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Liliane s'était immobilisée, essayant de comprendre toute l'histoire, d'un bout à

l'autre.
Adrien avait été amené par un elfe, qui l'avait charmé et sans doute lui avait promis
bien des merveilles. Cet elfe, un adepte de Margnor, avait amené l'adolescent, sous
sa forme elfique, au Temple Azuré, et l'avait laissé enlever la Pierre Féérique. Et cet
acte, commis par un humain, avait pu libérer Margnor et sa malveillance.
Et, à cause de cela, on avait envoyé d'autres membres du Petit Peuple chercher un
sauveur - et Liavus était revenu avec Liliane.

- Combien ont été envoyé pour trouver un héros pour votre Peuple ? demanda
Liliane à Riel, qui semblait connaître bien trop de choses.
- Beaucoup. Et si certains revinrent, ce fût les mains vides. Qui croit encore aux
lutins et aux fées, chez les Hommes, de nos jours ? rétorqua t-il, avec un brin
d'amertume qui fêla sa jolie voix habituellement joyeuse.
- Moi j'y crois, souffla Liliane inutilement.

Riel lui glissa un coup d'oeil reconnaissant.

- Pourquoi était-il si important que je vois Adrien ? demanda Liliane, en repoussant


une mèche de cheveux derrière son oreille ronde.

Les yeux et les oreilles ne pouvaient être camouflés. Elle voyait à présent, dans la
tignasse hirsute, le bout rond des oreilles d'Adrien. Elle aurait du le remarquer dès le
départ, mais il était si débraillé qu'elle n'avait rien vu. Ses yeux également étaient
trop clairs, trop ... humains, en fait. Il avait sans doute préféré se cacher des autres
membres du Petit Peuple, car tout le monde aurait reconnu là un humain venu du
monde des Hommes.

- Pour que tu vois que lui aussi est en train d'engranger du pouvoir. Parce qu'il est
ici, et qu'il croit. Certes, c'est la peur plutôt que la réelle foi qui pousse son
organisme à épanouir sa magie, mais voilà le constat : chaque humain possède en
lui cette étincelle de magie qui vient de votre monde. Hélas, parfois, elle s'éteint
faute de connexion avec notre monde. Que vous puissiez voir notre Royaume, nous
parler, nous découvrir, tout cela attise cette petite braise en vous. N'aie crainte,
Liliane : ta magie sera puissante, car elle est ton héritage, autant que les contes et
les légendes que te racontait Isabelle.

Liliane se serra les mains l'une contre l'autre. Rencontrer quelqu'un qui avait connu
sa grand-mère, alors qu'elle était elle-même d'âge avancé, relevait presque du rêve.
L'émotion lui prenait le coeur, embuait ses yeux. Elle se rappelait les mille et une
petite choses que sa grand-mère et elle faisaient, quand elle était petite. Mettre des
coupes de lait frais pour les elfes et les lutins, près des fenêtres. Prendre garde à ne
jamais abîmer pruniers, sorbiers ou noisettiers car ils étaient fait d'un bois magique
qu'utilisaient le Petit Peuple. Sortir en pleine nuit - au grand dam des parents de
Liliane, à cette époque là ! - pour observer les lucioles, et les ombres ; Isabelle disait
toujours que c'était là la lisière des deux mondes, et que peut-être ces mêmes
ombres étaient-elles des elfes en maraude ?

Liliane inspira profondément pour faire passer la boule de nostalgie qui l'emplissait.
Et réalisa que, plongée dans ses pensées, une lueur dorée avait auréolé ses mains.
Paume contre paume, elles étaient là devant elle, serrées, lumineuses et
étincelantes. Elle eut un glapissement et la douce lueur s'éteignit, mais quand elle
leva les yeux, Riel lui souriait plus chaleureusement que jamais ; Adrien, lui,
l'observait d'un air médusé. Il semblait ne pas comprendre grand chose à ce qu'il se
passait, uniquement qu'il n'avait pour le moment pas trop d'ennuis et cela lui
suffisait. Liliane se demanda si la magie leur avait offert différentes sortes de
pouvoir, ou s'ils puisaient dans l'énergie magique humaine, sans distinction. Est-ce
que Adrian pourrait illuminer ses mains lui aussi ? Elle retint gravement que c'était
les souvenirs de sa grand-mère, le sentiment de nostalgie douce qui avait éveillé en
elle cette lueur de magie humaine.

- Le fait qu'Adrien est le voleur de la Pierre Féérique doit être notre secret.
- Pourquoi ça ? demanda Liliane, bien qu'elle fût d'accord : le Conseil risquait d'être
sévère envers l'adolescent, qui n'avait été que manipulé, en fin de compte.
- Honnêtement ? Car le Conseil risque de vouloir lui faire subir sa vengeance pour
nous avoir tous mis en danger. Margnor n'est pas un simple félon. Mais c'est
également car je suis capable de voir bien des choses, et ce petit est important,
surtout pour vous.

Riel eut une petite grimace malicieuse, mystérieuse, laissant Liliane perplexe. Adrien
était important pour elle ? Le farfadet sourit, dévoilant ses dents pointues ; son
visage sombre et âgé se plissa sous l'amusement qu'il ressentait. Il leur fit signe de
le suivre, et ils retournèrent à petits pas vers la capitale. Liliane était dans ses
pensées, mais elle avait du mal à contenir son émerveillement et son soulagement.
Sa magie s'était enfin dévoilée ! Il n'était pas trop tard pour combattre Margnor. Elle
allait pouvoir aider le Petit Peuple, sauver ses amis, ses compagnons, tout ce savoir
et cette féérie. Elle sentit son coeur se gonfler d'espoir : elle ne laisserait pas Margor
gagner !

***

Liavus tendit une chope de lait au miel à Liliane, peu discret dans sa façon de jeter
des coups d'oeil à Adrien. Riel avait annoncé au Conseil et aux curieux que ce petit
elfe était son protégé - un humain venu de l'autre côté, pour aider Liliane. Tous
l'avaient cru ; quelle raison les aurait poussé à mettre en doute la sagesse et la
parole de l'Ancêtre ? Puis elle avait pu parler à Osna et aux autres membres du
Conseil à propos de sa magie. Osna lui avait conseillé de s'entraîner, et on sentait
chez elle le désir ardent d'aller en finir avec Margnor. On lui révéla que son avancée
était une véritable tempête : au Nord une jour, puis au Sud, il semblait attaquer les
petits villages, les voyageurs et les bâtiments du Peuple avec une facilité
déconcertante ; malgré les guerriers envoyés pour maintenir l'Empereur Noir, il
laissait derrière lui ruines et morts. Beaucoup de personnes avaient débuté un exode
vers la capitale, et Osna savait que déjà, Rilfendre était saturée par les nouveaux
habitants. Elle craignait qu'au fur et à mesure, le Peuple manque de nourriture, mais
surtout que Margnor ne profite du chaos et de l'organisation hasardeuse dûe au
Peuple qui arrivait sans cesse pour attaquer Rilfendre. Liliane avait promi
d'apprendre le plus rapidement possible à utiliser son pouvoir.

Assise par terre en tailleur, elle profitait de ce moment de répit pour manger quelque
chose. Riel les avait laissé pour vaquer à ses occupations - il ne pouvait être
l'Ancêtre sans avoir des responsabilités, leur avait-il expliqué. Liavus s'était pourtant
méfié immédiatement d'Adrien - peut-être parce qu'il voyait en la présence d'un autre
humain une rivalité avec sa participation au sauvetage du Petit Peuple. Liliane
s'amusait de le voir grimacer en observant les oreilles arrondies de l'elfe. Elle-même
avait les mêmes oreilles, mais Liavus avait décidé de ne pas apprécier la forme de
celles d'Adrien par pure jalousie.

- Merci, murmura l'adolescent en buvant le lait au miel. De toute évidence, cette


nourriture basique ne lui plaisait guère.
- Tu peux m'expliquer encore une fois pourquoi on reste avec lui ? maugréa Liavus
d'un ton boudeur.
- Parce que l'Ancêtre Riel nous l'a demandé ? rétorqua Liliane en reposant sa chope
vide.

Elle s'amusait du comportement de son ami, mais elle avait surtout envie de
s'entraîner à nouveau. Elle avait l'intime conviction que, puisqu'à présent elle pouvait
puiser en ses émotions pour user de sa magie, les étapes suivantes seraient moins
compliquées. Délaissant les deux garçons qui se chamaillaient, elle se concentra sur
son passé. L'image de sa grand-mère n'eut aucun mal à apparaître dans son esprit :
cheveux courts et blancs, yeux bienveillants, sourire doux et toujours un rien amusé,
comme si elle connaissait des secrets du monde que personne ne pouvait
comprendre ; cela avait sûrement été le cas, d'ailleurs. Liliane chercha dans son
puits de souvenirs, et remonta celui d'un automne où elles étaient allées cueillir des
pommes sauvages. Isabelle ramassait également des plantes médicinales,
inculquant à sa petite-fille un savoir qui lui venait de sa propre grand-mère et qu'elle
souhaitait voir Liliane hériter. Elle se souvenait des lucioles qui avaient voleté dans
le crépuscule, et sa grand-mère qui lui disait que peut-être des lutins chevauchaient
ces insectes lumineux, ou qu'ils éclairaient les pistes pour de petits chasseurs aux
oreilles pointues.

- Oh, par les oreilles de Novus !

Le juron étrange de Liavus résonna ; elle avait clos ses paupières et plissé tout son
visage dans son effort pour se concentrer, mais à présent qu'elle rouvrait les yeux,
elle voyait à nouveau cette douce lueur dorée, comme si ses mains s'étaient
changées en petits soleils. Cela ne lui faisait pas mal, au contraire. Elle sentit
quelque chose se briser en elle, comme une digue retenant trop d'eau ; elle inspira
et par sa simple volonté, traça par des gestes lents des symboles dorés dans l'air.
Elle fit se résorber puis s'amplifier la luminosité de ses mains.

- Essaye d'ouvrir un Vallon Féérique.


- Ce n'est pas trop ... trop difficile, pour un premier essai ? bégaya Liliane, perdant
un peu de sa confiance en elle.
- Si tu n'essaies pas, tu ne sauras pas !

Liavus était excité comme une puce, ses grands yeux écarquillés d'émerveillement.
Liliane puisa encore dans ses doux souvenirs partagés avec sa grand-mère,
récoltant cette nostalgie douce-amère qui lui servait de carburant. Elle se concentra
à nouveau, et se mit à imaginer un portail, comme une porte immobile dans l'air
devant elle, un miroir sur un autre monde. C'était très clair dans ses pensées : ovale,
un peu plus grand qu'elle, une ouverture sur un autre monde où le temps était
différent. Elle se demanda si ces vallons étaient des poches du monde du Petit
Peuple, ou d'autres mondes encore ; cela n'avait aucune importance, tant qu'elle
pouvait contrôler la temporalité de cet vallon féérique.

Rien ne se passa, et elle sentit une grande fatigue s'emparer d'elle. Mais, au dernier
moment où elle allait abandonner, se disant qu'elle tirait sur la corde et avait été trop
ambitieuse, quelque chose dans l'air comme un tourbillon de couleurs jaillit, puis
s'étendit pour dresser une architecture féérique. Comme une porte sous une arche
invisible, l'intérieur de la maison disparaissait devant eux pour dévoiler un petit lac et
de la verdure. Liliane eut un petit cri, étonnée de sa réussite, et sa déconcentration
fit disparaître aussitôt le portail. Mais elle avait réussi ! Elle avait su, dès que sa
magie avait jailli, qu'elle en serait capable. C'était comme un verrou qui avait sauté
et qui permettait à présent à sa puissante magie humaine d'exister. Elle inspira
doucement pour calmer son coeur affolé, et éclata d'un rire enjoué quand Liavus la
prit dans ses bras et la fit tournoyer dans un excès d'euphorie.

- Tu as réussi ! Non pas que j'en ai douté, mais ... Tu as réussi, Liliane ! Ma petite
humaine ! s'écria t-il, avant de claquer ses lèvres sur le front de Liliane en un bisou
mouillé et trop enthousiaste.
- Lâche-moi, tu m'étouffes, gloussa t-elle avant d'être redéposée doucement au sol.

Elle était toujours fatiguée, mais la sensation était agréable parce qu'elle découlait
de sa réussite. Elle se savait en capacité de rapidement se contrôler, de manipuler
cette magie en elle. Et c'était tant mieux, car alors qu'Osna entrait en les voyait en
pleine effusion de joie, elle interrompit leur liesse :

- Margnor marche sur Rilfendre. Il n'est plus très loin, et il sera là demain à l'aube,
d'après nos éclaireurs. Toute son armée est avec lui, golems de terre et de mousse,
farfadets et korrigans, elfes et lutins traîtres. Nous disposons de guerriers mais ...
Liliane ?
- Oui ?
- Par pitié, dites-moi que vous serez assez forte pour le vaincre !

C'était la première fois que Liliane entendait un tel désespoir dans la voix de l'elfe, et
cela lui fit l'effet d'un électrochoc. Tout cela était bien réel. Margnor allait les
rejoindre et tout mettre à feu et à sang. Il comptait réussir là où il avait échoué si
longtemps auparavant ; que Liliane soit là ou non ne changeait rien selon lui. Elle
inspira puissamment : elle allait lui montrer qu'il avait tord ! A cette pensée, ses
mains luirent doucement d'une lumière rouge.

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