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Paulme Denise. Morphologie du conte africain.. In: Cahiers d'études africaines, vol. 12, n°45, 1972. pp. 131-163;
doi : https://doi.org/10.3406/cea.1972.2775
https://www.persee.fr/doc/cea_0008-0055_1972_num_12_45_2775
Une classification ne saurait non plus reposer sur les seuls motifs
dont assemblage forme un récit car aucun motif est indécomposable
si court soit-il un énoncé comprend toujours plusieurs termes dont
chacun est permutable mais les partisans de ce mode de classification
ne tiennent évidemment pas compte de ces changements
Enfin les classements établis par les Africains eux-mêmes toujours
précieux pour ethnographe ne peuvent être ici un grand secours car
ils se limitent le plus souvent une distinction entre histoires vraies
mythes légendes historiques récits exemplaires didactiques ou édi
fiants et inventées récits humoristiques ou fables animales) la fron
tière entre les deux genres avérant fluide des récits qui ont le caractère
de mythes dans une société sont des contes pour autres et inversement
Comment ne pas être frappé par le double aspect du conte une part
son extraordinaire diversité son pittoresque haut en couleur et autre
part son uniformité non moins extraordinaire sa monotonie est de
cette double constatation que Propp est parti pour écrire sa Morpho
logie du conte1 appuyant sur le principe on trouve dans tous les
contes des valeurs constantes et autres variables Propp attache
distinguer les unes des autres et parvient une découverte capitale le
conte prête souvent les mêmes actions des personnages différents ce qui
change ce sont les noms et les attributs des personnages ce qui ne change
pas ce sont leurs actions les événements relatés2 partir de cette obser
vation essentielle Propp est efforcé isoler les fonctions entendant par
ce terme action un personnage définie du point de vue de sa signifi
cation dans le déroulement de intrigue analyse de cent contes de
fées russes lui permis de dégager une suite de trente et une fonctions
correspondant aux principaux actes et événements relatés éloignement
interdiction transgression interrogation tromperie etc vrai dire
aucun conte ne présente toute la série des fonctions il des lacunes
mais celles-ci assure Propp ne brisent pas la chaîne et ne changent en
rien emplacement des fonctions subsistantes diverses séquences pour
ront donc malgré les manques être considérées comme relevant un
même type que la juxtaposition permet de rétablir Soit les séquences
suivantes
conte FC
conte Fi -> Fg
conte Fi FS
Ainsi Propp mis en lumière les ressemblances entre tous les contes
russes il est pas parvenu spécifier les différences
Plusieurs auteurs notamment en France Lévi-Strauss et Bre-
mond Dundes aux Etats-Unis se sont interrogés sur les raisons de
cet échec1 Plutôt que de reproduire les arguments ils ont développés
nous voudrions ici en prenant pour objet analyse des contes africains
considérer si ensemble de la démarche de Propp ne peut être retenu
condition assouplir sa méthode et observer quelques distinctions
Selon auteur russe la série des fonctions contient un élément de néces
sité en sorte un interdit est toujours enfreint un défi est toujours
relevé Mais étude de la tradition orale et des variantes un même
conte montre il existe en fait des bifurcations ainsi un actant se voit
proposer une épreuve il décide de affronter mais pourrait abstenir
Le conteur chaque bifurcation le choix il choisit la voie positive
actant accepte de subir épreuve) la conduite peut atteindre ou man
quer son but Une victoire ne pourrait précéder le combat mais le combat
est pas toujours victorieux
instar du savant russe nous retiendrons pour unité de base ou
proposition la fonction de Propp) une action élémentaire telle que
le héros rencontre une vieille femme le père donne un cheval son
fils ou le roi veut marier sa fille Une certaine suite de propositions
sera appelée séquence une épreuve est énoncée acceptée subie enfin
une suite de plusieurs séquences qui enchaînent dans le temps ou ont
entre elles un lien de cause effet constitue une narration départ du
héros rencontre un médiateur épreuve récompense Nous nous
écarterons de Propp sur deux points
ordre dans lequel se suivent les séquences est pas nécessaire
ment immuable ainsi la rencontre un médiateur est pas indispen
sable si elle lieu elle se fait aussi bien avant après énoncé une
épreuve qui peut elle-même avoir disparu Il en va de même pour inter
vention un traître qui peut se situer origine des malheurs du
personnage principal est le cas dans le conte des Deux frères déjà
connu de Egypte antique où épouse du frère aîné accuse faussement
le cadet) ou ne se placer que tardivement alors que le héros ayant
accompli des prodiges rien ne paraît plus opposer ce il obtienne
la récompense attendue cf la version africaine des Alliés animaux
supra pp 76-108)
II arrive une séquence élémentaire sinon plusieurs se gonfle
former une histoire indépendante intérieur de la narration
Ces récits dans le récit ce sera par exemple celui des différentes tâches
omelioration dégradation
manque comblé équilibre détruit
TYPE ASCENDANT
MANQUE AM LIORATION MANQUE COMBL
implicite est infiniment plus riche que dans Le marché de dupes des
versions européennes où on voit un jeune homme pauvre édifier une
fortune en tirant profit pour lui seul des circonstances
La belle -plantation
Lors une famine Araignée qui est égaré en forêt se trouve
devant une plantation en plein essor gardée par trois inconnues
la plantation appartiendra celui qui devinera leurs noms Arai
gnée lance au hasard quelques noms mais sans succès De retour
au village il confie sa femme sa rencontre en forêt et le subterfuge
il imaginé pour amener les inconnues livrer leur secret il se
déguisera en nouveau-né que sa femme portera dans son dos arrivés
auprès des trois inconnues sa femme éloignera un moment
confiant son bébé leur garde Le plan réussit car les génies
désarmés par aspect de ce nouveau-né au poil gris et aux quelques
dents rougies par le jus des colas interpellent en riant Araignée
satisfait communique les noms sa femme par ses vagissements
de nourrisson lorsque celle-ci vient le reprendre est alors la
femme qui subit épreuve dont elle triomphe aisément Fidèles
leur parole les génies remontent au ciel laissant la plantation
aux mains du couple Tout enfant qui vient au monde pousse désor
mais les cris de Araignée Aowa Aowawa Aowagnono
Le manque initial peut être comblé non du seul fait du héros mais
par intervention un médiateur qui lui indique comment procéder
Ce médiateur dans les contes africains est souvent une vieille femme
Le roi et orphelin
Le héros est un pauvre orphelin qui sert de palefrenier au chef
de son village Le roi du pays convoque ses chefs en annon ant il
donnera sa fille en mariage celui entre eux qui pourra dire son
nom un nom très difficile précise le conteur En chemin le
maître de orphelin lui ordonne de chercher de eau Le jeune
homme voit une source en approche une vieille surgit des eaux
qui lui donne le nom de la fille Arrivés chez le roi le héros ne
sachant où coucher demande une vieille femme de venir dormir
avec elle au matin la vieille lui dit de se rendre écurie où il
trouvera de beaux vêtements Après aucun des prétendants
ait réussi dire le nom de la fille orphelin triomphe aisément
On lui donna la femme et tout ce il voulait
Dans état où il nous est parvenu le récit aura été modifié la logique
des contes voudrait que ce soit au matin seulement de la nuit épreuve
que la vieille la même assurément déjà rencontrée la source satis
faite du héros lui livre avec le nom de la princesse le secret de sa réussite
ordre des séquences en est pas moins le suivant
manque épouse
énoncé de épreuve
rencontre un médiateur
épreuve qualinante la nuit passée aux côtés de la vieille
épreuve triomphante nommer la nile
manque comblé
les actes contre nature trop révoltants pour être accomplis par un
homme fût-il prince la démesure même de ces actes en prouve pas
moins la qualité royale de leur auteur1
TYPE II DESCENDANT
SITUATION NORMALE RIORATION MANQUE
Dans la version des Mille et une nuits le danger est frôlé mais
homme se ressaisit et le conte se termine par un retour état premier
plus exactement une amélioration de cet état puisque les rapports
entre mari et femme sont clairement définis Cette dernière séquence
donne au texte une démarche circulaire dont nous verrons des exemples
La tortue et le lièvre
La tortue et son ami le lièvre décidèrent un jour de pratiquer
la pêche dans le fleuve voisin Ils se firent chacun une nasse et allè
rent au fleuve La tortue mit sa nasse en plein dans le courant le
lièvre pla la sienne tout près du bord Chaque matin le lièvre
venait de bonne heure et vidait la nasse de sa voisine dans la sienne
La tortue constatant que le lièvre faisait toujours de bonnes pêches
tandis elle-même ne prenait jamais rien finit par avoir des soup
ons Elle alla consulter un vieux féticheur qui lui dit Fa onne
une statuette en terre au bord de eau et enduis-la une couche
Même conte chez les Jo Luo du Bahr el-Ghazal mais la fin diffère
pris dans la cire et brûlé Araignée envoie Hyène subir le même sort et
se moque elle2
Le rapprochement des trois versions montre quel point le message
explicite final est pourquoi est depuis ce temps que. dans la
deuxième version est depuis lors on voit des araignées sur eau
compte peu dans économie générale du conte La phrase dernière est
jamais un artifice du conteur qui peut la modifier son gré imposer
une fin sans rapport avec ce qui précède Le rôle de cette phrase ultime
est en fait de conclure le récit ou de marquer la fin une première partie3
La le on véritable ici les dangers auxquels expose egoïsme joint
une gloutonnerie sans frein se comprend elle-même plus forte de
rester implicite
DADIE
KRONENBERG
DUNDESLe pagne
67 Jonoir
LuoParis
Tales 1955
Kush
pp 1960
119-130
pp 244-245
MORPHOLOGIE DU CONTE AFRICAIN 145
PAULME Une société de Côte Ivoire hier et hui les Bete Paris-
La Haye 1962 pp 151-152
VERDIER Le phénomène de la métamorphose dans le conte togolais
Bulletin de Enseignement Supérieur du Bénin ii nov.-dec 1969 pp 33-34
Il agit du conte-type no 563 de la classification Aarne et Thompson Cf aussi
et GRIMM Les contes âne la table et le gourdin Pour une analyse
détaillée de ce conte cf supra CALAME-GRIAULE et G-KARADY pp 12-
75)
146 DENISE PAULME
chez lesSory
Malinké
MARA
Bordeaux
univers
1970dramatique
37 ronéo etPlus
imaginaire
répanduedes
querelations
la première
familiales
cette
nn se retrouve pour expliquer de nombreux interdits totémiques les descendants
du chasseur image de leur ancêtre épargnent les représentants de espèce
alliée
GIRARD Dynamique de la société ouobé Dakar 1967 pp 141-142 Les
chiens reconnaissants
CoMHAiRE-SYLVAiN Les contes haïtiens 2e partie Port-au-Prince 1937
pp 27-32
148 DENISE PAULME
Toutefois cette fin est pas constante Dans une version béte où la
mère elle-même est partie la recherche de sa fille comme le mari qui
est révélé un énorme serpent friand de chair humaine va rejoindre les
fugitives au bord une rivière infranchissable un poisson surgi des pro
fondeurs les prend sur son dos leur sauvant la vie depuis les membres
du lignage sous peine de stérilité ménagent les poissons en cet endroit
ils demandent là des enfants2 Dans une très belle version relevée en Casa-
mance où le ravisseur est le roi de la mer ce sont les génies des eaux qui
interdisent au mari de poursuivre héroïne en fuite Et est pourquoi
hui lors une tempête on dit que est la fureur du roi des eaux
qui se déchaîne Enfin le même récit élargi dans la version de Casa-
mance aux dimensions de la légende merveilleuse se retrouve privé de
toute poésie dans un conte malinké4
PA MENGRELIS
ULME 1962 Contes
150 Précisons
de la forêt
que les
Etudes
femmes
Guinéennes
béte témoignent
1950 un goût
marqué pour indépendance et abandonnent facilement le domicile conjugal
L.-V THOMAS Nouvel exemple oralité africaine récits narang-djiragon
diola-karaban et dyiwat Basse-Casamance FAN série XXXII janv
1970 pp 258-260
COLIN Contes noirs de Ouest africain Paris 1957 pp 198-200 La jeune
fille Yanka
MORPHOLOGIE DU CONTE AFRICAIN 149
Le schéma demeure mais alors que héroïne dans les textes précé
dents se voyait transportée dans autre monde pour courir un danger
mortel la dégradation est ici le fait une simple ruse La le on entend
être la même le ton seul diffère le conte merveilleux est réduit aux dimen
sions une comédie de urs
TYPE IV EN SPIRALE
TYPE EN MIROIR
la base de tous les contes initiatiques bâtis sur une structure parallèle
se reflète idée clef de nombreuses cultures africaines savoir ambivalence de
être humain lui-même le héros positif et le héros négatif bien incarnés par des
personnages différents sont en réalité les deux aspects opposés et complémentaires
MORPHOLOGIE DU CONTE AFRICAIN 151
de homme Les conduites opposées sont le modèle des deux conduites possibles
pour chaque individu et la le on qui en dégage est que le bonheur individuel ne
peut accomplir que dans le sens de celui de la collectivité CALAME-GRIAULE
et G-KARADY supra pp 74-75)
Conte-type no 480 de la classification Aarne et Thompson
RATTRAY pp 89-93 When someone spoils something belonging to you
incidentally do not accept payment for it
L.-V THOMAS Un exemple oralité africaine les fables djugut Basse-
Casamance BIFAN série XXXI janv 1969 pp 208-209 orphelin
DIOP pp 31-41 Les mamelles
BARKER and SINCLAIR West African Folktales London 1917
89 sq
CEA 30 VIII-2 1968 passim Sur un thème de contes africains impos
sible restitution ou le cadeau prestigieux
152 DENISE PA LME
Peureux et Courageux
Peureux possède une lance
Courageux emprunte la lance de son ami pour se défendre
contre une hyène qui attaque les passants
hyène se sauve avec arme
Peureux exige sa lance nulle autre ne le satisfera
e) Départ de Courageux
Parvenu chez les hyènes il doit reconnaître parmi toutes
les lances celle il perdue
La plus vieille des hyènes lui conûe un secret lui permettant
de emparer de la lune
Courageux revient avec la lance et la lune
Prestige de Courageux
Peureux veut emparer de la lune
11 La lune lui échappe
12 Courageux demande son bien
13 Peureux part en quête de la lune il parvient chez les hyènes
qui le tuent
Les formules magiques dans les versions africaines sont soit directes
Rocher ouvre-toi Rocher ferme-toi soit des onomatopées les
biens de la caverne des mets délicieux et inépuisables Ali Baba pour sa
part découvre dans la caverne outre de grandes provisions de bouche
des ballots de riches marchandises en piles des étoffes de soie et de bro
cart des tapis de grand prix et surtout de or et de argent monnayé par
tas et dans des sacs ou grandes bourses de cuir les unes sur les autres
Le souvenir des nourritures comme richesse première néanmoins sur
vécu dans les célèbres formules qui permettent le passage de un autre
monde le beau-frère Ali Baba oublie la formule qui permet le retour
la réalité quotidienne Orge ouvre-toi et périt victime de sa cupidité
tels araignée ou la hyène des contes africains
TYPE VI EN SABLIER
teur qui sauvée Le conte aura été manipulé pour expliquer apparition en
milieu matrilinéraire un lignage patrilineaire RATTRAY pp 201-204 How the
ntoro called Aninie came into the tribe
COSQUIN tude de folklore comparé le conte de La chaudière bouil
lante et la feinte maladresse dans Inde et hors de Inde Revue des Traditions
Populaires janv.-avr 1910
Dans les contes asiatiques et européens de La feinte maladresse réunis
par Cosquin le héros demande son adversaire comment procéder ainsi dans
Haensel et Grethel no 16 du recueil des frères Grimm) la fillette demande
ogresse qui veut enfourner de lui montrer comment prendre pour entrer dans
le four et en profite pour précipiter Le héros africain pour sa part fait appel
la gourmandise de adversaire que celle-ci porte sur des richesses comme dans
le conte diola ou sur de simples nourritures par exemple il feint de croquer des
colas pour se faire remplacer dans le sac où il est enfermé par les enfants de son
adversaire)
L.-V THOMAS Diatit et le roi divertissement chez les Bandial Notes
Africaines 119 juil 1968 73
DENISE PAULME
La suite des séquences dans les contes en sablier est donc la suivante
ROS ANTI-H ROS
manque situation normale
amélioration détérioration
situation normale manque
PAULME
Notamment
Thème
chez
et variations
les Coniaguiépreuve
de Guinée
du nom
au Togo
inconnu
au Dahomey
dans les contes
voir
Afrique noire CEA 42 XI-2 1971 pp 189-205)
158 DENISE PAULME
GIRARDp 323
DENISE PAULME
dotes jeux de mots une société donnée en mettant jour son trésor
littéraire permettra le déchiffrement de son langage symbolique Person
nages accessoires incidents ne sont jamais gratuits leur choix qui va
de soi pour auditoire indigène explique par un recours aux croyances
et aux usages aux gestes et aux techniques de la vie quotidienne Certes
les contes ne donnent pas image fidèle ni surtout complète de la société
explication ethnographique ses limites mais interprétation ils
proposent permet aussi de mieux comprendre le modèle qui reflète
les problèmes que la vie pose ses enfants les solutions proposées et
accueil réservé aux compromis en un mot le jugement que la société
par la voix du conteur et les commentaires du public porte sur elle-
même Les contes sont des témoins de intérieur non des observateurs
étrangers