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PERLE ET LA FORÊT

ENCHANTÉE

Un conte de Karine Langlois

Illustré par Marion Alexandre Cantaloube


Ajoutez quelques gouttes de poésie à la réalité…

Résumé : Perle a de longs cheveux roux, et les autres enfants se moquent d’elle. Un jour, la fée
Papillon va la guider vers des animaux qui vont changer sa vie. Restera-t-elle avec eux dans la
forêt enchantée ?

Mots clés : conte pour enfant - animaux – renard roux - différence – féerie – Nature – passage

Conte poétique, à lire seul à partir de 10 ans, ou en lecture à haute voix par un adulte, à partir
de 6 ans.

Par l’histoire et par l’écriture, les parents y trouveront aussi leur compte…

Merci à Marion Alexandre Cantaloube, artiste peintre, dont l’univers féerique et


poétique, habité d’arbres enchantés et de touchants animaux, m’a donné l’envie et l’inspiration
d’écrire ce petit conte, pour les enfants de tous âges.

Les illustrations ne sont pas des créations originales pour ce livre, mais des détails de
peintures ou des toiles entières déjà existantes, signées Marion. Elles figurent ici avec l’aimable
autorisation de l’artiste. Elles ne sont pas libres de droits. Toute reproduction est interdite.

L’illustration en page 1 est le détail d’une peinture, bulle de diamètre 40 cm, créée
spécialement par l’artiste peintre après lecture de ce conte.
Il était une fois une petite fille qui se prénommait Perle. Elle avait une peau de nacre et
elle était protégée par ses parents comme un trésor.

Perle avait une particularité qui faisait la fierté de ses parents : ses cheveux rougeoyaient
tels un incendie et ils espéraient qu’elle acquière avec le temps un tempérament de feu et un
sacré caractère, à l’image de sa flamboyante toison, afin qu’elle s’arme contre la cruauté du
monde.

Mais Perle était une petite fille timide, douce et câline, et si cela apportait beaucoup de
bonheur à ses parents, en dehors de la maison, cela lui posait des problèmes qu’elle dissimulait
à ceux qu’elle voulait voir tranquilles et heureux. Les enfants n’étaient pas tendres avec elle, et
être en groupe les incitait à s’encourager les uns les autres à avoir des mots toujours plus
mordants, des regards toujours plus acérés : une meute aux voix glapissantes la harcelait,
pointant du doigt son abondante chevelure rousse et aboyant sans cesse des insultes et des
phrases humiliantes : « tu sens le putois, disait l’un - Tu es toute rouillée, disait l’autre - Tes
poils sentent la carotte, disait un troisième. » Et chacun se croyait très drôle, bien sûr.

Perle pleurait quand elle était seule dans sa chambre, seule devant son miroir qui lui
disait : « tu es la plus laide ». Quand elle avait séché ses larmes et redescendait auprès de ses
parents, elle entendait qu’elle était la plus belle, et on lui caressait les cheveux avec amour.
Malheureusement, la voix des méchants a un écho toujours plus fort que la voix des bons. Perle
se sentait trop différente, elle aurait voulu être blonde ou brune, comme les autres, et que l’on
ne se moque plus d’elle.

Un jour, ses parents la surprirent en train de pleurer en tirant sur ses cheveux comme si
elle voulait les arracher de sa tête. Ils l’arrêtèrent tout de suite et lui demandèrent ce qui lui
arrivait. Alors elle leur dit avec du désespoir dans les yeux qu’elle ne voulait plus de ses longs
cheveux qui descendaient jusqu’à ses fesses ; ils avaient l’impression que cette cascade
ravageait son dos comme une brûlure. Ils ne comprirent pas d’abord que c’était la couleur de
ses cheveux qui lui faisait mal ; elle finit par le leur avouer. Et à force de caresses, de baisers et
d’encouragements, ils obtinrent toute la vérité. Mais ils eurent beau essayer de la persuader que
c’étaient les autres les idiots, qu’il fallait les ignorer, que leur méchanceté les défigurait, c’est
elle qui se sentait laide et qui voulait voir se consumer en cendres sa magnifique chevelure
rousse.

C’est alors que son père eut un mot important : « tu pleures parce que tu te sens seule,
incomprise, trop différente des autres, tu ne te reconnais en personne ? » Perle hocha la tête
tristement. Son père avait le cœur qui saignait de voir de grosses larmes baigner ses beaux yeux.
Il ne voulait pas perdre sa fille, mais parfois il faut laisser partir ceux que l’on aime, pour aller
là où ils seront mieux, en paix avec eux-mêmes.

« Perle, je connais de petits êtres qui te ressemblent ; ils habitent non loin d’ici, dans une forêt
enchantée. Tu sauras te faire accepter. Ils te donneront confiance en toi, mieux que nous. Et
quand tu te sentiras assez forte, tu reviendras près de nous... si tu le souhaites » ajouta-t-il d’une
voix qui se brisait. Sa femme acquiesça. Oui, c’était le moment de lui parler de cette famille ;
elle aurait voulu éviter cela, mais si Perle devait se rendre là-bas pour aller mieux, alors ils
devaient la mener sur le chemin qui était le sien, vers « les siens ».

« Une forêt enchantée ? dit Perle, étonnée. Mais où est-elle ? Vous ne m’en avez jamais parlé.

- Non, c’est vrai. Mais nous-mêmes nous n’y sommes jamais allés. Il paraît que les arbres ne
laissent entrer que ceux qu’ils souhaitent accueillir, des âmes pures et malheureuses en accord
avec les esprits de la forêt ; il n’y a que très peu d’élus.

- Et comment fait-on pour y aller ? interrogea-t-elle. Ses parents sentaient avec quelle curiosité
elle leur posait la question, elle avait déjà envie de partir.

– Ce n’est pas un chemin facile à trouver ; si la fée Papillon n’accepte pas de te guider, on
entend dire que l’on se perd et qu’il faut rebrousser chemin.

– Et comment la trouve-t-on cette fée Papillon ?

– C’est elle qui se montrera sur la route si elle souhaite t’accompagner. Elle saura
instinctivement qui tu es, ce que tu cherches, et si tu mérites de rejoindre la forêt enchantée. Tu
veux partir ma Perle ?

– Oui, Papa et Maman, je veux quitter un temps le monde des Hommes, il est trop cruel pour
moi.

– Alors va, ma fille, trouve ton chemin, mon ange de feu, et sache que l’on t’aime, et qu’avec
de la patience, tu trouveras toujours quelqu’un pour t’aimer telle que tu es. Les autres, tu n’as
pas besoin d’eux et de leurs jugements. Tu le comprendras grâce aux petits êtres qui sont ta
famille. »

Perle embrassa en pleurant ses parents, qui lui indiquèrent le début du chemin ; après, ils
ignoraient si la fée prendrait le relais sur le passage et s’ils reverraient bientôt leur chère petite
fille aux boucles de feu.
Perle se sentait étrangement calme, et tout en marchant, elle se demandait sans crainte
ce que lui réservait cette nouvelle route. La fée Papillon ne tarda pas à virevolter autour d’elle
avec ses ailes blanches.

« Suis-moi, petite, jusqu’à la forêt enchantée. Tu y trouveras ta place.

– Je te suis, petite fée. » Perle ne la perdait pas de vue, elle se retrouvait sur des chemins qu’il
lui semblait n’avoir jamais vus alors qu’elle n’était pas si loin de sa maison pourtant, comme
s’ils se découvraient à elle, alors qu’ils restaient invisibles pour les autres. Elle marcha
longtemps, longtemps, avec la petite fée pour guide, jusqu’à voir s’ouvrir les longs bras feuillus
d’arbres majestueux. En se retournant, Perle ne vit plus la trace du chemin qu’elle venait
d’emprunter. Elle appartenait maintenant au monde de la Forêt. Le jour commençait à baisser,
d’autres auraient eu peur de la masse sombre des grands arbres. Perle ne sentait aucune menace,
au contraire. Elle continuait à progresser tout en percevant des présences invisibles qui la
regardaient ; elle crut voir l’ombre d’un cerf derrière un arbre, elle crut entendre le saut léger et
aérien d’une biche, elle crut voir le bond d’un écureuil, elle crut entendre le froissement et
l’envol des feuilles. Ils étaient tous là, discrets et enveloppants, chouettes, écureuils, lapins,
blaireaux, toute une faune silencieuse qui occupait les lieux en maîtres. Ils la laissaient entrer
dans leur demeure, haie d’honneur invisible, sur la terre et dans les airs, pour elle : elle se sentait
une reine.
Mais une reine fatiguée… Elle leva la tête et plongea son regard dans le bleu profond
de la nuit. Des étoiles y perçaient quelques trous de lumière, et des gouttes de pluie
s’accrochaient au bout des branches, refusant d’aller s’allonger au sol. Le temps était sec
maintenant, les arbres se dressaient de toute leur hauteur, avec dignité, dans un alignement
parfait et rassurant. Tout était en ordre, dans l’ordre des choses. Perle se sentait bien et ne
redoutait pas la nuit : elle ne savait pas qui, mais l’on veillait sur elle avec bienveillance. Alors
elle s’allongea de tout son long et confia son sommeil aux racines d’un grand arbre qui semblait
déployer ses ailes feuillues pour la protéger. Avec les étoiles pour veilleuse, et un croissant doré
de Lune, elle s’endormit en confiance, dans la chaleur de la Nature et l’odeur de l’humus. Elle
n’avait même plus la force de se demander qui étaient les petits êtres dont lui avait parlé son
papa.

Le lendemain, en s’éveillant aux rayons du soleil, en voulant se hisser sur ses bras, elle
sentit son nez chatouillé par la présence de la fée Papillon, et surtout sa tête emprisonnée. Elle
tourna son visage pour comprendre où ses cheveux avaient pu s’accrocher et c’est alors qu’elle
les vit.

Sur le tapis soyeux et lumineux de sa chevelure, s’étaient couchés de petits êtres tout aussi
flamboyants, au pelage roux et au col blanc : des renards. Tout devint clair dans l’esprit de
Perle : la famille dont lui avait parlé son père, c’étaient eux, ces animaux qu’elle connaissait
peu, et si proches d’elle pourtant. Une femelle dormait avec ses petits dans la douceur de son
pelage humain, ils avaient trouvé un refuge évident près d’elle, la reconnaissant comme l’une
des leurs. Leurs robes orangées jouant avec leurs reflets dans le soleil du matin l’éblouirent :
c’était beau. Dans leur sommeil, leurs petites truffes s’agitaient, en quête d’odeurs appétentes.
Alors que Perle contemplait ce ravissant spectacle avec attendrissement, elle croisa le regard
doux de la maman qui était réveillée. Elles se dévisagèrent quelques secondes, et il sembla à
Perle que la jolie renarde lui souriait. Quelle ne fut pas sa surprise quand elle l’entendit lui
parler :
« Ils ne sont pas mignons, mes petits ? Et toi aussi tu es mignonne avec tes beaux cheveux roux ;
je les adore !... Ah, tu es étonnée de me voir ouvrir la bouche et te faire la conversation. C’est
que l’on n’est pas dans une forêt ordinaire ici, c’est la forêt enchantée, on a dû te le dire. Tu
n’es pas au bout de tes surprises ! On fait des choses ici que tu ne verras nulle part ailleurs ! »
Et elle lui adressa un clin d’œil. Les petits avaient ouvert leurs adorables yeux en entendant la
voix de leur maman et commençaient à lécher son pelage avec tendresse. Perle était aussi
étonnée qu’émerveillée. Elle n’osait pas bouger, laissant les renardeaux profiter encore de leur
couverture couleur flamme. Elle ne savait que répondre à la gentille renarde ; elle lui adressa
son plus beau sourire.

Tout commençait à s’éveiller dans la forêt : Perle leva les yeux très haut, vers les cimes qui
brillaient par l’éclat du soleil. Les écureuils s’affairaient de branche en branche avec dextérité,
des pies virevoltaient ; en baissant le regard, elle vit passer d’un pas tranquille un blaireau
portant sur son dos une souris, suivi par trois hérissons. Tout le monde lui dit bonjour. Perle
répondait timidement.

Et puis il arriva, avec sa compagne : le cerf, noble et digne. Celui-ci impressionnait


Perle, c’était le roi. Avec une élégance simple, sans prétention, il avança vers la petite fille
bouche bée et lui adressa la parole :
« Bonjour Perle. J’ai été informé hier de ta venue par la fée Papillon. Je sais pourquoi tu es là.
Tu ne seras pas malheureuse avec nous. Et je tiens à te dire que tu as un pelage, enfin des
cheveux splendides. Quelle parure ! Je suis admiratif. » Perle n’osait interrompre son discours
pour le remercier ; de contentement, elle sentait ses joues devenir de la couleur de sa chevelure.

« On te fait visiter notre domaine ? » continua le cerf. Perle hocha la tête et les renards
s’extirpèrent à regret de leur couche. Perle les regarda quelques secondes gambader, humer
l’air, faire une bise aux écureuils, pies, blaireaux et hérissons, et elle suivit le grand cerf et sa
douce compagne.
La fée Papillon voletait gaiement devant eux, qui progressaient au milieu des arbres d’un pas
noble et serein. Perle se sentait parfaitement en sécurité ici, et elle se demanda un instant si ce
n’était pas tout simplement parce que les Hommes étaient absents de ce monde où les bêtes
vivaient seules et en totale harmonie entre elles et dans leur milieu naturel. Elle imaginait une
sorte de frontière invisible, de barrage même, qui avait été construite autour de la forêt pour la
protéger de l’intrusion de l’Homme, de sa violence, de sa volonté de nuire, de troubler la paix
qu’avait instaurée le roi cerf. Perle se sentait privilégiée d’avoir été admise dans le cercle des
animaux de la forêt. Et elle se sentait bien. En confiance et protégée.

Le cortège altier avançait toujours, le cerf et sa compagne précédés de la fée, Perle


derrière eux, la famille de renards, le blaireau, les hérissons, les lapins, accompagnés de la
musique des oiseaux. Dame Chouette, elle, se faisait discrète. Après quelques délicieuses
minutes de marche sous les feuilles frissonnantes, le cheveu flamboyant tel un soleil roux
auquel ne se brûlaient pourtant pas deux pies qui avaient élu domicile sur sa tête, Perle ouvrit
grand les yeux face à un spectacle inattendu : un campement de roulottes colorées.
« Qui habite ici ? osa Perle.

– Ce sont nos maisons, lui répondit le cerf, amusé.

– Mais, toi aussi tu peux y entrer ? demanda Perle.

– Mais oui… Ma femme et moi avons la roulotte la plus grande, là-bas, et j’ai le pouvoir, tous
les soirs, d’enlever mes bois. » Il se mit à rire quand il vit les yeux de Perle tout écarquillés.
D’autres animaux étaient là, c’était comme un village d’irréductibles, qui vivait selon ses règles
un peu magiques, dans une entente reposante. Les roulottes avaient des toits végétaux sur
lesquels étaient en train de jouer des écureuils. Les renards les rejoignirent pour s’amuser. Les
mamans s’installèrent sur des chaises longues recouvertes de paille pour les regarder, attendries
et heureuses.

Le village était en fête. Des fanions, des ballons et des bijoux pendaient aux branches,
les mamans avaient tricoté et habillé les troncs de certains arbres de laines de toutes les couleurs,
Perle avait l’impression qu’un arbre de Noël géant ne cherchait pas à se cacher derrière la forêt.

« Assieds-toi avec nous, dirent les mamans à Perle. Tu vas voir, les petits sont de vrais artistes.
Tu vas en avoir plein les yeux. » Perle s’approcha et s’assit ; les renardes en particulier la
couvaient des yeux ; elles lui caressèrent les cheveux en lui disant qu’elle était belle. Perle était
heureuse, mais elle eut un pincement au cœur en pensant à sa maman qui était si gentille aussi
avec elle. Gentille comme une maman renard. Sa maman renard…

« Allez, que la fête commence ! » dit le cerf avec un ton faussement solennel et l’œil brillant.

Un blaireau alla chercher une guitare dans sa roulotte et s’installa sur le pas de sa porte : il se
mit à jouer des airs entraînants qui encouragèrent toute sa famille à en faire autant ; les lapins
se mirent à jongler avec de gros champignons, une bande de souris se mit à se trémousser de
manière si drôle que Perle éclata de rire. Les écureuils, perchés, commencèrent à chanter en
agitant leur panache en rythme, les renardeaux marchaient sur les pattes avant, le derrière
saluant le soleil. Quel cirque ! Perle s’amusait beaucoup de les voir ainsi. Les petits renards
finirent par venir la chercher et par l’entraîner dans des danses effrénées. La matinée se passa
ainsi, en jeux et en chants. Les mamans préparèrent ensuite une grande table devant les roulottes
avec un bon repas. Elles avaient sorti les assiettes de gala où les animaux de la forêt étaient
représentés. On lui révéla que c’était l’œuvre du grand cerf : il modelait, il gravait, puis cuisait
de la jolie vaisselle. On mangea avec les doigts ou les pattes, tout de même…
L’après-midi, Perle découvrit d’autres talents chez sa nouvelle famille. On organisa des
ateliers. Sculpture, peinture, écriture, cirque… Perle allait chez les uns et les autres pour
découvrir avec stupéfaction ce que chacun pouvait lui apprendre. Un écureuil farceur lui montra
comment façonner de petits animaux en argile, qu’il glissait dans les arbres comme des trompe-
l’œil, un lapin lui montra des tours de magie et surtout comment il faisait sortir des carottes
d’un chapeau, le grand cerf lui dévoila quelques grandes toiles – car il peignait aussi – c’étaient
essentiellement des portraits avantageux de sa compagne. Et deux petits renards, qui avaient
dormi avec elle, l’emmenèrent dans leur roulotte pour lui montrer leurs cahiers d’écriture.

« Cela fait deux ou trois ans que l’on écrit des histoires tous les deux ; cela nous arrive de les
lire le soir à toute la famille. On écrit aussi chacun de notre côté notre journal intime. Est-ce
que tu fais cela, toi aussi ?

– Non, répondit Perle.


– Tu devrais, cela te ferait du bien. » Ils lui montrèrent des pages couvertes de leurs empreintes,
cela fit envie à Perle. Pourquoi pas oui, prendre un pinceau, un crayon, quelque chose pour
exprimer sa sensibilité.

« Comment vous appelez-vous tous les deux ? leur demanda Perle, qui les trouvait de plus en
plus attachants.

– Moi c’est Elfie, dit l’une, et moi c’est Cooky » dit l’autre. Ils étaient jumeaux, femelle et mâle,
et inséparables.

Le soir, à la nuit tombée, Perle découvrit un spectacle encore plus extraordinaire. Les
animaux avaient allumé des lanternes colorées accrochées à leurs roulottes, et ils avaient posé
contre les troncs des arbres des échelles interminables. Le ciel avait aussi allumé ses lanternes
et Dame Chouette tournait dans les airs pour saluer tout le monde. Elle se posa finalement sur
une branche ; elle avait un gros livre entre les griffes. Elle chaussa ses lunettes, dévisagea Perle,
la nouvelle, puis lui dit bonsoir, ayant sûrement retiré un avis positif de son examen. Puis elle
se plongea d’un air studieux dans sa lecture, qui lui prendrait peut-être toute la nuit, à la douce
lueur d’une étoile.
Ce sont surtout ses amis Cooky et Elfie qui impressionnèrent Perle. Après s’être fait un clin
d’œil complice, de concert avec leurs autres frères et sœurs qui se tenaient au pied d’autres
arbres proches, ils grimpèrent prestement aux échelles jusqu’aux plus hautes feuilles des arbres,
où Perle les perdit de vue, jusqu’à ce qu’elle se rende compte que des fils avaient été tendus
entre les arbres, très très haut, près des étoiles. C’est alors qu’ils se mirent à danser sur les fils,
tels des acrobates, des saltimbanques, sur deux pattes, sur une patte, seul ou à deux. Ils ne
faisaient pas les clowns, non, ils étaient gracieux, aériens, des étoiles rousses filant dans le
ciel… Que cette famille était belle !
« Viens, Perle, viens nous rejoindre ! dit Elfie. N’aie pas peur, grimpe à l’échelle. Elle sautait
maintenant d’étoile en étoile, sans se brûler.

- Mais je n’ai pas vos pouvoirs, moi, je ne suis qu’un petit être humain, répondit Perle.

-Tu n’as pas envie de décrocher la Lune ? » demanda Elfie, joueuse, en se cachant derrière le
beau croissant lumineux. Perle ne voyait plus que ses deux oreilles de friponne mais elle
entendait sa voix de tentatrice. Elle était bien gentille, Elfie, mais elle n’était pas un être
enchanté, elle ! Elle ne pouvait pas atteindre le ciel et y faire des cabrioles !

« Demande à Maman, elle va te donner des sandales ailées ! » dit Cooky sur son étoile. Sa
queue battait l’air joyeusement et jetait des éclats flamboyants.

La renarde présenta les fameuses sandales à sa petite protégée, et encouragée par les
plus jeunes renards restés au pied de l’arbre, la tête levée pour la regarder partir, Perle
commença son ascension. Ses cheveux de feu roulaient dans son dos pendant qu’elle grimpait
vers le ciel habité, le visage baigné de lumière lunaire. L’échelle était anormalement grande,
Perle voyait bien que c’était une échelle magique. Arrivée dans le ciel, elle se rendit compte
qu’elle ne voyait plus du tout ses petits amis restés en bas ; elle avait changé de monde. Elle ne
voyait plus qu’une étendue bleu nuit trouée de part en part de lumières d’une insolente clarté,
et régnait sur ce domaine inconnu, mystérieux, la reine Lune reposant dans son hamac
scintillant. Les petits renards, retournés sur leur fil, se profilaient nettement sur le ciel et
envoyaient des clins d’œil malicieux à Perle en lui désignant la Lune : « Allez, attrape-la,
attrape-la, semblaient-ils lui dire, et tu seras la nouvelle reine de la Nuit, notre reine ». Ils
étaient bien gentils, ces deux-là, mais comment faire ? Elle n’était pas à portée de main, la Lune,
même si Perle était parvenue très haut avec ses sandales ailées.

C’est alors qu’elle vit arriver la fée qui lui dit :

« Je crois que tu vas avoir besoin de mon filet à papillons. C’est un filet enchanté, bien sûr »,
ajouta-t-elle en agitant ses ailes gracieusement. Armée de ce joli moyen, Perle tendit le bras
vers la Lune pour la décrocher, applaudie par Elfie et Cooky, puis elle redescendit avec son
trophée, pleine de joie et de fierté.

La Lune emprisonnée lui souriait avec douceur, il n’était pas question pour Perle de lui faire du
mal. Une fois revenue à terre, accompagnée des deux petits renards, elle déposa avec précaution
la reine déchue au pied de l’arbre. Elle était si belle, même dans sa soumission. Perle s’empressa
d’ôter respectueusement le filet qui l’enveloppait. Elle méritait de briller pleinement, même à
terre. Tous les renards entouraient Perle et la Lune.

« Alors, tu vas être la nouvelle reine des Cieux ? Tu vas rester avec nous ? Tu peux avoir le
pouvoir d’être tantôt dans la forêt tantôt dans le ciel, tu sais, lui dirent ses amis en col blanc.
– Je ne sais pas, leur répondit-elle. Je parlerai demain au grand cerf, la nuit porte conseil. Une
chose est sûre, c’est que je vous aime, mes petits renards. » Perle crut les voir rougir. Ils
regagnèrent leur roulotte après avoir reçu chacun une caresse.

Perle avait choisi de dormir à la belle étoile. La Lune lui adressa enfin la parole :

« Dormons ensemble cette nuit, si tu veux bien. Puisque tu m’as fait quitter la douceur bleu
nuit, je m’étendrai dans la douceur orangée de tes cheveux. Je crois que je vais m’y sentir bien,
leur couleur me fascine. Et comme tu l’as dit, la nuit porte conseil. Tes rêves te diront peut-être
où est ta place. Dans le ciel, sur la terre, ici ou ailleurs… » Ces paroles de sagesse touchèrent
Perle. Pas un mot de reproche ou de colère de l’avoir délogée de là-haut, une parole de
compréhension à son égard et une faculté à s’adapter à une situation qu’elle n’avait pas voulue
et d’en tirer son parti…

« Oui, dormons ensemble, tu es belle et je t’admire. J’ai suivi les conseils des renards, excuse-
moi de t’avoir dérangée… Couvrons-nous l’une l’autre cette nuit : je t’offre mes cheveux. Je
ne les ai jamais autant aimés que ce soir. » Une douce nuit commença, sous les étoiles, et une
bien jolie scène : Perle endormie en boule dans le creux d’un arbre, le croissant de Lune couché
dans la crinière soyeuse de son dos. C’est sa maman que Perle vit en rêve, sa maman qui pleurait
son absence, sa maman qui pleurait en respirant une longue boucle de ses cheveux qu’elle lui
avait coupée sans qu’elle s’en aperçoive, sa maman qui l’avait laissé partir pour qu’elle soit
plus heureuse et à qui elle manquait, terriblement, douloureusement. Et elle vit son papa aussi,
les yeux secs, mais prostré dans un fauteuil, prostré dans son passé heureux.

Quand elle se réveilla le lendemain matin, elle vit tous ses amis autour d’elle lui faire
fête, lui apporter à manger. Elle savait qu’elle avait vécu des moments enchantés, hors du
commun, qui lui avaient donné du bonheur et de la confiance en elle, et de la tendresse aussi
pour ses cheveux qui avaient servi de lit aux renards, à la reine Lune elle-même… Mais elle
avait pris sa décision. Son rêve l’avait beaucoup marquée, et il était venu pour lui apporter la
réponse à ses questions. Elle n’avait à prendre la place de personne : les petits renards avaient
leur maman, la Lune était la reine du Ciel, le cerf le roi des bois, tout était en ordre ici, en
harmonie. Sa place à elle, elle existait déjà quelque part, sur terre, et pas dans cette forêt
magique : elle était auprès de ceux qui l’aimaient plus que tout, qui l’avaient désirée et toujours
aimée comme elle était, qui avait toujours aimé, peigné, caressé ses cheveux roux ; elle était
auprès de ses chers parents.

Elle était à la fois heureuse à l’idée de les revoir, mais aussi triste de quitter ses amis qui lui
avaient tant apporté en si peu de temps. Elle dit d’abord à la reine Lune qu’elle allait la ramener
au ciel et de lui pardonner le dérangement. Celle-ci lui répondit qu’elle avait passé une belle
nuit. Les renards comprirent. Ils allèrent chercher le roi. Perle monta à l’échelle en tenant avec
tendresse la Lune, et la remit à sa place. Comme le jour était levé, celle-ci alla se cacher, après
lui avoir adressé un grand sourire. Quand Perle redescendit, elle trouva tout le petit monde de
la forêt qui l’attendait, avec un sourire d’encouragement mais l’œil un peu éteint par le chagrin.
Perle vit bien qu’ils avaient compris quelle décision elle avait prise.

« Je suis désolée mes amis. Je vous aime tant, tous, j’ai passé de si beaux moments avec
vous. Ne laissez personne venir troubler votre si jolie harmonie. Merci de m’avoir fait l’honneur
de m’accepter parmi vous, cela me donne le sentiment que j’ai de la valeur puisque vous avez
jugé que je le méritais. Mais ma place est auprès de mes parents. Ils méritent que je les aime
beaucoup et que je reste près d’eux. Je ne vous oublierai jamais. Si je pouvais vous emmener
avec moi, je le ferais mais ce ne serait pas un service à vous rendre : notre monde, à nous
humains, est bien moins enchanté que le vôtre. » Et Perle se tut car sa gorge était étreinte par
l’émotion.

Le grand cerf s’approcha noblement et lui adressa ces paroles :

« Perle, nous sommes très honorés d’avoir fait ta connaissance. Nous non plus nous ne
t’oublierons pas ; nous ne laissons pas entrer grand monde ici, tu as raison. Et nous savons aussi
que tous les animaux ne sont pas aussi heureux que nous. Dans votre monde, certains sont
maltraités. Si tu veux te souvenir de ce que nous, les bêtes, t’avons appris, tu peux prendre avec
toi un petit animal à qui tu donneras de l’amour et qui t’en donnera aussi : tu ne seras jamais
déçue. Et puis, voilà : je te donne un dessin que j’ai fait pour toi. Prends soin de toi, Perle, ne
laisse personne te dire que tu es laide. Nourris-toi d’art et de nature, et tu seras bien. Garde tes
parents près de toi, et tu n’auras besoin de rien d’autre. Ne cherche pas à plaire à ceux qui te
dénigrent ou veulent te faire du mal. Tu as l’essentiel, reste dans cette bulle d’amour, et laisse
le monde entier hors d’elle. » Perle acquiesça et tendit la main pour prendre le dessin que lui
présentait le grand cerf : les larmes lui montèrent aux yeux quand elle y vit représentés tous les
animaux de la forêt enchantée, et au premier plan, Elfie et Cooky, ses préférés, qui la tenaient
par la main. Elle se trouva très jolie, dessinée par le grand cerf, avec sa longue crinière rousse.
« Merci… dit-elle simplement, la voix étranglée.

– Allez, c’est la fête ! dit le grand cerf. Ce n’est pas le moment d’être triste, tout va bien. » Les
écureuils se mirent à faire des cabrioles au son de la guitare des blaireaux, les souris
commencèrent à danser, les renards à jongler. Et tout un cortège accompagna Perle avec
musique et danse jusqu’à l’orée de la forêt, invisible pour tous les humains non autorisés.

Perle ne put retenir ses larmes au moment d’embrasser et de caresser tous ses amis. Elle
resta quelques minutes seule avec Elfie et Cooky, sa sœur et son frère de cœur. Ils lui
demandèrent quelques mèches de ses cheveux roux, et elle prit quelques poils de leur fourrure,
comme un échange sacré, un pacte. Et l’on se sépara. Perle fut accompagnée par la fée Papillon
qui seule pouvait l’aider à retrouver le chemin secret jusque chez elle ; ce chemin disparaissait
dès qu’elle y avait posé ses pas.

Quand elle eut vérifié la présence de ses parents à la maison, Perle laissa repartir la fée
Papillon jusqu’à la forêt enchantée et alla frapper à la porte. Ses parents la prirent dans leurs
bras avec frénésie, ils débordaient de joie, mais aussi de curiosité : que s’était-il passé dans la
forêt enchantée ? Assise sur les genoux de sa maman qui caressait et respirait ses longs cheveux,
Perle leur conta toute l’aventure, et ils furent très émus par son rêve et sa décision de revenir
auprès d’eux.

« On t’a laissé partir car c’est notre rôle aussi. Il faut que tu ailles là où tu seras heureuse. Mais
si tu penses que c’est ici, avec nous, cela nous remplit de bonheur. Le grand cerf t’a dit des
paroles pleines de bon sens, et nous sommes contents que ton expérience chez les animaux t’ait
fait comprendre vraiment ce que tu valais. Ils t’ont rendue forte et t’ont montré ce qui avait
vraiment de l’importance. Maintenant les autres ne pourront plus te faire du mal. »

Perle retourna à l’école ; on essaya de se moquer encore d’elle mais on voyait qu’elle
avait changé, que cela ne l’atteignait pas. Le jeu n’était plus drôle, il cessa. La petite fille était
entourée de l’amour de ses parents, elle s’était mise à prendre des cours de guitare et aussi de
dessin et de peinture : cela lui faisait beaucoup de bien. Il ne lui manquait qu’une chose : parfois,
le soir, elle respirait les poils de ses amis renards, et elle contemplait le dessin de son ami le
grand cerf. Elle contemplait la Lune aussi, qui avait dormi près d’elle. Sa mère l’avait vue
mélancolique en l’observant par l’entrebâillement de la porte. Elle lui dit trois semaines environ
après son retour de la forêt :

« Tu te souviens du discours du grand cerf ? Il t’a dit que tu avais besoin d’art, de nature, et des
animaux pour te sentir bien, c’est ça ? Et de trouver des choses ou des êtres qui te ressemblent,
qui t’aiment comme tu es, de laisser tout le reste de côté ?

– Oui, c’est ça, répondit Perle.

– C’est ce que tu as fait, et tu te sens bien maintenant ?

– Oui, répondit encore Perle.

– Et il ne te manque rien ? Si, n’est-ce pas ? Les animaux ? Un animal ?

– Oui, c’est vrai, dit Perle. Les petits renards roux me manquent surtout.

– Et si on prenait un chien qui leur ressemble ?

– Cela existe ? demanda Perle.

– Bien sûr, avec papa, on s’est renseignés. On ne peut pas adopter un renard bien sûr, mais il y
a des chiens qui sont très proches d’eux, très proches de toi, mon petit renard roux.

– Ah ? Tu es sûre ?

– Oui, je vais te montrer des images. C’est un colley : son museau est fin et triangulaire, son
pelage long et doux, il a la robe rousse et le col blanc. C’est un renard grand format. » Perle
s’extasia sur les photos du magnifique chien.

« Cela te dit que l’on en adopte un ? lui demanda son père.

– Oh oui ! J’adorerais ! » répondit Perle en tapant des mains.

Un mois plus tard, ce fut chose faite ; les parents de Perle s’étaient rendus dans un
élevage familial et le propriétaire avait laissé les chiots en liberté pour voir si l’un d’entre eux
allait se diriger spontanément vers l’enfant. En effet, une petite boule de poils roux se décida à
avancer hardiment vers les visiteurs et alla lécher la main que Perle lui tendait : l’adoption était
faite. On pouvait encore choisir son prénom. Perle ne prit pas trente secondes pour le faire : elle
s’appellerait Elfie.

On voulut la laisser le premier soir dans le salon, dans un panier tout prêt pour elle, avec
une jolie couverture et deux jouets, mais elle poussa habilement la porte de la chambre et quand
Perle se réveilla le lendemain matin, elle s’étonna de trouver sa tête emprisonnée. Elle regarda
où avaient pu s’accrocher ses cheveux, et elle vit son adorable Elfie couchée en boule sur sa
chevelure rousse : elle semblait, elle aussi, avoir trouvé sa place. Perle sourit. Elles allaient être
heureuses toutes les deux.

FIN
Auteur : Karine Langlois, née à Bayeux en 1978, est auteur et professeur de français. Elle a
publié plusieurs romans et récits depuis 2015, essentiellement avec les Éditions de la
Rémanence. « Perle et la forêt enchantée » est son premier écrit pour la jeunesse.

Illustrateur : Marion Alexandre Cantaloube est une artiste peintre normande talentueuse, qui
travaille dans une roulotte. L’arbre est un point d’ancrage pour son art, une source intarissable
d’inspiration, qui lui parle tant par la force tortueuse de ses racines que par la puissance en
majesté de ses branches dont l’élan semble vouloir caresser le ciel, les étoiles et la Lune. Elle
crée comme elle le dit elle-même une peinture fantasque et bohème, qu’elle veut joyeuse, dans
une vision du monde résolument douce et poétique, habitée souvent par des animaux de la forêt,
dont ses animaux fétiches, le renard et la chouette, ou encore par des saltimbanques, des
roulottes, des villages perchés. Elle privilégie maintenant la rondeur de la bulle comme support
à ses œuvres pleines de vie, enchantées et enchanteresses, qui portent au rêve et à la rêverie.

https://www.facebook.com/marionalexandreart
Site : marionalexandre.com

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