Vous êtes sur la page 1sur 34

Cahiers d'études africaines

Morphologie du conte africain.


Madame Denise Paulme

Citer ce document / Cite this document :

Paulme Denise. Morphologie du conte africain.. In: Cahiers d'études africaines, vol. 12, n°45, 1972. pp. 131-163;

doi : https://doi.org/10.3406/cea.1972.2775

https://www.persee.fr/doc/cea_0008-0055_1972_num_12_45_2775

Fichier pdf généré le 16/05/2018


DENISE PAULME

Morphologie du coûte africain

La plupart des travaux récents présentant des contes africains les


classent encore en contes merveilleux contes de urs contes sur les
animaux Ainsi le respectable abbé Walker dans ses Contes gabonais
sépare les contes de fée ou récits merveilleux qui se passent dans un
pays enchanteur des contes proprement dits apologues fables où
défilent tour tour gens et bêtes Ruth Finnegan pour sa part dis
tingue les contes de urs stones about people) les mythes origine
et les histoires animaux2 Mais on trouve des contes qui relèvent de
plusieurs catégories car ils attribuent facilement les mêmes actions aux
hommes aux choses et aux animaux Il arrive souvent que les contes
sur les animaux contiennent un élément de merveilleux inversement
les animaux peuvent jouer un rôle important dans les contes merveilleux
Aucun chercheur ayant déclaré classer ses textes selon un tel modèle
ne conforme entièrement il placera tel conte dont les acteurs sont des
animaux dans la catégorie des contes merveilleux parce il le senti
ment une différence profonde que ce conte présente avec les autres
contes animaux et est parce il se contredit que son classement
est exact
Fondée sur le sujet de intrigue mise en uvre la grande classification
Aarne Contes sur les animaux II Contes proprement dits
III Anecdotes fournit un inventaire de contes-types qui rend grand
service aux chercheurs mais le découpage est purement empirique si
bien que attribution un conte une rubrique demeure toujours
approximative3

WALKER Contes gabonais Paris 1967 12


FINNEGAN Limba Stories and Story elling Oxford 1967
AARNE The Types of the Folktale Helsinki 1911 Dernière édition
traduite et élargie par Thompson Helsinki 1964
Aarne divise les contes merveilleux qui forment une sous-classe en sept caté-
132 DENISE PAULME

Une classification ne saurait non plus reposer sur les seuls motifs
dont assemblage forme un récit car aucun motif est indécomposable
si court soit-il un énoncé comprend toujours plusieurs termes dont
chacun est permutable mais les partisans de ce mode de classification
ne tiennent évidemment pas compte de ces changements
Enfin les classements établis par les Africains eux-mêmes toujours
précieux pour ethnographe ne peuvent être ici un grand secours car
ils se limitent le plus souvent une distinction entre histoires vraies
mythes légendes historiques récits exemplaires didactiques ou édi
fiants et inventées récits humoristiques ou fables animales) la fron
tière entre les deux genres avérant fluide des récits qui ont le caractère
de mythes dans une société sont des contes pour autres et inversement
Comment ne pas être frappé par le double aspect du conte une part
son extraordinaire diversité son pittoresque haut en couleur et autre
part son uniformité non moins extraordinaire sa monotonie est de
cette double constatation que Propp est parti pour écrire sa Morpho
logie du conte1 appuyant sur le principe on trouve dans tous les
contes des valeurs constantes et autres variables Propp attache
distinguer les unes des autres et parvient une découverte capitale le
conte prête souvent les mêmes actions des personnages différents ce qui
change ce sont les noms et les attributs des personnages ce qui ne change
pas ce sont leurs actions les événements relatés2 partir de cette obser
vation essentielle Propp est efforcé isoler les fonctions entendant par
ce terme action un personnage définie du point de vue de sa signifi
cation dans le déroulement de intrigue analyse de cent contes de
fées russes lui permis de dégager une suite de trente et une fonctions
correspondant aux principaux actes et événements relatés éloignement
interdiction transgression interrogation tromperie etc vrai dire
aucun conte ne présente toute la série des fonctions il des lacunes
mais celles-ci assure Propp ne brisent pas la chaîne et ne changent en
rien emplacement des fonctions subsistantes diverses séquences pour
ront donc malgré les manques être considérées comme relevant un
même type que la juxtaposition permet de rétablir Soit les séquences
suivantes

gories ennemi magique le conjoint magique la tâche magique auxi


liaire magique objet magique la force ou la connaissance magique autres
éléments magiques Mais que faire des contes où la tâche magique est exécutée
aide un auxiliaire magique ce qui arrive fréquemment ou des contes où épouse
magique est justement cet auxiliaire magique
PROPP Morphologie du conte Paris 1970 Nous citons après la traduc
tion parue aux du Seuil qui suit la deuxième édition russe datée de 1969
La première édition avait paru Leningrad en 1928
DiER Les fabliaux Paris 1893 avait déjà reconnu importance une
distinction au sein des contes populaires entre des facteurs variables et des facteurs
constants mais il avait pu définir en quoi consistent les invariants et comment
les isoler
PROPP 31
MORPHOLOGIE DU CONTE AFRICAIN 133

conte FC
conte Fi -> Fg
conte Fi FS

elles relèvent toutes du même type structural


Fi Fjj Fg

qui peut être tenu pour archétype auquel elles se rattachent


Cet archétype ne sera pas nécessairement la forme la plus ancienne
dont toutes les autres seraient dérivées non plus un pur modèle
descriptif On verra plutôt une structure sous-j acente donnant chaque
texte son sens général sinon spécifique Dès lors en analysant le système
sous-j acent aux contes ne peut-on espérer entrevoir idéologie domi
nante ou les rapports idéologiques dominants même si ces rapports se
contredisent
Propp aboutit une autre découverte le conte de fées est rien
autre un récit exploitant des fonctions dont le nombre est limité
et dont ordre de succession est constant La différence formelle entre
plusieurs contes résulte du choix opéré par chacun entre les trente et
une fonctions disponibles et de la répétition éventuelle de certaines fonc
tions Mais la norme peut être respectée en absence de toute fée Le
terme conte de fées est donc impropre un certain point de vue
historique selon lui) le conte de fées ramené sa base morphologique
est assimilable un mythe
Tous les contes russes si on les prend un niveau assez élevé abstrac
tion relèvent un même type structural Ce résultat est en lui-même
remarquable Toutefois le succès est pas complet Nous avons obtenu
le point de départ une classification non la classification elle-même
Pour mener sa tâche son terme Propp doit encore tel le botaniste ou
le zoologiste auquel il se compare redescendre du genre aux espèces et
des espèces aux variétés Pour ce faire il comptait sur exclusion de cer
taines fonctions par autres Mais aucune des fonctions relevées est
incompatible avec aucune autre Selon lui il pas de bifurcations
alternatives de fonctions-pivot Propp revient plusieurs reprises
sur étonnement que lui procura cette découverte
si nous continuons comparer les types structuraux entre eux nous pour
rons faire observation suivante celle-ci tout fait inattendue les fonctions ne
peuvent être réparties suivant des axes excluant un autre ... Si on désigne
par la fonction que on trouve partout la première place et par la fonction
si elle existe qui la suit toujours toutes les fonctions connues dans le conte se dispo
sent suivant un seul récit jamais elles ne sortent du rang ne excluent ni ne se
contredisent On ne pouvait en aucun cas attendre une telle conclusion ...
Nous nous attendions découvrir plusieurs axes or il en un seul pour tous
les contes merveilleux ... première vue cette conclusion semble absurde et même
barbare mais on peut la vérifier de la fa on la plus précise

Ibid. pp 32-33 Souligné par auteur


134 DENISE PAULME

Ainsi Propp mis en lumière les ressemblances entre tous les contes
russes il est pas parvenu spécifier les différences
Plusieurs auteurs notamment en France Lévi-Strauss et Bre-
mond Dundes aux Etats-Unis se sont interrogés sur les raisons de
cet échec1 Plutôt que de reproduire les arguments ils ont développés
nous voudrions ici en prenant pour objet analyse des contes africains
considérer si ensemble de la démarche de Propp ne peut être retenu
condition assouplir sa méthode et observer quelques distinctions
Selon auteur russe la série des fonctions contient un élément de néces
sité en sorte un interdit est toujours enfreint un défi est toujours
relevé Mais étude de la tradition orale et des variantes un même
conte montre il existe en fait des bifurcations ainsi un actant se voit
proposer une épreuve il décide de affronter mais pourrait abstenir
Le conteur chaque bifurcation le choix il choisit la voie positive
actant accepte de subir épreuve) la conduite peut atteindre ou man
quer son but Une victoire ne pourrait précéder le combat mais le combat
est pas toujours victorieux
instar du savant russe nous retiendrons pour unité de base ou
proposition la fonction de Propp) une action élémentaire telle que
le héros rencontre une vieille femme le père donne un cheval son
fils ou le roi veut marier sa fille Une certaine suite de propositions
sera appelée séquence une épreuve est énoncée acceptée subie enfin
une suite de plusieurs séquences qui enchaînent dans le temps ou ont
entre elles un lien de cause effet constitue une narration départ du
héros rencontre un médiateur épreuve récompense Nous nous
écarterons de Propp sur deux points
ordre dans lequel se suivent les séquences est pas nécessaire
ment immuable ainsi la rencontre un médiateur est pas indispen
sable si elle lieu elle se fait aussi bien avant après énoncé une
épreuve qui peut elle-même avoir disparu Il en va de même pour inter
vention un traître qui peut se situer origine des malheurs du
personnage principal est le cas dans le conte des Deux frères déjà
connu de Egypte antique où épouse du frère aîné accuse faussement
le cadet) ou ne se placer que tardivement alors que le héros ayant
accompli des prodiges rien ne paraît plus opposer ce il obtienne
la récompense attendue cf la version africaine des Alliés animaux
supra pp 76-108)
II arrive une séquence élémentaire sinon plusieurs se gonfle
former une histoire indépendante intérieur de la narration
Ces récits dans le récit ce sera par exemple celui des différentes tâches

VI-STRAUSS La structure et la forme réflexions sur un ouvrage de


Vladimir Propp Cahiers de Institut de Science conomique Appliquée Série
99 mars 1960 BREMOND La logique des possibles narratifs Communications
1966 pp 60-76 et Morphology of the French Folktale Semiotica II 1970
pp 247-276 DUNDES The Morphology of North American Indian Folktales
Helsinki 1964
MORPHOLOGIE DU CONTE AFRICAIN 135

que le héros se voit imposer obéissent eux-mêmes certains arrangements


qui ne sont pas en nombre illimité mais forment des sortes de moules
où se coule la narration

Les modèles fondamentaux sur lesquels portera analyse doivent


maintenant être présentés Littéraire ou autre il peut agir un rêve
un nim une bande dessinée) toute structure narrative comporte
une série de situations le passage une situation la suivante étant rendu
possible par une modification exemple le plus simple est celui qui rap
porte comment un manque initial est comblé Jean faim Jean
mange Jean plus faim La modification consiste ici en une substi
tution un prédicat qualifiant par son opposé soit une négation de la
quantité par établissement de la quantité La modification vue sous
cet aspect est une opération logique portant sur des contenus séman
tiques Aux structures narratives profondes correspondent un niveau
sémiotique intermédiaire les structures linguistiques du récit
ce niveau intermédiaire qui est celui de la grammaire narrative
superficielle le qualificatif superficiel offrant rien de péjoratif indi
quant seulement il agit un palier sémiotique) un grand nombre
de contes africains peuvent être considérés comme la progression un
récit qui part une situation initiale de manque causé par la pauvreté
la famine la solitude ou une calamité quelconque pour aboutir la néga
tion de ce manque en passant par des améliorations successives La
démarche inverse est moins fréquente où le conte débute par une situa
tion stable un événement quelconque le plus souvent une faute du
héros vient troubler où une rupture équilibre qui se traduira par
la punition qui peut aller la mort un ou de plusieurs person
nages Nous distinguons ainsi déjà deux types de contes ascendant et
descendant Mais rien empêche que le cycle soit parcouru en entier
équilibre rétabli après que le coupable reconnu son erreur et subi
sa punition Il arrive encore que le manque initial comblé dans un pre
mier temps soit suivi une catastrophe Dans un cas comme dans autre
état final il se traduise par une récompense ou un châtiment res
semble état initial mais sans se confondre avec lui dans un sens ou
dans autre il eu progression Il donc deux sortes épisodes dans
un récit ceux décrivant un état équilibre ou de déséquilibre et ceux
décrivant la transition de un autre est ce essaie de présenter
le schéma de la page suivante
Il toujours sens unique le mouvement inverse qui conduirait
partir un manque et par une détérioration une situation normale
ou par amélioration une situation déjà normale un manque se
heurterait une incompatibilité
partir de ces formes simples ascendante descendante cyclique
retour état initial bon ou mauvais) on peut concevoir des formes
DENISE PAULME

omelioration dégradation
manque comblé équilibre détruit

plus complexes Par exemple le mouvement cyclique continue en ce


cas si la situation initiale était de manque la dégradation après la rup
ture équilibre annonce pas la nn mais est suivie une nouvelle
amélioration qui donne au récit allure une spirale Il arrive encore
la progression ascendante due la conduite satisfaisante du héros
dans une première partie succède une partie symétrique descendante
où un deuxième actant anti-héros) voulant imiter le premier mais ne
cherchant que sa satisfaction personnelle adopte une conduite opposée
ignore les conseils ou les ordres re us et se trouve la puni en consé
quence la présence de deux parties symétriques donne au récit une
forme en miroir Enfin lorsque deux des actants observent simultanément
des démarches opposées et que leurs comportements respectifs au cours
une même action les amènent se retrouver la fin en situation inverse
celle du début ayant échangé leurs positions le conte prend une forme
qui évoque celle un sablier
De nombreuses autres combinaisons sont possibles car rien empêche
intérieur du cadre général ainsi donné insèrent des séquences
plus ou moins complexes Ainsi amélioration de la situation initiale
résultera aussi bien de ingéniosité du héros que une épreuve il
surmonte seul soit par son courage soit par une ruse épreuve triom
phante amélioration peut aussi être le fait un médiateur surgi du
monde invisible le médiateur lui-même imposant au gré du conteur une
ou plusieurs épreuves qui sont alors des épreuves qualifiantes dont
exposé plus ou moins long soi seul forme un récit complet Le narra
teur qui entend prolonger son plaisir et celui de auditoire peut également
recourir un procédé simple qui est le redoublement par exemple le
héros ayant commis une imprudence est tiré non sans mal un danger
grave histoire va achever mais le conteur invente un nouvel interdit
qui est pas plus tôt énoncé enfreint de nouvelles difficultés appa
raissent non moins insurmontables en apparence que les premières mais
dont on sait avance que le héros pour finir échappera Il existe ainsi
MORPHOLOGIE DU CONTE AFRICAIN 137

toutes sortes de combinaisons auxquelles un bon conteur fait appel sans


que la progression générale du conte se trouve modifiée pour autant
Nous nous bornerons ici illustrer quelques-unes des formes les plus
simples

TYPE ASCENDANT
MANQUE AM LIORATION MANQUE COMBL

Cette démarche la plus simple concevable est celle de nombreux


mythes étiologiques dont les contes ne présentent souvent une version
affaiblie
Nous prendrons comme premier exemple le conte bien connu des
changes successifs Dans les versions européennes la situation ini
tiale est celle un homme qui ne possède pour toute fortune un grain
de blé un coq ayant mangé le grain homme exige le coq un cochon
ayant mangé le coq il exige le cochon la fin le voit possesseur un uf
qui dévoré le cochon Le thème se retrouve en Afrique du Sud
notamment dans un conte zulu publié dès 1868 par évêque Callaway
mais accent en est bien différent le héros ayant déterré quelques racines
comestibles les confie sa mère pour les faire cuire la mère mange les
racines et quand son fils revient lui remet en compensation un seau
lait le héros prête le seau des vachers qui alors trayaient faute
de mieux dans un fragment de poterie un des vachers ayant brisé le
seau offre en dédommagement un couteau La série des transactions se
poursuit ce que le héros se trouve en possession une sagaie
Nous avons étudié plusieurs variantes africaines de ce thème1 le prin
cipal acteur dans au moins deux entre elles sara du Tchad béte de
Côte Ivoire) est Araignée est-à-dire le décepteur qui joue ici le rôle
de héros civilisateur chaque rencontre comme dans le texte zulu il
remet ses partenaires un instrument nouveau tenu hui pour
indispensable tel un couteau des chasseurs une houe des cultivateurs
qui creusaient le sol aide un simple bâton un tambour des dan
seurs il réclame aussitôt un contre-don il empressera aller porter
ailleurs sans tirer profit pour lui-même de la substitution alors que le
héros des versions européennes ne cherche accroître son gain aux
dépens de ses partenaires De la le on générale du conte africain ressort
la nécessité de échange sans lequel les hommes seraient restés dépourvus
outils comme usages dont on ne saurait se passer hui le
héros béte enseigne aux hommes offrir des bijoux lors un mariage
un suaire pour un enterrement la fin de la version sara le décepteur
triomphe en échangeant un mort contre une jeune fille il prend pour
épouse alors que Araignée béte enfuit laissant derrière lui un cadavre
en putréfaction Quelle que soit la fin adoptée par le conteur le message

PAULME Le thème des échanges successifs dans la littérature africaine


Homme IX 1969 pp 5-22
138 DENISE PAULME

implicite est infiniment plus riche que dans Le marché de dupes des
versions européennes où on voit un jeune homme pauvre édifier une
fortune en tirant profit pour lui seul des circonstances

Le conte du Nom inconnu suit une progression analogue


manque amélioration manque comblé La structure du conte est
toutefois plus complexe amélioration étant le fait une ruse du héros1

La belle -plantation
Lors une famine Araignée qui est égaré en forêt se trouve
devant une plantation en plein essor gardée par trois inconnues
la plantation appartiendra celui qui devinera leurs noms Arai
gnée lance au hasard quelques noms mais sans succès De retour
au village il confie sa femme sa rencontre en forêt et le subterfuge
il imaginé pour amener les inconnues livrer leur secret il se
déguisera en nouveau-né que sa femme portera dans son dos arrivés
auprès des trois inconnues sa femme éloignera un moment
confiant son bébé leur garde Le plan réussit car les génies
désarmés par aspect de ce nouveau-né au poil gris et aux quelques
dents rougies par le jus des colas interpellent en riant Araignée
satisfait communique les noms sa femme par ses vagissements
de nourrisson lorsque celle-ci vient le reprendre est alors la
femme qui subit épreuve dont elle triomphe aisément Fidèles
leur parole les génies remontent au ciel laissant la plantation
aux mains du couple Tout enfant qui vient au monde pousse désor
mais les cris de Araignée Aowa Aowawa Aowagnono

La marche du récit se dégage aisément après le manque initial


famine) le héros se voit assigner une tâche découvrir les noms ayant
essuyé un premier échec il invente un stratagème grâce auquel il surprend
le secret de ses partenaires énoncé correct des noms permet sa réussite
Les séquences se lisent donc
manque initial famine
énoncé de épreuve
premier échec
énoncé de la ruse
mise en uvre de la ruse
succès qui efface le manque initial

Le manque initial peut être comblé non du seul fait du héros mais
par intervention un médiateur qui lui indique comment procéder
Ce médiateur dans les contes africains est souvent une vieille femme

Conte béte résumé Cf PAULM Thème et variations épreuve du


nom inconnu dans les contes Afrique noire CEA 42 XI-2 1971 pp 189-205
Rapporté comme un conte La belle plantation relate acquisition par les hommes
des plantes cultivées Il agit en fait un mythe étiologique mais qui cessé être
senti comme tel Rappelons que Araignée des contes africains est toujours un
mâle
MORPHOLOGIE DU CONTE AFRICAIN 139

qui le héros ou héroïne rend service tout le moins le comportement


du héros répond-il son attente
Sous une forme modifiée le secret ne portant plus sur le nom des
partenaires mais sur le bien convoité le thème du Nom secret se
retrouve en Afrique dans des contes où le nom découvrir est celui de la
jeune fille que le héros voudrait épouser Ce thème de récits la quête
une fiancée dont pour emporter il faut prononcer le nom est très
populaire Un conte de Haute-Guinée en donne une version dépouillée
dont voici le résumé1

Le roi et orphelin
Le héros est un pauvre orphelin qui sert de palefrenier au chef
de son village Le roi du pays convoque ses chefs en annon ant il
donnera sa fille en mariage celui entre eux qui pourra dire son
nom un nom très difficile précise le conteur En chemin le
maître de orphelin lui ordonne de chercher de eau Le jeune
homme voit une source en approche une vieille surgit des eaux
qui lui donne le nom de la fille Arrivés chez le roi le héros ne
sachant où coucher demande une vieille femme de venir dormir
avec elle au matin la vieille lui dit de se rendre écurie où il
trouvera de beaux vêtements Après aucun des prétendants
ait réussi dire le nom de la fille orphelin triomphe aisément
On lui donna la femme et tout ce il voulait

Dans état où il nous est parvenu le récit aura été modifié la logique
des contes voudrait que ce soit au matin seulement de la nuit épreuve
que la vieille la même assurément déjà rencontrée la source satis
faite du héros lui livre avec le nom de la princesse le secret de sa réussite
ordre des séquences en est pas moins le suivant

manque épouse
énoncé de épreuve
rencontre un médiateur
épreuve qualinante la nuit passée aux côtés de la vieille
épreuve triomphante nommer la nile
manque comblé

De proche en proche le thème du Nom inconnu va se dégradant


ne plus servir que ouverture une joute oratoire où ingéniosité
de chacun peut exercer librement est sous cette forme dernière que
nous avons retrouvé dans le cahier un écolier de la mission catholique
de Dabou dans le sud de la Côte Ivoire

Un homme tombe eau il va se noyer quand une femme le


sort il la prend pour épouse Comme ils venaient au village un
serpent maudit homme une deuxième femme le sauve il la
prend pour épouse Près du village une troisième femme les ren-

MENGRELIS Contes de la forêt tudes Guinéennes 1950 pp 21-22


140 DENISE PAULME

contre et dit au gar on Si tu me prends pour femme je te sau


verai au village Oui Elle lui dit II au village un uf
Celui qui arrive au village et ne peut dire son nom on le tue Ce
uf appelle Nani Kanikani Au village on entoure de fusils
il dit le nom et est sauvé par la femme Les enfants de ces trois
femmes dansèrent vinrent saisir la queue du uf en or Qui de
ces trois enfants devrait avoir

Nous sommes loin de La belle plantation Il est exceptionnel que


le médiateur en retour du service rendu se contente un paiement
différé quoi ajoute ici que la femme devra partager son mari avec
deux co-épouses où aspect quelque peu bousculé de ce texte fait de
pièces disparates le narrateur entendait coûte que coûte présenter son
récit sous une forme toujours très goûtée du public le dilemme final
ouvrant une discussion générale Les séquences ne se lisent pas moins
aisément
danger couru
rencontre du médiateur
le médiateur pose ses conditions
le héros accepte
le médiateur indique au héros comment emporter
déroulement de épreuve
nn satisfaisante

Dernier exemple de type ascendant tous les récits relatant la


naissance un chef que le héros en soit un personnage historique dont
la légende est emparée est le cas pour Soundiata fondateur de
empire du Mali comme pour le conquérant zulu Chaka ou il soit
purement imaginaire Dans le cycle de ami du lion connu de toute
la savane de Ouest africain un petit enfant orphelin ou abandonné
sa naissance tel dipe est recueilli par une lionne qui emporte dans
sa tanière où elle le nourrit en même temps que son lionceau Adolescent
le héros rejoint le monde des hommes pour accomplir avec aide secrète
de son frère de lait des exploits qui lui vaudront finalement le trône
Chemin faisant est au lion au héros sous sa forme animale il revient
affronter les épreuves indispensables la conquête du pouvoir et notam
ment le double parricide par lequel un futur souverain affirme tel Le
lionceau devenu grand tue leur mère commune la lionne qui avérait
mena ante pour son ami il facilite ensuite son mariage en enlevant la
jeune fille que ce dernier voudrait épouser enfin est lui qui tue ou
fait massacrer par des captifs le vieux roi dont le héros apprendra seule
ment après sa mort il était en réalité son père Le motif de âme exté
rieure qui intervient la fin du conte souligne cette dualité de nature
en quittant définitivement ami qui plus besoin de ses services le
lion lui laisse une herbe qui se flétrira pour annoncer sa mort Le lion
intervient donc ici la fois comme médiateur il indique au héros
comment procéder et double ou jumeau du prétendant dont il assume
MORPHOLOGIE DU CONTE AFRICAIN 141

les actes contre nature trop révoltants pour être accomplis par un
homme fût-il prince la démesure même de ces actes en prouve pas
moins la qualité royale de leur auteur1

TYPE II DESCENDANT
SITUATION NORMALE RIORATION MANQUE

Dans les cas les plus simples la dégradation résultera de la seule


stupidité du principal acteur jointe sa gloutonnerie Les conséquences
on peut attendre une telle conduite sont illustrées par les contes
du Lièvre et de hyène dont le cycle se retrouve dans tout le Soudan
occidental Une optique résolument optimiste veut ici que hyène qui
personnifie la force brutale échoue dans toutes ses entreprises malhon
nêtes son châtiment est en général amené par une ruse de son compa
gnon mais il peut aussi bien être oeuvre de sa propre cupidité2

Entre hyène et le lièvre


hyène et le lièvre allèrent chercher fortune Ils atteignirent
deux sentiers un grand et un petit hyène dit
Moi je prends le grand sentier
Le lièvre de son côté prit le petit sentier Chacun suivit son
sentier partit hyène trouva des chenilles sur son chemin cela
devint sa fortune Le lièvre trouva un baobab qui avait une fente
mit sa main dedans trouva des vêtements de or et de argent
Il les ramassa et revint chez lui Cela devint sa fortune
hyène vit les richesses du lièvre son ur en pleura Elle
appela le lièvre et lui dit
Petit frère lièvre où as-tu obtenu cette fortune
Le lièvre répondit
Grand frère hyène dans un baobab ai eu ces richesses
hyène lui dit
Montre-moi où est ce baobab
Ils allèrent sous le baobab hyène vit plein de richesses
elle dit au lièvre
Je enlèverai rien parce que en laisserai je chargerai
arbre tout entier je rentrerai avec chez les miens
hyène chargea le baobab pour le ramener chez elle Elle attei
gnit sa demeure voulut faire descendre le baobab en fut incapable
Le baobab lui dit
Hyène je ne descendrai pas ta gourmandise est exagérée
tu mourras ici
hyène cria ce elle mourût Le baobab regagna sa
brousse
PAULME Une légende africaine du conquérant Homme VI 1966
pp 19-40 Ousmane SOC Contes et légendes Afrique noire Paris 1962 pp 107-
120 Au temps où les bêtes parlaient
LABOURET La langue des Peuls ou Foulbé Dakar 1952 222
142 DE HSE PA LME

Plus intéressants du point de vue formel sont les contes où la dégra


dation vient la suite une désobéissance ou un mauvais tour joué
un associé Dans tous les cas que la règle soit manifeste ou tacite
actant commet sciemment une faute et est puni en conséquence

Comme exemple de la dégradation par rupture un interdit nous


choisirons le conte bien connu de homme qui entend le langage des
animaux La quasi-totalité des versions recueillies au sud du Sahara se
termine par la mort du héros Dans la première partie un chasseur est
initié en forêt par son chien au langage animal moins que la poursuite
du gibier ne ait entraîné au fond un terrier qui donne accès autre
monde monde des génies des animaux ou des morts La suite est cons
tante homme surprend une conversation entre animaux de la basse-
cour et rit sa femme offense un accès de gaieté elle croit mal
veillante son égard ou celui de sa mère son mari ne voulant pas
expliquer elle refuse de poursuivre la vie commune retourne chez ses
parents en butte aux instances de sa belle-famille tu emmèneras
pas notre fille si tu expliques pas ton secret le mari parle et meurt
Dans la version ashanti toutefois le mari sur le point de parler entend
le coq imposer silence sa poule il se ressaisit et répudie sa femme
Ce fut le premier divorce est au coq que nous le devons Mort du
mari ou divorce le conte africain finit mal alors que le même conte
dans Les mille et une nuits se termine bien par une version radica
lement opposée le mari va céder il surprend un dialogue entre le
chien de la maison et le coq où ce dernier suggère homme de prendre
un bâton et de corriger sa femme elle ne le pressera plus ensuite de lui
dire ce il ne doit pas lui révéler Le mari suit le conseil du coq et en
trouve bien les beaux-parents qui avaient tenté sans parvenir de faire
revenir leur fille de son obstination approuvent leur gendre de être
affirmé le maître du logis Mais en milieu africain les choses se présentent
différemment au moins dans le domaine de la fiction le mari assez impru
dent pour offenser sa femme et ses beaux-parents demeure sans recours
et finit lamentablement
Les séquences des versions africaines sont donc les suivantes
situation normale
énoncé un interdit
danger couru épreuve
rupture de interdit
manque final

Dans la version des Mille et une nuits le danger est frôlé mais
homme se ressaisit et le conte se termine par un retour état premier
plus exactement une amélioration de cet état puisque les rapports
entre mari et femme sont clairement définis Cette dernière séquence
donne au texte une démarche circulaire dont nous verrons des exemples

RATTRAY Akan and Ashanti Folk-Tales Oxford 1930 pp 243 sq


MORPHOLOGIE DU CONTE AFRICAIN 143

africains Un conte en changeant auditoire peut donc être modifié


radicalement son conteur est tenu de rester dans la vraisemblance et
doit offrir son public une histoire que ce dernier juge acceptable
Autre rupture interdit celle illustre une série de contes sur le
thème de épouse animale mélusinienne une femelle en général de
buffle ou antilope est transformée pour venir vivre aux côtés un
homme que sa métamorphose soit volontaire ou forcée son partenaire
ayant surprise aura caché sa peau de bête) elle prévenu ce dernier
il ne doit pas mentionner son nom animal sous peine de la voir dispa
raître équilibre est donc instable Mais le mari confie le secret une
première épouse jalouse qui empresse de le divulguer sur quoi héroïne
ayant aussitôt retrouvé sa forme animale repart en forêt en emmenant
ses enfants Inverse du Norn inconnu où le héros devait parler pour
triompher ce thème se retrouve souvent la source interdits totémiques
La fin peut être plus tragique épouse redevenue animal tuant ses
rivales et leurs enfants ainsi que le mari2

Les contes du Trompeur trompé illustrent le thème de la dégra


dation par échec une ruse gratuite Un personnage de mauvaise foi
très souvent le décepteur Lièvre ou Araignée selon les régions entend
tricher aux dépens un partenaire ou de plusieurs mais astuce est
éventée et il se retrouve sa propre dupe3

La tortue et le lièvre
La tortue et son ami le lièvre décidèrent un jour de pratiquer
la pêche dans le fleuve voisin Ils se firent chacun une nasse et allè
rent au fleuve La tortue mit sa nasse en plein dans le courant le
lièvre pla la sienne tout près du bord Chaque matin le lièvre
venait de bonne heure et vidait la nasse de sa voisine dans la sienne
La tortue constatant que le lièvre faisait toujours de bonnes pêches
tandis elle-même ne prenait jamais rien finit par avoir des soup
ons Elle alla consulter un vieux féticheur qui lui dit Fa onne
une statuette en terre au bord de eau et enduis-la une couche

Motif de la Swan maiden 361.1 in THOMPSON Motif-Index of -Folk


Literature Helsinki 1932-1937
Nombreux exemples en pays Yorouba et Fon Voir notamment pour les
Yorouba FUJA ed Fourteen Hundred Cowries London 1962 et and
WALKER eds. Nigerian Folktales... New Brunswick 1961 pour le Dahomey
and HERSKOVITS Dahomean Narrative Evanston 1958 et TRAUT
MANN La littérature populaire la Côte des Esclaves Paris 1927
Conte baoulé inédit Nous le devons obligeance de Roger Brand Dans
une variante où les acteurs sont Araignée dans le rôle du Lièvre et le Ver soie
celui-ci se venge cruellement en préparant avec les crabes que Araignée glissés
dans sa nasse un repas auquel il invite autre Comme Araignée le félicite de ce
plat délicieux le Ver soie répond Ce sont les os de ma femme que ai piles
Araignée insatiable de retour chez lui empresse écraser sa femme dans son
mortier Ver soie se moque de lui Ce sont tes crabes que je ai fait manger
ZEMP Littérature orale des Dan Côte Ivoire Mémoire de VIe section
inédit pp 91-92)
144 DENISE PAULME

de glu tu connaîtras ton voleur La tortue fit une statuette


comme le vieux le lui avait indiqué Le lendemain matin quand
le lièvre vint au fleuve il vit la statuette et furieux voulut lui
donner des coups de pied mais ses pieds restèrent collés la terre
de même ses mains se collèrent aussi Quand la tortue arriva au
fleuve elle vit le lièvre dans cette position et comprenant que était
lui le voleur le frappa ce il fût demi mort

Le conte se lit aisément


situation normale
ruse malhonnête du lièvre
découverte de la ruse
punition du lièvre

Le conte ne se termine pas nécessairement sur une première punition


Une version agni plus développée avec Araignée pour principal acteur
se résume ainsi1
Le champ ignames
Araignée Kakou Ananzé veut manger seul toutes ses
ignames Il feint de mourir après avoir demandé on mette sur
sa tombe un mortier un pilon une marmite du sel de huile et
on enterre dans son champ Chaque soir il sort de sa tombe
et se gave ignames Son fils toutefois devine son manège et poste
un mannequin enduit de glu auprès du tas ignames Ananzé
reste prisonnier est trouvé au matin par sa femme et ses enfants
qui font mine de ne pas le reconnaître et veulent le brûler
La flamme fait fondre la glu Ananzé se jette sur sa femme et
ses enfants les entraîne vers la rivière est depuis ce temps on
voit des araignées sur les sources les rivières les fleuves

Même conte chez les Jo Luo du Bahr el-Ghazal mais la fin diffère
pris dans la cire et brûlé Araignée envoie Hyène subir le même sort et
se moque elle2
Le rapprochement des trois versions montre quel point le message
explicite final est pourquoi est depuis ce temps que. dans la
deuxième version est depuis lors on voit des araignées sur eau
compte peu dans économie générale du conte La phrase dernière est
jamais un artifice du conteur qui peut la modifier son gré imposer
une fin sans rapport avec ce qui précède Le rôle de cette phrase ultime
est en fait de conclure le récit ou de marquer la fin une première partie3
La le on véritable ici les dangers auxquels expose egoïsme joint
une gloutonnerie sans frein se comprend elle-même plus forte de
rester implicite

DADIE
KRONENBERG
DUNDESLe pagne
67 Jonoir
LuoParis
Tales 1955
Kush
pp 1960
119-130
pp 244-245
MORPHOLOGIE DU CONTE AFRICAIN 145

Une punition non moins sévère attend imprudent qui sans


commettre de faute égard autrui formule une demande excessive
Une légende bien connue dans tout ouest de la Côte Ivoire me fut
rapportée sous la forme suivante1

Un chasseur est arrêté en forêt par un serpent qui se tord au


pied un buisson homme veut enfuir le serpent arrête le
supplie de lui retirer de la gueule une fourmi qui étouffé homme
plonge la main retire la fourmi Tu as sauvé lui dit le serpent
que puis-je faire pour toi Je veux vivre aussi longtemps que
la pierre est bon rentre au village réunis les tiens égorge
un coq blanc Puis couche-toi sur une natte on couvrira une
couverture noire homme suit ces instructions quand on retira
étoffé il était devenu un bloc de pierre

Ici comme dans le Trompeur trompé un actant qui veut tricher se


voit pris son propre piège Si humour est macabre avertissement se
passe de commentaires homme doit se soumettre au sort commun

TYPE III CYCLIQUE

Les contes cycliques sont nombreux La mythologie classique en


connaît au moins un exemple illustre avec le mythe Orphée Ayant vu
mourir sa femme et ayant suivie aux Enfers Orphée contre toute
attente obtient la permission de ramener Eurydice parmi les vivants
une condition toutefois il ne doit pas se retourner avant Eurydice
ait retrouvé la lumière du jour Eurydice suit Orphée guidée par les sons
de sa lyre mais Orphée impatient se retourne trop tôt et perd Eurydice
cette fois pour toujours

Nous prendrons pour premier exemple des contes africains cycliques


une version notée au Sud-Togo des Objets merveilleux

Dans ce texte le héros un chasseur enfonce en forêt chercher


des plantes pour préparer un médicament Il rencontre un inconnu
qui étonne de le voir si loin de chez lui le chasseur se plaint de la
famine qui poussé jusque-là autre apitoyé lui dit de pour
suivre sa route il verra un palmier portant deux régimes
de noix un mûr autre qui ne est pas il devra couper ce dernier
Le chasseur obéit monte sur arbre coupe le régime encore vert

PAULME Une société de Côte Ivoire hier et hui les Bete Paris-
La Haye 1962 pp 151-152
VERDIER Le phénomène de la métamorphose dans le conte togolais
Bulletin de Enseignement Supérieur du Bénin ii nov.-dec 1969 pp 33-34
Il agit du conte-type no 563 de la classification Aarne et Thompson Cf aussi
et GRIMM Les contes âne la table et le gourdin Pour une analyse
détaillée de ce conte cf supra CALAME-GRIAULE et G-KARADY pp 12-
75)
146 DENISE PAULME

et le voit en touchant terre se transformer en une jeune nile qui


lui offre une marmite au contenu délectable et dont on ne peut venir
bout Ayant apaisé sa faim il ramène au village la marmite et
en régale avec les siens Dans la deuxième partie le même chas
seur poussé par la curiosité et la gourmandise retourne au palmier
et coupe cette fois le régime mûr mais est alors un homme
robuste armé un gros bâton qui apparaît le rosse et le poursuit
au village où le chasseur succombe sous les coups

Le cycle est donc complet partir du manque initial la famine le


héros ayant atteint un état satisfaisant la famine est conjurée) ne sait
pas se contenter de ce il re il désobéit et trouve son châtiment
La faute commise est pas toujours insatiabilité Chasseur ou Arai
gnée le héros avère parfois égoïste il voudrait garder pour lui seul la
marmite magique est alors son fils ou sa femme qui en empare et
abîme La deuxième partie est la même qui voit le héros retourner en
forêt et obtenir le deuxième objet bâton ou fouet il est battu et fait
battre les autres Il arrive encore que la marmite soit confisquée par un
chef glouton en ce cas le Chasseur repart en forêt où il rapporte le
gourdin qui rossera le chef Mais les défauts châtiés demeurent les mêmes
il agisse de la goinfrerie du Chasseur ou de abus de pouvoir du
chef qui mange son administré Enfin les deux parties successives
peuvent être jouées par deux personnages différents le second ne tenant
pas compte des instructions re ues et agissant inverse du premier
le conte prend alors une forme en miroir chacun des personnages étant
récompensé ou puni selon ses mérites

Autre conte forme cyclique celui du Conjoint animal in


verse du premier récit exploitant ce thème supra 143) le motif
de la métamorphose est ici la vengeance un chasseur trop adroit
devient un danger pour la faune qui se voit menacée Les animaux lui
tendent un piège où il tombe les yeux fermés le Chasseur court de ce
fait un grave danger mais sera sauvé in extremis et se promet être plus
sage avenir Une version serer se résume ainsi1

La biche et les chasseurs


Les animaux de la forêt veulent se débarrasser un chasseur
trop adroit et de ses chiens cet effet ils se transforment en jolies
filles et viennent trouver le chasseur Celui-ci galant leur offre des
nourritures succulentes mais elles refusent disent ne pouvoir
accepter que de la viande de chien Le chasseur imprudent tue ses
chiens malgré la mise en garde de sa mère Celle-ci lui demande alors
les os et le sang des chiens abattus elle conserve soigneusement
Le chasseur part en brousse avec les animaux déguisés sa mère lui
demande de prendre au moins avec lui trois noix de palme quand

Birago DIOP Les contes Amadou Koumba Paris 1961 pp 142-153


MORPHOLOGIE DU CONTE AFRICAIN 147

il sera en péril il les jettera et appellera En forêt les filles


éloignent un moment pour revenir mena antes sous leur forme
première Le chasseur que le temps de jeter une première noix
en criant ma mère un palmier surgit il grimpe Les animaux
attaquent le palmier la hache comme arbre va tomber le chas
seur jette sa deuxième noix un deuxième palmier apparaît plus
haut que le premier Le chasseur se rappelant alors ses chiens les
appelle Avant la chute du deuxième palmier il jette sa dernière
noix et grimpe sur un troisième palmier dont le sommet atteint le
ciel Comme arbre va abattre les chiens accourent apportant
leur maître son fusil des balles et de la poudre Le chasseur tombe
au milieu de ses chiens les animaux enfuient

Il arrive que épouse animale soit en réalité une panthère ou une


lionne dont le chasseur tué les petits et qui est transformée pour mieux
assurer sa vengeance Parfois aussi nous assistons en forêt une lutte
entre magiciens où le chasseur son tour se métamorphose pour échapper
ses ennemis mais en vain Dans tous les cas il sera sauvé au dernier
moment par intervention de sa mère ou de sa grand-mère ou de sa
première épouse qui était efforcée sans parvenir de le mettre en garde
contre étrangère et ses charmes dangereux Ici encore la fin varie dans
la version citée Depuis tout chasseur emporte toujours son fusil
dans une version malinké Le valeureux chasseur fit épargner une
pauvre femelle qui était pleine Elle fut origine de la faune qui peuple
encore de nos jours le Manding Enfin dans un conte wobé Côte
Ivoire où entre pas en jeu une métamorphose le chasseur répudie sa
femme après que celle-ci ayant tué et mangé les chiens failli causer la
mort de son mari assiégé en brousse par des diables est ainsi que prit
naissance la répudiation des femmes Le conte porte donc deux ensei
gnements tous deux de modération le chasseur qui abat trop de gibier
et menace la faune extermination expose la vengeance des animaux
un certain équilibre doit être respecté autre part méfiance égard
des belles inconnues et de leurs entreprises de séduction car travers
homme convoité est tout ordre familial et social que étrangère
met en danger application beaucoup plus générale la seconde le on
aura aussi été retenue plus fidèlement elle soit toujours suivie est
une autre affaire Le conte se retrouve intact en Haïti3
Inverse et non moins goûté le conte du Mari animal ou de La fille
dédaigneuse veut inciter les filles obéissance la différence du conte

chez lesSory
Malinké
MARA
Bordeaux
univers
1970dramatique
37 ronéo etPlus
imaginaire
répanduedes
querelations
la première
familiales
cette
nn se retrouve pour expliquer de nombreux interdits totémiques les descendants
du chasseur image de leur ancêtre épargnent les représentants de espèce
alliée
GIRARD Dynamique de la société ouobé Dakar 1967 pp 141-142 Les
chiens reconnaissants
CoMHAiRE-SYLVAiN Les contes haïtiens 2e partie Port-au-Prince 1937
pp 27-32
148 DENISE PAULME

précédent où homme était coupable que imprudence il ici rébel


lion de héroïne qui ayant refusé tous les prétendants que lui suggèrent
ses parents entête vouloir pour époux un homme dont le corps ne
porte aucune cicatrice ou dans une version malinké soit sans anus La
situation initiale est donc un équilibre sur le point de se rompre plus
instable encore que dans le cas du chasseur trop ardent Une fois seule
avec son monstrueux époux qui emmenée en forêt la fille le voit
reprendre sa forme véritable redevenir boa panthère ogre ou squelette
Elle lui échappera de justesse grâce intervention de son frère ou une
ur cadette elle peut encore être sauvée par le chien de la maison ou
une jument qui sa mère avait confiée et qui suivie malgré elle La
dernière séquence voit le retour la maison paternelle et la fin est ici
presque toujours la même la fille reconnaissant sa faute et disant son
père Même si tu me donnes un crapaud comme mari je me marierai
avec lui Les séquences se suivent dans ordre
situation normale mais équilibre instable
dégradation par désobéissance
danger couru du fait de cette désobéissance
danger conjuré
situation nouveau normale en fait plus stable puisque la fille engage
ne plus désobéir

Toutefois cette fin est pas constante Dans une version béte où la
mère elle-même est partie la recherche de sa fille comme le mari qui
est révélé un énorme serpent friand de chair humaine va rejoindre les
fugitives au bord une rivière infranchissable un poisson surgi des pro
fondeurs les prend sur son dos leur sauvant la vie depuis les membres
du lignage sous peine de stérilité ménagent les poissons en cet endroit
ils demandent là des enfants2 Dans une très belle version relevée en Casa-
mance où le ravisseur est le roi de la mer ce sont les génies des eaux qui
interdisent au mari de poursuivre héroïne en fuite Et est pourquoi
hui lors une tempête on dit que est la fureur du roi des eaux
qui se déchaîne Enfin le même récit élargi dans la version de Casa-
mance aux dimensions de la légende merveilleuse se retrouve privé de
toute poésie dans un conte malinké4

Un jeune homme se fait fort auprès des parents de venir bout


de leur fille trop fière qui dédaigne tous les partis Il recourt un
stratagème son ami déguisé en monstre des eaux Ninki-Nanka
approchera la nuit de la fille alors que celle-ci comme tous les

PA MENGRELIS
ULME 1962 Contes
150 Précisons
de la forêt
que les
Etudes
femmes
Guinéennes
béte témoignent
1950 un goût
marqué pour indépendance et abandonnent facilement le domicile conjugal
L.-V THOMAS Nouvel exemple oralité africaine récits narang-djiragon
diola-karaban et dyiwat Basse-Casamance FAN série XXXII janv
1970 pp 258-260
COLIN Contes noirs de Ouest africain Paris 1957 pp 198-200 La jeune
fille Yanka
MORPHOLOGIE DU CONTE AFRICAIN 149

soirs danse seule sur la place du village La ruse réussit la fille


prend peur et veut se réfugier chez ses parents mais sa mère pré
venue refuse de lui ouvrir et la fille que poursuit le monstre ne
trouve asile auprès de son prétendant chez qui elle passe la nuit
Au matin elle annonce elle ne retournera pas chez sa mère car
elle trouvé homme qui lui convient

Le schéma demeure mais alors que héroïne dans les textes précé
dents se voyait transportée dans autre monde pour courir un danger
mortel la dégradation est ici le fait une simple ruse La le on entend
être la même le ton seul diffère le conte merveilleux est réduit aux dimen
sions une comédie de urs

TYPE IV EN SPIRALE

Pour comporter un nombre plus grand de séquences primaires


manque amélioration etc.) la démarche générale des contes qui répon
dent ce type est pas moins facile repérer Dans les versions euro
péennes des Alliés animaux le héros un jeune homme pauvre part
aventure sur sa route il rencontre des animaux il épargne ou
auxquels il rend service grâce eux il surmontera les épreuves qui lui
sont imposées pour obtenir la main de la fille du roi Le conte est donc
du type ascendant manque amélioration manque comblé Les
animaux sont toujours au nombre de trois par exemple un oiseau un
poisson des fourmis les tâches assignées comportent le plus souvent
pour les deux premières le tri une grande quantité de grains les fourmis
en chargent est épreuve terrestre et la recherche une clé ou
un anneau tombé au fond de eau épreuve aquatique La troisième
épreuve décisive consiste distinguer la princesse dans un groupe de
jeunes filles vêtues coiffées et parées de même oiseau ou abeille le
troisième allié quand il apprend prévient le héros il se posera sur
épaule de la princesse intervention un traître dans les versions
africaines modifie profondément le conte qui ne se termine presque
jamais par un mariage

Dans un texte astianti2 le héros il agit cette fois encore un


chasseur tire un puits trois animaux le Léopard le Rat et le
Serpent et un Homme Le Léopard témoigne sa reconnaissance
en apportant son sauveur de la viande en abondance le Rat de
la poudre or il été dérober chez le chef Homme se présente
ensuite avec un seul petit pot de vin de palme Le Chasseur lui fait
honte en lui montrant les cadeaux déjà re us autre jaloux va
dénoncer son bienfaiteur au souverain qui ordonne on se saisisse
du Chasseur Comme celui-ci est amené la cour pour être jugé

Conte-type no 554 de la classification Aarne et Thompson


RATTRAY pp 58-63 How tale-bearing came into the tribe
150 DENISE PAULME

et condamné mort il rencontre sur son chemin le Serpent qui lui


glisse un médicament Quand on sera sur le point de exécuter
irai mordre enfant de la favorite du Prince Tu feras alors savoir
que tu peux sauver enfant Tout se passe comme prévu avec
une séquence supplémentaire le Chasseur pour préparer son
remède exige le sang un mouchard On se saisit du traître venu
assister la ruine de son bienfaiteur le Chasseur délaie le contre
poison dans son sang administre enfant qui revient la vie
Le Prince gracie le Chasseur et ordonne que le délateur soit mis
mort Ils le tuèrent découpèrent son cadavre en petits morceaux
et les jetèrent dans toutes les directions est ainsi que la délation
est apparue dans le pays Nul ne songe plus réclamer au Chasseur
or volé par le Rat

Le message du conte ashanti est pas la réussite individuelle illustrée


par les versions européennes les épreuves ont ailleurs disparu
mais le châtiment du traître dont ingratitude contraste avec la reconnais
sance que les animaux témoignent leur commun bienfaiteur fauteur
de trouble sans excuse élimination du coupable sera accueillie avec sou
lagement cette image oppose celle du Chasseur qui en prenant ini
tiative de punir le traître avère ami des hommes comme il était déjà
montré ami des bêtes sa ruse est justifiée et son comportement exem
plaire La démarche générale du conte se lit comme suit

manque pauvreté du Chasseur


amélioration du fait des animaux sauvés qui témoignent leur reconnaissance
manque comblé
détérioration du fait de Homme
danger couru
nouvelle amélioration grâce au Serpent et la ruse du Chasseur
état pleinement satisfaisant par élimination du traître

TYPE EN MIROIR

La forme en miroir est celle de nombreux contes initiatiques Les


acteurs principaux sont deux et le conte se joue en deux parties symé
triques Les héros entreprennent un après autre une quête au cours
de laquelle ils sont soumis aux mêmes épreuves mais leurs conduites
inverses amènent des résultats opposés là où le premier triomphe par
sa docilité et sa bonne conduite ramenant troupeaux vêtements ou
bijoux de fabuleuses richesses le second qui le jalouse et efforce obte
nir les mêmes avantages accomplit mal les épreuves ou commet une faute
et trouve sa punition1 Nous avons vu un premier exemple de ces contes

la base de tous les contes initiatiques bâtis sur une structure parallèle
se reflète idée clef de nombreuses cultures africaines savoir ambivalence de
être humain lui-même le héros positif et le héros négatif bien incarnés par des
personnages différents sont en réalité les deux aspects opposés et complémentaires
MORPHOLOGIE DU CONTE AFRICAIN 151

initiatiques avec la mésaventure Hyène dont la gloutonnerie causera


la perte Toutefois le conte-type est ici celui des Deux filles de diffusion
quasi universelle1

Les deux filles

Deux filles une bonne autre mauvaise quittent le village


la bonne partant la première
Elle est envoyée chercher de eau au fleuve
Elle poursuit des objets elle laissés tomber dans eau
il agit souvent de sa mouvette ou une assiette
Elle se montre serviable égard un vieillard ou une
vieille femme elle les épouille ou leur donne manger)
Ces personnages lui témoignent leur reconnaissance en ai
dant accomplir la suite de son voyage
Elle arrive dans un monde inférieur ou quelquefois sur
autre rive du fleuve
Elle subit des épreuves dont elle triomphe par sa patience
et sa soumission
Elle re oit la récompense de sa bonne conduite
son retour sa ur est jalouse et elle tente la même aven
ture mais elle échoue toutes ses épreuves et est punie

Afrique connaît de nombreuses versions de ce conte où le rôle des


deux héroïnes peut être tenu par deux urs ou jumelles la cadette est
la bonne aînée la méchante)2 deux demi-frères le bon est orphelin de
mère)3 ou deux co-épouses également bossues ou goitreuses la bonne
est débarrassée de son infirmité autre trop curieuse et jalouse voit sa
bosse accroître de celle de sa compagne)4 ou même le père et le ls le
père jouant alors le rôle de anti-héros5
Il quelques années nous avons étudié au cours un séminaire
plusieurs variantes des Deux filles recueillies au sud du Sahara Les
différences que les textes retenus présentaient avec le conte-type nous
ont paru assez grandes et les exemples assez nombreux pour voir dans
La restitution impossible un sous-type du conte de plus vaste diffusion6

de homme Les conduites opposées sont le modèle des deux conduites possibles
pour chaque individu et la le on qui en dégage est que le bonheur individuel ne
peut accomplir que dans le sens de celui de la collectivité CALAME-GRIAULE
et G-KARADY supra pp 74-75)
Conte-type no 480 de la classification Aarne et Thompson
RATTRAY pp 89-93 When someone spoils something belonging to you
incidentally do not accept payment for it
L.-V THOMAS Un exemple oralité africaine les fables djugut Basse-
Casamance BIFAN série XXXI janv 1969 pp 208-209 orphelin
DIOP pp 31-41 Les mamelles
BARKER and SINCLAIR West African Folktales London 1917
89 sq
CEA 30 VIII-2 1968 passim Sur un thème de contes africains impos
sible restitution ou le cadeau prestigieux
152 DENISE PA LME

Voici un exemple sorko Mali)1

Peureux et Courageux
Peureux possède une lance
Courageux emprunte la lance de son ami pour se défendre
contre une hyène qui attaque les passants
hyène se sauve avec arme
Peureux exige sa lance nulle autre ne le satisfera
e) Départ de Courageux
Parvenu chez les hyènes il doit reconnaître parmi toutes
les lances celle il perdue
La plus vieille des hyènes lui conûe un secret lui permettant
de emparer de la lune
Courageux revient avec la lance et la lune
Prestige de Courageux
Peureux veut emparer de la lune
11 La lune lui échappe
12 Courageux demande son bien
13 Peureux part en quête de la lune il parvient chez les hyènes
qui le tuent

Si le thème général initiatique demeure les oppositions première


vue paraissent moins tranchées car emprunteur est mis dans son tort
en perdant la lance qui ne lui appartient pas Mais le prêteur commet
ensuite une faute infiniment plus grave par son refus de toute compen
sation en exigeant sa propre lance il met en cause le principe général
des échanges sans lequel il est pas de vie en société Le refus indem
nisation traduit une rancune un esprit de vengeance plus fort que le désir
de recouvrer le bien perdu La version ashanti des Alliés animaux
mettait déjà en lumière une attitude voisine pour la condamner sévère
ment2 importance de la le on ici donnée expliquerait la diffusion
travers toute Afrique au sud du Sahara un schéma dont les héros
seront aussi bien suivant les sociétés

ROS ANTI-H ROS


Courageux Peureux Sorko Mali
Bras droit Bras gauche Béte Côte Ivoire
Aîné Cadet Mongo Zaïre
Fils Père Mongo Zaïre
Gendre Beau-père Kamba Kenya
ur Fiancée Dogo Mali

LIGERS Les Sorko Bozo) maîtres du Niger étude ethnographique Paris


vol. 1964-1967 III pp 59-53
La même attitude ici blâmée est au contraire donnée en modèle par la
version européenne des changes où est le refus de toute compensation qui
permet au héros acquérir un uf partir un seul grain de blé Le contraste
explique par écart des conditions économiques il en traduit pas moins
incompatibilité entre deux systèmes de valeurs
MORPHOLOGIE DU CONTE AFRICAIN 153

Autre conte initiatique deux héros celui de la caverne magique


Ali Baba et les quarante voleurs Klipple recensé neuf variantes
africaines de ce conte dont la diffusion est quasi universelle1 Voici le
résumé une version de Haute-Guinée2

araignée orphelin et les génies de la grotte

Pendant une famine orphelin antagoniste habituel de arai


gnée dans les contes où ce dernier trouve sa punition voit dans la
forêt une petite case appuyée un grand arbre Un bloc de pierre
en ferme entrée Caché dans arbre il observe les génies qui entrent
en dépla ant la pierre par une formule magique
Il pénètre en leur absence et trouve toutes sortes de nour
ritures
araignée oblige lui montrer endroit Tous deux étant
dans la demeure des génies orphelin en va temps la tombée
de la nuit araignée glouton attarde ce il entende
les génies qui approchent Alors ne sachant que faire il prit une
seule poignée de fonio et quelques flocons de coton et se précipita
pour se cacher sous le toit de la maison hantée où il demeure
encore

Les formules magiques dans les versions africaines sont soit directes
Rocher ouvre-toi Rocher ferme-toi soit des onomatopées les
biens de la caverne des mets délicieux et inépuisables Ali Baba pour sa
part découvre dans la caverne outre de grandes provisions de bouche
des ballots de riches marchandises en piles des étoffes de soie et de bro
cart des tapis de grand prix et surtout de or et de argent monnayé par
tas et dans des sacs ou grandes bourses de cuir les unes sur les autres
Le souvenir des nourritures comme richesse première néanmoins sur
vécu dans les célèbres formules qui permettent le passage de un autre
monde le beau-frère Ali Baba oublie la formule qui permet le retour
la réalité quotidienne Orge ouvre-toi et périt victime de sa cupidité
tels araignée ou la hyène des contes africains

TYPE VI EN SABLIER

Comme les contes en miroir ceux en sablier présentent deux héros


aux comportements inverses Mais ici les chances au départ ne sont pas
égales partis de points opposés les deux acteurs échangeront en cours

KLIPPLE African Folktales with Foreign Analogues Bloomington


Indiana University 1938 thèse non publiée reproduction sur microfilm)
HOLAS chantillons du folklore no Haute-Guinée fran aise
tudes Guinéennes 1952 pp 75-76
Les mille et une nuits trad Galland Paris n.d.] III 230
154 DENISE PAULME

de route leurs positions respectives Nous donnerons comme premier


exemple un conte betel

iiomme et ses enfants ou le gar on travesti


Un homme avait douze ni mais il avait pas de fille il
mourut aucun des fils était marié Le plus jeune dit alors
Habillez-moi en fille envoyez-moi chez un homme riche qui vous
procurera des épouses litt il dotera des femmes pour vous
Ainsi fut fait
Le mari dit sa première épouse Tu occuperas de ma petite
femme épouse appelle la lle elles vont ensemble faire leurs
ablutions épouse aper oit que la prétendue fille en fait est un
homme Elle avertit son mari
Le mari décide appellerai les parents de mes femmes
Devant eux nous déshabillerons leurs enfants celle qui sera un
gar on nous la tuerons
La fille entendu elle est partie laver son linge la rivière
Comme elle pleurait un crabe lui dit Tais-toi nous voulons
dormir Pourquoi pleures-tu La fille tout expliqué Le crabe
lui dit alors Donne-moi manger et je te sauverai La fille
nourrit le crabe qui lui remet deux médicaments Avec celui-ci
tu te laves celui-là tu le glisses dans eau où se lavera ta rivale
La fille retourne au village suit les instructions du crabe
autre femme se lave elle est changée en homme La fille de
son côté devient femme
Le mari appelé toutes ses femmes il convoqué tous leurs
parents Il dit Nous allons déshabiller vos filles Celle qui est un
gar on nous la tuerons Quand on eut déshabillé les femmes la
première épouse était un homme Ils ont tuée
Il est pas bon de médire si tu dis du mal il retombera sur
ton dos

Plusieurs versions de ce conte ont été recueillies au Dahomey et au


Ghana organe absent étant parfois une main2 Dans tous les cas
héroïne est sauvée par intervention un médiateur qui peut être la
Mort ou la Tortue ou le Python du même coup une co-épouse plus
âgée et jalouse se voit privée de la main ou du sexe dont elle voulait
dénoncer absence chez sa rivale elle est mise mort Les deux femmes
ayant suivi un chemin inverse se trouvent la fin du récit occuper cha
cune emplacement initial de autre3

PAULME Le gar on travesti ou Joseph en Afrique Homme III


mai-août 1963 pp 6-7
Conte-type no 706 de la classification Aarne et Thompson La fille sans
main Dans les versions européennes La fille sans main est le plus souvent
associée au motif de la mère accusée avoir donné naissance des monstres Dans
les versions africaines les deux thèmes demeurent distincts La fille sans main
illustrant plutôt les méfaits de la jalousie entre co-épouses
Toutefois dans une version ashanti la co-épouse est pas punie la fin voit
héroïne mettre au monde une fille elle nomme Petit python du nom du média-
MORPHOLOGIE DU CONTE AFRICAIN 155

Autre exemple de contes en sablier ceux qui relèvent du type du


Chaudron bouillant dont Cosquin étudié la répartition1 Afrique
connaît mainte variante de ce conte dont intrigue peut se résumer ainsi
un personnage que caractérisent la fois sa jeunesse sa petite taille
sa faiblesse et sa malice se trouve aux prises avec un ogre qui veut le
manger ou un mauvais chef qui entend lui imposer une tâche impossible
le conte traduit en ce cas avec le renversement du pouvoir la victoire
de esprit sur la force brute Après divers dangers dont il est tiré de
justesse et alors que prisonnier son sort paraît désespéré le héros per
suade son ennemi ou le ûls de ce dernier de prendre sa place adver
saire périt brûlé ou noyé victime de sa convoitise2 Voici la fin un très
beau conte diola3

Un jour où il se promenait seul dans la forêt comme il aimait


le faire pour mieux connaître la nature Diatit le petit fut enlevé
par un solide gaillard qui le ficela sur son vélo Où emmènes-
tu interrogea notre héros quand il vit la plage Là où le roi
ordonné de te conduire dit le ravisseur est-à-dire au fond de la
mer car deux fois de suite tu lui as manqué de respect Tandis
que homme apprêtait exécuter son projet Diatit le poussa
avec force Déséquilibré le serviteur tomba eau et périt noyé
Quelques heures après Diatit entrait dans la concession du roi sur
le vélo de son ravisseur la stupéfaction de tous Avant même que
un ouvre la bouche notre héros dit ceci Roi dans la mer
dorment des richesses extraordinaires regardez le vélo que ai
trouvé Votre serviteur qui avait pour mission de me tuer est en
train de choisir les plus belles choses Ne restons pas une
seconde de plus ici coupa le roi Allons visiter ces lieux Se tour
nant vers Diatit il cria Malheur toi si tu mens car tu mourras
dans de terribles souffrances Plusieurs minutes après la concession
royale était vide le roi et sa suite marchaient bon train en direc
tion de la mer Arrivés sur les lieux le roi se jeta immédiatement
eau et tous les membres de sa cour en firent autant Tous furent

teur qui sauvée Le conte aura été manipulé pour expliquer apparition en
milieu matrilinéraire un lignage patrilineaire RATTRAY pp 201-204 How the
ntoro called Aninie came into the tribe
COSQUIN tude de folklore comparé le conte de La chaudière bouil
lante et la feinte maladresse dans Inde et hors de Inde Revue des Traditions
Populaires janv.-avr 1910
Dans les contes asiatiques et européens de La feinte maladresse réunis
par Cosquin le héros demande son adversaire comment procéder ainsi dans
Haensel et Grethel no 16 du recueil des frères Grimm) la fillette demande
ogresse qui veut enfourner de lui montrer comment prendre pour entrer dans
le four et en profite pour précipiter Le héros africain pour sa part fait appel
la gourmandise de adversaire que celle-ci porte sur des richesses comme dans
le conte diola ou sur de simples nourritures par exemple il feint de croquer des
colas pour se faire remplacer dans le sac où il est enfermé par les enfants de son
adversaire)
L.-V THOMAS Diatit et le roi divertissement chez les Bandial Notes
Africaines 119 juil 1968 73
DENISE PAULME

emportés par les courants lesquels en cet endroit étaient par


ticulièrement forts et plus jamais on ne les revit
est pourquoi depuis ce jour Diatit est devenu le roi des
Bandial

La suite des séquences dans les contes en sablier est donc la suivante
ROS ANTI-H ROS
manque situation normale
amélioration détérioration
situation normale manque

On voit ce qui la fois rapproche et sépare les formes en sablier


de celles en miroir Dans les contes en miroir les deux actions sont
parallèles sans lien entre elles de plus elles se succèdent dans le
temps le récit pourrait arrêter la fin de la première partie il serait
alors du type ascendant intrigue dans le conte en sablier est plus
complexe étroitement associées les deux actions sont synchrones
la ruine de anti-héros est amenée par son seul désir écraser son
chétif rival et liée au triomphe de ce dernier Dans la figuration
graphique ci-dessous les chemins des deux
situation normale héros se croisent Les positions de départ ne
correspondent pas leurs qualités véritables
elles inversent et la fin chacun obtient ce
il mérité Mais en route est montré
amélioration dégradation supérieur son partenaire de sorte en
prenant la place de il obtient une position
plus élevée ou plus assurée que la position
initiale de son adversaire Quant HL il lui
arrive la même aventure mais avec le signe
négatif voir schéma)

TYPE VII COMPLEXE

II arrive enfin ce sont souvent les contes les plus riches un


premier thème en lui-même complet ne suffise pas au narrateur celui-ci
passe aussitôt une deuxième partie qui est en fait un autre conte
obéissant un type formel différent du premier Le conte résumé
ci-dessous relève un tel procédé1

Pourquoi lézard hoche du chef


Un roi annonce il donnera ses trois filles en mariage qui
trouvera leurs noms Araignée résolu tenter aventure se
munit une jarre de miel et se rend au lieu où les filles prennent
leur bain monté sur un arbre il en cueille les fruits il enrobe de

BARKER and SINCLAIR pp 45-49


MORPHOLOGIE DU CONTE AFRICAIN 157

miel pour les jeter il voit venir les princesses celles-ci


appellent une autre pour goûter ces fruits délicieux Ainsi ren
seigné Araignée fait convoquer une assemblée au palais pour le
jour suivant Il conne son secret au Lézard qui est le hérault pour
que celui-ci proclame les noms le moment venu Devant la foule
réunie Araignée rappelle au roi sa promesse Mais le Lézard se
contente de donner les noms sans citer Araignée Il re oit les
princesses en mariage au grand dépit de Araignée Résolu se
venger celui-ci demande au roi de lui prêter son coq il doit partir
en voyage au point du jour le coq le réveillera Une fois en posses
sion du coq Araignée le tue et va le porter chez le Lézard il assure
le succès de sa ruse en versant de eau bouillante sur la bouche du
Lézard qui perd la voix on cherche le coq devenu introu
vable Araignée suggère que le coupable pourrait bien être le
Lézard Ne a-t-il pas déjà volé mes trois femmes Le Lézard
devenu muet ne peut expliquer ses femmes lui sont retirées et
données Araignée Depuis les lézards hochent du chef comme
ils disaient Comment peut-on faire confiance Araignée

La ruse du héros pour forcer les jeunes filles se nommer se retrouve


dans plusieurs variantes du Nom secret Le conte pourrait se terminer
avec la victoire Araignée il relèverait dans ce cas du type ascendant
manque épouses épreuve ruse du héros manque comblé Mais
alors que la narration paraît achevée un rebondissement amène atten
tion sur un personnage dont le rôle semblait devoir être insignifiant le
Lézard par un abus de confiance se fait adjuger les filles Toute la
seconde partie sera consacrée élaboration puis la mise en uvre
de la vengeance Araignée Le récit obéit dans cette deuxième partie
au type descendant situation stable dégradation par faute du héros
le Lézard son châtiment privation épouses Le cycle est accompli
Araignée et Lézard ont échangé leurs positions initiales le conte ne
relève pas pour autant du type en sablier car nous avons ici deux actions
distinctes sans lien nécessaire entre elles

En matière de tradition orale la


morphologie est stérile moins que obser
vation ethnologique directe ou indirecte
ne vienne la féconder
VI-STRAUSS La structure
et la forme 30.

analyse morphologique est pas une fin en soi mais un moyen


pour mieux comprendre la démarche de esprit humain tel il exprime
travers une création particulière qui est ici oeuvre littéraire Un conte

PAULME
Notamment
Thème
chez
et variations
les Coniaguiépreuve
de Guinée
du nom
au Togo
inconnu
au Dahomey
dans les contes
voir
Afrique noire CEA 42 XI-2 1971 pp 189-205)
158 DENISE PAULME

peut être rapporté pour illustrer un enseignement critiquer une institu


tion ou simplement divertir auditoire il est toujours et abord une
uvre art où le souci de bien dire allie celui de la répétition un
conte existe partir du moment où un auditeur ayant apprécié
décide de le communiquer un nouvel auditoire
Une première constatation tirer de notre étude serait que les contes
africains sont structurés et ne sauraient plus longtemps être tenus pour
assemblage capricieux de motifs choisis au hasard Nous avons pour
tant analysé un nombre de contes restreint et sommes loin avoir
épuisé la liste de toutes les combinaisons possibles
analyse met en lumière un deuxième point qui est la nécessité
pour il ait uvre littéraire véritable une intrigue En autres
termes la seule narration événements selon leur suite dans le temps
ne sumt pas un conte est reconnu comme tel par son auditoire dans la
mesure où accent porte sur la modification qui permet le passage une
situation une autre un manque une situation normale ou le contraire
est pourquoi les contes rapportés sur commande soit une personne
étrangère qui exprimé le désir en entendre soit par des enfants comme
devoir scolaire sont en général peu satisfaisants le conteur privé de son
public est gêné pressé en finir il relatera la suite des événements et
après. sans attarder sur leur motivation pourquoi Encore
explication psychologique doit-elle rester voilée le bon conteur laissant
son public le soin de tirer du récit une morale qui est pas toujours
évidente
Un troisième point est la confirmation que mythe et conte ne sont
pas des genres distincts du point de vue génétique Propp voyait là une
différence historique mais si certains contes apparaissent bien comme
des fragments de mythes dont le sens initial est perdu et qui auront
éclaté dans le présent mythes et contes coexistent et ce sont plutôt des
rapports de complémentarité observe ethnographe Une différence
ordre psychologique est sensible dans le contenu lieu temps acteurs
ne sont pas les mêmes et dans le fait que des prescriptions et des inter
dits particuliers attachent chacun des deux genres Les mythes ne
pourront être récités que par certains seulement prêtres ou doyens de
lignage et au cours un certain rituel alors que les contes ne se rappor
tent pas durant la journée où on traite affaires sérieuses mais seule
ment la nuit Les formules immuables qui ouvrent et ferment le conte
marquent encore une interruption de la vie quotidienne elles arrêtent
le cours du temps pour transporter auditoire dans le monde de imagi
naire mais un souci de vraisemblance demeure sensible dans les contes
au contraire du rêve analyse fait apparaître une autre différence entre
mythe et conte celle au départ entre manque individuel et manque
social Si le manque initial il agit de combler famine pauvreté
absence épouse ne concerne un individu isolé le récit est vraisem
blablement un conte il concerne la communauté voire ensemble des
êtres vivants il agit un mythe Précisons que la distinction ne reflète
MORPHOLOGIE DU CONTE AFRICAIN 159

pas nécessairement les catégories indigènes ce serait plutôt un trait


classificai oire objectif que tout observateur peut contrôler dans les faits
Ainsi le conte de La belle plantation en dépit du message explicite
final ce que traduisent les pleurs des nouveau-nés) est en réalité un
mythe de origine des plantes cultivées que la ruse Araignée contraint
ses partenaires célestes lui livrer la le on première perdue le conteur
sentant le besoin de justiner son récit aura joint une variation de son
cru Le même conte dans une société voisine est donné sous le titre
Pourquoi les papillons battent des ailes )1
Le recours des traits morphologiques permet de pousser plus loin
analyse des textes Nous entendons pas pour autant ignorer la méthode
historique telle que ont établie Aarne et Thompson qui applique
dégager la présence de contes-types et préciser leur centre de diffusion
Mais aucun moment les tenants de cette méthode ne interrogent sur
le fait que une version une autre deux ou plusieurs éléments voient
leurs rapports modifiés parfois même inversés changeant radicalement
la signification générale du conte Leur travail est un travail inventaire
qui prend en considération la seule présence ou absence et la distribu
tion géographique de motifs ils ne cherchent pas situer dans le
contexte social propre chaque variante Or les contes pour auditoire
auquel ils sont destinés ne sont pas seulement un divertissement ils ont
un sens
Enfin nous rejoignons ici la mise en garde de Lévi-Strauss ce
sens est jamais réductible la seule morphologie qui en est en quelque
sorte que la syntaxe Cette première étape doit être complétée par étude
des transformations de thèmes des structures et des éléments des contes
analyse de leur combinatoire est précisément une des ressources essen
tielles pour une plus juste appréhension du sens véritable de chaque
variante On parvient dans la mesure du possible en suivant une double
démarche en partant du particulier pour aller au général et de là revenir
au particulier on éclaire chaque conte une lumière plus précise
écart le plus grand que nous ayons constaté est celui qui sépare
dans homme qui entend le langage des animaux les versions recueil
lies au sud de celles connues au nord du Sahara Il agit en effet une
différence de structure puisque le conte arabe est cyclique le mari
voit son autorité dans le ménage menacée il va céder mais se reprend et
affirme sa supériorité par un recours la force brutale alors que les
versions africaines sont toutes descendantes homme cède il livre son
secret et meurt Les fins opposées expliqueraient par des différences
fondamentales dans le statut de la femme mariée en milieu arabe elle
dépend entièrement de son mari elle ne peut demander le divorce mais
vit dans la crainte une répudiation toujours possible La situation
inverse se rencontre en milieu africain traditionnel où la femme mariée
est une alliée qui garde son indépendance économique le mari toute sa

GIRARDp 323
DENISE PAULME

vie demeure obligé de ses beaux-parents si ceux-ci soutiennent leur


nile il ne peut rien lui refuser Une autre approche verrait dans la version
africaine du conte un effort infructueux pour retrouver état initial
avant la chute en ce temps-là le temps du mythe les hommes
vivaient en paix avec les animaux trouvaient leur nourriture sans effort
ils ne mouraient pas Cette époque paradisiaque pris fin la suite un
événement qui est souvent un oubli ainsi dans le mythe du Double
message qui rapporte origine de la mort animal chargé du message
immortalité néglige sa tâche et se laisse devancer par celui qui porte
annonce de la mort Si cette interprétation qui exclut pas la précé
dente était retenue la version africaine descendante traduirait impos
sibilité de concilier cet état premier paradisiaque avec les conditions de
la vie vécue et notamment la présence des épouses Dans cette perspec
tive le conte arabe moins riche de sens serait une dégradation du mythe
qui est plus senti comme tel et aura été réinterprété
Les divergences entre versions européennes et africaines des Alliés
animaux ne sont guère moindres Les textes européens sont de forme
ascendante la fin voit le triomphe de effort individuel le jeune homme
pauvre épousera la fille du roi grâce aux animaux il avait secourus
et qui reconnaissants accompliront pour lui des tâches surhumaines
Plus complexe le conte ashanti offre une structure en spirale une fois
sa pauvreté initiale oubliée grâce aux animaux qui lui ont apporté de
la viande et de la poudre or le Chasseur court un grave danger il est
devenu trop riche il se tirera affaire grâce une ruse que le serpent
lui permet de mettre en uvre Aucun mariage la le on du conte est en
réalité la punition de ingrat qui pu supporter la bonne fortune de
son bienfaiteur et dénoncé pour satisfaire son appétit de vengeance
se condamnant ainsi lui-même en regard la conduite du Chasseur qui
est montré abord ami des bêtes puis celui des hommes en sauvant
enfant du chef et surtout en débarrassant la société un élément
nuisible apparaît exemplaire
Les différences dans les autres contes sont des différences de contenu
Les versions africaines des changes successifs sont des mythes étio-
logiques qui expliquent la nécessité du troc indispensable la vie en
société sans échange les hommes auraient connu aucun progrès tech
nique Le thème survécu dans le folklore européen mais desséché
ne plus traduire tel celui des Alliés animaux une apologie
de effort individuel dans une société compétitive tous les ambitieux
pourront identifier au jeune homme démuni qui su tirer profit un
premier incident pour accroître chaque fois ses gains se retrouvant fina
lement possesseur un uf sinon une épouse Rien ne saurait être
plus éloigné de la sagesse africaine le mariage est pas dans ses contes
la conclusion obligée marquant le succès du héros De fa on plus générale
la littérature traditionnelle des sociétés noires abstient de prôner effort
assidu opiniâtre par lequel un homme se distinguerait de ses congénères
la fortune excessive ainsi amassée pour lui seul sans profit pour la commu-
MORPHOLOGIE DU CONTE AFRICAIN

naute ne pourrait éveiller envie de ses proches et le faire soup onner


de magie noire Elle troublerait gravement ce bien suprême est le
bon voisinage sans lequel pas de vie en société
Le même souci impératif du maintien de rapports harmonieux entre
individus appelés vivre côte côte est sensible dans les versions afri
caines des Deux filles où on voit condamnée la ur jalouse et aussi
la mauvaise co-épouse il est encore plus accentué dans La fille sans
main la co-épouse qui dénonce par méchanceté pure infirmité de sa
compagne sera châtiée instar du traître des Alliés animaux elle
périra victime de sa machination
Au premier abord la seule présence de thèmes identiques dans des
cultures différentes inciterait croire en une certaine communauté des
démarches de la pensée en une certaine universalité de ses modèles et
on serait tenté en déduire que chaque culture doit vraisemblablement
utiliser les éléments particuliers dont elle dispose pour travers eux
traduire des notions que on estime relever un fonds commun Or le
processus est inverse léments et structures des contes peuvent présenter
une étonnante similitude formelle travers des sociétés fort éloignées
mais analyse on constate que la signification qui en résulte est très
différente car ils sont utilisés pour des motifs et dans une perspective
propres chacun des milieux dans lesquels ils intègrent
Ainsi le conte du Nom inconnu se retrouve en Europe mais avec
de profondes modifications qui expliqueraient par la présence dans le
monde chrétien du Moyen Age un dualisme tranché entre le bien et le
mal le traître et le héros le héros ne saurait faire appel une duplicité
laquelle seul aura recours son adversaire Aussi la ruse change-t-elle
de côté pour émaner du Diable dans les versions recueillies en France
comme en Allemagne Bien entendu le Diable échoue la découverte de
son nom lieu par hasard et la fin voit son départ en fumée dé et
ridicule1 La morale africaine est plus ambiguë en absence autre
moyen de défense la ruse est tenue pour légitime seul compte le résul
tat On se moquera Araignée pris son propre piège et qui voit sa gour
mandise sérieusement punie mais on admire sans réserve astuce de
enfant du mal enfermé dans une outre par un forgeron dont ses
méchants tours ont épuisé la patience cet être insupportable se fait déli
vrer par les fillettes de son ennemi il persuade de prendre sa place
le public rit aux éclats de voir le forgeron jeter outre au feu brûlant
ainsi ses propres enfants2
Appliquée aux contes africains analyse structurale aide mettre
en lumière les traits qui leur sont propres travers ces traits certaines
valeurs idéales se dégagent auxquelles les sociétés dont ils émanent atta-

Le nom du Diable conte-type no 500 de la classification Aarne et


Thompson Il est néanmoins des contes européens où ascension continue du héros
est effet une duplicité qui se joue de tous les obstacles le meilleur exemple
reste celui du Chat botté
MoNTEiL Contes soudanais Paris 1905 pp 158-165
102 DENISE PA LME

client une importance particulière La réussite individuelle compte peu


en regard de la survie du lignage ou de la bonne entente nécessaire la
vie en commun individu donné en exemple ne sera pas le travailleur
acharné qui réussit par sa ténacité là où autres avant lui se sont décou
ragés est homme moyen sans ambition excessive mais patient
serviable et bon voisin
Il en faut toutefois de beaucoup que les variantes africaines un
conte universel soient interchangeables les différences entre milieux
reflètent que étude des textes permet de préciser Ainsi les contes
merveilleux hausa sont-ils toujours plus proches de ceux Afrique du
Nord que des versions de leurs voisins immédiats Dans les changes
successifs le récit hausa comme le conte européen décrit une ascension
continue1 orphelin déshérité le héros sa première rencontre est encore
lésé par un chasseur qui lui prend son bâton défaut du bâton perdu
orphelin exige oiseau que son arme permis abattre Sa réaction
est la même que celle du héros de nos régions qui se fait remettre le coq
coupable avoir picoré son unique grain de blé La suite rapporte
comment un et autre sauront exploiter avantage ainsi découvert
en gagnant chaque fois au change Le jeune homme hausa apporte rien
aux hommes mais la fin il obtient par ruse deux femmes en arrivant
au bord une rivière qui longe les murs une cité il plante debout un
cadavre que les épouses du roi venues chercher de eau feront tomber
il les accuse de meurtre et le roi lui donne alors deux femmes en compen
sation On ne étonnera pas de ces ressemblances si on songe aux
contacts très anciens des Hausa avec le monde de la Méditerranée leurs
colonies établies de temps immémorial dans les centres urbains de Tripo-
litaine et de Tunisie sont demeurées en rapports étroits avec les grandes
cités du nord de la Nigeria économie mercantile pas de secrets pour
ces grands commer ants Cités aux murailles fortifiées aux portes closes
la nuit souverains capricieux souvent mal conseillés par un traître
étranger que le jeune homme aventureux héros de histoire saura
démasquer princesse captive dont il obtiendra la main recevant en
même temps la moitié du royaume le décor et les personnages des
contes hausa évoquent toujours beaucoup plus le cadre des Mille et une
nuits que celui des villages de la savane ou de la forêt africaine

Nous souhaiterions en terminant voir un intérêt se développer chez


les spécialistes pour des recherches ordre cette fois synchronique Les
études diachroniques entreprises sur des contes-types et leurs variantes
permettent par les différences elles mettent en lumière de préciser
des écarts entre les systèmes de valeurs des milieux concernés mais seule
une collecte systématique portant non seulement sur les mythes les
légendes et les contes mais aussi les proverbes énigmes devises anec-

TREMEARNE Hausa Superstitions and Customs London 1913


pp 380 sq The lucky youngest son
MORPHOLOGIE DU CONTE AFRICAIN 163

dotes jeux de mots une société donnée en mettant jour son trésor
littéraire permettra le déchiffrement de son langage symbolique Person
nages accessoires incidents ne sont jamais gratuits leur choix qui va
de soi pour auditoire indigène explique par un recours aux croyances
et aux usages aux gestes et aux techniques de la vie quotidienne Certes
les contes ne donnent pas image fidèle ni surtout complète de la société
explication ethnographique ses limites mais interprétation ils
proposent permet aussi de mieux comprendre le modèle qui reflète
les problèmes que la vie pose ses enfants les solutions proposées et
accueil réservé aux compromis en un mot le jugement que la société
par la voix du conteur et les commentaires du public porte sur elle-
même Les contes sont des témoins de intérieur non des observateurs
étrangers

LACOSTE-DUJARDIN Le conte kabyle Paris 1970 ni

Vous aimerez peut-être aussi