligation du port
d’équipements de sécurité, amé­
lioration des infrastructures ou
campagnes de sensibilisation.
Mais, pour le Conseil d’Etat, ces
annonces ne suffisent pas.
ÉN ERG IE
EDF baisse
son estimation de
production nucléaire
La production nucléaire fran­
çaise devrait atteindre en­
tre 275 et 285 térawattheures
(TWh) en 2022, a annoncé
EDF, jeudi 3 novembre, con­
tre une prévision de 280 et
300 TWh, établie précédem­
ment. Cette révision s’expli­
que par un arrêt plus long
que prévu de quatre réac­
teurs pour corrosion, et par
un mouvement social qui a
affecté la maintenance des
centrales en octobre. – (AFP.)
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022
La Commission
européenne
serait fondée
à saisir la Cour de
justice de l’Union
européenne
En quoi consistera un contrôle
technique des motos et des scoo­
ters ? « On ne sait pas, c’est une
feuille blanche », répond Didier Re­
noux, de la FFMC, qui continue de
plaider pour des « mesures alter­
natives ». Les « motards en colère »,
qui revendiquent 10 000 adhé­
rents, sont notamment favorables
à « des contrôles routiers par les for­
ces de l’ordre, comme cela se fait au
Danemark », précise M. Renoux.
Au contraire, « on sait assez bien
à quoi ressemblera un contrôle
technique », affirme Camille Mia­
lot, avocat des associations plai­
gnantes : « Dans une annexe, la di­
rective de 2014 décrit tous les
points de contrôle. » Y figurent no­
tamment l’identification du véhi­
cule, les équipements de freinage,
la direction, la visibilité, l’éclai­
rage, les pneumatiques, ou les
nuisances émises par le véhicule.
En pratique, l’opération devrait
ressembler à celle que connais­
sent bien les automobilistes,
« tous les deux ou trois ans, dans
un centre agréé, pour un montant
de 40 à 60 euros », selon l’avocat.
Un peu moins, donc, que le con­
trôle automobile, facturé entre
70 et 100 euros en moyenne. En
Belgique, le contrôle instauré à
partir de 2023, qui s’appliquera
lors de la revente ou en cas d’acci­
dent, coûtera un prix forfaitaire
de 48,50 euros. Par comparaison,
« le prix de l’une des motos les plus
vendues en France, un modèle de
BMW, atteint les 19 000 euros »,
observe Tony Renucci, directeur
général de l’association Respire.
Il convient de ne plus traîner,
précise Camille Mialot : « Le délai
de transposition a expiré le 1er jan­
vier 2022 » et la Commission euro­
péenne serait fondée, si la France
rechignait encore à appliquer la
mesure, à saisir la Cour de justice
de l’Union européenne d’un re­
cours en manquement.
Pour l’heure, le gouvernement
tranche en faveur d’un contrôle
« le moins pénalisant possible
pour les usagers » des deux­roues
motorisés, comme l’a affirmé le
ministre des transports, Clément
Beaune, le 1er novembre, sur
France 2. La FFMC, les organismes
de sécurité routière et les associa­
tions plaignantes ont été invités à
une « concertation », qui com­
mence vendredi 4 novembre.
Quelles que soient les modalités
adoptées, le contrôle ne devrait
toutefois pas être mis en place im­
médiatement. Les 6 000 centres
agréés doivent, dans un premier
temps, former leurs salariés. p
olivier razemon
CO NJO N CTU RE
France : la production
industrielle en recul
La production industrielle
a baissé de 0,8 % en France
en septembre, après avoir
rebondi de 2,7 % en août,
a rapporté l’Insee, vendredi
4 novembre. Cette baisse
est due à un repli « dans la
plupart des grandes bran­
ches », et en particulier dans
la production automobile,
qui a connu un recul de 5,5 %
après un « mois d’août très
dynamique » (+ 16,4 %),
a détaillé l’institut
de la statistique.
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022 économie & entreprise | 19

PERTES & PROFITS | ARCELORMITTAL
L’hôtellerie­restauration soutient par je an­mi che l bezat

la régularisation de sans­papiers Orage sur l’acier

Le projet du gouvernement d’un titre de séjour « métiers en tension » est Un haut­fourneau qui s’arrête,
ce n’est jamais un bon symbole.
salué par un secteur qui fait face à de graves difficultés de recrutement Surtout dans un pays comme la
France, où les industries lourde
et manufacturière peinent à re­
monter plus de vingt ans d’aban­
par trois, pour tomber à 672 dol­
lars (687 euros). Et la récession
qui se profile pour 2023 assom­
brit les perspectives des sidérur­
gistes, fournisseurs de l’industrie
automobile et du bâtiment. Le

I
l y a quelques mois, Antoine
Puillon, propriétaire des
Garçons du Port, un hôtel­
restaurant de l’île de Groix
(Morbihan), a rencontré Hor­
tense, originaire du Burkina Faso.
Elle souhaitait travailler comme
femme de chambre dans son hô­
tel, le courant était bien passé.
« On avait vraiment besoin de
l’embaucher. C’est devenu la croix
et la bannière pour trouver des
gens. Elle n’avait pas de papiers en
règle, alors on a commencé à re­
garder les démarches. C’était d’une
complexité extrême. C’était risqué
pour nous, risqué pour elle, et très
aléatoire : on a laissé tomber », ex­
plique le patron breton.
La possibilité d’obtenir un titre
de séjour « métiers en tension »,
annoncée par les ministres de
l’intérieur, Gérald Darmanin, et
du travail, Olivier Dussopt, mer­
credi 2 novembre, dans un entre­
tien au Monde, aurait­elle changé
la vie d’Hortense, si elle avait
existé en 2022 ? Cette proposition,
qui devrait concerner certains
métiers en pénurie de
main­d’œuvre, fera l’objet de con­
certations « dès le mois de novem­
bre », a expliqué le ministre du
travail. Elle pourrait figurer dans
le projet de loi sur l’immigration
porté par le gouvernement, qui
doit être examiné début 2023. Ce
« que nous proposons, c’est de
mettre fin à une forme d’hypocri­
sie », a indiqué le ministre.
Dans le secteur de l’hôtellerie­
restauration, le patronat a ac­
« Si on peut
mettre à plat les
choses, arrêter
tout ce trafic,
ce sera bien »
LAURENT DUC
Union des métiers et
des industries de l’hôtellerie
cueilli avec soulagement cette
possibilité, qui concernerait des
personnes déjà présentes sur le
territoire. A l’instar du bâtiment,
autre secteur « en tension », les
cuisines des restaurants ou les
couloirs des hôtels emploient de
nombreux travailleurs sans pa­
piers, déclarés ou non. « Si on peut
mettre à plat les choses, arrêter
tout ce trafic, ce sera bien. Plus gé­
néralement, nous défendons l’idée
d’une immigration choisie, cen­
trée sur des métiers dont nous
avons besoin », affirme Laurent
Duc, à la tête de la branche hôtel­
lerie de l’Union des métiers et des
industries de l’hôtellerie.
« Grande démission »
« Pour que notre secteur continue
de fonctionner, il faut régulariser
ces personnes, qui sont bloquées
dans leur évolution et vivent des si­
tuations difficiles. Parfois, après
plusieurs années dans un restau­
rant, certains disent à leur em­
ployeur : en fait, cette pièce d’iden­
tité ne m’appartient pas, je vou­
drais être régularisé. En général, les
patrons les accompagnent, mais
c’est très long, incertain », raconte
Franck Trouet, du Groupement
national des indépendants de
l’hôtellerie et de la restauration.
Si ces organisations patronales
applaudissent, c’est que le secteur
est confronté à des problèmes de
recrutement sans précédent, qui
s’ajoutent à la flambée des coûts
des matières premières, de l’éner­
gie, aux difficultés pour rembour­
ser les prêts garantis par l’Etat…
Pour l’année 2022, les em­
ployeurs de l’hôtellerie­restaura­
tion auront eu besoin d’embau­
cher 360 000 personnes, soit 23 %
de plus que l’année précédente,
selon l’enquête annuelle « Be­
soins en main­d’œuvre » de Pôle
emploi. La majorité de ces recru­
tements sont estimés « difficiles »
par les recruteurs, en particulier
pour les serveurs et les cuisiniers.
Faute de trouver du personnel,
des établissements ont cessé
d’ouvrir certains jours, réduit le
nombre de tables…
Ces difficultés n’ont rien de pas­
sagères. Tous le constatent : de­
puis le début de la pandémie de
Covid­19, en 2020, de nombreux
travailleurs de l’hôtellerie­restau­
ration ont bifurqué vers d’autres
métiers, participant d’un phéno­
mène appelé la « grande démis­
sion ». « En prenant du recul, ils se
sont rendu compte des conditions
très difficiles propres à notre sec­
teur, avec du travail le week­end, le
soir, des coupures en milieu de
journée, qui peuvent impliquer des
trajets longs et fatigants. Pendant
la pandémie, ils ont passé du temps
en famille, se sont formés, ont réflé­
chi à leur carrière… Et ils ont vu que
leur CV avait de la valeur ailleurs »,
constate Franck Trouet.
« Nous sommes des métiers
abandonnés », résume Alain Fon­
taine, patron d’une brasserie du
quartier de l’Opéra, à Paris, qui a
vu récemment partir six salariés
pour d’autres horizons. En outre,
l’augmentation des prix de l’im­
mobilier dans les zones touristi­
ques, à la montagne ou sur le lit­
toral, contribue à tendre le mar­
ché. « Si les gens ne peuvent plus se
loger, ils s’en vont », résume An­
toine Puillon, qui, sur son île bre­
tonne, a dû louer deux maisons
pour héberger certains saison­
niers. « Et au niveau des salaires,
j’essaie d’être cohérent. Un cuisi­
nier, chez moi, c’est 2 600 euros
nets logé », explique­t­il.
Une nécessité pour rester dans
la course. Car en réalité, si le sec­
teur est « abandonné », c’est aussi
parce qu’il concentre énormé­
ment d’abus. « Il ne faut pas se voi­
ler la face : ce sont des métiers où il
y a beaucoup d’heures supplémen­
taires non payées, des modes d’or­
ganisation où tu ne peux pas avoir
de vie à côté, des patrons qui paient
mal leurs salariés », juge Antoine
Puillon. Si de nouvelles grilles de
salaire ont été adoptées il y a quel­
ques mois, celles­ci restent peu at­
tractives, au vu des contraintes.
Chef cuisinier de 46 ans, en re­
cherche d’emploi en métropole
après quelques années à La Réu­
nion, Grégory Lefevre voit surtout
passer des offres à « 2 000 euros
net » avec travail le midi, le soir et
le week­end, et des coupures de
plusieurs heures dans l’après­
midi. « C’est vraiment pas cher
payé pour des semaines de cin­
quante heures, et un rythme qui
empêche d’avoir une vie de fa­
mille », estime­t­il.
Le recours à des travailleurs
étrangers, avec un nouveau titre
de séjour « métiers en tension »,
ne résoudrait pas le problème de
l’attractivité de ces métiers.
« Dans ce domaine, où les patrons
ne sont pas toujours très vertueux,
vous pensez qu’un étranger qui a
obtenu ce type de titre de séjour
temporaire va négocier son salaire
ou contacter le syndicat ou l’ins­
pection du travail s’il y a un
abus sur les horaires ? Cela risque
de tirer le secteur vers le bas », es­
time Pascal Pedrak, secrétaire gé­
néral CFDT hôtellerie­restaura­
tion pour l’Ile­de­France. Alain
Fontaine, patron d’une brasserie
parisienne, le reconnaît volon­
tiers : « Il faudra que cette nouvelle
mesure soit bien encadrée pour
éviter l’esclavagisme social. » p
jessica gourdon
UN HORS-SÉRIE
HORS-SÉRIE
don et de délocalisations. Le
sidérurgiste ArcelorMittal a dû se
résoudre à suspendre l’activité
d’un des deux en service à Fos­
sur­Mer (Bouches­du­Rhône)
tant que les conditions de mar­
ché ne permettront pas de le
relancer, a­t­il annoncé, jeudi
3 novembre. L’usine, qui emploie
2 500 salariés, n’est pas la seule
du groupe touchée.
A Dunkerque (Nord), un des
trois hauts­fourneaux est à l’arrêt
pour maintenance, et deux
autres, en Allemagne et en Espa­
gne, ne fonctionnent plus depuis
deux mois. Contrairement à
d’autres secteurs, la flambée des
prix de l’énergie n’est pas seule en
cause. Perspectives macroécono­
miques dégradées, hausse des
importations d’acier en Europe et
fort ralentissement de la consom­
mation de la Chine, qui a absorbé
90 % de la croissance de la de­
mande au cours des vingt derniè­
res années, se conjuguent pour
freiner la production mondiale.
Celle­ci a baissé de 5,4 % au pre­
mier semestre par rapport aux
six premiers mois de 2021, et de
5,6 % en Europe. Le cabinet
Jefferies estime que les capacités
européennes sont déjà réduites
d’environ 20 %. Après une sortie
de crise sanitaire qui avait pro­
pulsé la tonne d’acier à près de
2 000 euros, son prix a été divisé
patron du groupe suédois SSAB,
Martin Lindqvist, s’attend à de
nouvelles réductions de capaci­
tés sur le Vieux Continent.
La transition remise en cause
Mais il y a plus grave : c’est la
transition énergétique du sec­
teur qui est remise en cause par
la flambée des prix de l’électri­
cité et du gaz. Les grands grou­
pes présents en Europe étaient
d’accord pour passer des hauts
fourneaux, ces « cathédrales de
feu » gourmandes en charbon,
au procédé de « réduction di­
recte » fonctionnant au gaz et
émettant deux fois moins de
CO2. Cette perspective est hypo­
théquée par la multiplication
par cinq à dix des prix du mé­
thane depuis la fin février et le
début de la guerre en Ukraine.
Pour alimenter un complexe
sidérurgique, il faudra alors pous­
ser un scénario aussi vertueux
qu’incertain : l’hydrogène vert,
produit à partir d’électricité re­
nouvelable ou nucléaire. Arcelor­
Mittal n’y renonce pas. Au
moment où il annonçait l’arrêt
temporaire à Fos, il dévoilait un
investissement de 25 millions de
dollars dans la société TerraPower
du milliardaire américain Bill
Gates, à travers son fonds XCarb
Innovation, destiné à financer
des technologies de rupture. p

Chez Twitter, Elon Musk lance

les licenciements… par courriel

A 9 heures (heure du Pacifique), le ven­

dredi 4 novembre, tout le monde rece­
vra un e­mail avec comme sujet : votre
rôle à Twitter. (…) Si votre emploi n’est pas im­
pacté, vous recevrez une notification sur votre
adresse chez Twitter. Sinon sur votre adresse
personnelle. » Les quelque 7 000 employés du
réseau social racheté par Elon Musk ont reçu
ce courrier électronique jeudi 3 novembre,
quelques heures avant que l’entreprise ne
lance un vaste processus de licenciements. La
méthode illustre le style expéditif, voire bru­
tal, du patron de Tesla et SpaceX, qui a acquis
l’entreprise une semaine plus tôt.
« Pour assurer la sécurité des employés, ainsi
que des systèmes informatiques et des données
des clients, nos bureaux seront temporaire­
ment fermés et tous les badges d’accès suspen­
dus. Si vous êtes dans un bureau ou sur le che­
min pour vous y rendre, rentrez s’il vous plaît
chez vous », détaille la direction, qui justifie le
recours au licenciement par courriel par le
grand nombre de salariés en télétravail. Les
salariés se voient aussi intimés de ne pas
communiquer à l’extérieur avec les médias
ou sur les réseaux sociaux.
L’ampleur exacte de la « charrette » de dé­
parts contraints n’était pas encore connue
dans la nuit de jeudi à vendredi. Depuis quel­
ques semaines, les employés ont vu défiler
dans la presse de nombreuses prédictions
contradictoires, mais toutes impressionnan­
tes : 75 % de l’ensemble des salariés, puis 25 %.
Jeudi, l’agence Bloomberg prévoyait que la
moitié des effectifs seraient remerciés. Le
Wall Street Journal, lui, évoquait une four­
chette de 2 000 à 3 700. Certes, les licencie­
ments aux Etats­Unis peuvent être immé­
diats, et les effectifs de Twitter sont passés de
5 500 à 7 500 employés entre fin 2020 et fin
2021, malgré des déficits de résultats, chroni­
ques depuis la création de l’entreprise. Cer­
tains salariés de cette ex­start up de la Silicon
Valley rappellent aussi être bien mieux lotis
que beaucoup de travailleurs d’autres sec­
teurs. Il n’empêche, la méthode Musk secoue. LES DIEUX DE L’ÉGYPTE ANCIENNE
« Des sbires de Tesla pren­
nent des décisions sur des
gens dont ils ne savent rien
LA MÉTHODE 
à part le nombre de lignes ILLUSTRE LE 
de codes produites. C’est
complètement absurde », a STYLE EXPÉDITIF
tweeté, dimanche, Taylor
Leese, le directeur d’une
DU PATRON
équipe d’ingénieurs licen­ DE TESLA
LES SECRETS DE L’ÉGYPTE ANCIENNE DÉVOILÉS
cié. L’arrivée de M. Musk
est peu appréciée par les
employés de Twitter. Près de 587 ont démis­
sionné au cours du troisième trimestre, soit
une hausse de 60 %. A peine arrivé, Elon Musk A l’occasion des 100 ans de la découverte de la tombe de Toutankhamon,
a limogé tous les hauts dirigeants, et lancé des «Le Monde» vous propose de redécouvrir l’histoire fascinante
chantiers ultra­urgents à accomplir en quel­
ques jours, quitte à dormir au bureau. des principaux dieux de la mythologie égyptienne.
Il voudrait révoquer le télétravail et réduire Un hors-série de 124 pages richement illustré de peintures, d’objets,
la modération des contenus, au nom de la li­
berté d’expression. En signe de refus, des sala­
d’infographies et de photographies de lieux pour certains disparus.
riés ont lancé devant un tribunal fédéral de
San Francisco un recours collectif contre les CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX ET SUR LEMONDE.FR/BOUTIQUE
licenciements, qui ne respecterait pas les lé­
gislations californienne et fédérale sur la du­ 124 PAGES - 9,99 €
rée des préavis. Visé par une plainte similaire
chez Tesla après avoir supprimé 10 % des
effectifs, M. Musk l’avait jugée « triviale ». p
alexandre piquard
 0123
20 | économie & entreprise SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022

SUÈDE

Hanhikivi
FINLANDE
RUSSIE
Olkiluoto

Helsinki
250 km

olkiluoto (finlande) ­
envoyée spéciale

T
out vient à point à
qui sait attendre. Et,
dans le cas de l’EPR
finlandais, il a fallu
patienter longue­
ment. Très longue­
ment. Au point que cela en de­
vienne un sujet de plaisanterie
dans les ministères à Helsinki, où
on se demandait, sur le ton de la
boutade, si le réacteur, bâti par le
consortium Areva­Siemens, fini­
rait un jour par produire de l’élec­
tricité. « J’ai été nommé responsa­
ble de l’énergie nucléaire au minis­
tère de l’industrie en 2005. Le chan­
tier venait de commencer et on
m’avait dit qu’OL3 serait inauguré
quatre ans plus tard », raconte Riku
Huttunen, aujourd’hui directeur
général du département de l’éner­
gie au ministère de l’économie.
On peut donc imaginer le soula­
gement qui a accueilli cet instant, Turbine du réacteur nucléaire finlandais Olkiluoto 3, le 27 septembre. ALESSANDRO RAMPAZZO POUR « LE MONDE »
le 30 septembre, quand, pour la
première fois, ses immenses tur­
bines se sont mises à tourner à
plein régime. Pendant quelques
jours, OL3 est devenu le réacteur le
plus puissant d’Europe et le troi­
PLEIN CADRE
sième du monde, derrière ses ho­
mologues chinois de Taishan, avec
une capacité de production de
1 650 mégawatts (MW), soit l’équi­
valent de 14 % de la consomma­
tion finlandaise.
L’interminable saga qui pourra être mise à profit sur le
chantier de Flamanville.
Pour TVO, la note est salée :
5,7 milliards d’euros, au lieu des
Mais voilà : depuis la mi­octo­
bre, il est de nouveau à l’arrêt et sa
mise en service commerciale, an­
noncée pour début décembre, a
été reportée. Selon l’opérateur
de l’EPR finlandais 3,4 milliards initialement prévus,
sans compter le manque à gagner
en matière d’électricité non pro­
duite pendant treize ans et les in­
térêts de la dette souscrite par le
Teollisuuden Voima Oyj (TVO),
« des dommages ont été détectés
Alors que la mise en service commerciale de l’EPR finlandais était groupe. Le coût final d’OL3 n’a pas
été révélé, mais le rapport 2019
dans les composants internes des
pompes d’eau d’alimentation, si­
prévue début décembre, elle va être reportée à cause d’anomalies sur l’énergie nucléaire mondiale
mentionnait 11 milliards d’euros.
tuées sur l’îlot de la turbine, lors de
travaux de maintenance et d’ins­
au niveau des turbines. Le chantier a désormais treize ans de retard Face à la hausse des prix de
l’électricité – de 28 euros le mé­
pection ». Il s’agit de « fissures lon­ gawattheure en 2020 à bien plus
gues de plusieurs centimètres », de 100 euros en 2022 en Finlande
dont l’origine est pour le moment –, la rentabilité du réacteur s’an­
inconnue, précise TVO, dans un nous traite comme des héros. » cléaire, il a fallu attendre qu’il pro­ ment dans sa composition et fus­ « C’était nonce meilleure que prévu. Mais
communiqué publié le 27 octobre. Lors du raccordement d’Olki­ duise de la vapeur pour tester les tige « l’incompétence du construc­ « cela reste un projet extrêmement
Sur la péninsule d’Olkiluoto, à luoto 3 au réseau national le turbines », explique le porte­pa­ teur ». Plus tard, des microfissures
un nouvel objet coûteux, avec de gros risques fi­
270 kilomètres au nord­ouest de 12 mars, le site Internet de l’opéra­ role de TVO. découvertes sur les tuyaux du cir­ technique, nanciers », constate M. Poikola.
Helsinki, pas question, pour teur a enregistré des records de Quand l’électricien finlandais a cuit de refroidissement provo­ Après l’abandon d’OL4 en 2019,
autant, de se laisser abattre. A fréquentation. Chaque jour, TVO choisi l’EPR d’Areva NP­Siemens à quent un nouvel arrêt du chantier.
mais aussi un un autre acteur finlandais de
l’entrée du site, une phrase en an­ reçoit des demandes du monde l’automne 2003, il s’est vu pro­ Puis ce sont des soudures défec­ nouveau schéma l’énergie, le consortium Fenno­
glais accueille le visiteur : « We did entier pour organiser des visites. mettre le meilleur de ce que le tueuses sur le « liner », la coque voima, a annoncé en mai qu’il re­
it ! » (« nous l’avons fait ! »). La Fin septembre, quatre sénateurs secteur avait à offrir, en termes de métallique qui protège le réacteur.
industriel » nonçait à son projet de réacteur
banderole a été déroulée sur le français, membres du groupe sûreté et de puissance : un réac­ Des trous sont détectés dans les RAPHAËL BOUCHER sur la péninsule de Hanhikivi, à
portail de sécurité le 12 mars, d’amitié France­Finlande, ont pu teur nouvelle génération, pre­ conduits du circuit primaire de la ancien directeur adjoint l’ouest de la Finlande, commandé
quand le réacteur a enfin pu être se rendre sur place. mier de la série, que le consor­ centrale. Les travaux de tuyauterie des opérations d’Areva au russe Rosatom. Malgré ces dé­
raccordé au réseau électrique fin­ Dans cette ultime phase de test tium se proposait de livrer clés en du réacteur et d’installation élec­ boires, pourtant, les Finlandais
landais. Trois mots qui expri­ de pleine puissance, la salle des main, pour 3,4 milliards d’euros, à trique prennent plus de temps que continuent de plébisciter l’atome,
ment la satisfaction de voir cet commandes reste inaccessible. l’horizon 2009, et qu’Areva espé­ prévu, de même que la conception liards, pouvaient mettre en danger y compris les écologistes, qui y
énorme chantier, aux allures de Le tour du propriétaire se limite à rait transformer en vitrine de son du système d’automation… la vie des deux entreprises, observe voient un outil pour atteindre les
gouffre financier, arriver enfin à la salle des machines, un im­ savoir­faire. Près de vingt ans plus Raphaël Boucher. Ce climat a cris­ objectifs fixés par Helsinki, déter­
son terme, avec treize ans de re­ mense bâtiment, au sol blanc et tard, à Paris comme à Helsinki, le « REBÂTIR LA CONFIANCE » tallisé les positions du point de vue miné à atteindre la neutralité car­
tard sur le calendrier. aux parois recouvertes de constat est le même : le calendrier TVO reproche à son fournisseur opérationnel pendant un certain bone d’ici à 2035, puis un bilan
tuyaux, où reposent, au centre, était beaucoup trop ambitieux. de ne pas avoir finalisé le design temps, même si en principe les carbone négatif à l’horizon 2040.
CALENDRIER TROP AMBITIEUX sur un axe de 67 mètres, les qua­ « C’était un nouvel objet technique, avant le début du chantier. L’élec­ deux aspects étaient séparés. » Mais plus que des mastodontes
D’autant que le timing pouvait tre turbines, abritées sous une co­ mais aussi un nouveau schéma in­ tricien finlandais en tire une le­ En mars 2018, enfin, un accord tels qu’OL3, présenté par TVO
difficilement être meilleur. Dans que bleu marine rutilante. Ali­ dustriel », rappelle Raphaël Bou­ çon : « Quand nous avons com­ est signé. Il prévoit qu’Areva verse comme « la plus importante action
la nuit du 13 au 14 mai, la Russie a mentées par la vapeur à 290 de­ cher, ancien directeur adjoint des mencé à travailler sur OL4 (projet 450 millions d’euros de pénalités pour le climat en Finlande », le pays
coupé ses exportations d’électri­ grés produite par le réacteur voi­ opérations d’Areva. abandonné depuis), nous avons à TVO – qui devra lui­même dé­ s’intéresse aux petits réacteurs
cité vers la Finlande, privant ses sin, elles tournent jusqu’à vingt­ Pour la première fois, le fleuron décidé d’utiliser beaucoup d’ar­ bourser 150 millions d’euros – si le modulaires, d’une puissance de
5,5 millions d’habitants d’environ cinq fois par seconde, dans un du nucléaire français s’est re­ gent sur la phase de planification chantier est achevé en mai 2019. 10 MW à 300 MW, moins coûteux
1 000 MW, soit 10 % de leur con­ vacarme assourdissant. trouvé seul maître d’œuvre (sans avant le début de la construction, Dans l’hypothèse où les travaux et qui pourront remplacer des cen­
sommation. Une mesure de re­ Depuis un an, c’est ici que la plu­ EDF) sur un chantier de réacteur. pour faire en sorte que tous les do­ se prolongent (ce qui a été le cas), trales de cogénération, alimentées
présailles à l’encontre du pays part des anomalies ont été cons­ La Finlande, de son côté, n’a pas cuments soient prêts », confie la note s’alourdit de 400 millions par des combustibles fossiles, tels
nordique, qui partage 1 340 kilo­ tatées. Cet été, il a fallu interrom­ construit de réacteurs depuis les Juha Poikola. d’euros pour le fournisseur de­ que le gaz, le charbon et la tourbe.
mètres de frontières avec son im­ pre le chantier pendant deux années 1980. Quant à la Stuk, le De son côté, Areva reproche à venu, en 2017, Areva SA – une Si les Finlandais sont aussi posi­
mense voisin russe, et qui a dé­ mois, à la suite de l’explosion gendarme nucléaire, basé à Hel­ TVO de se comporter en « client structure créée pour gérer le cas tifs, c’est en partie grâce à Onkalo,
cidé, au printemps, d’adhérer à d’une plaque, dans le collecteur sinki, « ses compétences étaient pur », sans s’investir dans la cons­ OL3, au moment du démantèle­ selon Riku Huttunen, au minis­
l’Organisation du traité de l’Atlan­ de vapeur, qui a projeté des mil­ dans la surveillance des réacteurs truction. A mesure que les retards ment d’Areva. tère de l’économie : situé à une di­
tique Nord (OTAN), après l’inva­ liers de débris dans les turbines. en exercice, pas dans la construc­ s’accumulent, un bras de fer s’en­ « Il a fallu repartir de zéro, rebâtir zaine de kilomètres de la centrale
sion de l’Ukraine par la Russie. Ces déconvenues en série n’éton­ tion de nouvelles installations », gage : Areva réclame 3,52 milliards la confiance », relate M. Boucher. d’Olkiluoto, ce site d’enfouisse­
Avec son flegme typiquement nent pas M. Poikola : livrées souligne Essi Vanhanen, respon­ d’euros de compensation à TVO, Depuis le chargement du com­ ment, à plus de 400 mètres sous
finlandais, Juha Poikola, porte­pa­ en 2009 par l’allemand Siemens, sable d’OL3 auprès de l’autorité tandis que le finlandais lance une bustible en mars 2021, les rela­ terre, va accueillir les premiers dé­
role de TVO, s’amuse du change­ les machines ont passé plus de finlandaise de sûreté. procédure d’arbitrage devant la tions se sont considérablement chets nucléaires en 2025. Un pro­
ment d’atmosphère : « Pendant dix ans, empaquetées en pièces Dès le départ, les ennuis s’en­ chambre de commerce interna­ améliorées, assure­t­on des deux jet soutenu par les habitants dans
quinze ans, on a passé notre temps détachées, à attendre que le réac­ chaînent. Le béton, utilisé pour tionale de Londres et exige côtés. Un partenariat a même été la région et financé par un fonds,
à expliquer pourquoi le réacteur ne teur nucléaire, construit par couler la dalle qui doit soutenir le 2,6 milliards d’euros pour le re­ signé pour faire intervenir des in­ alimenté par les opérateurs de
produisait toujours pas d’électri­ Areva juste à côté, soit fin prêt. « Si réacteur, est trop poreux. Dans un tard du chantier. Le conflit ralen­ génieurs d’EDF dans la phase de centrale depuis 1988, doté actuel­
cité, alors qu’il devait être achevé plus de trois mille tests ont pu être rapport d’enquête, publié à l’été tit encore les travaux : « Les récla­ démarrage d’OL3, leur permet­ lement de 2,7 milliards d’euros. p
en 2009, mais, aujourd’hui, on menés au niveau du réacteur nu­ 2006, la Stuk dénonce un change­ mations, qui portaient sur des mil­ tant d’acquérir une expérience anne­françoise hivert
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022
L’or, une valeur refuge qui perd de son éclat
Le cours du métal jaune a cédé plus de 10 % depuis le début de l’année
C
onsidéré traditionnelle­
ment par de nombreux
particuliers comme la
valeur refuge par excel­
lence pour conserver son pouvoir
d’achat, l’or a bénéficié de la forte
reprise de l’inflation observée à
l’échelle mondiale par le Fonds
monétaire international depuis
le début de l’année 2021.
Pourtant, après avoir atteint un
nouveau sommet historique, en
franchissant le seuil des 2 500 dol­
lars l’once (31,104 grammes) au
mois de mars, le cours du métal
jaune peine à s’inscrire à nouveau
dans une tendance haussière. Li­
bellé en euros, le cours de l’or a
même perdu plus de 10 % depuis
janvier, et 20 % depuis son plus
haut début mars.
Pour expliquer cette contre­per­
formance de l’or, Alexandre Bara­
dez, responsable de l’analyse de
marché chez IG, pointe notam­
ment « les récentes hausses des
taux directeurs décidées par les
principales banques centrales et
notamment celles de la Fed, la Ré­
serve fédérale américaine, desti­
nées à juguler la hausse de l’infla­
tion aux Etats­Unis ». En effet, se­
lon lui, « des taux d’intérêt plus
élevés augmentent de facto le coût
d’opportunité de détention de l’or,
un actif libellé en dollar qui n’offre
aucun rendement contrairement
à d’autres placements financiers,
3 172
C’est le cours, en dollars, atteint par une once (31,104 grammes)
de palladium au 8 mars, son cours record. Depuis, il a perdu plus
d’un tiers de sa valeur. Un prix supérieur à celui du métal jaune
à la même date (1 800 dollars l’once). Pourtant, à la différence de
l’or, le principal débouché du palladium n’est pas la joaillerie, mais
le secteur automobile. En effet, plus des deux tiers de la production
mondiale de ce métal sont utilisés pour la fabrication des pots
catalytiques des moteurs à essence. Néanmoins, malgré le dévelop-
pement de la voiture électrique, cette production peine actuelle-
ment à satisfaire la demande, d’après un récent rapport publié
par la société Johnson Matthey.
IMMOBILIER
De combien les loyers peuvent­ils augmenter ce trimestre ?
I nstaurer un « bouclier » des
loyers, à l’instar de ce qui
existe en matière d’énergie :
tel est l’objectif de l’article 12 de la
loi sur le pouvoir d’achat, pro­
mulguée le 16 août.
Depuis le 15 octobre, date de la
parution de l’indice de référence
des loyers (IRL) du 3e trimestre au
Journal officiel, il n’est pas possible
d’augmenter les loyers de plus de
3,5 % jusqu’au deuxième trimes­
tre 2023. Un plafond d’augmenta­
tion différent a été fixé pour la
Corse, où le préfet pourra le mo­
duler entre 2 % et 3,5 % en fonction
de spécificités locales. Dans les
collectivités d’outre­mer, la
hausse maximale est fixée à 2,5 %.
Ce plafonnement de l’indice de
référence des loyers est applicable
à tous les logements loués par des
propriétaires privés, mais aussi
au parc locatif social. « Sans cette
mesure, le montant des loyers
aurait explosé, car l’IRL est calculé
sur la moyenne des douze derniers
mois de l’évolution des prix à la
consommation hors tabac. Or, ces
derniers ont beaucoup aug­
menté », rappelle David Rodri­
gues, juriste à l’association Con­
sommation Logement Cadre de
vie. L’Agence nationale pour l’in­
formation sur le logement indi­
que ainsi que l’indice de référence
des loyers du 2e trimestre a aug­
menté de 3,6 % contre 0,83 % à la
même période en 2021.
Pour pouvoir appliquer ce dis­
positif, il faut tout d’abord que
l’indexation du loyer soit prévue
dans le bail, sinon le propriétaire
comme les obligations par exem­
ple », ajoute­t­il.
Néanmoins, certains profes­
sionnels, à l’image d’Alain Cor­
bani, gérant du fonds Global Gold
and Precious chez Finance SA, es­
timent que « le pic d’inflation a
désormais été atteint aux Etats­
Unis, ce qui devrait limiter le mou­
vement de hausse des taux direc­
teurs de la Fed dans les mois à ve­
nir et favoriserait ainsi un rebond
des prix du métal jaune ».
Un fonds « de conviction »
Pour les épargnants désireux de
bénéficier d’une reprise des cours
de l’or, il existe plusieurs façons
d’investir. La première est d’ache­
ter de l’or physique (pièces et lin­
gots) auprès de son agence ban­
caire ou bien d’une officine spé­
cialisée. Il est aussi possible de se
tourner vers des plates­formes en
ligne spécialisées. Mais, attention,
dans tous les cas, il faut régler une
commission sur toutes les tran­
sactions, comprise généralement
entre 2 % et 5 % du montant de
l’opération, à l’achat mais aussi à
la revente. A cela s’ajoutent des
frais de conservation en cas de lo­
cation de coffre­fort pour éviter
tout risque de vol, car les spécia­
listes déconseillent de conserver
son trésor à son domicile.
Pour éviter cet écueil, il est pos­
sible de se positionner sur l’or pa­
Une hausse encadrée
Indice de référence des loyers (IRL)
150
140
130
120
112,43
110
100
90
T3
2006
2008 2010 2012
ne peut pas demander d’augmen­
tation. Cette révision est générale­
ment prévue à la date anniver­
saire du contrat. Pour autant, une
autre date peut être convenue en­
tre le propriétaire et le locataire.
De plus, cette révision n’est pas
automatique : elle ne s’applique
qu’à partir du moment où le
bailleur en fait la demande et
n’est pas rétroactive.
Pas d’obligation
Si, par exemple, un bailleur en­
voie son courrier prévoyant
l’augmentation en septembre
alors que la date prévue dans le
bail est juin, le locataire ne paie
qu’à partir de septembre. Et, de­
puis 2014, si le bailleur oublie
d’adresser sa demande dans l’an­
née, il est considéré comme avoir
LES ÉPARGNANTS SONT  les acheter et de les revendre en
EXPOSÉS À UN RISQUE
DE DÉPRÉCIATION
DU DOLLAR AMÉRICAIN  traditionnels. Simples d’utilisa­
FACE À L’EURO PENDANT  financiers permettent ainsi d’in­
TOUTE LA DURÉE DE LEUR  vestir à moindre coût sur le mar­
INVESTISSEMENT
pier, en investissant dans une
Sicav ou un Fonds commun de
placement actions spécialisé sur
cette thématique. Une dizaine de
fonds mettant en œuvre ce type
de stratégie d’investissement
sont actuellement disponibles
sur le marché français.
Pour mettre toutes les chances
de son côté, le mieux est sans
doute de choisir un fonds « de
conviction », affichant un solide
historique de performance en la
matière. Il s’agit, notamment, des
fonds BGF World Gold, CPR Glo­
bal Gold Mines, CM­CIC Global
Gold ou encore EdR Goldsphere.
Malgré la nervosité observée
des derniers mois sur les cours
du métal jaune, selon Alain Cor­
bani, « le moment est judicieux
pour s’intéresser à ce type de fonds
compte tenu du récent repli des
cours de l’or ». Seul inconvénient,
ces fonds sont investis dans des
compagnies aurifères cotées en
Bourse dont la valorisation dé­
pend, bien évidemment, du
cours du métal jaune, mais aussi
d’autres facteurs comme leur
coût d’extraction, le potentiel de
leurs réserves ou encore la locali­
sation de leurs actifs.
Une autre façon de bénéficier
d’un éventuel rebond des cours
de l’or est de se tourner vers un
Exchange Traded Fund, ou ETF,
répliquant quasiment à l’identi­
que l’évolution du prix du métal
jaune. Les ETF sont des fonds in­
diciels cotés en Bourse pendant
les heures de cotation du marché
136,27
2014 2016 2018 2020 T3
2022
Source : Insee
renoncé au bénéfice de la clause
pour l’année écoulée.
Rien n’oblige le propriétaire
bailleur à demander l’augmenta­
tion du loyer : « Une bonne partie
des propriétaires n’appliquent pas
la révision. Beaucoup oublient ou
parfois n’osent pas, notamment
lorsqu’ils gèrent eux­mêmes le lo­
gement. Lorsque ce dernier est
confié à une agence, la révision est
plus fréquemment appliquée, sans
doute parce qu’il y a moins d’affect
dans la relation », témoigne
Mathieu Chantalat, fondateur de
Smartloc, plate­forme de gestion
en ligne du logement.
Comment est calculée l’indexa­
tion ? La date de l’indice de réfé­
rence des loyers à prendre en
compte dépend de la date indi­
quée dans le bail et, si cette der­
Quand le client tombe
sur un mauvais avocat
boursier. Il est donc possible de
temps réel, comme une action.
Autre avantage : ils affichent des
frais de gestion bien moins élevés
que des fonds d’investissement
tion et peu onéreux, ces produits
ché de l’or papier. Néanmoins, à
l’heure actuelle, seuls quelques
ETF spécialisés sur le métal jaune
sont disponibles en Europe, à
l’image du Gold Bullion Securi­
ties ; la plupart d’entre eux étant
cotés sur les Bourses américaines
et donc libellés en dollar. Pour les
négocier, il est, par conséquent,
nécessaire de disposer d’un
compte­titre permettant d’avoir
accès aux marchés boursiers
américains, un service proposé
par la plupart des banques et
courtiers en ligne.
Pour un investisseur français, il
est primordial d’avoir conscience
du risque de change lié à l’évolu­
tion du billet vert. En effet, l’or
étant coté en dollars américains,
les épargnants sont exposés à un
risque de dépréciation du billet
vert face à l’euro pendant toute la
durée de leur investissement.
Mais, au­delà de cet effet devise, le
risque principal encouru reste
bien évidemment lié à l’évolution
du prix du métal jaune.
Quoi qu’il en soit, en cas de pro­
fit, c’est la fiscalité des valeurs mo­
bilières qui s’applique pour les
ETF ou les fonds d’investissement
spécialisés sur l’or. Les gains nets
de cession sont imposables à l’im­
pôt sur le revenu au taux forfai­
taire de 12,8 % ou sur option au ba­
rème progressif de l’impôt sur le
revenu, auquel s’ajoutent les pré­
lèvements sociaux au taux de
17,2 %. En ce qui concerne l’or phy­
sique, les plus­values sont taxées à
36,2 %, prélèvements sociaux in­
clus, après un abattement de 5 %
par an à partir de la troisième an­
née de détention. p
romain thomas
CLIGNOTANT
nière n’est pas indiquée dans le
bail, il faut utiliser le tout dernier
indice de référence des loyers cal­
culé par l’Institut national de la
statistique. L’IRL est consultable
sur le site de l’Insee et sur le site
Service­public.fr. Ce dernier pro­
pose en outre un calculateur.
Pour savoir quel sera le nou­
veau loyer, il faut appliquer la for­
mule suivante : loyer révisé
= loyer hors charge x IRL applica­
ble à la date de révision/IRL de
l’année n­1. Pour la France métro­
QUESTION À UN EXPERT
politaine hors Corse, l’indice du
troisième trimestre 2022 est indi­
qué par l’Insee à 136,27 et celui de
2021 est de 131,67. Un loyer fixé à
700 euros passerait ainsi à
724,45 euros, soit + 3,5 %.
Mais que se passe­t­il si le
bailleur réévalue le loyer après
plusieurs années d’oubli ? Saisis
sur cette question, les tribunaux
n’ont pas encore tranché. Mais
on peut suivre la solution préco­
nisée par les cours d’appel de Ver­
sailles, Bordeaux ou Douai
(Nord) qui estiment que le loyer
révisé est alors calculé avec la for­
mule suivante : loyer révisé
= loyer pratiqué sur l’année écou­
lée x IRL applicable à la date de ré­
vision/IRL de l’année n­1.
Enfin, rappelons que les loyers
des logements énergivores éti­
quetés F ou G par le diagnostic de
performance énergétique ne
peuvent plus voir leur loyer aug­
menter depuis le 24 août, quel
que soit le niveau de l’indice de
référence des loyers. p
nathalie coulaud
argent | 21
SOS CONSO 
CHRONIQUE PAR RAFAËLE RIVAIS
T
omber sur un mauvais avocat peut ruiner une vie,
comme en témoigne l’histoire de Mme X. En jan­
vier 2008, elle apprend que, à la suite d’un litige
avec un créancier, sa maison va être vendue aux
enchères. Elle demande à un avocat, Me Y, ce qu’elle peut
faire pour empêcher que ce bien lui échappe. Il lui conseille
de le faire acheter par un prête­nom – bien que ce soit inter­
dit par la loi. Mme X est mise en rapport avec M. Z. Un accord
secret, rédigé par leurs deux conseils, prévoit que, dans les
dix jours qui suivront la vente forcée, M. Z fera une suren­
chère « du dixième » du prix.
Son avocat pourra consigner ce pourcentage grâce à un
chèque que lui enverra la mère de Mme X, et aux honoraires
(4 000 euros) qu’elle lui paiera. Mme X, qui pourra rester dans
le logement, remboursera les échéances de l’emprunt sous­
crit par M. Z pour payer le solde. Dès qu’elle le pourra, elle lui
rachètera la maison, au prix d’adjudication.
Mme X ratifie le protocole, mais… son avocat omet de récla­
mer à son confrère l’exemplaire signé par M. Z. Le
14 avril 2009, ce dernier devient propriétaire de la maison
pour 123 000 euros. Treize mois plus tard,
contrairement aux prévisions, il de­
LE CONSEIL  mande l’expulsion de l’occupante. Celle­ci
A OMIS DE FAIRE  saisit la justice, pour qu’il soit condamné à
respecter son engagement. Las, l’avocat de
SIGNER L’ACCORD M. Z s’oppose à ce qu’elle produise le pro­
tocole : comme il n’a « jamais été signé par
SECRET SUR son client » – ce qu’elle découvre –, il relève
LA SURENCHÈRE de la « correspondance », couverte par la
« confidentialité des échanges ».
Les magistrats ordonnent donc son « re­
trait ». Mme X perd alors tous ses procès, et ses plaintes péna­
les contre ses adversaires sont classées sans suite. Me Y, à qui
elle demande de déposer une plainte avec constitution de
partie civile, omet encore de le faire. A partir de 2014, il ne lui
répond plus. Le 1er juin 2017, elle apprend que son cabinet fait
l’objet d’une liquidation judiciaire et que l’homme a disparu.
En 2020, c’est une justiciable désespérée que Me Bertrand
Balas accepte de recevoir. Il assigne MMA IARD, l’assureur
de Me Y, afin qu’il soit condamné à la dédommager des fau­
tes que l’avocat a commises (omission de la signature et du
dépôt de plainte). Le 6 octobre, la cour d’appel de Lyon juge
que l’action contre la première est prescrite, mais que celle
contre la seconde est recevable. Premier succès, enfin !
Mais pour quel résultat ? Me Balas devra démontrer que
Me Y a « fait perdre une chance » à Mme X d’obtenir la
condamnation de ses adversaires pour escroquerie. S’il y
parvient, Mme X n’obtiendra sûrement pas le prix de la mai­
son, la « perte de chance » ne donnant lieu qu’à une répara­
tion partielle. Sa cliente pourra donc s’estimer heureuse si
elle récupère le fameux « dixième », avancé en 2009. p
ASSU RANC E -VIE
Une collecte à nouveau positive
Après une décollecte de 700 millions d’euros en août
– la première depuis septembre 2020 –, l’assurance­vie
a fait son retour dans le « vert » en septembre. Les épar­
gnants ont déposé 500 millions de plus qu’ils n’ont re­
tirés. Un résultat toutefois modeste , qui s’explique en
partie, selon le directeur du Cercle de l’épargne, Phi­
lippe Crevel, par la concurrence des livrets réglementés
(le Livret A rapporte 2 % net depuis le 1er août) et par un
contexte qui « n’incite pas les ménages à s’engager sur
le long terme » en raison de l’inflation, de la guerre en
Ukraine et des craintes énergétiques.
Les époux ou pacsés peuvent-ils
être imposés séparément ?
andré loup, avocat counsel, CMS Francis Lefebvre
Les époux et partenaires de pacs font en principe l’objet d’une imposi-
tion unique au sein d’un même foyer fiscal. La loi déroge cependant
à cette règle dans trois hypothèses de rupture de la vie commune : s’ils
sont mariés ou pacsés sous le régime de la séparation de biens
et ne vivent pas ensemble ; s’ils sont autorisés à résider séparément
dans le cadre d’une instance de séparation de corps ou de divorce ; ou
s’ils disposent de revenus distincts et que l’un des deux a abandonné
le domicile conjugal. Attention, des époux relevant d’un régime de
communauté et simplement séparés de fait demeurent imposables
ensemble. Dans ces trois cas de figure où le foyer a en réalité disparu,
l’imposition redevient distincte de plein droit pour l’ensemble des re-
venus de l’année, comme en cas de divorce ou de dissolution du pacs.
Si l’impôt a été établi à tort sur la base d’une déclaration commune,
il doit être recalculé, que ce soit à l’initiative des contribuables ou
de l’administration. Enfin, il existe une situation dans laquelle les
conjoints et partenaires de pacs peuvent librement choisir l’imposi-
tion séparée : l’année du mariage ou de la conclusion du pacs. Mais
cette option doit être exercée avec discernement, car elle est irrévoca-
ble : une simulation préalable du montant de l’impôt sur le revenu
(réalisable sur Impots.gouv.fr) évitera sans doute des déconvenues. p
22 | sports
Des terrains de sport pour « dépanner » la ruralité
Comme en Creuse et en Haute­Vienne, des communes bénéficient du « plan Macron » de 5 000 équipements
JO 2024
limoges ­ correspondante
A
u printemps 2023, les
écoliers de Guéret,
dans la Creuse, pour­
ront de nouveau ap­
prendre à nager dans leur com­
mune. Fini les trajets chronopha­
ges en bus pour rejoindre le cen­
tre aquatique de La Souterraine, à
une demi­heure de route. Avec le
« plan Macron » de création­réno­
vation de cinq mille équipe­
ments sportifs de proximité,
annoncé en octobre 2021 par la
présidence de la République, la
municipalité du chef­lieu du dé­
partement a acquis trois bassins
mobiles de natation.
Ces derniers, qui représentent
un coût de 100 000 euros hors
taxes (dont 20 000 euros pour la
ville), auraient dû fonctionner à
la rentrée, mais les restrictions
d’eau ont décalé leur remplissage.
Même retardée, « c’est une solu­
tion de dépannage bienvenue », se
réjouit la maire, Marie­Françoise
Fournier. L’installation mettra en
partie un terme à plus de deux
ans de galère. A l’automne 2020,
la piscine municipale avait été
fermée pour « péril imminent ».
« Le bâtiment avait plus de 60 ans,
son toit menaçait de s’effondrer »,
détaille l’élue.
En attendant la construction,
d’ici à cinq ans, d’un complexe
aqualudique au sein de l’agglo­
mération du Grand Guéret, ces
bassins mobiles mettront à dis­
position du public scolaire, « en
mai 2023 au maximum », un lieu
pour l’apprentissage de la nata­
tion. Une obligation légale à la­
quelle la mairie répond actuelle­
ment en finançant le transport et
la réservation de lignes d’eau
dans des piscines périphériques.
Comme plus de mille commu­
nes en France, Guéret a eu re­
cours au plan de soutien aux
équipements sportifs de proxi­
mité, dont l’objectif, à l’horizon
des Jeux olympiques de 2024, est
de cofinancer cinq mille petits
« terrains » de sport dans des ter­
ritoires carencés, à travers un in­
vestissement total de 200 mil­
lions d’euros.
Selon le bilan établi le 6 octobre
par l’Agence nationale du sport
(ANS), « 85 millions d’euros » ont
été versés pour 2 089 équipe­
ments en neuf mois, permettant
le financement de 50 % à 80 % du
coût de skateparks, de terrains de
basket de trois joueurs contre trois
Un besoin d’investir face au vieillissement des infrastructures
L’Agence nationale du sport doit « analyser les endroits qui feront l’objet d’investissements prioritaires », assure la ministre des sports
N écessaire mais pas suffi­
sant. La ministre des
sports et des Jeux olym­
piques et paralympiques, Amélie
Oudéa­Castéra, l’a admis implici­
tement : le « plan Macron » de
création­rénovation de cinq
mille équipements sportifs de
proximité (plateaux multisports,
terrains de basket, skateparks…),
annoncé en octobre 2021, à
moins de trois ans des Jeux olym­
piques et paralympiques, et dont
la mise en œuvre a commencé
cette année, ne conduira pas, à lui
seul, à régler le problème du
manque d’infrastructures sporti­
ves en France.
« Nous aurons besoin de tra­
vailler aussi sur des équipements
structurants » (stades, gymnases,
piscines…), a déclaré Mme Oudéa­
Castéra en présentant son projet
de budget 2023 à l’Assemblée na­
tionale, le 25 octobre. « C’est le sens
des travaux aujourd’hui de
l’Agence nationale du sport [ANS]
pour bien analyser les endroits et
L’objectif :
cofinancer des
petits terrains
de sport dans
des territoires
carencés pour
200 millions
d’euros
(3 × 3), d’aires de musculation ou
encore de plateaux multisports…
« Plus de 75 % » des collectivités bé­
néficiaires sont en milieu rural.
Au cœur de la Creuse, Saint­Mé­
dard­la­Rochette a ainsi saisi
l’occasion de réaliser un projet en
réflexion depuis 2020. Dans cette
commune de 590 habitants, les
associations sportives sont en
sommeil. « La salle des fêtes, qui
servait au club de tennis de table,
est en travaux depuis un an, et le
stade de football est inexploité
depuis une quinzaine d’années »,
souligne Eric Benhammou, ad­
joint au maire.
City-stades et pumptrack
Pour s’adonner à une activité
sportive, les familles doivent se
rendre à Ahun ou à Aubusson, à
une quinzaine de kilomètres. Mi­
novembre, elles disposeront
d’un city­stade (un terrain mul­
tisport), pour lequel la commune
a consenti un investissement
« raisonnable » de 12 600 euros
hors taxes (pour un coût total de
58 800 euros).
Saint­Médard­la­Rochette a 55 élèves pourront donc bénéfi­
choisi l’équipement qui est plé­
biscité dans le programme :
684 plateaux multisports sur les
1 000 prévus d’ici à 2024 ont déjà
été financés. « En concentrant plu­
sieurs disciplines, les city­stades
constituent l’offre la plus variée et
la plus attractive pour des territoi­
res sous­équipés », commente
Guillaume Genoux, conseiller
sport au service départemental à
la jeunesse, à l’engagement et aux
sports (SDJES) de la Creuse. Dans
ce département, quatre des six
équipements de proximité cofi­
nancés par l’ANS sont des terrains
multisports. Ces lieux seront en
libre accès, mais avec des cré­
neaux réservés à certains publics.
Le but du programme national
est en effet de « renforcer le lien
avec le monde scolaire ». Chaque
projet fait l’objet d’une conven­
tion avec l’éducation nationale.
les sports qui devront faire l’objet
de ces investissements prioritai­
res », a­t­elle précisé.
Créée en 2019 pour coordonner
les politiques publiques sportives
sur le territoire, l’ANS a notam­
ment pour mission de corriger les
inégalités sociales et territoriales
en matière d’accès aux pratiques
et aux équipements sportifs.
« Sécuriser 500 millions par an »
Si la ministre des sports se félicite
« que les investissements portés au
cours des dernières années per­
mettent d’organiser les Jeux avec
95 % d’infrastructures existantes
ou temporaires », la réalité, pour
ce qui concerne l’accueil au quoti­
dien des pratiquants, est moins
flatteuse. Les équipements man­
quent, ou, quand ils existent, sont
vieillissants.
Une mission parlementaire pi­
lotée par le député Belkhir Bel­
haddad (Renaissance, Moselle) a
relevé, en mars, que 40 % des
272 000 infrastructures dont les
Une aire de fitness en accès libre, à proximité du parc des sports de Beaublanc, à Limoges, en mai 2021. LAURENT LAGARDE
A Saint­Médard­la­Rochette, le
partenariat a été passé avec les
deux écoles du regroupement pé­
dagogique intercommunal, les
cier de ce city­stade. « La com­
mune s’est rajeunie et cela crée de
nouveaux besoins. On a même rou­
vert une troisième classe, fermée il
y a six ans faute d’effectif suffi­
sant », précise Eric Benhammou.
D’autres communes rurales
moins défavorisées connaissent
une même dynamique. En Haute­
Vienne, Cognac­la­Forêt s’équipe
aussi pour répondre à l’accroisse­
ment de sa population. Dans cette
localité située à trente minutes de
Limoges, le nombre d’habitants,
proche de 1 300, a augmenté de
8 % en cinq ans.
« On avait déjà un city­stade, in­
dique le maire, Christian Vigne­
rie, pour répondre aux attentes
d’un public jeune, on a décidé de
créer un pumptrack. » L’usage de
ce circuit bosselé, destiné aux
VTT, BMX, skateboards, rollers ou
trottinettes, intéresse à la fois
collectivités sont propriétaires
datent d’avant 1985, 61 % ont plus
de 25 ans et 70 % n’ont jamais bé­
néficié de travaux d’ampleur. Et
c’est sans parler des inégalités
d’accès : un tiers des communes
rurales n’ont pas d’équipement et
les quartiers prioritaires des villes
sont sous­équipés.
« Il faut un grand plan Marshall
de construction et de rénovation
des équipements sportifs, pour le­
quel il faudrait sécuriser 500 mil­
lions d’euros par an », a lancé la dé­
putée Claudia Rouaux (Socialis­
tes et apparentés, Ille­et­Vilaine),
rapporteuse pour avis sur le pro­
jet de budget des sports, à Mme
Oudéa­Castéra. Elle reprenait la
proposition de M. Belhaddad, qui
réclame une loi de programma­
tion pour la période 2025­2030,
prenant la suite du « plan Ma­
cron » sur les équipements de
proximité. Dans son rapport, le
député estimait que ce pro­
gramme – 200 millions d’euros
d’investissements sur trois ans
l’école, le centre de loisirs et le
club de vélo de la commune
voisine. Un parcours santé avec
des agrès est aussi créé. La muni­
cipalité finance 25 % des
73 000 euros hors taxes que coû­
tent ces deux opérations.
Renouveler le tissu associatif
« Les équipements doivent vivre et
toucher un maximum de person­
nes », souligne pour sa part Sylvie
Rozette, adjointe aux sports à la
mairie de Limoges, qui a décroché
le financement (80 % d’aides de
l’ANS sur 24 000 euros) pour deux
terrains de basket 3 × 3 et une aire
de street workout (renforcement
musculaire) dans des quartiers
populaires. « On doit se soucier de
leur animation », ajoute l’élue.
D’où l’implication du « tissu asso­
ciatif local », autre objectif ciblé
par le « plan Macron ».
Pour des clubs existants, c’est
l’occasion de se développer. A
Limoges, terre de basket, l’asso­
ciation du Cercle Saint­Pierre, qui
regroupe « dix­sept équipes ama­
40 % des
272 000
infrastructures
dont les
collectivités sont
propriétaires
datent
d’avant 1985
dans sa version initiale (100 mil­
lions dès 2022) – ne saurait être
que « la première étape avant la
présentation d’un plan volonta­
riste et massif d’investissement ».
« Nous sommes concentrés
depuis deux ans sur les équipe­
ments de proximité, avec une accé­
lération du déploiement de ce plan
puisqu’il devait être étalé sur un cy­
cle triennal et que ce sont finale­
ment 100 millions d’euros, dès 2023,
que nous mettons en soutien », fait
valoir Mme Oudéa­Castéra.
« Les city-stades
constituent l’offre
la plus attractive
pour des zones
sous-équipées »
GUILLAUME GENOUX
conseiller sport au SDJES
de la Creuse
teurs et 360 licenciés », participe à
la création des terrains 3 × 3, pla­
cés à proximité d’un collège, d’un
gymnase et d’habitations au
cœur du quartier prioritaire
de Beaubreuil.
« C’est un quartier où nous n’in­
tervenons pas d’habitude, où nous
n’avons pas de lieu d’entraîne­
ment. En nous y implantant, nous
souhaitons attirer des jeunes qui
pratiquent le basket de rue, ou veu­
lent essayer », explique son prési­
dent Xavier Bonnafy. Pour Saint­
Médard­la­Rochette, les ambi­
tions sont plus modestes : c’est
« Il s’agit d’un rattrapage », avait
relevé, à propos du « plan Ma­
cron », en octobre 2021, Régis Jua­
nico, qui était alors député (Géné­
ration. s, apparenté PS, Loire).
« Cela aurait dû être lancé dès
2018 », considérait celui qui était
aussi coprésident du groupe de
travail Paris 2024 à l’Assemblée
nationale, soulignant la baisse
des sommes allouées aux équipe­
ments sportifs au début du man­
dat de M. Macron.
« Un équilibre à trouver »
« C’est un engagement que nous
devons poursuivre sur le long
terme », assure Mme Oudéa­Cas­
téra à propos des investissements
sur les infrastructures, ajoutant
qu’il revient à l’ANS d’investir
dans « un certain nombre d’équi­
pements structurants ».
A ce propos, Frédéric Sanaur, di­
recteur général de l’ANS, confirme
« une augmentation très impor­
tante des moyens de l’agence »
pour la rénovation­construction
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022
l’espoir d’un renouveau du tissu
associatif, pour l’instant inexis­
tant, qui prime.
Reste que ces investissements
ne résolvent pas tous les problè­
mes. A Guéret, les bassins
mobiles de treize mètres sur sept
ne vont pas remplacer une pis­
cine qui totalisait 90 000 entrées
avant sa fermeture. Le Club des
nageurs guérétois continuera
d’emmener chaque semaine une
centaine de licenciés jusqu’à
Aubusson et même à Montluçon
(Allier).
« Mais au moins, durant l’été, on
pourra dispenser des cours de
natation à Guéret et prévenir les
risques de noyade », souligne
Charles Freby, le directeur techni­
que du club, qui avait investi dans
un petit bassin mobile et se
réjouit du relais de la collectivité.
Fin octobre, aucun des vingt­
deux équipements sportifs de
proximité de la Haute­Vienne et
de la Creuse n’était encore
opérationnel. p
hélène pommier
de stades, gymnases, piscines,
etc. : « On parlait de 45 millions
d’euros en 2018. On est à plus de
200 millions de crédits alloués à
l’agence », a­t­il détaillé devant les
députés, le 28 septembre. « Une
trentaine de piscines ont pu être fi­
nancées à ce titre au cours de
l’exercice qui se termine », rappelle
Mme Oudéa­Castéra.
M. Sanaur souligne cependant
une évidence : les équipements
structurants sont « coûteux et
prennent du foncier », quand les
équipements de proximité sont
« moins coûteux et plus rapides à
sortir de terre ». D’où « un équili­
bre à trouver » dans les actions de
soutien. A celles et ceux qui
craignent que l’effet Jeux olympi­
ques sur les politiques sportives
publiques ne trouve pas de pro­
longement, Mme Oudéa­Castéra
promet que « la lumière ne
s’éteindra pas après le 8 septem­
bre 2024 », date de clôture des
Jeux paralympiques. p
philippe le coeur
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022
Franck­Yves (à g.) et Bob
Escoffier, à l’entraînement,
en vue de leur participation à
la Route du rhum (respective­
ment en 2010 et en 2018).
JEAN MARIE LIOT/DPPI. ALEXIS COURCOUX
S
i, dans l’imaginaire culinaire, le
nom Escoffier reste synonyme de
haute gastronomie, il n’est pas
sûr que tous les Escoffier de
Saint­Malo réussissent un beurre
maître d’hôtel. En revanche, ils
savent remarquablement naviguer. Dans la
famille Escoffier, qui d’Auguste (1846­1935,
chef et auteur culinaire) ne partage que le
nom, on distingue deux branches installées
à Saint­Malo, issues de deux frères qui ne
s’adressent plus la parole. L’une incarnée à la
fin des années 1970 par Franck­Yves, 64 ans,
marin pêcheur et armateur de pêche ; l’autre,
au tout début des années 1990, par son frère
aîné, Bob, 74 ans, fondateur de la société de
croisières Etoile marine. Il y a aussi une
sœur, Béatrice, artiste sculptrice, la cadette,
mais qui vit en région parisienne : « J’ai par­
fois l’impression que, coincée entre la person­
nalité de Bob et celle de Franck­Yves, on a eu
un peu tendance à m’oublier dans l’his­
toire… », dit­elle avec malice.
Servane Escoffier (deux participations à la
Route du rhum et un tour du monde en dou­
ble), 41 ans, l’une des deux filles de Bob (la se­
conde, Marine, a fait sa vie loin de la mer),
sourire lumineux, d’un doigt prudent accepte
de tourner la page de l’histoire de cette dis­
corde fratricide, tout en tentant de masquer
son irritation : « D’abord, on ne peut réduire la
famille Escoffier à cette brouille entre deux frè­
res. Oui, on en hérite. Oui, c’est épuisant et ça
nous peine qu’on nous renvoie à cette histoire,
nous qui nous entendons très bien entre cou­
sins. » Puis marque une pause : « Nous som­
mes deux familles, un nom, deux histoires ma­
ritimes distinctes dans une petite ville dans la­
quelle il y a forcément des rumeurs… »
A la vérité, la bosse du commerce est ce qui
réunit les deux frères, dont les rapports ont
alterné le chaud et le froid, aucun des deux ne
souhaitant s’expliquer sur leurs périodes gla­
ciaires. Cette capacité qu’ils ont eue à se lan­
cer, l’un comme l’autre, dans des projets un
peu givrés, sans se soucier du qu’en­dira­
t­on, requiert une confiance en soi et une
force de travail peu communes : « Bob et moi
avons dû travailler plus que les autres pour
montrer que nous étions à la hauteur, lui dans
son chantier naval et ses bateaux à passagers,
moi dans la pêche », explique Franck­Yves Es­
coffier, nostalgique d’un temps de parfaite
concorde. Et puis il y a la révélation, aussi ter­
rible qu’enfouie, qui semble avoir vraiment
mis à mal leurs relations depuis quatre ans.
TENDRESSE VACHARDE
Bièvres (Essonne), 1981, le père, Claude Escof­
fier, est assassiné dans les locaux de son en­
treprise de sous­traitance automobile par un
concurrent, qui se donne la mort. Edith, leur
mère, avait été emportée auparavant par un
cancer. C’est ce qu’écrit Bob dans son livre pu­
blié en 2018 (La Mer pour horizon, City),
ouvrant la boîte de Pandore. Une divulgation
que Franck­Yves n’a toujours pas digérée.
Leur sœur Béatrice apparaît comme le ci­
ment de la famille : « Je n’en veux pas du tout à
Bob de l’avoir écrit, mais il aurait pu prendre le
soin de nous l’envoyer. Le plus grand reproche
que je lui ferais, c’est que ce n’est pas très bien
écrit. » Chez les Escoffier, la tendresse est par­
fois vacharde.
La famille a pourtant une passion com­
mune, le large. En additionnant le nombre de
participations des Escoffier (frères, fils, cou­
sins, cousine et gendre) à la Route du rhum,
on arrive à quatorze départs depuis 1994. Lors
du coup de canon de cette 12e édition, qui sera
donné dimanche 6 novembre, de la cité cor­
saire en direction de Pointe­à­Pitre (Guade­
loupe), deux fils de Frank­Yves seront sur la li­
gne parmi les 138 concurrents (chiffre record
depuis 1978, date de la première épreuve).
Kevin, 42 ans, ingénieur de formation, à
l’intelligence aiguisée, est l’aîné. Il est sûre­
ment l’un des meilleurs marins de sa généra­
tion. Mais pour autant ce sera pour lui la pre­
mière participation sur cette solitaire qua­
driennale de 3 542 milles (environ 6 560 kilo­
mètres). Secouru par Jean Le Cam lors du
dernier Vendée Globe, en 2020, son monoco­
que s’était replié comme un canif au sud­
ouest du cap de Bonne­Espérance. Cette an­
née, il sera à la barre d’un tout nouveau mo­
nocoque à foils de 60 pieds (18 mètres).
Son frère cadet, Loïc, 40 ans, qui a repris l’ar­
mement de pêche Escoffier, fondé par son
père, s’alignera pour une deuxième partici­
pation sur un catamaran neuf de 50 pieds
(15 mètres), seize ans après sa première parti­
cipation. Lui aussi est large d’épaules.
En 2006, il était arrivé 4e dans sa classe, sept
jours après son père, vainqueur pour la troi­
sième fois de suite de la Route du rhum.
Les Escoffier,
amère fratrie
Pour ces marins malouins, participer à la Route du rhum
est une tradition familiale. Mais la passion commune
de la course au large ne parvient pas à dissiper une
profonde brouille entre les frères Franck­Yves et Bob
Le benjamin Yannig a lui très tôt préféré se
consacrer au rugby. Il ne faut pas voir cela
comme un péché contre la religion du bulot,
de l’araignée ou du grand large : tous les gar­
çons Escoffier ont joué très jeune au rugby,
car traînasser au lit n’a jamais été le genre de
la maison : « Notre père nous a élevés à la
dure », explique Loïc Escoffier.
Franck­Yves (trois victoires en quatre parti­
cipations), aujourd’hui retraité, est un réga­
tier qui aura été terriblement sous­estimé,
ses victoires en multicoques de 50 pieds
(1998, 2002 et 2006) n’ont jamais eu le reten­
tissement mérité : « Traverser l’Atlantique sur
un tel engin de 15 mètres, il faut les avoir sacré­
ment bien accrochées », siffle un observateur
du large, qui oublie au passage que Servane
Escoffier, l’une des deux filles de Bob, sur un
catamaran de 22 mètres, un bateau instable,
était arrivée en 2010 au bout de ce défi que
beaucoup jugeaient alors impossible.
Franck­Yves Escoffier a gardé cette sil­
houette de chat maigre. Il n’a jamais fumé et
ne boit quasiment jamais d’alcool. Le frère
aîné, Bob, a lui la grâce des mastodontes.
Son agilité à bord et à la tête de son arme­
ment de bateaux de tradition, dont il s’est
séparé il y a six ans, conservant deux multi­
coques de croisière, n’a jamais cessé d’éton­
ner. Ses mains ? Des pattes d’ours. Il caresse
ou alors assomme, au sens figuré s’entend.
Surtout les fonctionnaires des affaires mari­
times, quand il était au pic de son activité
d’armateur. Ça a été longtemps son bon
plaisir, avec les barreaux de chaise. Sa sil­
houette à la Orson Welles est encore visible
de loin, Montecristo fiché dans le bec, déga­
geant un véritable champignon atomique
de fumée. A bord, le ploc du bouchon d’un
beau flacon est un bruit qui le transporte de
joie. En fait, l’absolu contraire de son frère,
le ventre plat et la taille mince.
Ses victoires sur la Route du rhum, Franck­
Yves les a toujours célébrées à Pointe­à­Pitre à
l’eau plate, avec Annie, son épouse, les deux
horizons | 23
dansant joue contre joue, insensibles au cha­
hut arrosé qui les entourait. La classe Multi 50,
aujourd’hui appelée Ocean Fifty, lui doit beau­
coup dans son essor actuel : « Les enfants
m’ont dit : “Papa, tu devrais la refaire [la Route
du rhum]”. Et on enterre votre mère au retour ?
c’est ça que vous voulez, hein ? », s’offusque­t­il.
Bob, Béatrice et Franck­Yves sont nés dans ce
qui n’était pas encore le département des
Hauts­de­Seine. Les parents, Claude et Edith,
sont un couple de provinciaux breton et nor­
mand montés à Paris dans l’immédiat après­
EN ADDITIONNANT  guerre et qui passe l’été à Port­Mer, près de
Cancale (Ille­et­Vilaine). La famille navigue sur
LE NOMBRE  de modestes embarcations, puis investit dans
des bateaux plus marins qui portent les noms
DE PARTICIPATIONS  de Popoff et Bob (III et IV), surnoms de Claude
et de son frère Robert, attribués lorsqu’ils
DES ESCOFFIER  combattaient comme fusiliers marins en In­
(FRÈRES, FILS,  dochine. Robert, dit Bob, ne reviendra pas. En
souvenir de l’oncle disparu, l’aîné de Claude et
COUSINS, COUSINE  d’Edith, Robert, sera aussi surnommé Bob.
ET GENDRE)  « IL VA SE PLANTER »
À LA ROUTE DU  Au mitan des années 1960, le couple formé
par Claude et Edith est alors à la tête d’une
RHUM, ON ARRIVE À  entreprise qui travaille pour l’industrie auto­
mobile, située à Bièvres. Leur fils Bob inté­
QUATORZE DÉPARTS  grera en 1973 l’entreprise familiale comme
DEPUIS 1994 commercial. Franck­Yves, qui n’a alors pas
encore 20 ans et qui a déjà régaté, se lance
dans un projet aventureux : courir en 1975
Saint­Malo­Le Cap, course en équipage par
étapes sur le bateau familial Bob IV, un ketch
acheté à crédit. « Sans la confiance déraison­
nable que mes parents ont mise en moi, je
n’aurais pas été celui que je suis. A l’issue de
six mois de mer et d’aventure, je ne me voyais
pas retourner en région parisienne reprendre
un boulot de démarcheur en polices d’assu­
rance et, sachant que je n’avais pas fait d’étu­
des, j’étais coincé. Sans Annie, dit­il, je n’y se­
rais pas arrivé. »
Le jeune couple désargenté se pose à Saint­
Malo en 1978 : « Oui, mais que faire ? Je me lance
dans la pêche aux bulots en achetant un vieux
bateau en bois qui prend l’eau et sur lequel je
hisse une voile. » C’est compter sans l’hostilité
de certains qui voient d’un mauvais œil l’arri­
vée d’un nouveau concurrent sur le marché :
« Je suis considéré comme l’étranger de qui on
ne donne pas cher : “Il va se planter, t’as vu le ga­
barit du gars, et son bateau, etc.” Je peux le dire
aujourd’hui, je n’ai jamais été un pêcheur dans
l’âme, ce que j’aime, c’est vendre. »
Il faudra attendre sept ans après le drame fa­
milial pour que Bob, qui a consolidé l’entre­
prise à Bièvres, s’en sépare, non sans avoir su
faire monter les enchères. Le voilà au début
des années 1990, prenant à son tour la direc­
tion de Saint­Malo, se lançant dans l’achat
d’un chantier naval. Puis dans la location de
bateaux de passagers et la restauration de ba­
teaux de tradition. Dès lors, y aurait­il eu un
Escoffier de trop en ville ? Bob arrive à en rire :
« J’ai failli être celui­là ! Je me suis fait renverser à
vélo par un camion dans Saint­Malo, il y a quel­
ques jours. Ça a tenu à pas grand­chose… »
En trente­deux ans, les différentes sociétés
de Bob Escoffier ont armé quarante­trois ba­
teaux : « A la vérité, j’ai été marin­hôtelier­res­
taurateur­armateur­serveur. Dans une profes­
sion comme celle­là, il y a toujours des jaloux…
Bah, j’aurais quand même mené ma petite bou­
tique avec Françoise [sa seconde épouse] »,
dit­il. Puis lâche tout à trac : « En fait, naviguer
pour naviguer, ça ne m’a jamais fait bander. »
Coquetterie d’un vieux capitaine qui a couru
sa première Route du rhum en 1994 sur un
thonier de 22 mètres ? Ou aveu désabusé d’un
chef d’entreprise qui a failli « y passer » ?
Quoi qu’on dise de lui en ville – il a toujours
affirmé qu’il s’en foutait royalement –, Bob
Escoffier aura pris le départ de cinq éditions
depuis 1994. La réclame a été indéniable­
ment son point fort : la Route du rhum, no­
nobstant son caractère sportif et aventureux,
est une caisse de résonance incomparable
pour les affaires. Epreuve au cours de laquelle
il se classera deux fois, sauvant au passage,
dans le golfe de Gascogne, en 2002, la naviga­
trice Karine Fauconnier, dans une mer en fu­
rie. Mais il aura aussi sombré en 2014. Puis
abandonnera sur voie d’eau en 2018.
Sa fille Servane est mariée depuis douze ans
au navigateur Louis Burton, 38 ans, dont ce
sera la troisième participation. « Ce qui est ras­
surant, même si c’est douloureux, c’est que les
enfants ont construit chacun leur histoire, indé­
pendamment de la brouille. Je suis désormais
une Burton­Escoffier », dit­elle pour marquer
sa différence. Le couple est à la tête de l’écurie
de course BE, comme Burton­Escoffier. Louis
Burton, 3e du dernier Vendée Globe, dont la
douceur à terre n’a d’égale que la férocité en
mer se hasarde à une supposition : « L’histoire
des Escoffier, c’est une histoire tellement univer­
selle ! Elle met en scène deux frères sur fond de
patriarche qui, s’il n’était disparu tragique­
ment, aurait peut­être réglé leurs conflits en ta­
pant du poing sur la table… » L’histoire de deux
orphelins, aussi orgueilleux qu’attachants,
qui n’ont jamais pu se dire qu’ils étaient
rouillés de l’intérieur par un lourd chagrin. p
jean­louis le touzet
 CULTURE
24 |
Un air de famille à l’Opéra de Paris
L’établissement propose, depuis 2017, à des parents et à leurs enfants, des spectacles à un tarif très avantageux
REPORTAGE
A
ffalé dans un coin, un
groupe d’adolescents
se dispute un paquet
de biscuits en chahu­
tant ; non loin d’eux, trois petits
s’appliquent, crayon en main,
à remplir un carnet de jeux ;
d’autres cavalent à travers les es­
caliers en jouant à chat perché.
Nous sommes à l’Opéra Bastille,
à Paris, où, en ce dimanche après­
midi d’octobre, le majestueux
hall d’entrée connaît une agita­
tion inhabituelle. Ni robes du
soir ni costumes : la tenue jean­
sweat­baskets est la plus parta­
gée par le public où l’on compte
un grand nombre d’enfants et
adolescents.
Venus avec leurs parents, ils
sont les heureux bénéficiaires de
l’opération Ma première fois à
l’Opéra. Une initiative visant à dé­
mocratiser l’accès à un art consi­
déré comme élitiste et réservé
aux gens qui en ont les moyens fi­
nanciers. Depuis 2017, deux fois
par an, des familles qui n’y sont
jamais venues se voient offrir l’oc­
casion de visiter les lieux et d’as­
sister à un spectacle de danse ou
lyrique à un tarif très avantageux :
25 euros pour les adultes, 10 euros
pour les enfants (les billets s’éche­
lonnent d’ordinaire de 10 à
230 euros). Pour l’Opéra de Paris, il
s’agit d’élargir le public habituel,
mais aussi d’anticiper son renou­
vellement, « un enjeu prioritaire »,
revendique la direction.
Ce dimanche 23 octobre, c’est
l’œuvre de Puccini, Tosca, qui
conte le destin tragique d’une
femme poussée au meurtre par
passion, qui est à l’affiche, mise
en scène par Pierre Audi avec
Elena Stikhina dans le rôle­titre.
Mille cinquante personnes,
parents accompagnés de leurs
enfants, ont été sélectionnées
après avoir candidaté sur le site
Internet de l’Opéra. Ils ont reçu,
par mail, des documents pédago­
giques, podcasts et vidéos, pour
se préparer à la représentation.
LA NUIT
11 12 13
Ulysse, 11 ans,
à l’Opéra
national
de Paris,
le 23 octobre,
dans le cadre
de l’opération
Ma première fois
à l’Opéra.
JEANNE FRANK/DIVERGENCE
POUR « LE MONDE »
La famille Longeau­Labarre est
venue à neuf, quatre adultes (les
parents) et cinq enfants, âgés de
10 à 17 ans. C’est Carole, mère de
deux des enfants, qui a suggéré
à sa sœur et son beau­frère de
candidater. « C’était en 2019, les
grèves et le mouvement des “gi­
lets jaunes” nous ont privés de
cette sortie. Nous avons été recon­
tactés pour une nouvelle repré­
sentation mais, cette fois, c’est le
Covid­19 qui a bousculé nos plans.
On a recandidaté et l’Opéra nous
a proposé de venir voir Tosca.
Nous sommes très heureux d’être
DU CIRQUE
© Aéro Club Studio
NOV 2022
enfin là ! », témoigne la mère de
famille, enseignante à Versailles.
Les enfants approuvent : ils font
tous de la musique et ne se sont
pas fait prier pour venir. « J’ai fait
un peu d’orchestre et j’ai très envie
de voir comment cela rend ici »,
glisse Elise, qui apprend le vio­
lon. Les Le Queng, le père, la
mère et leurs deux filles, Rachel,
17 ans, et Lise, 14 ans, sont venus
d’Amiens. Ils fréquentent assidû­
ment la maison de la culture de
leur ville, « mais l’Opéra de Paris,
c’est quand même autre chose ! »,
remarque Rachel.
Une joyeuse turbulence
Accompagnés également par
leurs parents (mère assistante de
direction et pianiste, père ingé­
nieur), Ulysse, 11 ans, et Corentin
Maestraggi, 17 ans, laissent
entendre qu’on les a un peu forcés
à être là ce dimanche. Il faut dire
que, pour eux, la journée a
commencé dès le matin : la fa­
mille, qui habite à Sceaux (Hauts­
de­Seine), a opté pour la formule
« complète » de l’opération, qui
comprend une rencontre, de
11 heures à 12 h 30, avec des sala­
riés de la maison : régisseur,
costumière, chanteur… Les deux
ados, musiciens depuis l’âge de
6 ans – Ulysse joue du piano,
Corentin du violoncelle –, y ont
assisté sagement, comme une
petite centaine de personnes qui
ont pu échanger avec ces
professionnels et se sont familia­
risées avec le vocabulaire de
l’opéra : « fosse », « jardin », « ita­
lienne », « tempo », « livret »,
« tessiture », « argument »…
Le chanteur Christian Rodrigue
Moungoungou a pris le temps
de répondre aux questions des
jeunes visiteurs : « Moi­même
je suis entré tard à l’Opéra, j’ai
commencé les cours à 23 ans seule­
ment car je n’ai pas eu la chance
de faire de la musique quand
j’étais enfant », dit­il avant de filer
se préparer pour son rôle dans
Tosca, où il incarne un geôlier
et intervient dans les chœurs.
A 14 heures, les portes s’ouvrent.
« Grave beau ! », lâche Emma,
17 ans, en pénétrant dans la salle,
l’une des plus grandes au monde
avec ses 2 745 places, ses murs en
granit et son impressionnant
plafond. Le public des « premières
fois » se mêle aux autres specta­
teurs, semant dans les rangs une
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022
joyeuse turbulence. Quand le de secteurs défavorisés », précise néma et de télévision si l’on pense
rideau se lève, la découverte du Jörn Tews, administrateur des aux films En corps, de Cédric
décor, avec ses effets de brume formations musicales à l’Opéra Klapisch, Ténor, de Claude Zidi Jr.,
et l’immense croix qui domine de Paris. Des avant­premières ou la série L’Opéra sur OCS. Ce sont
la scène, suscite des commentai­ sont aussi proposées au tarif de des portes d’accès qui peuvent atti­
res chuchotés mais, très vite, 10 euros aux moins de 28 ans, rer un public nouveau. »
les murmures cessent, on sent le Pass culture, dont l’Opéra est La prochaine édition offrira
le public captivé. Les applaudisse­ partenaire, permet aux 15­20 ans aux familles la possibilité de dé­
ments sont nourris à l’issue des d’avoir accès à des tarifs privilé­ couvrir, le 21 mai 2023, un pro­
trois heures de représentation giés, et un Pass’ familles offre des gramme de danse consacré à
(scindées par deux entractes). réductions de 50 %, ajoute Sophie Maurice Béjart. Rançon du succès,
Rattrapées dans le hall avant Gavriloff, directrice de l’expé­ les inscriptions sont déjà complè­
qu’elles ne s’égaillent, quelques fa­ rience spectateur et du marke­ tes. Une nouvelle occasion sera
milles livrent leurs impressions. ting. « Le monde de la danse et de à saisir sur le site de l’Opéra dès
Ulysse, qui a bien retenu la leçon l’opéra n’a semble­t­il jamais été le 12 janvier 2023. p
du matin, dit qu’il a « bien aimé aussi présent sur les écrans de ci­ sylvie kerviel
l’argument » et se moque de son
frère « qui a dormi pendant tout le
premier acte ». Sarah, 12 ans, com­
mente joyeusement : « Y a de
OFFRE PRIVILÈGE CIRQUE
l’émotion, de la puissance, des dé­
guisements, c’est cool ! » Gabriel, 30% DE RÉDUCTION POUR L’ACHAT DE 2 SPECTACLES DE CIRQUE
8 ans a, lui, été impressionné par
le sang sur la chemise du CIRQUE
condamné : « Mais je ne pense pas
que c’était du vrai », avance­t­il.
« Je craignais que ça leur paraisse
long, mais finalement le temps a
passé vite ! », se réjouit Estelle La­
barre, professeure de collège à Pa­
ris. Odelia Bensimon, également « UN BALLET D’ACROBATIES
professeure en collège dans la ca­ MAGNIFIQUEMENT ORCHESTRÉ »
pitale où elle enseigne l’histoire­ Le Progrès
géographie, estime qu’« il faut
multiplier ce type d’initiatives. Par
manque de temps, on ne propose
pas suffisamment de sorties cultu­
relles au collège ». Mais, remarque­
t­elle, « pour bénéficier de cette
opération, il faut savoir aller cher­
cher les informations sur Internet
et ce n’est pas accessible à tout le
monde ». C’est, en effet, la limite de
l’initiative : tous les bénéficiaires
que nous avons rencontrés appar­
tiennent à la classe moyenne,
voire supérieure, et beaucoup
d’enfants pratiquent la musique.
« On mène d’autres actions en di­ LA GALERIE
rection de populations plus éloi­
PAR MACHINE DE CIRQUE
DU 09.11.22 AU 26.11.22
gnées de la culture, comme l’opé­ DU MARDI AU SAMEDI À 19H
LES SAMEDIS ET LE DIMANCHE À 15H
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le public habituel,
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SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022 culture | 25

Brigitte Giraud décroche le prix Goncourt

Avec le poignant « Vivre vite », l’autrice devient la treizième femme à recevoir la récompense littéraire

L
e prix Goncourt a été at­
tribué à Brigitte Giraud
pour Vivre vite (Flamma­
rion, 208 pages, 20 euros).
Trois autres livres étaient égale­
ment en lice : Le Mage du Kremlin,
de Giuliano da Empoli (Gallimard,
288 pages, 20 euros), déjà récom­
pensé du Grand Prix de l’Acadé­
mie française, Les Presque Sœurs,
de Cloé Korman (Seuil, 256 pages,
19 euros), et Une somme humaine,
de Makenzy Orcel (Rivages,
624 pages, 22 euros). Comme cha­
que année, c’est du restaurant
Drouant, à Paris, où se réunissent
les jurés, que la nouvelle a été
proclamée, jeudi 3 novembre,
à 13 heures. Quelques minutes
après, dans le même lieu, le prix
Renaudot a été attribué à Simon
Liberati pour Performance (Gras­
set, 252 pages, 20 euros).
Déjouant les pronostics des cri­
tiques littéraires recueillis par
Livres Hebdo, qui la plaçaient en
outsider derrière le favori Giu­
liano da Empoli, la romancière
lyonnaise se voit enfin récompen­
sée par un grand prix littéraire
pour son quatorzième livre. Et
avec elle son éditeur, Flammarion,
douze ans après le Goncourt dé­
cerné à Michel Houellebecq pour
La Carte et le Territoire. Elle est la
treizième femme ainsi récom­
pensée, six ans après Leïla Slimani
et sa Chanson douce (Gallimard).
Dès le titre, Vivre vite – em­
prunté à Lou Reed, l’un des musi­
ciens préférés de Claude, son
compagnon, mort brutalement
à 41 ans –, et l’exergue de Patrick
Autréaux – « Ecrire, c’est être mené
à ce lieu qu’on voudrait éviter » –,
Brigitte Giraud donne le tempo
musical et le tracé singulier de ce
livre éminemment émouvant.
Sous la forme d’un compte à re­
bours haletant, le récit dessine
la généalogie d’une disparition.
Et le portrait sensible d’un
homme, guitariste et critique de
rock, et d’un couple insouciant,
épris de musique et de littérature,
à l’aube d’une nouvelle vie.
Ecriture subtile et juste
Parents d’un garçon de 8 ans
– Théo, à qui le livre est dédié –,
les deux quadragénaires, après
vingt ans de vie commune, ont
décidé d’acheter une maison avec
jardin, sur les hauteurs de Lyon.
Un lieu bien à eux, où « ils pour­
raient poser leurs valises pour
une vie entière »… Ils n’en auront
pas le temps : un après­midi de
juin 1999, sur le chemin de l’école,
Claude se tue à moto.
Deux ans après le drame,
Brigitte Giraud compose A pré­
sent (Stock, 2001). Arrimée au réel
pour mettre à distance la douleur,
elle retrace les quelques jours qui
ont suivi l’annonce de l’accident,
jusqu’à l’enterrement de son com­
pagnon. Dès lors, la perte d’un
être cher, d’un amour, d’un pays
ou celle liée aux déchirements
de l’adolescence deviennent un
thème central dans l’œuvre
de cette romancière à l’écriture
subtile et juste, où la famille tient
une place de choix. Que l’on pense
à Marée noire (Stock, 2004), J’ap­
prends (Stock, 2005), L’amour est
très surestimé (Stock, 2007), ré­
compensé par le Goncourt de la
nouvelle, Une année étrangère ou
Brigitte Giraud,
au restaurant
Drouant,
à Paris,
le 3 novembre.
BERTRAND GUAY/AFP
encore Avoir un corps (Stock, 2009
et 2013), dans lequel réapparaît
subrepticement Claude.
« Chacun de mes livres a pour
base quelque chose qui depuis
longtemps m’empêche de vivre,
me perturbe ou me donne le senti­
ment d’être hypervivante (…). Ce
qui te traverse parfois te dépasse
et l’écriture est un bon moyen
de faire le tour du propriétaire »,
confiait­elle en 2007 au magazine
Le Matricule des anges. C’est préci­
sément cela que l’autrice de Jour
“ UN FILM HANTÉ PAR LA TRAGÉDIE GRECQUE ”
de courage (Flammarion, 2019)
entreprend dans Vivre vite.
Avant de rendre les clés de la
maison qui la reliait à l’homme
aimé, elle décide de faire le tour
de la question comme on ferait,
en effet, le tour du propriétaire.
Un tour de toutes les questions
restées en suspens depuis l’acci­
dent. Mais aussi de toutes les hy­
pothèses : elle aurait pu l’éviter si
elle ne s’était pas entêtée à ache­
ter cette maison ; si son frère
n’avait pas garé chez eux cette
moto, une Honda CBR Fireblade
interdite au Japon mais pas à l’ex­
portation ; si elle n’avait pas dé­
placé son rendez­vous chez son
éditeur, à Paris ; si elle avait eu un
téléphone portable, si…
Au fil d’une obsédante litanie
de « si » qui donne sa scansion
au récit, Brigitte Giraud rouvre
la « boîte noire » et traque métho­
diquement le moindre fait,
le moindre geste, la moindre dé­
cision afin de mettre à nu les
ressorts de l’existence. Ceux qui
relèvent de l’inexpliqué, qu’on
le nomme hasard, destin ou coïn­
cidence, aussi bien que ceux
qui déterminent les choix que
l’on opère pour soi, pour l’autre,
malgré soi ou sous le coup d’in­
jonctions familiales ou sociales.
Parce qu’elle ne peut concevoir
le « je » sans le « nous », l’intime
sans le collectif, chaque « si » sert
d’amorce à l’évocation d’une
image, d’un souvenir de Claude
et de leur couple. Fragment après
fragment, Brigitte Giraud recom­
pose leur histoire, au son de
Coldplay, Joy Division ou Domi­
Le Monde
Sous la forme
d’un compte à
rebours haletant,
le récit dessine
la généalogie
d’une disparition
nique A. Celle de deux jeunes gens
nés en Algérie, dans les ultimes
soubresauts de la guerre, qui ont
grandi dans une cité­dortoir
à Rillieux­la­Pape (Rhône), près
de Lyon. Deux êtres fougueux et
orgueilleux, qui rêvent d’un lieu
empli de copains, de fêtes, de mu­
sique, d’engagement… Devenu
une famille avec l’arrivée de Théo,
le couple s’embourgeoise et se
laisse prendre dans les rets d’une
époque – celle des années 1990
et de l’argent facile qui alimente
l’illusion d’un bonheur parfait.
Brigitte Giraud, pour qui écri­
ture et musique ont partie liée,
a multiplié ces dernières années
les associations artistiques, tout
particulièrement avec les musi­
ciens Laetitia Shériff, Albin
de la Simone ou Dominique A.
« C’est sans doute une façon de
retrouver ma part manquante,
mon homme manquant. Le gar­
çon à la guitare qui n’est plus là »,
expliquait­elle au Monde des li­
vres en 2019. Une absence à la­
quelle, à défaut de la combler, elle
donne corps dans ce Vivre vite
porté par une nécessité vitale,
l’incandescence d’un amour. p
christine rousseau

A l’Opéra national du Rhin, bijoux

volés, luth magique et conte cruel
La scène lyrique strasbourgeoise présente la création française du
« Chercheur de trésors », de Franz Schreker, œuvre longtemps oubliée

OPÉRA ner ses prétendants, et Elis, le mé­

nestrel au luth magique. Entre ces
strasbourg ­ envoyée spéciale
deux êtres venus d’ailleurs, le
exigence vocale, le plateau ré­
clame un aréopage lyrique de pre­
mier plan. A commencer par la fi­

C ela fait une bonne dizaine

d’années que l’Autrichien
Franz Schreker (1878­1934)
poursuit sa lente reconquête de la
scène lyrique, lui qui fut l’un des
compositeurs d’opéras les plus en
vue de sa génération avant d’être
stigmatisé par les nazis. En
France, deux maisons d’art lyri­
que se partagent le butin : l’Opéra
de Lyon, qui a monté, en 2015, Les
Stigmatisés (Die Gezeichneten)
puis Irrelohe, en mars 2022, et
l’Opéra du Rhin, qui, dix ans après
Le Son lointain (Der ferne Klang)
en 2012, propose, depuis vendredi
28 octobre, la création française
du Chercheur de trésors (Der
Schatzgräber), en coproduction
avec le Deutsche Oper de Berlin.
Créé en 1920 à l’Opéra de
Francfort, l’opéra avait été joué
plus de 350 fois dans une cinquan­
taine de villes jusqu’en 1932. Puis
il était tombé dans l’oubli après
son interdiction par le IIIe Reich.
Christof Loy et son équipe ont
placé ce conte de fées cruel dans le
décor unique, froid, lourd et som­
bre d’une vaste salle d’apparat que
recouvre un marbre sépulcral.
Dans cet espace pictural, aux fenê­
tres closes, vont se juxtaposer et
s’interpénétrer deux mondes in­
bouffon du roi suggère que soit
justement dépêché le musicien
chercheur de trésors pour retrou­
ver les bijoux de la reine, dont la
beauté s’étiole chaque jour davan­
tage depuis qu’ils ont été volés,
tandis qu’elle se révèle incapable
de donner un héritier au trône.
Ténèbres inavouables
La scénographie impavide de
Johannes Leiacker, les costumes
élégants mais compassés de
Barbara Drosihn, le rôle muet de
la reine en sempiternelle robe de
mariée dont le personnage s’ap­
parente à celui d’un pantin ou
d’une marionnette (souple et
ductile Doke Pauwels) semblent
tirer l’œuvre vers les ténèbres les
plus inavouables de l’âme hu­
maine. Meurtres récurrents, vio­
lences sexuelles et comporte­
ments déviants, tel le long duo
d’amour entre Els et Elis qui voit
la scène se transformer en par­
touze générale, entrent scéni­
quement en contradiction avec
l’aspect onirique puissamment
porté par la musique.
D’autant plus regrettable que,
pendant près de trois heures, la
baguette fine de Marko Letonja à
la tête de l’Orchestre philharmo­
gure centrale, Els, dont l’hystérie
victimaire se double d’une fasci­
nation mortifère pour les bijoux.
Helena Juntunen est rompue à
l’écriture « schrekérienne » : elle
incarnait déjà le personnage de Un film de
Grete dans Le Son lointain. Mais la DMYTRO SUKHOLYTKYY-SOBCHUK
soprano finlandaise se révèle
plus convaincante dans le regis­
tre intime (scène de berceuse à
l’acte III) que dans les passages où
sa vocalité rageuse se hérisse
d’aigus stridulants.
A son côté, le ténor Thomas
Blondelle, beau timbre et phrasé
élégant, dont la prestation
manque parfois de tension dra­
matique et d’endurance. Il faut
dire que les deux rôles sont redou­
tables. Parmi la vingtaine de per­
sonnages qui entourent le duo
des amants : le bouffon de l’Autri­
chien Paul Schweinester, excel­
lent musicien, dont le timbre ga­
gnerait à s’arrondir ; le roi plein de
morgue du baryton­basse austra­
lien Derek Welton ; l’Albi de Tobias
Hächler, ainsi que le bailli de
Thomas Johannes Mayer, inopi­
nément arrivé l’après­midi même
de l’Opéra de Hambourg, où il in­
terprète le rôle­titre du Vaisseau
fantôme, de Wagner, pour rempla­
cer le baryton Kay Stiefermann,
Photo : Nikita Kuzmenko • Création : Kévin Rau / TROÏKA

compatibles. Celui des puissants
– le roi, la reine, et leur cour de ho­
bereaux et courtisans pervers et
dépravés – et celui des humbles :
Els, la jolie fille de l’aubergiste,
courtisée par tous, qui fait assassi­
nique de Strasbourg distille les
passions et les voluptés d’une
partition dont on n’a pas fini de
goûter les charmes, entre lyrisme
wagnérien, souffle puccinien et
féerie straussienne. D’une grande
déclaré positif au Covid­19. p
marie­aude roux
Le Chercheur de trésors
(Der Schatzgräber), de Franz
Schreker. Jusqu’au 8 novembre.
26 | télévision
Yehudi Menuhin, portraituré par les siens
Dans un film réalisé en 1991, Tony Palmer a retracé, à l’aide de sa famille, la vie et la carrière du violoniste disparu en 1999
NETFLIX
À LA DEMANDE
DOCUMENTAIRE
P
our Albert Einstein, qui
l’avait entendu jouer le
Concerto de Beethoven
en 1930 à Berlin, Yehudi
Menuhin (1916­1999) était « la
preuve que Dieu existe ». Le violo­
niste, né à New York en 1916 au
sein d’une famille juive émigrée
de Russie et de Palestine, était en­
core l’adolescent un peu replet
que montrent beaucoup de pho­
tos et de films d’époque, utilisés
par Tony Palmer dans son docu­
mentaire Menuhin. A Family Por­
trait (1991).
Enfant prodige, Menuhin com­
mence le violon à 4 ans, se produit
pour la première fois en public à
8 ans, à Oakland (Californie), près
de San Francisco, où sa famille
s’est installée, et, quelques mois
plus tard, il joue la Symphonie es­
pagnole de Lalo avec orchestre.
Sa rencontre avec le grand vio­
loniste et compositeur George
Enesco, avec qui il vient travailler
en France, est essentielle. En 1932,
il enregistre à Londres le Concerto
pour violon (1910) d’Edward Elgar
(75 ans), fasciné et ému par ce mu­
sicien de 16 ans qui, partout,
éblouit par sa sonorité de rêve.
Le portrait de quelque cent cinq
minutes que consacre à Menuhin
le grand et prolifique documen­
Un film noir, poétique et fulgurant de Jia Zhang­ke
Dans son neuvième long­métrage, le cinéaste chinois conte l’histoire d’un couple de mafieux, entre pègre et capitalisme
OCS CITY
SAMEDI 5 - 23 H 00
FILM
T rois ans après son premier
passage au Festival de
Cannes avec Au­delà des
montagnes (2015), Jia Zhang­ke y
était de retour en 2018 avec Les
Eternels, une histoire poétique et
fulgurante au sein de la pègre,
dans la province du Shanxi.
Son neuvième long­métrage
lève le rideau en 2001 à Datong,
dans l’électricité d’un pays saisi
par la fièvre du changement,
GRILLE N° 22 - 258
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I En Suisse et en Chine. Bulles du Pié-
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X ham. Dressée pour mémoire. 5. Se
SOLUTION DE LA GRILLE N° 22 - 257
HORIZONTALEMENT I. Bredouillage. II. Rageur. Ain. III. Ipé. Verbatim.
IV. Sardes. Onéga. V. Etier. Are. Nn. VI. Gré. Tamisa. VII. Li. Renie. Vah.
VIII. Aéras. Rusera. IX. CNES. Jaserai. X. Etranglement
VERTICALEMENT 1. Brise-glace. 2. Rapatrient. 3. Egérie. RER. 4. Dé. Dé.
Rasa. 5. Ouvertes. 6. Ures. An. Jg. 7. Amiral. 8. Laborieuse. 9. Lianes.
Sem. 10. Ante. Avéré. 11. IGN. Aran. 12. Emmanchait.
Yehudi Menuhin, en concert à Venise, en 1983. MARCELLO MENCARINI/LEEMAGE/AFP
tariste Tony Palmer, dont Netflix
a également récemment mis en
ligne le remarquable portrait de
Liberace, balaie l’histoire de la
carrière du violoniste. Notam­
ment ses concerts dans les camps
de la mort, à la Libération, en
compagnie du pianiste et compo­
siteur Benjamin Britten, et sa
main tendue à l’Allemagne
(quand d’autres musiciens juifs
entre salle de spectacle et arrière­
salle de jeu. Dans la lumière bleue,
rouge et verte des néons, un
couple règne : Bin (Liao Fan),
moustachu trapu et dur à cuire,
chef d’une petite bande mafieuse,
et sa fiancée Qiao (Zhao Tao),
liane brune fortement stylée.
Le film se déploie en trois épo­
ques. La première voit la montée
d’une concurrence qui déchaîne
contre Bin de jeunes voyous sans
foi ni loi qui l’auraient tué si Qiao
n’avait sorti à temps une arme à
feu, ce qui lui vaut une peine de
prison de cinq années.
7 8 9 10 11
refuseront inflexiblement de s’y
produire après la guerre).
On le voit diriger des orchestres
(une activité très importante à la
fin de sa vie), parler parfaitement
l’allemand et le français, jouer avec
Stéphane Grappelli ou avec Ravi
Shankar. Car Menuhin aura tou­
jours porté le plus grand respect à
la spiritualité et à la musique in­
diennes, qu’il fera connaître au
L’ellipse de son emprison­
nement – et Dieu sait que Jia a
l’ellipse la plus élégante du
cinéma contemporain – nous fait
bondir à sa libération en 2006, où
Qiao retrouve, dans un pays en
chantier, Bin converti dans l’in­
dustrie, accompagné d’une
nouvelle fiancée, et peu enclin à
lui témoigner la reconnaissance
et encore moins l’amour qu’il
devrait à son sacrifice. Le finale
voit un Bin laminé et paralytique,
essoré par son incursion capita­
listique, revenir auprès de Qiao,
qui a repris et poursuivi avec
HORIZONTALEMENT
I. Lanternes japonaises, elles dé-
corent le jardin et passent à table.
II. Leurs coups portent et font mal.
III. Dans les champs et la poche du cé-
réalier. Donnèrent leur accord.
12
IV. Répandent un parfum de résine.
mont. V. Vallée italienne. Hors du
court. Ouvre l’emmanchure.
VI. La Grosse Pomme. Alimente
la plume du poète. VII. Me pelai. Rap-
proche solidement. VIII. Assemblée
bout à bout. Pêché en Méditerranée.
Mesure prise à Pékin. IX. Amérindien
du Colorado. Arrive. Patron normand.
X. Remet à sa place. Dans les bourses
nippones.
VERTICALEMENT
1. Invitez-le à la fête, il empêchera les
gens de s’endormir. 2. Sa perception
du monde est limitée. 3. Mises de
côté. Dans l’ensemble. 4. Cité d’Abra-
barre quand ça va mal. Supprima.
6. Fiers en montant au poulailler.
Dans les comptes de l’entreprise.
Partir à la fin. 7. Apporter bien-être et
optimisme. 8. Arrivée chez nous.
L’affreux Arturo. Souvent victime
chez La Fontaine. 9. Commissaires
d’exposition quand ils ne sont pas
nommés par un juge. 10. Odin, Frigg
et Thor. Grandes voies. 11. Aimable et
élégante. Rejoint la Vilaine. 12. Calcul
plus ou moins précis.
monde occidental par le premier
disque de ce répertoire publié sur
microsillon, en 1955, présenté par
ses soins de manière pédagogique.
Subtile et muette cruauté
Ainsi que l’annonce son titre, le
film de Palmer fait intervenir les
membres de la famille de Me­
nuhin, ses sœurs, ses enfants, sa
mère ainsi que sa très chic seconde
succès la petite entreprise ma­
fieuse de leurs débuts.
Plusieurs choses au crédit de Jia
Zhang­ke : l’extraordinaire flui­
dité d’un récit pourtant lacunaire,
enchaînant des régimes de narra­
tion différents ; les correspondan­
ces nombreuses avec le reste de
son œuvre (la région du Shanxi, le
chantier du barrage des Trois­
Gorges, la colossale mutation
urbanistique, la dérive et l’enlise­
ment des espoirs…) ; la beauté stu­
péfiante qui émane de certaines
séquences, tels les deux amants
qui se séparent inexorablement
SUDOKU
N°22­258
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Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
épouse, Diana, qui s’exprime en
col roulé assorti à la couleur des ri­
deaux du salon cossu de leur do­
micile.
On retrouve la subtile et muette
cruauté de Tony Palmer (celle qui
laissait, mais sans méchanceté, ap­
paraître la fatuité un peu vaine de
Liberace) : le réalisateur n’inter­
vient jamais et laisse la bride sur le
cou de la caméra, alors que
l’épouse dicte au grand Menuhin
ce qu’il doit dire et faire. Elle cor­
rige ses souvenirs (malgré les pro­
testations de l’époux), le materne,
pérore et décoche quelques flè­
ches. Un peu comme le fait, face
caméra, la mère du violoniste, qui
semble devant elle comme un en­
fant dans ses petits souliers.
Diana avait été une ballerine
avant la guerre. Après sa rencon­
tre, en 1944, et son mariage, en
1947, avec le violoniste, elle allait se
mettre au service de sa carrière,
gérant le quotidien et l’accompa­
gnant partout. Alors qu’ils sont
tous deux filmés sur le plateau de
Carnegie Hall, à New York, Yehudi
Menuhin lui lance : « Je crois que
c’est la première fois que nous par­
tageons la scène… » Clin d’œil à
l’ancienne danseuse ou vacherie
adressée à celle qui semble tant
aimer partager la lumière ? p
renaud machart
Menuhin. A Family Portrait, de
Tony Palmer (GB., 1991, 105 min).
dans une chambre jaune infusée
par la tristesse et la honte, ou cet
immeuble d’outre­monde surgi
de la nuit, magiquement éclairé
par de possibles forces extrater­
restres, dans un ciel étoilé sous le­
quel Qiao revient seule chez elle
pour y refaire sa vie.
L’humour, enfin, qui affleure
ici plus qu’à l’ordinaire, à com­
mencer par ce redoublement
brechtien qui court tout au long
du film entre pègre et capita­
lisme, et qui nous laisse claire­
ment entendre que la première
peut du moins se prévaloir d’une
1 8 4 9 5 2 6 3
2 3 6 7 4 1 5 8
9 7 5 8 3 6 2 4
6 9 7 4 1 5 3 2
4 1 2 6 8 3 7 9
6 3 5 8 2 7 9 4 1 6
5 2 1 3 9 7 8 6
8 6 9 5 2 4 1 7
4 3 1 6 8 9 5 2
7 5
Très difficile
toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
1 9 seule fois par ligne,
par colonne et par
carré de neuf cases.
NOTRE GUIDE
DES MEILLEURES
MAISONS
DE RETRAITE
DE FRANCE
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022
NOTRE
SÉLECTION
SAME DI 5 NOVE MBRE
Ushuaïa TV
Alerte aux débris spatiaux
16.20 Spectaculaire documentaire,
aussi passionnant qu’inquiétant.
Encombré des restes de la conquête
spatiale, l’espace devient menace,
les débris s’accumulent.
Mezzo
Tristan et Isolde
20.30 Grand spectacle donné à
Berlin en 2018. Daniel Barenboim, à
la direction, et Dmitri Tcherniakov, à
la mise en scène de cet opéra de
Richard Wagner. Avec Anja Kampe
(Isolde) et Andreas Schager (Tristan),
tous deux remarquables.
France 2
Rugby : France-Australie
20.50 A quelques mois de la Coupe
du monde, une affiche de prestige
qui va remplir le Stade de France
entre les Bleus, invaincus depuis
dix rencontres, et les redoutables
Wallabies. La dernière défaite
des joueurs français remonte
à juillet 2021 face… aux Australiens.
Ciné + Club
Onoda
22.30 Film d’Arthur Harari (2021)
avec Yuya Endo, Kanji Tsuda. D’après
l’histoire vraie d’un soldat japonais
de la seconde guerre mondiale,
retranché sur une île et n’ayant
rendu les armes qu’en 1974 ! Un
long-métrage émouvant et réussi.
certaine « droiture » et du respect
des traditions.
Telle est la manière avec laquelle
Jia Zhang­ke s’empare du film
noir, après s’être essayé au film de
sabre (A Touch of Sin, 2013) ainsi
qu’au mélo (Au­delà des monta­
gnes, 2015). Les Eternels, déstabili­
sant, poétique et fulgurant, opa­
que et lumineux à la fois, fait par­
tie de ses plus grands films. p
jacques mandelbaum
Les Eternels, de Jia Zhang­ke.
Avec Zhao Tao, Liao Fan
(Fr., Jap., Chine, 141 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
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Montpellier (« Midi Libre »)
Origine du papier : France, Belgique.
Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022
styles | 27
Série « Plain Cuts Stone & Steel » (chaise)
et « Haze » (table), de Wonmin Park,
ici dans son atelier, sur le site de
la Carpenters Workshop Gallery,
à Mitry­Mory (Seine­et­Marne),
le 27 octobre. TIPHAINE CARO POUR « LE MONDE »

DESIGN

D
es entrepôts de stockage façon
parallélépipèdes de métal posés
côte à côte à Mitry­Mory, en Seine­
et­Marne, entre un atelier de main­
tenance de la RATP et l’aéroport de Roissy­Char­
les­de­Gaulle. Ce n’est pas là qu’on s’attend à
rencontrer l’un des fleurons du design contem­
porain, le Coréen Wonmin Park, dont les
œuvres ont déjà été exposées au Musée natio­
nal d’art contemporain de Séoul et au Musée
des arts décoratifs, à Paris. C’est pourtant sur
ce site de 8 000 mètres carrés – lieu de recher­
che et de production appartenant à sa galerie,
la Carpenters Workshop – qu’il a son studio de
création. Repéré quelques années après son di­
plôme obtenu en 2011 à l’Ecole de design d’Eind­
hoven, aux Pays­Bas, ce talent en devenir s’est
vu offrir, dès 2015, cette résidence d’artiste par
Julien Lombrail et Loïc Le Gaillard, les fonda­
teurs de la galerie. Sept ans plus tard, il est,
à Mitry­Mory, comme chez lui.
Le pas élastique, visage souriant, le voilà qui
accourt derrière les hautes grilles dignes d’une
cage aux lions, pour nous ouvrir ce lieu rare­
ment visité. 2022 lui a vu pousser des ailes : il a
soufflé ses quarante bougies, passé la bague
au doigt d’une styliste coréenne rencontrée à
Londres, et sera papa d’ici peu. Une année faste
qui comprend aussi son exposition à Paris :
« On Earth », à découvrir jusqu’au 7 janvier
2023, dans la galerie Carpenters Workshop, rue
de la Verrerie.
A l’allure footing de Wonmin Park (qui prati­
que assidûment la course et le tennis), on tra­
verse des allées avec plusieurs niveaux de
rayonnages métalliques : on se croirait dans un
entrepôt de meubles Ikea sauf qu’ici les caisses,
d’une taille certaine, échouent non pas dans le
coffre d’une voiture familiale, mais dans une
soute d’avion à destination de collectionneurs
de tous pays. Au détour de la visite, on peut se
trouver nez à nez avec un canapé en forme de
haricot des années 1970 du designer américain
DANS L’ATELIER DE…
Vladimir Kagan (1927­2016), une Land Rover
Defender (2013) par Studio Job, dotée à l’avant
d’une corne dorée, façon rhinocéros… Ou ce
meuble parcheminé et scarifié par la sculptrice
Ingrid Donat, la mère de Julien Lombrail, deve­
Wonmin Park ou la douce épure
nue aussi l’une de ses artistes majeures.
Pour créer, le designer sud­coréen au style original et postminimaliste s’est
Des artisans d’exception à portée de main
Franchissant d’un bond quelques marches mé­ installé dans l’entrepôt de la Carpenters Workshop Gallery, en Seine­et­Marne.
talliques, Wonmin Park nous ouvre les portes
de son studio de 50 mètres carrés aux larges Ses œuvres sont à voir dans la galerie parisienne jusqu’au 7 janvier 2023
baies vitrées, dont certaines sont obturées par
des bibliothèques. Etagères remplies d’échan­
tillons de matériaux, dessins au mur, tables
d’architecte avec maquettes et sol occupé par en 2015 – à la naissance de ce site abrité dans une vements minimalistes et radicaux, et qui a in­
un grand découpage de papier à l’échelle de ancienne usine d’encre d’imprimerie – à une
Ses tables de sufflé les dernières recherches de Wonmin Park.
l’une de ses tables monolithiques… Ce natif cinquantaine aujourd’hui. Il n’a qu’à passer la la série « On Earth » « Si vous travaillez la pierre tel un matériau,
de Séoul, la capitale sud­coréenne, fils d’un offi­ porte de son studio pour trouver divers prodi­ elle devient une sculpture. On peut faire moins :
ciel du gouvernement et d’une mère au foyer, ges des métiers d’art : bronziers, ciseleurs, ébé­
fusionnent simplement la couper au milieu pour montrer sa
a réalisé ici, après avoir traversé les océans nistes, selliers, gainiers, parcheminiers, tapis­ avec délicatesse beauté intrinsèque. Je pense que le design peut
pour devenir architecte, son rêve d’artiste. siers… De quoi se lancer aisément dans de nou­ se contenter d’un geste minimal », précise le
« Tout juste diplômé, j’ai fondé en 2012 à Rotter­ velles aventures créatives. A peine fantasmées,
une roche volcanique créateur dont les tables, assises ou bureau de
dam un studio qui porte mon nom, où j’ai tou­ aussitôt expérimentées. du Japon et le métal la série « On Earth » fusionnent avec délica­
jours une unité de production. Attiré par Paris, Et la variété, voire le contre­pied, est dans tesse une roche volcanique venue du Japon
capitale culturelle et cosmopolite, je pensais y sé­ l’ADN de Wonmin Park. « Quand tout le monde
usiné par l’homme et le métal usiné par l’homme. « Aux lignes
journer deux ans et, le bon vin et les bons restau­ me copie, je fais l’inverse, parce que je veux être géométriques que je trace – et c’est la singularité
rants aidant, c’est encore là que je vis et tra­ singulier », revendique le créateur sans amba­ de l’humain de faire des lignes orthogonales –
vaille ! » lâche l’esthète dans un large sourire. ges. En témoignent ces modèles réduits de chai­ et l’aluminium, et d’autres choses encore : se mêlent les contours organiques dessinés par
L’une des raisons de Wonmin Park pour rester ses de la collection « Haze Furniture Series » aujourd’hui, en mélangeant ces matériaux et en la nature, qui est la meilleure dans ce domaine.
francilien ? Les artisans d’exception à sa disposi­ (2012), construites à partir de dalles de résine brisant les frontières, je vais vers ce que j’aime », J’assemble les deux dans un rapport respec­
tion à Mitry­Mory, passés de quatre personnes aux pigments colorés. Ce mobilier léger et déclare celui qui se rêve en Isamu Noguchi, tueux. C’est dans ma culture coréenne de ne pas
translucide aux formes géométriques simples nomade et brillant touche­à­tout. Les œuvres domestiquer la nature mais d’intervenir le
a bouleversé les standards à l’époque. « Je m’ins­ de Wonmin Park sont dépouillées, les coloris moins possible », explique Wonmin Park de­
Une Factory à la Warhol à Londres crivais à l’encontre du design décalé et baroque
notamment en vogue aux Pays­Bas, avec le col­
subtils, et la lumière omniprésente quoique
discrète joue à travers les dalles de résine
vant un siège aux allures de trône, dont le dos­
sier d’acier se fiche dans une pierre antédilu­
C’est une sorte de Factory warholienne qui devrait voir le jour, lectif néerlandais Droog Design. J’ai pris le parti comme sur le métal. vienne, découpée de façon à révéler un cœur
début 2023, à Notting Hill, dans ce qui fut la première usine opposé avec mes lignes tranchées et des coloris Le designer, lui­même incarnation d’une cer­ riche en fer, de couleur ocre et brune, comme
d’automobiles d’Angleterre. Julien Lombrail et Loïc Le Gaillard, pastel », commente Wonmin Park. taine esthétique rigoriste dans son costume une prune éclatée.
fondateurs à succès de la Carpenters Workshop Gallery, sombre signé Tom Ford, se réclame des artistes Toujours hors champs et hors normes, Won­
s’offrent aujourd’hui un nouvel espace de 4 000 mètres carrés, « Geste minimal » minimalistes. « Ils sont une source d’inspiration min Park n’a jamais rien dessiné pour l’indus­
dans le bâtiment historique de Ladbroke Hall. « Il s’agit Pendant dix ans, sa renommée s’est bâtie sur qui ne se tarit jamais. Mon processus créatif trie. Seule création accessible : un vase en argile
d’un projet personnel que nous caressions de longue date : son art de la résine. Avant de tourner le dos à ses commence par eux, explique­t­il en pointant du imprimé en 3D (édition limitée à trente exem­
accueillir uniquement des métiers d’excellence avec des créa- premières amours et de se lancer dans le métal doigt, sur ses étagères, des beaux livres dédiés plaires, 890 euros pièce chez Trame Paris) qui
teurs et des équipes d’excellence », précise Julien Lombrail. dur et froid, travaillant la sobriété des assembla­ à Donald Judd ou Marcel Duchamp. Il y a aussi lui a été inspiré par l’architecture hispano­mau­
Le complexe, articulé autour d’une galerie de design contem- ges et jouant, là encore, de teintes délicates, le peintre Henri Matisse, qui « avec ses découpa­ resque de l’Alhambra, à Grenade. Et pourtant,
porain mais aussi de mobilier vintage, comprend restaurant, grâce aux techniques des patines. Ainsi naît, ges a cassé les codes artistiques et esthétiques de l’artiste pourrait, là encore, tourner casaque.
bar, salle de concerts, de théâtre, de danse, studio d’enregistre- en 2017, la série « Plain Cuts » : des tables, bancs son temps », ou Richard Serra, qui, « en virtuose « Pour notre appartement de jeunes mariés à Pa­
ment… L’architecte britannico-ghanéen David Adjaye veille et bibliothèques à base de feuilles d’aluminium du métal, a repoussé les frontières de son art ». ris, je vais dessiner nos meubles. J’aimerais qu’ils
à la rénovation des lieux, tandis qu’officiera aux fourneaux comme autant de volumes dépouillés, façon Et puis, il y a son compatriote Lee Ufan, dont aient par la suite une déclinaison grand public »,
le chef italien Emanuele Pollini. Pour sublimer chaque pièce poésie du vide. Enfin, après avoir entre­temps les sculptures, exposées notamment dans sa songe­t­il tout haut. C’est en meublant son pro­
de cette future « usine à produire de l’art » selon l’esprit d’Andy travaillé le verre et la céramique, Wonmin Park fondation inaugurée à Arles au printemps 2022, pre intérieur que Charlotte Perriand s’était fait
Warhol, le tandem a fait appel à quelques-uns des cinquante réussit un mariage apaisé des contraires. font dialoguer matériaux industriels et pierres connaître du plus grand nombre. Qui sait… p
designers de son écurie, dont Nacho Carbonell, Vincenzo Sa dernière collection, présentée actuelle­ ou bois prélevés dans la nature. Lee Ufan est véronique lorelle
De Cotiis, Michèle Lamy ou Ingrid Donat… Rendez-vous au ment dans la galerie parisienne Carpenters aussi le théoricien du mouvement d’avant­
printemps avec une exposition inaugurale de David Adjaye, Workshop, allie le métal et la roche volcanique, garde Mono­ha (« l’école des choses »), un cou­ On Earth, à la galerie Carpenters Workshop,
avant l’artiste britannico-nigérian Yinka Ilori, as de la couleur la résine et le verre, dans des collusions inédites rant artistique japonais qui prend son essor à la 54, rue de la Verrerie, à Paris (4e arr.),
et lauréat 2020 de la médaille London Design. et aériennes. « J’ai appris à dompter la résine fin des années 1960, parallèlement à des mou­ jusqu’au 7 janvier 2023.
 IDÉES
28 |
La mue illibérale
de la droite américaine
south bend (indiana), steubenville (ohio),
washington ­ envoyé spécial
D
onald Trump hante la droite reli­
gieuse américaine. Sa probable
candidature à la présidentielle de
2024 réjouit les auteurs qui s’em­
ploient à appliquer un vernis de
respectabilité sur la régression dé­
mocratique qu’il incarne. Marginale il y a
encore peu, l’entreprise intellectuelle visant
à renverser le libéralisme politique, le projet
philosophique qui a défini l’Amérique, ga­
gne en influence. Un contre­modèle est dé­
veloppé, avec l’objectif de restaurer les hié­
rarchies traditionnelles. Le scrutin de mi­
mandat du 8 novembre est un nouveau test
pour le populisme qui s’est emparé du Parti
républicain. Si un bon nombre de candidats
trumpistes l’emportent, les théoriciens de
ce sombre monde verront leur démarche
validée dans les urnes.
De brillants érudits, des professeurs de
science politique et des journalistes citent
désormais les grands noms de la philoso­
phie pour justifier leur souhait de voir tom­
ber ce qu’ils appellent « le régime ». L’époque
est décrite en des termes apocalyptiques.
Dans ce contexte de radicalisation, un col­
lectif d’intellectuels catholiques traditiona­
listes a su mieux que quiconque théoriser la
colère qui s’est emparée des électeurs reli­
gieux. Certains de ces penseurs se revendi­
quent de l’intégralisme, une tendance qui
cherche à soumettre l’ensemble de l’exis­
tence et des activités humaines à la vérité ca­
tholique. Ils ont ainsi développé une con­
ception de l’Etat qui pourrait s’avérer fort
utile à une droite qui a longtemps considéré
que le gouvernement était le problème,
mais qui souhaite maintenant reprendre en
main la société américaine.
Patrick Deneen, né en 1964, est l’un des
principaux membres de ce collectif catholi­
que, il est professeur de science politique à
l’université Notre­Dame (South Bend, In­
diana), d’où provient Amy Coney Barrett, fer­
vente catholique que Donald Trump a nom­
mée, en 2020, à la Cour suprême. En juin, elle
y a appuyé la décision mettant fin à la protec­
tion constitutionnelle de l’avortement. Elle
n’appartient pas au même courant que De­
neen. Amy Coney Barrett est plus proche de
la droite conventionnelle. Comme cinq
autres des neuf membres du plus haut tribu­
nal du pays, elle est issue de la plus influente
organisation juridique aux Etats­Unis, la Fe­
deralist Society, dont la philosophie est con­
servatrice et libertarienne, c’est­à­dire radica­
lement opposée à l’intervention de l’Etat.
Amy Coney Barrett a rejoint, au sein de la
Cour suprême, une majorité catholique.
Sept magistrats sont de cette confession,
une seule d’entre eux n’appartient pas au
bloc conservateur, Sonia Sotomayor. Joe Bi­
den est, lui aussi, un catholique de gauche.
Tout ceci atteste de l’influence intellectuelle
et politique du catholicisme aux Etats­Unis,
particulièrement à droite. Comme le dit
Gene Zubovich, chercheur à l’université de
Toronto (Canada), historien des relations en­
tre la religion et la vie politique aux Etats­
Unis, « les évangéliques fournissent les votes,
les catholiques la matière grise ».
Les premiers forment, en effet, le premier
groupe de croyants aux Etats­Unis et sou­
tiennent massivement le Parti républicain.
Pour mobiliser la frange la plus dure de cet
électorat, la campagne en vue des midterms
se joue, entre autres, sur des thématiques re­
ligieuses. Un récent sondage réalisé pour le
compte de Politico a démontré que 61 % des
électeurs républicains sont favorables à ce
que le christianisme soit déclaré religion offi­
cielle des Etats­Unis. Doug Mastriano, candi­
dat républicain au poste de gouverneur en
Pennsylvanie, a soutenu, en avril, que la sépa­
ration de l’Eglise et de l’Etat était un mythe.
Face aux évangéliques, les catholiques for­
ment une minorité, mais ils jouissent d’une
influence notable, notamment grâce aux
Une nébuleuse d’intellectuels américains de droite
prône un renversement du libéralisme politique
pour en finir avec l’avortement, les questions de genre…
Alors que les midterms approchent, la vision populiste
de ces idéologues catholiques inspire certains républicains
quelque 220 universités catholiques qui exis­
tent à travers le pays. Tous les professeurs qui
y sont employés ne sont pas d’ardents tradi­
tionalistes, mais certains d’entre eux accom­
pagnent les mutations politiques du pays
afin de lui donner des assises théoriques.
Notre­Dame fait partie de ce vaste réseau
d’universités catholiques. Derrière la basili­
que du Sacré­Cœur abritée par le campus,
une réplique de la grotte de Lourdes a été
construite et reste un lieu de dévotion : des
fidèles se recueillent à genoux sur le prie­
Dieu, d’autres en font autant depuis les
bancs publics environnants. Faite de pierres
assemblées pour former une nef, la grotte
est dominée par une statue de la Sainte
Vierge, face à laquelle se tient une sculpture
représentant Bernadette Soubirous. Le fon­
dateur de l’université, le prêtre et mission­
naire français Edouard Sorin (1814­1893),
avait fait vœu de faire bâtir cette réplique
lors de l’un de ses pèlerinages à Lourdes.
DE L’INTÉGRALISME,  1990 par le journaliste américain Fareed Za­
LE PARFAIT TIMING DE PATRICK DENEEN
Patrick Deneen se sent ici chez lui, il y trouve
une communauté vivante qui lui permet
d’exercer un magistère bien précis : dénon­
cer la démocratie libérale. Depuis la paru­
tion de son livre Pourquoi le libéralisme a
échoué (L’Artisan, 2020), il s’est, en effet, ins­
tallé comme l’un des principaux opposants
à ce projet politique. L’ouvrage a été remar­
qué au point de figurer en 2018, l’année de sa
publication originale en anglais chez Yale
University Press, sur la liste de lecture esti­
vale publiée, chaque année, par Barack
Obama. Le prochain ouvrage de Patrick De­
neen s’intitulera Regime Change. Toward a
post­liberal future (« changement de régime,
vers un avenir postlibéral »). Ce livre sortira
au printemps 2023 et, dès l’annonce de sa
parution, il a bondi au sommet des listes de
précommandes d’Amazon.
William Kristol, principal opposant à
Trump au sein de la droite intellectuelle et
fondateur de la revue The Weekly Standard,
qui fut, en son temps, le bréviaire du néo­
conservatisme, n’est pas convaincu : « On
peut bien faire la critique du libéralisme poli­
tique, mais n’exagérons rien, nous ne som­
mes pas au plus fort de la crise provoquée par
le krach boursier de 1929… » Laura Field, cher­
cheuse à l’American University (Washing­
ton, DC), spécialiste de l’histoire intellec­
tuelle à droite, estime, pour sa part, que
« Patrick Deneen fait une description hyper­
bolique des maux causés par le libéralisme, il
oublie que le libéralisme peut apporter des
solutions à ces problèmes ».
Patrick Deneen doit en grande partie son
succès à un parfait timing. « Il a sorti son livre
Pourquoi le libéralisme a échoué au bon mo­
ment. En 2018, l’élection de Trump était encore
récente, les milieux intellectuels travaillaient
encore à rattraper leur retard sur les événe­
ments pour leur donner un sens, explique Jos­
hua Tait, historien de la droite américaine.
Avec ce livre, Deneen a le premier réinterprété
les idées du courant traditionaliste, il s’est fait
le porte­parole de cette base militante qui s’est
toujours sentie lésée au sein du mouvement
conservateur. » La coalition formée par le
Parti républicain reposait, en effet, depuis les
années 1980, sur un mariage à trois entre
« faucons » (partisans d’une politique étran­
gère musclée), défenseurs du laisser­faire
économique et traditionalistes religieux.
Ces derniers ont toutefois depuis long­
temps le sentiment d’avoir été trompés, car
le Parti républicain n’aurait rien fait pour
empêcher la libéralisation des mœurs et la
transformation du pays. « La victoire de
Trump a permis à des auteurs dont le point de
vue était marginal d’occuper le centre du dé­
bat. Les catholiques les plus radicaux peuvent
maintenant se faire entendre », explique Mat­
thew Continetti, chercheur au think tank
conservateur American Enterprise Institute,
auteur de The Right. The Hundred­Year War
for American Conservatism (« la droite, la
guerre de cent ans pour le conservatisme
américain », non traduit, Basic Books).
Patrick Deneen ne se soucie guère de ces
critiques. En ce jour radieux d’automne où
nous le rencontrons dans son bureau, il se
dit plein d’espoir : « La décadence du régime
est à ce point manifeste que, pour la première
fois de ma vie, je crois qu’il est possible de
penser au­delà des catégories libérales. » Le
CERTAINS  collectif d’intellectuels catholiques réfléchit,
SE REVENDIQUENT  en effet, depuis une perspective illibérale.
Cet adjectif avait été relancé dans les années
karia pour qualifier les démocraties où l’Etat
UNE TENDANCE  de droit et les libertés sont pris d’assaut.
Cependant, cette définition encore em­
QUI CHERCHE  bryonnaire ne satisfait pas certains cher­
À SOUMETTRE  cheurs qui tentent de mieux cerner le phé­
nomène. C’est notamment le cas du politiste
L’ENSEMBLE  Julian Waller, qui participe aux travaux du la­
boratoire d’études illibérales dirigé par l’his­
DE L’EXISTENCE  torienne Marlène Laruelle au département
À LA VÉRITÉ  de science politique de l’université George­
Washington (Washington, DC). Très attentif
CATHOLIQUE aux activités de cette intelligentsia catholi­
que, Julian Waller constate que leurs idées re­
lèvent de l’illibéralisme. « Avec ce terme, nous
désignons un système de pensée qui se carac­
térise avant tout par une opposition radicale
au libéralisme et la volonté de définir un con­
tre­projet. Cette idéologie polymorphe a pris
forme en Europe, principalement en Hongrie,
et se développe aujourd’hui aux Etats­Unis. »
Embrasser cette perspective constitue une
franche rupture avec la droite américaine
telle qu’elle s’est construite après­guerre. Le
conservatisme souscrivait, il y a encore peu,
à l’idée de progrès, au libéralisme, à sa doc­
trine économique telle que réinterprétée en­
tre autres par l’économiste américain Jo­
seph Schumpeter (1883­1950) comme voie
porteuse d’innovations. C’est sous cet éten­
dard que Ronald Reagan a mené sa révolu­
tion conservatrice.
Aujourd’hui, différentes communautés in­
tellectuelles rêvent d’une révolution illibé­
rale. Le collectif catholique n’est pas seul à
tenter de définir un contre­modèle. Le mou­
vement national­conservateur, présent
dans plusieurs pays, principalement en
Hongrie et aux Etats­Unis, mais aussi en Is­
raël, allie tradition et nationalisme. Enfin, le
Claremont Institute, un think tank de la
Côte ouest des Etats­Unis, diffuse un dis­
cours ouvertement haineux, au nom d’un
idéal américain qui aurait été compromis
par le multiculturalisme. Dans cet écosys­
tème prévaut une forme d’émulation, et
l’autoritarisme pointe le bout de son nez.
Les membres du collectif catholique culti­
vent l’ambiguïté à ce sujet. Patrick Deneen
regarde Donald Trump comme un « person­
nage imparfait » et ne dit rien de ses inten­
tions pour 2024. Il est bien plus loquace à
propos de la Hongrie, il partage sur les ré­
seaux sociaux des selfies pris en compagnie
du premier ministre, Viktor Orban.
Patrick Deneen voit dans le « wokisme »,
« cette religion de l’humanité » qui se substi­
tuerait à la religion véritable, un signe de
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SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022
cette déchéance civilisationnelle. La ferveur
woke était en germe selon lui, dans la pensée
du philosophe anglais John Stuart Mill
(1806­1873), l’un des fondateurs du libéra­
lisme qui a permis la diffusion d’une sorte
de théologie du progrès et de l’individu. « A
l’origine, l’ambition était d’affranchir l’huma­
nité des limites imposées à nos droits par
l’Etat, explique Deneen. Aujourd’hui, la quête
de l’émancipation conduit à vouloir se défaire
de toute limite. Contre l’arbitraire, on en ar­
rive maintenant à demander une interven­
tion constante de l’Etat, notamment dans la
sphère privée et en ce qui concerne le corps. »
Le mariage gay, le transhumanisme et le
« transgenrisme » fragiliseraient la famille et
remettraient en question les bornes définies
par la nature.
Pour ne rien arranger, selon lui, il n’y a rien
à attendre des élites formées dans des uni­
versités corrompues par les études de genre
ou la récente relecture de l’histoire des Etats­
Unis pour placer l’esclavage en son centre.
Une politique populiste doit être engagée,
notamment pour mettre au pas l’université,
l’administration publique et même l’entre­
prise privée, toutes coupables de pencher à
gauche. « La puissance du “Demos”, du peu­
ple, doit être utilisée pour contrer le pouvoir
de ces institutions qu’il est impossible de ré­
former par les voies conventionnelles », af­
firme Patrick Deneen, qui salue l’action du
gouverneur de Floride, Ron DeSantis : il a
promulgué une loi retirant à Disney le statut
favorable dont il bénéficiait dans cet Etat.
DeSantis reprochait au PDG de l’entreprise
d’avoir dénoncé une loi promue par le gou­
verneur interdisant d’aborder à l’école les
questions de l’orientation sexuelle et de
l’identité de genre. Ce type de geste, aux
yeux de Patrick Deneen, ne revient qu’à ren­
dre la monnaie de sa pièce à la gauche qui
pratique l’intimidation, par exemple, en exa­
gérant la portée de l’insurrection du 6 jan­
vier 2021 contre le Capitole pour contrôler le
débat public. Dans ce contexte, une contre­
élite est nécessaire pour édifier le peuple,
l’« anoblir », comme il le disait, en 2019.
UNE COMMUNAUTÉ TRÈS ACTIVE
Nous retrouvons Patrick Deneen quelques
jours plus tard dans une petite ville de l’Ohio,
où il doit participer à une conférence. Steu­
benville (18 000 habitants) est l’un de ces cen­
tres urbains devenus fantomatiques à cause
des délocalisations. Les immeubles néoclas­
siques du centre­ville sont presque tout ce
qui reste de la prospérité qu’avaient apportée
les anciennes aciéries. L’addiction aux opia­
cés est répandue. Rien ne laisse croire que
l’Amérique est en pleine campagne électo­
rale : de rares affiches en vue des midterms
viennent décorer les rues. Toutefois, sur la
colline surplombant la ville, un hameau ver­
doyant se dresse, le campus de l’université
franciscaine. Une bannière est accrochée :
« Mettons fin à tous les avortements. » La ré­
cente décision de la Cour suprême contre l’in­
terruption de grossesse ne suffit pas. Chaque
Etat de l’Union est toujours libre d’autoriser
cette procédure, c’est encore trop pour eux.
L’université accueille une conférence sous
le titre « Restaurer une nation : le bien com­
mun dans la tradition américaine », à la­
quelle doit participer Patrick Deneen et
d’autres intervenants. Environ 250 person­
nes y assistent, des étudiants, des curieux,
des avocats et des militants « pro­vie ». Cette
communauté très active sur les réseaux so­
ciaux est heureuse de se retrouver. L’événe­
ment s’ouvre cependant sur le slogan de
l’altermondialisme : « Un autre monde est
possible. » Vieille bête noire du conserva­
tisme américain, le New Deal est défendu à
Steubenville, des auteurs marxistes sont
même cités.
Pendant deux jours, la philosophie classi­
que ainsi qu’un catholicisme ultramontain
sont également convoqués afin de défendre
des politiques sociales et économiques vi­
sant à protéger la famille traditionnelle. Le
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SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022
LAURENT CORVAISIER
pape François est à peine évoqué. On lui pré­
fère le pape Léon XIII, qui régna de 1878 à
1903. On en réinterprète l’héritage, pour in­
sister sur son rôle dans la définition de la
doctrine sociale de l’Eglise et sa critique des
libertés modernes, plus individualistes. Il
avait été, en son temps, une figure honnie
par les conservateurs, parce qu’il a admis
l’autonomie du pouvoir temporel. Le nom
d’un penseur français revient régulière­
ment, celui du philosophe Pierre Manent,
qui a nettement durci, au cours des derniè­
res années, sa critique du libéralisme.
L’orateur le plus attendu est sans conteste
Adrian Vermeule, éminent professeur de
droit constitutionnel à Harvard. Son collè­
gue Samuel Moyn, professeur d’histoire du
droit à Yale et intellectuel ouvertement de
gauche, le considère comme « le plus brillant
constitutionnaliste de sa génération » et uti­
lise en cours son livre Common Good Consti­
tutionalism (« Constitutionnalisme du bien
commun », Polity Press, non traduit). Il voit
également en lui un utile appui venu de la
droite en faveur de mesures de solidarité na­
tionale, des politiques publiques qui rencon­
trent toujours l’opposition forcenée du Parti
républicain, mais auxquelles Vermeule est
favorable. Le professeur de Harvard est éga­
lement apprécié par son collègue Cass Suns­
tein, un autre juriste et constitutionnaliste
de grande réputation qui a servi au sein de
l’administration Obama. Ils ont coécrit plu­
sieurs ouvrages.
A Steubenville, Adrian Vermeule incarne
tout autre chose. Aux yeux d’une militante
anti­avortement rencontrée, il représente
« un catholicisme qui montre les muscles ».
Spécialiste du droit administratif, il défen­
dait, au temps de la guerre en Irak, la torture
autorisée par l’administration Bush. Sa con­
version au catholicisme en 2016 a accéléré
sa rupture avec l’establishment conserva­
teur. Dans un pays où les valeurs de la classe
dominante continuent d’être inspirées par
le protestantisme et le libéralisme, adopter
un catholicisme traditionaliste constitue
une forme de populisme de l’élite. Les con­
versions sont du dernier chic, d’autant que
la continuité historique de l’Eglise de Rome
offre des bases intellectuelles pour cons­
truire un discours d’opposition.
Adrian Vermeule s’appuie justement sur la
tradition juridique héritée de l’Antiquité et
du catholicisme, plus particulièrement du
droit naturel, pour qui toute société est régie
par les mêmes principes moraux. Dans ses
écrits, il fait aussi référence au juriste nazi
Carl Schmitt (1888­1985) et au philosophe du
droit américain Richard Dworkin (situé à
gauche, 1931­2013). Il s’attaque à la doctrine
constitutionnelle conservatrice, l’origina­
lisme, qui entend interpréter la Constitution
américaine conformément aux intentions
de ses auteurs au XVIIIe siècle. Cette théorie
du droit domine aujourd’hui au sein de la
Cour suprême et sert à limiter autant que
possible l’action du gouvernement.
CONTRE L’INDIVIDUALISME
Le professeur reproche à l’originalisme
d’adopter une attitude trop défensive face
au libéralisme. Prenant à rebours la droite, il
défend l’intervention de l’Etat, avec l’ambi­
tion de remodeler la société. Il prône une ap­
proche « plus robuste », « un légalisme illibé­
ral » plus substantiel « sur le plan moral »,
comme il l’écrivait en 2020 dans le maga­
zine The Atlantic, suscitant la polémique.
Contre l’individualisme, il veut un « consti­
tutionnalisme du bien commun ».
A Steubenville, Adrian Vermeule revient
sur les pouvoirs déférés au chef de l’Etat, tels
que définis par Justinien (né vers 482, mort
en 565), empereur byzantin, qui a laissé une
œuvre juridique considérable, mais qui s’est
aussi distingué par son autoritarisme. Sur
un ton professoral et monocorde, Adrian
Vermeule explique que la bureaucratie et le
pouvoir exécutif sont les mieux placés pour
défendre le bien commun. Ce discours riche
en références inconnues du grand public
confère une espèce de mystique à la réin­
vention populiste de l’Etat. Un rejet à peine
voilé du parlementarisme se fait entendre,
par des allusions à la corruption de « la
classe sénatoriale » de l’Empire romain : « De
nos jours, la pertinence de l’idée voulant
LE CONSERVATISME  qu’une élite soit incapable de gouverner hon­
nêtement au service de l’intérêt public n’a pas
SOUSCRIVAIT IL Y A  à être explicitée. » A l’inverse, « l’autorité délé­
ENCORE PEU À  guée au pouvoir exécutif et l’administration
qui en résulte peuvent être vues comme une
L’IDÉE DE PROGRÈS,  force gigantesque déployée par la multitude
pour se protéger des abus commis par une
AU LIBÉRALISME,  minorité », explique­t­il.
À SA DOCTRINE  Julian Waller, spécialiste de l’illibéralisme,
également présent à Steubenville, remarque
ÉCONOMIQUE  qu’« Adrian Vermeule continue de faire de la
provocation, son discours peut s’entendre de
COMME PORTEUSE  différentes manières. C’est la première fois
D’INNOVATIONS qu’il s’avance autant dans la définition d’un
contre­projet qui pourrait ressembler à une
démocratie accordant des pouvoirs étendus à
l’exécutif ou à une dictature électorale », no­
te­t­il. Après la conférence, Adrian Vermeule
explique que « des démocraties, des monar­
chies constitutionnelles, des républiques et
une variété d’autres types de régimes peuvent
être bien ordonnés et l’ont été, à [son] sens ».
Des modèles politiques non démocratiques
semblent donc envisageables.
Il y a encore peu, Adrian Vermeule défen­
dait ouvertement l’intégralisme catholique,
soit la subordination du pouvoir temporel
au pouvoir spirituel du Vatican. Face au
scandale, il préfère maintenant parler de
« catholicisme politique », une formule plus
ambiguë. En 2020, il avait laissé entendre
sur Twitter que l’élection présidentielle
aurait pu être truquée en faveur de Joe Bi­
den. Il est désormais plus prudent…
idées | 29
Sohrab Ahmari est la troisième figure la
plus importante de ce collectif. Il est celui
qui s’emploie à vulgariser leurs idées. An­
cien journaliste aux pages débats du Wall
Street Journal, puis du New York Post, il s’est
converti au catholicisme en 2016, une déci­
sion annoncée sur les réseaux sociaux avec
le hashtag #iamjacqueshamel, en référence
au prêtre assassiné par un djihadiste à
l’église de Saint­Etienne­du­Rouvray. En
mars, il a lancé le webzine Compact avec
Matthew Schmitz, un autre catholique tradi­
tionaliste, et Edwin Aponte, journaliste qui
se décrit comme un « marxiste populiste ».
Le titre rassemble des auteurs venus de l’ex­
trême gauche et de l’extrême droite, on y
trouve des articles du philosophe slovène
Slavoj Zizek, mais aussi de Curtis Yarvin,
théoricien d’un technomonarchisme à
l’américaine. « Nous voulons un débat ro­
buste », explique Sohrab Ahmari, tout en af­
firmant être en désaccord avec lui. Ahmari
est très attaché à la question sociale.
SOUTIENS DE TRUMP
Fin septembre, il a signé un article avec Mat­
thew Schmitz, dans lequel il affirme tou­
jours soutenir Trump, notamment pour
cette raison. « Le Parti républicain ne s’est pas
défait de son reaganisme économique. Avec
cet article, nous voulons combattre cette ten­
dance. » Lorsqu’on lui rappelle que Joe Biden
a obtenu l’adoption de lois bien plus favora­
bles à l’industrie américaine que Trump, il
balaie l’affaire du revers de la main. « En tant
que père, je ne veux pas que mes enfants
soient exposés à l’idéologie du genre, pour
moi, c’est viscéral… » Face aux idées impo­
sées d’en haut par la gauche, les catholiques
subiraient aujourd’hui aux Etats­Unis « une
dhimmitude », soit l’asservissement
qu’auraient vécu les minorités religieuses
en terres d’islam, d’après l’historiographie
d’extrême droite.
Le dernier orateur à Steubenville n’est
autre que J. D. Vance, candidat républicain au
Sénat, dont le parcours a été particulière­
ment remarqué. Il s’est fait connaître grâce à
son livre Hillbilly élégie (Globe, 2016), adapté
au cinéma par Netflix, en 2020. Il y raconte
son enfance de petit Blanc en Ohio, entre
une mère toxico et une grand­mère venue à
sa rescousse. En 2016, Vance était opposé à
Trump. Il a changé de position après être en­
tré dans la course au Sénat en 2021. Vance
s’est entre­temps converti au catholicisme,
en 2019. A Steubenville, il salue la qualité des
intellectuels réunis, puis il revient sur le rôle
de l’argent en politique : c’est, dit­il, une res­
source indispensable pour gagner une cam­
pagne électorale. Il peut, pour sa part, comp­
ter sur le soutien du technomilliardaire Pe­
ter Thiel, l’un des plus importants donateurs
du Parti républicain pour les midterms et
soutien de Donald Trump en 2016.
Après un discours plutôt banal, Vance est
chaudement applaudi. Dans une interview
accordée en 2021, il déclarait que si Trump
était réélu il devrait « virer tous les bureau­
crates au sein de l’administration pour les
remplacer par [leurs] gens. Lorsque les tribu­
naux essaieront de l’arrêter, Trump devrait
dire au pays : “Le premier magistrat a rendu
sa décision, laissez­le maintenant l’appli­
quer.” ».
Placé face à ce scénario, Adrian Vermeule
le rejette fermement. Inutile pour lui d’aller
aussi loin, d’autres le font à sa place. Fin ob­
servateur de la droite radicale et vice­prési­
dent des études politiques au think tank de
centre droit Niskanen Center, Geoffrey Ka­
baservice le remarque : « L’Amérique ne sera
jamais une théocratie catholique, mais des
candidats comme Vance banalisent l’idée
que si Trump obtient un second mandat il
doit aller plus loin dans ses attaques contre
nos institutions et nos normes démocrati­
ques. » Aux Etats­Unis, depuis Trump, les in­
tellectuels qui construisent des utopies ris­
quent d’être pris de vitesse par le réel. p
marc­olivier bherer
 0123
30 | idées SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022

Simon Persico
L’histoire de l’écologie politique est marquée par
la tension entre responsabilité et radicalité
Certaines actions écologistes récentes ont suscité
des réactions exacerbées. Répondre à ces attaques bilité et radicalité. Quand des activistes déception née des grands moments de nion publique, il contribue à lui donner
canadiens décidèrent de fonder Green­ communion internationale – comme la de l’importance et à focaliser le débat sur
de façon ordonnée serait pour l’écologie politique peace en 1971, c’est bien parce qu’ils con­ COP21 – ou nationale – comme la con­ ses thèmes de prédilection.
le meilleur moyen de se transformer, sidéraient que les méthodes utilisées par vention citoyenne pour le climat – qui La galaxie écologiste peut­elle offrir
les grandes ONG de l’époque étaient trop ont échoué sur l’essentiel. une réponse ordonnée à ces attaques ?
estime le professeur de science politique consensuelles pour être efficaces dans la Cependant, la radicalité – relative – de Cela implique de relever une série de dé­
lutte contre les essais nucléaires. De ces actions spectaculaires suscite des fis : cesser les attaques venues de l’inté­
même, c’est parce qu’ils estimaient que formes de « paniques morales » dans le rieur ; laisser une place aux nouvelles gé­

D
e vagues de chaleur en pénuries,
la matérialité de la crise écologi­
que se fait toujours plus pré­
gnante, mais les écologistes
gaspillent une partie de leur énergie à se
diviser. Ces divisions ne concernent pas
tant l’objectif partagé d’un mouvement
qui a toujours été hétéroclite. Cet objec­
tif semble même vital aux yeux des plus
jeunes générations militantes : enchâs­
ser le développement humain dans les
limites planétaires.
Les divisions portent plutôt sur la prio­
risation des secteurs et des politiques pu­
bliques qu’il convient de faire bifurquer,
ainsi que sur les alliances privilégiées
pour ce faire. Surtout, c’est l’objet de ce
texte, les écologistes se divisent quant
aux répertoires d’actions les plus appro­
priées pour faire entendre leur cause.
La dernière escarmouche, par graffitis
et caméras interposés, entre Yannick Ja­
dot et les opposants les plus radicaux au
projet de mégabassines dans les Deux­
Sèvres, soutenus à demi­mot par San­
drine Rousseau, illustre ce désaccord.
L’ancien candidat à la présidentielle,
présent à la manifestation, « paye », se­
lon la députée de Paris, « la manière dont
il présente l’écologie », le choix d’une
campagne raisonnable et pragmatique
qui finit loin de l’ambition affichée. En
face, on rappelle l’engagement histori­
que de l’ancien cadre de Greenpeace
contre l’agro­industrie et la complémen­
tarité entre action institutionnelle et
mobilisations de terrain.
Autre exemple de ces divisions sur la
méthode, les réserves exprimées par des
personnalités écologistes visibles dans
l’espace médiatique comme Hugo Clé­
ment ou François Gemenne envers les
happenings muséaux de Just Stop Oil
(contre un tableau de Van Gogh à Lon­
dres) ou Letzte Generation (contre un ta­
bleau de Monet à Potsdam). Dans ce cas,
c’est au contraire la radicalité symbolique
qui est mise en accusation : le goût du
buzz de jeunes activistes décrédibiliserait
le message aux yeux du grand public.
Désobéissance civile
Les coups d’éclat médiatiques, mais aussi
les blocages, les occupations ou les mani­
festations ont fait partie de la boîte à
outils de l’écologie politique depuis ses
origines. On pense aux mobilisations
contre le camp militaire au Larzac, aux
occupations temporaires de sites nu­
cléaires ou aux fauchages d’OGM. La dé­
sobéissance civile, le non­respect de rè­
gles légales comme moyen d’action, est
vieille comme les mouvements d’éman­
cipation qui ont inspiré les écologistes.
L’histoire de l’écologie politique est
marquée par la tension entre responsa­
les organisations existantes (dont
Greenpeace) agissaient trop mollement
que des militants britanniques ont fondé
Extinction Rebellion en 2018.
La vigueur des mobilisations actuelles
trouve son origine dans les doutes qui
touchent un nombre croissant de mili­
tants, d’étudiants, de scientifiques et
plus largement de citoyens quant à l’effi­
cacité des formes d’action et de vie ac­
commodantes avec le productivisme.
Elle est en partie liée à l’essoufflement
des marches pour le climat, plus consen­
suelles, qui avaient marqué le renouveau
de la fin des années 2010. Liée aussi à la
L’APPEL À LA TERREUR
LIE FALLACIEUSEMENT
LES ACTIONS
ÉCOLOGISTES
AU TERRORISME
POUR MIEUX
JUSTIFIER L’ACTION
GOUVERNEMENTALE
public, que le sociologue sud­africain
Stanley Cohen a définies comme des
réactions hostiles démesurées auxquel­
les succède une réaction policière et ju­
diciaire disproportionnée (Folk Devils
and Moral Panics, Paladin, 1973, non tra­
duit). Encouragées par des entrepre­
neurs politiques ou médiatiques pour
lesquels il est urgent de ne pas agir trop
vite, elles servent de justification à l’ap­
proche sécuritaire adoptée par les pou­
voirs publics à l’endroit du mouvement
écologiste. L’utilisation du qualificatif
« écoterrorisme » par le ministre de l’in­
térieur Gérald Darmanin en est la der­
nière expression.
Une série de défis
Cet argumentum in terrorem [appel à la
terreur] lie fallacieusement les actions
écologistes au terrorisme pour mieux
justifier l’action gouvernementale. Rap­
pelons que l’on parle, dans les cas les
plus graves, d’atteintes aux biens, de
vandalisme, ou d’affrontements de frac­
tions ultraminoritaires – et présentes
dans la plupart des manifestations –,
avec une police recourant toujours plus
massivement à la force. L’usage de ce re­
gistre argumentatif est potentiellement
risqué pour l’exécutif. En durcissant
ainsi les relations avec un mouvement
qui suscite par ailleurs l’adhésion d’une
part importante et croissante de l’opi­
nérations, à leurs priorités et à leurs mo­
des d’action, tout en construisant sur
l’expérience gestionnaire de militants
associatifs et politiques plus aguerris ;
trouver la bonne manière d’articuler ra­
dicalité et réformisme…
Il n’y aura pas de réponse unifiée à ces
défis : les groupes qui composent le
camp de l’écologie politique sont trop
pluriels. Mais, parmi eux, une organisa­
tion a une responsabilité plus impor­
tante que les autres pour donner un cap
coordinateur : Europe Ecologie­Les Verts
se veut être la jambe du mouvement éco­
logiste dans l’arène partisane.
Alors que cette stature est concurren­
cée par d’autres forces politiques, le parti
est aux prises aux mêmes divisions, me­
nant six motions à concourir pour son
prochain congrès. Un symbole de l’épar­
pillement d’un camp pourtant loin
d’être majoritaire. Une occasion, aussi,
de montrer que le parti a mûri et sait sor­
tir unifié d’une séquence où la visibilité
et les attentes à l’égard des écologistes
n’ont jamais été aussi élevées. p
Simon Persico est professeur
de science politique à Sciences Po
Grenoble – UGA et au laboratoire Pacte

Noël Mamère « Ecoterrorisme », un parallélisme de langage qui

relève de l’indécence, du cynisme et de l’irresponsabilité
En utilisant le terme forgé par les milieux conservateurs pour qualifier les modes opératoires des militants anti­mégabassines
dans les Deux­Sèvres, Gérald Darmanin commet une grave faute politique, estime l’ancien député écologiste

O
n dit que les mots n’ont
pas de sens, mais seule­
ment des usages. Celui
que vient d’en faire le mi­
nistre de l’intérieur à propos des
opposants aux projets de méga­
bassines frise l’obscénité politi­
que et apparaît comme une véri­
table déclaration de guerre aux
écologistes.
Hier comme aujourd’hui, l’his­
EN AJOUTANT toire montre que les premiers
coups de canon d’une guerre ou
LES ÉCOLOGISTES d’une révolution sont toujours sé­
mantiques. Selon M. Darmanin, la
À SA LISTE DES France serait menacée par des ar­
mées d’écoterroristes prêts à met­
BOUCS ÉMISSAIRES, tre le pays à feu et à sang au nom
LE MINISTRE de leur dangereuse idéologie et de
leur sectarisme. Rien de moins !
DE L’INTÉRIEUR Cette qualification infamante
adressée à des militantes et mili­
ATTESTE D’UN tants qui, dans leur immense
COMPORTEMENT majorité, ne font que s’inscrire
dans une longue tradition de dé­
DE PYROMANE sobéissance à de grands projets
inutiles, a été mûrement réflé­
chie au sommet de l’Etat.
Avec un double objectif : nous
imposer son vocabulaire, relayé
par de nombreux médias et ré­
seaux sociaux, pour dicter ses va­
leurs ; nous pousser à parler avec
ses mots plutôt que de débattre
des limites de notre modèle agri­
cole dominant. Nous savons que
parler et penser avec les mots de
l’adversaire, c’est déjà rendre les
armes. Il faut donc restituer aux
mots leur véritable signification
pour rendre à nos actes leur
authentique sens politique.
Stigmatisant et révoltant
Pour celles et ceux qui s’intéres­
sent à l’histoire des mouvements
écologistes, ce qui ne semble pas
être le cas de M. Darmanin,
l’« écoterrorisme » est une inven­
tion des milieux conservateurs.
Cette expression, aussi stigmati­
sante que révoltante pour les
amalgames auxquels elle pro­
cède, vient de lobbys victimes
d’activistes écologistes qui se
qualifient d’« ecowarriors » ou
d’« écoguerriers », principalement
des Anglo­Saxons ayant recours à
des actions qui n’excluent pas le
sabotage écologique par l’atteinte
à des biens matériels.
Ce fut le cas du groupe radical
Earth First !, créé par le néolud­
dite Dave Foreman au début des
années 1980, aux Etats­Unis,
dont les tactiques militantes al­
liaient le refus de tout compro­
mis et le recours à des actions il­
légales pour s’attaquer à des pro­
jets jugés nocifs pour le vivant.
Son modèle était le Monkey
Wrench Gang (Gang de la Clef à
Molette), gang du roman publié
par l’activiste américain Edward
Abbey en 1975, qui contait les
aventures d’un groupe d’activis­
tes écolos n’hésitant pas à sabo­
ter les engins qui détruisaient le
désert de l’Utah. Abbey est très
vite devenu un auteur culte aux
Etats­Unis en même temps
qu’une référence pour la plupart
des écologistes qui n’ont rien de
« terroristes » !
Etaient­elles « terroristes » ces
villageoises du mouvement
Chipko Andolan qui, dans les an­
nées 1970, enlaçaient les arbres
pour empêcher leur destruction
à la tronçonneuse ? Elles ne fai­
saient que défendre leur culture
et leur économie locale, insépa­
rables de leur forêt.
Sont­ils « terroristes » les pay­
sans d’Amérique latine et d’Afri­
que qui se battent contre les pro­
jets extractivistes et l’accapare­
ment de leurs terres par des
firmes multinationales ?
Les paysans du Larzac et les ac­
tivistes qui accompagnaient leur
longue lutte [de 1971 à 1981] con­
tre un projet de camp militaire
sur étaient­ils des « terroristes » ?
L’étions­nous quand, en
juillet 2004, à l’initiative de José
Bové, de la Confédération pay­
sanne et des Faucheurs volontai­
res, nous arrachions chacun un
pied de maïs OGM devant les
gendarmes pour expliquer que
Monsanto, Syngenta, Pioneer et
autres n’avaient pas à décider du
contenu de notre assiette ?
Jeter en pâture des militants
Que le ministre de l’intérieur
d’un pays qui a été ensanglanté
par des séries d’attentats terro­
ristes islamistes se permette
d’établir un parallélisme de lan­
gage avec les actions des écolo­
gistes relève de l’indécence, du
cynisme et d’une irresponsabi­
lité confondante.
Dans une situation de grande
fragilité politique pour le pouvoir
et à l’heure où les Français sont
plus inquiets que jamais, c’est une
faute que de jeter en pâture des
militants et militantes qui n’ont
d’autre souci que de préserver
l’avenir de l’humanité. En aucun
cas, ils ne peuvent être confondus
avec les quelques extrémistes in­
filtrés dans leurs rangs.
En ajoutant les militants écolo­
gistes à sa liste des boucs émis­
saires, le ministre de l’intérieur
atteste d’un comportement de
pyromane.
Il se trouve malheureusement
des alliés de circonstance venus
de là où on ne les attendait pas.
Disons le tout net, en enfonçant
dans les médias Yannick Jadot,
qui venait d’être pris à partie par
une frange d’activistes, plutôt
que de prendre sa défense au
nom de leurs valeurs commu­
nes, Sandrine Rousseau fait le
jeu à la fois de Gérald Darmanin
et de ceux qui cherchent à nous
affaiblir. Les adversaires de l’éco­
logie et des écologistes n’en es­
péraient pas tant. La recherche
de la lumière et la perspective
d’un congrès [le 10 décembre] ne
peuvent tout justifier. p
Noël Mamère a été maire
de Bègles (Gironde) de 1989
à 2017, et député écologiste
de 1997 à 2017. Il a été
candidat à l’élection
présidentielle en 2002
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022
En Irak, la faillite d’un POUR UNE RÉVOLUTION ÉCOSOCIALISTE
système clientéliste LIVRE
et corrompu
ANALYSE
L’
Irak a un nouveau pré­
sident, le Kurde Abdel
Latif Rachid, élu le
13 octobre par le Parle­
ment. Le chiite Mohammed Chia
Al­Soudani a, lui, pris la tête d’un
nouveau gouvernement, le 27 oc­
tobre. Après plus d’un an d’im­
passe politique entre les partis
sortis vainqueurs des élections
législatives d’octobre 2021, qui a
failli tourner à la guerre
intrachiite, le déblocage des insti­
tutions apporte un semblant de
retour à la normale.
Le chef populiste chiite Moqtada
Al­Sadr s’est mis en retrait, actant
l’échec de sa « révolution contre le
système » et le statu quo a finale­
ment été maintenu, avec des ter­
mes dictés par ses rivaux : l’ancien
premier ministre Nouri Al­Maliki
et les chefs de milices chiites pro­
iraniens, qui se sont taillé la part
du lion dans les portefeuilles mi­
nistériels. La sortie de crise sem­
ble bien loin pour l’Irak, alors que
se perpétue le système politique
qui a, depuis sa mise en place dans
le sillage de l’invasion américaine
de 2003, fait toute la démonstra­
tion de son échec.
Il n’avait pas fallu longtemps
aux experts de l’Irak pour prédire
cette faillite stratégique, au vu des
erreurs accumulées par l’admi­
nistration de George W. Bush dès
les premières années d’occupa­
tion. Le « regime change » prôné
par M. Bush après vingt­trois ans
de dictature de Saddam Hussein
et du parti unique Baas avait rapi­
dement tourné au fiasco. La dis­
solution de l’armée, au nom
de la débaasification, a provoqué
une insurrection armée contre
les Américains et le nouveau pou­
voir à Bagdad ; elle a aussi préci­
pité la milicisation du pays. La
transition vers le pluralisme poli­
tique s’est accompagnée de la
mise en place de la mouhassassa,
un système de répartition des
postes politiques et des emplois
publics en fonction de quotas
ethniques et confessionnels,
qui a accouché d’un Etat faible et
ingouvernable, paralysé par les
intérêts partisans et terreau
d’une corruption endémique.
De la guerre civile de 2006­
2008 à la guerre contre l’organisa­
tion Etat islamique (EI) de 2014 à
2017, l’Irak a été déchiré par les
conflits. Les élections successives,
plus ou moins libres et transpa­
rentes, ont débouché sur des cri­
ses politiques à répétition du fait
des marchandages interminables
entre partis politiques kurdes,
sunnites et chiites destinés à faire
main basse sur les postes. Au fil
des ans, ils se sont constitué des
fiefs au sein des institutions d’où
ils ont capté, en toute impunité,
les ressources de l’Etat pour ali­
menter leurs réseaux clientélis­
tes, empêchant ainsi toute mo­
dernisation de l’Etat. L’ingérence
des puissances étrangères, au
premier rang desquelles les ri­
vaux américain et iranien, n’a fait
que conforter ce fonctionne­
ment, quand elle ne portait pas
directement atteinte à la souve­
raineté de l’Irak, à l’instar des
offensives menées par la Turquie
et l’Iran au Kurdistan irakien.
La manne pétrolière du pays
– deuxième pays exportateur de
l’Organisation des pays exporta­
LES PERDANTS DU  Les Irakiens, qui ont perdu tout
SCRUTIN DE 2021  tion des partis et de leurs milices
REVENDIQUENT  sur l’Etat, se rendront­ils encore
AUJOURD’HUI LA  un sursaut contestataire n’est pas
VICTOIRE AU NOM  des conditions de vie, qu’accen­
DE LA LÉGALITÉ  tue la guerre en Ukraine. p
CONSTITUTIONNELLE
SE PERPÉTUE LE 
SYSTÈME POLITIQUE  plus tard, le président du Parti socialiste belge
QUI A, DEPUIS SA  francophone, ex­ministre de l’énergie et du
MISE EN PLACE  théorie politique à l’Université libre de
EN 2003, FAIT TOUTE  cercles de l’enfer » dans lequel le réchauffe­
LA DÉMONSTRATION  ment de la planète pourrait plonger l’huma­
DE SON ÉCHEC
teurs de pétrole – a bénéficié aux
caisses des partis et des groupes
armés, mais non à la population.
En 2021, l’ancien président Ba­
rham Saleh a estimé que 150 mil­
liards de dollars (la même somme
en euros) de recettes pétrolières
avaient été volés depuis 2003
dans des contrats frauduleux.
L’Etat est incapable de fournir de
l’électricité et de l’eau potable en
quantité suffisante aux 42 mil­
lions d’Irakiens. Les infrastructu­
res et les services publics sont en
état de déliquescence. Plus de
cinq ans après la fin de la guerre
contre l’EI, la reconstruction n’est
pas achevée et des milliers de dé­
placés sont abandonnés dans des
camps. L’économie, dépendante à
95 % du pétrole, ne crée pas d’em­
plois pour les nouvelles généra­
tions. Le changement climatique
et la sécheresse menacent l’agri­
culture et l’avenir même de l’Irak.
Les vagues de protestation suc­
cessives, depuis 2011, ont été igno­
rées et se sont cristallisées en une
contestation massive du pouvoir
politique. A l’automne 2019, lors
de la « révolution de Tishreen »,
des dizaines de milliers d’Irakiens
ont défié la répression – qui a fait
plus de 600 morts – pour récla­
mer la chute du système politique
et la fin des ingérences étrangè­
res. Les divisions entre Irakiens
et la profonde désaffection pour
le jeu électoral ont empêché
les têtes de proue de « Tishreen »
d’engranger plus de 50 sièges
(sur 329) aux législatives de 2021.
Le mouvement a été en partie
récupéré par Moqtada Al­Sadr,
dont les partisans issus des quar­
tiers chiites défavorisés forment
l’essentiel de la contestation.
Un statu quo intenable
En se faisant le porte­voix des ap­
pels à la réforme, M. Sadr a surtout
voulu servir ses intérêts. Il s’est
hissé au rang de premier parti
d’Irak face à ses rivaux chiites. Issu
du système même qu’il dénonce,
lui aussi affairé à placer ses hom­
mes dans tous les rouages de
l’Etat, il n’a promu la fin de la mou­
hassassa que pour mieux exclure
ses adversaires du pouvoir. Ces
derniers ont déjoué sa tentative
de conquête du leadership chiite
en usant des lacunes de la Consti­
tution, d’une justice politisée,
de la menace des armes et des fai­
blesses de M. Sadr. C’est ainsi que
les perdants du scrutin de 2021
peuvent aujourd’hui revendiquer
la victoire au nom de la légalité
constitutionnelle.
Le statu quo semble pourtant
intenable, alors que l’Etat est en
plein délitement. Pour avoir
voulu le dénoncer, le 27 octobre,
devant le Parlement, le député
Alaa Al­Rikabi, issu de la contesta­
tion de 2019, a été tabassé par les
gros bras des partis vainqueurs.
Le premier ministre Soudani a
promis de nouvelles élections
d’ici à un an. Cela apaisera­t­il le
tempétueux Moqtada Al­Sadr ?
espoir de mettre fin à la domina­
aux urnes ? Malgré la répression,
à exclure au vu de la dégradation
hélène sallon
(beyrouth, correspondante)
A
dmirateur et lecteur de Jean Jau­
rès, Paul Magnette s’en est ins­
piré pour titrer son « manifeste
écosocialiste ». « Nous ne som­
mes pas des ascètes, il nous faut
la vie large », répondait Jaurès à ses adversai­
res. Mais qu’entend signifier par là, un siècle
climat, maire de Charleroi et professeur de
Bruxelles ? Qu’au lieu de décrire, en vain, « les
nité, il faut démontrer que la transition clima­
tique sera l’instrument capable d’améliorer
« le bien­être et le plaisir d’une immense majo­
rité de la population ».
A l’ascétisme prôné, entre autres, par le phi­
losophe allemand Hans Jonas, qu’il a aussi
beaucoup lu, le dirigeant belge, ancien pour­
fendeur du CETA – l’accord commercial euro­
canadien –, oppose donc la vision d’un socia­
lisme réinventé, optimiste, enfin capable de
dépasser le système capitaliste. A condition,
non seulement, prophétise­t­il, d’intégrer
dans son action la dimension écologique,
mais aussi de susciter l’adhésion populaire à
des réformes indispensables mais toujours
mal comprises, y compris à gauche.
La droite – dans laquelle il inclut Emmanuel
Macron – n’a, dit­il, aucune vision de l’enjeu en­
vironnemental, ou alors celle d’un « capita­
lisme vert » appuyé par une conception techni­
cienne qui n’aboutira qu’à enrichir des multi­
nationales. Quant au courant écologiste, il
aurait négligé la question sociale et apparaî­
trait du coup comme une « oligarchie climati­
que » peu à même d’entraîner une réelle mobi­
lisation. Et les jeunes militants climatiques ? Ils
auraient, eux, quelques leçons à retenir de l’his­
toire du mouvement ouvrier et devraient con­
Kim Jong-un et le nucléaire | par serguei
LA SOCIOLOGIE EST UN SPORT D’AUTODÉFENSE
LA REVUE DES REVUES
A ctes de la recherche en sciences so­
ciales n’est pas la publication de
Pierre Bourdieu (1930­2002) pour
rien. Fidèle à la célèbre devise du sociolo­
gue, qui l’a fondée en 1975, son dernier dos­
sier rappelle à quel point la discipline est un
« sport de combat ». Car « les sciences socia­
les sont attaquées » ces dernières années,
s’inquiètent les cinq coordinateurs du nu­
méro. Du « expliquer, c’est déjà vouloir un
peu excuser » de l’ancien premier ministre
Manuel Valls en 2015, au colloque « anti­
woke » de la Sorbonne en janvier, le comité
déplore une animosité politique croissante.
« Si l’hostilité aux sciences sociales n’est
pas propre à la période actuelle, elle prend
une forme nouvelle aujourd’hui par sa vi­
gueur et par les effets qu’elle commence à
produire », s’alarment les auteurs, qui
dénoncent au passage la précarisation de
la recherche publique. Selon eux, cette
« haine de la sociologie » s’acharne en parti­
idées | 31
Mais c’est une gauche qui ne néglige pas le
plaisir, ajouterait Paul Magnette. Au socia­
lisme principalement adepte de l’intervention
accrue de l’Etat dans l’économie devrait donc
LA VIE LARGE.  se substituer l’écosocialisme. Un nouveau « ré­
MANIFESTE  formisme révolutionnaire » qui consacrerait
ÉCOSOCIALISTE
de Paul Magnette,
l’instauration d’un salaire minimal pour tous,
interdirait les jets privés et la publicité pour les
La Découverte, enfants, empêcherait l’obsolescence program­
304 p., 20 € mée des objets et rechercherait dans une taxa­
tion accrue des plus riches les moyens d’inves­
tir massivement dans la rénovation des loge­
ments, la régénération de la nature, une ali­
sidérer qu’aucune réforme profonde n’est pos­ mentation saine et une mobilité durable.
sible si le groupe qui la porte n’arrive pas à la Comment y parvenir dans un système belge
faire partager par d’autres catégories de la po­ de coalition qui débouche en général sur des
pulation. Or, cheminots, personnels soignants, compromis douteux ou dans une Europe es­
agriculteurs, cadres intermédiaires de la plani­ sentiellement inspirée par des principes très
fication écologique… tous peuvent se retrouver libéraux ? Comment, aussi, fédérer des cou­
dans un combat commun, soutient l’auteur. rants socialiste et écologiste qui continuent à
se concurrencer ? Magnette contourne la ques­
Renoncer à la prospérité matérielle tion et reprend l’idée de feu Bruno Latour sur
Ce « maillage des luttes », prôné par le diri­ la nécessité de former une nouvelle classe so­
geant d’un parti essentiellement gestionnaire ciale, la « classe écologiste ».
et parfois victime de dérives politico­financiè­ Celle­ci rassemblerait mouvements politi­
res, en étonnera plus d’un. Comme la critique ques, syndicaux et associatifs d’origines diver­
d’un socialisme qui, écrit Magnette, « s’est trop ses mais s’engageant à construire « une identité
facilement coulé dans l’imaginaire, l’esthétique politique partagée ». L’auteur leur soumet
et le langage de la société productiviste ». Cet d’autres propositions : l’instauration par
intellectuel venu à la politique active n’hésite l’Union européenne d’une taxe sur les transac­
pas, alors que la gauche sociale­démocrate du tions financières et sur la fortune pour assurer
nord de l’Europe est à la peine – sauf, excep­ la rénovation des bâtiments et réparer les ac­
tion notable, dans la partie francophone de la tuels dégâts climatiques ; la création dans tou­
Belgique –, à lui conseiller un renoncement à tes les entreprises de plus de 12 personnes
son idée sacro­sainte de la prospérité maté­ d’une chambre des actionnaires et d’une autre
rielle comme seul facteur d’émancipation. des salariés qui détermineraient en commun
Avant lui, le communiste italien Enrico Berlin­ les rémunérations et les investissements ; une
guer fut l’un des rares à faire sienne, dans les semaine de travail ramenée à 32 heures et l’of­
années 1970, la notion d’une gauche adepte fre d’une garantie d’emploi universelle, etc. « Le
d’une certaine austérité, fondée sur les va­ socialisme peut repasser à l’offensive et, fière­
leurs de « la rationalité, la rigueur, la justice et ment, reprendre sa marche séculaire », conclut
la jouissance de biens authentiques », comme résolument Paul Magnette. p
la culture, l’éducation, ou « un rapport sain et jean­pierre stroobants
libre avec la nature ». (bruxelles, correspondant)
culier sur trois objets d’étude – le genre, la
race et l’intersectionnalité – et n’est pas
Après un panorama international, une
dernière série d’articles pose un regard cri­
propre à la France : « Du Brésil au Japon
en passant par le Danemark ou la Grèce, on
assiste partout à une politisation de la ques­
tion des sciences sociales qui [se traduit] par
la tentation – et souvent la tentative, plus ou
tique sur la méthode sociologique. Julien
Duval réfléchit aux conditions d’autono­
mie de ce champ disciplinaire, tandis que
Marie­Pierre Pouly s’attache à la pédagogie
autour de la construction de l’objet sociolo­
moins violente – de s’opposer aux positions gique. Cette condition nécessaire à « la for­
politiques qui en émanent. » mation de l’esprit scientifique » voisine avec
Rose­Marie Lagrave tente justement de une autre réflexion sur la confrontation
faire le point sur cette « haine tentaculaire ». des enquêtés à la restitution d’une étude,
Elle décèle « une convergence autour de car « prendre la vérité dans la gueule » cons­
Mai 68 comme événement fondateur d’un titue parfois une violence.
dérèglement censé avoir tordu et endigué L’ensemble s’achève par une réflexion de
les sciences sociales dans un “gauchisme” Pierre Bourdieu jetant les bases d’une « cri­
malséant », et dénonce les « conjurés de la tique sociologique des sciences sociales », is­
neutralité axiologique », qui, telle Nathalie sue d’un cours au Collège de France en 1988.
Heinich, ciblent un présumé « militan­ Qui a dit qu’une discipline critique ne de­
tisme » des chercheurs pour ostraciser des vait pas faire la critique de sa critique ? p
courants critiques. L’historien Christophe youness bousenna
Charle poursuit en s’interrogeant sur les
« malentendus » entre les sciences sociales Actes de la recherche en sciences sociales
et la société, appuyant sur leur « fragilité » n° 243­244, « Qui a peur des sciences
dans le champ universitaire et intellectuel. sociales ? », Seuil, 160 p., 20,30 €
32 | carnet 0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022

Marcenat (Cantal). Le président,

en vente Le Carnet
actuellement
Vous pouvez nous faire parvenir
vos textes soit par e-mail :
K En kiosque carnet@mpublicite.fr
(en précisant impérativement
votre numéro de téléphone et
votre éventuel numéro d’abonné
HORS-SÉRIE
Philippe et Edith Bourgeois,
Catherine et José Romain,
ses neveux et nièces,
Ses petits et arrière-petits-neveux
Et toute la famille Moulin,
ont la tristesse de faire part du décès
de
M. Bernard BOURGEOIS,
survenu à l’âge de quatre-vingt-
quatorze ans.
Françoise LEPERCQ Le vice-président, Commémorations
Les secrétaires perpétuels
Commémoration de la déportation
nous a quittés le 1er novembre 2022, Et les membres
de l’Académie des sciences, des Juifs de France par l’association
pour aller dormir sous les étoiles. « Les Fils et Filles des Déportés Juifs
de France » et le Mémorial de la Shoah,
ont la tristesse de faire part de la
De la part de avec le soutien de la Fondation pour
disparition de leur confrère,
la Mémoire de la Shoah.
Luc,
son mari, Bernard TISSOT, Cérémonie à la mémoire des
Thierry, Alexandra, Nicolas et Juliette, directeur général honoraire déportés du convoi n° 42 partis, il y
ses enfants de l’IFP Énergies nouvelles, a 80 ans, du camp de Drancy pour le
président honoraire
Et Elrik,

PLANTU camp d’extermination d’Auschwitz-

ou de membre de la SDL) son petit-fils. de la Commission nationale
DANS « LE MONDE » La cérémonie religieuse sera Birkenau.
50 ANS ——
50DESSINS
soit sur le site : célébrée le samedi 5 novembre 2022, d’évaluation des études
à 10 heures, en l’église de Marcenat. Une cérémonie de l’adieu a eu lieu et recherches sur la gestion Dimanche 6 novembre 2022,
https://carnet.lemonde.fr des matières et déchets nucléaires
ce 4 novembre, en l’église Notre- à 12 heures.
L’équipe du Carnet reviendra vers Une pensée sera demandée pour (CNE),
Dame-de-Grâce de Passy, Paris16e.
vous dans les meilleurs délais son épouse, officier de la Légion d’honneur,
Lecture des noms des 1000
officier
pour vous confirmer la parution. Marcelle Françoise Majesté, de l’ordre national du Mérite,
déportés, dont 217 enfants, du convoi
son épouse, n° 42. Seuls 6 déportés sont revenus.
ainsi que pour Gabrielle et Christophe Majesté-
Hors-série carnet@mpublicite.fr Mémorial de la Shoah,
Cornut, décédé le 2 novembre 2022,
https://carnet.lemonde.fr Jacques, Paul et Madeleine
à l’âge de quatre-vingt-onze ans. 17, rue Geoffroy-l’Asnier,
sa fille et son gendre,
et ses petits-neveux, Manon, Charlie, Salomé, 75004 Paris.
ses petits-enfants Ils adressent à sa famille, leurs
HORS-SÉRIE
AU CARNET DU «MONDE» Nicolas et Alexandre. Et l’ensemble de sa famille, plus sincères condoléances. Renseignements :
Tél. : 01 53 01 17 99.
La famille remercie par avance Email :
Décès toutes les personnes qui prendront ont l’immense tristesse de faire part
wendy.semah@memorialdelashoah.
part à sa peine ainsi que l’ensemble du décès, survenu le 29 octobre 2022, Claude WIENER,
Jean-Pierre et Dominique, Thierry des personnes qui s’est occupé de lui, ENS Ulm 1941, org
à l’âge de soixante-seize ans, de
et Catherine, Véronique, Béatrice pendant ses dix dernières années. prêtre de la Mission de France,
Augendre, ancien professeur A la demande de la Gestapo le
leurs enfants et petits-enfants, Marc MAJESTÉ, à l’Institut Catholique de Paris,
LES DIEUX DE L’ÉGYPTE ANCIENNE Marie-Noëlle, Frédéric et Chloé, Paul Chemetov, psychiatre, psychanalyste. 3 novembre 1942, la préfecture de
Sophie, Olivier Augendre, police a organisé à Paris et en
leurs enfants et petits-enfants, Alexandre, Marianne, Agnès, a quitté cette vie dans l’espérance de banlieue, la rafle des juifs de
ses neveux, nièces, petits-neveux, ses enfants, La cérémonie aura lieu le mardi la résurrection, le 30 octobre 2022, nationalité grecque en précisant que
petites-nièces, arrière-petits-neveux Darius, 8 novembre, à 15 h 30, au crématorium à l’âge de cent ans.
Hors-série et arrière-petites-nièces, son gendre, du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.
« cette opération devra commencer
Paul, André, Marie Louise, Joséphine, le 5 novembre à 0 heure et être
La célébration religieuse aura lieu le
ont la très grande tristesse de faire Haydée, Alexandre, Pierre, Ilya, terminée le même jour à 6 heures du
Marie-Martine et Jean-Noël Hallet, mardi 8 novembre, à 10 heures, en
part du rappel à Dieu de ses petits-enfants, matin. Cette mesure concerne tous
Marie-Noël et Jean-Luc Berton, l’église Saint-Pierre-Saint-Paul d’Ivry-
Anna, Daria, Roman, les juifs hellènes, quels que soient
HORS-SÉRIE
Me Geneviève AUGENDRE, ses arrière-petits-enfants Jean-Louis et Danièle Mongrolle, sur-Seine (métro Mairie d’Ivry).
avocat honoraire, leur âge ou leur sexe. Aucune
Et tous ses proches, Bénédicte Mongrolle et François dérogation n’est prévue ».
RD, COMP
RENDRE
AUTR EMENT
ancien membre De la part de
Houtin,
LE REGA
DÉCALER

du Conseil de l’ordre font part de la mort de

Le monvdue de
et du Conseil national Marie-Annic et François Pourcher, La Mission de France 1713 fiches ont été retirées du
des barreaux,

Russie
Christine ses enfants et leurs conjoints, Sa famille fichier de la préfecture et 1416
président d’honneur CHEMETOV-SOUPAULT, Ses petits-enfants et leurs conjoints,
de l’Association Ses amis. arrestations ont été envisagées ;
22 août 1929 - 1er novembre 2022. Ses arrière-petits-enfants 1060 ont été effectuées : 360
française d’arbitrage,
Et son arrière-arrière-petite-fille, hommes, 523 femmes et 173 enfants
commandeur L’inhumation aura lieu le jeudi Souvenirs
O, LES DESSO
US D’UN
MIRAGE /
DE PHILIP
PE RAMET
TE

10 novembre, à 14 h 30, au cimetière de moins de 16 ans. 914 d’entre eux

de la Légion d’honneur,
L’ELDORAD S RENVERSANTES
EN 1914 /
et aussi... L’EUROPE OIRE / LES
IMAGE
IQUES DE

ont l’immense tristesse de faire part

DE L’HIST

ont été déportés par le convoi n° 44

ES SATIR

Il y a quatre-vingts ans, le 5 novembre

LES CART QUI CHANGE LE COURS

de Sausseuzemare-en-Caux (Seine-
N
UNE FICTIO

grand officier
de l’ordre national du Mérite, Maritime). du décès de 1942, du 9 novembre qui a emporté 1000
Hors-série déportés.
le 30 octobre 2022. Un hommage lui sera rendu le Huguette MONGROLLE, Saby COVO
samedi 19 novembre, à 11 heures, en
née SERRE, Parmi eux, 821 juifs grecs, dont 39
La cérémonie religieuse sera l’église Saint-Médard, Paris 5e. partait pour Drancy et Auschwitz
célébrée le mardi 8 novembre, à de leurs enfants grecs, ainsi que 93
14 h 30, en l’église Saint-François-de- p.chemetov@chemetov.fr survenu dans sa centième année, (convoi n°44), ainsi que sa sœur, de leurs enfants de nationalité
HORS-SÉRIE
Sales, 6, rue Brémontier, Paris 17e, 12, rue de l’Epée de Bois, le 1er novembre 2022. française.
suivie de l’inhumation dans 75005 Paris. Jeanne.
RÉPARER l’intimité, au cimetière
Montparnasse, Paris 14e.
du
La cérémonie religieuse sera célébrée Ils ne sont pas revenus.
219 hommes âgés de 16 à 50 ans

LA MER
POUR SAUVER
Selon le souhait de la défunte, ni
Mme Pierrette Dujon,
née Chauvin,
le samedi 5 novembre, à 10 h 30, en
l’église Saint-Sulpice, Paris 6e. Jacqueline et Françoise,
sont descendus du train à Kosel pour
le travail forcé dans les camps de
fleurs ni couronnes, mais des dons son épouse, Haute-Silésie; 22 d’entre eux ont
L’HOMME peuvent être versés pour la
Emmanuelle et Michel Caltiau, Ni fleurs ni couronnes. Vous
ses filles,
survécu. A l’arrivée du convoi à
recherche sur la sclérose en plaques,
HISTOIRE - GÉOPOLITIQUE - ENVIRONNEMENT

à la Fondation Arsep, arsep.org Laure et Thierry Eon, pouvez faire un don à l’association pour ses petits-enfants et ses arrière- Auschwitz-Birkenau, 681 personnes
Élodie Dujon, « Chemins d’Espérance ». petits-enfants qu’il n’a pu connaître. ont été immédiatement gazées.
Cet avis tient lieu de faire-part. ses enfants, Cent femmes ont été sélectionnées
Hors-série Ses enfants, Pour ne pas oublier. pour le travail forcé ; mais aucune
augendrefamille@gmail.com Chloé, Cécile, Hadrien, Raphaël n’a survécu. Le convoi n° 45 du
et Ludovic, Ses petits-enfants
11 novembre a emporté les 146 autres
Florence Bachmann,
ses petits-enfants, Et ses arrière-petits-enfants, Avis de messe juifs grecs.
son épouse,
Sophie Bachmann, Émilie et Silvère Martin, Hommage à
Sophie et Thomas Lize, ont la tristesse d’annoncer le décès Serge Klarsfeld,
UNE VIE, UNE ŒUVRE
sa fille, de
Sa famille, et leurs enfants, Philippe ALEXANDRE. Les Fils et Filles des Déportés Juifs
Ses amis, de France,
ont la tristesse de faire part du décès Michel ROSEMBERG,
ÉDITION
2022 Une messe sera célébrée le mardi 32, rue la Boétie,
Stefan ont le grand chagrin de faire part de de ancien proviseur
Zweig 8 novembre 2022, à 14 h 30, en 75008 Paris.
la disparition de du lycée du Hainaut
L’Européen
Saint-Clair DUJON, l’église Saint-Roch, Paris 1er. Tél. : 01 45 61 18 78.
Jacques BACHMANN, à Valenciennes,
reporter-photographe survenu le samedi 29 octobre 2022, chevalier
La voix d’une époque vaincue, par Laurent Seksik à Vogue et Maison&Jardin, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. dans l’ordre national du Mérite, Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
commandeur Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Hors-série survenue le 23 octobre 2022, dans sa La cérémonie civile aura lieu le
dans l’ordre des Palmes académiques, Directrice de la rédaction Caroline Monnot
quatre-vingt-quatorzième année. mardi 8 novembre, à 13 heures, au Direction adjointe de la rédaction Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian, Philippe Broussard,
crématorium du cimetière du Père- Nicolas Chapuis, Emmanuelle Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue, Harold Thibault
Ses obsèques ont eu lieu à Niort, Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Lachaise, Paris 20e. survenu à Créteil, le 28 octobre 2022, Directrice déléguée au développement des services abonnés Françoise Tovo

Collection
le 28 octobre. à l’âge de quatre-vingt-quinze ans. Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Gilles van Kote
Cet avis tient lieu de faire-part. Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel Davidenkoff (Evénements), Michel Guerrin, Nicolas Jimenez (photo-
bachmann79@wanadoo.fr graphie), Sabine Ledoux (cheffe d’édition), Christian Massol, Franck Nouchi (Débats et Idées)
bachmann.sophie@gmail.com Ses obsèques civiles seront célébrées Directrice du design Mélina Zerbib
Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
Odile Gaudin, le lundi 7 novembre, à 14 h 45, Infographie Delphine Papin
son épouse au crématorium de Champigny-sur- Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
présente
La famille de Ainsi que toute la famille, Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
Marne. Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président
M. Bernard BAILLY DU BOIS, ont l’immense tristesse de faire part
polytechnicien,
ingénieur au CEA, du décès de
conseiller pour les affaires
scientifiques et techniques M. Christian GAUDIN,
auprès du Général de Gaulle
de 1967 à 1969, survenu le 25 octobre 2022. Michaël Delafosse,
Maire de Montpellier
a la douleur d’annoncer son décès, Une cérémonie religieuse a été Président de Montpellier Méditerranée Métropole
survenu à Paris, le 30 octobre 2022, célébrée ce 4 novembre, à 10 h 30, en
à l’âge de quatre-vingt-douze ans. l’église Saint-Hélène, 102, rue du
Ruisseau, Paris 18e.
Les obsèques ont lieu ce samedi Les membres du conseil municipal,
5 novembre, à 14 heures, à Morbier Fleurs blanches uniquement.
(Jura). Les membres du conseil métropolitain,
Actuellement en vente, Cet avis tient lieu de faire-part et
le volume n° 7 Marie Benarous,
de remerciements.
VINGT ANS APRÈS sa fille, Michel Hilaire,
Son petit-fils, Jean, Cécile, Marc, Hélène et Paul Directeur du Musée Fabre
Fabienne Billoneau, Lambert,
sa nièce, Marianik Révillon,
Nos services ont la tristesse de faire part du décès
de
Gérard et Renée Lambert,
Francine et Bernard Pigelet,
rendent hommage à
leurs enfants et petits-enfants,
Lecteurs Annie BENAROUS,
née PERRON,
ont la tristesse de faire part du décès
Pierre Soulages,
de
K Abonnements administratrice civile
Sur abo.lemonde.fr au ministère de l’Agriculture,
inspectrice générale, Odile LAMBERT, maître de l’Outrenoir, décédé le 26 octobre 2022
Par tél. au 03 28 25 71 71 née RÉVILLON,
de 9 h à 18 h (prix d'un appel local) ENA promotion Denis Diderot 1984, ancienne élève
de la Légion d’honneur,
et le remercient avec gratitude
K Le Carnet du Monde ex-adjointe au maire équipière de Saint-Vincent, pour la donation exceptionnelle d’œuvres consentie,
de Vitry-sur-Seine,
carnet@mpublicite.fr
survenu le 31 octobre 2022, à Paris. avec son épouse Colette, au Musée Fabre en 2005.
survenu le 29 octobre 2022,
à l’âge de quatre-vingts ans. La cérémonie religieuse sera
célébrée le lundi 7 novembre, à
L’inhumation aura lieu dans la 10 heures, en l’église Saint-Léon,
stricte intimité familiale. Paris 15e.
0123
SAMEDI 5 NOVEMBRE 2022 0123 | 33

CULTURE | CHRONIQUE LE VISAGE 

p a r m i ch e l gu e r ri n
NOUVEAU  temps adossé des relations étroites et empa­ terroriste israélien Baruch Goldstein, disci­

JO 2024 : le scandale ET INQUIÉTANT  thiques à une communauté de valeurs.

Le retour désormais certain au poste de
ple du rabbin extrémiste Meir Kahane et
responsable, en 1994, du massacre de

d’un été sans festivals D’ISRAËL premier ministre d’un Benyamin Nétanya­
hou englué depuis plus de deux ans dans un
procès pour corruption, fraude et abus de
pouvoir est en soi un symbole. Il pourrait
s’accompagner d’un dangereux affaiblisse­
vingt­neuf Palestiniens en prière au tom­
beau des Patriarches, à Hébron, lève toute
forme d’ambiguïté, s’il en subsistait encore.
L’heure pourrait donc venir d’une relation
israélo­palestinienne dans laquelle la puis­

P
ersonne n’a vu venir le
scandale et c’est logi­
que : il n’aurait pas dû
arriver. Personne n’ima­
ginait que le ministre de l’inté­
rieur, Gérald Darmanin, puisse
déclarer que durant les trois mois
de l’été 2024 les festivals culturels
devront être supprimés ou allé­
gés parce que les policiers et les
gendarmes seront concentrés à
Paris afin d’assurer la sécurité des
Jeux olympiques (JO, du 26 juillet
au 11 août). Ce n’est plus une pan­
démie, le dérèglement climatique
ou un conflit social qui pour­
raient dessiner un été sans festi­
vals. Juste un pays contraint de
choisir entre ses fêtes.
Sait­on ce que signifie d’en arri­
ver à cette extrémité ? Si on en est
là, c’est à cause de la place prise
par les questions de sécurité dans
les festivals. Un non­sujet devenu
central depuis les attentats, ceux
contre Charlie Hebdo et le Bata­
clan en 2015, puis à l’issue d’un
concert d’Ariana Grande, en 2017
à Manchester, où 22 personnes
furent assassinées.
Cette même année 2017, l’Etat a
publié un guide de 170 pages sur
la sécurité dans les festivals. Le
texte transpose en mots une
insouciance perdue. Il dit ce que
sont devenus nos rendez­vous
collectifs. Il porte aussi un enjeu
financier qui pèse sur le débat ac­
tuel. En 2018, une « circulaire
Collomb », du nom du ministre
de l’intérieur de l’époque, a offi­
cialisé le paiement par les festi­
SI ON EN EST LÀ,  velléités de revanche du futur chef du gou­
C’EST À CAUSE  vernement comme le cap idéologique re­
DE LA PLACE  la troisième force politique du pays et qui
PRISE PAR LES  Cette dernière ne saurait être confondue
QUESTIONS DE 
SÉCURITÉ DANS 
LES FESTIVALS
corde entre sport et culture, deux
secteurs qui se ressemblent par
bien des aspects, et se méprisent
par d’autres, qu’on ne s’y pren­
drait pas autrement.
Craignant déjà une fracture et
voulant « unir les muscles et la
pensée », le fondateur des JO, le
baron Pierre de Coubertin, avait
créé au sein de l’édition de 1912 à
Stockholm des épreuves de pein­
ture, littérature ou musique. A
l’issue de sept éditions, ces joutes
intellectuelles, jugées médiocres,
ont été supprimées. Mais comme
il n’était pas question de laisser
l’art sur la touche, elles ont été sa­
gement remplacées, à partir de
1956, par un programme d’art
(parfois nommé pompeusement
Olympiades culturelles, en hom­
mage au baron), qui n’a cessé de
s’étoffer édition après édition et
de déborder au­delà de la période
des Jeux. Pour Paris 2024, le pro­
gramme est copieux, à Paris, en
Ile­de­France et dans plusieurs
autres régions.
L a participation élevée, enregistrée en
Israël lors des élections législatives
anticipées du 1er novembre, et ses ré­
sultats ne laissent guère la place au doute : le
pays qui s’est exprimé ce jour­là porte les
traits de ses vainqueurs. De fait, jamais par le
passé Israël n’a été aussi ancré à droite. Aux
côtés des nationalistes du Likoud et des
ultrareligieux juifs, jamais sa composante la
plus radicale, qui se revendique d’un supré­
macisme juif, n’y a été aussi puissante. Son
influence est d’ailleurs probablement supé­
rieure au simple nombre de ses députés et
elle réclame déjà des postes stratégiques au
sein du futur gouvernement.
Ces résultats sont une mauvaise nouvelle.
Pour la démocratie israélienne tout d’abord,
pour les Palestiniens ensuite, mais aussi
pour nombre d’alliés d’Israël, qui ont long­
HORS-SÉRIE
ment de l’Etat de droit. Tout y concourt : les
vendiqué par cette extrême droite devenue
méprise le principe d’équilibre des pouvoirs.
avec les partis populistes qui prospèrent en
Europe et qu’alimentent des discours
concentrés sur la stigmatisation de l’immi­
gration et l’insécurité. La singularité israé­
lienne a produit une autre dynamique
constitutive de ce suprémacisme ouverte­
ment raciste, homophobe, qui juge impéra­
tive la purge du pays de ses éléments consi­
dérés comme déviants.
Avec un tel gouvernement, relativement
bien armé pour résister à une instabilité à
l’origine de cinq élections en moins de qua­
tre ans, la création, aux côtés d’Israël, d’une
Palestine considérée comme une nuisance
inacceptable, relève ensuite, plus que ja­
mais, d’une chimère.
Que l’un des idéologues de cette extrême
droite, Itamar Ben­Gvir, affiche jusqu’à très
récemment dans son salon un portrait du
sance occupante se dispense définitive­
ment de la moindre perspective politique
et s’autorise un usage totalement décom­
plexé de la force que permet son écrasante
supériorité militaire.
Ce nouveau visage d’Israël, s’il se
confirme dans la composition du prochain
gouvernement, devrait imposer à ses alliés
occidentaux un réexamen de leurs rela­
tions avec l’Etat juif. Ne serait­ce que pour
constater que leur quasi­silence à propos
de la poursuite de la colonisation en Cisjor­
danie et du mépris quotidien envers les
droits les plus élémentaires des Palesti­
niens n’a fait que renforcer les positions
israéliennes les plus extrêmes. Et que ce si­
lence a également accéléré l’enterrement
de la solution à deux Etats.
Ces pays doivent désormais choisir entre
renoncer à cet horizon diplomatique, au
nom d’une alliance jugée prioritaire avec
Israël, ou bien le défendre fermement, dans
l’intérêt des Israéliens eux­mêmes. Compte
tenu des résultats des élections du 1er no­
vembre, le souci de crédibilité interdit dé­
sormais toute autre posture. p

vals à l’Etat de la mise à disposi­
tion de policiers et gendarmes,
sauf pour les manifestations à
but non lucratif. Il fallait sortir du
PLANTU
Disons qu’il y aurait quelque
chose d’indécent de voir de gros
festivals bien installés s’éclipser
au profit de JO développant de

flou : certains payaient, d’autres
pas, selon le bon vouloir des pré­
fets de région.
Des factures « forces de l’ordre »
La circulaire Collomb a davantage
provoqué de polémiques qu’elle
n’a clarifié les choses. D’abord des
festivals musicaux comme Les
Vieilles Charrues, en Bretagne, ou
les Eurockéennes, à Belfort, pour­
tant associatifs et à but non lucra­
tif, versent plusieurs dizaines de
milliers d’euros à l’Etat alors que
le Festival d’Avignon ne paie rien.
Comme si le théâtre était jugé
plus culturel que le rock. La circu­
laire a surtout provoqué une
hausse phénoménale des factu­
res « forces de l’ordre » de quan­
tité de festivals, menaçant les plus
petits, certains ayant même mis
la clé sous la porte.
D’où un paradoxe : des festivals,
déjà fragilisés par la sécurité de
leur propre événement, risquent
en 2024 de pâtir pour celle d’un
autre. D’autant que rien ne sem­
ble trop beau, pour les JO. La céré­
monie d’ouverture n’aura pas
lieu dans un stade (trop convenu),
mais en extérieur, sur 6 kilomè­
tres le long de la Seine et sur l’eau.
Sans doute faudra­t­il encore plus
de forces de l’ordre pour sécuriser
une zone aussi immense, au dé­
triment de qui on sait.
Le sport aura la priorité parce
que les JO n’ont lieu à Paris
qu’une fois par siècle et qu’il en va
de l’image de la France, plaide Gé­
rald Darmanin. Mais que répon­
dre à ceux qui adorent le théâtre
ou la musique et goûtent peu la
compétition sportive ? On vou­
drait attiser la flamme de la dis­
ON VOUDRAIT  plus périlleuse.
ATTISER  patrons de festivals invités à dis­
LA FLAMME DE
LA DISCORDE 
ENTRE SPORT ET  tion, modifier les dates, etc.).
CULTURE QU’ON  soi risque de fracturer un secteur
NE S’Y PRENDRAIT  festivalier très concurrentiel, où
PAS AUTREMENT
DANS « LE MONDE »
la culture à leur guise. On ima­
gine que la situation doit gêner
aux entournures Dominique
Hervieu, figure de la danse en
France, et aujourd’hui directrice
culture de Paris 2024, le metteur 50 ANS ——
en scène Thomas Jolly, chargé
d’orchestrer la cérémonie
d’ouverture et de clôture, Tony
50DESSINS
Estanguet, le président du Comité
d’organisation des JO, ou la maire
de la capitale, Anne Hidalgo,
friande de liens entre sport et art.
Car si l’apport des Olympiades
de la culture est incertain, celui
des quelque 2 500 festivals esti­
vaux de France, qu’ils réunissent
200 personnes sur la place d’un
village ou 40 000 fans dans un
pré, a été bien cerné par des
études : au­delà du plaisir ap­
porté, ces événements éphé­
mères constituent un précieux
outil de démocratisation. Le pu­
blic festivalier est plus novice,
moins spécialiste, plus jeune et
populaire que celui qui, toute
l’année, se rend au musée, au
théâtre ou à un concert. C’est
dans un festival que les 15 à 18 ans
découvrent souvent pour la pre­
mière fois un artiste.
Dernier point. Dans une France
qui affiche déjà un déséquilibre
sans équivalent dans le monde
occidental entre la culture dans
la capitale et la culture ailleurs
sur le territoire, cette affaire
aura un effet désastreux. Elle
pourrait même raviver un mou­
vement de type « gilets jaunes ».
Aussi des élus locaux vont certai­
nement protester pour défendre
leurs manifestations, surtout Jubilé. Après cinquante ans de bons et loyaux dessins − il en a publié près
quand elles sont éloignées de 20 000 dans le journal depuis 1972 −, Plantu a quitté la « une » du Monde
géographiquement de toute
épreuve des JO – la situation des
qu’il occupait depuis 1985. Nous rendons hommage dans ce hors-série à
festivals en région parisienne est l’éditorialiste au feutre acéré et créateur de Cartooning for Peace dont les
dessinateurs sont ses remplaçants au fronton du Monde.
On voit ce qui se dessine. Des
cuter avec le préfet de région afin
de trouver des solutions pour être
moins « gourmands » en forces PLANTU DANS « LE MONDE »
de l’ordre (alléger la programma­
Un hors-série du « Monde »
Cette stratégie du chacun pour 100 pages - 9,50 €
Chez votre marchand de journaux
et sur lemonde.fr/boutique
l’offre est pléthorique. On est loin
de la belle incertitude du sport. p
dior.com – 01 40 73 73 73