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Des yeux ronds observèrent la jeune femme.

Elle avait exprimé cela avec douceur


mais fermeté. Liliane semblait s'être réveillée avec une lionne au fond du coeur, car
elle n'avait plus peur de prendre la parole face à Osna et à son regard lourd et
scrutateur.

- Oui ? l'encouragea Liavus à côté d'elle.

Il s'était servi dans les reliefs de son repas, mais elle apprécia sa présence. Elle lui
donnait de la force. Elle sourit à l'elfe, qui lui répondit de même, dévoilant ses dents
pointus et des fossettes sous ses yeux brillants. Simplement le savoir là suffisait à
Liliane.

- Je me suis souvenu des vieux contes. Après tout, j'ai beaucoup lu sur le Petit
Peuple, quand j'étais petite. Ma grand-mère n'a pas choisi ce thème par hasard, il
faut croire. Je me souviens qu'il y avait des notes sur la magie des lutins et des
elfes. Ce que l'on appellait les vallons féériques. Cela vous dit quelque chose ?

Liavus l'observait, silencieux pour une fois. Il avait perdu sa moue malicieuse. Osna
et les autres réfléchirent avant de secouer la tête. Même si le nom même reflétait la
nature surnaturelle, ils ne savaient pas ce dont il s'agissait. Liliane repoussa sa
chope vide et s'appuya au dossier de sa chaise, cherchant pour trouver les bons
mots.

- Combien de fois les humains ont-ils racontés les voyages entre les deux mondes,
où le temps est différent ? Vous-même me l'avez expliqué, non ? Nous en avons
parlé au Conseil. Ces contes où des amoureux s'enfuient loin de chez eux, et le
temps passe en-dehors du monde elfique. Je me rappelle que plusieurs de ces
contes appellaient certains portails des vallons. Commes des bulles temporelles, où
le temps passe différemment, voire pas du tout. Et si nous étions capables de créer
de toutes pièces l'un de ces vallons ? Où le temps ne passe pas, et où nulle sortie
ne permettrait de sortir ? Cela permettrait ...
- D'emprisonner Margnor, finit Osna. Mais encore faut-il comment manipuler cette
magie temporelle. Serait-ce dans vos cordes ?
- N-non, bégaya Liliane, là est tout le problème. Il semblerait que je sois capable de
magie, mais jusqu'à maintenant, difficile de le croire.
- En tout cas, sceller Margnor dans une bulle temporelle, voilà une bonne idée. Le
mieux serait que le temps y soit stoppé. Il ne pourrait plus bouger ni parler ni faire de
mal à qui que ce soit. On l'y enferme, et on jette la clé de ce portail là.

Liavus s'enflammait, les prunelles pétillant d'une impatience grandissante. Liliane


soupira et détourna les yeux.

- Tout ce plan pourrait fonctionner, si je savais comment utiliser ma magie.


- Osna ?

La voix venait d'un lutin inconnu, qui courrait dans leur direction. Il s'immobilisa sous
le regard hautain de l'elfe. Elle avait croisé les bras, attendant qu'on lui explique
pourquoi on les avait interrompus.

- L'Ancêtre est arrivé à l'instant même.


- Assurez-vous que le voyage ne l'ait pas trop fatigué, puis amenez-le nous, ordonna
Osna d'une voix un peu plus chaleureuse ; sous le regard curieux du reste du
Conseil, elle reprit la parole. J'ai demandé à l'Ancêtre, notre doyen, de venir nous
voir. Peut-être aura t-il des souvenirs de la grand-mère de Liliane. J'ai ordonné sa
venue lorsque Liliane a mit les pieds chez nous, mais malgré le Réseau du
Feuillage, cela peut parfois être long.

Ils attendirent en discutant, jusqu'à ce qui ressemblait à une feuille un peu trop
mâchouillée n'avance à petits pas tremblants. Liliane n'avait encore jamais vu de
membre du Petit Peuple comme lui : la peau comme du cuir sombre, avec ici ou là
des motifs d'écailles, des oreilles pointues comme la plupart des membres du Petit
Peuple, et elle n'aurait su deviner si son corps frêle était dû à son grand âge ou était
inhérent à son appartenance. Liavus lui murmura qu'il s'agissait du plus vieux
membre du Petit Peuple, un farfadet. Il sourit largement à Osna, apparemment très
heureux de la voir ; Liliane fût surprise quand elle vit l'elfe aux grands airs sourire à
son tour. De toute évidence, l'Ancêtre et Osna s'appréciaient énormément.

- Voici l'humaine, Ancêtre. Elle s'appelle Liliane.


- Oh, bonjour, ma petite ! s'exclama le farfadet en se tournant vers Liliane.

Il tendit une petite main parcheminée qu'elle serra délicatement ; au contact, elle
réalisa que ce n'était pas des motifs d'écaille, mais bien de minuscules écailles
moins sombres que la peau qui était sèche et ridée. Elle frissonna un peu, mais fût
rassurée en voyant les petits yeux pâles rieurs et joyeux. Il était vieux, mais avait
toute sa tête, et sa voix était douce et pleine d'une chaleur amicale.

- Mais ... N'y a t-il pas ... Etrange.

Tout le monde fronça les sourcils devant cette interruption bizarre.

- Ce n'est rien. Je devine pourquoi vous avez fait appel à moi - Margnor. J'ai senti sa
puissance s'éveiller, et tout comme Isabelle, voici une humaine pour nous sauver
tous.

Il eut un petit rire et agita ses vieilles mains écailleuses. Liliane était pendue à ses
lèvres, à présent : Isabelle, sa propre grand-mère. Toute cette histoire lui semblait
incroyable. Est-ce que sa famille avait quelque chose dans ses os, dans son sang,
pour attirer ainsi le Petit Peuple ? Ou était-ce la croyance en eux qui les attirait
comme la flamme un papillon ?

- J'ai connu Isabelle. J'étais très jeune à cette époque, et ma race a la chance de
vieillir diffémment des autres races du Petit Peuple. Elle était ... eh bien, elle te
ressemblait beaucoup, ma petite.
- Il s'agit de ma grand-mère, souffla Liliane, émue.
- Je vois. Amusant comme l'histoire se répète, parfois. Peu importe, tu es là pour
nous aider.
- Est-ce que vous savez comment utiliser ma magie ?

Elle avait posé cette question avec ardeur. Peut-être tenait-elle enfin la réponse à
son mal-être. Peut-être ce vieux farfadet pouvait l'aider à développer ses pouvoirs, et
elle-même s'occuperait de Margnor.

- J'ai vu ta grand-mère user d'artifices humains, oui. Je me rappelle la puissance


qu'elle tirait de ses émotions. Une magie intrinsèque à votre espèce. D'autant plus
puissante que ta magie est héritée d'Isabelle, si je comprend bien. Osna ! s'écria t-il
en faisant sursauter tout le monde, ce qui le fit sourire. Je désire utiliser la salle
d'entraînement. Il va bien falloir que la petite s'entraîne.

Liliane sentit son coeur gonfler d'émotions : on allait enfin l'aider à trouver la manière
d'exploiter ses pouvoirs, qu'elle sentait en elle comme une graine ne demandant
qu'à fleurir.

***

C'était moins facile qu'elle ne l'avait rêvé. Couverte de sueur et de poussière, elle
inspira encore, motivée par les paroles du vieux farfadet. Liavus était là lui aussi,
mais le Conseil avait eu la bonne idée de les laisser tranquille. Son ami s'entraînait à
user de ses dagues, tandis que Liliane suivait les conseils de l'Ancêtre.

- Isabelle utilisait ses émotions. Elle m'a confié que c'était l'image de sa fille - une
petite enfante, à l'époque - qui l'aidait à animer ses pouvoirs. Essaye à ton tour, ma
petite.

Elle rassembla les photos intérieures de sa famille : son fils, parti vivre à Paris, qui
ne l'appellait que trois fois l'an pour prendre quelques vagues nouvelles ; ses petits-
enfants, sa joie de vivre, qui lui envoyaient parfois des dessins, et à qui elle rêvait de
confier ses croyances en le Petit Peuple et ses rituels, d'autant plus qu'elle savait à
présent que les lutins et autres faëries existaient. Mais ce qu'elle ressentait, c'était la
tristesse d'être loin d'eux. Elle n'arrivait pas à éprouver la joie que demandait
l'Ancêtre. Les mains ouvertes, tendues devant elle, elle était juste ridicule. Une
vague de désespoir déferla et elle ravala sa colère dans un hoquet.

- Ca va aller, Liliane. Tu retourneras dans ta famille, dans ton monde, Osna te l'a
promis.

Liavus avait cessé de s'entraîner et s'était approché. Il lui fit un large sourire de ses
dents pointues, et la prit dans ses bras. Liliane se sentit rassurée ; en peu de temps,
elle avait placé une grande confiance en lui, car elle s'était longtemps sentie seule
quand elle était dans le monde des humains. Une telle proximité offrait un terreau
propice à l'amitié. Liliane se dégagea enfin de l'étreinte amicale de Liavus, et hocha
la tête, puisant sa détermination dans l'envie d'aider le Royaume Elfique.

- Essayons encore.

***

Trois jours entiers passèrent sans que ses journées passées à s'entraîner ne
donnent quoi que ce soit. Liliane était de plus en plus frustrée, d'autant plus que
l'Ancêtre - dont il révéla lui-même qu'il s'appelait Riel - restait patient et joyeux
qu'importait les résultats. Osna, par contre, camouflait mal son impatience derrière
ses grands airs mécontents. Riel avait apporté avec lui quelques vieux parchemins
qu'il lisait pendant les longues heures où Liliane méditait et tentait de découvrir ses
pouvoirs. Le fardeau sur ses épaules augmentait au fur et à mesure qu'elle
apprenait, chaque soir au Conseil, que Margnor avait enlevé quinze enfants du
Peuple, dans tel petit village, ou qu'on avait trouvé des traces de vieille magie
obscure sur un prunier à présent mort. Liliane se souvenait vaguement qu'il existait
des arbres à fées, comme le prunier ou l'aubépine, des arbres plein de magie et
étant sûrement importants pour le Réseau du Feuillage.

- Allons nous promener, proposa soudain Riel alors que Liliane tordait ses doigts en
espérant en faire sortir une étincelle, une lueur, peu importait.

Ils sortirent de la grande salle et marchèrent sur les petits sentiers de la Capitale.
Rilfendre était à présent plus méfiante, plus sombre, car les rumeurs des méfaits de
Margnor parvenaient jusqu'ici, et beaucoup prenaient peur. Ils avaient de quoi être
terrifiés, quand on songeait au passif du maléfique empereur.

- Où allons-nous ? demanda Liliane, réalisant que l'Ancêtre la menait à un endroit


précis de son petit pas décidé et enthousiaste.
- Nous allons voir quelqu'un de très particulier.

Il désirait lui faire la surprise, et elle se laissa guider tranquillement jusqu'à la lisière
de la capitale. Ici, les arbres et les buissons devenaient plus sauvages ; les maisons
avaient cessé de jaillir comme de délicats champignons. Liliane haussa les sourcils,
attendant avec impatience. Riel s'approcha d'un mûrier aux larges épines, et siffla
doucement. Quelques oiseaux répondirent à ses trilles, et il parût satisfait.

- Peux-tu sortir de là ? Je suis vieux, et je ne peux plus me baisser comme autrefois.

Liliane prit un air ahuri, et attendit calmement ; quand quelques minutes tranquilles
eurent été égrénées, elle se demanda si Riel ne perdait pas la tête. Mais le vieux
farfadet poussa un petit soupir, puis avec une agilité hors du commun, il s'enfouit
dans le buisson au point de disparaître derrière les ronces noires. Il y eut quelques
bruits étouffés, puis il sortit de là sans une égratignure sur sa peau sombre, tenant
fermement un petit elfe au regard écarquillé et horrifié. Les guenilles sur son dos
empestaient, et il avait la bouche sale, barbouillée de jus de mûre apparemment.

- Ne le reconnais-tu pas ? demanda Riel, toujours aussi calme. Liliane jeta un regard
à l'elfe, et secoua finalement la tête.
- Je devrais ?
- Voici Liliane. Est-ce que tu vas t'expliquer, ou dois-je le faire à ta place ?
- Je ... Heu ...

L'elfe était très jeune, de petite stature, et Liliane se demandait ce que voulait Riel à
cet enfant. L'inconnu bégayait, éperdu de peur.

- Il est humain. Et je pense que ce n'est pas la seule chose qu'il cache ...
- Je n'ai pas fais exprès, je ne voulais pas, pardon, pardon ! s'écria soudain l'enfant
en se débattant avec la force du condamné.

Il tomba au sol quand la main de Riel le lâcha. Le farfadet le regardait avec sérénité,
et c'est peut-être le poids de cette insistance tranquille qui le fit cesser de s'agiter. A
genoux près du buisson épineux, il baissa le nez, la honte se lisant sur son petit
visage affolé. Le silence pesa au point qu'il continua, comme poussé par l'attention
de Riel et Liliane.

- Je ... Je crois que je vous connais, il y a une vieille femme au bout du village. Je ...
Adrien, vous ... vous voyez ?
- Le gamin d'Adèle, à la poste ? s'écria Liliane, frappée par le souvenir.
- Ma ... ouai, c'est ma mère, dit-il d'une voix toute proche de pleurer. Je la reverrai
jamais, à ce rythme là ! On va tous mourir, et ce sera ma faute, et je ...

A ce moment là, il éclata en sanglots ; même si Liliane ne l'avait pas su humain


comme elle, elle se serait approché de lui pour le serrer contre elle. Il accepta son
contact et se délivra de sa douleur par les larmes. Liliane le berça gentimment, en
l'apaisant comme elle pouvait sans savoir de quoi il était coupable.

- J'ai été amené par un elfe, moi aussi, continua t-il enfin après s'être un peu calmé,
évitant le regard de Liliane. On m'a parlé de Margnor, le mauvais empereur, et on
est allé dans ce vieux bâtiment ...
- Oh, non, murmura Liliane en comprenant ce qui s'était passé, sa main se portant à
sa bouche pour retenir effarement.
- J'avais pas tout compris, je n'écoutais pas tout, c'est ma faute ... Et il y avait cette
voix, cette pierre qui scintillait ...
- Pourquoi est-ce que t'as amené ici, si ce n'était pour sauver le Peuple de
Margnor ? Comme il était encore scellé à ce moment-là, demanda Liliane, essayant
de s'y retrouver.
- Il existe des membres du Petit Peuple qui ne veulent qu'une occasion de faire le
mal. Echanger bien des vies contre un peu de puissance et de gloire, intervint Riel,
le visage toujours doux et compréhensif. Seul un humain pouvait retirer cette pierre,
ensorcelée pour qu'aucun adepte de Margnor ne puisse libérer son maître. Mais
nous n'avions pas été assez prudents, nous n'avons pas protégé ce sarcophage
contre ceux qui nous avaient aidé, les Humains.

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