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Liliane attendait, calmement assise sur un siège qui ressemblait à s'y méprendre à un

champignon. Peut-être en était-ce un. C'était drô lement confortable, en tout cas. Elle ne
cessait d'observer tout son corps : elle avait rétréci, jusqu'à atteindre la taille d'un elfe.
Elle se sentait pleine d'une vitalité surnaturelle, et avait retrouvé sa jeunesse, sa vigueur.
Elle n'en revenait pas, et aurait pu passer des heures à démasquer chaque petit
changement positif. Mais elle n'en eut pas le temps : Liavus pénétra dans la petite pièce
où elle patientait, une chope de bois à la main qu'il lui tendit. Quand elle s'en saisit et
goû ta, elle sourit. Du lait au miel.

- Le Conseil est prêt à t'accueillir.

- Entendu, murmura t-elle, intimidée.

Elle but le lait, et reposa la chope avant de le suivre derrière un nouveau rideau végétal.

Il semblait exister peu de portes, et tout était séparé par des lianes fleuries, du lierre, des
draperies de plantes aux multiples couleurs. Il y avait aussi une odeur particulière, pas
désagréable mais entêtante, que Liliane ne reconnaissait pas. Elle entra dans la pièce
ronde, éclairée par un bouquet de fleurs en clochettes tout en haut du plafond. Ils étaient
dans le tronc gigantesque d'un arbre, et il était percé de quelques trous qui faisaient
office de fenêtres. C'était très bien éclairé, et très peuplé : toute une bande de lutins,
d'elfes et de fées était assise, l'air impérieux, en demi-cercle face à la porte. Liliane se
mordilla la lèvre, nerveuse. Elle remarquait les différences entre les espèces : les fées
étaient jolies, avec de grandes ailes dans le dos, de papillon, de libellule, d'abeille, et elles
étaient vêtues de pétales de fleurs ; leurs yeux n'avaient pas d'iris, ils étaient juste d'une
seule couleur, un peu métallique, argentée, dorée, cuivrée. Liliane fut surprise de voir
quelques garçons dans le tas des fées.

Puis il y avait d'autres elfes, comme Liavus, avec des oreilles et des dents pointues, l'air
malicieux, les cheveux indisciplinés et fins comme les aigrettes du pissenlit, avant qu'on
ne souffle dessus et qu'elles s'envolent. Il y avait des lutins, à l'allure déjà vieille, à la
longue barbe, avec des lunettes et des habits élégants, à la peau ridée, comme du cuir
brun resté trop longtemps au soleil. Liliane n'aurait su faire la différence entre les
garçons et les filles, parmi les lutins présents. Enfin, il y avait une race qu'elle ne
reconnaissait pas : la peau toute noire comme de l'obsidienne, toute recouverte de
tâ ches blanches, des yeux entièrement blancs, des cheveux tout aussi blancs, des dents
très pointues, et des oreilles très longues, plus longues et pointues que celles des elfes.

Liliane observait tout ces gens, devant elle, et réalisa qu'elle était immobile et muette. Et
qu'ils semblaient tous attendre qu'elle prenne la parole. L'elfe au centre, qui semblait
présider la séance, toussa puis l'invita d'un geste à s'avancer vers eux. Liliane se sentit
troublée ; elle portait ses vêtements de grand-mère, elle avait l'impression de ne pas être
à sa place, dans cet environnement calme, naturel, doux

- Bon-bonjour ... débuta t-elle, en jetant un coup d'œil à Liavus.

- Voici mon humaine ! clama celui-ci, nullement décontenancé d'être la cible de tous les
regards.
- Très bien, Liavus. Laissons-la se présenter. Vas-y, encouragea la même elfe du centre
des tables.

Liliane inspira, puis donna son prénom, son â ge humain, ce qu'elle avait fait dans sa vie,
autrefois : elle avait travaillé dans une usine pour créer des fleurs avec du tissu. Mais elle
vit l'ennui dans les regards, et coupa court en posant une question :

- Qu'est-ce que vous voulez que je fasse, pour vous aider à vaincre Margnor ?

Tous sursautèrent ; ils ne s'attendaient visiblement pas à ce qu'elle entre dans le vif du
sujet. La vieille elfe eut un petit sourire amusé.

- Tu l'as donc déjà mise au courant, Liavus. Cela nous évitera de perdre du temps.
Humaine Liliane, tu as accepté de venir en aide au Petit Peuple. A présent, nous allons
t'expliquer ta mission. Il y a bien longtemps, Margnor a été une menace pour nous. Il
nous réduisait en esclavage, faisait régner la terreur. Mais nous avons pu faire appel à
une humaine du monde extérieur, et elle nous a aidé à l'enfermer dans un sarcophage
magique. Hélas, celui-ci a été ouvert : la pierre féérique qui maintenait le sarcophage
fermé a été volée, et cela a déclenché son ouverture. Il nous faut retrouver cette pierre,
et réussir à enfermer à nouveau Margnor dans ce sarcophage de pierre.

- Et où se trouve cet empereur maléfique, à présent ?

- Dans les marais. Il y a élu domicile, et y prépare ses plans diaboliques. Déjà , certains
golems de pierre et de mousse ont rejoint ses rangs, ainsi que d'autres membres du Petit
Peuple, sû rement charmés par l'idée d'être du cô té des vainqueurs. Car, ne nous faisons
pas d'idée : nous craignons tous la venue de Margnor, et nous avons peu de chance de le
vaincre à nouveau, avec la même astuce que l'humaine d'autrefois ...

- Il n'y a aucun autre moyen de le vaincre ? De façon définitive ?

- Margnor, sans que nous puissions l'expliquer, était insensible à presque toutes nos
magies. C'est avec l'aide de l'humaine que nous avons façonnés la pierre féérique. Mais
les plans de sa création sont tombés dans l'oubli, nous avons été négligents ... Je ne sais
pas si retrouver la pierre suffira. Nous ne savons pas comment elle fonctionne, ni
comment fonctionne le sarcophage.

Avouer son ignorance la mettait en colère. Autour d'eux, les membres du Petit Peuple
bavardaient, l'air inquiet.

- Nous pensons qu'il était trop puissant. Sa magie était incroyable, féroce, sauvage. Il
commandait à des bêtes gigantesques, il était capable de devenir invisible, ou de changer
en pierre quiconque lui déplaisait. Tant de puissance devait lui permettre d'être presque
invincible. Nous, les Anciens, pouvons nous rappeler que le Petit Peuple en appelle
toujours aux humains de l'extérieur, quand nous sommes menacés. Les humains
trouvent toujours des solutions.
Elle posa son regard insistant sur Liliane. Est-ce qu'elle voulait une solution tout de
suite ?!

- Je, heu ... Est-ce que vous avez des archives ? Des documents qui parlent de l'humaine
qui était venue, à l'époque de Margnor ? Ou d'autres humains qui vous auraient aidés,
autrefois ? Cela pourrait m'aider à comprendre beaucoup de choses.

Comment les humains avaient trouvé une solution, par exemple. Parce que là , elle ne
trouvait rien. Elle ne savait rien de ce Peuple, comment pouvait-elle les secourir ? Elle
devait tout d'abord enquêter, sur Margnor, sur la magie féérique, sur ce monde qu'elle
venait de rejoindre.

- Il existe effectivement de vieux écrits pleins du savoir antique, mais ils ne sont pas ici.
Personne n'a le droit d'y pénétrer, hormis les Anciens, dit-elle en plissant les paupières,
caressant son menton d'un air pensif. Laissez-nous, nous allons discuter de toutes nos
options pour que vous puissiez au mieux nous aider, Humaine Liliane.

C'était un ordre, celui de partir. Accompagnée de Liavus, elle fit le chemin en sens
inverse jusqu'à la pièce où elle avait attendu. La chope qu'elle y avait laissé avait
disparue, sû rement quelqu'un qui était venu la chercher. Liliane sortit du bâ timent dans
le tronc de l'arbre, et marcha de quelques pas derrière Liavus avant de lever les yeux :
fées et petit peuple chevauchant des insectes ailés passaient en vrombissant, en
froufroutant, éclairés par les fleurs lumineuses. Liliane sourit doucement. Elle ne pouvait
laisser cet empereur maléfique briser cette féérie.

- Viens, je vais te montrer quelque chose, gloussa Liavus en la prenant par la main et en
la tirant derrière lui.

Liliane se laissa faire, docilement. Elle avait hâ te d'en apprendre plus sur ce monde.
Liavus s'arrêta près d'un arbre coupé, dont la souche servait d'insectoport. Liliane eut
un hoquet émerveillé : coccinelles, libellules aux ailes bleues, vertes, dorées, abeille,
scarabée, tous portaient de minuscules selles et harnais, adaptés à la formes de leurs
corps. Ils étaient parqués dans de petit enclos, et des membres du petit peuple allaient et
venaient, certains montant sur un insecte avant de décoller, tandis que d'autres
atterrissaient, parfois avec quelques cris car c'était un grand bazar vrombissant.

- C'est extraordinaire, murmura Liliane en s'approchant d'une libellule.

L'insecte approcha sa tête ronde, ses longues ailes bleues ondulant derrière elle. Liliane
caressa l'arrière de la tête, impressionnée par les très grands yeux à facettes, aussi bleus
que le reste de l'insecte.

- Les libellules sont rapides, mais je préfère les scarabées, ils sont très utiles dans les
combats aériens.

- Les combats ?
- Quand nous voyageons dans Brokélia, nous n'utilisons pas forcément le Réseau du
Feuillage. Nous avons parfois besoin de récolter du miel, des champignons, des
noisettes. Alors, comme nous ne pouvons prendre forme humaine à Brokélia, nous
utilisons nos insectes de voyage. Et les scarabées sont utiles pour repousser les chats ou
les rapaces.

- Vous êtes attaqués par les animaux ?

- Oui, je te l'ai déjà dis, s'impatienta Liavus. D'ailleurs, avant d'arriver chez toi sous forme
humaine, j'ai failli me faire manger par un chat noir. Saleté de félin, grommela t-il. Si
j'avais eu un scarabée, il aurait moins fait le malin ! Nos scarabées, ceux avec de longues
mandibules ou ceux à cornes, sont formés aux combats pour pouvoir nous défendre.

- Un chat noir ?

Est-ce que cela pouvait être Merlin ? Son chat errant avait-il failli manger Liavus ? Elle se
sentit coupable, sans savoir pourquoi. Elle préféra changer de sujet, et elle en avait un
tout prêt sur lequel sa curiosité avait besoin d'être rassasiée.

- Liavus, le Conseil a parlé d'un sarcophage, d'une pierre féérique, est-ce que tu peux
m'en dire plus ? demanda t-elle, tout en continuant de gratter la libellule qui avait l'air
d'aimer ça.

L'elfe se mordilla la lèvre, faisant ressortir le pointu de ses dents. Ses yeux bleus
évitèrent Liliane alors qu'il cherchait ses mots, son visage aux traits fins devenu soudain
grave.

- Il y a eu une humaine venue de l'extérieur, il y a plusieurs siècles de ça. Mais ça pourrait


tout autant faire une année, ou dix, ou mille chez vous, comme notre temps passe
différemment du vô tre.

- Il y a des légendes là -dessus, des amoureux qui s'enfuirent de chez eux pour fuir leurs
parents, qui entrent dans un cercle de champignon, qui atterrisent dans un endroit
féérique, et quand ils en ressortent, pour eux il ne s'est passé que quelques heures, mais
dans le monde humain, des années sont passées. Mais, j'y pense ... Est-ce que cela voudra
dire que ... quand je rentrerai, moi ...

- Oui, le temps est différent ici, pour toi comme pour les autres.

- Je n'avais pas pensé à ça, dit Liliane, horrifiée.

Elle songeait que ce n'était peut-être pas une si bonne idée que cela. Sa famille, même si
elle la négligeait, était importante pour elle. Elle ne voulait pas voir disparaître son
époque, même si elle s'y sentait seule. Liavus remarqua son changement de
comportement, et revint à la question première, désespérant qu'elle ne veuille repartir
dans le monde humain.

- L'humaine a cherché auprès des Anciens de l'époque. Elle a trouvé une façon de créer,
avec la magie de chez nous et son esprit humain, la pierre féérique. Ne me demande pas
comment, je ne sais pas. Et elle a réussi à piéger Margnor dans le sarcophage du Temple
d'Azur. Les récits qui content ce haut fait sont ... disons qu'ils ne sont pas tous d'accord.
Certains lui prêtent une puissante magie humaine, d'autres mettent en avant son astuce,
enfin les derniers, les plus rares, parlent d'une alliance avec Margnor.

- Une alliance ? Comment ça ?

- Il se serait laissé enfermer, en fait. Ils auraient passé un pacte. Mais c'est le récit le
moins populaire. L'humaine a été une héroïne, puis elle est repartie chez elle, dans son
monde.

Liliane soupira. Elle craignait le monde dans lequel elle retournerait. Déjà , elle perdait
l'envie d'aider le Petit Peuple, car si ces aventures lui semblaient merveilleuses et
sublimes, elle ne voulait pas être une héroïne ici, le temps de quelques instants, pour
retourner chez elle et ne plus connaître personne.

- Liavus, Liliane.

La voix était féminine ; ils se retournèrent, délaissant les insectes près d'eux qui s'étaient
approchés, espérant peut-être une goutte de miel ou des caresses. Liliane posa les yeux
sur l'elfe qui avait présidé le conseil, et elle était accompagnée d'une fée et d'un lutin - à
moins que ce ne soit une lutine ?

- Nous avons accepté ton entrée aux Archives. Nous pensons que cela t'aidera à y voir
plus clair, à en apprendre plus sur nous et nos coutumes, mais aussi sur Margnor. Les
Scribes pourront t'aiguiller, ils sont ceux qui s'occupent des Archives.

- Où sont ces Archives ?

Le Petit Peuple faisait tout pour qu'elle les aide. Liliane se sentit tiraillée entre son
amour pour ceux qui l'attendaient, à l'extérieur de ce monde féérique, et pour le devoir
qu'elle avait d'aider ces peuples désespérés. Elle ne pouvait les délaisser - ou alors, si ils
trouvaient un autre humain, peut-être ...

- Liavus t'y emmènera, elles se trouvent dans la forêt de Brokélia, mais pas dans notre
capitale. Vous devrez prendre des montures volantes pour y aller, elles se trouvent en
hauteur. Mais quelque chose semble te préoccuper, remarqua l'elfe en passant ses mains
dans la manche opposée.

- Le temps. Ce que je vis ici, chaque minute, chaque heure, peut être une année ou une
poussière de seconde chez moi. J'ai une famille, des amis, des voisins. Je ... Je ne veux pas
les abandonner, disparaître, pour revenir plus tard, quand tous auront disparus,
s'étrangla Liliane, émue.

- Je vois. Nous pourrions nous arranger pour user de notre magie et t'éviter ce genre de
désagrément. Néanmoins, il s'agit de beaucoup d'efforts de notre part, tu comprends ?
- Vous ne ferez ces efforts que si je vous aide, comprit Liliane d'un ton froid.

Ce n'était ni plus ni moins que du chantage. Elle ne savait pas ce qu'elle devait en
penser ; elle était en colère, mais en même temps, cela arrangeait tout. Elle secoua la
tête, repoussa ses cheveux qui avaient reprit leur teinte noire comme autrefois, avant
qu'ils ne deviennent blancs.

- Très bien. J'irai aux Archives avec Liavus, et je ferai tout pour trouver une solution
pour Margnor, si vous me promettez ici et maintenant d'user de votre magie en ma
faveur, quand je repartirai.

- Si tu ne trouves pas de solution, il sera de toute façon difficile de te faire repartir,


remarqua la fée aux ailes colorées de papillon.

- Notre magie devrait être mieux utilisée, pour combattre Margnor, par pour répondre
aux caprices d'une humaine, maugréa la lutine - c'en était une, Liliane reconnu une voix
féminine.

- Cela la motivera peut-être encore plus à nous aider, trancha l'elfe en chef. Nous
acceptons de mettre à ton service notre magie pour retrouver ton époque et ton temps,
lorsque tu auras fait cesser la menace de Margnor. Sommes-nous d'accord ?

- Oui, murmura Liliane.

Liavus et elle reçurent deux paquetages pour la route, ainsi qu'un parchemin scellé du
sceau du conseil, un hibou. Ils avaient un peu de voyage à faire, et on leur prêta deux
libellules rapides aux selles confortables. Liliane fû t conseillée, car elle n'avait jamais
monté quoi que ce soit, ni libellule, ni scarabée, ni même de cheval dans son propre
monde. Liavus était déjà en l'air, faisant quelques acrobaties avec sa libellule rouge,
l'encourageant d'une voix enthousiaste. Liliane inspira, monta sur sa libellule bleue puis
décolla, non sans s'accrocher avec terreur au pommeau de sa selle. Elle craignait de
tomber et serraient les genoux autour du corps longiligne de l'insecte. Autour d'elle, les
ailes vrombissaient, presque invisibles, ne laissant sur les yeux qu'une impression de
flou coloré.

- Allez, suis-nous ! lança Liavus, avant de s'élancer vers les hauteurs de la capitale.

- Attends-moiiiiiiii, cria Liliane, alors que sa libellule suivait docilement, beaucoup trop
rapidement à son goû t.

Elle sentait que le voyage allait être long, jusqu'aux Archives.

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