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Vie antérieure

Partie 4 : La dame de fer et de sang

Nessendyl

Édition Plumes Ecailles et Pixels


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Bonne lecture !
On aime s’enfoncer dans des songes étranges.
Penser à nos rêves et à ces murmures que l’on perçoit la nuit en dormant.
Eux aussi doivent contempler leurs rêves et entendre des murmures,
paroles des dieux les ayant menés ici.

A vous de continuer à suivre leurs aventures...


1
Annonce de la guerre

Ley tirait Kemy par le bras, l’obligeant à se


dépêcher et à marcher sans tomber dans la forêt pleine de racines et de
ronces. Le jeune elfe progressait rapidement, s’aidant de sa main libre pour
pousser les branches basses qui le gênaient. Il semblait connaître le chemin
par cœur, ne s’arrêtant jamais pour regarder autour de lui. Dans son idée, il
voulait faire vite, suffisamment vite pour que Kemy n’ait pas le temps de
changer d’avis et de lui fausser compagnie. Il avait été assez difficile
d’avoir enfin un moment seul avec la jeune femme. Maintenant qu’elle était
revenue comme elle l’avait promis, il ne comptait pas la lâcher !
– Ley où m’emmènes-tu ?
L’elfe se retourna pour lui sourire et lui répondre très évasivement :
– Tu vas voir. Patience !
C’était vite dit et la jeune femme n’avait plus beaucoup de patience à offrir.
Elle était fatiguée par son voyage, avait faim et s’inquiétait en songeant que
la nuit n’était plus si lointaine. Elle allait lui faire remarquer lorsqu’une
branche la frappa de plein fouet au visage, la faisant sursauter et porter une
main sur son nez.
– Ley fais attention ! Il n’y a pas un autre chemin ?
Le jeune elfe s’excusa et lui offrit un tel sourire qu’elle ne put finalement
rien lui reprocher. Rougissante, elle reprit d’elle-même sa main qu’elle
avait brièvement lâchée et se laissa porter dans son sillage.
Ley n’arrêta sa folle progression qu’une bonne demi-heure plus tard. Il
s’immobilisa sans dire un mot et bras pliés contempla le visage lumineux
un espace vide entre deux arbres gigantesques.
– Hé bien ? Demanda Kemy sans comprendre ce qu’il fixait ainsi.
– Nous y voilà ! S’exclama-t-il très fier de lui.
Il rayonnait littéralement, son beau visage détendu ne quittait pas
l’ouverture entre les arbres des yeux.
– Près de ces arbres ? C’est eux que tu voulais me montrer ? Questionna-
t-elle dubitative et franchement perdue.
– Non pas vraiment, s’amusa son compagnon, mais avant d’aller plus loin
tu dois me promettre de m’écouter et de faire ce que je te dirai.
– Pourquoi ? Où allons-nous ? S’inquiéta la jeune femme.
– Promets-le-moi.
Ley venait de se placer tout contre elle et de lui prendre les mains. Il les
porta près de son visage et insista, il semblait tellement heureux que la
jeune femme ne put pas faire autrement que promettre.
Il garda une de ses mains dans la sienne et se plaça avec Kemy devant
l’espace entre les deux arbres. Alors qu’il portait sa main libre en avant il
lui dit :
– Tu vas entrer dans un endroit que les êtres humains n’ont normalement
pas le droit de fouler. Tu viens avec moi en tant que mon invitée elfique,
alors si tu me suis, il n’y aura pas de problèmes.
La jeune femme acquiesça d’un signe de tête. Satisfait, le jeune elfe put
incanter une formule magique en elfique :

« Leula nos klane, salanm moy lo téndi e més jisu »

Elle se prit à cligner des yeux devant ce qui se produisit alors. Un voile ou
plutôt une vague, vint prendre place entre les arbres, bien visible malgré un
certain effet de transparence. Sa surface bougeait inlassablement dans de
longs mouvements, faisant onduler sa forme translucide aux reflets
verdâtres. Kemy lança un regard à Ley, celui-ci rayonnait de plus en plus,
les yeux sur la surface vivante. Et la magie céda, offrant une pluie de
fragments brillants et lumineux. En face d’eux, on pouvait voir une colline
verte couverte de fleurs et un ciel bleu turquoise.
– C’est impossible… Commença la jeune femme éberluée.
– Viens !
Ley la tira par le bras, la conduisant vers l’herbe si verte. A peine avait-elle
passé les deux arbres et leur étrange passage que les narines de la jeune
femme furent accueillies par un fabuleux parfum de fleurs. Les yeux de
Kemy ne pouvaient pas tout voir, tout mesurer tant ils étaient sollicités. Le
ciel était d’un bleu parfait alors que le temps hors de la barrière était
affreux. L’herbe d’un vert pur ondulait sous une très légère brise. Des fleurs
sauvages de toutes tailles et toutes couleurs offraient leurs bouquets
parfumés et chatoyants en chaque endroit. Sur sa droite, des buissons pleins
de fruits secouaient leurs bras lourds de provisions. Plus loin encore,
quelques arbres au feuillage parfait offraient de l’ombre aux plantes courant
à leurs pieds. Devant elle, sans la voir, elle devinait une rivière ou autre
cours d’eau à en juger par le son cristallin qui parvenait à ses oreilles aussi
émerveillées que le reste de son corps. L’air sentait la paix, la béatitude,
tout en ce lieu donnait envie de se reposer et de se prélasser sans penser à
rien. Ils se trouvaient dans une sorte de paradis. Un paradis féerique.
– Ley… Où sommes-nous ? Où m’as-tu emmenée ?
Elle s’était d’elle-même accrochée à son bras tout le temps de sa longue
contemplation. Le jeune homme lui offrit un tendre sourire et lui répondit
tout en caressant sa joue :
– Au pays des faeries, lieu magique des fées. En ces lieux, rien ne peut
nous inquiéter.

* * *

Ils étaient tous assis autour de la grande table à


manger. Le soleil venait de tomber derrière d’épais nuages gris et la lune,
bien qu’invisible était montée à sa place. Le repas était convivial et
agréable. Tous mangeaient tranquillement, le nez dans des assiettes bien
garnies. Galda était un véritable cordon-bleu, capable de cuisiner des plats
de toutes sortes, de bases humaines et elfiques ou même naines. Ainsi,
chacun y trouvait son compte et mangeait avec joie ces mets savoureux.
Après avoir bu une longue gorgée de vin, Dînn décida de commencer à
parler alors que le reste du groupe était pour le moment silencieux. Un sujet
le travaillait et il ne devait pas être le seul.
– Mel, prononça-t-il en fixant la jeune femme, nous avons eu des
nouvelles de Kerzé pendant votre absence. Inutile de passer par quatre
chemins, la guerre n’est pas terminée, bien au contraire, Kailse An Inézy
monte une armée et a décidé de décimer les autres peuples de la région.
Angel et Sann gardent leur alliance et vont lutter ensemble, il leur reste à
convaincre les Nancaliens de les suivre. Comme toujours Ethantalan pose
problème, mais son jeune frère vient de se marier et d’accepter son titre de
prince, il règne maintenant tout autant que son aîné, ainsi nous comptons
beaucoup sur lui.
– Que compte faire Kerzé ? Questionna Mel en reposant sa cuillère.
– Humm l’empereur des Shénèls a décidé de mener une quête qui ne lui
plaît guère, ainsi préfère-t-il rester au sud-est pour le surveiller de près.
– Une quête ?
Cette fois Dînn ne lui répondit pas et retourna, un peu gêné, à son assiette.
C’est Khano qui reprit la parole :
– Il cherche Atamanthe et apparemment il progresse vite dans sa quête.
Mel lâcha violemment le verre qu’elle venait de saisir, renversant du vin sur
la table devant elle. Elle le savait déjà grâce à Tolny, pourtant, l’entendre de
la bouche «des siens» renforçait son malaise et ses craintes.
– Comment cet homme sait-il ?
Elle avait parlé en regardant Dînn, qui accepta de lui répondre sans sourire
ou envie de s’amuser :
– On suppose qu’une personne fort instruite sur la légende lui en a fait
part.
– Morgrine, ajouta Shona en serrant les poings, ça ne peut être que lui.
La jeune femme posa ses yeux sur lui et leurs regards se croisèrent. Le clair
contre le foncé, la peur contre la colère. Si un homme comme Kailse An
Inézy était au courant pour Atamanthe, alors les deux élues étaient en
danger, mais surtout, l’épée finirait par apparaître. Elle pensa alors à Kemy
et espéra que Ley s’en occupait bien là où ils se trouvaient tous deux. Si
Atamanthe apparaissait maintenant… Non elle ne pouvait pas apparaître si
facilement, pas sans ordres. Seuls Kemy, elle-même, Kerzé ou peut-être
Morgrine, oui sûrement, pouvaient le faire. La faire venir aux yeux de tous,
dans ce monde, hors de…
– Mel ?
La jeune femme oublia ses pensées pour se concentrer sur Dînn qui la fixait
toujours.
– Nous partirons dès le retour de Ley pour voir où cette guerre en est, et
porter main forte à Kerzé. Kemy et toi resterez ici pendant ce temps.
– Non !
– Mel c’est trop dangereux ! Clama Shona en se levant. Si vous êtes faites
prisonnières par cet homme… Cette fois il sait sûrement qui tu es. Et cette
fois surtout il ne nous laissera pas te libérer si facilement !
– Oui, mais…
– Il n’y a pas de mais, ajouta Khano avec force, vous resterez toutes les
deux ici, protégées par Régord qui attendra les ordres de Kerzé. Inutile de
s’amuser à prendre des risques inutiles.
– Cette guerre promet d’être importante, prononça Garon jusque-là
silencieux. Si les elfes noirs sont bien en route comme notre ami le mage le
pense…
– Oui, il n’y a plus qu’à espérer que nous n’entrons pas dans un nouveau
chaos.
Dînn venait de parler en reprenant une nouvelle fois du vin. Parler de guerre
et de désastre lui donnait soif.

* * *

C’est avec grande peine qu’elle avait accepté de


le suivre jusqu’à la rivière. Pas qu’elle fut effrayée, personne ne l’aurait été
devant tant de merveilles, la jeune femme était seulement très
impressionnée. Arrivée à cette rivière, elle la découvrit vaste et à l’eau
cristalline et transparente. Cette eau venait de plus loin dans le paysage en
glissant vers un large bassin et s’y déversait abondamment. Ce bassin, de
grande taille, était pourvu en son centre d’une large roche plate couverte de
soleil. Plus au fond, vers sa gauche, elle vit une cascade couler à flots dans
les eaux claires, couvertes de part en part de rubans de lierre et de mousse.
Tout sentait bon, l’eau, les plantes, l’air.
– Tu peux te baigner si tu le veux, affirma Ley en haussant les épaules. Je
préparerai notre camp pendant ce temps, tu dois être fourbue et courbaturée
par ton voyage. Ca te fera du bien.
Il l’embrassa alors sur le front, ce qui la fit frissonner comme à chaque fois
qu’il la touchait et l’abandonna là pour la laisser libre de ses mouvements
en toute pudeur.
La jeune femme alla vers l’eau et y trempa ses mains, y trouvant la
température délectable. Oui elle se sentait très sale par rapport aux beautés
l’entourant. Hésitant de longues minutes, telle une vieille habitude qui ne
voulait fuir, elle jeta quelques regards autour d’elle avant d’oser enfin se
dévêtir. Ne gardant qu’un léger short de lin, elle prit place dans l’eau, les
bras autour de sa poitrine et le sourire jusqu’aux oreilles. Après s’y être
plongée entièrement, elle y fit quelques brasses et alla jusqu’à la cascade.
S’amusant avec les éclaboussures de l’eau et la force du courant, elle finit
par rejoindre la rive d’où elle était partie, trop fatiguée pour poursuivre son
jeu avec l’eau. Après s’être lavée sommairement les cheveux et s’être
frottée avec un peu de mousse, elle prit place sur la rive, les pieds toujours
dans l’eau.
– Tiens.
Ley venait d’apparaître et de lui tendre une longue couverture d’une matière
très douce, bien plus que celle habituelle d’un tel objet. Troublée d’être vue
si peu vêtue, la jeune femme se dépêcha de s’y emmitoufler.
– Merci.
Ley avait déjà emporté ses affaires et une main tendue vers elle, attendait
qu’elle accepte de le suivre. La jeune femme obtempéra et accepta cette
main généreusement offerte. Il la conduisit alors vers quelques buissons où
elle devina un passage à ras de terre. De cette caverne végétale elle pouvait
sentir le doux parfum d’un feu où cuisait quelque chose. Salivant et portant
une main à son ventre pour y camoufler des gargouillis, elle ne prit pas
longtemps à accepter de rentrer. Malgré l’impression de petitesse vue de
l’extérieur, l’endroit était très spacieux, comme si une magie cachait aux
yeux des intrus la vraie taille du lieu. En son centre un feu crépitait et un
petit chaudron accroché au-dessus à une branche, fumait, offrant un parfum
délicieux, rendant la jeune femme plus affamée encore. La fumée fuyait
grâce à une cheminée végétale qui laissait apparaître un bout de ciel.
– Assis toi, ordonna Ley avec beaucoup de douceur et la jeune femme ne
chercha pas à le contredire.
Elle prit place sur quelques coussins aussi verts que le buisson et jambes en
tailleur attendit sagement comme une enfant. Ley lui offrit un bol d’une
soupe fumante qu’elle entreprit d’avaler goulûment en se demandant à
chaque gorgée ce qu’elle pouvait bien contenir.
– Ce n’est pas moi qui l’ai préparée, affirma le jeune elfe sous les
interrogations muettes de Kemy, mais les fées, elles sont bien meilleures
cuisinières !
La jeune femme leva un sourcil et chercha le mensonge sur le visage du
l’elfe, mais ne le trouva pas. Pourtant, certaine que ça ne pouvait être vrai et
qu’aucune fée n’était ici, elle préféra se taire et se concentrer sur son plat,
ne voulant pas chercher querelle.
– Demain je te ferais découvrir les alentours, commença Ley en posant
son bol vide sur le sol près du feu. Puis nous rentrerons après demain matin,
je ne veux pas faire attendre les autres trop longtemps.
– Les faire attendre ? Questionna la jeune femme.
– Non, je ne t’ai pas conduite ici pour te parler de ça. Mange sans
t’inquiéter.
– Ley c’est trop tard, tu as en a trop dit ou pas assez.
Comprenant qu’il ne servait à rien de le braquer, elle entreprit de lui faire
les yeux doux. Ley craqua rapidement, même s’il savait que la jeune femme
jouait avec lui en cet instant.
– Nous partirons dès mon retour, mais Mel et toi resterez toutes deux ici,
protégées par Régord. On ne prend pas le risque de vous emmener.
– Quoi ? Où partez-vous ?
La jeune femme venait de poser son bol à son tour et s’était rapprochée du
jeune homme pour chercher des réponses dans ses yeux brillants.
– Nous repartons pour les terres du sud-est. Une guerre se prépare Kemy
et je ne veux pas que tu y sois mêlée. Ni toi ni Mel, pas cette fois !
La jeune femme revint à sa place et le regard vide chercha à comprendre
comment les choses avaient pu évoluer si vite en leur absence. Seuls
quelques jours avaient passé. Ils avaient filé vite, toutefois pas à ce point.
– Nous viendrons, vous le savez bien. Vous ne pourrez pas nous en
empêcher !
Elle était cette fois furieuse qu’ils décident pour elles ce qu’elles devaient
faire toutes deux. Sans même leur poser la question et surtout sans leur
laisser le choix.
– Si, nous le pouvons, avoua Ley sans sourire. Si c’est pour vous sauver,
nous pouvons tout faire.
– Non Ley, tu ne pourras pas me sauver indéfiniment, tu le sais...
– Laisse-moi le croire, laisse-moi le faire tant que je le peux !
– Non, c’est stupide, tu ne décideras pas pour moi et…
La jeune femme ne put finir sa phrase. Ley venait de l’attraper par un
poignet et de la tirer à lui d’une secousse. Perdant sa couverture dans une
brève lutte, elle se retrouva à demi nue dans ses bras alors qu’il
l’embrassait.

2
Magie des fées

Il ouvrit les yeux, humides, ils étaient encore


emplis des images de son rêve. Un très beau rêve cette fois ! Priant un
instant pour qu’il ne s’agisse pas uniquement d’un songe, il chercha
hâtivement près de lui. Elle était bien là, le sommeil profond, la respiration
très calme. Ley ne put s’empêcher de sourire sous cette vision, il avait
attendu la présence de la jeune femme si longtemps. En années elfiques,
l’attente avait été très longue. Maintenant, cette attente était terminée, enfin.
Quoi qu’il puisse se passer à présent, il ne la perdrait plus et il la
protégerait, quel qu’en soit le coût ! Il lui avait menti la nuit dernière, un
pieux mensonge pour la rassurer. Il lui avait promis de ne pas risquer sa vie
pour elle. Bien sûr c’était faux, il ferait tout son possible pour qu’elle vive
et réussisse sa mission sans mourir. Tout.
Il déposa un tendre baiser sur son front lorsqu’il sentit une résistance à son
poignet. Curieux, il porta sa main à lui et sursauta.
La jeune femme n’allait pas aimer ça du tout !
Il chercha dans son esprit une excuse, un commentaire pour lui expliquer
cette nouvelle situation imprévue. Comment seulement lui dire la vérité ?
– Pourquoi avez-vous fait ça ? Demanda-t-il dans un murmure pour ne
pas la réveiller.
Une petite lumière passa près de lui et lui frôla la joue avant de stopper
devant son visage, près de l’arrête de son nez. Il n’était pas surpris, il
voulait une réponse et il comptait bien la connaître.
– Alors ?
En y regardant de plus près, on pouvait distinguer dans la lumière un corps,
des bras et des jambes et même une chevelure d’une longueur extravagante.
La petite fée fit la moue et croisa ses bras sur sa poitrine nue en détournant
la tête avec dédain.
– Tu n’as pas le droit de râler ! Offrit-elle d’une voix irréelle en refusant
de le regarder. On a juste réalisé ton souhait !
– Non je n’ai pas souhaité ça, affirma l’elfe en se frottant les tempes fort
énervé, vous me mettez dans l’embarras !
– Mais si, tu le souhaitais si fort dans ton esprit qu’on l’a entendu, on
pensait te faire plaisir !
Cette fois, la petite fée boudait vraiment en lui tournant le dos. Ley soupira,
il avait oublié qu’en ce monde féerique, il devait faire très attention à ses
pensées. Les fées gardiennes de ce lieu étaient ses amies, mais des amies un
peu trop promptes à n’en faire qu’à leur tête ! Comment allait-il se tirer de
ce mauvais pas ? Rien ne pouvait rompre ce que les fées avaient créé cette
nuit. Pourtant en vérité il était heureux de la situation, à quoi bon se
mentir ?
Kemy poussa un gémissement puis ouvrit les yeux. Découvrant sa nudité,
elle s’empressa de se cacher sous sa couverture, mais une de ses mains ne
voulait la suivre convenablement. Elle était attachée.
– Qu’est-ce que c’est ?
Elle leva un regard interrogateur sur le jeune elfe qui lui offrit un sourire
crispé, il avait très peur de sa réaction. La petite fée venait, elle, de se
cacher sur son épaule, désireuse de voir ce qui allait se passer de plus près.
Elle s’amusait beaucoup !
– Ley ?
– Et bien… Comment t’expliquer ?
Ley porta ses yeux sur le ruban qui retenait deux de leurs poignets
ensembles. Il brillait doucement d’une faible lueur verte et le tissu était
aussi doux et léger que de la soie. Les fées avaient même poussé le vice en
y plantant une fleur rouge. D’ailleurs, leur cachette de plantes était en fait
maintenant remplie de fleurs !
– Oui ?
Elle s’impatientait, il le voyait bien. Il prit une profonde inspiration et
avoua d’un bloc :
– Elles ont cru bien faire et ont décidé de nous marier !
– Hein ? Qui ? De quoi tu parles ?
La jeune femme s’était redressée sur les genoux. Sa couverture autour
d’elle, son poignet toujours entravé, elle ne semblait pas comprendre, c’était
tellement fou !
– D’elles ! Envoya seulement Ley visiblement un peu penaud.
La fée présente sur son épaule s’envola jusqu’au nez de Kemy pour se
montrer, lorsqu’une dizaine d’autres créatures vinrent également voler
autour d’elle. Elles formaient de grandes lucioles autour du visage de la
jeune femme qui les observait ébahie et silencieuse.
– Ce sont des fées, expliqua Ley, je t’en ai parlé hier, ce sont les
gardiennes de ce lieu caché des mortels.
Kemy n’en revenait pas et alors qu’elle observait les créatures ailées et
brillantes, elle se prit à penser qu’après avoir vu des elfes, des centaures et
des gobelins, pourquoi pas des fées ? Souriante, elle en laissa une se poser
sur sa main libre, lorsqu’un mot lui revint en mémoire. Fronçant les sourcils
elle répéta incrédule :
– Mariés ? Comment ça, elles nous ont mariés ?
Ley savait qu’il était dans de beaux draps. Elle avait accepté de le suivre ici,
elle avait également accepté de ne plus penser à ce qui les attendait ne
serait-ce qu’une nuit dans ses bras. Toutefois, un mariage, alors qu’en plus
elle avait dormi à ce moment-là… C’était trop et c’était bien logique !
– Ley !!
– Je suis désolé ! Confia-t-il en baissant la tête, une main dans ses
cheveux noirs, c’est ma faute, elles ont lu dans mes pensées, je ne me
rappelle même pas avoir réfléchi à ça ! Le mal est fait. Enfin le mal… En
vérité je ne regrette pas d’y avoir songé…
Ils se regardèrent dans les yeux un long moment. La jeune femme ne savait
plus quoi penser. Elle était très en colère. Elle n’avait jamais voulu se
marier et encore moins sans son accord ! D’un autre côté, plus
profondément, une petite voix lui soufflait du bonheur, qu’ils avaient réussi
cette fois… Réussit quoi ? Réussi à se lier plus qu’ils ne l’avaient jamais
fait dans leur ancienne vie ? Était-ce seulement une bonne chose ? Elle
l’avait détesté il y avait encore si peu de temps et maintenant elle se
retrouvait être son épouse. C’était inconcevable. On lui avait tellement dit et
répété qu’elle devait se méfier des élus, les fuir, le fuir lui aussi de la même
façon...
– Je suis désolé, mais je t’aime, je ne leur demanderai pas de retirer leur
sort d’union.
Il avait parlé dans son oreille alors qu’il venait de la tirer dans ses bras. Le
cœur de la jeune femme, lui, venait de s’arrêter. Ses tempes étaient
soudainement en feu, pas plus que tous ses sens.
Je t’aime.
Elle ne pouvait extraire cette minuscule phrase de son esprit.
Je t’aime.
Et elle ? L’aimait-elle ? Elle ne voulait pas répondre à cette question, oui
elle en connaissait la réponse, mais ces sentiments feraient trop mal, là tout
au fond. Elle avait tellement peur de le perdre. Elle ne perdrait pas alors un
simple amant ou un bon ami, elle perdrait son mari ! Par Symé, ces fées
étaient-elles complètement folles ou ignares ? Ses yeux entrèrent dans ceux
du jeune elfe. Il était là tout contre elle, elle pouvait sentir son souffle sur sa
peau nue et l’odeur de fleurs de ses cheveux. Elle était envoûtée, elle avait
toujours été envoûtée par lui, même lorsqu’elle se mentait. Oui elle l’aimait,
pourtant cet amour aurait quel prix ? Elle baissa la tête avec tristesse.
– Non Kemy, ne fais pas cette tête, s’il te plaît.
Il ne savait pas comment réagir, il s’en voulait, il était responsable de la
folie des fées. Il ne voulait pas la perdre à nouveau, il avait si durement
gagné sa confiance. Cet animal sauvage là, ne s’apprivoisait pas si
facilement. Et un chat sauvage restait farouche même après des jours à lui
caresser le dos dans le sens du poil. Il avait peur qu’elle fuie, qu’elle
s’éloigne à nouveau de lui, pour la simple raison que tout allait trop vite
pour elle.
– Kemy ?
La jeune femme ne voulait pas relever la tête et le regarder, elle était
perdue, si souvent perdue. Seule cette nuit dans ses bras, lui avait offert du
repos, un repos si doux. Son esprit n’avait pas été torturé un seul instant
pendant qu’il lui avait conté son amour. Et à son réveil, il était toujours là, il
ne s’était pas envolé comme un brouillard poursuivi par le soleil. Il était
toujours là et il l’aimait !
– Kemy ?
Elle releva la tête. Le visage du jeune elfe présentait de la crainte. Elle ne
voulait pas le voir triste, elle voulait seulement voir de la joie sur son beau
visage. Se redressant, oubliant sa couverture qui ne lui recouvrait plus les
épaules, elle se lova dans ses bras. La tête sur son épaule, elle se laissa aller
à sentir son odeur, les yeux fermés.

– Tiens, ça revient à la femme de le garder.


Son sourire étant encore inquiet malgré la merveilleuse journée et nouvelle
nuit qu’ils avaient passée ensemble. C’était le matin du dernier jour, ils
devaient rentrer, ils devaient reprendre leurs vies. Ca lui fendait le cœur. Ils
avaient été si heureux ici, que leur réservait la vie réelle ? Guerre et chaos,
oui, c’était ce qui les attendait.
Kemy prit dans sa main le ruban de soie encore garni de la fleur rouge. Elle
lui rendit un petit sourire et le pliant délicatement, le plaça dans la poche de
son pantalon. Elle se sentait bien, déçue de quitter cet endroit où elle avait
dansé avec les fées sous la lune et mangé des fruits improbables. Il fallait
malheureusement retourner à la réalité, aussi dure fût-elle.
Ley ne put s’empêcher de l’embrasser tendrement de longues secondes, les
yeux fermés. Elle lui rendit son baiser tout aussi tendrement. Il n’avait plus
besoin de lui courir après ou de la forcer, elle venait maintenant d’elle-
même dans ses bras. Elle avait décidé de ne plus fuir ses sentiments. Elle
avait décidé de faire taire ses envies de fuite.
Oh pas toutes ! Mais avec lui, pour lui, elle ferait des efforts.

3
Préparatifs pour un nouveau voyage

Lorsqu’ils arrivèrent à la maison, il était encore


très tôt. Dînn était pourtant déjà dehors, assis devant la maison à attendre.
– Vous voilà enfin ! Leur lança-t-il alors qu’ils étaient encore loin. On
commençait à s’inquiéter ici !
– Il ne fallait pas, répondit Ley avec un large sourire.
L’elfe mercenaire ne put s’empêcher de remarquer que les deux jeunes gens
allaient main dans la main. Ce geste le fit sourire, moins lorsqu’il pensa
qu’il allait falloir les séparer dans peu de temps, il était nécessaire de partir
rapidement rejoindre Kerzé.
Kemy lâcha la main de Ley, salua Dînn de la tête, puis entra dans la maison
sans plus s’occuper d’eux. Elle grimpa l’escalier quatre à quatre pour se
rendre dans sa chambre. Elle n’était pas forcément pressée de rester
confinée ici, toutefois, elle devait réfléchir à une solution pour ne pas être
enfermée dans cette maison comme les hommes de la demeure voulaient le
faire. Elle savait qu’ils allaient bientôt partir en les cloîtrant ici, Mel et elle,
à la charge de Régord. Elle avait refusé de faire partie de leur groupe et
maintenant elle refusait de ne pas savoir ce qu’ils allaient devenir. C’était
insensé et presque incompréhensible. Peu importait, elle voulait suivre son
instinct et il lui disait de ne pas rester ici. Réfléchir seule n’était pas simple,
ainsi décida-t-elle d’aller en discuter avec Mel, elle avait pourtant oublié un
détail. Ce détail lui arriva en pleine tête à peine avait-elle frappé à la porte
de la chambre.
– Toi ! S’exclama Shona en ouvrant cette dernière. Que veux-tu ?
Il semblait peu enclin à discuter et la jeune femme ne voulait de toute façon
pas converser avec lui.
– Je voudrais parler à Mel.
Shona ne répondit pas, il lui claqua la porte au nez, puis finalement la
rouvrit pour sortir de la chambre. Sans un regard en arrière, son épée et un
baluchon à la main, il descendit l’escalier sans s’occuper d’elle.
– Contente de te revoir, prononça son amie. Bien, ils vont du coup
pouvoir partir maintenant.
– Oui, je venais te déranger à ce sujet justement.
Mel secoua la tête, elle avait également beaucoup réfléchi sur la situation,
pour elle non plus il n’était pas vraisemblable de rester ici à attendre.
Attendre quoi ? Elle préférait ne pas y songer.
– Excuse-le, il est de mauvaise humeur, il a encore fait un cauchemar.
La jeune femme parlait cette fois de Shona, pour défendre son
comportement deux minutes plus tôt.
– Mel, Kemy ! Venez s’il vous plaît.
Pour les plans c’était trop tard à en juger par la façon dont Dînn venait de
les appeler de l’étage du dessous. Elles décidèrent donc de descendre
l’escalier à leur tour, il était temps de dire au revoir à leurs compagnons…
Les chevaux avaient été sellés très tôt par le mercenaire et attendaient
calmement contre la barrière du choral où trottait Olabarka, très énervé par
cette agitation. Des besaces y étaient accrochées, à vrai dire, tout était déjà
prêt pour le départ depuis une heure ou deux. L’instinct exacerbé de l’elfe
mercenaire avait du le prévenir que le matin du départ était venu, ainsi
avait-il tout préparé avant même le retour de Ley et de la jeune femme.
Ley justement, s’approcha de Kemy qui sursauta en le voyant tout près
d’elle, perdue dans ses pensées, elle n’avait pas fait attention à son
approche. Il lui posa un baiser sur le front et prononça :
– Je veux que tu restes ici avec Mel. Vous restez ici et vous attendez notre
retour ou des ordres, insista-t-il d’une voix plus ferme que d’habitude.
Elle ne répondit pas, quelque chose venait d’attirer son attention, Shona la
fixait intensément, ne s’occupant même pas de Mel. Il allait se passer
quelque chose. A peine y songeait-elle qu’il fondit sur elle, poussant
presque Ley pour se faire un passage. Face à la jeune femme, les yeux
emplis de colère, il lui lança avec hargne :
– Je dois savoir avant de partir, avant d’oser te laisser avec Mel ! J’ai
encore fait ce rêve cette nuit… Je dois savoir !
– Quoi ? S’inquiéta Kemy sans comprendre, reculant de quelques pas.
– Je t’ai déjà posé cette question et cette fois tu dois me répondre : qui est
le mage qui te protège et t’a guidée jusqu’à présent ? Que veut-il ?
La jeune femme baissa la tête et tenta de se détourner, mais Shona l’attrapa
par le bras pour la secouer.
– Tu vas me répondre cette fois !
– Shona arrête, s’interposa Ley en lui faisant lâcher prise, es-tu devenu
fou ?
– Si tu ne veux pas que je le fasse, demande-lui de répondre.
Son regard était très dur, même face à son ami. Personne n’osait parler, en
fait, tout le monde s’était déjà posé cette question et même Ley voulait la
réponse.
– Kemy ?
Elle n’avait aucune chance contre eux tous et le regard de Shona la
terrifiait. Pourtant, comment leur expliquer ? Elle aussi avait le droit d’avoir
ses secrets. Et celui-là, elle n’avait pas envie de le raconter, pas avec la
dernière conversation qu’elle avait eue avec Yosséchi…
– Shona a raison, réponds-nous maintenant si tu veux que l’on te fasse
confiance.
Cette fois c’était Khano, avec son regard le moins aimable et sa voix la plus
dure.
– Je n’ai pas besoin que vous me fassiez confiance, se défendit Kemy,
cherchant en elle quelque courage. De ça je m’en moque !
Elle avait baissé les yeux en parlant ainsi et Ley était le mieux placé
maintenant pour savoir qu’elle mentait.
– Bien, alors ça n’est que plus facile de répondre, s’amusa Shona avec un
sourire acerbe. Donc, réponds !
Ils la fixaient tous, le regard interrogateur ou sévère. Elle se sentait
oppressée, comme prisonnière. Qu’allait-il encore se passer si elle avouait
tout ? Elle n’avait toujours pas confiance en eux, pas en eux tous du moins,
pourtant, elle savait qu’elle ne devait pas les avoir pour ennemis, pas avec
ce qui se tramait. Serrant les dents, elle réfléchissait à toute vitesse. Il
suffisait d’en dire peu, juste assez pour les satisfaire, après, ils verraient
bien que de toute façon elle n’y était pour rien. Elle n’avait jamais voulu de
Yosséchi dans sa vie. Ni même de cette vie d’ailleurs…
– C’est un mage, commença-t-elle résignée, un mage noir, un demi-elfe
du nom de Yosséchi. Je n’en sais pas beaucoup plus.
Dînn, à en juger par son visage, semblait septique, cependant, pas autant
que Shona.
– Que veut-il ? Que t’a-t-il dit ?
– Je ne sais pas.
– Tu mens très mal !
– Shona ça suffit, demanda Ley qui détestait visiblement la situation.
L’elfe voulut se reprocher de la jeune femme. Elle s’y refusa, s’écartant de
lui.
– Que veut-il ? Insista Shona en appuyant sur chaque mot.
Mel l’observait également et son regard presque accusateur la transperça.
Jusqu’où pouvait-elle aller dans ses révélations ? Comment allaient-ils la
juger ? Elle n’avait pas le choix, Shona était capable de charger, de se
lancer dans un combat contre elle avant que les autres ne puissent
intervenir. Elle n’avait pas son épée et de toute façon, le jeune homme était
un adversaire bien trop puissant et expérimenté pour elle.
– Je ne sais pas ce qu’il veut, insista-t-elle, je ne sais pas pourquoi il a fait
tout cela et pourquoi il m’a aidée. Il vous déteste, ça c’est certain, mais pas
au point de vous tuer, surtout pas Mel et moi, apparemment, il veut plutôt
nous protéger.
– En es-tu sûre ? Questionna Dînn le visage fermé.
– De ça oui, j’en suis certaine, il ne veut qu’aucune de nous ne meure, il
m’a bien trop protégé. Il…
– Oui ?
Cette fois c’était Ley qui venait de l’interroger. Un doute se peignait sur le
visage du bel elfe, visiblement, quelque chose l’intriguait et l’inquiétait en
même temps. Ça fit mal au cœur de la jeune femme. L’odeur de ses
cheveux était encore dans ses narines, ainsi que la douceur de sa peau au
creux de sa main, elle ne voulait pas le faire souffrir, pas lui. Plus
maintenant. Elle prit une profonde inspiration.
– Il peut même sauver l’un de nous, qui je veux, à ma simple demande.
Shona était encore plus perplexe. Il ne la croyait pas ou devinait qu’il
manquait quelque chose à sa révélation, cette histoire de conte de fée.
Pourquoi un mage noir qu’ils ne connaissaient pas s’amuserait à les
sauver ? Ça n’avait aucun sens, si les mages noirs étaient bons et aimants,
ça se saurait ! Il suffisait de songer à Kerzé…
– Que demande-t-il en échange ? Il demande forcément une chose, il ne
peut pas agir ainsi sans y gagner, c’est certain. Insista-t-il très sûr de lui.
– Je ne répondrai pas à cette question.
– Nous y voilà…
– Ne t’inquiète pas Shona, Mel ne risque rien, je te l’ai dit, il ne veut pas
qu’elle meure.
Une main se posa sur l’épaule de la jeune femme, elle ne voulait pas se
retourner pour en voir le propriétaire, elle ne pourrait pas supporter son
regard.
– Kemy, que demande-t-il en échange de la vie de l’un de nous ?
– Je ne peux pas te le dire…
– Pourtant tu vas le faire ! Cracha Shona très contrarié, son épée
maintenant fermement levée vers la jeune femme.
– Shona ça suffit, calme-toi ! Ordonna Ley d’une voix ferme comme il
était fort rare d’entendre chez lui. Elle va nous le dire.
– Elle n’a pas le choix, ajouta Dînn bras croisés, je saurai être persuasif
s’il le faut.
A quoi jouait-il encore celui-là ? De quoi la menaçait-il ? Elle ne préférait
pas le savoir et sa haine revint, la haine que lui avait insufflé Yosséchi
contre ces hommes. Il l’avait prévenu de faire attention, de se méfier d’eux.
Avait-il raison finalement ? Ainsi détesta-t-elle Shona et Dînn et même
Khano au regard si dur, aux yeux dorés si brillants.
– Kemy, dis-le.
Même Mel s’y mettait ! N’aurait-elle donc jamais la paix ? Personne ne la
laisserait jamais tranquille ? Une boule de colère se coinça dans sa gorge.
Ley la regardait toujours, intensément, son regard était douloureux. Avait-il
déjà deviné ? Non c’était impossible, personne ne pouvait deviner son pacte
avec le demi-elfe… A quoi bon les faire attendre, ils n’en démordraient pas,
elle devait avouer. Pas la peine de savoir ce que Dînn et Shona étaient
capables de faire pour atteindre leur but.
– Ça ne concerne que moi, ça n’a toujours concerné que moi…
– Et ? Insista Dînn.
Kemy fulminait, son sang bouillonnait, elle avait envie de lui sauter à la
gorge plutôt que de répondre. Elle avait honte, comment pouvait-elle
avouer ce que Yosséchi voulait, alors qu’elle-même exécrait cet homme et
son envie ?
– Kemy ? Demanda doucement Ley.
Sa voix avait changé, il ne prononçait plus son prénom aussi
amoureusement que la nuit passée.
– Il veut… Il veut un enfant, uniquement si j’accepte son aide, ce que je
ne ferai pas bien entendu !
Mentait-elle ? Serait-elle vraiment incapable d’accepter ce marché si la vie
de Mel ou de Ley en dépendait, surtout dans le feu de l’action ? Pas si sûr…
– Quoi ?
Il ne savait pas pourquoi il avait posé cette question, il avait bien compris ce
qu’elle avait entendu par un enfant. Un enfant d’elle bien évidemment. Il
secouait la tête, confus et troublé. Kemy se tourna vers lui et ce qu’elle vit
dans ses yeux la pétrifia.
– Je n’ai pas demandé sa présence ! Rappela-t-elle avec empressement, je
n’y suis pour rien s’il a pris les commandes de mon arrivée ici en faisant un
pied de nez à Kerzé, je n’ai rien demandé dans cette histoire ! Ley…
L’elfe refusa qu’elle s’approche de lui. Il refusa même de la regarder. Le
cœur de Kemy se serra. Les rôles étaient inversés, elle se retrouvait
maintenant dans la peau de l’elfe trois jours plus tôt, lorsqu’elle refusait ses
approches. Elle comprit ce qu’il avait ressenti. Ça faisait mal, très mal.
– Nous partons. Maintenant.
Ley avait été plus ferme que personne ne l’avait jamais entendu auparavant.
Il avait déjà tourné les talons pour se diriger vers les chevaux. Elle le
rattrapa et dut se planter devant lui pour qu’il accepte de la voir et de
s’arrêter.
– Ley, je n’ai pas demandé à ce qu’un mage de plus s’intéresse à moi ! Je
m’en serais bien passé. Et je n’ai pas encore accepté son pacte !
– Pas encore ? Souleva l’elfe amer. Je vois…
Il reprit sa marche et elle dut se faire violence pour qu’il stoppe encore une
fois. Elle pleurait sans pouvoir se retenir.
– Je… je ne veux pas que tu meures, pas encore, pas cette fois. Je ne
supporterai pas de prendre ton cadavre dans mes bras comme la dernière
fois ! Je suis prête à tout…
– Même à ça ?
– Je ne sais pas… Je suis complètement perdue, je commence à peine à
comprendre ce qui arrive, ce qui m’attend. C’est trop dur, trop confus.
– Réfléchis bien pendant que tu seras ici avec Régord. A moins que tu ne
rejoignes ce mage ?
– Non ! Je l’ai même empêché avec l’aide de Yuta de pouvoir m’atteindre
à sa guise, il ne peut plus me surveiller ! J’ai lutté contre ça ! Ley…
L’elfe soupira, le regard bas, les traits maintenant tirés. Il détestait la
situation, sa jalousie était trop grande, trop forte pour qu’il réfléchisse
correctement. Comment pouvait-elle seulement songer à faire un tel
sacrifice ? Il préférait mourir plutôt que de la voir dans les bras d’un autre, à
avoir l’enfant qu’ils n’auraient sûrement jamais ensemble !
– Ley ?
– Laisse-moi. On doit y aller. Je dois réfléchir moi aussi. Je… j’ai besoin
d’y aller.
Elle sécha ses larmes d’un revers de main alors qu’il se forçait à lui caresser
une joue, juste une caresse légère et sans regard amoureux. Elle était à lui, il
avait tant lutté pour y parvenir. Enfin, c’est ce qu’il avait cru. Il venait
d’apprendre le contraire et ça le torturait. Il venait de l’épouser et il avait le
pressentiment de déjà la perdre. C’était absurde, mais ça ne quittait pas ses
pensées et ne le ferait pas avant longtemps. Il devait réfléchir. Ainsi monta-
t-il sur sa monture sans plus lui parler, sans même lui adresser un regard.
Sans dire au revoir à personne, ni à Mel, ni même au jeune Amano qui ne
pouvait pas comprendre la situation, il fit partir son cheval au galop. Khano,
Dînn et Garon firent rapidement de même. Shona lui étreignit Mel. Bien
sûr, elle s’était réveillée auprès de lui, elle, elle l’avait suivi dès le début. Ils
avaient toujours été ensemble, aucun mage n’était venu la torturer en plus
des autres. Kemy rageait. Pourquoi avait-elle pris la décision de quitter cette
maison lorsqu’elle s’était réveillée ? Parce qu’elle n’avait plus aucune
mémoire à ce moment-là bien sûr. Parce que Yosséchi l’avait décidé. Elle le
détestait, si fort et si violemment qu’elle en fut prise de tremblements.

4
Révélation

Yuta ne redescendait pas de sa surprise depuis


son réveil. Il devait avec Kerzé, se rendre à la Cité bleue pour y rencontrer
son nouveau maître, mais finalement, le mage avait décidé de faire un
détour. Ce qui n’était pas vraiment surprenant dans cette histoire était de se
trouver chez Sann, Le dragon. Ce qui était très surprenant au contraire était
qu’il s’était endormi dans une plaine à l’abri d’un arbre et réveillé ici, des
kilomètres plus loin ! Kerzé avait semble-t-il utilisé un sort de téléportation
ou quelque chose du genre. Terrifiant et surprenant ! Le mage n’avait pas
voulu lui en dire davantage et n’avait montré qu’une légère fatigue après un
sort si intense. Le seigneur noir, Yuta ne doutait plus de son statut, était
vraiment très puissant !
Le seigneur noir. Oui, Kerzé était bien cet homme des légendes que le jeune
homme n’avait rencontré que dans ses livres. Et s’il était ce seigneur… Le
jeune homme tendit l’oreille, se collant autant que possible à la porte. Il
usait d’un sort pour qu’on ne puisse pas sentir sa présence, mais lui n’avait
pas les aptitudes naturelles de Kerzé et déjà des gouttes de sueur perlaient
sur son front.
Lycanota, Sann, Angel et Kerzé s’étaient enfermés dans cette pièce cinq
minutes plus tôt. Leurs visages étaient sévères, il se tramait quelque chose.
Le jeune homme entendit la voix de Kerzé troubler le silence pesant de
cette pièce :
– Elles sont en sécurité pour le moment.
De qui parlait-il ? Il était le seigneur noir et il parlait de personnes
féminines… Yuta réfléchissait à toute vitesse lorsque Lycanota intervint :
– Bien, j’espère qu’elles le sont vraiment, vous savez ce que j’en pense...
– Oui je sais.
La conversation et le ton des voix étaient vraiment très tendus. C’est Angel
qui prit ensuite la parole, sa voix était la plus douce et la plus légère :
– Que va-t-il se passer maintenant ?
Silence. Pas un mouvement, pas un bruit. Le jeune homme se concentra
plus encore, il avait peur d’être découvert, mais son instinct lui disait qu’il
devait savoir.
– Nous allons réunir vos armées et attendre que les Shénèls se
manifestent, il serait stupide d’attaquer les premiers.
– Il n’y a pas que les Shénèls dans l’histoire n’est-ce pas ? Questionna
Angel, nous avons maintenant d’autres ennemis ?
– Qu’est-ce qui vous fait penser ça ? Demanda Kerzé un peu agacé par
cette intervention à en juger le timbre de sa voix.
– Je suis jeune et inexpérimenté, mais ni sourd ni stupide ! Les nouvelles
vont vite… On parle d’une effervescence chez les elfes noirs et les Shénèls
semblent roder partout et chercher quelque chose. Est-ce cette fameuse
Atamanthe ?
– Oui, effectivement, vous n’êtes pas stupide jeune prince.
Atamanthe ? Yuta se concentra sur le mot. Il ne pouvait le voir, mais son
visage était certainement crispé sous cette concentration supplémentaire.
Atamanthe. Atamanthe... Oui ! L’épée légendaire ! L’épée des élues. Le
seigneur noir… C’était ça, ces hommes parlaient de la légende du cycle des
élus et de l’épée maudite des dieux ! Mais qui étaient les jeunes femmes
dont avait parlé de mage au début ? Son esprit se fit noir, c’était tellement
dur de réfléchir tout en cachant sa présence par un sort de camouflage.
Pourtant, le mot était là, dans un coin de sa tête, presque palpable. Et il vint
enfin à lui, se présentant sous ses yeux agrandis : Kemy. Oh non pas elle !
C’était pourtant tellement logique, tout devenait très limpide maintenant. Le
jeune homme ne put s’empêcher de tressaillir et son sort fit de même. Dans
la pièce, Kerzé leva un sourcil.
– Quoi ?
Lycanota fronçait lui les sourcils sous l’air surpris du mage qui ne semblait
pas pressé de lui expliquer.
– Rien, envoya-t-il finalement sans vouloir s’étendre sur ce qu’il avait
ressenti l’espace d’une seconde.
Yuta retenait sa respiration, il avait remis sa formule en place et il semblait
à nouveau parfaitement dissimulé. Il avait eu chaud ! Son esprit n’en restait
pas moins en ébullition. Il devait aller prévenir Kemy de ce qu’elle risquait,
il ne pouvait pas rester ici sans agir. La Cité bleue et son nouveau maître
attendraient.
– Alors, pour Atamanthe ? Signala Sann qui se moquait du moment
d’inattention du seigneur noir.
– Je m’en occupe.
– Rapidement ! Fit claquer Angel à la surprise générale. Les Shénèls ne
doivent pas l’avoir en leur possession, jamais. Nous risquons tous trop gros.
Wélhandy entière serait en danger.
– Je sais.
– Donc ?
– Je vais m’en occuper.
Kerzé semblait contrarié, comme si les choses allaient trop vite ou dans le
mauvais sens, voire les deux. Il savait où était l’épée, il l’avait toujours su,
mais pas au point de devoir aller la chercher si tôt… Pourtant, le jeune
Angel avait raison, il le fallait. Ne l’avait-il pas pressenti lui-même ? Le
réveil des esprits des deux femmes avait également été fait dans ce sens.
Tout recommençait, c’était ainsi.
– Sann, pouvez-vous me prêter un draguenos ? Je dois aller vite et ne pas
courir le risque d’être arrêté en route.
– A la vitesse où vous êtes arrivé ici, je doute que vous ayez des
problèmes de ce coté ! S’amusa Le dragon avec un sourire en coin en disant
long sur les pouvoirs du mage.
– Je préfère passer par le ciel, insista l’autre, sûrement le seul endroit où
je ne risque rien, ni même le chargement que je dois ramener. Je vous
préviens ! Appuya-t-il après une courte pause, le regard sévère, vous devrez
avoir toute la discrétion du monde ! Personne ne doit savoir qu’elle est ici,
autrement cette cité sera mise à sac avant même que nous ayons eu le temps
d’y penser. Nous sommes quatre, seulement quatre à savoir et il doit
toujours en être ainsi. Si Kailse apprend la nouvelle, nous aurions très peu
de temps pour nous préparer à la guerre, moins encore que celle qui
s’annonce ! Je vais chercher Atamanthe, mais sa présence devra rester aussi
secrète que maintenant.
– Et les deux élues ?
Sann était curieux, trop pour Lycanota qui ne supporta pas la question, mais
ne pipa mot.
– Elles restent où elles sont pour le moment, elles y sont en sécurité. Nos
ennemis ne connaissent pas leur cachette. Ne soyez pas pressé d’abuser
d’elles jeune Dragon.
– Je comprends votre empressement à les protéger, toutefois, une épée
sans fourreau et la main pour la tenir. A quoi bon ?
– C’est suffisant pour le moment, cracha Lycanota qui ne pouvait plus
se retenir. Laissez-les où elles sont, si elles sont en paix encore un peu alors
tant mieux. On va déjà en attendre trop d’elles, inutile d’être pressé...
Le seigneur noir et le prince elfique se lorgnèrent un moment sans mot dire.
Ils pensaient tous deux la même chose. Tous savaient également que le
repos des deux femmes serait de courte durée.
Yuta détacha son oreille de la porte. Il devait partir sur-le-champ prévenir
Kemy. Il allait quitter les lieux lorsque la porte s’ouvrit et le heurta de plein
fouet. Il n’avait pas entendu Lycanota prévenir qu’il avait besoin de prendre
l’air. L’elfe fut très surpris en voyant son jeune ami main sur le front où
l’avait heurté la porte. Un moment fixes tous les deux, l’elfe prit finalement
le plus jeune par le col et le traîna plus loin dans le détour d’un couloir. Il
était furieux et se força à parler à voix basse pour ne pas se faire repérer par
le mage :
– Yuta es-tu idiot ? Que fais-tu ici ?
– Je vous espionnais ! Avoua l’autre la tête haute et le torse bombé sous
ses robes noires.
– Oui je vois ça ! Tu ne devrais même pas être ici, que fabrique encore
Kerzé ?
Le gamin ne sut pas quoi répondre. Il était vrai qu’il aurait dû être amené à
son nouveau maître plutôt qu’ici. Puis finalement, ne perdant pas sa belle
idée, il prononça pour l’elfe :
– Je pars immédiatement, je dois rejoindre Kemy, je dois la prévenir !
Elle est trop loin, je n’y arrive pas avec mon esprit, je dois me rapprocher
d’elle !
– Qu’est-ce que tu racontes ? Attends ! Clama-t-il à un Yuta qui faisait
déjà demi-tour, reste là !
Lycanota était très en colère, il le voyait bien à l’intensité de son regard. Il
était également royalement beau dans sa tenue de prince en velours et en
soie. Son visage, lui, était tellement triste, rien avoir avec ses beaux atouts.
Il était très différent du Lycanota mercenaire qu’il avait rencontré dans un
proche passé, il avait changé. Beaucoup changé. Aucun sourire ne fendait
son remarquable visage alors qu’il tenait le jeune homme par l’épaule. En y
regardant de près, ses traits étaient tirés et ses yeux légèrement cernés.
– Ly, je dois y aller ! Je dois la prévenir et voir ce que je peux faire.
Veux-tu qu’elle subisse cette légende ?
Non il ne le voulait pas, on pouvait le deviner sans qu’il prononce un son.
– Laisse-moi y aller.
– Tu vas te faire tuer avant d’arriver là-bas !
Il jouait au père protecteur, il ne l’avait pas fait depuis longtemps, ça lui
manquait un peu.
– Je vais abandonner mes robes et m’habiller normalement et avec Jiane,
j’irai très vite.
L’elfe soupira en baissant la tête. Il lâcha le jeune homme et passa ses
mains sur son visage pour se frotter les yeux. Il semblait épuisé.
– Vas-y… Dit-il sans le regarder. Fais attention à toi et dis-lui de ma
part… Non ne lui dis rien…
Yuta attendit un moment, le regardant fixement, mais l’elfe ne disait plus
rien.
– Ly ? Que veux-tu que je lui dise ?
– Je n’aurais pas dû la sauver…
– Je ne pense pas qu’elle aimerait entendre ça.
– Non ne lui dis pas… mais… je n’aurais pas du la sauver, pas avec tout
ce qui l’attend.
Ils se fixèrent un moment, le jeune homme n’avait pas le courage de lui dire
le contraire. Ils aimaient tous deux la jeune femme, d’une façon différente
chacun et c’était justement cet amour qui leur faisait comprendre à quel
point sa souffrance allait être terrible. Oui, il l’avait sauvée et Yuta ne
pourrait jamais le remercier assez de lui avoir offert cette grande sœur,
pourtant… Aurait-elle dû être sauvée ?
Le gamin posa une main réconfortante sur le bras du prince elfique. Il ne
devait pas traîner dans le coin et devait partir très vite alors que Kerzé était
occupé et employé à autre chose. Il allait devoir voyager rapidement et le
plus loin possible du danger, ce qui ne serait pas une mince affaire avec les
Shénèls parcourant les environs.

5
Nouveau départ

Leurs montures allaient tranquillement sur ce


petit chemin paisible et ensoleillé. Elles étaient parties un peu avant la nuit,
dans le crépuscule et avaient préféré ne pas s’arrêter avant le jour,
s’éclairant uniquement de la lune, pour mettre le plus de distance possible
entre elles et la maison de Tinel.
Mel et Kemy n’avaient pas parlé ensemble de ce mage nommé Yosséchi et
de ce que la jeune femme avait révélé. Il n’était pas nécessaire de revenir
sur le sujet. Elles en parleraient en temps voulu, lorsque ce serait moins
difficile pour Kemy, lorsque sa rancœur aurait un peu baissé.
Elles avaient finalement réussi à se débarrasser du nain sans trop de
difficulté. Il avait suffi de lui servir de la bière fraîche saupoudrée d’une
pincée de plantes pour l’aider à dormir. Il fallait bien qu’avoir voyagé avec
un elfe et un centaure en de nombreuses forêts ait permis à Kemy
d’apprendre des choses utiles à part le maniement de l’épée !
Amano avait voulu les suivre. Mel l’avait convaincu, non sans difficulté, de
rester avec Galda qui allait s’occuper de lui en leur absence à tous.
Elles étaient maintenant en route pour Narend où elles avaient décidé de
rejoindre Tolny et Légot. Pourquoi ? Parce que les deux hommes étaient
une assurance et une sécurité supplémentaire. La route allait être longue
pour arriver jusqu’à Juicy où elles avaient décidé de se rendre. Longue et
dangereuse, Kemy le savait bien après y avoir rencontré des Shénèls, des
barbares et des gobelins par le passé. Elles savaient toutes les deux se
défendre, mais à quel point ? Il valait mieux ne pas tenter Mortak. Le dieu
des morts devait avoir assez à s’occuper, inutile de lui donner du travail
supplémentaire en le tentant plus tôt que prévu.
– Regarde ! Lança Mel un doigt en avant, assise sur une belle jument
grise.
Kemy qui était perdue dans ses pensées et surtout dans une certaine
mélancolie, releva péniblement la tête. Son amie montrait une petite forme
vague et assise sur le bord du chemin. Elles furent vite déçues lorsque la
forme bougea, ce qui n’en fut pas moins désagréable que la voix
l’accompagnant :
– Hé les filles ! Je vous ai manqué ?
– Oh non pas lui, pas ce pitiscussien de malheur !
Mel riait à peine que le fameux pitiscussien avait déjà pris place sur sa selle
derrière elle, sans même avoir attendu un avis favorable.
– Que fais-tu ici ? Demanda Kemy une ombre sur le visage, je t’avais
presque oublié avec tout ça.
Non elle l’avait totalement oublié ! Et le retrouver n’était pas dans ses plans
du jour. Loin de là…
– Bien je vais voyager avec vous, n’oublie pas Kemy ce qui est en accord
entre nous.
– Nous n’avons pas d’accord.
– Mais si, mais si. Ces humains, ce qu’ils manquent de mémoire !
– Je crois que nous n’avons pas le choix, s’amusa Mel avec un large
sourire, je ne pense pas qu’on pourra s’en débarrasser facilement. Et puis ça
nous fera de la compagnie.
– De la compagnie ! Tu plaisantes ? Arf ! Il ne manquait plus que ça...
– Vos amis oreilles pointues ne sont pas là ?
– Si tu parles de Ley et de Dînn, non, ils ne sont effectivement pas là,
expliqua Mel, ils vont devant, mais pas forcément très loin de nous je
pense, vu que nous avons voyagé toute la nuit et eux peut-être pas.
Le petit visage du pitiscussien se tordit, il ne semblait pas du tout aimer les
deux elfes.
– D’ailleurs, j’ai une idée... Loki !
Le loup s’approcha d’un bond du cheval de sa jeune maîtresse, faisant
légèrement piaffer ce dernier.
– Loki, va rejoindre Ley et Shona, surveille-les et vois où ils en sont, puis
viens me prévenir. Attention ils ne doivent pas te voir !
Le loup offrit une sorte de bref grondement avant de partir à toute vitesse. Il
ne fut bientôt plus qu’une ombre, puis un point avant de disparaître
totalement à l’horizon.
Elles voyagèrent hâtivement, dormant peu avec collé à leurs basques un
pitiscussien peu enclin au sommeil. C’est fatiguées, mais satisfaites qu’elles
arrivèrent à Narend. Les jeunes femmes espéraient que Tolny était toujours
là et ce fut le cas. Légot les accueillit en crachant par terre alors que le jeune
homme les prit tour à tour dans ses bras.
Ils partirent le lendemain matin. Le village était finalement trop calme et
paisible pour les deux voleurs qui semblaient s’ennuyer ferme, un peu
d’aventures leur dégourdiraient les jambes, avait prononcé le plus jeune.
Légot avait fait mine de ne pas vouloir venir, et avait finalement suivi en
boudant. Tolny, lui, rayonnait, plus encore lorsque Mel faisait la
conversation avec lui, ce qui amusait beaucoup Kemy toujours prête à en
faire le remplaçant de Shona. Les deux hommes avaient été curieux face à
Jijussâm. Légot avait observé le petit humain avec beaucoup d’intérêts,
quant au pitiscussien, il avait babillé toute la soirée sur la difficulté de
suivre une Kemy qui semblait le détester alors qu’il n’avait rien fait. Une
chance, il ne nomma jamais l’épée, petit détail que les jeunes femmes ne
voulaient pas expliquer aux deux hommes.
Loki les rejoignit sur le parcours du lendemain. Elle ne pouvait pas
l’expliquer, mais Mel le comprenait, ainsi sut-elle que leurs amis n’étaient
pas très loin devant et voyageaient sereinement sans se douter de rien. S’ils
avaient appris que les deux femmes étaient en route quelques kilomètres
derrière eux, ils auraient rapidement fait demi-tour. Et de ça, il n’était pas
question !
Tolny était curieux d’arriver à Juicy où il ne s’était jamais rendu et lutter
contre des Shénèls lui donnait des frissons de contentement. Il aurait aimé,
dans un petit coin de sa tête, rester à Narend, mais son compagnon de
toujours et lui-même, ne devaient définitivement pas être faits pour rester
au même endroit trop longtemps. Ainsi voyaient-ils avec les deux femmes
sans regret et surtout sans savoir ce qui les attendaient.

* * *

Il monta en selle, prompt à ne pas regarder


derrière lui. D’un claquement de langue, il ordonna à la jument de partir au
galop. Les portes de la cité du roi Sann étaient ouvertes, ainsi passa-t-il sans
encombre. Sa jument elfique allait vite, son galop était agréable, elle
semblait flotter au-dessus du sol, légère comme le vent. Yuta avait
abandonné ses robes noires pour un pantalon de cuir et une chemise de
toile. Il portait sur le tout une cape avec un large capuchon lui servant à
dissimuler son visage très jeune qui pourrait attirer l’attention d’autres
voyageurs et surtout de voleurs trop curieux. Il risquerait gros s’il se faisait
prendre, sa magie était loin d’être infaillible, surtout lors d’une bagarre. Il
préférait ne pas y penser alors que la crinière de Jiane lui fouettait le visage.
Il le vit partir, mais ne fit pas un geste pour le retenir. Il avait autre chose à
faire, rien de grandiose, enfin pour certains peut-être. Kerzé avait fait
préparer un draguenos et le cavalier de ce dernier devrait suivre ses ordres
sans lui poser de questions. Il resserra ses robes noires contre lui, il n’avait
pas froid, le temps était doux, pourtant il ressentait un certain malaise qui
lui glaçait les os. Il s’apprêtait à tout déclencher, une bonne fois pour toutes
et jusqu’au bout. Il avait protégé les jeunes femmes en les faisant naître
ailleurs, puis il les avait ramenées ici lorsque Morgrine avait prouvé savoir
où elles se trouvaient. Il avait voulu vainement les cacher ici, sur Wélhandy.
Vainement, car il avait failli en perdre une. Maintenant, elles étaient enfin
réunies, les autres élus étaient là également. Pourquoi ? Pour commencer
une quête, la quête des pierres leur permettant d’ouvrir la dernière porte de
leur vie. Seuls Shona et Dînn, peut-être Khano savaient pour ces pierres. Il
doutait que les jeunes femmes puissent être au courant de ce détail
supplémentaire de leur longue histoire. Lui-même, grand seigneur noir ne
savait pas où elles se trouvaient. Par contre, l’épée, il savait parfaitement où
elle était cachée. Ne l’avait-il pas mise lui-même en sécurité ? Pour qu’elle
ne ressorte jamais. Enfin, c’est ce qu’il avait naïvement pensé ce matin
brumeux et froid où il avait mis ce trésor morbide en sécurité. Bien
évidemment, jamais rien ne pourrait arrêter le cycle, les filles étaient nées,
les dieux se réjouissaient, il n’y avait rien à faire contre ça. Rien à faire à
par tenter de les soulager le mieux possible. Il ferait son maximum sans
transgresser ses propres lois. Enfin, il l’espérait…
Le draguenos se posa près de lui dans une immense gerbe de poussière qui
le fit tousser. Il était temps d’oublier le jeune mage qui fuyait en ce moment
sur une jument elfique. Il voulait certainement aller rejoindre Kemy, avait-il
entendu la conversation des rois ? Ce fait n’était pas très important, même
si du coup, cette jeune âme allait risquer sa vie. Il avait essayé de le mettre
en sécurité, maintenant, ce n’était plus de son ressort. Les dieux avaient
déjà certainement tiré les ficelles. Que préparait Mortak ?
A présent, à lui de tourner une autre page. Ainsi prit-il place derrière Seth
qui conduirait Claknak partout où le mage lui demanderait. Il murmura une
phrase à l’oreille de l’homme qui acquiesça et ordonna à sa monture à
écailles de décoller.

6
Première grosse colère

La boule de feu fit crépiter le sol deux mètres


devant les sabots de sa monture. L’animal rua brutalement de frayeur et le
mit à terre. La chute fut rude pour Ley qui se massa le bas du dos en
grimaçant. Il n’eut pas le temps de penser longtemps à ses fesses meurtries,
une nouvelle boule de feu vint le propulser en arrière et cette fois sonné, il
ne se releva pas tout de suite. Il entendit son nom crié par l’un de ses
compagnons puis plus rien, sa tête tournait trop et son regard était brouillé.
Dînn sauta à terre arc à la main et lança une flèche d’un même mouvement.
La flèche frappa un Shénèl à l’épaule et l’homme se mit à glapir comme un
animal. Leurs grands ennemis étaient de retour ! Et si près de leurs chères
terres du Tesnil que l’elfe en frissonna. Les filles n’étaient peut-être pas tant
en sécurité que ça, même avec le courage et la hache de leur ami nain près
d’elles. Il n’avait pas le temps d’y réfléchir. Ley était toujours au sol, une
main sur la tête et ne semblait pas bien saisir ce qui se passait autour de lui.
Il devait le protéger. Après avoir hélé Garon, il s’interposa entre l’elfe
blessé et leurs ennemis de plus en plus nombreux. D’où sortait encore cette
fourmilière en cape ? Shona et la haute elfe étaient toujours en selle et
faisaient galoper leurs montures autour d’une partie des nouveaux arrivants,
lorsque le mage des Shénèls fit une nouvelle fois crépiter l’air. Cette fois,
c’est la monture de Shona qui fit des siennes et le jeune homme fit un bond
en arrière de plusieurs mètres, atterrissant lourdement sur le dos. Dînn jura,
ils étaient bien mal partis et les hommes ennemis bien plus nombreux !
Khano abandonna sa monture pour protéger le jeune homme, épée levée
elle était prête à faire face. Derrière le mercenaire, Ley se mit à gémir.
– Ça va aller ?
– Je pense… Offrit le jeune elfe dans un soupir ressemblant à un râle. J’ai
encore besoin de temps pour reprendre mes esprits, je ne tiens pas debout.
– On va essayer.
L’elfe tira deux flèches l’une derrière l’autre qui firent mouche toutes deux.
Deux hommes tombèrent, vite remplacés par trois autres. Garon poussa un
hurlement de rage tout en sautant en avant, épée brandie telle une masse.
L’humain était de haute stature et un très bon combattant, le Shénèl qu’il
venait de choisir pour rival ne put s’empêcher, fort impressionné, de faire
un pas en arrière. Les épées s’entrechoquèrent, une fois, deux fois, avant
que l’épée de l’ennemi vole dans les airs et que l’homme soit décapité la
seconde suivante. Il ne fallait pas faire de mal aux amis du doux géant, plus
si doux maintenant que de petites gouttes de sang maculaient ses joues et
son front. Son épée également rougie était prête à frapper encore et ne tarda
pas a le faire alors que deux hommes se jetaient sur lui. Garon n’avait pas
peur, ainsi fit-il face avec vaillance. Les épées se heurtèrent de nombreuses
fois avant qu’un homme puis deux ne tombent à terre dans des hurlements
de douleurs. Mais l’homme remarqua la même chose que l’elfe mercenaire
plus tôt : plus il tuait de Shénèls et plus il en arrivait ! Ils étaient quatre
maintenant sur lui, pourtant, il refusa de lâcher prise même lorsqu’une arme
mordit la chair de sa poitrine. Il n’émit pas un son et tua sommairement le
coupable avant de porter son attention sur un autre individu. Dînn ne
pouvait pas rester ainsi sans rien faire, il tira une flèche pour blesser
grièvement l’un des ennemis avant d’abandonner son arc pour son épée.
Ainsi armé, il alla rejoindre le géant pour tuer leurs opposants. Pendant ce
temps, Khano faisait ce qu’elle pouvait pour protéger Shona qui s’était
relevé, la tête en sang. Le jeune homme ne mit pas longtemps à également
sortir l’épée de son fourreau et à entrer dans la bataille malgré les
bourdonnements douloureux de son crâne. Il en tua un qui s’effondra le
ventre ouvert dans un horriblement hurlement. Relevant la tête du cadavre
de son ennemi, il ne put qu’apercevoir la nouvelle boule de lumière qui le
percuta cette fois de plein fouet. La boule heurta sa poitrine, y lançant une
marque profonde et sanguinolente. Il hoqueta le nom de la haute elfe avant
de tomber sur le dos totalement inconscient.
– Shona !
Khano se précipita sur lui pour le secouer, mais l’humain ne bougea pas
d’un cil.
Un homme la percuta alors, la faisant rouler au sol, ils étaient en fait deux et
bien décidés à se débarrasser d’elle. L’elfe très en colère, leur lança un
regard accusateur et rageur avant de fondre sur eux avec la vitesse d’une
panthère. L’un d’eux tomba égorgé avant même que son compagnon ne
comprenne l’assaut. Une jambe coupée lui prouva qu’on ne s’attaquait pas à
une haute elfe impunément.
Ils étaient pour le moment relativement victorieux. Ça ne durerait pas, leur
ennemi était bien trop nombreux. Dînn jura encore et encore, comme pour
se donner une fougue supplémentaire grâce à ces mots peu amènes. Il avait
vu le corps de Shona tomber, mais il ne pouvait pas aller voir l’état du jeune
homme, il était coincé ici à seconder Garon alors que Ley se relevait enfin
péniblement. C’est là qu’un homme parvint à mettre la main sur lui et à tirer
le mercenaire à hauteur de son visage. L’homme était immense, sa cape
dansait autour de lui alors qu’il se moquait de l’elfe :
– Maintenant moucheron, tu vas me dire ce qu’on veut savoir.
– Va plutôt jouer avec Mortak !
– Humm courageux, mais mauvaise réponse !
Et Dînn vola littéralement dans les airs avant d’atterrir face contre terre. Il
se releva aussitôt et fondit sur son adversaire avec une rapidité remarquable.
L’épée à deux mains de ce dernier le frôla et il l’évita de justesse, il parvint
même à lui lancer un coup de pied dans les côtes. L’homme ricana plutôt
que de se tenir le ventre, il ne semblait pas souffrir de l’attaque. Non, il riait
vraiment, se moquant ainsi de son adversaire de plus en plus énervé.
– Je disais donc, commença l’homme dans une grimace, que tu vas me
répondre, je veux savoir où est Atamanthe, au nom de mon roi, je viens
connaître la réponse.
Il n’avait pas tourné autour du pot et Dînn resta crispé trois mètres devant.
Il n’avait pas la réponse à cette question, et même s’il l’avait eu, il serait
mort plutôt que de la révéler. Sans réfléchir, il se jeta en avant. Son
adversaire, prévoyant l’attaque, l’évita facilement malgré la rapidité de
l’elfe.
– Allons ne fais pas l’enfant ! Vous n’avez aucune chance, vous n’êtes
pas assez nombreux !
Il avait raison, ils n’étaient pas nombreux, il avait tort, il n’était pas un
enfant. Sortant avec une rapidité folle une dague de sa botte, il la lança sur
l’homme qui la reçut dans l’épaule. Gémissant, le soldat l’arracha en serrant
les dents. Il ne riait plus et semblait cette fois enfin prêt à se battre
correctement et sans moqueries. Dînn poursuivit alors son attaque en se
jetant sur lui épée levée. Les lames se cognèrent, claquèrent, encore et
encore, pendant des minutes interminables. Malgré sa blessure, le Shénèl ne
lâchait pas le morceau et l’elfe commençait doucement à fatiguer même s’il
refusait de le montrer. Il comprit rapidement que l’ennemi n’avait pas tort,
ils avaient bien peu de chance de s’en sortir vivants. Jeté au sol après avoir
une nouvelle fois blessé son ennemi, Dînn put voir sur sa gauche, dans une
sorte de ralenti, un homme tenter de tuer Ley et à vrai dire, il faillit presque
y parvenir lorsqu’un loup géant lui sauta à la gorge et lui arracha un énorme
morceau de chair.
– Loki…
Si Loki était là, Mel l’était forcément également ! Il ne manquait plus que
ça ! L’elfe se redressa pour porter une dernière attaque à son adversaire et
mettre fin à sa vie d’un moulinet du poignet. Satisfait, il vit Loki se jeter
rapidement sur un des nombreux adversaires de Garon, alors que le jeune
homme semblait saigner de partout à la fois. La majestueuse monture de
Kemy apparut rapidement, bien avant les autres chevaux et se jetant au sol,
elle se précipita sur Ley. Le jeune elfe la reçut sans sourire et une certaine
colère brillait dans ses yeux.
– Que fais-tu ici ? Cracha-t-il.
– On était en route pour Juicy et Loki a eu un pressentiment...
– Vous n’avez rien à faire ici ! Vous allez vous faire tuer et on aura fait
tout ça pour rien !
Il la repoussa rageusement avant de faire quelques mètres en zigzaguant. Sa
tête le faisait décidément bien trop souffrir. La jeune femme resta statique,
plantée dans le sol telle une plante sauvage meurtrie par trop de vent. Elle
ne voulait pas la haine de l’elfe, pourtant, elle venait encore de la recevoir
en pleine figure. Alors qu’elle ne savait plus quoi faire, c’est la voix de Mel
qui la ramena à la réalité. Tournant son regard dans la même direction que
la jeune femme, elle put apercevoir loin devant, le corps de Shona inanimé
sur le sol. Mel fit galoper sa monture avant de se jeter près de son aimé.
Elle le prit en partie dans ses bras frêles, lui ne fit aucun geste, il ne
réagissait pas. Sa poitrine saignait abondamment et ses yeux étaient fermés.
Mel se prit à pleurer lorsqu’un hoquet de colère se coinça dans sa gorge.
Elle ferma à son tour les yeux et serra fort le jeune homme contre sa
poitrine tout en le berçant comme on le ferait d’un enfant. Le lâchant enfin,
délicatement, elle offrit au vent et au ciel un hurlement terrifiant.
– Oh non… pas maintenant... Pas déjà !
Dînn venait de parler, debout près de Kemy qui ne savait toujours pas ce
qu’elle devait faire.
– Que se passe-t-il ? Demanda-t-elle naïvement.
L’elfe se précipita sur elle et la secoua par les épaules tout en lui hurlant au
visage :
– Promets-moi de ne pas faire pareil !
– Quoi ? Mais qu’est-ce qui se passe ?
– Promets-moi de ne pas faire rugir ta colère maintenant ! Contenir Mel
va être bien suffisant !
– Ma colère ?
– Ley occupe toi d’elle !
Il la jeta dans ses bras alors que le jeune elfe tenait à peine debout.
Emportés par le poids de Kemy, ils tombèrent lourdement sur le sol.
Allongée au-dessus de lui, son visage tout près du sien, elle ne voulait pas
se pousser. Du sang coulait légèrement du front du jeune elfe et il décida
d’éviter son regard en tournant la tête. Elle soupira avant de lui offrir avec
une douceur extrême un baiser sur sa joue blanche et un mot très doux à ses
oreilles bourdonnantes :
– Pardon.
Puis elle se leva et partit en courant vers son amie qui hurlait toujours sa
haine au ciel. Ce dernier devint vite d’un gris sale et orageux. Quelques
Shénèls soudainement désemparés regardaient ce ciel avec inquiétude.
– Toi, je savais bien que tu n’étais pas n’importe qui !
Un Shénèl à l’armure plus brillante que les autres venait d’attraper Kemy
par sa tunique alors qu’elle passait près de lui. Surprise par le choc, presque
étranglée, la jeune femme se débattit. Cet homme lui disait quelque chose,
mais quoi ?
– Je suis Jikaldéré, nous nous sommes croisés il y a quelques mois. Te
souviens-tu ?
Oui, maintenant, elle se souvenait, elle se souvenait de l’attaque qu’ils
avaient subie Légot, Tolny et elle-même, elle se souvenait surtout de la
créature de magie qu’avait fait apparaître cet homme pour la poursuivre.
Elle en frissonna.
– Nous y revoilà n’est-ce pas ? Cette fois tu vas rester avec moi, tu seras
un cadeau très intéressant pour mon roi. Avant toute chose : qui es-tu ?
Celle qui porte l’épée ou celle qui la brandit ?
Les yeux de la jeune femme s’agrandirent. Elle ne voulait pas répondre,
même pour tout l’or du monde. De ce monde et du sien. L’homme fit un
bruit de gorge puis plaça sa main contre le ventre de la jeune femme. Elle se
débattit à nouveau comme un beau diable, refusant ce geste. Il insista en la
tenant fermement, fermant les yeux, il murmura deux mots de magie et sa
main se mit à briller.
– Non ! Glapit Kemy bouleversée. Pas ça !
Il ne se produisit rien. Toutefois satisfait, le Shénèl releva la tête et lui offrit
son plus beau sourire avant de la jeter par terre. Il venait de bluffer avec une
franche réussite.
– Je vois, tu es la porteuse n’est-ce pas ?
Inutile de répondre, le visage de la jeune femme offrait la réponse à cette
question. Il allait se pencher pour la ramasser et la rattraper par sa tunique
lorsqu’un bruit d’explosion le fit se retourner. Un rocher et deux arbres
partaient en fumée sous un éclair d’une violence inouï alors qu’aucun orage
ne grondait et que le ciel ne versait aucune eau. Kemy en profita pour lui
fausser compagnie, déguerpissant rapidement sur ses coudes et ses genoux,
elle parvint à s’éloigner suffisamment pour reprendre une allure digne et
sortir son épée. Un nouvel éclair tomba, terrassant deux Shénèls qui
brûlèrent vif en poussant des hurlements qui lui soulevèrent le cœur.
– Ley je t’ai demandé de t’occuper d’elle ! Il est inutile de lui donner ce
genre d’idée...
Dînn était furieux et la jeune femme remarqua seulement leur présence. Ley
l’obligea à reculer contre lui, la ceinturant finalement pour qu’elle ne fuie
plus.
– Tu n’es pas en état de me retenir, fit-elle remarquer. De quoi Dînn a-t-il
peur ?
– De toi... Souffla le jeune elfe à son oreille.
– De moi ?
Dînn qui les avait entendus, trop proche pour pouvoir les ignorer, se
rapprocha.
– Nous avons assez d’une rocko, inutile d’en provoquer deux.
– Une rocko ?
Celle fois elle avait compris, il lui avait fallu le temps ! Mel était en train de
laisser sortir sa force, son don, entièrement son don ! Un nouvel éclair
heurta le sol, puis un second, faisant valser les hommes ennemis. Mel
stoppa ses cris pour finalement prendre son épée et attaquer droit devant,
frappant dans le tas sans réfléchir.
– Je… je suis capable de faire ça ? Demanda Kemy sans y croire.
Dînn grimaça :
– Oui, enfin le même genre de chose. Mais pas maintenant, où je
t’assomme maintenant pour être tranquille ! Nous sommes d’accord ?
– Euh oui…
– Ley ?
– Oui je sais, je m’occupe d’elle...

7
La force

Une douce chaleur gonflait ses veines. Elle avait


l’impression d’être indestructible. Elle n’était plus capable de réfléchir,
juste d’attaquer. De faire tomber sa colère et de déchirer les chairs offertes à
son arme. Elle avait chaud et elle se sentait si bien. Elle pouvait tous les tuer
si elle le désirait, tous sans exception ! Même eux, ses alliés. Son esprit était
maintenant trop fermé pour faire la différence entre ses vrais ennemis et ses
compagnons de route. Elle voulait juste frapper, taper, foudroyer, tuer,
massacrer... Elle ne s’était jamais sentie aussi bien, forte et libre, c’était
comme une drogue, une liqueur brûlante qui coulait dans sa gorge jusque
dans ses veines. Une exaltation qui lui donnait des ailes. Le souffle léger
malgré la fatigue qu’elle aurait du ressentir, elle se comprit infatigable.
Peut-être bien immortelle. Pourquoi pas ? Son épée entra dans un ventre,
coupa une tête, heurta une épaule. Elle exultait, le visage rayonnant
régulièrement porté vers le ciel, son allié en cet instant. Elle aimait le ciel,
elle l’aimait tellement ! Lui aussi elle l’aimait, mais il n’était plus, elle en
était certaine. Cette pensée fugace fut vite dispersée par sa colère, elle hurla
de plus belle avant de couper un corps en deux. Oui, elle était plus forte que
toutes les personnes réunies en ce lieu. Toutes ?
– Mel arrête !
Ses yeux avaient changé de couleur, ils ne la voyaient plus de la même
manière qu’avant. Ils ne voyaient plus qu’en rouge et tout légèrement tordu.
Qui était-elle pour oser lui donner un ordre ? Elle somma un éclair de venir
la tuer. L’arme du ciel tomba seulement à côté, à quelques mètres de la
jeune insolente, ne faisant que voler ses cheveux et fermer son regard de
crainte un instant. Elle n’avait encore jamais loupé sa cible, elle en était
certaine.
Kemy lui faisait toujours face, rassurée de ne pas avoir été touchée par
l’éclair. Elle était inquiète pour son amie au regard devenu furieux. Ses
yeux étaient fous, son sourire démoniaque. Elle avait en face d’elle l’image
même du rocko. Terrifiant. Elle devait pourtant la calmer, porter secours à
cette âme un instant perdue, elle le savait.
– Mel les Shénèls sont morts ou partis ! On a gagné, tu les as effrayés, ils
ne reviendront pas avant un bon moment !
La jeune femme ne l’entendait pas, elle était devenue une rocko, un
berserker et ce que les autres lui disaient, elle s’en moquait ! Elle envoya
voler ce qui était pour elle qu’un insecte d’un revers de main. Un souffle de
vent terrible souleva Kemy tel un fétu de paille avant de la jeter plus loin.
Elle poussa un cri en heurtant le sol et sa bouche resta crispée. Elle ne
pouvait plus bouger son bras, son épaule refusait tout mouvement et la
douleur était terrible. Satisfaite, Mel ne s’occupa plus d’elle et poursuivit sa
destruction à coup d’éclairs.
– Tu l’auras voulu !
Kemy ne riait pas, elle souffrait, tout son bras la cuisait, pourtant, elle ne
pouvait pas abandonner maintenant, autrement, ils allaient la perdre. Elle
ignorait au fond comment elle le savait, son esprit avait beau tenté de fuir
en songeant à ce pouvoir démoniaque qu’elle voyait en face d’elle, elle ne
pouvait pas l’ignorer. D’une façon ou d’une autre, son amie allait se perdre
toute seule dans sa folie. Elle leva son bras valide pour le placer
perpendiculairement au sol, la main bien tendue devant elle, les doigts
tordus par la concentration.
« Tu as le don. » Affirmait une voix dans sa tête. « Tu as le don. »
– Oui, j’ai le don !
Elle ferma les yeux et se crispa sur son intention aussi fortement que la
douleur lui permettait. Elle devait y parvenir, elle devait bloquer Mel. Une
lueur verte apparut au bout de chacun de ses doigts avant de s’élancer en
avant dans de très fins fils presque invisibles. Elle avait toujours les yeux
fermés et elle n’avait pas besoin de les ouvrir, elle savait ce qu’elle faisait,
pas besoin de voir avec ses yeux, il lui suffisait de regarder avec son âme.
Elle était enfin en paix avec cette dernière, elle la comprenait. Son âme la
remercia en lui obéissant. Des racines et autres plantes sortirent du sol aux
pieds de Mel, l’agrippant rapidement, l’enlaçant des pieds jusqu’au cou
avant qu’elle n’ait eu le temps de comprendre. Dînn déchiffra qu’il n’y
avait pas une minute à perdre. Il s’empressa de se porter derrière la jeune
femme et après une brève excuse, l’assomma de la tranche de sa main
droite. Mel eut un sursaut puis tomba inanimée entre les racines qui la
déposèrent tout doucement sur le sol.
Les yeux maintenant ouverts, Kemy put voir qu’elle avait réussi. Satisfaite,
elle se laissa aller et se coucha également sur le dos, son épaule la faisant
toujours grimacer. Foutue épaule, il fallait toujours qu’elle lui en fasse voir
de toutes les couleurs !
– Comment vas-tu ?
Ley venait de se pencher sur elle, il était visiblement très inquiet. Il se força
à sourire alors qu’il lui pressait sa main valide.
– Ça va, j’ai mal au cœur et le tournis, mais ça va.
– Bon sang, mais qu’est-ce qui se passe ici ? Clama Légot en crachant une
boule de salive.
Son épée était pleine de sang, lui aussi avait mangé du Shénèl. Ley ne
savait pas quoi dire à cet homme qu’il n’avait pas remarqué auparavant.
– Légot ? Tolny ? Mais qu’est-ce que vous faites là ? S’écria le
mercenaire très surpris en découvrant les deux hommes.
– Dînn ! S’exclama le jeune homme blond au visage angélique. Oh Mel !
Il venait de voir la jeune femme que l’elfe portait aux creux de ses bras.
– Elle va bien, expliqua-t-il, elle va juste dormir un long moment...
Il la posa délicatement sur le sol.
– C’est elle qui a fait tout ça ? Questionna Légot qui n’osait pas
s’approcher et désignait des cratères fumants d’un doigt.
– C’est une longue histoire, répondit l’elfe en posant la jeune femme près
de Kemy.
– D’où viennent ces hommes ?
Cette fois Ley avait posé la question à la jeune femme.
– Euh une longue histoire de ce côté également !
Il dut se satisfaire de cette réponse et la força à s’asseoir, une main dans son
dos. Elle poussa un petit cri, elle ne pouvait pas du tout bouger son épaule.
– Ton épaule est déboîtée, il faut la remettre en place, précisa Tolny en se
précipitant sur elle. Il prononça pour Ley : tiens-la bien, ça va être
douloureux et elle risque de se débattre !
– Hein ? Quoi ? Non attendez ça va aller comme ça !
– Kemy reste tranquille, tenta de la rassure le blondinet, ça va être rapide.
– Je ne suis pas du tout d’accord, laissez mon épaule ! Ley !
– Veux-tu que je t’assomme toi aussi ? Questionna Dînn visiblement très
en colère.
Elle n’eut pas le temps de répondre, Tolny venait de tirer d’un coup sec sur
son bras et la douleur la fit hurler.
– Je vous déteste, renifla-t-elle une fois qu’elle fut capable de parler.
– Dans ce cas c’est que tout va bien, répondit l’elfe mercenaire en lui
posant une main sur la tête en bon père. Repose-toi maintenant.
– Elle doit éviter de bouger son bras et son épaule pendant quelques jours.
Tolny avait parlé pour Ley, il avait deviné dans un instinct qu’il y avait
certainement des sentiments très profonds entre ces deux-là. La jeune
femme avec ses allures d’elfe, son corps gracile et ses courbes fragiles,
allait très bien avec ce jeune elfe aux cheveux noirs. Il n’y avait pas
vraiment à réfléchir longtemps en les observant, surtout avec ce qu’il y
avait dans leurs yeux lorsque leurs regards se croisaient.
Dînn se redressa, il venait d’être appelé par Khano de l’autre côté de la
prairie. Garon était auprès d’elle et portait Shona dans ses bras. Le
mercenaire jeta un regard à Ley qui lui rendit avant de les rejoindre.
– Il est…
– Non, la belle elfe secoua la tête pour appuyer ses dires, mais ça ne va
pas tarder.
– Alors, fais ce que tu as à faire !
Elle tourna la tête vers Ley qui soutenait Kemy. Ils n’avaient pas voulu
rester en retrait. Tolny avait gardé Légot près de lui bien plus loin,
prétextant au voleur que ça ne les regardait pas. Dînn savait où Khano
voulait en venir en refusant de bouger et ça l’agaça :
– Elle le verra bien assez tôt. Que reste-t-il de toute façon à lui cacher
avec ce qu’elle vient de voir et de faire ?
Khano grimaça, elle détestait l’idée, elle l’exécrait. Pourtant, le mercenaire
avait raison, elle ne pouvait pas laisser Shona mourir. Il était son ami depuis
que ce dernier était adolescent, un jeune humain perdu par trop de
cauchemars. Elle l’avait déjà tant de fois soigné et protégé... Elle soupira
avant de placer ses mains jointes au-dessus de l’horrible blessure ouverte
sur le poitrail du jeune homme, que Garon avait posé au sol avec grands
soins. Une douce chaleur sortit de ses mains et se dirigea en faisant onduler
l’air sur la blessure. Ce fut long, visiblement douloureux et pénible pour
l’elfe, mais la blessure se referma presque entièrement. Il ne restait d’elle
qu’une marque rouge à l’endroit où la peau avait souffert. Khano haletait et
tomba lourdement en arrière, assise sur la terre battue, elle tentait de
reprendre son souffle de la sueur sur le front.
– Et les autres ? Questionna-t-elle à Dînn voyant que chacun perdait du
sang.
– Des égratignures, ne t’inquiète pas.
– Bien, car je ne pourrais pas faire plus, puis parlant pour Shona, il a
besoin de repos, il a perdu beaucoup de sang.
– Toi aussi tu as besoin de repos !
– Nous avons tous besoin de repos, appuya Ley.
Dînn, assis près du jeune homme inconscient se leva et aida Khano à faire
de même. C’est ce moment que choisirent Tolny et Légot pour s’approcher,
le dernier un peu en retrait derrière son ami.
– Il y a un refuge inhabité pas très loin d’ici. Prononça le jeune homme,
nous l’avons utilisé à l’aller, sûrement la base d’un chasseur, il nous
permettra de nous dissimuler et de nous reposer le temps qu’il faudra.
– Oui parce que là c’est le carnage ! Se crut obligé de dire Légot en
montrant Shona du pouce. Il est moins en forme que la dernière fois qu’on
s’est vus !
Dînn lui lança un regard noir, ces deux-là ne s’étaient jamais appréciés et
l’elfe ne pouvait pas oublier que le voleur les avait déjà conduits, lui et
Shona, dans des ennuis improbables il y avait à peine deux ans de cela.
Décidément, les dieux avaient beaucoup d’humour pour entrelacer ainsi les
routes de toutes ces personnes. Un humour grinçant pour Dînn qui y
songeait.
Voulant couper l’atmosphère devenue lourde, Tolny fit demi-tour,
affirmant aller chercher Mel et qu’il fallait mieux se mettre en route s’ils
voulaient se faire un camp convenable pour les blessés avant la nuit.

8
Refuge

Deux feux de camp espacés de quelques mètres


brillaient intensément sous les étoiles. Ils avaient également placé des
torches fabriquées à la va-vite en plusieurs endroits dans la demeure de bois
et de pierres. Il n’y avait qu’une pièce, mais elle était suffisamment grande
pour que chacun y place un lit de fortune.
Kemy ne pouvait détourner son regard du cou de Mel. La jeune femme
dormait très profondément dans un sommeil qui semblait sans rêves. Son
visage était serein, son corps détendu, elle avait l’air de bien aller. Ce
qu’observait Kemy avec tant d’attention, était la petite tache dans son cou,
une sorte de tache de naissance. Elle en était certaine, son amie ne l’avait
jamais eue auparavant… Ne pouvant se retenir, elle fit passer un doigt sur
la marque puis retira rapidement sa main comme si elle l’avait brûlée. Son
autre bras était porté en écharpe, Tolny l’avait pansé pour être sûr qu’elle ne
ferait pas de mauvais mouvements avec.
– Elle va bien, ne t’inquiète pas comme ça.
Dînn venait de s’asseoir près d’elle. Il avait un bol à la main contenant une
sorte de soupe d’herbes qu’il avait préparée. Khano dormait plus loin contre
le mur du fond, Shona dormait également tout près d’elle.
– Je sais... Souffla la jeune femme en reportant son regard sur son amie.
Dînn, cette tache, elle ne l’avait pas.
L’elfe ne répondit pas, ses yeux regardaient également cette forme brune.
– C’est la marque des rockos, expliqua Ley qui venait d’entrer dans la
pièce.
D’un geste instinctif, la jeune femme porta un doigt à sa propre gorge
comme pour y trouver quelque chose. L’elfe prit sa main pour stopper son
geste et lui offrit :
– Tu ne l’as pas.
– Pas encore…
La jeune femme regardait ses mains, assise au sol les jambes croisées. Elle
ne voulait pas porter ses yeux sur lui. Elle s’en voulait, mais de quoi ?
D’être bientôt elle aussi un démon ? Tous ici ou presque savaient que ça
allait arriver. Elle préféra se lever pour sortir et l’elfe ne la retint pas.
– Régord doit se faire un sang d’encre ! S’exclama Dînn. Elles s’en sont
débarrassées si facilement, on aurait dû prévoir...
Ley se prit à sourire en pensant à l’ingéniosité des deux femmes.
– On n’aurait surtout pas du les laisser, nous ne sommes pas là pour les
laisser en arrière.
– C’était pour les protéger.
– On n’arrivera jamais à les protéger suffisamment, tu le sais bien, regarde
Mel, elle est devenue la rocko qu’elle a toujours été et sera toujours. Après
ça sera à Kemy et ensuite…
– Ensuite rien ! Coupa brutalement l’autre elfe de la main.
Ley n’insista pas. Il attendit un long moment avant de sortir. Il retrouva
Kemy assise devant l’un des feux, seule et visiblement très concentrée sur
un point imaginaire.
– A quoi penses-tu ? Demanda le jeune elfe en s’asseyant près d’elle.
– A plein de choses.
– Quoi en particulier ?
Il lui parlait, elle en était très étonnée, il était pourtant parti extrêmement en
colère de chez la vieille Galda, énervé et loin de vouloir dialoguer avec elle.
Elle ne pouvait toujours pas le regarder en face et elle ne savait pas
vraiment quoi lui dire, trop de choses tournaient et se bousculaient dans son
esprit.
– Tu penses à Mel ? Insista l’elfe.
– A elle et à d’autres choses. Si on n’avait pas pu l’arrêter, qu’est-ce qui
se serait passé ?
Ley poussa un soupir avant de répondre, ses yeux ne quittaient pas les
flammes qui dansaient devant eux.
– Je ne sais pas, au mieux elle serait tombée seule et endormie
d’épuisement. J’espère avant d’avoir eu le temps de nous tuer...
– Qu’est-ce qui va se passer maintenant ?
– Trop de choses. Il ne faut pas nous torturer inutilement, nous verrons
bien.
Ley s’étonnait lui-même, pourtant il avait raison de réagir ainsi, pas la peine
de paniquer plus et inutilement la jeune femme. Elle avait déjà vu bien trop
de choses en une seule et unique journée.
Kemy posa enfin ses yeux sur son compagnon, le jeune elfe semblait très
calme, son visage n’exprimait rien d’important. Sentant ses yeux sur lui, il
porta également son regard vers elle. Aussitôt, elle tourna la tête.
– Excuse-moi d’avoir été si dur, j’ai été choqué.
Il parlait de leur discussion sur Yosséchi avant leur départ à tous de Tinel,
elle l’avait bien compris. Elle n’avait pas vraiment envie de relever, elle
avait toujours honte, honte de tant de choses dont elle n’était pas
responsable. Un lourd silence s’imposa entre eux. Ley ne savait pas
comment le rompre. Il aurait dû la prendre dans ses bras, il le savait, mais il
n’y parvenait pas. Il pouvait la jouer gentil et courtois, il lui restait des
étincelles de colère qui le rongeaient toujours de l’intérieur.
– Vous m’avez l’air bien soucieux !
Tolny prit place près de Ley et plaça ses mains devant le feu comme pour
les réchauffer en cette nuit pourtant tiède.
– Légot dort comme un bébé en souriant tel un bienheureux, il va rêver de
têtes de Shénèls volants dans le ciel toute la nuit !
Il riait heureux de sa blague. Ley lui répondit par un sourire, alors que la
jeune femme ne semblait même pas l’avoir entendu.
– Vous vous êtes rencontrés comment ? Demanda l’elfe en montrant du
pouce sa compagne qui ne tourna toujours pas la tête dans leur direction.
– Ca fait un moment maintenant, Kemy était perdue lorsqu’on l’a trouvée.
– Trouvée ?
– Oui je crois que c’est bien le mot ! Elle ne savait pas qui elle était et elle
était totalement apeurée. Je suis content pour elle que ça aille mieux et
qu’elle ait retrouvé ses amis. Vous avez dû vous demander où elle était ?
Tolny était très naïf et ne semblait rien savoir sur eux. Il n’avait même pas
parlé de Mel et de ce qu’elle avait fait. Il ne pouvait pourtant pas être si
dupe. Ley repensait au mot «trouvé» et aux autres qu’avait prononcé le
jeune homme. Oui Kemy avait été amnésique, elle avait dû être
complètement terrorisée et ne rien comprendre à ce qui lui arrivait.
Comment pouvait-il être si cruel avec elle et le lui reprocher maintenant ? Il
s’en voulut enfin vraiment.
– On a été séparés par les Shénèls, poursuivit Kemy sans leur jeter un
regard, ce qui prouva qu’elle avait finalement suivi la conversation. C’est là
que je suis tombée sur les barbares qui m’ont offert Olabarka. Ils voulaient
me tuer et finalement j’ai eu ce superbe cadeau. Elle soupira et poursuivit,
en partant de chez eux j’ai manqué de me faire tuer par des gobelins, j’ai
même discuté avec Mortak... C’est là que Lycanota et Kounda sont
intervenus cette fois et j’ai poursuivi ma route avec eux une fois guérie.
– Tu as parlé avec Mortak ? C’est amusant, je ne te savais pas si drôle !
Tolny riait de ce qu’il pensait être une bonne plaisanterie tout en se servant
un bol de soupe, qui fumante, trônait toujours près du feu dans une petite
marmite. Ils avaient de la chance que la cabane contienne des outils de
cuisine et des couvertures.
Ley ne pouvait détacher ses yeux de la jeune femme, il était certain qu’elle
ne plaisantait pas. Décidément, elle avait déjà traversé beaucoup d’épreuves
et lui se montrait si peu compatissant.
– Erf ! Tolny cracha puis s’essuya la bouche. Vous les elfes, comment
faites-vous pour manger ce genre de choses ? Vous et vos herbes !
– Avec Dînn et Shona, comment vous êtes-vous rencontrés ? Questionna
Kemy sans sourire, elle était peu curieuse et cherchait surtout à faire la
conversation.
Tolny posa son bol, bien peu décidé à le finir. Il commença rapidement sa
narration :
– Ca remonte à deux ans. On a rencontré Shona dans une auberge, Légot
avait décidé de le plumer ! Le blondinet se prit à rire, mais ce sont les
Shénèls qui nous ont fait décamper. C’était déjà les ennemis de notre ami
humain et ce sont du même coup devenus les nôtres. On à rencontré Dînn
un peu plus tard, lui et Shona se connaissaient déjà, bien qu’ils s’étaient
rencontrés peu de temps avant.
– Ah oui ? La jeune femme semblait étonnée. Alors en fait tout le monde
se connaît déjà depuis longtemps ?
– Humm si je me rappelle bien, Dînn et Shona se sont rencontrés entre
deux bagarres un peu après la rencontre de ce dernier avec nous. Pour les
autres je ne sais pas.
– Ils connaissent tous deux Khano depuis longtemps et Garon et moi nous
connaissons presque depuis notre enfance.
Ley regarda la jeune femme pour qu’elle finisse :
– Pour Mel et moi, nous avions environ quinze ans lorsque nous nous
sommes rencontrées. On était en cours, en mathématique lorsqu’elle s’est
assise à côté de moi sur ordre du professeur qui voulait qu’elle change de
place.
– En quoi ? Releva Tolny.
– Un maître nous apprenait les chiffres, traduisit-elle, se rappelant qu’elle
n’était plus sur Terre.
Elle souriait, son visage joliment éclairé par les flammes, c’était un bon
souvenir et il lui faisait du bien. Ley avait envie de lui demander comment
était l’endroit où elle avait grandi, mais il ne pouvait pas le faire devant
Tolny, il ne comprendrait pas.
– Hé mais au fait ! S’exclama le jeune homme, où est ton ami miniature ?
– Le pitiscussien ?
– Un pitiscussien ?
– Je l’ai encore oublié celui-là ! S’écria la jeune femme, il a disparu
lorsque Loki est venu nous chercher pour nous prévenir d’un danger.
J’espère qu’il n’est pas près de réapparaître !
Ley éclata de rire à la grande surprise des deux autres. La jeune femme ne
put s’empêcher de lui demander ce qui valait un tel fou rire. Il dut reprendre
son souffle pour répondre :
– Mais comment fais-tu pour cumuler autant d’ennuis et d’histoires
impossibles en si peu de temps ? Tu es extraordinaire !
– Ce n’est pas drôle du tout !
Non elle ne riait pas et ça ne l’amusait pas, mais devant l’hilarité de l’elfe
qui avait pris Tolny elle ne put que sourire.
– Et ça vous amuse ?
Ley riait toujours, c’était nerveux, mais ça lui faisait beaucoup de bien.
– Idiot ! Lui envoya Kemy en le poussant de son bras valide pour le faire
tomber en arrière.
– Oui, mais l’idiot il t’aime !
La jeune femme resta statique, le bras encore en l’air devant l’elfe sur le dos
sur le sol noir du lieu. Elle ne s’y était pas attendue un seul instant. N’était-
il plus en colère contre elle ? Elle ne savait pas quoi lui répondre et restait la
bouche entre ouverte comme un poisson rouge. Tolny jugea que c’était le
moment opportun pour s’éclipser et il le fit avec un grand sourire tout en les
saluant et leur souhaitant une bonne nuit. Ley le remercia tandis que la
jeune femme ne disait toujours rien. Enfin seul avec elle, le jeune elfe se
permit de passer son bras autour de ses épaules. Il alla jusqu’à la serrer
contre lui. Elle était crispée et ne répondit pas à son geste de tendresse.
Sûrement déçu, un peu inquiet, ne sachant comment agir, Ley décida
finalement d’aller se coucher. Il était épuisé, une coupure ornait son front et
il devait reprendre des forces pour leur long voyage. Ainsi s’excusa-t-il un
peu penaud, se sachant responsable de cette situation. Il entra dans leur abri
de fortune et s’installa sur son lit de couvertures, en plaçant une jusque sur
ses épaules. Il ne mit pas longtemps à se détendre, son corps si heureux
d’être enfin allongé et reposé. Alors qu’il sombrait dans le sommeil, une
petite main froide prit la sienne et quelqu’un se glissa dans sa couche.
Poussant un profond soupir de contentement, la jeune femme se fit toute
petite contre lui, la tête contre son torse et bientôt il put entendre son souffle
léger et calme. Satisfait, il put enfin s’endormir à son tour.

9
La cachette

Le draguenos volait depuis presque trois jours.


Il semblait ne ressentir aucune fatigue et son cavalier se contentait de
faibles siestes. Kerzé ne bronchait pas, harnaché derrière l’homme, il se
laissait guider par la bête, les cheveux dans le vent. Il avait à peine dormi
quelques heures depuis le début du voyage, il lui était impossible de trouver
le sommeil. Chaque battement d’ailes de la bête le ramenait à sa plus
terrible charge et plus atroce décision. Il avait guidé Seth avec le moins de
précision possible, lui indiquant uniquement la direction tout en restant très
évasif sur le pourquoi de leur voyage. L’homme, brave serviteur du roi
Dragon, posait de toute façon bien peu de questions.
Heureusement pour eux le temps était sec, bien que froid en si haute
altitude. Le mage gardait ses robes noires serrées contre lui, la tête souvent
basse ou dirigée vers l’horizon. Il tentait d’occuper son esprit à des choses
futiles, comme la forme des nuages ou la couleur du ciel. Il ne devait pas
réfléchir où il risquerait d’y trouver trop de doutes, trop de questions, trop
de douleurs.
Découvrant sur un bout de terre le point qu’il recherchait, le mage
demanda à son compagnon de route de descendre et de s’y poser. Seth
obéit, dirigeant habilement sa monture. Claknak poussa un long hurlement
avant de se poser lourdement, enfonçant ses griffes puissantes dans la terre.
C’est à ce moment du voyage que Kerzé comprit le mieux l’utilité du
harnais qui le retenait à la bête : sans ce harnachement, il n’aurait pas pu
tenir en selle et se serait lourdement ratatiné sur le sol ! Jurant, il descendit
de la bête alors que Seth sautait sur le sol d’un bond, très habitué à la
situation. Pour Kerzé, c’était plus compliqué et il mit de longues minutes
avant de marcher normalement sans avoir l’impression de tourner dans les
airs. C’était ce qu’on devait appeler le mal de terre.
– Restez ici jusqu’à ce que je revienne.
L’homme accepta d’un signe de tête avant de retirer toutes les sangles du
dragon et de lui intimer l’ordre d’aller manger. La bête poussa un petit
grognement avant de s’envoler, soulevant l’air tout autour de lui. Puis Seth
ouvrit une besace et en sortit un morceau de pain et de la viande séchée.
S’installant à même le sol contre un arbre, il commença à manger son
déjeuner. Kerzé se rendit compte qu’il avait faim, mais il préféra partir.
Accomplir sa mission était plus important qu’avaler un morceau de pain. Il
se dirigea droit devant, passant entre divers fourrés, écartant des branches
pour se frayer un passage dans la végétation. Il vérifia plusieurs fois que
Seth ne le suivait pas, mais le cavalier volant était homme d’honneur et ne
comptait visiblement pas fourrer son nez dans des affaires qui ne le
regardaient aucunement. Il arriva vite sur une falaise où le vent lui claqua
au visage dès qu’il eut passé les derniers arbres. Il prit une profonde
inspiration pour se donner du courage. Pas qu’il en manquait, il voulait
seulement tenter de se convaincre par tous les moyens que sa cause était
juste. Ce qui était peine perdue. Poussant feuilles tombées et buissons, il
découvrit une large dalle de pierre. Elle était vieille, abîmée et usée par les
ans. Il ne resta pas longtemps à l’observer, il était maintenant trop près pour
renoncer. Posant ses mains à plat sur la pierre grise, il se mit à psalmodier.
La pression dans son crâne était forte, ses tempes se couvrirent de sueur et
sa mâchoire se crispa, lorsqu’il parvint enfin à faire sauter son propre sort.
Une lumière blanche jaillit de la pierre pour disparaître en millions
d’étincelles de même teinte. Reprenant sa respiration, le cœur un peu affolé,
il put pousser la dalle qui lui semblait aussi légère qu’une plume maintenant
qu’elle n’était plus scellée. Un escalier se présenta à lui, passage menant
dans le cœur de la terre et de la falaise. Mettant une de ses mains en cuvette,
il y fit apparaître une boule de lumière qui brillant intensément, allait
l’éclairer dans l’obscurité présente. N’hésitant pas une seconde de plus, il
descendit l’escalier. Sa boule magique illuminait parfaitement les lieux,
diffusant une lumière jaunâtre sur les murs de terre et le sol de même
matière. Il se trouvait dans un long couloir étroit et bas de plafond, bien que
suffisamment haut pour ne pas avoir à se baisser pour marcher. Il progressa
sans soucis dans ce boyau de terre. Après dix minutes qui lui parurent
interminables, il arriva enfin dans une large et vaste salle. Ses murs étaient
de pierres grises, son plafond très haut. La salle contenait des livres et des
coffres, il s’y trouvait certainement de fabuleuses richesses à en juger leurs
contenus qui débordaient sur le sol. Mais Kerzé ne se trouvait pas en ces
lieux pour ce genre de fortunes. Tout ici lui appartenait. Cela était une autre
histoire et au final, une logique utile et nécessaire lorsque l’on vivait aussi
longtemps que lui. Et lorsque l’on était aussi puissant également. Il
poursuivit sa marche, passant par un étroit passage au fond de la salle en
partie dissimulé par un vieux rideau mal fixé au mur. Derrière, se trouvait
encore un couloir qui fut moins long que le premier. De là, il parvint dans
une nouvelle salle faite de terre. Cette terre argileuse était rougeâtre, foncée
et avait une odeur de poussière. Des racines d’arbres étaient parvenues
jusqu’en ce lieu et descendaient dans la caverne en longeant l’un des murs.
L’un des murs… Kerzé ne savait plus détacher ses yeux du fond de la pièce.
Sur une table d’or était posé un socle d’argent, sur ce socle d’argent
reposait une épée.
Une épée… Atamanthe était là, en face de lui, là où il l’avait laissée plus
de cent ans plus tôt. Intacte, superbe et brillante sous sa boule de lumière
qui éclairait toute la pièce. Son cœur se serra. Il était parvenu à la cacher si
longtemps ! Même Morgrine n’avait pas pu mettre la main dessus pendant
toutes ces longues années. Pourtant, il allait la libérer de son socle d’argent.
Maintenant, après tant de temps.
Il savait trop bien ce que ça signifiait et ce qui se passerait ensuite.
Il fit quelques pas pour arriver devant le lit de la reine de fer. Elle était
superbe cette épée des dieux. Tous les regards humains qui se posaient
dessus devenaient fous, ivres d’envie de la posséder, pourtant, aucun
humain ne pouvait la tenir dans sa main ou presque aucun. Lui avait déjà
fait ce geste, il y avait si longtemps, pour tester. Il ne le referait pas. Il
connaissait ses cauchemars et ses tourments les plus enfouis, inutile de
laisser une dame de métal les lui montrer à nouveau dans des images à
vouloir damner son âme. De toute façon, cette dernière était déjà foutue…
La lame était impressionnante et brillait d’une lumière douce et rassurante.
La garde semblait faite de plusieurs métaux différents, plus précieux et
fantastiques les uns que les autres. Aussi belle que dangereuse, voilà ce
qu’elle était ! Oui, si dangereuse et pourtant nécessaire… Cherchant autour
de lui, il se dirigea vers un angle de mur pour y chercher un tissu
vaguement plié et oublié dans ce coin. Enroulant l’arme en prenant toutes
les précautions du monde pour ne pas la toucher, il parvint à la dissimuler
entièrement dans ce tissu rouge carmin. Cette fois protégée, il put la
soulever et la porter sous son visage. Elle n’était plus qu’un paquet de toiles
de forme allongée. Elle devrait être cela encore un moment avant de
pouvoir se montrer au grand jour. S’aidant d’une large lanière de cuir qu’il
avait emmenée, il attacha l’arme au travers de son corps.
Il était prêt à rentrer et à annoncer la nouvelle aux rois qui l’attendaient
avec impatience. Il était prêt à mettre en route la machine et les derniers
rouages qui n’avaient pas encore bougé. L’épée devait retrouver son porteur
et la seule main pouvant la manier. C’était triste, mais le temps était arrivé
et avait déjà bien trop coulé.
Sortant de son trou, il reporta le socle de pierre sur l’ouverture et remit son
sort en place. Atamanthe ne reposait plus dans cet antre de terre, mais il y
cachait encore bien des trésors. Fatigué et essoufflé, il retourna au lieu où
Seth l’attendait. Ce fut rapidement qu’il y découvrit son compagnon de
route en train de somnoler. L’homme se redressa dès qu’il l’entendit
approcher, ses années d’expérience dans l’armée du Dragon avaient mis ses
sens en éveil. Le draguenos choisit ce moment pour refaire son apparition et
atterrir avec grands fracas près des deux hommes. La bête se léchait encore
les babines, alors que quelques gouttes de sang avaient perlé du coin de sa
bouche écailleuse. Une biche ou un chevreuil avait dû faire son festin.
– Pouvons-nous repartir maintenant ? Demanda Kerzé.
– Oui, si vous le désirez.
Ils étaient tous deux fatigués, cependant le cavalier n’osa pas le faire
remarquer, il était là pour obéir, pas imposer ses proches choix. Se
harnachant rapidement, ils reprirent la route presque aussitôt.
Pendant tout le trajet du retour Kerzé se refusa le moindre sommeil, aucun
moment d’inattention. La présence de l’épée le rendait nerveux, plus encore
qu’à l’ordinaire. Nerveux, suspicieux et irritable ! Seth le trouva de bien
piètre compagnie, alors qu’il luttait pour rester éveillé et les mener sur le
chemin du retour. En bon soldat, il garda ses pensées pour lui.

10
Long voyage

La blessure de Shona allait bien. Refermée, elle


était propre et ne le faisait presque plus souffrir. Il avait vu la mort de très
près, mais n’avait pas dit son dernier mot !
Mel avait mis deux jours à se réveiller. Sonnée, confuse, pas très au point
sur tout ce qui s’était passé, Dînn avait du la mettre au courant. Elle n’avait
pas été vraiment troublée par les révélations de l’elfe. C’était un fragment
de son être qu’elle n’avait jamais ignoré. Ce qui l’avait fait surtout réagir,
était de voir Shona sain et sauf. Elle lui était tombée dans les bras et ils
étaient longuement restés enlacés.
Jijussâm était réapparu un jour avant leur départ. Toujours aussi souriant
et heureux de lui-même. Kemy l’avait accueilli avec encore plus de colère
qu’à l’accoutumée, lui demandant où il était passé et lui expliquant qu’il
aurait été plus utile à lutter avec eux, surtout s’il était un magicien aussi
puissant et impressionnant qu’il le racontait. Le pitiscussien avait fait la
moue, toutefois pas bien longtemps avant de reprendre son incessant
babillage.
Maintenant, tous voyageaient ensemble, en route pour Juicy depuis déjà
plusieurs longues journées. La traversée de la rivière Da, affluant de la Den
coulant dans ces terres, avait été plus que mouvementée, il avait fallu deux
bacs pour faire traverser tout ce petit monde. Olabarka avait encore fait des
siennes et Kemy s’était retrouvée à l’eau, finissant finalement la traversée à
la nage. Légot, bien conscient des forces de Mel restait à distance
respectable, la lorgnant de travers dès qu’il se pensait discret, sans l’être
pour autant. Mel n’en prit pas mouche et l’ignora. Tolny lui, aimait profiter
de quelques instants fugaces avec la jeune femme, sous le regard grognon
d’un Shona de plus en plus irritable au fur et à mesure qu’ils progressaient
dans leur périple.
– Comment allons-nous traverser les montagnes Oro ? Questionna Mel.
Nous ne pourrons pas avec les chevaux.
– Il y a un passage mal connut quelques kilomètres plus bas. Nous
l’atteindrons demain, répondit Dînn.
– Nous l’avons pris sans difficulté la dernière fois, poursuivit Shona, mais
nous avions eu de la chance !
Il semblait très amer et peu pressé d’y arriver.
– De la chance ? Demanda Kemy qui ne pouvait s’empêcher de penser au
passage des ombres qu’elle avait dû, elle, emprunter la dernière fois et
qu’elle trouvait forcément plus inquiétant qu’un chemin dans les
montagnes.
Shona lui répondit par un regard glacial avant de lui apprendre à voix
haute :
– Les montagnes Oro sont pleines de trolls !
– Des trolls ?
– Des créatures bien plus grandes que Garon, expliqua Dînn comme s’il
parlait à une enfant, peu aimables, bien pire même que notre ami Shona ou
ce cher Légot. Les trolls ont le coup de masse facile et te laissent mort en
deux mouvements de poignets !
Shona et Légot ne riaient pas des paroles de l’elfe, le dernier alla même
jusqu’à cracher entre le cheval du mercenaire et le sien. Dînn ne releva pas,
il connaissait bien son propre caractère et celui du voleur, la situation ne
pourrait que très mal finir s’il faisait mine de vouloir y répondre et leur
groupe n’avait pas besoin de ça.
– Cool des trolls ! Je n’en ai vu que deux fois, et la deuxième fois ils ont
voulu me manger ! Pépia le pitiscussien en battant des mains, assis sur la
monture de Mel.
– Et il va donc falloir être discrets lorsque nous passerons, comme j’allais
le dire à l’instant. Grogna Dînn en lançant un regard sévère à Jijussâm.
– Dommage qu’ils n’aient pas réussi à te manger ! S’exclama Kemy.
Le pitiscussien lui tira la langue et elle lui répondit.
– Bien les enfants, c’est pour vous que je parlais de calme justement !
Nous allons parcourir encore quelques kilomètres, puis nous stopperons
pour la nuit et prendrons le passage demain. Soyez en forme au cas où…

Il n’était pas forcément facile pour tous de


trouver une place dans le campement. Shona et Kemy s’évitaient et il en
était de même pour Dînn et Légot. Le voleur crut bon de tenter une
approche de la belle Khano, mais il abandonna après s’être fait pour
l’énième fois envoyer promener. Il passa le reste de la soirée à cracher sur
«les oreilles pointues».
Kemy ramassait des baies lorsque Ley vint la rejoindre. Elle sursauta
lorsqu’elle le vit près d’elle, elle ne l’avait pas entendu approcher.
– Désolé, je ne voulais pas te faire peur.
– Tu devrais te mettre une cloche autour du cou, je ne t’entends jamais
arriver !
Ley se mit à rire. Ils allaient bien tous les deux depuis cette dernière
semaine de voyage. Ils avaient longuement discuté et chacun faisait semble-
t-il maintenant confiance à l’autre. Ley ne parlait jamais de cette ancienne
vie où la mort les avait séparés, car cette conversation braquait toujours la
jeune femme. De même, cette dernière ne relançait jamais le sujet de
discussion nommé Yosséchi. C’étaient des sujets à éviter pour le bien du
moral de l’un et de l’autre.
– As-tu peur de ce qu’a dit Dînn pour la traversée ? Je venais te voir pour
que tu me promettes de rester près de moi et de faire attention.
– Ley je suis une grande fille ! Et non je n’ai pas peur, la dernière fois la
traversée a été bien plus chaotique et effrayante !
– Que s’est-il passé pendant la traversée des montagnes ?
– Bien justement, nous ne sommes pas passés par les montagnes, mais je
ne vais pas te raconter, sinon tu vas encore dire que je me lance toujours
dans des ennuis impossibles et inutiles.
– Allez, dis-moi, s’amusa-t-il en la serrant contre lui, manquant de faire
tomber ses baies qu’elle avait eu tant de mal à ramasser, alors qu’elle
retrouvait doucement l’utilité de son bras blessé.
– Nous sommes passés par le passage des ombres et j’y ai gagné une
course avec Olabarka. J’ai surpassé la vitesse de leur grand champion si
dangereux, cette ombre qui pouvait me tuer d’un mouvement ! C’était
effrayant, mais en fait tellement enivrant ! Je ne me suis jamais sentie aussi
utile et vivante !
Ley desserra son étreinte pour chercher le mensonge sur son visage, tandis
que le soleil déclinait de plus en plus.
– Tu as vraiment fait ça ?
Il ne riait pas du tout, son visage à lui, était un mélange d’inquiétude et de
tristesse.
– Ne fais pas cette tête ! Et puis je savais que je ne devais pas mourir à ce
moment-là, alors…
– Ne dis pas ça, ne parle jamais de cette façon !
Cette fois, son visage était sévère, sa belle bouche tordue de colère. Elle
savait pourquoi il réagissait aussi vite et violemment, mais elle ne pouvait
pas s’empêcher d’y penser, seule et régulièrement sans le dire à personne.
Elle savait, tout comme lui, la raison de sa présence sur Wélhandy. Il était
fou s’il voulait vraiment l’oublier et faire comme si de rien n’était.
– Ley, je suis là pour mourir.
– Ne dis pas ça ! Insista-t-il.
Ses poings étaient serrés, il était furieux. Elle baissa la tête. Étrangement,
cette fois son cœur n’était pas lourd, commençait-elle à comprendre et à
accepter ? Elle s’était mise en accord avec son âme quelques jours plus tôt.
Serait-ce suffisant le moment venu pour accepter son sort ? En fait, devait-
elle inévitablement l’accepter ?
– On va réussir ! On ne se jouera plus de nous ! Je te le promets. En
attendant, je ne veux plus t’entendre parler de ça.
Elle n’eut pas le temps de répondre, il était déjà parti à grandes enjambées
vers le camp. Elle voulut le rejoindre, la nuit était presque tombée, mais
l’elfe était à l’écart près de Dînn et de Shona avec qui il discutait du trajet.
Inutile de les déranger.
– Vous vous êtes encore disputés ? Demanda Mel en soupirant alors que
la jeune femme prenait place près d’elle.
– Non, mes paroles ont dépassé mes pensées, comme souvent.
– Je vois…
– Je ne sais pas pourquoi je lui ai dis ça, mais il faut être conscient de ce
qui nous attend.
– Oui, je le sais aussi bien que toi.
Elles se souriaient doucement. Elles se connaissaient depuis des années et
avaient partagé toute leur adolescence. Elles s’étaient raconté leurs rêves et
surtout leurs cauchemars. Elles savaient toutes deux depuis longtemps.
Elles n’étaient pas si sottes que certains l’espéraient. Et maintenant qu’elles
se trouvaient à Wélhandy, ici, ensemble et avec eux, elles étaient plus que
certaines de ce qui les attendait. Elles préférèrent ne pas en parler, de toute
façon, les regards qu’elles s’échangeaient étaient bien suffisants, ils
dépassaient les paroles qu’elles connaissaient par cœur.
Kemy dormit à part cette nuit là, elle ne rejoignit pas le lit de Ley et
installa le sien bien plus loin, près de l’endroit où paissait tranquillement
son étalon. Elle avait besoin de réfléchir, de faire le point sur elle-même.
Finalement, elle s’endormit très vite pour sombrer dans un sommeil sans
rêves.
Ce ne fut pas le cas de Mel.
Elle semblait flotter dans des nuages. Elle se
sentait bien, reposée, confortablement installée sur un mouton blanc et
duveteux.
Mel tenta de regarder en dessous de son siège de coton, mais elle ne voyait
rien de précis. Ce rêve était très agréable, alors autant en profiter !
Pendant qu’elle étendait ses muscles endoloris par plusieurs jours de cheval,
une voix fit sa place dans son esprit. Elle était certaine que cette voix entrait
directement dans sa tête, sans passer par ses oreilles. C’était comme des
petites gouttes d’eau cristalline qui dansaient dans son esprit. La voix était
belle, irréelle, pourtant moins encore que la créature qui apparut devant elle.
La femme, car c’en était une, fit son apparition dans une gerbe de lumière.
Elle portait une robe bleu ciel, faite de tissu léger qui volait en douces
ondulations tout autour de son corps aux courbes féminines. Sa gorge était
dégagée et portait pour collier un éclair d’argent qui descendait jusqu’entre
le creux de ses seins. Ses cheveux attachés sur le dessus, voletaient par leur
longueur autour de son visage aux lignes très fines. Cette femme irradiait
d’une lumière bleutée, elle était belle, trop belle pour être une simple
humaine. Mel ne savait pas quoi dire. Elle prit une place plus respectueuse
sur son nuage et attendit. La femme souriait et la voix qui jusqu’alors
l’avait juste saluée reprit :
« Mon enfant, je veux que tu m’écoutes attentivement. »
Mel acquiesça de la tête. Avant que la femme ne reprenne, elle ne put
pourtant s’empêcher de lui demander :
– Vous êtes Arienfea n’est-ce pas ? La déesse du ciel et des orages ?
« Oui je suis Arienfea, la déesse des nuages et de la pluie. »
Cette fois Mel ne posa plus de questions, elle était bien trop impressionnée.
« Vous êtes maintenant tous réunis. La graine de Symé est avec toi, toi ma
larme la plus précieuse. Plus rien ne pourra arrêter ce qui se prépare. Pas
même le seigneur noir, notre élu à toutes les deux. »
Mel écoutait attentivement, elle était très concentrée et inquiète à la fois.
Son cœur battait vite, mais elle avait une confiance parfaite en cette femme
qui flottait dans les airs devant elle.
« Atamanthe sera bientôt là, Mortak l’a bien trop désirée, les humains et
les elfes également, ce vieux fou de druide plus encore que tous les autres.
Le cycle reprend sa place, il est en marche et vous allez devoir le subir une
nouvelle fois. »
Arienfea fit une pause pour observer sa protégée. Cette dernière restait
sagement assise sur son nuage, les sens en éveils.
« Es-tu prête mon enfant ? »
– Je pense que oui. Même si je suis inquiète Je suis prête depuis
longtemps, ne suis-je pas née pour ça ?
« Malheureusement. »
Oui malheureusement songea également la jeune femme. Que pouvait-elle
faire contre ce fait ? Même avec sa force de rocko ? Même avec son loup
géant et son bâton de mage ? Rien ! Elle n’était qu’une poussière face à
leurs ennemis. Une poussière pourtant si importante !
« Fais bien attention à toi. »
Manda la voix encore plus douce dans un timbre digne de la plus tendre des
mères.
« Que toutes mes forces t’accompagnent, je serai près de toi autant que
mon statut de déesse me le permettra.»
– Merci.
Elle était sincère, elle savait que cette déesse avait fait ce qu’elle pouvait
pour que cette histoire soit le moins couverte de sang possible. Le moins
possible… Ainsi, Atamanthe serait bientôt présente comme elle l’avait tant
craint avec Kemy.
« Mendyl, vous devrez certainement oublier votre enfance et votre amitié,
encore une fois. Tu connais le destin de Kemdyl, comme tu connais le
tien. »
– Oui… mais n’y a-t-il pas un moyen de faire autrement ? Il y en a
forcément un !
La femme ne répondit pas et Mel put voir une ombre passer sur son visage
si lumineux, de la même façon que l’aurait fait un nuage dans un ciel bleu.
– Je vous en supplie Arienfea, dites-le moi ! Donnez-moi au moins un
indice ! Ou tout recommencera encore une fois, vous le savez bien…
Comment pouvait-elle oser parler ainsi à une déesse ? Elle était folle, oui
folle de colère à l’idée de perdre encore, alors qu’une autre solution était
peut-être envisageable. Il y avait forcément une faille, un code, un oubli
quelque part et bien dissimulé. Il existait forcément ! Chaque programme en
avait, chaque loi également, il y avait toujours moyen de détourner une
chose, un principe…
– Arienfea…
Était-ce sa détresse qui la fit avouer ? L’avait-elle décidé à l’avance en
venant lui parler via son sommeil ? L’avait-elle prémédité ?
« Le seigneur noir a la réponse. »
Elle disparut dans un éclair de lumière qui éblouit la jeune femme. C’est à
ce moment que le nuage céda. Elle se sentit tomber avant de se réveiller en
sursaut sur sa couche, un bras de Shona en travers de sa poitrine alors qu’il
dormait comme un bébé. Elle se trouvait en sueur et avait un sale goût au
fond de la gorge, elle avait surtout envie de rire ou peut-être de pleurer. Un
étrange mélange des deux à vrai dire.
Une chose était cependant certaine dans son esprit : elle s’occuperait de leur
cher ami Kerzé dès leur arrivée à Juicy !

11
Les montagnes Oro

Leurs chevaux allaient au pas dans ce boyau de


pierres et de roches. Le sol était lisse, glissant et il aurait été facile pour un
cheval de s’y fouler une patte. Les sabots des bêtes claquaient dans le calme
ambiant, le reste de la compagnie allant en silence. Même le pitiscussien ne
pipait mot, bien trop occupé à chercher partout autour de lui la plus petite
trace d’un troll.
Tout se passa bien jusqu’en milieu de journée lorsqu’une pierre,
monstrueux rocher plus large que la taille d’un homme, vint s’écraser au
milieu du groupe dans un fracas insoutenable.
– Merde ! Lâcha Légot manquant de tomber de cheval alors que sa bête
ruait, totalement paniquée.
Mauvais cavalier, il préféra sauter comme il put et laisser la bête partir au
triple galop droit devant. Olabarka ne ruait pas moins et Kemy pensait ne
jamais parvenir à le calmer, lorsqu’un coup violent la propulsa hors des
étriers et la fit tomber. Elle roula sur le dos en poussant un cri, son épaule
craquant dangereusement. Son étalon n’en demanda pas plus pour quitter
les lieux. Un nuage semblait lui boucher la vue et la jeune femme releva
péniblement la tête, encore sonnée par le choc. Ce n’était pas un nuage,
mais une tête hideuse et noueuse aux traits gras et à la bouche épaisse qui
lui cachait le soleil. La créature penchée sur elle faisait plus de trois
personnes de haut et deux de larges. Ses petits yeux noirs, loin d’être
inexpressifs l’observaient intensément. Une flèche s’enfonça dans son
épaule droite et le troll y porta un regard sans intérêt avant de l’arracher. Sa
peau brune semblait aussi dure que de l’écorce et cette flèche avait été pour
lui la piqûre d’un moustique. Il tenait dans sa main une monstrueuse masse
de bois et il la souleva visiblement prêt à s’en servir. Le pitiscussien apparut
sur ses épaules, les mains sur le front de la créature.
– Hé bien, bonjour monsieur le troll ! Je suis désolé pour vous, j’ai un
pacte avec cette humaine, elle ne doit pas mourir. Vous comprenez ?
Il reçut un grognement pour réponse.
– Tant pis ! Je dois faire mon travail !
Un éclair de magie sortit des mains du pitiscussien et entra en collision avec
la tête du monstre pendant qu’il disparaissait dans un nuage de fumée.
Kemy en profita pour se traîner plus loin et se relever, découvrant avec joie
qu’elle n’avait rien de cassé ou de déboîté cette fois. Elle découvrit
également qu’elle s’était dirigée du mauvais côté, ses compagnons étant
dans l’autre sens, devant le troll et elle dans son dos. La créature poussait
un mélange de grognements et de cris qui la fit frissonner. Se grattant la tête
et la fumée se dissipant, tous purent voir que le troll n’était finalement que
légèrement blessé, un sang épais et verdâtre coulant sur son front et dans
son cou. Il ne semblait même pas sonné.
– Kemy ! Reste où tu es ! Cria Ley à la jeune femme.
A cet instant, le jeune elfe comprit qu’il avait fait une erreur, car ses paroles
attirèrent l’attention du troll vers la jeune femme. Se retournant, la créature
grimaça devant la présence de cette humaine dans son dos. Et contre le dos
de Kemy, se trouvait le mur de roches du boyau et aucun moyen de fuir.
Elle sortit courageusement son épée. Cependant, une épée était-elle de taille
contre un troll ? C’est ce que voulut savoir Tolny en se jetant dessus dans
un cri. Son épée entailla à peine la peau de la créature et cette dernière
l’envoya voler tel un insecte. Le jeune homme tomba assommé contre le
mur d’en face. Dînn vérifia qu’il allait bien avant d’empêcher Légot de faire
la même erreur.
– Tu vois bien que ça n’a pas été utile, alors ne fais pas la même bêtise ! Il
va bien. Finit-il pour rassurer le voleur.
Légot avait beau faire l’âne et l’homme détestable, l’elfe savait bien qu’ils
étaient inséparables et que le voleur avait peur pour la vie de son ami.
– Il faut aider Kemy ! Coupa Ley affolé.
Pour prouver ses mots, le troll fit un pas de plus vers la jeune femme. Son
pied claqua sur le sol et sa massue traînait négligemment au bout de son
bras. Le bras se leva, portant la masse au-dessus de la tête de l’humaine.
– On attaque tous ensemble !
– Quoi ? Demanda Dînn à Khano.
– Oui on attaque tous ensemble, en même temps, il ne saura plus où
donner de la tête ! Et l’un de nous aura forcément une ouverture !
L’elfe acquiesça de la tête et Garon fit de même.
– Kemy tu as entendu ? Hurla Dînn par-dessus la masse imposante du
troll. On va attaquer, fais pareil et en même temps que nous !
Elle n’était aussi sûre qu’eux et de ce qui lui semblait être cette fausse
bonne idée. Elle ne voyait pas vraiment comment procéder, surtout que
c’était elle qui se trouvait sous l’arme de leur ennemi !
Ils mirent leur plan à exécution et elle obéit en enfonçant son épée dans le
ventre du troll. Enfin c’est ce qu’elle crut faire, car la lame ricocha sur la
peau trop épaisse et prise par son élan, elle manqua tomber. La créature en
profita pour la faucher de son bras libre et la jeter contre le mur. Elle tomba
sous le choc, recroquevillée sur le sol, une main derrière la tête. Ce qu’elle
en avait assez qu’on la prenne pour un pantin ! De sa place peu enviable,
elle vit Loki planter ses crocs dans la masse du troll, le loup géant parvint à
l’arracher et à l’emmener plus loin, fier de son trophée. Pendant ce temps
les autres jouaient de l’épée partout à la fois. Le troll ne semblait pas réagir,
puis il poussa un hurlement terrifiant avant de soulever ses bras et de
balayer l’espace autour de lui. Tous durent se pousser, Ley et Légot
reçurent un mauvais coup qui les laissa au sol. Les autres n’attendirent pas
et chargèrent encore. Cette fois c’est Shona qui resta un instant au tapis. Le
troll lui, saignait en de nombreux endroits, bien qu’aucune de ses blessures
ne semblait sérieuse.
Kemy, elle, se sentait impuissante. Elle pensa un instant à la force de Mel,
mais cette dernière ne pouvait certainement pas encore lâcher cette
puissance à sa guise, il lui fallait en toute logique une colère immense pour
y parvenir, dommage, une force de rocko aurait été utile ! Elle songea
également à un possible orage de sa part, mais le lieu n’y était pas propice
et ses éclairs auraient bien du mal à se frayer un chemin dans ce boyau de
terre et de pierres. De terre. De pierres. C’était son don à elle qui avait le
plus sa place ici ! Comment faire ? En avait-elle la force ? Pour le moment,
elle mourrait seulement de trouille ! Ley gémissait au sol en se tenant le
bras gauche qu’il ne pouvait plus bouger. Légot était KO tout comme
Tolny. Shona se relevait péniblement, visiblement très sonné et c’est Mel
qui dut l’aider à se tenir debout. Ils n’avaient aucune chance avec leurs arcs
et leurs épées.
– Il ne faut pas taper dans son estomac ! S’écria soudainement Jijussâm
qui était le seul à avoir le visage souriant, il y a de l’acide là dedans !
– Merci de le dire maintenant ! L’engueula Dînn très énervé.
– Il faudrait réussir à percer sa peau ! Prononça Garon en sueur et le
souffle court.
Il avait donné tout ce qu’il pouvait et n’avait offert que des égratignures au
monstre. C’était frustrant pour un guerrier de sa trempe.
Elle avait trouvé une idée ! Imprudente, farfelue, mais elle avait une idée !
Si elle échouait ou si elle se surestimait c’était foutu, elle ne donnait pas
cher de sa peau. Elle devait croire en elle, elle devait y croire aussi fort que
lorsqu’elle avait gagné sa course dans le passage des ombres. C’était leur
seule chance.
– Ne cherchez pas à le retenir, il doit me suivre ! Cria-t-elle aux autres
avant de se mettre debout.
Puis elle siffla Loki qui répondit aussitôt à son appel à sa grande surprise,
elle avait eu peur que seule Mel ait de l’influence sur lui. Le loup géant
semblait lui faire confiance. D’un bond, il se planta devant le troll en lui
montrant les crocs. La jeune femme grimpa hâtivement sur son dos en
serrant fort sa fourrure, et lui intima de partir en courant. Le loup le fit sans
broncher, courant avec une grande rapidité malgré ce poids sur son échine.
La jeune femme espéra que le troll allait réagir à cette cible mouvante et la
suivre. Voyant qu’il hésitait, elle fit stopper le loup géant qui se mit à
tourner en rond dans le passage, aiguisant le regard de la créature. Ça
fonctionna, poussant un cri, le troll se mit à courir. Vite, très vite ! Elle ne
l’avait pas cru si rapide et espéra pouvoir mettre son plan à exécution. Loki
aussi était rapide et il réussit à garder une certaine distance entre eux. Se
voyant assez loin des autres pour qu’il ne leur arrive rien, elle fit s’arrêter
son ami de fourrure et tenta de se concentrer. Elle devait y parvenir dans les
plus brefs délais. Le troll allait si vite, elle le voyait courir droit sur elle, ses
lèvres tordues et ses grosses mains prêtes à frapper. Ses pas lourds faisaient
trembler la terre. La terre… Elle devait se concentrer dessus et elle le fit sur
une fissure qui se trouvait au sol non loin de ses pieds. Se concentrer, fixer
son esprit. C’était tellement plus facile à dire qu’à faire. Elle avait le don,
elle devait s’en servir, elle en était capable. Elle était une graine de Symé.
Alors que le monstre était sur elle, elle poussa un cri d’une force
remarquable et le sol s’ouvrit sous la masse géante du troll. La fente
s’élargit tant et si bien qu’elle avala la créature qui ne put que hurler sa
haine et son mécontentement.
Ce n’était pas terminé, le trou n’était pas assez profond, le troll pouvait
encore ressortir facilement si on lui en laissait le temps. Elle ne devait pas
lui laisser ce temps ! Levant son regard noisette vers le haut de la falaise,
elle se concentra une nouvelle fois. Elle en demandait beaucoup à son esprit
et à son corps. Tellement qu’elle commençait à trembler. Son corps entier
était pris de secousses. Quant au troll, il avait déjà passé un bras sur le
rebord de son trou et tentait de se hisser. Elle força son esprit et visualisa ce
qu’elle voulait réussir. Un rocher quitta la falaise et glissa jusqu’à eux. Ce
n’était pas suffisant, mais un bon début. Un autre suivit, puis encore un
autre, les morceaux étaient de plus en plus gros. Une énorme roche tomba
sur la main du troll qui poussa un grognement avant de retomber dans son
trou. Une avalanche entière se produisit enfin, recouvrant la fosse et une
partie du passage. Kemy dut se pousser au dernier moment et reçut
quelques éclats de pierre sans toutefois être blessée. Elle avait eu chaud et
avait manqué de se tuer elle-même !
Elle avait réussi et ça lui faisait chaud au cœur. Épuisée, elle se permit de
s’asseoir. Son dos était couvert de sueur et ses mains tremblaient, ainsi que
ses jambes.
– Kemy !
Mel arrivait en hurlant. Elle dut enjamber des rochers pour pouvoir
atteindre son amie.
– C’est toi qui as fait ça ?
– Je crois.
Elles s’observèrent un moment avec un certain sourire.
– Tu nous as fait une sacrée frayeur à partir comme ça ! Je dois également
dire que tu nous as sûrement tous sauvés… Envoya une voix elfique.
Dînn la regardait les bras pliés sur son torse avec une certaine fierté dans le
regard.
– Debout, finit-il, on doit aller rassurer les autres et soigner les blessés.
Encore...
Elle se leva en chancelant et son amie dut l’aider à marcher sur plusieurs
mètres. Shona avait une belle bosse, mais s’en sortait bien, sa fierté en avait
seulement pris un coup. Idem pour Garon qui digérait mal de n’avoir pas pu
blesser le troll avec plus d’efficacité. Légot était de retour et maugréait à
qui voulait l’entendre qu’il n’était pas une femmelette et qu’il n’était pas
dans ses habitudes de s’évanouir. Voulant s’en prendre à quelqu’un, il lança
pour Mel :
– Vu comment tu t’es débarrassée des Shénèls l’autre coup, tu ne pouvais
rien faire ?
– Ca ne marche pas comme ça.
Puis elle ne s’occupa pas plus de lui et alla aider Khano qui auscultait le
bras de Ley.
– C’est fracturé, expliqua-t-elle.
Kemy les rejoignit et posa une main délicate sur l’épaule de son aimé. Elle
était couverte de poussière, de terre et de petites coupures sans profondeurs,
mais sanguinolentes couvraient ses bras et ses mains. Malgré une mine à
faire peur, elle lui souriait pour le rassurer.
– Khano n’use pas ta magie pour un bras cassé, on peut en avoir besoin
pour plus grave. Tu ne dois pas perdre tes forces. Nous ne sommes pas
encore arrivés à Juicy, nous n’avons même pas encore traversé les
montagnes ! Offrit Ley sans broncher sous la douleur de sa fracture.
– Je ne vais pas te laisser comme ça. Je vais au moins te soulager un peu.
Sans attendre, elle irradia de sa chaleur guérisseuse le bras de l’elfe. Ley
serrait les dents pour ne pas gémir sous la douleur des os se recollant en
homme fier qu’il était.
– Voilà, ça ira déjà mieux, même si tu ne pourras pas te servir de ton bras
quelque temps.
Elle haletait, mais avait, comme Ley lui avait demandé, usé du moins de
force possible.
– Merci.
– Raah ma tête !
Tolny venait enfin de se réveiller et gardait une main sur son front. Il avait
l’impression d’avoir été piétiné par une armée de trolls plutôt que propulsé
par un seul.
– T’avais qu’à pas foncer comme ça, espèce de triple andouille ! Aboya
Légot alors que le jeune homme était assis par terre.
– Ouais ouais…

12
Les rois

Il était seul dans cette petite salle aux murs


éclairés de quatre torches aux flammes dansantes. Ses yeux ne pouvaient
pas se détacher de leur contemplation. Une application malsaine qui lui
torturait l’âme. Atamanthe se trouvait là, sur un socle de pierre. Sa lame
brillait sous les flammes des torches, parfaite, sans aucun défaut. Pas de
défauts physiques tout du moins.
Une porte s’ouvrit derrière lui, la seule de la pièce. Au centre de cette
dernière étaient placés quatre fauteuils de velours rouge. C’était devenu leur
repère, leur petite salle de réunion. Sann, dit Le Dragon, entra le premier,
un sourire triomphant sur son visage trop maigre. Il n’avait rien fait, ne
faisait d’ailleurs jamais grand chose, et semblait pourtant tellement fier de
sa petite personne. Kerzé ne put s’empêcher de grimacer à cette vision, il
détestait ce couard. Le jeune Angel était derrière lui, son visage à lui était
trop jeune. Ses yeux bleus étaient cernés et ses traits fatigués. Il ferait dans
quelques années un très bon roi, si seulement on lui laissait le temps et la
possibilité d’aller dans ce futur. Le mage ne savait pas s’il aurait cette
chance. Enfin, fermant la porte derrière lui, l’un des princes elfiques de
Nancalen, Lycanota, entra. Son visage à lui également était tiré. Il semblait
amer, peu prompt à sourire.
Chacun prit place dans un fauteuil, au même instant, chaque paire d’yeux
observait l’épée des légendes. C’était plus fort qu’eux, elfes et humains
étaient attirés par cette arme telle une mouche sur du miel. Même un nain
ou un géant n’auraient pu résister à cette attraction. Mortak, dieu des morts,
en avait décidé ainsi.
– Alors la voici… Souffla Sann sans se desservir de son sourire.
– Oui.
Que pouvait-il répondre d’autre ? L’épée était là. C’était un fait clair et
même lumineux ! Peut-être pas pour cet homme…
– Que faisons-nous maintenant ? Demanda Angel d’une voix très basse.
Ses yeux bleus brillaient intensément à chaque fois que son jeune regard se
posait vers le fond de la pièce.
– Pour ce qui est de l’épée, rien, à part la dissimuler et tenir vos langues.
Pour la guerre qui approche, vous devez vous préparer. Moi, je ne pourrai
indéfiniment vous aider, j’ai une autre mission.
– Celle de torturer de jeunes gens ?
L’elfe et le mage se dévisagèrent de longues minutes. Si leurs regards
avaient été des armes, ils se seraient effondrés ensemble et d’un même
mouvement, morts sur le sol. L’un était un mage puissant au service malgré
lui de trois rois et l’autre un prince elfique de haut sang, le protocole ne
permettait pas ce genre d’affrontement.
– Ma mission ne vous regarde pas jeune prince.
Sann semblait se moquer de cette histoire, lui, il n’avait d’yeux et d’esprit
que pour l’épée. Se levant, il se dirigea vers elle. Lentement, sans s’occuper
des autres. Sa main se porta en suspens au-dessus de la garde lorsque Kerzé
qui l’avait rejoint lui empoigna le poignet.
– Aucun de vous ne touche et ne touchera cette arme. Jamais !
Cette fois c’est Le dragon qui tenta de tuer le mage du regard, ce qui bien
sûr, ne fit qu’attiser la colère du sorcier.
– Vous êtes dans mon château, je prends cette épée si j’en ai envie !
– Ça ne se passe pas ainsi.
D’une secousse, Kerzé l’envoya vers son fauteuil et le fit habilement
basculer à l’intérieur.
– Je ne vous permets pas !
– Ne vous inquiétez pas pour moi, je me permets tout seul.
– Comment allons-nous utiliser l’épée ?
Angel avait senti qu’il était temps de les séparer d’une façon ou d’une autre.
De toute manière, la question l’intéressait vraiment.
– Cette épée a un pouvoir incommensurable. Mais instable, très instable !
Nous devons pour le moment la garder secrète comme je vous ai dit, on
pourra par le futur s’en servir comme étendard pour allier des troupes à vos
rangs. Le plus important étant qu’elle ne tombe pas entre les mains de
l’ennemi, car alors c’est vous qui perdrez vos troupes ! L’épée faisant son
travail d’aimant. Maintenant sortons d’ici, vous avez vos hommes à
entraîner et des plans à mettre en place. Dois-je vous rappeler qu’une guerre
approche ?
– Inutile de me le rappeler, répondit Angel.
Ils restèrent un moment en silence à se regarder tour à tour avant de se
lever, Lycanota le premier, visiblement très mal à l’aise près de l’épée. Il
sortit rapidement et sans un regard en arrière. Angel lui, s’approcha de
l’arme, ses yeux brillants emprisonnaient chaque millimètre de métal. Son
regard était celui d’un amant et il aurait aimé prendre cette créature dans ses
bras. Mais elle était de métal, une épée de matière, pas une femme à la peau
douce et chaude. S’obligeant à fermer les yeux et à prendre une profonde
inspiration, il parvint à se détourner pour suivre l’elfe. Sann lança un regard
noir au mage avant de sortir à son tour. Kerzé ne pouvait s’empêcher de se
méfier de lui et de penser qu’il préparait un mauvais coup. Il suivit les trois
hommes et referma la porte derrière lui. Celle-ci ne possédait pas de
serrure, elle se trouvait dans un tunnel inconnu près des cachots. Il y avait
bien peu de chance que quelqu’un vienne fourrer son nez ici. Et même si
l’épée rendait folle ceux qui posaient ses yeux sur elle, elle n’était pas
capable d’appeler les hommes de ce palais à travers tant de murs.
Les quatre hommes, silencieux comme des tombes, remontèrent un couloir
puis de nombreux escaliers. Lorsqu’ils débouchèrent de la porte à barreaux
protégeant les cachots, un soldat au blason d’Angel se précipita vers son
jeune roi.
– Messire ! Notre messager vient d’arriver !
– Que se passe-t-il ? Quelles sont les nouvelles ?
L’homme était essoufflé, il avait dû courir de la cour centrale jusqu’au
palais, puis dans presque tous les couloirs avant de les trouver.
– Parle !
– Les Shénèls se préparent. Un groupe semble prêt à attaquer Calambe !
Ils sont bien trop nombreux pour nous. Si on en croit un de vos espions qui
tourne autour d’Eüldan ils n’attendront plus que quelques jours !
Angel lança un regard déboussolé à Kerzé qui ne perdit pas un instant :
– Vous devez faire venir vos hommes ici, toutes les personnes habitant
votre palais et ses terres alentour. Il ne faut pas perdre une minute !
– Attendez ! Intervint Le dragon, je n’ai pas donné mon accord, il n’a
jamais été question de cela ! Une alliance est envisageable, mais ça…
– Voulez-vous avoir la mort de nombreux innocents sur la conscience
cher Dragon ? Calambe n’aura ni la force, ni les murailles pour résister à
cette attaque. Vous devez lier vos forces à Juicy afin d’être prêts à vous
défendre ensemble la prochaine fois !
Le dragon serra les dents et les poings. Sa malveillante allait-elle reprendre
le dessus alors que de nombreuses vies étaient en jeu ? Angel le craignait.
Finalement, l’homme accepta d’un signe de tête à peine perceptible.
– Utilisez mes hommes pour couvrir vos arrières.
Sa voix n’exprimait aucune joie ou compassion.
– N’y a-t-il pas d’autres solutions ? Demanda Angel à Kerzé. Je ne veux
pas leur abandonner mes terres ! Elles appartiennent à ma famille depuis
trop longtemps.
Il rageait et s’il l’avait pu, il se serait battu seul contre une mer de Shénèls.
Kerzé plaça ses mains sur ses frêles épaules et après avoir soupiré lui offrit
d’une voix posée :
– Je suis désolé jeune prince, mais vous n’avez pas le choix si vous
voulez sauver vos sujets. Nous trouverons un moyen de reprendre vos terres
plus tard.
Le mage était profondément sincère, c’est ce qui convainquit le plus le
prince.

Il l’avait suivi discrètement, silencieux et


invisible comme une ombre. Ne pouvant trouver le sommeil et tournant en
rond dans les différents couloirs du palais, il n’avait pu que le repérer
facilement. Sann n’était pas discret et se croyait seul. Kerzé le vit descendre
le passage menant aux cachots, puis l’escalier débouchant plus loin encore.
Ce fou se dirigeait sans nul doute vers Atamanthe. Le mage jura. Il devait
l’arrêter, mais alors qu’il allait accélérer l’allure pour le rattraper, il changea
d’avis. Ce roi insolent avait besoin d’une leçon. Et ce n’était pas lui qui la
lui donnerait… Restant à distance, il put l’observer à sa guise. Sann ne se
doutait de rien, heureux et fier de ce qui lui semblait peut-être l’idée du
siècle, il ouvrit la porte de leur salle secrète et y entra sans même la
refermer derrière lui. Kerzé se cacha dans un angle du couloir et poursuivit
son observation, un sourire de rapace coupant son visage. Le dragon était
pressé, trop ! Il se précipita sur l’épée et l’empoigna à pleines mains. Il
souleva l’arme de légende vers la flamme d’une torche pour en apprécier
chaque détail. Son visage rayonnait, un énorme sourire s’y ouvrant. Lorsque
ce sourire se figea et lorsque ses yeux s’agrandirent d’un effroi connu de lui
seul, c’est sur le visage de Kerzé que le sourire s’agrandit. La leçon
commençait. Sann ne pouvait détacher sa main droite de l’épée alors qu’il
se mit à trembler aussi fort qu’une feuille dans le vent. Sa main gauche se
crispa sur sa gorge et il sembla étouffer. Suffocant, il tomba à genoux, des
larmes plein les yeux avant de parvenir à lâcher l’arme. La lame teinta sur
le sol et il lui offrit un coup de pied pour la faire glisser plus loin. Ses yeux
ne reflétaient plus aucun amour lorsqu’ils se posaient sur l’épée,
uniquement un horrible dégoût qui manqua de le faire vomir. Les yeux
agrandis des images ayant asservi son cerveau, il peina à se remettre
debout. Vacillant, il sortit lentement de la pièce avant de remonter
l’escalier, s’aidant régulièrement d’un des murs pour rester debout.
Kerzé attendit un peu avant d’entrer à son tour dans la pièce. Il se servit de
sa cape pour entourer et soulever l’épée sans la toucher. Presque heureux de
ce qu’elle venait de faire, il la reposa sur son socle avec un mot gratifiant
d’un homme flattant sa bête préférée. Puis, satisfait, il remonta les marches
à son tour. Il était grand temps de trouver le sommeil.

13
Message d’un petit frère

Kemy dormait du sommeil du juste.


Profondément assoupie, la tête sur le torse de Ley qui dormait également.
Elle avait pris grand soin de ne pas se coller à son bras blessé et épuisée par
sa réussite, s’était endormie dans la minute. Après l’attaque du troll, ils
avaient pu terminer la traversée des montagnes et avaient ensuite parcouru
quelques kilomètres de plus. Maintenant, la plupart dormaient et un feu de
camp crépitait joyeusement au centre d’un cercle de couches, de lits de
plantes et de couvertures. Il allait faire jour dans deux heures lorsque Dînn
prit son tour de garde, relayant Shona qui alla se coucher contre Mel.
S’approchant des terres des Shénèls, ils avaient préféré instaurer cette
surveillance.
Assis près du feu, bâillant à s’en décrocher la mâchoire, le mercenaire vit
Kemy se retourner dans son sommeil. Le front de la jeune femme était
plissé, quelque chose semblait la gêner.
Ce qui la gênait, était ce malaise qui venait d’assaillir son esprit. Une
forme y dansait, tel un nuage vaporeux refusant de rester en place. Elle
avait beau se concentrer et s’appliquer, elle n’arrivait pas à discerner ses
courbes. Est-ce un rêve ? Non, sa nuit était noire et calme, pas de mauvais
rêves cette fois. Et puis la forme qui la narguait devint une image, très floue
et vague, avec une touche de couleur ou plutôt de noirceur. Non les deux,
un mélange de rouge et de noir. La jeune femme s’obligea à réfléchir alors
que le sommeil la quittait. La forme se transforma encore et devint cette
fois presque nette. Yuta ? Oui c’était lui, enfin elle l’avait cru, alors que
l’image se divisa pour disparaître. C’est là que les mots entrèrent. Ils étaient
difficiles, la voix était souffreteuse, maladive.
« Kemy aide-moi. Viens m’aider. Je ne tiendrai plus longtemps... »
« Yuta ? C’est toi ? »
« Oui, je ne pensais pas avoir la force de te parler, d’atteindre ton esprit,
mais tu ne dois plus être loin de moi… je… je… »
« Yuta ? »
« ... »
« Yuta! »
« Je... je dois te voir! »
« Où es-tu? Dis-le-moi ! »
« Je ne suis pas loin de la Duin Helka. Je n’ai pas réussi à aller beaucoup
plus loin… Ouvre plus encore ton esprit, je vais te montrer l’endroit. »
Des images firent leur place dans la tête de la jeune femme, alors qu’elle les
visualisait rapidement. Elle n’était pas assez très douée en topographie pour
se repérer seule, toutefois elle se sentait capable de retrouver l’endroit. Yuta
devait être très proche, ce ne serait peut-être pas difficile.
« J’arrive ! Attends-moi ! »
« Fais attention… je… C’est dangereux… »
« Ne t’inquiète pas pour moi, j’arrive, ne bouge pas ! »
« Je… je ne peux pas bouger… »
« Pourquoi Yuta ? Qu’est-ce qui se passe ? »
«…»
« Yuta ? »
«…»
« Yuta ! »
«…»
Le contact était-il rompu ? La jeune femme força une dernière fois son
esprit. Non, elle ne voyait plus rien, n’entendait plus rien.
– Yuta ! Hurla-t-elle en se réveillant en sursaut, assise sur son lit d’herbes.
Il n’était pas là, seul Dînn l’observait en silence, en partie caché par les
flammes du feu de camp. Elle se passa une main sur le front et tenta de se
calmer. Cette main tremblait, ses sens étaient en ébullition et elle ne
parvenait pas à faire clairement le point. De toute façon, sa décision était
déjà prise avant même qu’elle n’ouvre les yeux. Elle fit voler sa couverture,
oubliant son compagnon qui se réveilla en clignant des paupières. Quelle ne
fut pas la surprise de Ley en voyant son amie enfiler ses bottes et attacher
son épée à sa ceinture.
– Qu’est-ce que tu fais ?
– Je crois qu’elle a fait un cauchemar, cru bon d’expliquer Dînn qui venait
de se rapprocher en chuchotant pour ne pas réveiller les autres. Elle va se
calmer et se recoucher ! Ajouta-t-il en la prenant par le bras.
– Lâche-moi Dînn, je dois y aller !
– Quoi ? Kemy !
Ley se leva et se plaça devant elle, totalement déboussolé et à peine
réveillé.
– Ce n’était qu’un cauchemar.
– Ce n’était pas un cauchemar, mais Yuta, il est venu me parler, quelque
chose ne va pas, je vais le rejoindre.
– Yuta ? S’étonna l’elfe mercenaire. Il en est capable ?
– Oui, affirma la jeune femme en ramassant sa besace, si je suis assez
près, il l’a déjà fait.
– Bon très bien, nous irons le rejoindre au lever du jour si tu le désires. Tu
n’as qu’une heure ou deux à attendre, poursuivit Dînn en se plaçant entre
elle et sa monture.
– Non j’y vais maintenant !
– Kemy, ne sois pas stupide, insista Ley en la faisant reculer.
– C’est vous qui êtes stupides, laissez-moi passer, je sais très bien ce que
je fais.
– Je pense que tu agis à l’impulsion. Lui fit remarquer Dînn, laisse-toi le
temps de la réflexion et de mieux nous expliquer.
– Non.
– Quelle tête de mule !
– Kemy écoute-moi.
Ley venait de la prendre par l’épaule, son bras blessé en écharpe, elle voyait
à peine son visage dans la pénombre maintenant qu’ils n’étaient plus près
du feu. Lui, la voyait certainement très clairement, sa vue étant bien plus
aiguisée que la sienne, encore un avantage elfique qu’elle lui enviait.
– Tu dois m’expliquer calmement, dis-moi ce que je peux faire.
– Je ne sais pas. Moi je ne peux pas attendre, je suis certaine qu’il a de
gros problèmes.
– Bon je viens avec toi, les autres nous rejoindront plus tard.
– Olabarka ira plus vite que ta monture.
– Je te suivrai de près ne t’inquiète pas. Que tu le veuilles ou non ! Finit-il
en levant un doigt autoritaire. Dînn tu préviendras les autres lorsque tout le
monde sera réveillé.
– Il ne manquait plus que ça ! S’écria l’interpellé en levant les bras au
ciel. Vous allez tous me rendre sénile avant l’âge !
Les deux jeunes gens ne l’écoutaient plus et sellaient leurs chevaux en
silence.
– Faites au moins attention à vous… Je réveille les autres maintenant, on
vous rattrape.
Kemy ne répondit pas, se hissant sur le dos de son étalon grâce à une
souche, elle fit claquer sa langue et l’animal fit un bond en avant, heureux
de ce qui allait s’annoncer être un galop grandiose.
A chaque claquement de langue, l’animal allongeait ses foulées.
– Kalktai Olabarka, kalktai !
Ley aurait bien du mal à suivre la cavalière et sa monture d’ébène, mais il
ne perdit pas une minute pour se mettre en selle. Il sauta sur le dos de
l’étalon bai, puis offrit un hochement de tête à Dînn avant de talonner sa
monture.
Elle galopa pendant une heure, heure qui lui
parut interminable. Elle ne faisait pas attention si Ley arrivait à la suivre,
elle n’avait de pensée que pour son jeune ami, son petit frère. Qu’avait-il
bien pu lui arriver ? Lui qui avait trouvé un nouveau maître et aurait dû
vivre heureux et au calme dans la grande Cité bleue. Que faisait-il là et
sûrement seul ? Elle s’inquiétait et cette inquiétude était une vraie torture.
Le soleil commençait à se lever, on pouvait en deviner la couleur derrière la
ligne d’horizon. Le jour l’aiderait à y voir plus clair dans tous les sens du
terme. Elle se fiait aux arbres pour trouver son chemin, persuadée que ces
derniers ne la trahiraient pas et sauraient l’aider.
Elle galopa une heure de plus, sa monture écumait, mais ne montrait aucun
signe de fourbure, l’étalon semblait infatigable, talent propre à sa race. Il
faisait jour et le sol couvert de rosée et de brume défilait sous les sabots de
la bête. Elle reconnaissait le lieu grâce aux images toujours présentes dans
son esprit, c’était bien l’endroit où se trouvait Yuta, mais où était-il ? Elle
fit stopper sa monture qui se prit à piaffer et à tourner sur elle-même.
– Yuta ! Yuta ?
Elle hurlait aussi fort qu’elle le pouvait, pourtant, seul le vent lui répondit.
– Aidez-moi… Où est-il ?
Sa détresse était énorme alors qu’elle fermait les yeux et se concentrait pour
ne pas céder à la panique. Olabarka piaffait toujours, frustré par cette
brusque interruption dans sa course effrénée. Elle était dans une plaine
entourée d’arbres. Les branches de ces derniers dansaient dans le vent, ce
vent qui balayait également ses cheveux. C’est un lapin qui répondit à son
appel. Petite créature au nez rose et aux moustaches dansantes. Il ne
semblait pas avoir peur et observait la jeune femme posé sur ses fesses et sa
queue de bouton blanc. Kemy ne lui prêta aucune attention, mais l’animal
ne la quittait pas des yeux. Il attendait une réaction.
– Tu veux que je te regarde ?
Le nez de l’animal vibra avant qu’il ne parte en courant. Il stoppa et la fixa
encore. Se disant que la situation ne pouvait être pire, elle demanda à sa
monture de suivre le petit être. Elle fut vite arrivée à un bouquet d’arbres où
le lapin disparut pour de bon, remplacé par une branche d’arbre qui la
poussa en avant, la forçant à descendre de sa monture. La nature avait-elle
répondu à son appel ? Dame nature et ses sujets savaient-ils qu’elle était la
favorite de Symé, déesse de la terre ? Elle se posait la question lorsqu’une
traînée rouge et sanglante attira son attention. Une main sur la bouche, les
yeux déjà humides, elle suivit cette trace de mort. Poussant un buisson, elle
le découvrit. Allongé sur le dos, le visage cireux, les yeux fermés. La
poitrine du jeune homme était couverte de sang alors qu’un trou couvrait
l’endroit où se trouvait à peine plus profondément le cœur.
– Yuta…
Elle s’étrangla dans un sanglot et tomba à genoux, laissant aller son
chagrin.
– Kemy ?
– Yuta !
Se traînant sur les genoux, elle progressa jusqu’à lui et lui caressa le visage.
Sa peau était si froide, ses yeux déjà vitreux.
– Je ne pensais pas... tenir si longtemps…
– Et tu vas tenir encore !
C’était faux, ils le savaient tous les deux et la jeune femme s’étouffa dans
un sanglot plus gros encore que les autres.
– Je dois te donner ça…
Il souleva une main pleine de sang et la glissa dans la sienne. Ouvrant ses
doigts, la jeune femme découvrit une pierre rouge au creux de sa paume.
Une petite pierre ovale et rouge comme du sang.
– Qu’est-ce que c’est ?
– Je ne sais pas… c’est… c’est tombé de ma blessure, si j’étais en état
d’être cynique... je dirais que ça vient de mon cœur…
Il voulut rire, mais il s’asphyxia et cracha du sang. Ses yeux ne voyaient
plus rien, son pouls était trop lent et son visage se teintait doucement de
nuances violettes et blanches. Kemy ne pouvait détacher son regard de cette
pierre, elle avait compris, c’était impossible à expliquer, mais elle savait
que cette dernière était aussi importante que celle que lui avait offert
l’Enaralda. Ainsi se força-t-elle à la glisser dans sa poche au lieu de la jeter
au loin, comme elle aurait tant voulu le faire. Cette pierre était maudite. Elle
était née en même temps que son petit frère mourait.
– Kemy… Sa voix n’était plus qu’un souffle, la jeune femme pleura de
plus belle. Fais attention… L’élue, tu es…
– Je sais…
Elle avait parlé dans son oreille en lui caressant le front. Le jeune homme
pouvait sentir son souffle sur son visage alors qu’un étrange
engourdissement l’envahissait peu à peu. Elle ne voulait pas parler de ça,
pas avec lui, pas maintenant… Du sang coulait toujours de la blessure et
une horrible marre de cette liqueur de vie entourait le corps menu du
garçon.
– Yuta, je t’aime. Je ne t’oublierai jamais.
Elle pleurait tant qu’elle n’était pas sûre que le jeune homme entende ses
paroles. C’est un sourire qui lui fit comprendre qu’il les avait perçues.
Lorsqu’il laissa échapper son dernier souffle, lorsque sa main quitta la
sienne, glissant et tombant sur la terre pleine de sang, elle laissa aller
totalement son chagrin. Elle pleura à chaudes larmes sans aucune retenue.
Frappant du poing sur le sol, rougissant ses mains du sang de son petit frère
perdu, elle se redressa pour hurler. Ce n’était pas un hurlement de femme,
c’était un hurlement de gorge venant d’une âme animale. Elle ne put se
retenir davantage. La force dissimulée en elle explosa d’un coup, libérant
un souffle aberrant pour l’esprit asphyxié de la jeune femme. Une petite
tache brune apparut sur son cou blanc alors qu’elle se mettait debout. Ses
yeux étaient fous, ils avaient changé de couleur et sa vision avait, elle,
perdu toutes nuances. Elle voyait en rouge, en rouge et noir. Le corps
meurtri d’un gamin trop jeune, les arbres, la terre… Tout était rouge et
vaguement déformé. Elle n’était plus capable de réfléchir. Hagarde, les
tempes claquant des battements de son cœur devenu fou par tant de sang,
tant de forces, elle sortit de sa cachette végétale. Face à elle l’attendait une
dizaine d’hommes. Les Shénèls avaient tout manigancé et avaient sagement
patienté, cachés dans un bouquet d’arbres à l’autre extrémité de la plaine.
Ils avaient grièvement blessé le gamin et avaient espéré que ce petit mage
de pacotille appellerait des renforts. De pacotille ? Peut-être pas à en juger
les vêtements brûlés et le bras pendant sur le côté d’un des hommes. Mais
ses yeux à elle, ne voyaient pas ce genre de détails, ne comprenaient pas le
sens de cette affaire. Relevant la tête, montrant des yeux agrandis et fous,
elle se prit à sourire et eux à gémir. L’un des hommes de cette petite troupe
venait de comprendre. Ils avaient tout fait pour pouvoir atteindre l’une des
élues et ils en trouvaient maintenant une dans toute la vigueur de sa force !
Il fit un pas en arrière, la jeune femme deux en avant.
– Meurs !
Elle leva une main horizontalement au sol. Sortant de terre, deux larges
racines montèrent le long les jambes du Shénèl déconfit qui sortait
vainement son épée. D’un simple signe de main, une brusque contraction de
ses doigts, les racines serrèrent l’homme, faisant craquer ses os. Le bruit fut
infâme alors que du sang sortait de la bouche du guerrier. La jeune femme
s’approcha et y passa une main en reniflant ce sang comme un animal. Elle
souriait et ne prenant pas la peine de nettoyer ses mains déjà souillées par le
sang de Yuta, poussa un hurlement en levant cette fois ses deux bras. Trois
hommes furent pris au piège et moururent dans le même effroyable bruit
d’os brisés et de muscles broyés. Ce bruit la fit rire, elle commençait à
l’aimer ! C’est une douleur aiguë qui lui fit tourner la tête. Une coupure
apparut sur son flanc. Elle saignait, mais ne ressentait déjà plus la douleur,
son esprit n’était pas capable de saisir quoi que ce soit d’autre que la colère.
Sortant son épée, elle se jeta sur le coupable et lui trancha la tête, laissant le
sang lui gicler au visage. Elle lécha les quelques gouttes présentes sur ses
lèvres et chercha hâtivement de quoi s’amuser. De nouveaux Shénèls
venaient d’arriver, une bonne dizaine s’étalaient à distance respectable, ne
sachant comment procéder pour arrêter le monstre. Ils se mirent finalement
en cercle tout autour d’elle, restant toujours à bonne distance. De là, six
archers bandèrent leurs arcs.
– Attention, ne la tuez pas ! Notre maître la veut vivante ! Hurla un
homme à la cape et à l’armure plus prestigieuse que les autres.
Une flèche lui entra dans la jambe droite et elle vacilla. Dans une lubie
bestiale elle l’arracha et la jeta au loin avec dédain. Elle ne ressentait pas de
douleur, elle ne ressentait pas de pitié, elle ne comprenait plus le bien et le
mal, elle n’était que haine et vengeance. Elle était une rocko, un berserker
démoniaque. Une autre flèche la rasa de près et elle en évita une troisième
de peu. Levant la main, elle ouvrit une tranchée dans le sol qui engloutit
quatre hommes avant que la terre se referme sur eux, les avalant pour
toujours.

14
Le douloureux réveil de la terre

Lorsque le mauvais pressentiment le prit, il


savait qu’il arriverait trop tard. La monture de Kemy allait bien trop vite
pour la sienne et elle l’avait rapidement distancé. Il rattrapait son retard
aussi vite qu’il était possible pour son étalon. Un vent électrique lui donna
des frissons, c’était comme un message qu’on lui envoyait. On lui intimait
de se presser, on lui montrait le chemin. Débarquant enfin dans une plaine
ovale, il stoppa sa monture. Il ne lui fallut que deux secondes pour sauter à
bas et sortir son épée. Kemy était en face, entourée d’ennemis vite
reconnus. Plusieurs cadavres gisaient sur le sol et la jeune femme saignait
en plusieurs endroits. Il leva son épée et se précipita. Arrivé plus près du
champ de bataille, Ley ralentit l’allure. Oui, il arrivait trop tard. Le
spectacle qu’il vit ne le désarçonna qu’une poignée de secondes. Il n’avait
pas été pressé d’assister à ce spectacle, mais il avait toujours su qu’il
arriverait, il connaissait la nature de la jeune femme. Il y avait deux
personnes en elle. La Kemy perdue, fragile, vite déboussolée et démotivée.
Celle-là, il l’aimait de tout son cœur, de toute son âme ! Et ce démon, cet
animal sauvage et violent, avide de vengeance et de destruction. Celui-là il
ne l’aimait pas, il l’acceptait seulement. Il fallait cette violence à la jeune
femme pour parvenir à supporter ce qui l’attendait. Sans elle, elle ne
pouvait être l’élue d’Atamanthe.

Elle commençait à fatiguer. S’en rendait-elle


seulement compte avec ce sang bouillant travaillant dans tout son corps ?
Son esprit n’en était pas capable alors qu’elle fit un mouvement de coté
pour éviter une flèche. Une autre lui lécha la joue. Elle ne cria pas, tourna à
peine la tête, pourtant cette flèche eut le mérite de l’énerver plus encore.
Tirant sa dague de sa botte, elle la lança directement dans le front de sa
victime du moment. L’homme tomba sur le dos, les yeux révulsés. Elle, elle
grimaça de délice ! Quelle joie de voir ces hommes tomber, de les voir
mourir et crier. Son esprit ne comprenait pas vraiment pourquoi tout ceci,
trop noyé dans une sournoise colère, mais son cœur battait la chamade et
plus encore à chaque ennemi vaincu. Ses mains étaient pleines de sang, le
sien, celui de Yuta et celui de plusieurs hommes. Elle saignait au flanc
gauche et à la jambe, à un bras et à la joue. Seule sa blessure à la jambe
était vraiment vilaine, elle aurait dû la laisser au sol, cependant, son corps
tenait debout par une exaltation qu’un simple humain ne pouvait ressentir ni
même concevoir. Un souffle de vent caressa sa joue échauffée et elle ferma
les yeux pour mieux en apprécier la fraîcheur. Relevant la tête, elle le vit,
plus loin vers la gauche. Elle inclina la tête de côté pour observer cette
créature montée sur un animal à quatre pattes. Un cavalier et un cheval, trop
compliqué pour son esprit bestial. Ami ou ennemi ? La rocko grimaça avec
dédain, tous étaient ses ennemis !

Ley fut soulagé de les voir arriver. Il se battait


seul contre deux Shénèls avec son unique main valide. C’était certain, il
n’aurait pu tenir longtemps à ce rythme. Garon arriva près de lui et lui offrit
un sourire encourageant avant de le débarrasser de ses adversaires. Vu les
Shénèls restants, ils étaient maintenant supérieurs en nombre et ces derniers
allaient certainement abandonner la bataille et battre en retraite.
– Ça va ? Demanda Dînn à Ley.
– Moi oui…
Ses yeux se portèrent à l’autre bout de la plaine où Kemy, démoniaque,
poursuivait sa macabre œuvre de destruction.
– Ça y est, c’est arrivé.
Dînn ne répondit pas. Il observait également la jeune femme et n’avait
envie d’émettre aucun commentaire.
Ils y étaient, les rockos étaient réveillés, le ciel et la terre étaient prêts.
Mel vint près d’eux, elle non plus ne prononça rien. Son visage était tendu
et ses yeux bleus étrangement brillants. On lui avait appris l’intervention de
Kemy à leur dernière bataille contre les Shénèls, on lui avait dit que son
amie était parvenue à la maintenir enchaînée pour que Dînn puisse
l’assommer et ainsi sauver leurs vies à tous. Elle devait lui rendre la
pareille. Elle était la seule à la comprendre aussi parfaitement qu’en cet
instant.
– Non Mel, fais attention, ne l’approche pas !
Shona venait de la retenir bien trop conscient de ce qu’elle s’apprêtait à
faire. Elle lui répondit par un sourire. Il ne comprenait pas et elle ne pouvait
pas lui en vouloir. Lui, il était un humain, un jeune homme dans la fleur de
l’âge, fort et beau, mais un humain. Elles, toutes deux semblaient humaines,
mais ne l’étaient pas totalement. Ainsi elles ne pourraient jamais être
entièrement comprises par les autres, même amis et amants.
Elle l’embrassa avant de se détourner pour traverser la plaine. Levant
légèrement les bras, tendant ses mains, elle fit monter un vent autour d’elle.
Puissante arme bien à elle, qu’elle avait découverte par de discrets
entraînements en forêt loin des autres. Il était temps de montrer ce qu’elle
savait faire sans être pour autant sous sa forme de rocko. Il fallait que ses
longues heures d’entraînement servent à quelque chose. Elle ne savait pas
encore manipuler son sceptre magique, sa Pâte de dragon, mais son don,
oui ! Arrivée à quelques mètres de son amie, encore loin, elle lui projeta son
souffle. Cette dernière le reçut en plein visage et manqua de tomber. Se
redressant de toute sa stature elle lui lança un regard rouge et agrandi. Elle
ne put faire un mouvement, le vent magique venant de l’entourer
entièrement, la retenant dans un cocon de souffle. La rocko se débattit et
son amie dut forcer sa magie pour agrandir la prison, la rendre plus solide,
plus puissante. La rocko hurla alors que les derniers Shénèls en profitaient
pour fuir. Elle hurla encore, se débattit, usa de ses poings, de ses ongles,
mais rien n’y fit, Mel ne lâchait pas son emprise. Bientôt Kemy fut
essoufflée et en nage. Etre rocko vous pompe toute votre énergie à une
vitesse fulgurante. Vous êtes indestructible, mais sur une bien courte
distance ! Mel le savait. Il suffisait d’être patient et de la retenir
suffisamment longtemps, son corps ferait le reste. Les yeux de la jeune
femme commencèrent à changer, à reprendre forme et couleur normale. Ses
épaules se détendirent ainsi que les plis de ses lèvres. Haletante, elle tomba
vite à genoux. Un dernier soubresaut la força à se débattre vainement. Puis,
abattue, trop épuisée, elle s’écroula sur le sol. Mel satisfaite, fit disparaître
son tourbillon de vent et alla rejoindre son amie qui ne savait pas se
redresser seule. C’est en arrivant contre elle qu’elle vit la douleur dans ses
yeux et les larmes sur ses joues pleines de sang.
– Mel, il est mort, ils l’ont tué…
La jeune femme la prit dans ses bras et la laissa aller à son chagrin sur son
épaule. Elle la serra fort, les yeux fermés, totalement soumise à la détresse
de son amie. Ley lui posa une main sur le bras et la força à relever la tête.
Mel s’écarta un peu pour lui laisser la place. Noyée dans ses propres larmes
la jeune femme se jeta dans les bras de l’elfe avec le peu de forces qu’il lui
restait. Ce simple geste consuma sa dernière flamme et elle s’évanouit dans
les bras de son amant dans un dernier hoquet de souffrance.
Ley ne pouvait pas la porter dans ses bras à cause de son bras bandé, ainsi
Garon s’en chargea et aida l’elfe à l’installer sur son cheval, devant lui.
Malgré la douleur dans son bras, Ley la maintiendrait contre lui tout le reste
du trajet, il voulait être le seul à s’occuper de la jeune femme endormie.
Légot observait le petit groupe de loin, le visage tordu dans une vilaine
grimace. Ils n’avaient pas assisté à toute la scène avec Tolny, arrivants les
derniers, il sentait toutefois au fond de lui que quelques choses de graves
venait d’arriver.
– Qu’est-ce que tu as ? Demanda Tolny en lui amenant son cheval.
– Ces deux filles, je les sens pas !
– Quoi ? Mel et Kemy ? Ne dis pas de bêtises !
– Je ne dis pas de bêtises, ouvre les yeux, elles ne sont pas comme nous !
– Et alors ?
Les deux hommes s’auscultèrent du regard un long moment. Puis Légot
cracha sans vouloir monter à cheval :
– Je ne viens pas, je ne veux plus voyager avec eux, et pis j’ai autre chose
à faire, je suis un voleur moi, j’ai rien à faire dans cette histoire !
– Heureusement que Shona et Dînn ne t’ont pas dit ça la dernière fois que
nous avons voyagé avec eux, tu serais mort, pendu au bout de cette corde
où ils sont venus te sauver ! Dois-je parler également de ce qui s’est passé
dans le temple de Kyz ?
Légot lui jeta un regard de rapace, mais le jeune homme n’en prit pas
mouche et poursuivit :
– Moi j’y vais, fais comme tu veux.
Il fit faire demi-tour à sa monture en lâchant la bride de celle de Légot et
alla rejoindre les autres toujours affairés dans la plaine. Légot maugréa un
long moment seul, debout comme une vieille corneille, le visage maussade.
Il ne la sentait pas cette histoire ! Il en était certain. Et cet idiot de blanc bec
allait encore se retrouver à moitié mort quelque part ! Il ne pouvait pas le
laisser seul, il courrait forcément à la catastrophe. Rouspétant contre tout,
son cheval qui ne le laissait pas monter en selle, son ami trop jeune et trop
ignare, ces deux gamines bizarres, cette plaine trop verte… Il finit par les
rejoindre.
La décision fut prise d’emmener le corps de Yuta, il méritait une cérémonie
funéraire digne de ce nom et ils étaient presque arrivés à Juicy. Son corps
fut entouré dans une couverture et attaché à la selle de sa jument qu’ils
avaient retrouvée attachée un bouquet d’arbres plus loin. La jument elfique
était pleine de poussières et de boue, mais en forme. Elle voulut bien obéir à
Dînn qui lui parla en elfique. Olabarka acceptait visiblement de suivre la
jument tant qu’on ne cherchait pas à l’attacher ou à le monter, il en fut fait
ainsi.
Ils arrivèrent le lendemain soir à Juicy. Une grande effervescence laissait
les portes du château ouvertes. Des hommes, des femmes et des enfants de
tous âges en passaient l’entrée, les bras chargés de sacs et de vivres. Tous
restèrent silencieux, il était inutile de parler, ils avaient compris qu’il se
passait quelque chose de grave et que les événements avaient dû se
précipiter depuis leur dernière visite.
Kerzé avait senti leur présence et il alla les rejoindre dans la cour alors
qu’ils confiaient les chevaux à plusieurs écuyers. Il jeta un regard
circonspect et interrogateur à Tolny et à Légot avant de s’adresser aux
autres. Montrant Mel du doigt il sembla furieux.
– Elle ne devrait pas être ici !
– C’est ce qu’on a essayé de faire ! Maugréa Dînn pas très enclin en cette
triste soirée à se faire houspiller. Il faudrait d’ailleurs prévenir Régord que
tout va bien et le ramener ici.
Garon apparut devant lui avec une Kemy toujours endormie et pleine de
sang séché dans les bras.
– Par tous les dieux ! Heureusement que Lycanota n’est plus ici depuis ce
matin, mais que vous est-il arrivé ?
Ses yeux se posèrent sur l’étrange paquet que Dînn et Shona défaisaient de
la jument elfique. Kerzé reconnut l’animal. La forme de ce paquet, sa
taille…
– Yuta est mort, lui avoua Dînn en aidant son ami à poser le corps sur le
sol.
Le mage ne fut pas capable de répondre, ses yeux ne lâchaient pas cette
couverture tâchée de sang. Il n’était pas étonné. Il aurait tellement aimé être
étonné en cet instant !

15
Guerriers obscurs

Aydana ne pouvait détacher son regard de


l’effervescence générale. Les hommes apprêtaient leurs chevaux. Tous les
guerriers de la cité étaient en train de se préparer à partir pour le long trajet
qui les attendait. La plupart portaient déjà leur armure et des capes aussi
noires que leurs cheveux couleur corbeau. La jeune femme rageait
intérieurement. Elle ne pouvait pas le crier, elle n’aurait pas été comprise.
Elle était revenue depuis bien peu de temps et quelle surprise de découvrir
son peuple prêt pour la guerre ! Un cheval hennit plus loin, vite repris par
un autre. Les hommes se préparaient dans l’immense cour principale, celle
entourée des plus gros arbres, ceux maintenant leurs maisons de bois dans
les airs. Les cabanes leur servant d’habitation se trouvaient plusieurs mètres
au-dessus du sol et correspondaient entre elles par des passerelles de cordes
et de bois. Seules les écuries et salles d’entraînements étaient au sol,
directement sur la terre. Tout ici respirait la nature et son respect. On
n’abîmait pas l’arbre où on plaçait sa maison, on lui demandait d’abord la
permission, puis on le remerciait et plaçait la structure de la demeure de
façon à ne pas le gêner et surtout ne jamais le blesser. Ainsi les maisons
avaient parfois des formes bien surprenantes. Dans cette forêt d’arbres
géants, grouillait toute une cité. Une nation entière et redoutable. Car cette
nation était celle d’un peuple de guerriers et de tueurs effrayants. Les elfes
noirs étaient certainement le peuple elfique le plus dangereux et celui dont
les humains et autres races se méfiaient le plus. Et ils avaient bien raison.
La force et la vivacité au combat des elfes noirs n’étaient pas qu’une
légende. Malheureusement pensa en cet instant la jeune femme.
– Aydana !
On l’attrapa par l’épaule et la poussa sèchement en arrière. En face d’elle se
trouvait maintenant Fernos Estélan, un jeune elfe noir d’environ son âge.
Son promis, celui qu’elle devait épouser après la bataille. Ne comprenant
pas pourquoi il venait la couper dans ses observations elle lui lança :
– Qui a-t-il Fernos ?
– Je n’aime pas te voir observer ainsi nos guerriers, j’ai peur que tu
repartes.
– Bien sûr que je repars !
– Quoi ?
Elle lui fit lâcher prise d’un mouvement d’épaule ingénieux et tenta de
s’éloigner, mais le jeune elfe la rattrapa vite et se planta devant elle, le
visage sévère.
– Je te l’interdis !
– Tu n’es pas mon père, tu n’as pas d’ordres à me donner.
– Oh ça c’est sûr, je ne suis pas Faln, cet elfe noir ayant osé lutter avec sa
femme pour des humains, moi je compte bien me battre contre eux.
Elle le gifla. C’était plus fort qu’elle, le coup était parti tout seul, elle
n’avait pas su le retenir. Elle ne supportait pas qu’il se comporte ainsi, et
surtout, mépriser ses parents dont elle était si fière était la dernière chose à
faire ! Athélys et Faln avaient lutté pour que la balance ne tombe pas du
mauvais côté et que l’équilibre se fasse. Sa mère avait été présente pour
aider une élue de la légende d’Atamanthe, elles avaient été amies, on lui
avait mainte fois conté l’histoire. Ses parents étaient morts pour le bien.
– Je vais me battre avec les autres guerriers. Affirma Fernos en caressant
discrètement sa joue bronzée. Toi non.
– Je vais me battre également, mais semble-t-il pas du même coté que toi.
– Oserais-tu lutter contre ton peuple ? Serais-tu devenue une amara ?
L’insulte claqua dans l’air plus forte qu’une gifle et c’est elle, cette fois, qui
la reçut en pleine figure. Elle serra les dents et ses yeux si extravagants par
leur couleur brillèrent intensément, le fixant sans sourciller, elle le
dévisagea. Il ne put supporter ce regard longtemps et tourna la tête. Ils ne
s’aimaient pas toujours de la meilleure façon, mais il tenait à elle, mariage
arrangé ou non. La raison dépassait parfois le protocole.
– Aydana, nous devons aller en terre du sud-est combattre nos frères de
Nancalen.
– Pourquoi ?
– Parce que ce sont les ordres de notre roi !
– De qui les tient-il ? De Kailse An Inésy ? Cet humain fou et sans lois
qui s’attaque à tout le monde ? Et c’est moi que tu traites d’amara ?
Il ne sut pas quoi répondre. Avouer qu’il ne savait pas bien d’où venait cette
idée de guerre aurait été trop rabaissant. Il préféra bomber le torse tel un
coq en allant rejoindre sa monture. Il s’agissait d’un étalon, gris, il portait
les mêmes tatouages que celui de la belle elfe noire.
– On ne doit pas laisser faire cette guerre, insista Aydana. C’est pure
folie ! Nous n’avons pas d’ennemis dans ces terres, personne à abattre à
part ceux dont veut nous faire croire Kailse ! Les Shénèls ne sont pas nos
amis. Je ne comprends pas cette guerre.
– Je pense qu’elle nous dépasse… Avoua-t-il du haut de sa monture alors
qu’il allait mettre son heaume d’argent. Mais si mon roi m’ordonne de
protéger mon peuple et de me battre en son nom je le fais. Je suis un
Ezaténien, comme toi. Je me battrais en Ezaténien !
Non, s’il le fallait elle renierait sa peau noire, si c’était nécessaire, elle
ferait comme ses parents : se créer des ennemis dans son propre peuple pour
une cause lui semblant juste.
Lorsqu’il se retourna dans l’espoir d’apercevoir un sourire et ses beaux
yeux bleus, Aydana n’était plus là.

* * *

– Tout marche à merveille.


L’homme releva la tête de son tas de papiers, une plume pleine d’encre à la
main. Une goutte noire tomba sur une feuille ce qui lui fit froncer les
sourcils, il n’aimait pas les taches.
Le druide, Morgrine, se tenait devant lui, appuyé sur une canne de bois
tordu comme le vieil homme qu’il était. Toutefois, Kailse savait très bien
que cet homme-là n’avait pas besoin de l’aide d’un bâton pour se déplacer.
– Que voulez-vous ?
– Je viens juste voir où tu en es.
– Si vous voulez parler d’Atamanthe je ne l’ai pas ! Aboya l’homme en
évitant les petits yeux du druide.
Il fit cependant attention à ce que son ton ne soit pas trop provocateur.
– Je sais, s’amusa l’autre dans un étrange sourire. Kerzé l’a en sa
possession, il l’a enfin sortie de sa cachette. Je dois avouer que ça
m’arrange bien…
– Kerzé ! L’homme fulminait, ainsi il a bien l’arme et je suppose les deux
gamines avec lui ? Et dire que j’en avais une…
– Oui effectivement, tout ce que tu dis là est vrai ! Tu n’as plus qu’à
trouver un moyen de te rattraper...
Le druide porta son attention sur un vase. L’objet était beau, gracieux avec
son cou allongé et sa peinture parfaite sur son ivoire. Il le prit dans ses
mains d’aigle alors que Kailse fronçait les sourcils. Sa crainte arriva, le
druide le fit tomber maladroitement ou plus certainement le lâcha, dans le
but évident de l’agacer.
– Oups !
L’humain ne releva pas et fit mine de s’intéresser à sa paperasse. Un frisson
lui parcouru néanmoins le dos, cette œuvre venait du second chaos et avait
une énorme valeur financière ! Une belle pièce de moins dans sa
collection…
– Les elfes noirs vont bientôt se mettre en route, une petite voix leur
souffle d’attaquer Nancalen et les deux frères blancs…
– Quelle petite voix ? Questionna Kailse curieux, mais surtout très étonné
de la nouvelle. Mettre des elfes noirs en marche pour la guerre n’était pas
aussi aisé qu’on pouvait l’imaginer. Aussi redoutables soient-ils, ces êtres
avaient normalement un peu de jugeote.
– La mienne, mais le roi pense que ça vient de toi. Il en a même oublié
qu’il agit pour un humain. Il vaut mieux qu’il ne se rende pas compte de sa
bévue ou sa colère sera terrible !
Morgrine était visiblement très fier de son complot. Les mains dans le dos,
il le toisait avec un sourire aussi radieux que son visage de vieille pomme
lui permettait.
– Je suppose que vous ne comptez pas retirer votre envoûtement ?
Il s’agissait forcément d’un sort.
– Pas tant que je n’aurais pas obtenu ce que je veux.
– Bien.
– Et je veux Atamanthe !
Kailse pouvait faire ce qu’il voulait, il n’était en rien concentré dans ses
papiers. Lui aussi voulait cette épée, comment sa collection pourrait-elle
seulement exister sans une telle pièce ? Sans ce gage de victoire facile ?
Avec l’épée des élues, il pourrait gouverner le monde ! Le druide avait-il
deviné ses pensées ?
– Tu me donneras l’épée !
L’atmosphère se tendit. Le druide ne riait pas.
La porte du bureau s’ouvrit derrière lui, mais il ne fit pas un mouvement.
Un soldat entra dans la salle, penaud de sa propre intrusion, il fit une
révérence à son roi. Sa cape battait ses chevilles et il semblait bien jeune
pour être ainsi enjôlé dans une armée. La tête basse en attendant que Kailse
l’autorise à parler, il ne pouvait s’empêcher de lancer de vifs et discrets
regards au druide, qui lui, ne bougeait pas d’un cil.
– Parle.
– Euh oui !
Le jouvenceau se redressa d’un bond. Il portait un heaume sous son bras
droit, partie d’armure qu’il serrait maladroitement pour se donnait semble-t-
il du courage.
– Nos hommes seront bientôt prêts à se mettre en marche pour Calambe
messire. Nous attendons vos derniers ordres.
– Bien, j’irais voir les généraux dans quelques instants.
– Oui messire.
Le gamin baissa une nouvelle fois la tête et attendit l’ordre qui lui
permettrait de quitter la pièce.
– Avez-vous encore besoin de ce jeune homme ? Questionna le druide en
se rapprochant du garçon dont les prunelles s’affolèrent.
– Non il peut partir.
– Dans ce cas…
Morgrine ne lâchait pas le messager des yeux et ce dernier recula. Il voulut
sortir de la pièce, mais la porte refusa de s’ouvrir, elle semblait
soudainement verrouillée.
– Que faites-vous ? S’inquiéta Kailse après avoir ressenti un mauvais
pressentiment.
– Je vous montre ce que je suis capable de vous faire si vous ne m’offrez
pas mon bien.
Il était acerbe, moins encore que son sourire. Le gamin se retourna dos à la
porte et tenta de le défier du regard. Mal lui en prit, Morgrine leva une main
et le fit voler à l’autre bout de la pièce. Kailse se leva d’un seul mouvement
de son siège et fit un pas de côté pour quitter son bureau. Devait-il
intervenir ? L’idée lui prit, mais pas le courage. Le gamin se releva bien que
Morgrine était loin d’en avoir terminé avec lui. Le vieux druide claqua des
mains et le soldat mit alors ses propres mains sur sa gorge. Il étouffait à
s’en rendre fou et gratta son cou dans cette folie. Vite en sang par ses
propres ongles, il tomba à genoux. Ses yeux étaient vitreux, son visage
perdit son teint si frais de jouvenceau et sa langue se mit à pendre alors
qu’il asphyxiait toujours, grattant cette fois le sol dans un espoir vint et
funeste. Le druide claque une nouvelle fois des mains et le messager tomba
mort, face contre le sol. De la salive sortait de sa bouche déformée. Il était
mort en exemple. Un simple exemple pour amuser ce fou de druide.
– Vous voyez où je veux en venir ? Demanda ce dernier au roi des
Shénèls.
Oh oui il voyait ! L’image était très claire ! On pouvait même dire
limpide…

16
Alliance elfique

Cela faisait presque une heure maintenant qu’ils


se disputaient. Ethantalan était fixe et prostré devant la fenêtre de sa
chambre, un verre de vin à la main. Il faisait danser la liqueur dans le cristal
sous un rayon de lune. Il portait une chemise en soie très large ouverte sur
son torse imberbe par une cordelette de cuir desserrée. Ses longs cheveux
blonds étaient comme toujours détachés et descendaient bas dans son dos. Il
daigna enfin se tourner vers son frère après de longues minutes de silence,
Lycanota patientait adossé à un mur.
– Ainsi, tu n’en démordras pas mon jeune frère ?
– Non.
Leurs yeux se croisèrent. Ils étaient de même couleur, peut-être juste un peu
plus durs pour Ethantalan. Les deux frères se ressemblaient beaucoup
physiquement.
– Tu peux utiliser ton armée comme tu le désires après tout, même pour
sauver de stupides humains si ça peut te faire plaisir et te faire retrouver le
sourire ! Mais tu n’auras pas la mienne.
– Bien… j’espère seulement que tu changeras d’avis lorsque l’armée
Shénèl détruira Calambe.
– Il y a bien peu de chance.
Le sourire de l’aîné n’avait rien d’engageant et le plus jeune oubliait parfois
à quel point son frère détestait le genre humain. Lui-même ne lui portait pas
la plus haute estime, heureusement pas à ce point… Il ne pouvait pas laisser
une population entière se faire massacrer, on aurait besoin de lui et de ses
hommes à Juicy, lorsque Kailse s’apercevrait qu’il ne restait plus personne
à Calambe. Ça leur laissait peut-être deux jours, trois maximums de répit
supplémentaire. Lycanota préféra ne pas insister, il se dirigea vers la porte
de la chambre royale pour en sortir lorsque son frère le héla :
– Tu sembles si malheureux…
Le jeune elfe n’osa pas se retourner. Il aurait bien posé sa tête sur la porte
pour se laisser aller à expliquer tout ce qu’il ressentait au fond de lui, mais
ce n’était pas royal et Ethan n’en aurait pas compris la moitié. Son frère
allait sans reine, aucune femme n’avait encore su percer son cœur de glace.
Il ne savait pas réconforter les gens et s’en moquait. Il aimait uniquement
son statut d’héritier noble et ça lui suffisait à éprouver de la joie. C’était
comme cette chambre, elle était monstrueusement grande, deux fois plus
que la sienne et richement décorée. Que ce soit par les tapisseries ou le lit à
baldaquin recouvert d’or et de soierie, cette chambre sentait le luxe et la
supériorité.
– Je ne suis pas malheureux.
– Bien sûr que si. Tu as la même allure que lorsque tu es parti d’ici et que
tu as disparu.
– Je ne repartirai pas.
– Je sais. Je fais la remarque, c’est tout.
Lycanota pensa qu’il aurait du boire plus de vin, enivré, il n’aurait pas eu
besoin de suivre cette conversation stupide. Avec les vapeurs de l’alcool, on
pouvait passer tellement plus facilement au-dessus des choses. Il ne voulait
pas de cette discussion, encore moins avec son frère.
– Tu passes ton temps avec ces humains à Juicy, tu en oublies tes
obligations ici et même ta femme.
Lycanota ne pouvait décemment pas lui répondre le contraire. Ces dernières
semaines, il avait effectivement été bien peu présent à Nancalen. Quant à sa
femme… Il la fuyait littéralement.
– Si tu acceptais de te battre avec moi, commença-t-il en dirigeant ses pas
vers le grand lit vide de son frère, ce serait plus simple. Nous serions plus
efficaces.
– Je ne vois pas le rapport avec ta tête d’enterrement et tu le sais bien.
Oui il le savait, il cherchait des excuses. Une raison de remplir le trou béant
qui se trouvait en lui. Un trou ? Oui c’était ça. Il n’avait pas vu Kounda
depuis des semaines, son ami lui manquait. Il n’avait plus l’impression non
plus de gagner son argent. Pas que mercenaire soit le meilleur travail au
monde, mais avec, il savait pourquoi on le payait. Là il était riche, juste
riche par son titre et le trésor familial. Et puis il avait peur, une horrible
angoisse lui rongeait les sangs. L’approche de cette guerre certes, mais
également le secret que lui avait légué Kerzé en lui révélant tout. Il n’avait
pas été préparé à ça. Lorsqu’il avait sauvé Kemy avec Kounda, lorsqu’ils
l’avaient arrachée des griffes des gobelins, ils n’avaient jamais songé à une
telle chose. Il avait sauvé cette femme pour un avenir cruel. Il en était
responsable ! S’il n’avait rien fait, elle se serait éteinte dans cette forêt. Ca
aurait été rapide. Là, ça ne le serait pas ! Et c’était sa faute... En quoi la
perte d’une humaine pouvait le toucher autant ? Oui c’était juste une
étrangère, une humaine à la vie de toute façon courte par sa race, alors
pourquoi tant de remords ? Parce qu’elle était une amie ? Parce qu’il avait
espéré plus pour eux ? Il aurait aimé qu’elle porte le collier de sa famille...
C’était indécent, impossible, mais oui, il aurait aimé. Le temps avait passé
et il avait compris, il ne reviendrait pas dessus, cette femme n’était pas pour
lui. C’était pourtant clair, d’ailleurs il l’avait repoussée. Oui, et il avait eu
raison, il avait bien fait de la repousser ainsi. Maintenant, elle avait ce Ley
près d’elle… Il eut une grimace dédaigneuse sans s’en rendre compte.
Avait-il servi de substitut le temps que cet elfe-là arrive ? Non, les dieux ne
pouvaient pas être aussi cruels et puérils. Quoique…
– A quoi penses-tu ? Questionna Ethantalan en finissant son verre d’une
gorgée.
– A rien de spécial, mentit-il en soupirant. Je vais aller me coucher, je suis
fatigué.
– C’est une bonne idée.
Les deux frères échangèrent un dernier regard avant que le plus jeune ne
sorte.
Il ferma la porte rapidement puis soupira à nouveau et attendit une minute
avant de partir. Il était fatigué, mais pas pressé de se rendre dans sa
chambre ou plutôt leur chambre… Mains dans les poches, la tête basse, il
préféra se rendre sur un balcon d’où il aurait une vue imprenable sur les
jardins. La nuit était belle, calme, le ciel étoilé. Il soupira d’aise cette fois. Il
se sentait bien, là, seul face à la nuit.
– Lycanota ?
Il baissa la tête, la trêve avait été de courte durée. Il savait bien qui venait
de l’appeler d’une voix si douce, presque inaudible. Elle ne l’appelait
jamais Ly et cette pensée lui donna un sourire contrarié.
– Hyldenay tu devrais dormir, il est très tard.
– J’en ai assez de dormir sans mon mari.
Sa petite voix était pincée, presque douloureuse, pourtant il ne put que
répondre :
– Je te rejoins plus tard, je dois encore préparer quelques plans de bataille
et des ordres pour mes chefs d’armée.
Il mentait. Tellement effrontément qu’il aurait pu en ressentir des remords
s’il n’avait pas lancé ces derniers sans même réfléchir.
La très jeune elfe baissa la tête, ses mains serrées l’une dans l’autre. Elle
portait une sublime robe de satin rose pâle, ses cheveux étaient
soigneusement peignés et elle portait le collier de la famille de son mari
bien en évidence. Lycanota y jeta un regard et le détourna aussi rapidement.
Il ne prit pas le temps de regarder le visage triste de sa femme, ni même ses
yeux humides. Hyldenay se mordit les lèvres. Elle semblait en avoir gros
sur le cœur. Et ça explosa :
– Si tu ne voulais pas de moi, il ne fallait pas m’épouser !
Cette fois Lycanota se retourna surpris. La voix de la jeune femme était en
colère, il ne l’avait jamais entendue ainsi. C’est à ce moment seulement
qu’il vit son sourire peiné et son visage trop pâle. Il vint enfin à elle et posa
une main au travers de ses très frêles épaules.
– Ne dis pas de bêtises. Je t’ai négligée j’en suis conscient. Excuse-moi.
La jeune elfe se pressa contre lui, un peu rassurée. Ses cheveux sentaient la
lavande et la rose, il remarqua avec quel soin elle s’était semble-t-il
préparée pour lui. Elle s’écarta un peu tout en gardant une main fragile sur
son bras, elle n’en avait pas fini avec sa propre douleur :
– J’en ai assez que tu me rejoignes quelques heures avant le jour pour me
quitter aussi sec au lever de celui-ci. Tu dors dans ton coin, tu m’évites, tu
ne me touches même pas…
Cette fois, elle l’avait fortement pris au dépourvu.
– Je… je travaille beaucoup, c’est la guerre Hyldenay. Je fais ce que je
peux pour satisfaire tout le monde, ce n’est pas facile. Ethan m’a déjà fait la
morale, je n’ai pas besoin de la tienne en plus.
Il lui fit doucement lâcher prise et se détourna, faisant mine d’ausculter à
nouveau les jardins pourtant trop sombres à cette heure de la nuit pour en
apprécier toute la splendeur, regard elfique ou non.
– Lycanota j’ai besoin de toi, je comprends tes obligations et je les
respecte, mais je veux également profiter de mon mari. Je t’aime et si tu
m’as épousée, tu dois faire de même…
Ses mots étaient durs, mais vrais. C’était étrange de la voir parler avec tant
de ferveur, avec son visage de poupée si fragile et ses petites lèvres roses
serrées en cet instant. Il comprit à quel point elle était délicate et
désarçonnée par son comportement. En plus d’être un piètre roi, il était un
bien mauvais époux.
– Je te rejoins tout de suite, dans notre chambre.
Elle ne s’éloigna pas comme il venait de l’espérer, au contraire, elle se
plaça devant lui, l’obligeant à se détourner des jardins et lui prenant les
mains poursuivit :
– Je suis la seule reine, la femme du plus jeune des frères. Je dois te
donner un héritier.
Lycanota ne put s’empêcher de reprendre ses mains et de s’éloigner un peu.
Il n’aimait pas parler de ces choses là.
– Je veux un héritier, insista la jeune elfe avec un aplomb qu’il n’avait
jamais vu chez elle. J’en ai besoin ! Notre peuple en a également besoin
pour se rassurer. Si tu n’as pas le temps de t’occuper de moi le jour, fais-le
au moins la nuit et donne-moi cet enfant qui occupera mes journées et peut-
être te redonnera le sourire !
Il ne s’y était pas attendu et n’y avait jamais vraiment songé, vivant sa vie
sans s’occuper d’elle, trop préoccupé par ses allers et retours à Juicy.
Comment lui refuser ? Il l’avait épousée et c’était justement son devoir
d’époux. Il serra les dents un moment avant d’accepter de lui sourire. Ce
sourire sonnait faux, mais il suffit à rassurer Hyldenay et à faire réapparaître
le sien.

17
Le seigneur noir

Ses pas claquaient sur les dalles du couloir. Elle


progressait vite, très vite, elle n’avait pas pu se retenir plus longtemps. Elle
en avait assez de ce jeu d’enfant qui n’en était pas un. Elle en avait assez de
jouer la naïve, la gentille, la jeune femme parfaite et crédule. Il était grand
temps de lui montrer qu’il avait tort de se jouer d’elle ! Mel avait le visage
fermé, le regard déterminé. Elle ne frappa pas à la porte et la fit claquer
dans son élan. Elle frissonnait de colère, s’énervant seule à faire tourner
dans sa tête ce que lui avait révélé Arienfea.
Yuta venait d’être enterré. Un bel et émouvant enterrement. Dommage que
Kemy dormait toujours, très longue à rompre sa fatigue. Son réveil allait
être douloureux et elle aurait besoin de toute la sagesse et la douceur de Ley
pour le supporter.
Kerzé s’était éclipsé en vitesse après les dernières paroles du prêtre qui
s’était chargé de la cérémonie. Mais Mel savait où le trouver : dans son cher
bureau.
Il releva la tête lorsque la porte claqua. Il avait le nez dans un livre et
n’aima pas du tout l’interruption de la jeune femme. Elle le vit dans les
yeux qu’il porta sur elle, mais elle s’en moquait, ils avaient des comptes à
se rendre.
– Maintenant il faut que l’on parle.
Elle claqua ses mains sur le bureau où elle venait de se précipiter, vieux
meuble au bois vermoulu. Le mage ferma son livre dans un bruit sec, avant
de le dissimuler sous un autre. Il semblait très gêné de son intrusion.
– Pas maintenant, reviens plus tard.
– Oh non !
D’un revers de main, elle fit voler les livres et l’encrier posés sur le bureau.
Le tout heurta un mur et le mage se crispa, à la fois surpris et irrité par tant
d’affronts.
– Que veux-tu ?
Elle se redressa et lui fit face de toute sa stature. Et elle avait fière allure !
Malgré la pièce faiblement éclairée par des torches, il pouvait voir la
détermination qui faisait briller ses prunelles claires.
– Arienfea est venue à moi. Il paraîtrait que vous avez quelque chose à me
dire.
Le mage leva un sourcil, puis fit mine de se moquer :
– La déesse du ciel hein ? Oui bien sûr, c’est assez logique !
Il se leva pour aller rechercher ses livres, riant toujours, mais elle se plaça
devant lui. Ses yeux n’offraient pas uniquement de la détermination, il y vit
également de la colère, une colère lourde et prête à surgir.
– Vous savez très bien que ça l’est ! Vous avez voulu réveiller nos esprits
non ? Donc vous vous doutez bien que nous avons compris, Kemy et moi,
qui nous sommes ?
Oui il avait voulu réveiller leurs souvenirs, pas que la déesse du ciel
intervienne ! Elle n’avait pas ce droit.
– Tu parles pour ne rien dire Mel, sors d’ici et va te calmer auprès des
autres, Shona te cherche certainement partout.
– Je le rejoindrai plus tard, lorsque je saurai.
– Savoir quoi ?
– Comment détruire Atamanthe ?
Ils y étaient. Voici la conversation numéro un que le seigneur noir avait
toujours évitée avec beaucoup de succès. Jusqu’à présent.
– Nous verrons ça plus tard… Tenta-t-il.
– Non !
La jeune femme le repoussa vers son siège avec une telle fougue, qu’il fit
deux pas en arrière. Il se crispa, jusqu’où pouvait-il aller pour éviter le
sujet ? Il songea un instant à lui jeter un sort de sommeil, mais ça ne ferait
que retarder l’échéance.
Si elle le désirait tant…
– Ne le sais-tu pas ? Demanda-t-il en prenant un sourire sournois et en
réajustant ses robes très noblement.
– Je veux dire, comment détruire Atamanthe sans tuer Kemy, sans la
transpercer par l’épée, là-bas, où les pierres des cinq mondes nous
mèneront ?
Le mage leva un sourcil, elle en savait vraiment beaucoup. Ignorait-elle
encore quelque chose ?
– Il n’y a pas d’autre solution.
– Vous mentez, il y en a une autre et vous la connaissez. Je ne vous
laisserai pas en paix tant que vous ne me l’aurez pas avoué ! Et plus même,
si nécessaire…
Kerzé ricana avant de lui lancer d’une voix où effleurait l’agacement :
– Allons Mel, je suis bien plus fort que toi ! Que peux-tu contre moi ? Ne
fais pas l’enfant !
– Une enfant je n’en suis pas une. Répondit l’autre en se rapprochant de
lui, glissant ses yeux azurs et trop expressifs dans les siens. Pas cette fois,
peut-être pour cela que nous vous écoutons si mal ! Quant à mes forces, je
commence à les connaître et à comprendre comment elles fonctionnent…
Vous voulez que je vous montre ?
Il connaissait son statut de rocko, si elle s’énervait, ce n’était pas seulement
cette pièce qu’elle détruirait, c’était le palais tout entier. Il était parfaitement
capable de l’arrêter, pas par sa force physique, mais bien par ses propres
capacités, pourtant, la possibilité d’un tel combat ne l’amusait en rien. Et si
Arienfea surveillait vraiment sa protégée, à quoi pouvait-il s’attendre ?
Idiote de déesse… Ne pouvait-elle pas respecter sa parole ?
– Alors, cette solution ?
– Je ne peux pas te la révéler. J’en ai fait le serment… je n’ai pas eu le
choix.
Ses lèvres étaient tordues dans une étrange grimace. Il semblait sincère.
– Donc il y a bien une solution ! S’exclama Mel le visage soudainement
rayonnant, comment pouvez-vous ne pas nous le dire ? Comment avez-vous
pu laisser faire tout ça ? Nous sommes déjà morts plusieurs fois !
– Je n’avais pas le choix. Il reprit place sur son fauteuil et elle se plaça
près de lui. Je ne suis qu’un pion dans ce jeu macabre, un pion, tout comme
vous.
Elle ne semblait pas prête à le croire. Il s’en moquait, il connaissait mieux
la vérité que la jeune femme. Si elle pensait qu’il était facile de vivre
plusieurs siècles à s’occuper de jeunes protégés voués à mourir, sans
pouvoir rien faire de plus que ce qu’on vous a autorisé, sans pouvoir
intervenir en leur faveur... elle se trompait lourdement !
– Quelle est cette solution ? Pourquoi la garder pour vous ?
– Je te l’ai dit, je ne peux rien te révéler de plus !
– Oui je sais, vous en avez fait le serment. Mais à qui ? Que risquez-
vous ?
Elle avait envie de lui sauter à la gorge et se retenait difficilement. Ses
mains et ses gestes trop brusques montraient son exaspération.
– Je l’ai promis à Mortak, si je parle, il gagnera définitivement mon âme
et une fois près de lui, je ne vous serais plus d’aucune utilité.
Sa franchise la désarçonna. Elle fit un pas en arrière pour mieux observer
son visage. Il ne plaisantait pas. La jeune femme resta sous silence et ce
calme trop lourd plana longuement autour d’eux. Que dire de plus ? Il y
avait un espoir, s’ils le découvraient et l’utilisaient, ils perdaient Kerzé.
S’ils ne tentaient rien, combien seraient-ils à mourir ?
– Vous ne pouvez pas nous laisser mourir comme ça, pas encore une
fois…
Elle avait parlé dans un murmure et en s’écartant définitivement de lui. Elle
revint devant le bureau et dévisagea les livres toujours sur le sol. Elle
n’avait pas envie de mourir, pas envie de disparaître et de n’être qu’une
légende poussiéreuse dans ce genre de livre trop vieux et trop usé. Kerzé
leva les yeux vers le plafond et fit mine de se détendre dans son fauteuil aux
larges accoudoirs.
– Tu as la réponse.
Mel était tellement concentrée qu’elle entendit mal les mots du mage noir.
– Quoi ?
– C’est toi qui as la réponse. C’est toi qui peux tous les sauver. Je ne t’en
dirais pas plus, même si tu décidais de m’arracher le cœur avec ta force de
rocko.
Les yeux de la jeune femme s’agrandirent d’effroi. Elle avait la réponse ?
Elle était la clé de leur salut à tous ? Ça la terrifia ! Elle ne pouvait pas avoir
une si lourde responsabilité sur les épaules. Elle ne pouvait pas être leur
petite pierre magique, leur souffle de vent, la seule petite chose qui pouvait
les tirer d’une mort noire et sinistre. C’était aberrant, effrayant, révoltant !
– Je…
Elle ne pouvait pas parler. La tête lui tournait et elle sentait ses jambes
céder.
– Sors maintenant.
Sans lui offrir un regard, le mage reprit ses livres. Les caressant doucement
de la paume de sa main, il les posa avec la délicatesse d’un amant sur son
bureau. Là, il attendit qu’elle sorte, refusant de lui adresser un mot, un
regard, un geste.
Mel décida de sortir avant que ses nerfs ne la lâchent tout comme ses
jambes qui étaient devenues du coton, ce que ces dernières firent une fois la
porte fermée dans son dos. Tombant à genoux, elle y resta, les yeux
toujours agrandis et la sueur sur le front. N’était-ce pas ce qu’elle avait
voulu ? Savoir la vérité ? Mais comment aurait-elle pu penser que la vérité
était aussi écœurante ?

* * *

Où est-elle encore ? Il faisait chaud, trop chaud,


avait-elle de la fièvre ? Écartant une mèche de cheveux qui lui collait au
visage elle la découvrit noire. Ça recommençait ! Elle tendit ses mains sous
son regard, elles étaient blanches, trop blanches. Traînant des pieds,
terrassée par la fatigue, elle se traîna jusqu’à un large miroir et y tâta sa
peau du bout des doigts. Elle vit ses longs cheveux noirs, sa peau d’ivoire,
ses yeux gris, tristes et sombres, sans vie. Elle semblait fade, presque
malade. Telle une fleur fanée. Fanée par quoi ? Une violente douleur au
ventre la fit se plier en deux. Elle ouvrit la bouche sans pouvoir pousser un
cri et se laissa glisser par terre. La douleur reprit, aussi forte que si on venait
de la poignarder, là en dessous des cotes. Elle voulut se relever pour
rejoindre son lit, mais elle n’y parvint pas, tombant lourdement sous une
troisième douleur. Elle ne put pas s’empêcher de se mettre à pleurer alors
qu’elle découvrit du sang sur sa main. Son ventre s’en couvrit, colorant sa
chemise de nuit blanche. Elle la souleva, mais ne découvrit aucune blessure,
le sang semblait sortir directement des pores de sa peau. Une nouvelle
douleur, fulgurante, lui déchira les entrailles et elle tomba sur le ventre. Elle
voulut appeler à l’aide, mais sa gorge était trop serrée pour émettre un son.
Rampant en pleurant, elle parvint à se saisir de la couverture recouvrant son
lit, ne parvenant finalement qu’à la faire tomber. Abandonnant son idée de
retourner sur le lit, elle se laissa aller sur le dos et laissa également aller ses
larmes.
– Ley aide-moi…
Elle murmura si bas que personne n’aurait pu l’entendre, même à deux
mètres d’elle. Elle hoqueta dans une nouvelle douleur lorsqu’une lumière
éblouissante l’aveugla. Elle porta un bras sur ses yeux et attendit qu’elle se
dissipe. Une fois fait, elle dut cligner des paupières pour retrouver sa
visibilité. Elle dut alors étouffer un cri, son ventre étant entièrement couvert
de sang qui avait coulé jusqu’au sol. Sur la couverture, sous un pli, une
forme longue et fine était apparue. Elle comprit. D’une main tremblante,
l’autre sur sa bouche, elle poussa le tissu et découvrit l’image de toutes ses
tortures. Elle était là, brillante, sans une goutte de sang. L’épée était là,
sortie de son ventre sans y laisser de réelle blessure. Elle n’avait plus mal,
plus de douleur dans son corps qui ne se crispait plus. Mais une fulgurante
sensation de deuil dans son esprit l’empoigna. Elle en eut presque envie de
mourir. Atamanthe était là, elle reposait près de sa porteuse telle un signe
funeste du destin.
Elle était la porteuse, le fourreau d’une épée démoniaque. Elle n’était que
ça, un fourreau…
Elle se réveilla d’un bond, tremblante et sanglotant sur son lit. Ce n’était
qu’un rêve. Un de plus.

18
Larmes de fer

Elle avait fait semblant de dormir lorsqu’il était


entré dans la pièce. Elle sortait à peine de son cauchemar lorsque la porte de
sa chambre s’était ouverte. De ses yeux entre ouverts et en partie dissimulés
sous sa couverture, elle avait vu le jeune elfe entrer. Elle aurait dû se lever
d’un mouvement et se jeter dans ses bras, mais une douleur sourde la
retenait, là, à se morfondre dans son lit. Il avait posé un délicat baiser sur
son front brûlant pendant qu’elle avait gardé ses yeux fermés tout en tentant
d’égaliser sa respiration. Difficile d’arrêter les battements excessifs de son
cœur. Elle avait certainement de la fièvre et ça avait fait froncer les sourcils
de l’elfe, qui était finalement ressorti rapidement, certainement en quête
d’un traitement quelconque. Se redressant à son départ, elle avait jeté les
couvertures à bas pour vérifier son ventre. Intact, pas de sang, pas de tache.
Cette vision calma un peu son cœur affolé. Son rêve lui avait paru tellement
réel. Elle en posa une main sur sa poitrine et ferma les yeux un instant.
C’est alors qu’une nouvelle douleur lui claqua au cerveau, la rappelant à la
réalité. Yuta était mort et ça, ce n’était pas un mauvais rêve. Une boule de
salive se coinça dans sa gorge et des larmes lui montèrent aux yeux. Elle
s’en voulait, il était mort en voulant la rejoindre. Les Shénèls l’avaient
semble-t-il, du peu qu’elle se souvenait, attaqué pour l’avoir, elle. Son petit
frère… Elle laissa les larmes couler sans les retenir, à quoi bon ?
Au bout d’un long et pénible moment, elle décida de se lever. Manquant
de tomber, elle remarqua seulement maintenant que l’une de ses jambes
était en partie bandée. Elle avait beaucoup de peine à se poser dessus et se
mit à boiter pour atteindre le miroir qui se trouvait en face du lit. Là elle vit
un visage cireux, deux yeux cernés et une jolie estafilade sur sa joue. Elle
avait une mine à faire peur ! Finalement, c’était peut-être pour ça que Ley
était sorti si vite !
Boitant toujours, elle fit demi-tour pour retourner au lit, sa tête de mort-
vivant ne lui donnait plus envie de sortir. Elle stoppa à deux mètres une
main sur le cœur, le souffle court. Elle venait de percevoir un appel. Elle ne
savait pas le définir ni pourquoi, mais elle le savait. Tournant la tête vers la
porte elle l’entendit de nouveau. On l’appelait, une voix de femme.
Féminine, la voix était pourtant dure avec un accent étrange. C’était irréel.
Irréel, mais tellement envoûtant ! Totalement hypnotisée par cette voix, cet
accent, elle sortit de la chambre. Traînant sa jambe, grimaçant à chaque pas,
elle s’aida des murs pour ne pas tomber. Elle était lasse et épuisée, pourtant
elle voulait aller voir qui l’appelait ainsi.
Elle ne croisa personne à sa grande joie. Ses pas lents et traînants la
menèrent au bout d’un long moment jusqu’à une porte à larges barreaux
ferrés. Elle l’ouvrit et la passa. La voix était toujours plus forte, irradiant
tout son crâne. Elle ne pouvait l’identifier et ça l’exaspérait. C’était comme
s’il lui manquait un morceau de puzzle, un élément important. Elle
descendit au ralenti un long et interminable escalier, puis un plus petit, elle
s’en voulut d’être aussi lente. Sa marche semblait lui prendre des heures !
Un couloir vint à elle, puis enfin une autre porte. Elle en avait croisé
plusieurs durant sa progression, mais c’était seulement celle-là qui
l’intéressait. Elle l’ouvrit, sûre d’elle. Entrant dans la pièce en traînant sa
jambe, elle ne referma pas la porte. Quatre torches éclairaient le lieu,
l’irradiant d’une lumière jaunâtre. La voix reprit, très forte maintenant. Et
cette fois elle comprit, elle comprit sa duperie et comment elle venait de
tomber dans la gueule du loup. Elle gueule de métal sans dents, pourtant
bien pire pour la déchiqueter ! Elle voulut reculer et tomba. Une douleur
dans sa jambe lui arracha un cri et elle ne put que poser ses mains dessus
dans l’idée superflue de calmer les élancements. Elle ne voulait pas
regarder vers le fond de la pièce, elle ne voulait pas poser ses yeux sur
l’épée, cette épée posée sur un socle de pierre. Qu’Atamanthe aille brûler
dans l’enfer Terrestre, mais elle ne l’approcherait pas ! La voix l’entendit
sûrement, furieuse, elle lui pinça le ventre ce qui fit gémir la jeune femme.
Puis un rire, cristallin, claqua contre les murs de la petite pièce de pierres.
Kemy plaça ses mains sur ses oreilles, la situation n’avait rien de joyeuse
pour elle. Elle aurait tant voulu pouvoir partir en courant. Plus encore
lorsqu’elle vit la forme de l’épée onduler. La lame et la garde brillante
ondoyèrent longtemps avant de devenir une boule de lumière. Une lumière
jaune et vive comme du feu. La jeune femme se leva aussi vite qu’elle le
put avant de retomber, sa jambe trop fatiguée venant de céder. Elle vit la
lumière venir vers elle et s’arrêter un instant pour l’observer. A quoi bon
attendre ? A quoi bon essayer de réfléchir ? Tout était tellement inévitable !
Ainsi, brusquement et d’un coup, la sphère entra en elle, directement dans
son ventre sans brûler ni déchirer sa chemise de nuit.
Elle, elle ne put que hurler comme une démente…

– Kemy ?
Ley sortit en trombe du bureau de Kerzé qu’il était venu voir pour lui
demander quelques herbes médicinales. Il voulait faire baisser la fièvre de
son aimée. Le mage sortit à sa suite, il avait entendu lui aussi ce hurlement
déchirant.
– Elle n’est pas dans sa chambre…
– Je l’y ai laissé, elle dormait !
Mel fit irruption dans le couloir, elle semblait à la fois sereine et affolée, un
drôle de mélange qui donna des frissons au jeune elfe.
– Tu as entendu ? Demanda-t-il à son amie.
– C’était Kemy, c’est comme si j’avais entendu son appel dans ma tête.
– Atamanthe !
Les jeunes gens se tournèrent vers le mage qui venait de crier ce nom. Ce
dernier se frottait les tempes et secouant la tête de gauche à droite. Il
semblait éberlué.
– Quoi Atamanthe ? Questionna Mel cette fois très mal à l’aise,
s’attendant à toutes les réponses possibles.
– Elles se sont retrouvées…
Ley se jeta sur lui, plus rapide qu’un félin, le mage ne put l’éviter et l’elfe
s’accrocha au col de ses robes noires.
– Ne me dites pas qu’Atamanthe est ici ! Qu’avez-vous fait ?
Kerzé ne répondit pas et ne chercha pas à se dégager. Il se sentait mal,
moralement très mal. Il ne pouvait pas leur expliquer, ils ne l’auraient pas
cru.
– Kerzé ?
– En bas, dans les sous-sols.
Ley le lâcha. Si la déraison avait eu le droit de le prendre, il serait allé
chercher son épée et s’en serait servi contre ce mage se voulant leur ami.
– Ley viens, laisse-le.
Mel le tirait par le bras et il mit un moment à réagir. Se retournant enfin
vers elle, il accepta de la suivre. C’est finalement en courant qu’ils se
rendirent sur les lieux. L’elfe était perdu dans ce dédale de portes,
d’escaliers et de grisaille, mais Mel savait parfaitement où se rendre. Elle
n’entendait pas de voix, l’épée était silencieuse pour elle. Elle savait, c’était
tout.
Ils arrivèrent vites dans la petite salle aux torches et au socle de pierre.
Kemy était allongée par terre, sur le ventre, elle respirait fort, ses mains
crispées sur sa tête. Ley se jeta sur elle pour la prendre dans ses bras, mais
elle se débattit violemment en poussant des cris telle une bête sauvage. Elle
mit longtemps à se calmer, refusant toutefois que le jeune elfe ne l’approche
de trop près. Désolé, abattu, il se porta deux mètres devant elle et lui offrit
de sa voix la plus douce et la plus tendre :
– Kemy, ma douce, écoute-moi, je ne t’abandonnerai pas, je te l’ai
promis. Je suis là d’accord ? Je suis là et j’y reste.
Il avait envie de pleurer, cependant, il devait retenir ses larmes. S’il
s’effondrait devant elle, c’était foutu, il la perdrait. Atamanthe était là, tapie
en elle, dans ce corps si gracile, attendant son heure pour qu’une main la
brandisse, la main de Mel, la seule à pouvoir le faire. C’était ainsi. La
légende d’Atamanthe avait été écrite de cette façon. L’épée maudite avait
besoin des deux femmes pour vivre et trancher. Tel était le devoir des élues.
Telles seraient leurs morts également. Une larme pointa à l’œil de Ley et il
l’essuya rageusement.
– Kemy écoute-moi, ça va aller, je te le promets. Fais-moi confiance, s’il
te plaît. Ma femme…
L’interpellée releva les yeux. Ils étaient comme brûlants, incandescents et si
douloureux. Elle serrait ses jambes contre elle, oublieuse de sa jambe
blessée.
– Je t’aimais, je t’aime et je t’aimerai. Tu te rappelles ? Je ne
t’abandonnerai jamais, tu entends ?
La douleur dans ses yeux diminua et leurs flammes également. Kemy se
détendit légèrement, alors que des larmes coulaient en flots incessants sur
ses joues.
– Donne-moi ta main, demanda-t-il en se rapprochant et en lui tendant la
sienne.
Elle ne bougea pas, les crispant au contraire plus fort encore autour de ses
jambes.
– Kemy, prends la main de Ley.
Elle parvint à lever la tête vers son amie qui était restée longuement figée
devant le socle de pierres, si vide en cet instant. Les poings de Mel étaient
fermés au point d’en faire blanchir ses phalanges. Ses yeux bleus étaient
devenus gris de colère et ses lèvres un seul et unique pli, promesse de
profond courroux. Elle aurait aimé tout casser, tout mettre en miettes dans
cette pièce. C’était agréable à imaginer, mais irréalisable, car elle ne se
serait pas arrêtée à cette salle, elle n’aurait pas la force de se contenir
suffisamment. Elle arrivait difficilement à regarder Kemy, cette dernière
affichait une telle affliction que ça lui déchirait le cœur. Cette triste image
eut au moins le but de lui faire prendre une énorme décision : elle allait
trouver la solution à leurs malheurs ! Elle allait trouver comment détruire
Atamanthe sans tuer son amie. Il le fallait. Aucun doute n’était permis à
cette heure.
Elle fit quelques pas vers elle et se pencha un peu pour lui parler :
– Nous allons détruire Atamanthe, nous allons la réduire à un état de
métal fondu, non de cendres ! Elle disparaîtra et nous resterons vivantes,
nous resterons tous vivants ! Et je tuerai de mes mains s’il le faut tous ceux
qui nous en empêcheront...
– Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour t’aider, ajouta Ley pour
Mel.
Les deux jeunes gens se lancèrent un hochement de tête pour réponse. Leur
amitié était forte et le serait plus encore maintenant. Pour le moment,
l’important était de ramener Kemy dans sa chambre et surtout dans le
monde des vivants, ensuite… Ensuite ils devraient parler tous ensemble de
ce qui les attendait.
– Kemy, prends ma main.
L’interpellée posa son regard sur le membre tendu. Dans les tourments de
son esprit elle vit le bandage sur le bras gauche du jeune elfe. Ley était
blessée. Oui, son bras cassé, elle se souvenait. Dans un pli de sa conscience,
là où elle dérivait, elle revit les images du combat contre les Shénèls. Juste
quelques images, puis la douleur reprit et l’emporta à nouveau dans son
flot.
– Rappelle-toi, le pays des fées. On y retournera, une fois tout ça terminé,
on y retournera et on y restera longtemps cette fois.
Nouveau regard, nouveau signe de conscience. Le jeune elfe attrapa cette
perche et insista, la voix douce, suave :
– On se baignera dans la rivière, on fera l’amour sous la cascade. On
mangera ces fruits bleus et trop sucrés que tu aimes tant. Et tu danseras avec
les fées. Kemy…
Les yeux de la jeune femme reprirent une teinte normale. Ses lèvres et sa
peau quelques couleurs. Mel ne put s’empêcher de soupirer de soulagement,
tellement rassurée et apaisée qu’elle prit place dans l’un des quatre fauteuils
ornant la pièce.
– Ley ?
– Oui c’est moi. Prends ma main !
Elle la prit. Et lui la mena contre lui, la faisant tomber dans ses bras où elle
se pelotonna et s’accrocha, refusant de le lâcher. Il la laissa se presser
contre son torse. Caressant ses cheveux de ses doigts délicats, il se prit à lui
susurrer une comptine en elfique, petite litanie réservée normalement aux
enfants. La berçant doucement, il lui embrassa le front sans perdre son
refrain. La chanson sembla faire son effet et dans ses bras, Kemy arrêta de
trembler.

19
Recommencement

Shona regardait le ciel et ses étoiles, la lune et la


noirceur de la nuit. Mel venait de le prévenir, lui racontant les derniers
événements avant de repartir au chevet de son amie. Ley était également là-
bas et refusait de laisser Kemy seule. Il faudrait la surveiller encore
longtemps, au cas où son esprit recommencerait à se perdre et à dériver. Ce
qui lui arrivait, Shona ne le souhaitait à personne, pas même à elle. Ou peut-
être à Morgrine, oui le druide le méritait, lui qui le tourmentait depuis sa
plus jeune adolescence. Ce druide fou et meilleur ami de Mortak méritait
toutes les tortures de Wélhandy, quelles qu’elles soient. Le jeune homme
laissa sa tête se poser sur le muret de pierres. Il avait envie de s’enterrer
dans un trou, de se cacher et de ne plus rien voir. Encore fallait-il qu’il ne
rêve pas et que ses nuits soient vides, autrement, il verrait toujours ce qui le
torturait.
Le temps était passé vite. Ils étaient tous vivants. Pour le moment, aucun
élu n’était porté disparu. Tous avaient survécu aux dernières attaques. Il y
avait des blessés, mais ils s’en remettraient, même Kemy, certainement.
Elle aurait une phase de dépression, elle vivrait un vide sans fond. Elle
survivrait toutefois à cette nouvelle épreuve. Elle était assez forte pour cela.
Elle était une rocko et voilà pourquoi. Il fallait être une rocko pour
supporter d’être le porteur d’Atamanthe. Comme il fallait être une rocko
pour savoir brandir l’épée sans tomber à genoux, en larmes. De plus, elles
n’étaient pas que des rockos, elles étaient également des favorites, des
enfants chéries de deux déesses. Chéries ? C’était à se poser la question en
vérité. Un destin si dur, si tragique… Voilà ce qu’était l’aboutissement de
leurs vies. Vivantes ou mortes, ce serait leur fin.
Shona frappa du poing sur la pierre, insensible à la douleur. Il frappa
jusqu’à s’écorcher la peau. Tout recommençait. Et tout recommencerait
éternellement s’ils ne gagnaient pas cette fois. Comment être vainqueurs ?
Comment parvenir à détruire l’épée sans tuer les élues ? Il avait su garder sa
langue autrefois, et ne pas avouer aux jeunes femmes ce qui attendant l’élue
de la terre. Elle était morte, puis Mel était finalement morte à son tour, mais
pas cette âme de métal qui les torturait. Ils étaient tous morts, puis ils
étaient tous revenus. La fois suivante, c’étaient les jeunes femmes qui
étaient mortes les dernières. Elles les avaient vus mourir les uns après les
autres avant de perdre une nouvelle fois et de tomber ensemble, chacune
sous l’arme de l’autre, entrelacées dans la mort. Et ils étaient revenus. Ils
étaient tous à nouveau là, prêts à affronter l’inévitable. Il attrapa le muret de
pierres à pleines mains et hurla de toutes ses forces. Hurlant jusqu’à ce que
sa gorge le fasse souffrir. Des larmes perlèrent à ses yeux, mais il les refusa.
Il n’était pas homme à pleurer facilement, il préférait cacher ses sentiments.
Seule sa colère, trop forte, trop dure à contenir, était souvent visible. Sa
tendresse, son affection, il ne les montrait qu’à son aimée. Il ne voulait pas
que cette dernière meure. Il ne voulait pas la perdre. Il pria doucement pour
mourir avant elle, cette fois de plus. C’était stupide, il ne devait pas mourir,
il devait la protéger jusqu’au bout, mais s’il avait le choix, il préférait
mourir que la voir périr. Il ne serait pas capable de la voir s’éteindre, de voir
son corps tomber, inerte. Sa belle couleur et la rougeur de ses joues
s’évanouir dans un souffle de vent. Ce n’était pas possible à envisager.
La nuit était superbe, bien plus que son esprit. Dehors tout était enfin
calme. Les badauds qui avaient franchi les portes dans un incessant flot
avaient été logés dans des cabanes, des tentes… Des familles entières
étaient venues prendre refuge ici. Toutes de Calambe. Les hommes, eux,
pour les plus jeunes, les plus vigoureux, les plus entraînés également,
seraient de la bataille.
Il en avait oublié cette guerre. Comme si le reste ne suffisait pas, il fallait en
plus faire avec les Shénèls ! En tout cas, sa colère lui permettrait de lutter
contre eux sans se poser de question. Au contraire, tuer des Shénèls était un
calmant meilleur que la plus efficace des plantes ! C’était curieux
d’imaginer que tuer des hommes pouvait lui calmer les nerfs, c’était même
sadique, mais acceptable face à la situation. Parfaitement acceptable !
En plus d’Atamanthe, en plus de Morgrine, en plus de la guerre, il y avait
encore cet homme. Un mage avait dit Kemy et c’était logique vu ce qu’il
était parvenu à faire pour lutter contre la magie de Kerzé. Ce devait même
être un très bon mage. Ce que Shona ne comprenait pas, était cette histoire
d’enfant. La jeune femme avait-elle dit toute la vérité ? N’avait-elle rien
omis ? Il avait envie de la croire, même il ne pouvait échapper à l’un de ces
propres rêves, ce rêve suggérait un détournement de situation, un
revirement. Elle en était responsable. Est-ce que cette responsabilité
montrait qu’elle croyait en ce mage ? Est-il une clé importante ? Il se frotta
la tête, passant ses mains dans sa tignasse rebelle.
Il ne devait pas réfléchir, ainsi seul dans la nuit avec ce qui venait de se
passer. C’était mauvais, il se torturait plus que nécessaire. Il regarda une
dernière fois les étoiles. Il devait rentrer, rejoindre les autres et discuter des
derniers événements. Ils devaient faire le point tous ensemble.
Il n’en avait pas envie, il n’en avait pas besoin. Il devait le faire et c’était
tout.
Après une dernière œillade au ciel, il se dirigea vers l’intérieur du palais.
Oui, tout recommençait et ça lui donnait mal au cœur.
A suivre...

Liste des personnages principaux ou importants

– Kerzé : Mage très puissant, à l’âge inconnu et à l’apparence jeune.


– Atamanthe : L’épée vivante et légendaire des dieux.
– Mel : Comme on se prend à l’appeler sur Wélhandy. Son nom Terrien est
Lylye Loubel.
– Shona Simli : Humain originaire de la Cité bleue.
– Dînnorclay Habeldynez : Elfe mercenaire.
– Kemy : Comme on se prend à l’appeler sur Wélhandy. Son nom Terrien
est Syndel Duhaumé.
– Leyistanay Clanoyda : Appelé Ley par tous, elfe de Calyes.
– Yuta : Très jeune mage noir, encore apprenti.
– Garon Hélyros : Humain, ami d’enfance de Ley.
– Régord Coupeterre : Nain de Tor.
– Khano : Haute elfe.
– Yosséchi : Très puissant mage noir, d’apparence jeune, certainement par
ses ascendances elfiques.
– Hane : Le double de Kemy, un Ancquà croisé Garuda, oiseau légendaire.
– L’Enaralda : Arbre sans âge, gardien du temple de Shane à Ven.
– Morgrine : Druide très puissant et maléfique malgré ses origines
magiques, a vendu son âme à Mortak en échange de ses pouvoirs.
– Loki : Loup géant, descendant des Lyriants.
– Kailse An Inésy : Grand chef des Shénèls. Mage et empereur de cette
secte.
– Lycanota Sylmarius : Elfe blanc et prince de Nancalen.
– Ethantalan Sylmarius : Prince elfique de la contrée de Nancalen, le plus
vieux et autoritaire des deux frères.
– Angel Calam : Prince de la cité de Calambe.
– Sann Dargos : Le dragon de Juicy, souverain de ces terres.

Liste des personnages secondaires ou moins importants

– Kounda : Centaure. Ami de longue date de Lycanota.


– Hyldenay de la maison de Calys : Reine de Nancalen et épouse de
Lycanota.
– Aydana Lynn : Elfe noire d’Ezaten.
– Olabarka : Etalon noir de Kemy offert par le roi de Tankala.
– Amano : Petit garçon orphelin. Demi-elfe.
– Galda : La femme qui s’occupe d’Amano lors des absences du groupe.
Elle est la propriétaire de la maison leur servant de toit.
– Syltarlang Du Trèshaut : Futur maître de Yuta.
– Minora Achalha : Fût, il y a maintenant longtemps, une grande prêtresse
de Shane dans le temple de Ven.
– Jijussâm : Un pitiscussien.
– Légot Le Fouiner : Grand voleur originaire de la guilde de Lidzurja.
– Tolny Dugordan : Compagnon de route de Légot.
– Seth : Dragonien de Juicy.
– Claknak : Un draguenos de la cité de Juicy.
– Jikaldérè : Un mage Shénèl, homme plutôt important et estimé par le
chef de l’ordre des Shénèls.
– Fernos Estélan : Elfe noir d’Ezaten. Fiancé d’Aydana.

Précisions de lieux, de peuples et autres

– Pitiscussiens : Leur Dieu et maître est Pitiscus. Petits bonhommes de la


taille d’un très jeune enfant, qui portent, la plupart du temps, des tenues aux
couleurs vives. Ils ont toujours les cheveux longs. Pitiscus ayant créé cette
race grâce à la magie, ces petits êtres pensent être de grands magiciens.
Hors le seul pouvoir qu’ils aient toujours est d’apparaître et de disparaître à
leur guise. A savoir qu’il existe une formule pour appeler un pitiscussien :
«Venez à moi grands magiciens, enfants de pitiscus...» Ne jamais dire d’un
pitiscussien qu’il n’est pas magicien. Ils ne travaillent jamais gratuitement,
mais n’étant pas attirés par l’argent, ils se servent en objets divers avec une
préférence pour les bijoux. S’ils ne reçoivent pas leur gain, ils poursuivent
la personne jusqu’à que celle-ci cède. Ils ne vieillissent pas et semblent
vivre plus longtemps encore que les elfes et les nains.
– Les Shénèls : Secte très fermée, constituée de mages et de guerriers.
Gardent jalousement leurs secrets, quitte à aller jusqu’à tuer pour cela. Ont
leurs propres lois, n’ont peur de personne et on l’envie de guerres faciles.
– Wersing : Chevaux appartenant aux barbares de la région de Tankala,
dite : La contrée des wersings. Leur puissance, leur force et leur rapidité les
rendent légendaires. Ils sont malheureusement sauvages et même agressifs
envers les hommes et autres peuples non barbares.
– Les Rockos : Les rockos sont des démons. Êtres humains, elfes, nains ou
d’autres races, avec une âme démoniaque, n’apparaissant à eux qu’à leur
première grande colère. Une tache indélébile se forme alors sur leur cou,
prouvant leur race. Les rockos ont une force aussi sourde et redoutable que
celle des berserkers, ils n’ont néanmoins pas forcément une âme noire. Leur
déesse est Shorane.

Dieux et déesses selon la mythologie Wélhandienne

– Mortak : Dieu de la mort.


– Woll : Dieu forgeron des nains.
– Arienféa : Déesse du ciel. Fille d’Agazys dieu du soleil et d’une humaine.
Créatrice des oiseaux et des nuages.
– Symé : Déesse de la terre. Fille de Shane la déesse de la lune et des elfes
et d’un humain.
– Agazys : Dieu du soleil, mari de Shane qui règne d’une main de fer sur
les autres dieux.
– Shane : Déesse de la lune et épouse d’Agazys le dieu du soleil. Créatrice
des elfes.
– Zagute : Déesse des démons, fille de Mortak et de Tycho.
– Shorane : Déesse rocko, fille de Zagute et d’un chevalier du nom de
Férul De Kalti.
– Kiz : Dieu de la fête et de l’humour.

Mots elfiques

– Jiane : Précieux.
– Khano : Guide.
– Ley : Tolérant.
– Dînn : Inconstant.
– Garon : Bienveillant.
– Régord : Grincheux.
– Leula nos klane, salanm moy lo téndi e més jisu : Paroles des ans,
ouvrez-moi le chemin de mes ancêtres.
– Amara : Humain.

Mots Tankaliens

– Olabarka : Fièvre noire


– Kalktai : Fonce.
DU MÊME AUTEUR

2013 L’écaille et la plume - Plumes, Ecailles et Pixels

2014 Le Pub aux démons - ELP Editeur


© Plumes Ecailles et Pixels 2013
ISBN pour la version numérique : 978-2-9601279-5-9

Tous droits réservés pour tous pays

Auteur : Nessendyl
Couverture : Nessendyl - Modèle : kuoma_stock
Maquette : Nessendyl
Correction : Lee (Aurélie Dengis)
Création de Wélhandy : Nessendyl (Pamela Lefranc) et Ophélie Saulnier

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