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« Il faut sortir de la vision de la ville fonctionnelle »

Propos recueillis par Laetitia Van Eeckhout

EntretienLa philosophe Fabienne Brugère plaide notamment pour la


multiplication des lieux favorisant les relations

A
utrice de L’Ethique du « care » (PUF, 2021), la philosophe Fabienne Brugère relie le « prendre
soin » – le souci des autres – à la question du lien social. Elle nous explique comment la ville
peut y contribuer.

Qu’est-ce que les confinements ont révélé de l’importance des contacts sociaux pour la santé ?

La pandémie, en rendant obligatoire et en renforçant le repli sur soi, sur son espace personnel, a accéléré
la prise de conscience d’un certain malaise en milieu urbain. Les modèles urbains développés ces trente
dernières années ont été largement structurés par la mythologie de la ville attractive, compétitive, avant
tout fonctionnelle.

Dans les grandes villes, le temps que l’on perd, notamment dans les transports, rend difficiles les
relations de proximité. Du coup, les individus se referment sur leur vie, sur leur seule réussite. Même à
l’échelle des quartiers, il manque souvent des lieux de proximité, d’animations, qui créent le bien-être.
Sans compter que, de plus en plus, les personnes ressentent de la violence dans les relations humaines
et se sentent en insécurité.

En quoi la qualité du lien est-elle importante pour le bien-être ?

La qualité du lien, quand celui-ci relève de la bienveillance, de la solidarité, de l’écoute, est essentielle :
elle rend la vie plus facile, moins violente. Ce faisant, elle sécurise. Elle évite que des individus ne
plongent tout seuls sans que personne s’en soucie. Elle permet aussi les relations intergénérationnelles.

Comment la ville peut-elle contribuer à la qualité du lien ?

Elle peut y contribuer de différentes manières. Déjà en faisant en sorte que les plus vulnérables
participent vraiment à la vie de la cité. Cela passe par des transports en commun qui relient bien les
quartiers populaires, par des lieux comme les cafés, les centres culturels… Mais aussi par des
animations, des structures de proximité qui permettent aux individus de se connaître : fêtes des voisins,
associations d’aide aux devoirs, d’accueil des nouveaux arrivants, de sensibilisation aux gestes
écologiques, etc.

Ce qui fait le caractère désirable des villes – que l’on retrouve dans de grands romans comme Paris est
une fête, d’Ernest Hemingway –, c’est le métissage. Leur capacité à favoriser une cohabitation
harmonieuse. Il faudrait aussi faire valoir un droit à la nature pour le bien-être de tous les urbains. Et
repenser les rues comme des espaces où les voitures sont moins nombreuses, les vitesses limitées, les
mobilités douces favorisées et où les gens puissent marcher, s’arrêter et discuter.

La ville ne doit-elle pas, en somme, redevenir ce qu’elle est par essence, une ville relationnelle ?

Evidemment ! La ville est relationnelle de par sa densité, mais aussi du fait qu’elle favorise de nouveaux
contacts, dépassant le cercle familial et celui du travail. C’est la magie de la ville. Il faut sortir de cette
vision de la ville fonctionnelle. Et revenir à ce qu’elle est par essence, c’est-à-dire un lieu de relations, de
rencontres. Chaque fois que des gens ont eu le désir de venir s’établir en ville, c’est parce qu’ils allaient y
trouver du travail mais aussi y bénéficier de lieux de culture, de divertissement, où faire des rencontres
tout en profitant d’un certain anonymat. Quand, au XVIIe siècle, Descartes part vivre aux Pays-Bas, il dit :
« Moi, ce que j’aime à Amsterdam, c’est la possibilité de l’anonymat. » Mais l’anonymat va avec le fait
que la ville rend possible la rencontre, et tous types de relations.

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