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Le Temple Azuré était sublime.

Liliane, encore à moitié endormie de son trajet,


écarquilla les yeux devant le bâtiment. Il ne s'agissait plus d'un lieu en symbiose
avec un autre. C'était tout de petites pierres blanches, avec des frontons dignes des
temples grecs, les fresques montrant cette fois des fééries et des lutins. Il y avait ici
et là de jolies pierres brillantes de couleur ; Liliane douta qu'il s'agissait de matériaux
précieux, comme du rubis ou du saphir, mais c'était magnifique car ils réfléchissaient
la lumière et inondaient la lumière dorée de reflets colorés. Elle avança doucement,
pleine d'un respect grandissant. Lavius, à ses côtés, ne manifesta pas le même
sentiment de révérence : mains dans les poches, coudes levés, il gonfla les joues et
produisit des sifflements du bout des lèvres. Liliane lui jeta un regard agacé ; tout
chez lui était inconscient et gamin.

- Dépêchons-nous, ou les portes vont se sceller, marmonna Peiros après avoir


attaché l'attelage un peu plus loin.

Lavius et Peiros avaient expliqué à Liliane le fonctionnement du Temple Azuré lors


de leur voyage. L'astre solaire était seul à maîtriser les portes de cet antique
bâtiment ; la nuit scellait son ouverture jusqu'au matin. La rumeur disait que c'était
pour éloigner ceux qui n'oseraient pas montrer leurs actes en pleine journée. Sous-
entendu, pour éloigner les voleurs et les brigands de cet endroit sacré. Peiros avait
également expliqué, d'un air confus, qu'autrefois existait une garde spéciale pour
garder le Temple et ses Trésors, mais que depuis que Margnor les avait pillé, la
garde s'était dissoute. Liliane avait demandé si, alors que Margnor était enfermé
dans un sarcophage de ce Temple, il n'aurait pas été logique de reformer cette
garde, pour surveiller le sacrophage. Peiros avait marmonné une excuse, selon lui
personne n'aurait eu envie de voir sortir ce terrible tyran. Ils avaient eu tord, songea
Liliane avec un air exaspéré. Mieux valait, selon elle, donner dans l'excès de
prudence. S'ils avaient engagés quelques membres du Peuple pour garder le
sarcophage, rien de tout cela n'aurait eu lieu. Mais il était inutile de ressasser ce qui
n'avait pas été fait.

Ils pénétrèrent dans l'ombre fraîche du Temple. Posé dans une prairie à l'abri des
yeux Humains - Peiros avait été vague sur ce point - le sanctuaire était un havre de
paix. Personne ne s'en approchait, pas même les animaux. Il était en forme de
rectangle, avec au milieu une gigantesque fontaine dont l'eau avait, selon les
légendes, des vertus magiques. Deux couloirs, un à droite, un à gauche, donnaient
accès à deux salles de chaque côté. Peiros expliqua qu'y étaient, autrefois,
entreposés les trésors du peuple, des objets magiques ou précieux, mais qu'à
présent il n'en restait plus rien. Quelques souris - aussi grosses qu'eux - fuirent
devant le bruit qu'ils firent en ouvrant les portes. Il régnait ici une atmosphère humide
et poussiéreuse qui fit éternuer Liliane. Elle avait le goût de moisi sur la langue, et
les yeux qui pleuraient comme lorsqu'elle avait ses allergies au pollen.

- Voilà la pièce où est entreposé le sarcophage.

La pièce était semblable aux autres, rectangulaire, ornée de champignons lumineux


plantés là des siècles plus tôt et qui avaient avalés les murs pour créer des rideaux
végétaux phosphorescents. Liliane approcha à petit pas du sarcophage : large,
grand, d'une forme humanoïde, il était ouvert et le couvercle posé à côté, brisé en
deux morceaux. Liliane vit le trou parfaitement rond où aurait dû se trouver, sans
doute, la Pierre Féérique. La pierre était nue, sans dessin ni fresques. C'était comme
si l'on avait voulu rendre ce tombeau anonyme. Elle frissonna et vint étudier le
sarcophage, y promenant les doigts. Il y avait là une énergie forte, palpable, qui
remontait le long de son bras et parcourait son corps comme un courant électrique.

- Lavius, ne casse rien, d'accord ? demanda Peiros, assis contre un mur, lisant les
textes qu'il avait apporté à la lumière fongique.
- Toute cette poussière déplacée, cela aurait été trop beau d'y voir des empreintes
qui soient claires.
- C'est étrange, il y a des symboles, mais pas sur le couvercle ou sur le sarcophage,
mais au sol, remarqua Liliane, son attention revenue par terre aux paroles de Lavius.
- On s'en fiche, non ? C'était là bien avant Margnor. Il y a des traces de pieds, mais
elles sont incomplètes. On a traîné des objets, ici et là - sûrement le tyran, quand il a
récupéré ses armes.
- Vous aviez entreposés ses armes à côté de son sarcophage ?
- Cela nous semblait logique : cette pièce était toute entière dévouée à recceuillir ce
qu'il avait corrompu. Son corps, son épée fée, tout le reste.
- Il y a un soleil, et une lune, non ? continua Liliane, en repoussant la poussière
ancienne du bout des pieds.

Elle s'accroupit et entreprit de nettoyer le sol pour étudier les symboles, Lavius
grognant à côté d'elle qu'elle éliminait toutes les preuves d'un quelconque passage.
Liliane rétorqua qu'ils savaient bien que quelqu'un était passé, étant donné que la
Pierre avait été volée et le sarcophage ouvert. Elle continua de dépoussiérer, et se
releva quand elle eut délivré de sa gangue de saleté un bon morceau de sol.

- Il y a des éclairs, aussi, et ... c'est une ... Ombre ? Silhouette ? Et ce ne sont pas
des lutins et des elfes, là ?
- Sûrement, oui, bougonna Lavius, les bras croisés sur le torse.
- Qu'est-ce que cela veut dire, Peiros ?

Le vieil elfe était absorbé par sa lecture et tourna distraitement la tête vers Liliane.

- Aucune idée, ma chère.

Liliane leva les yeux au ciel, mais fut interrompue dans ses réflexions par Peiros qui
reprit la parole.

- Je crois que j'ai trouvé quelque chose de première importance. Ecoutez donc : la
Sauveuse venue de l'Extérieur tira sa magie d'elle-même. C'est ce qui incita Margnor
à vouloir la vaincre, mais leurs pouvoirs étaient comme égaux, semblables en leur
puissance. L'Humaine était venue avec sa propre Magie, différente de celle du
Peuple, et seule à pouvoir nous sauver. La Sauveuse trouva cela en elle, la puisant
dans son for intérieur. Elle raconta, plus tard, qu'il s'agissait d'un acte aussi simple et
réflexe que celui de respirer. Elle exprima cette satiété, cette sérénité qu'elle trouvait
pour entrer en phase avec cette Magie, regrettant ... Le texte est déchiré alors, mais
voilà ce qui nous intéresse. La Magie humaine est donc inhérente au for intérieur.
Vous devriez pouvoir la trouver en vous, Liliane. Faites donc.

Les derniers mots laissèrent Liliane abasourdie, plus encore que la lecture de
Peiros. Faites donc ?! Certes, le texte exprimait une facilité déconcertante à trouver
cette magie de la part de sa grand-mère, mais tout de même ! Inspirant pour chasser
les émotions qui l'assaillaient, Liliane s'assit en tailleur, appréciant la souplesse de
son corps et la fraîcheur des pierres. Elle avait déjà vu ce genre de chose : il fallait
se concentrer, ne plus penser à rien, comme les méditations. Elle avait fait du yoga,
pour ses articulations, et elle voyait à peu près comment faire. Elle inspira,
longuement, expira, et s'efforça de ne plus penser, les yeux fermés.

- Tu l'as trouvé, ta magie ? demanda Lavius au bout de ce qui parut quelques


minutes à Liliane.
- Peut-être pourrais-je la trouver si tu ne m'interrompais pas.
- C'est qu'il commence à être tard. La lumière ne va pas tarder à disparaître, la nuit à
tomber. Vous chercherez votre magie en cours de route, d'accord ? s'empressa
Peiros.

Liliane apprit qu'elle était restée sans rien dire un bon petit bout de temps, bien plus
que les quelques minutes qu'il lui avait semblé. Lavius l'avait même cru endormie. Ils
sortirent du Temple à petits pas pressés ; Liliane jeta un dernier coup d'oeil à la
fontaine. L'eau était claire, et quelques insectes déguerpirent sur les murs lumineux.
L'endroit était vraiment magique, comme des ruines féériques. Liliane eut un rire
intérieur - c'était exactement ce que c'était non ? Des ruines féériques, dont la
quiétude avait été brisée. Ils sortirent dans la lumière chiche du crépuscule. La
plaine verdoyante s'était transformée en mer herbue presque bleue dans la
pénombre. Liliane passa la main dans ses cheveux empoissés de sueur. Il faisait
bien plus chaud au dehors ! Leur attelage, attaché à quelques pas de là à un
arbuste, vrombissait. Les quatre libellules semblaient nerveuses ; peut-être avaient-
elle soif, après être resté plusieurs heures au soleil. Liliane voulut caresser une
grosse tête ronde, mais l'insecte s'ébroua et se dandinna, apparemment irrité ou
impatient.

- Liliane !

Le cri de Lavius la fit se retourner : les deux elfes étaient devant les portes du
Temple, Lavius ayant sûrement attendu le vieux Peiros et ses petits pas de vieillard.
Mais la peur qu'elle vit sur leurs deux visages la fit pivoter lentement vers l'origine de
leur terreur : autour de la plaine, des buissons épineux pleins de mûres se
transformaient peu à peu en une forêt. Et de sous les frondaisons jaillirent les
silhouettes massives de ce que Lilina devina être des golems. Lourds, trapus, ils
ressemblaient à des formes humanoïdes de glaise, de boue et de mousse, de pierre
et de brindilles. Ils semblaient très puissants, leurs bras pendant jusqu'au sol ; ils
avaient la démarche des gorilles auxquels ils ressemblaient d'ailleurs. Leurs petits
yeux sombres se perdaient dans les méandres de leurs visages tordus. A leurs
côtés, quelques elfes et lutins se glissèrent dans la plaine, les traits tirés. Puis, dans
un froufrouement délicat, une énorme silhouette poilue les devança : un rat au
pelage sombre, au museau pointu, aux yeux rouges et déments. Mais si Liliane se
sentit sous ce regard prédateur comme un morceau de fromage, ce ne fut rien
comparé à la terreur sans nom qui la vit vaciller quand une voix, venue d'au-dessus
du rat, prononça son nom.

- Liliane. Quel adorable prénom que voilà.

Elle leva des yeux écarquillés jusqu'à la silhouette qui chevauchait le rat. Longiligne
et drapé de vert sombre, des cheveux longs tressés et blancs, un visage buriné, qui
aurait pu paraître beau sans cette expression malveillante et avide. Il sourit,
dévoilant des dents blanches et pointues.

- Voici donc l'Humaine qui fait bruisser toutes les feuillages du Réseau depuis deux
jours ? Vous devez être bien exceptionnelle pour avoir été choisie. Je suis curieux
de savoir en quoi l'on vous a préféré à d'autres. Enfin, cela ne m'empêchera pas de
vous annihiler, sachez-le.

Liliane ne bougeait pas, les membres paralysés par la peur qui se coulait en elle
comme du plomb fondu. Elle ressentait, sans savoir comment, la puissance qui
émanait de cet homme coincé entre l'humanité et le petit peuple. Même son
apparence était un mélange des deux. Lavius fut soudain à côté d'elle, un poignard
à la main, les traits convulsés en une grimace. Il était appeuré, comme elle, et ils
avaient bien raison. Ne se trouvaient-ils pas devant le malveillant empereur qui avait
failli réduire le Petit Peuple en cendres ?

- Avez-vous perdu votre langue, Humaine ? Cela m'aurait plu de converser avec
vous. Dommage.

Il se tut un instant, pencha la tête ; quelques tresses dansèrent sur ses épaules avec
une grâce qui parut ridicule à Liliane. Il sourit, doucement, presque délicatement,
avant de lancer son ordre avec un calme horrible.

- Tuez-les.

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