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Le retour
des «entrepreneurs»:
ils inventent collectivement
une économie différente
Les 16-25 ans, vous connaissez ?
Ouvriers ou bourgeois, quels son t leurs trajectoires,
leurs choix : famille, école...
e t après ?
Quel rapport au travail, à l'argent, au plaisir ?
Quels « projets » entre
résignation, marginalisation e t révolte ?
Une grande enquête sur des itinéraires,
des pratiques qui nous concernent tous.
En vente en librairie (37 FJ, dès le
9 octobre 1979. Diffusion Le Seuil.
Notre
prochain
« dossier, »
en
octobre
1979
n ° 20 septembre 79 39 F
Vente en librairie (diffusion Le Seuil) ou par abonnem ent (27, rue Jacob, Paris 6e).
Autrement jette un regard critique,
libre d ’a priori, sur les mutations, les innovations
culturelles et sociales qui form ent l'actualité
profonde de notre temps.
Conseillers :
France Étranger
• Abonnements : un an (6 ifs) ................................. 180 FF 195 FF
Établir votre chèque bancaire ou chèque postal trois volets à
Tordre d "Autrem ent et les envoyer au 27, rue Jacob , Paris 6e —
c/o Le Seuil .
PROGRAMME
Les participants Dnt attendus le jeudi 4 octobre en fin de journée à Chambéry
(Maison de la Promotion sociale - 176, rue Sainte-Rose, Tél. : 79/33.12.45). Un
buffet leur sera servi. Ils seront logés sur place et chez l'habitant.
Les « Ateliers » se réuniront les vendredi 5 et samedi 6 octobre de 9 h 30 à 18 h 30, les
repas seront pris à l'Ecole d'hôtellerie attenante. Des échanges inter-ateliers et des rencon
tres avec des intervenants extérieurs auront lieu le samedi 6, après-midi et le dimanche
7 octobre, matin.
C O M M E N T S'IN SC R IR E
Les participants ne payent qu'un droit d'inscription individuel de 120 F. (100 F
pour les « adhérents » de l'Atelier) qui couvre tous les frais.
Le nombre de places est limité, il est recommandé de s'inscrire dès que possible
(avant le 18 sept, en envoyant :
1. Une lettre d'inscription et un chèque de 120 F (à l'ordre de l'Atelier).
2. Une description brève (1 ou 2 feuillets) de l'expérience présentée (qui, quoi, où,
quand, comment...).
n° 3— Décembre 77 - Les grandes écoles ............. 160 pages 1 ère édition - Mai 79 15F
n° 5— Juin 78 - Le logement ................................. 96 pages Guide du premier emploi
n° 6— Septembre 78 - Les loisirs .......................... 96 pages et de Centrée dans la vie a c t i v e .................................... 22 4 pages
n° 7— Décembre 78 - Les jobs ............................... 120 pages
n° 8— Février 79 - Les études supérieures courtes 176 pages
n° 9— Avril 79 ■ Vacances-voyages 79 1 76 pages
n° 10 — Juin 79 - Les universités ............................ 192 pages
I 4IR4LPES
NOUVEAUTES
_ SEUII_
Raymonda Maurice Jean
Hawa-Tawil Agulhon Bertolino
Pierre-Éric Tixier
sociologue, travaille sur le fonctionnement
collectif et sur les processus
de socialisation
8 Autrement 20/79
finir son repas et sa cigarette sans que la serveuse, avec un air navré,
vous demande la table, en ont souvent rapidement assez : le client n ’est
pas toujours « cool » et ouvert et les courses aux halles le matin
n ’apportent guère qu’un charme passager ; on met alors la clé sous la
porte.
Alors qu’en milieu ouvrier, redémarrer ou quelquefois créer de
toutes pièces une nouvelle entreprise, c’est pour longtemps, la durée est
ici essentielle. Sans doute y a-t-il d’autres raisons, par exemple créer un
centre thérapeutique ne nécessite que très peu d ’investissements par rap
port à une entreprise industrielle.
La nouvelle entreprise est un portrait à mille faces, un kaléidos
cope, lieu d ’alliances de classes entre une certaine bourgeoisie engagée
à gauche qui préfère gagner moins d ’argent et rêve à une expérience,
des petits-bourgeois qui désirent échapper à la prolétarisation de l’usine
ou des postes sans pouvoir de décision en institution, de jeunes post
scolaires en recherche d ’un travail où ils pourront se réaliser et
d’ouvriers qui veulent préserver leur emploi et acceptent les contraintes
d’un jeu capitaliste.
La nouvelle entreprise s’exprime par la diversité et la variété de
la durée des expériences. Il n ’existe aucune donnée fiable.
Produire ou animer ?
L’échantillon des cas pratiques présentés dans ce numéro ne tend
pas, bien sûr, à l’exhaustivité. Cependant, à partir de cette courte liste
et à partir aussi des réflexions glanées ça et là auprès des gens de la
base, des divers responsables politiques et syndicaux et des analystes,
on peut essayer de suggérer une typologie des entreprises collectives.
La notion même d’entreprise collective se prête à la discussion ;
en effet l’adjectif postule davantage un idéal qu’un mode de fonction
nement strictement codifié. L’entreprise collective n’a pas d ’unité, ni
sur sa forme juridique ni sur les secteurs d’intervention.
La démarche empirique qui a été largement suivie pour l’élabo
ration de ce numéro et notamment pour le choix des cas, a permis
tout de même de distinguer quatre secteurs dans lesquels se dévelop
pent, aujourd’hui en France, ces entreprises collectives :
• la petite et moyenne entreprise, menacée de faillite ;
• le secteur socioculturel : accueil des handicapés, animation,
éducation et loisirs des enfants, etc. ;
• l’artisanat : aussi bien sous ses formes traditionnelles, par
types d ’activités que sous des formes nouvelles avec une re-composition
des conditions de travail et de production (voir article de Claude Vien-
ney) ;
• le tertiaire supérieur : bureaux d ’études et de recherches, en
matière électronique ou informatique, par exemple.
Pour prendre un exemple étranger, en Allemagne (voir article de
J. Huber), on parlera de : — projets professionnels (activités directe
ment productives) — projets duals (proches du bénévolat) — projets
sociaux (ce qu’on appellerait ici le 3e secteur) — projets politiques
(écologie, défense des usagers, des libertés)
10 Autrement 20/79
assigné : être des pôles d ’animation pour un tissu social qui n’est pas
« animé » et qui ne le sera pas. Accessoirement, on observera que le
caractère souvent velléitaire de ces expériences s’explique de ce fait :
l’activité comptant moins que ses formes, on s’y épuise vite puisque les
satisfactions ne viennent pas avec les résultats.
Vieux débat, qui depuis plus d’un siècle enrichit les « misères »
de la philosophie... Faut-il conclure sur l’insignifiance de ces expérien
ces de travail social tant qu’elles ne seront pas intégrées à une démar
che politique globale ?
Certainement pas, ne serait-ce que parce qu’elles rendent des ser
vices immédiats et précieux dans les failles et les lézardes de l’Institu
tion. Elles sont indispensables aussi en tant que processus d ’expérimen
tation et, c’est une des problématiques de ce numéro, en tant que
structure originale de travail. « Ici et maintenant » reste à tous égards
un mot d ’ordre.
• Les entrepreneurs alternatifs : c’est une catégorie hétérogène
où l’on retrouve aussi bien des éducateurs qui créent du travail pour
des marginaux que des artisans, des commerçants, des restaurateurs,
etc. L’unité entre ces différents entrepreneurs est marquée par deux élé
ments :
— le fait qu’ils interviennent généralement dans des activités tra
ditionnelles ou qui tout au moins ne supposent pas l’application de
technologies de pointe (restauration, menuiserie, etc.) ;
— la volonté explicite d ’une démarche de confrontation directe
avec le marché, sans l’apport obligatoire de subventions (en ce sens, ils
diffèrent des intervenants sociaux).
de « militants » et pour ceux, plus jeunes, qui les ont suivis — une
perspective envisageable : ne pas renier ses idées — antihiérarchiques et
communautaires — et survivre matériellement.
Plusieurs thématiques se rejoignent pour fonder le nouveau pro
jet : la vieille utopie coopérative, renouvelée par les slogans de mai ; la
critique de l’État et de l’Institution, revigorée par une pratique concrète
de production et de travail ; l’aspiration à des petites unités autono
mes, amplifiée par le discours écologiste ou « environnemental ».
Au centre de ce cocktail d ’idéologies, la notion d ’entreprise.
Parle-t-on enfin de choses sérieuses ou est-ce le retour en force des
vieilles lunes néo-libérales ? Il y a comme une coïncidence entre les dis
cours officiels des « premiers économistes de France » et les aspirations
des vieux briscards de la marginalité. Il y a peut-être aussi comme un
certain malaise, que soulignent notamment les organisations syndicales
(voir interview de Jeannette Laot).
La création d ’entreprise est aujourd’hui un débat d ’importance.
Le pouvoir semble y attacher une relative attention et certains pro
grammes vont assez loin dans ce sens (voir interview A. de Romefort).
Raison de plus pour s’interroger sur ce « retour à l’entreprise ». La
création des petites unités de travail — parfois autogérées —
représente-t-elle vraiment un enjeu économique, un enjeu social et un
enjeu idéologique ?
• Un enjeu économique : même si certains secteurs d ’activité,
notamment en matière sociale, ne sont pas rentables pour le système et
peuvent donc être abandonnés sans dommage à l’initiative collective, ce
n’est pas cela qui va constituer une béquille pour le capitalisme (voir
interview M. Rocard). A terme, certaines activités de pointe ou de
sous-traitance pourraient étoffer le secteur collectif, mais, en tout état
de cause, cela ne devrait pas non plus provoquer des bouleversements.
(Toutefois, les experts économiques internationaux semblent accorder de
plus en plus de crédit pour l’avenir à ce type d’unités de travail. Ainsi
dans le rapport Interfuturs de l’O.C.D.E. (voir Le Monde du 9/07/79),
on peut lire : « L’existence de ce secteur informel peut être pour les
individus la source de satisfactions susceptibles de compenser une dimi
nution des revenus consécutive à une baisse du temps de travail dans le
secteur formel. »)
• Un enjeu social : c’est le remède au chômage. Au niveau
local, le redémarrage d ’entreprises ou la création de petits collectifs de
travail peuvent constituer des solutions précieuses (voir l’article d’Y.
Laplume). Mais il s’agit bien évidemment de solutions à tous égards
marginales, qui ne vont pas englober à court terme les 1,5 million de
chômeurs actuels.
• Un enjeu idéologique ? trois constatations préliminaires doi
vent être faites :
— première constatation : le gouvernement français — comme
d’autres gouvernements, notamment canadien — est favorable à la créa
tion de petites unités collectives de travail, étant bien entendu qu’il
s’agit d ’un secteur marginal à côté du secteur concentré (on parle
d ’économie duale) ;
14 Autrement 20/79
tion qui a émergé ces dernières années processeurs) ne peut que leur apporter de
désigne bien une logique s ’opposant à celle nouveaux outils bien adaptés à leur style
de l ’héritage. Les « nouveaux hommes » de travail et à leurs productions.
ne jouent plus les héritiers. Soit qu’ils Récusant les vertus de la concentra
n ’aient pas d ’héritage et qu’ils soient tion et de la spécialisation dans les orga
ainsi poussés à conquérir de nouveaux nisations traditionnelles, la transformation
espaces, soit qu’ils aient plus à gagner du travail humain en marchandise et en
dans cette conquête que dans le jardinage coûts à réduire, la lourdeur des hiérarchies
d ’un espace transmis. dites naturelles et la course à la « réus
Les « nouveaux hommes » tournent le site », ils expérimentent de nouveaux mo
dos à leur papa, pour sortir grand-papa dèles. Et là n’est pas leur moindre attrait.
du grenier, et retrouver dans cette nou Que ceux qui parlent de créations d’entre
velle filiation symbolique une mémoire de prises en pensant P.M.E. traditionnelles
ce temps où « entreprendre » était une regardent d’un peu plus près la qualité,
aventure, où « l ’entrepreneur » de Jean- le nombre et le potentiel de ces « nou
Baptiste Say avait figure de pionnier so veaux hommes/nouveaux entrepreneurs »...
cial. Cette rupture d ’un rapport linéaire Ils comprendront peut-être pourquoi il est
au père, c ’est la rupture d ’un processus prioritaire de les aider, de faciliter leur
de reproduction. survie et leur développement. C’est là où
Mais le modèle de grand-papa est les idées reçues peuvent être remises en
ici lavé de tout soupçon d ’élitisme et de cause et où les jeunes, d’instinct, inven
privilèges bourgeois : entreprendre est mis tent des solutions.
aujourd’hui à la portée de tous. L ’auto Bien sûr, comme les radicaux améri
gestion, comme capacité d ’entreprendre cains des années 60 qui jouent aujour
collectivement, fonctionne alors comme d’hui avec dynamisme sur le même terrain
démocratisation de l ’accès à la virilité (...). que leurs anciens adversaires, nos « nou
veaux entrepreneurs » risquent-ils d’être
les otages et les dupes du marché et de
Des pionniers ou des dupes ? leur investissement dans l’économique. Et
la question mérite d’être posée ici, car elle
Cette quête d’identité, cette révolte sous-tend toutes leurs discussions internes :
sous-jacente, cet activisme social que l’on « pour quel Projet, pour quelle Société
retrouve chez ces « nouveaux entrepre agissent-ils ? ».
neurs » s’accompagnent ainsi d’un sens aigu N’y a-t-il pas un risque de « vivre
de l’adaptation à des temps difficiles. Pro autrement » dans un monde inchangé, de
jet social + pragmatisme. L’analyse de jouer le jeu des grands appareils en privi
M.-O. Marty recoupe la mienne, celles de légiant des actions ponctuelles à la base
J. Chancel, P.-E. Tixier et de J. Huber hors stratégie globale ? Comme le dit
(pour l’Allemagne) dont je recommande la J.-P. Garnier, brillant pourfendeur d’expé
lecture en priorité. Elle confirme que le rimentateurs piégés, et éloquent apôtre de
« marché des créateurs » existe mais peut- l’alternative socialiste non-Rocardienne,
être pas là où on l’attendait. non-Américaine et non-Scandinave (où
Les pionniers de « l’économie des est-elle ?), « la micro-révolution perma
temps difficiles » qui créent leur et des nente comme stratégie new-look du chan
emplois sont dans des groupes que l’on gement social » garantit en fait le main
dit marginaux : jeunes chômeurs, jeunes tien des mécanismes fondamentaux du sys
asociaux, universitaires et cadres sans ave tème actuel. Ces espaces de liberté, ces
nir professionnel véritablement séduisant entreprises « alternatives » ne seraient que
et désireux de survivre économiquement le relais d’un État soucieux, lui aussi, de
sans être prisonniers de structures et de survie.
concepts dépassés. (Je mets de côté pour Ces arguments ne manquent pas de
l’instant les ouvriers qui reprennent leurs poids ni de sel (voir son article), mais je
entreprises en difficulté et dont les ini ne pense pas que les dupes soient si nom
tiatives se multiplient !) breux, en tous cas moins nombreux que
Ces pionniers, partout en Europe ces pèlerins, que l’on a pu rencontrer,
(qu’on ne se limite pas aux chèvres dans trompés par une succession de mirages
les Cévennes !), apportent une réponse idéologiques dans un désert d’action.
constructive à la crise du système écono La récupération existe, c’est un phé
mique, au chômage. Ils sont les francs- nomène permanent et inévitable, mais elle
tireurs d’une économie de croissance nulle marche dans les deux sens. Être peu nom-
ou faible et l’arrivée des technologies breux n ’est pas une tare si les idées sont
« douces » (de l’éolienne aux micro fortes et les actes durables, et
La bande à Bulle :
dans les failles
du Show-biz
Monique Astruc
Alain Ostairich
impatient des échos, des feed-back, texte-action, écrit non par des eth
nologues de l ’alternative, mais par des acteurs « qui en sont ».
Car si c ’était peut être là aussi que « ça se passe », le change
ment social, dans le désordre des conflits, le foisonnement d ’idées,
dans les coups de gueules, les décisions au coup à coup, l ’inquiétude et
la réflexion devant des assemblées générales et des conseils d ’adminis
tration, où l ’on mesure le décalage des aspirations aux aspérités
rugueuses de la réalité ?... E t si c ’était aussi cela l ’alternative ? Celle
qui dérange et cautionne en même temps ; celle qui déborde toujours
après coup, ceux qui la fo n t et ceux qui la parlent.
raient », et surtout « que ce n ’était pas parce que Bulle se voulait dif
férente et alternative qu’il fallait faire forcément misérable », céder aux
codes des entrepreneurs marginaux, mythologiques de l’espace qui veu
lent que « plus ça fait crado, plus c’est politique ». Car pour eux, le
problème de fond était ailleurs, dans le fonctionnement collectif,
l’implication des adhérents à venir. Tout le monde n ’a pas compris
cela, et l’on a beaucoup critiqué la surface, « l’aspect luxueux » de
Bulle ; d ’abord en l’exagérant, ensuite en ne cherchant pas plus loin
dans « l’enjeu » de l’entreprise.
Alors si lui le dit, ne pas s’en priver, faire du bruit dans Bulle,
autour ou ailleurs ; les expériences alternatives ont tout à y gagner (ce
qui ne veut pas dire forcément qu’elles n ’ont rien à y perdre). Simple
inversion, façon expérimentale, des données des lois d’échange et
d’usage des rapports économiques et sociaux où l’humain a encore son
mot à dire, a
(1) Attali Jacques, bruits, Essai sur l’économie politique de la musique, P.U.F.,
1977.
(2) Cf. : Editorial Bulletin de liaison de Bulle-l’œuf n° 1, page 1 et 2.
(3) Boulette distribution : entreprise parallèle à Bulle, dont Bernard s’occupera,
qui se destinait à la vente en gros de disques différents et exclus des circuits. Cette
entreprise a depuis interrompu son activité.
(4) Et qu’on allait poursuivre ensuite autour d’un verre au Court-Circuit, à
L.I.B. 33, pour la répercuter au Germinal ; coop de disques. C’est à cette période que
Le Spectaclier, rue Cujas à Toulouse s’ouvre, après des rencontres avec Bulle.
(4) Et L.I.B. 33 dira-t-on ? L.I.B. 33, librairie alternative coopérative n’a pas
su (ou voulu) s’ouvrir sur l’extérieur. Nous pensons (avec de nombreuses personnes
interrogées) qu’une collaboration (en fait une intercoopération) aurait pu la sortir du
« ghetto culturel » et peut être des difficultés où elle semble se trouver.
(5) Pour ceux qui en veulent un peu plus : Le projet coopératif, H. Desroche,
Editions Ouvrières.
(6) Bernadette, une des femmes du groupe des fondateurs, va plus loin ; se défi
nissant comme propulsée à un rôle bidon de présidente, et rejettée du groupe, elle
nous dira : « Le groupe se préparait aux réunions pour éviter le noyautage ; les choses
étaient déjà toutes pensées, on voulait quand même récupérer l’argent investi. Au
début, on se serrait les coudes, après, quand il y eut désertion des participants exté
rieurs le groupe a fait éclater ses dissensions intérieures. »
(7) l re A.G. du 29 mars 77 : le quorum nécessaire (1 /6e des 600 adhérents) fut
atteint difficilement, en « ratissant » les procurations à la dernière heure.
2e A.G. en 1978 : quorum non atteint et 2e A.G. convoquée, où les décisions
furent prises quand même, conformément aux statuts coopératifs.
La Menuise
ou la dialectique
des copeaux
Jules ChanceI
François qui sert de guide ; un guide un peu désabusé qui parle pres
que pour lui-même : « fonctionnement coopératif, tu parles... regardez
ce foutoir... pas un outil à sa place... la voilà l’autogestion... »
On se doutait que « ce n ’était pas de la tarte »... mais à ce
point. Heureusement, les autres viennent nous chercher pour aller chez
Gérard, juste à côté de l’atelier. Ce n ’est pas une maison d ’artisan
comme on se l’imagine, mais Gérard n ’est pas non plus un menuisier
très classique. Sa maison est un lieu de passage où défilent les amis de
ses enfants, les comédiens de la troupe amateur de sa femme et les
nombreux visiteurs de la coopérative. Sur les murs, des masques grima
çants d’Indonésie (Gérard est un ancien attaché culturel aux Affaires
Étrangères). Sur la table, un ancien établi de bijoutier où chaque place
est marquée par une avancée en demi-lune. Quelques verres de vin.
Gérard commence sa présentation de la Menuise. Son interrogation
commence — en tout cas, pour les besoins de l’exposé — par une
recherche juridique.
La Menuise se définit d ’abord comme un regroupement de sept
artisans individuels dont l’objectif de base, l’impératif posé dès le
départ, sont de trouver le point d ’équilibre — et donc sa forme juridi
que — entre le fonctionnement collectif et l’indépendance de chacun.
Une telle volonté de conciliation entre le collectif et l’individuel
n’est pas forcément compatible avec l’état actuel de la législation et de
la réglementation. Comment, par exemple, résoudre les problèmes
d’assurance ou de répartition fiscale entre plusieurs artisans indépen
dants qui, de fait, travaillent ensemble et utilisent les mêmes machi
nes ?
Small is beautiful
Une telle société autorise le maintien de l’individualité de chacun
et permet également la réalisation des travaux en commun. Il s’agit en
fait d’une boîte aux lettres et d ’une structure de répartition des frais.
L’avantage par rapport au G.LE. consiste dans une meilleure prise en
compte des travaux assumés collectivement par les différents associés
(on retrouve alors la structure S.A.R.L. et donc la répartition des pro
fits et des pertes). L’autre avantage concerne le risque éventuel de fail
lite : dans ce cas, l’engagement des associés se limite à leur participa
tion. Il ne faut pas croire pour autant que l’ensemble des problèmes
juridiques se trouve réglé par cette formule mixte.
La pression fiscale demeure forte, mais surtout, les obligations
administratives et comptables deviennent considérables. A cet égard,
Les nouvelles coopératives 29
ver une solution ; elles sont collectives nos bécanes, ça doit se retrou
ver dans les textes ».
évident qu’une entreprise n’est réalisable sur le marché que si elle dis
pose d ’un certain nombre d ’atouts. Et puis, il n’y a pas d ’incompatibi
lité théorique entre certaines formes de rentabilité et un fonctionnement
collectif : au contraire. De toute façon, l’économie d’échelle, si elle jus
tifie le regroupement, ne représente pas en tant que telle sa finalité.
Cette finalité Gérard la définit en trois point :
• Permettre à chacun de créer son entreprise individuelle, tout
en bénéficiant de structures collectives.
• Permettre à chacun de décider l’organisation de son propre
travail et d’adopter le rythme qui lui convient.
• Intégrer des démarches individuelles à un ensemble collectif de
décision, de réflexion et, pourquoi pas, d ’amitié. (On réalise que ces
trois points correspondent aux préoccupations d’ordre juridique telles
qu’elles ont été exposées plus haut.) Sur le premier point, il n’y a
guère à ajouter à ce qui a déjà été dit, sinon que les avantages évi
dents supposent aussi un minimum d ’esprit collectif quant à l’utilisa
tion des machines. En effet, certains matériels, par exemple, peuvent
être monopolisés pendant plusieurs jours par certains qui démarrent un
gros chantier : il s’agit notamment de la dégauchisseuse, de la rabo
teuse et de la scie à ruban. Il convient, dans ces conditions, d’organi
ser au mieux les programmes de travail et de faire montre d’une cer
taine dose de patience communautaire.
en dire, une façon de vivre. A cet égard, Gérard fait remarquer qu’ils
reçoivent beaucoup de visites, d’amis, de curieux, que la discussion est
permanente, soit sous la forme de réunions « officielles », soit sous la
forme de coups au bistrot, et cela pose le problème de ce qu’il appelle
une « surenchère à l’arrêt ». C’est le prix, délicieux, qu’il faut payer
au projet collectif : beaucoup de salive, beaucoup de persuasion et,
parfois, une gueule de bois... Mais pour des menuisiers... a 12
Colloque
« Nouveaux entrepreneurs »
A u tre m e n t organise les vendredi et sam edi 23-24
novem bre 1979, à Lille, une rencontre axée sur la « créa
tion d ’em plois et les entreprises collectives ».
L e b ut de cette rencontre est d ’exam iner les'm o d es de
fo n c tio n n e m en t de ces entreprises, leur insertion dans
l ’économ ie, le rôle p o te n tie l des partenaires sociaux et le
rôle spécifique des collectivités locales.
L es débats auront lieu en com m issions et les partici
p a n ts seront les intéressés eux-m êm es : prom oteurs d ’expé
riences, syndicalistes, élus locaux, chefs d ’entreprises et
banquiers, représentants de l’É tat, analystes...
L e nom bre de participants est limité. L es fra is d ’ins
cription : 150 F, (débats + repas + logem ent) s a u f p o u r
les p rom oteurs d ’expériences (50 F).
Ce colloque est organisé en liaison avec la m unicipalité
et la région.
la charpente
pour le plaisir
Monique Astruc
Alain Ostalrich
Encore le Bordelais, encore une coopé m... », du boulot au noir, des risques et
rative expérimentale ! encore un démar des clients qui payent pas toujours.
rage dans rété 1976 ! il faudra se pencher Dans ces moments-là, nécessité fait loi :
un peu sur cette période de Valternative, on ne cherche pas, on trouve. C’est-à-dire
car il semble que la cuvée ait été fertile. qu’on a les rencontres qui doivent arriver,
Et ça dure, l'A.C.A. existe encore, celles qui précipitent tout, selon la règle
mieux, elle vient d'acquérir les lettres de des convergences des parallèles. Bernard,
noblesse de la profession : deux domes en Panxoa, Raoul vont rencontrer Xavier et
charpentes de bois, dont l'un abritait la Piou, leurs compétences respectives (archi
Chambre des Métiers à la dernière foire non inscrit à l’ordre, pour ce dernier pas
internationale de Bordeaux 79 ; de quoi sionné et spécialisé par les dômes en
susciter des envieux, mais aussi faire tour charpentes, les énergies douces ; le pre
ner les têtes, de quoi faire parler les lan mier un vrai gars du bâtiment, qui en
gues dans la commune (« les chantiers ? avait ras le bol de travailler seul, qui
ah oui, la bande de chevelus »), de quoi cherchait « autre chose » dans sa bran
tenter les autres (« et nous ? pourquoi che).
pas »). 1975/76 : des discussions dans les bis
trots, autour du COURT-circuit (le court-
Un hangar en ruines et un jus, restaurant à charte coop, aujourd’hui
en cours de liquidation), des idées de
passionné des dômes en char coop qu’on va piquer à Paris, à Poitiers
pente et puis un « ras le bol de traîner nos fes
ses », « l’envie de s’inscrire, dans le tra
De l’extérieur, l’A.C.A., c’est tout vail, mais pas n’importe où, pas dans
beau, c’est tout gentil, ça paraît facile, ça n’importe quel travail et la nécessité « de
attire. Qu’on se représente une campagne trouver des structures ».
tout en ondulés, en vignes et en pins, à Comme dans la bande à Bulle, ce fut
20 km de la sortie sud de Bordeaux ; un le Tilt magique de la coopérative, car les
petit village ramassé autour d’un rivage, autres formules étaient trop ternes, trop
« le pied » quoi. Pas étonnant que les traditionnelles au niveau du partage du
cadres supérieurs draguent à mort les fric ». En effet, dès sa création, l’A.C.A.
petites maisons typiques à retaper ; pas ne sera pas traditionnelle, il s’en faut ;
étonnant qu’on trouve dans le coin une on ira jusqu’à inventer une formule de
floppée de marginaux encore « un peu » financement risquée... sur laquelle il vaut
fonctionnaires. mieux ne pas trop s’étendre côté juridique
Et pourtant, c’est encore là que Ber mais dont l’intérêt réside dans le fait
nard avait trouvé ce hangar en ruine à qu’aucun coopérateur n’est propriétaire,
400 F mensuel, avec un bail commercial et surtout que le seul critère reconnu
et une surface de 200 m2 ; et quand on a d’appartenance à la S.C.O.P. est le tra
des idées, pas beaucoup de fric, une occa vail fourni. Le droit de parole et de par
sion comme cela, ça fait facilement le lar ticipation, c’est le travail fourni dans la
ron. D’autant plus qu’il y avait urgence coop. Et bien sûr « quand tu pars, tu
« à s’en sortir », après deux F.P.A. (Ber pars sans rien », puisque les parts sont
nard et Raoul) et Panxoa « dans la transférées sur un autre.
Les nouvelles coopératives 37
« Ceux qui étaient là par idées philoso toutes les combinaisons possibles de ce
phiques se sont barrés », « ceux qui y type d’habitat. Xavier, vous vous souve
étaient parce que c'était leur gagne-pain nez, le seul qui n’était pas un intellectuel,
sont restés, parce qu'ils ne pouvaient pas Xavier, dont Raoul (l’ancien étudiant en
faire autre chose » (Raoul). No coment, science économiques), nous dira qu’il lui
comme on dit. a appris « plein de trucs », qui nous
explique les matériaux choisis, leurs avan
tages respectifs, et les marchés futurs du
On arrête tout et on recom bungalow :
mence « On en a déjà vendu 7, par relation ;
mais on est pas mal contacté, à cause du
De bouche à oreille, on a diffusé la bottin, où l'on est inscrit sous le nom
crise ; une sorte d’appel à la solidarité “constructions en bois et bungalows"...
alternative ; et pour une fois, par amitié, “on répond qu'on est une petite entre
ou par réel militantisme coopératif, il y a prisey et ainsi on peut personnaliser la
eu des échos : L.I.B. 33 prêtera 1 million production". »
cinq, le restaurant court-circuit 5 000 F,
remboursable sur un mois ou deux. Et
oui, comme dit Raoul avec une pointe Vendre ce que Von aime
d’humour « les coops se sont serrées les
coudes ». Et voilà le grand rêve qui passe : après
En septembre 77, il y aura l’arrivée de avoir créé une structure de travail sur
Patrick « un vrai professionnel », et un mesure, l’A.C.A. veut construire des pro
deuxième contrat, avec la Mairie de duits « à son image », c’est-à-dire relatifs
Sainte-Selve, leur village : la couverture « à nos problèmes, notre expériencet nos
de l’église. Un contrat sérieux, sans frais désirsy notre fric » (Xavier). Vendre ce
et très rentable, grâce à Patrick, installé que l’on aime, nous avions déjà entendu
depuis longtemps dans le village, connu et le refrain chez Bulle, mais la nouveauté
« reconnu comme ouvrier », alors que ici vient de ce que l’on fabrique soi-même
nous on était encore « les farfelus, les le produit, et l’on est moins culpabilisé.
jobards ». Lois du marché, lois de la réa On ne dira jamais assez cette différence
lité, lois de la nécessité (« maintenir l'ate essentielle entre les coops de distribution
lier■, se payer ») : « on a marché derrière et les S.C.O.P. ; l’alternative n’échappe
Patrickf bien que refaire l'église pour un pas à cette règle.
maire réac !!! » Là encore sans commen On est d’autant plus à l’aise quand ces
taire. désirs semblent correspondre à un créneau
Ce sera le début d’un nouveau départ, nouveau du marché : un certain mode de
une sorte d’officialisation de l’altelier,. et vie pour des individus mobiles (on peut
de nouveaux chantiers dans la commune, partir avec le bungalow, le mettre sur le
c’est-à-dire la possibilité de se payer un terrain en location) qui ont envie de se
peu plus décemment, un régime de croi regrouper (on peut créer une structure
sière « provisoire » après la tempête. collective qui garantit quand même des
Piou, l’architecte hors-la-norme n’avait « territoires individuels ») et qui n’ont pas
pas dit son dernier mot ; ses projets des fortunes à investir dans l’habitat.
d’école, il les portait avec lui, les rumi Raoul résumera : « ce bungalow permet
nait ; et lorsque Xavier annonça son ras de jouer sur le collectif et l'individuel »
le bol de la maçonnerie, du travail soli insistant sur les diverses possibilités offer
taire, il y eu comme des vents favora tes « par la structure ».
bles : les deux s’associèrent dans une Les gens en feront ce qu’ils veulent :
recherche de projets de bangalows en bois « un petit vieux pourra en faire un pou
(recherche payée par l’atelier) et commen lailler, et un cadre supérieur pourra y
cèrent à construire le prototype (en mettre ses gosses pour avoir la paix. »
dehors du boulot normal) dans le jardin, Pour un groupe où l’on se réclame
devant le hangar. « Piou va Γhabiter, et beaucoup de l’auto-organisation et de
il servira en même temps d'expo. » En l’inter-action des autonomies, construire
mai, il était presque fini, et Xavier s’acti et, vendre des structures ouvertes, quelque
vait à placer les fenêtres. chose que tout le monde peut investir et
habiter selon ses besoins, ou ses rêves, et
Le projet était de créer un type de bun articuler sur le collectif, c’est bon signe,
galow en bois, modulable et transporta non ?
ble, à un prix de revient abordable. Et Et les relations du groupe, les conflits,
Xavier de nous expliquer crayon en main, les relations d’hommes à hommes, fern-
Les nouvelles coopératives 39
GUIDE JURIDIQUE
laV^eOuvriére
2000 renseignem ents
su r tes droits des travailleurs
Ia.
e t de leursfam illes X
10* EDITION
A JOUR AU 1er MARS 1979
K
• DE NOMBREUSES NOUVEAUTÉS · DEUX MILLE RENSEIGNEMENTS LES PLUS DIVERS · DES «TUYAUX»
INÉDITS · QUARANTE MODÈLES DE LETTRES · 224 PAGES · TABLE DÉTAILLÉE · FORMAT 8 x 1 2
EN VENTE EN LIBRAIRIE
Les Tables Rabattues,
un restaurant
sans chef
Jules ChanceI
savoir d’où vient ce qu’on a dans son assiette. Sur les murs, des
fiches-théâtres de femmes, réunions d ’homosexuels-militants, rencontres
écologistes... toujours les mêmes ! Un grand tableau avec le menu écrit
à la craie : pour 18 francs : 1 entrée (2 choix possibles), 1 plat de
résistance (2 choix), 1 dessert (2 choix). Sur le prix, rien à redire (la
modestie des tarifs s’explique par l’importance du débit : 150 repas ser
vis par jour, en moyenne). Pour la qualité, il faudra revenir demain,
car aujourd’hui, c’est relâche. En attendant, on va discuter là-haut,
dans la cage de verre des bureaux.
Nous avons le plaisir d ’avoir ce soir la présidente des Tables :
Sybille, énergique et sophistiquée, juste comme il faut, et plusieurs che
villes ouvrières du groupe : l’affectueux Clément, Rémi, le comédien,
cuistot qui sait ne pas cacher son regard derrière ses lunettes punk,
Malik, petit bonnet rose sur le crâne et belle boucle d ’oreille à gauche,
Irène, grecque et gourmande ; il y a aussi des gens de passage, des
figures moins marquantes et il sera intéressant de faire parler Chantal
à ce sujet, propos de marginale dans un groupe déjà structuré.
q u ’on soit très rentable pour tenir le coup dans ces conditions. C ’est
parce q u ’on est complet tout le temps ou presque, q u ’on a pas encore
bu la tasse... De toute façon, le bilan annuel est encore déficitaire de
23 000 F. C ’est vrai aussi que le fonctionnement collectif nous coûte,
en temps, en expériences ratées... » mais ça fait partie du projet et
c’est au-delà de tous les calculs de rentabilité. « A terme », fait remar
quer Malik, « on devrait équilibrer le bilan et puis quand la direction de
la main-d’œuvre nous aura versé les 50 000 F q u ’ils nous ont promis,
ça ira mieux » (au titre du plan Barre, les Tables Rabattues ont été,
via la Chambre de Commerce, invitées à engager deux stagiaires subven
tionnés). De toute façon, ajoute Malik, les form es juridiques, même
coopératives, ne nous satisfairont jamais. Il n ’y a pas de statut qui
corresponde vraiment à une activité autogestionnaire. Par exemple, on
est obligé d ’avoir un président (tu parles d ’un truc), d ’accord c ’est
Sybille, on l ’aime bien, mais on pourrait se passer de son titre. »
pas habitué, mais pas du tout, à voir des femmes sur les chantiers.
C ’est souvent ressenti comme une provocation — presqu’une incitation
à la débauche. Dominique indique à cet égard que les syndicats expri
ment aussi les réticences de la base en mettant en avant des arguments
ayant trait à la défense de l’emploi masculin et aux normes juridiques
(qui interdisent par exemple certains travaux de nuit aux femmes).
« Pour les cas sociaux, reconnaît Dominique, ça n ’a jamais été
simple. Nous ne voulions pas les singulariser dans le boulot. En géné
ral, nous n ’indiquions pas aux clients que l ’équipe comprenait des tau-
lards ; nous ne le faisions que si nous avions eu un contact personnel
avec le patron, une discussion un peu ouverte... question de feeling. »
Vincent ajoute que « malgré toute la bonne volonté, on ne peut pas
faire travailler un alcoolique au même rythme que les autres... d ’ail
leurs, on ne pouvait pas éviter que les ouvriers extérieurs à la
S.C.O.P. se posent des questions ».
Il y a aussi le fait que les anciens taulards supportent mal la
présence de femmes à leurs côtés pendant le travail. Ruth indique jus
tement que « le problème des marginaux, c ’est de se réintégrer par le
travail; ils ont besoin de s ’identifier à des modèles masculins et de
rentrer en concurrence avec eux, par leur force musculaire. Pour eux,
c ’est inacceptable, c ’est complètement dévalorisant de devoir être com
parés sur le plan du travail à des femmes, surtout pour des travaux de
bâtiment, de force ».
PROJET, 1 4 , ru e cTA s s a s , 7 5 0 0 6 P A R IS .
A la pointe de l'adaptation
Oui, mais un tel flot ne risque-t-il pas de noyer le projet ; en
d’autres termes, jusqu’à quel point sont compatibles subvention et pro
jet alternatif ? Sur ce point-capital, les gens de la Cour des Noues
n’hésitent pas à parler et ils sont assez lucides pour reconnaître, sinon
les contradictions du moins et les ambiguïtés de leur situation.
Maria ne se fait pas trop d ’illusions quand elle déclare : « On a
des subventions, non parce q u ’on est des innovateurs, mais parce
qu’on est à la pointe de l ’adaptation. » Une telle franchise fait plaisir
à entendre, mais essayons de comprendre ce que cela implique.
Au-delà des évidentes considérations relatives à la carence des
pouvoirs publics et à la rentabilité meilleure des crèches marginales, on
retrouve le problème de l’encadrement et du contrôle des enfants. Un
groupe très diversifié comme celui de la Cour des Noues qui compte,
entre autres, des psychologues, une analyste (6), des travailleurs
sociaux, entend aussi comprendre les petites angoisses que peuvent ren
contrer quotidiennement les gosses et leurs parents. Il s’agit là d’un
processus normal, naturel en quelque sorte, à l’intérieur d ’un groupe
vivant où chacun essaye d ’analyser ce qui se passe. Si, en plus, on a
reçu une formation pour ce faire, tant mieux, mais cela ne doit pas
conférer une autorité définitive, ni le pouvoir du verdict des spécialis
tes.
Les choses changent complètement quand on se met à parler de
« dépistage précoce » et de « détermination des écarts significatifs » par
rapport au profil type de l’enfant normal tel que le définit mois après
mois l’ordinateur central du ministère.
Tout le monde sait bien que ces perspectives angoissantes ne
sont plus du domaine de la littérature, à la Orwell, mais, ce que l’on
sait moins, c’est que la pression de l’État se précise et se raffine. La
législation et la règlementation récentes tendent de plus en plus à met
tre sur pied une « prévention » systématique qui aura pour objet de
séparer d’abord les enfants normaux des autres, puis, au sein du
groupe des normaux, à déterminer en permanence la normalité statisti
que vers laquelle devra tendre chaque enfant, sauf à être progressive
ment rejeté vers l’anormalité.
Une telle pratique de sélection ininterrompue pourrait être
62 Autrement 20/79
autres entendent se garder d ’autres univers que la Cour des Noues, soit
pour d’autres activités professionnelles, soit pour mettre en pratique les
thèses de Lafargue (4) et d ’Adret (5).
dehors de la Cour des Noues, soit pour les vacances, soit pour ce que
l’imagination et les besoins susciteront à l’avance.
une opération marchande dans laquelle l’accueilli est l’objet qui justifie
la transaction.
On soulève là aussi tout le problème du « troisième secteur »,
celui des activités « conviviales » dont la comptabilité actuelle refuse de
tenir compte, mais qui peut constituer, un jour, un des piliers d’une éco
nomie beaucoup plus sophistiquée. Ce que l’on souligne ici, c’est seule
ment l’ambiguïté — on ne dit pas l’impasse — qui marque une démar
che de travail dont la production se définit comme une création de vie,
sans spécialisation affirmée, mais officialisée par une circulation moné
taire.
Notre interrogation commence concrètement par une visite à Fer
nand Deligny, chez lui, près de Saint-Hypolyte-du-Fort ; de toute
façon, cela ne pourrait pas se passer ailleurs puisqu’il n’a plus quitté
sa maison depuis maintenant onze ans. Il se sent bien là-bas, dans cette
grande bâtisse cévenole, que lui et son entourage ont retapée petit à
petit, d ’une très belle façon ; pratique, confortable et austère en même
temps. La grandeur des locaux et la grandeur du projet ont peut-être
conféré à l’aménagement des pièces — murs blancs et carreaux ocres
— ce côté net et digne des lieux de réflexion.
« il vaut bien mieux partir d ’un autre travail et, ensuite, le cas
échéant, prendre des enfants ».
— fonctionnement communautaire ;
— pas d’activités organisées avec les enfants ;
— référence aux idées de Félix Guattari ;
— chiffrage avec budget type (environ 20 000 francs par mois
pour la vie courante de 16 personnes).
Henri et Robert sont liés depuis longtemps au groupe mais ils ne pen
sent pas rester définitivement là, espérant chacun monter un jour leur
propre groupe d ’accueil (ah, l’esprit d ’entreprise !). Cette situation ne
manque pas d ’ambiguïté et l’on ne perçoit pas bien leur degré exact
d’intégration dans le groupe. En principe, ils participent à la décision
au même titre que les trois permanents mais plusieurs indices conduisent
à penser que leur rôle n ’est pas décisif, ne serait-ce que parce qu’ils sont
en instance de départ, même si ce départ est sans cesse repoussé. (Les
volontés de départ s’expliquent peut-être aussi par le fait que Michèle
est la seule femme dans le groupe adulte permanent.)
Il n’y a pas de salaire versé, chacun puise dans la caisse com
mune en fonction de ses besoins. Toutes les dépenses importantes sont
discutées collectivement (de toute façon, seuls les trois membres du bu
reau de l’association ont le droit de signature sur le compte courant com
mun). Le budget global du groupe tourne mensuellement autour de
20 000 francs, étant bien entendu que c’est l’ensemble du groupe,
enfants compris, qui vit de cet argent. C’est ce qui fait dire à Olivier
que l’argent est intégralement communautaire puisqu’il n ’y a pas
d’affectation précise des sommes, soit sous forme de salaires, soit sous
forme de frais de séjour. On peut estimer que cette forme de circula
tion monétaire est satisfaisante psychologiquement dans la mesure où
elle évacue les notions de salariat et de prix de journée. Cependant, les
dépenses significatives sont décidés au niveau du bureau et, de toute
façon, les ressources demeurent ce qu’elles sont, à savoir essentielle
ment des prises en charge versées par les organismes sociaux pour les 8
ou 9 enfants accueillis. Les produits du jardin allègent quelque peu les
dépenses alimentaires, mais dans une proportion qui n ’excède pas
10 °7o. A ces compléments s’ajoutent des revenus d’ordre intellectuel
(conférences d ’Olivier, bénéfices sur deux publications) et d ’ordre manuel
(vendanges, etc.).
D ’un point de vue pratique, les charges sociales des cinq person
nes travaillant régulièrement aux Grillons sont assurées par un moyen
habile : l’association déclare ses membres à l’U.R.S.S.A.F. comme tra
vailleurs au pair, ce qui permet à chacun, pour environ 150 F/m ois, de
bénéficier de la couverture sociale, et des allocations familiales (pour
Olivier et Michèle).
estime que « c’est aux gens qui décident d’envoyer leurs gosses de se
débrouiller — pour eux c’est une façon concrète de se mettre dans le
projet ». Comment cela se traduit-il dans les faits ?
• Une partie (un quart environ) des enfants arrivent sans passer
par les circuits officiels et ce sont les parents qui payent (1 000 et
2 000 francs/mois) ou pas, dans certains cas.
(1) Diffusé par la librairie Alternative à Paris. 36, rue des Bourdonnais 75001 (50 F franco de
port).
Eole =
asociaux + production
Jules Chance!
que Willy dit cela ; c’est aussi parce que deuxième au secteur productif, comme si
selon lui « la gestion d ’Eole forme un les deux activités étaient radicalement
tout. Chaque décision n'est possible que séparées.
si le reste suit, c'est pourquoi je prétends De toute façon, l’intégralité de l’argent
qu'une chèvre vaut autant qu'une subven est commun : les six accueillants et les
tion ». huit accueillis disposent chacun de 250 F
• Le débroussaillage : c’est la grande par mois pour leurs dépenses personnel
affaire — la technique, l’écologie, l’entre les ; les autres dépenses sont discutées en
prise. Le débrousaillage consiste à arra groupe. « Tu comprends, précise alors
cher en forêt les végétations inutiles, en Jan-Carl, pourquoi les admissions sont
vue de favoriser la pousse des arbres et toujours difficiles à décider. Si on veut
d’empêcher les incendies. Mais c’est là où l'égalité entre tout le monde, il faut en
les choses se corsent : les gens d’Eole ont avoir les moyens... »
compris que cette brousaille pouvait déga La lettre d’Ulrike est là sur le bureau.
ger une énergie importante lors de sa Que pourrait-elle vivre ici ? Profiterait-elle
composition (ce sont les idées de Jean de ce lieu ? A ce moment, j ’entends un
Pain, jardinier, écologiste et bricoleur blues qui monte du salon. C’est Willy qui
réputé). Avec ce gaz de compost, on peut s’est mis au piano et qui balance aussi
chauffer des serres, des maisons. bien qu’il capte le soleil ; ils savent tout
Vaste programme, mais difficile à met faire ces frères Wenzel... surtout que Jan-
tre en œuvre : il faut du matériel, de Carl l’a remplacé et se met à jouer un
l’argent (environ 120 000 F) et des clients rock bien frappé. Ce Jan-Carl... la qua
(or, l’O.N.F. — Office National des rantaine proche, des années d’ethnologie
Forêts — client prioritaire, utilise d’abord derrière lui — et il joue du rock comme
la main-d’œuvre harkie, gratuite, dans la un loulou de banlieue. Je me demande si
mesure où les Harkis sont directement la fascination que ces gens-là peuvent
pris en charge par le ministère de l’Inté exercer sur leurs pensionnaires ne risque
rieur, en tant que réfugiés politiques). pas d’infantiliser ceux-ci ; « patriarches »
Le projet est bien avancé ; il pourrait pour cause de perfection ?
assurer l’emploi d’une demi-douzaine de
personnes (Eole a d’ailleurs sollicité une Et pourtant, je pense à Francis, un des
aide du ministère du Travail, au titre des pensionnaires ou plutôt un des anciens
emplois d’utilité collective. Voir interview pensionnaires puisqu’il est devenu accueil
A. de Romefort). lant ; comme quoi la frontière... Francis
est toujours occupé, toujours en action.
Affligé de tics nerveux, à 17 ans il ne
Tout l'argent en commun savait pas lire ; après une facile intégra
tion dans Eole, le groupe a commencé
avec lui des leçons d’écriture et de calcul,
En écoutant ce catalogue d’activftés, je afin de préparer un stage genre F.P.A.
pense en moi-même que tout cela repré
sente sans doute la structure idéale pour Entre temps Francis a eu d’autres
la réintégration progressive d’une jeune idées : son père est un ancien mineur de
toxico comme la Ulrike de la lettre. Jan- Decazeville, mis en chômage, reclassé
Carl tient tout de suite à remettre les dans les chantiers navals de Marseille, à
choses dans leur réalité : « C'est pas nouveau mis en chômage. Francis a alors
facile à mettre en œuvre ; en plus des convaincu ses parents d’ouvrir un centre
difficultés pour trouver du fric, on a des d’accueil pour handicapés... qui peut-être
problèmes administratifs. Notre malheur ressemblerait à Eole. De la mine au troi
et notre dilemme c'est que, du moment sième secteur, Zola révisé par Delors.
qu'on veut échapper à l'image de l'éta Je prépare le dîner avec Rakia, une
blissement éducatif, dès qu'on veut vivre jeune fille de Marseille qui revient d’un
avec des ressources propres, eh bien, on crochet sur les trottoirs du vieux port.
est écrasé par le fisc. Il y a les taxes, la Jan-Carl papillonne dans la cuisine, pré
T.V.A., la patente, les charges sociales. pare une petite sauce, histoire de relever
Les gens qui travaillent ici ne peuvent notre ordinaire.
pas avoir la même rentabilité que les On va discuter ce soir du cas d’Ulrike.
autres, et pourtant si on ne veut pas être Jan-Carl m’a bien assuré que la décision
un atelier protégé, il faut qu 'on nous aide à Eole est réellement collective, sous la
un minimum. » C’est tout le problème réserve qu’en cas de conflit grave, le pou
des catégories juridiques, en l’occurrence voir resterait sans doute au propriétaire.
l’association 1901 et la Scop ; la première Mais Jan-Carl n’a parlé qu’au condition
correspondrait au secteur social, la nel, le cas ne s’étant jamais présenté. €1
Marketube .
le tube
de l’autogestion !
Pierre-Éric Tixier
(1) Les Mandrins sont des étaux cylindriques à diamètre variable qui servent à
maintenir une pièce.
(2) L’échelle des salaires à Marketube est de 1 à 3, 5.
Un patron «cool»
et les tisserands
du Nord
Daniel Carré
Daniel Carré : Cela a été très difficile. La Shell, c’est une multi
nationale, à la pointe de la technique et de l’organisation, où tout est
prévu, hyperstructuré. En somme, un monde où règne en tous points le
maximum de compétence, où tout est fait pour réduire l’incertitude.
Même si j ’avais déjà réfléchi à des formes différentes d ’organisation, le
passage du monde Shell à celui d’une P.M .I. complètement désorgani
sée par deux années de conflits sociaux a été pour moi la source d ’un
traumatisme dont je me relève à peine...
Cancans e t autogestion
Amphithéâtres, laboratoires, couloirs, étages, marches, univers
de cloisons et de baies vitrées. Carrelages, moquettes. Cireuses, seaux,
larges balais à franges. En 1975, une aventure peu banale fait sortir de
l’ombre les 40 femmes de ménage de l’entreprise A .N .I.C ., dont l’uni
versité sous-traite les services pour le nettoyage de ses locaux. Le
patron cherche à déplacer la moitié du personnel vers d’autres chan
tiers à 100 kilomètres de là, dans les Ardennes belges. Une grève spon-
94 Autrement 20/79
été réintégrée le lendemain et depuis elle est toujours là. C ’est un can
can heureux, si on peut dire, dans la mesure où on a pu remonter à sa
source et l ’arrêter. Mais si ça avait été plus loin ? C ’était vraiment
dégueulasse. »
Ici la parole « folle » a pu être circonscrite, maîtrisée ; mais
l’ordinaire du cancan est passe-muraille, parole sans sujet, indéfinissa
ble, à la causalité diffuse. Regard chosifiant et morcellant, venu de
l’anonymat des blocs, qui permet de maîtriser l’autre à son insu : « Il
y a beaucoup de filles que je ne connais pas et qui ne me connaissent
pas », se plaint Malvina, qui est au Balai depuis six mois. « Mais elles
parviennent à parler de moi, pour avoir entendu dire par une autre
ceci ou cela. Tout le monde en parle alors que je ne fréquente que les
filles de mon équipe. »
Parole aussi qui fige et étiquette. « Chaque équipe a son cliché »,
dit Raymonde, l’actuelle animatrice qui revient de dix années de for
mation d’adultes au Brésil. « A u bloc A , elles sont “hors du coup” :
c ’est-à-dire à l ’écart, très ferm ées; au bloc B : c ’est l ’équipe “ criti
que”, jamais d ’accord ; au bloc C : c ’est l’équipe difficile, on n ’arrive
pas à faire passer quelque chose; au bloc D : on ne peut rien leur
reprocher, c ’est l’équipe d ’où viennent les organisatrices. » Mais l’éti
quetage concerne aussi chaque femme en particulier : « Une fille se
présente pour se faire embaucher : le premier jour, l ’organisatrice vient
dire q u ’il ne fa u t pas la garder. Elle prétendait q u ’elle avait fa it plu
sieurs places avant d ’en arriver là. Donc pour elle c ’était le signe q u ’il
y avait quelque chose qui clochait. Elle ne réalisait pas que le chômage
et la difficulté de trouver un emploi pouvait en être la cause », dit
Raymonde.
Difficile d ’échapper à la tentation du fichage selon la loi de la
rumeur et du fantasme. Monique, qui pourtant s’en défend, le recon
naît : « J ’ai du mal à faire confiance à une fille à cause de telle ou
telle histoire que je sais d ’elle. Si la fille a changé je ne sais pas le
voir. J ’essaie bien de faire abstraction de mon premier jugement, mais
ce n ’est pas évident. Or théoriquement en autogestion plus q u ’ailleurs
nous devrions admettre la capacité des gens à changer et se transfor
mer. »
blancs”. Tu étais parti, c ’était : "le ciel est jaune, il y a des nuages
noirs” et on te soutenait que c ’était toi qui racontait des bobards. Fina
lement, on arrivait à douter de soi et on se déplaçait toujours à deux
pour être sûre qu ’on n ’avait pas dit le contraire de ce qu ’on nous fa i
sait dire. »
La prise de responsabilité est assimilée spontanément à la
volonté « de se prendre pour un petit chef ». On n’a pas pardonné son
passé à Hélène, ancien chef d ’équipe du temps d’A.N.I.C. Organisa
trice du travail au début du Balai, elle témoigne non sans ressentiment
du rejet dont elle a été l’objet : « Je suis cataloguée. On raconte un
tas de mensonges sur moi et je ne m ’en sortirais jamais. Quand il y a
des nouvelles qui arrivent on lui dit : "méfie-toi de celle-là, c ’était une
responsable, elle mouchardait”, et c ’est comme ça que les clans se fo r
ment au balai. »
Cette volonté de neutralisation interdit à l’heure actuelle à une
femme du Balai Libéré de devenir animatrice : « Elle serait le point de
mire », dit Raymonde. « La seule expérience qui a été tentée a été néga
tive. La fille a été rejetée, démolie et les autres lui ont dit : "on pré
fère quelqu’un de l ’extérieur”, ce qui, à terme, pose un problème de
survie du Balai, car en principe nous ne sommes là que pour une
période bien délimitée. » Ce refus de laisser l’autre « sortir du rang »
est rationalisé, par ailleurs : « Les filles partent du principe q u ’elles ne
sont pas capables de prendre des responsabilités. »
Annie Jacob
Psycho-sociologue
Maître-assistante à Paris IX - Dauphine.
Les tertiaires supérieurs 103
de Daniel Carré), mais sur cette question, les gens de Geste sont pru
dents. Ils ne se sentent pas assez disponibles pour suivre intégralement
toutes les opérations. « Or, estime Claude, c'est difficile si on veut
aller ju sq u ’au bout, sans risquer de faire trinquer les travailleurs. On a
préféré en rester là... mais il y a sans doute beaucoup à faire dans ce
domaine. » René E. souligne à ce sujet : « On travaille souvent pour
les comités d ’entreprises. On leur fa it des expertises pour leurs pro
grammes de revendications ou pour la gestion de leurs organismes
sociaux ; mais on ne se comprend pas toujours. Nous, on a une vision
économique ; eux, une vision très syndicale et sociale. Ça ne colle pas
parfaitement. »
Peut-on conclure provisoirement sur une baisse de l’intensité
militante des études de Geste ? Pas nécessairement ; disons plutôt qu’il
y a une reconnaissance des limites et des possibilités en la matière, ce
qui n’implique pas un abandon. André estime que « de toute façon, il
fallait q u ’on réfléchisse plus à fond. On veut continuer ces opérations
de redémarrage, mais il fa u t q u ’on puisse le faire dans les meilleures
conditions. Ça veut dire q u ’on ne peut pas sauver les boîtes condam
nées. Ce q u ’on veut proposer, c ’est une intervention avant la catastro
phe, pas une fo is que les carottes sont cuites. »
A l’heure actuelle, six ans après le démarrage, les contrats et les
études pour les entreprises affluent ; il n ’est même pas nécessaire de
faire du démarchage. Geste a réussi à s’imposer, en même temps que
s’est imposée une image de marque : beaucoup de compétence et un
brin de contestation (2).
A cet égard, la situation est stabilisée. René E. estime : « Main
tenant, on est plus “p r o ”. On sait n ’accepter que ce q u ’on est capable
de faire. » Ce qui ne veut pas dire que les difficultés aient disparu.
A ujourd’hui, la discussion collective porte davantage sur le fonc
tionnement interne du groupe, sur le partage du travail entre ses mem
bres et sur les orientations futures à adopter. Les principes de base
sont naturellement ceux de l’égalité complète entre les charges, les déci
sions et les avantages.
Se renvoyer l'ascenseur
Claude et quelques autres pensent que la structure juridique
n’est pas importante et que c’est le fonctionnement réel qui compte :
« La S.A .R .L ., c ’est ce q u ’il y a de plus simple pour nous ; pas la peine
d ’aller chercher plus loin. » René E. n’est pas d ’accord : « J ’estime q u ’il
fa u t éviter un trop grand décalage entre le droit et la pratique. Pour
des raisons théoriques, mais aussi pour des raisons très concrètes. Je
pense aux conflits entre nous. La structure coopérative avec son principe,
une personne, une voix — garantie mieux l’égalité de chacun en cas
d ’opposition. »
La stratégie
de l’affectif
Marie-Odile M arty
Sociologue
travaille sur les modes de fonctionnement collectif
Les tretiaires supérieurs 111
La rançon de l'égalité
Il n ’entre pas ici dans notre propos de pénétrer plus avant dans
ce problème de l’inégalité, mais de repérer comment cette nouvelle
rationalité sociale que l’on vient de montrer à l’œuvre dans les structu
res collectives, implique une nouvelle rationalité personnelle pour les
sujets qui les habitent. On peut caractériser celle-ci comme combinaison
de quatre éléments fondamentaux : la mobilité, la mobilisation, l’adhé
sion à la valeur travail, et l’utilisation de l’affectif. Ces quatre élé
ments sont les piliers sur lesquels repose l’intentionnalité égalitaire, en
ce sens que ce n’est que par leur mise en œuvre que cette intentionna
lité s’ancre dans le réel. Mais paradoxalement c’est leur mise en œuvre
même qui crée des différences entre les participants, car chacun a plus
ou moins de moyens pour s’adapter à cette nouvelle rationalité. L’iné
galité est la rançon de l’égalité.
De l'aube au crépuscule
Cependant la caractéristique la plus fondamentale de la Maison de
Feu, est cette nécessité pour ses habitants d’être sur le qui-vive, quasi
ment 24 heures sur 24, et tous azimuts.
• Par rapport à l’extérieur, la mobilisation des participants sur
l’environnement de leur organisation, dépend évidemment du rapport
qu’entretient l’organisation avec celui-ci. Mais plus elle est ouverte,
plus l’écart se creuse entre ceux qui ont les moyens en temps, capacités
culturelles, techniques, etc. de s’infiltrer dans l’environnement, et les
autres. On aboutit là encore à un paradoxe : si la fermeture de l’orga
nisation crispe les jeux de pouvoirs autour de l’appropriation de seules
ressources internes, rapidement épuisées, et rend alors la domination
sociale insupportable, son ouverture en revanche, faisant entrer de nom
breuses et multiples ressources, ouvre les jeux et ce faisant, creuse les
écarts, conduisant là aussi à des rapports inéluctables de domination.
• A l’intérieur la mobilisation est extrême. La semaine de travail
tourne explicitement ou implicitement autour des soixante heures. Ceci
s’explique d’une part par le temps nécessaire à l’exécution du produit,
soit que ce produit soit expérimental ou en recherche, soit que
l’apprentissage de la polyvalence ' diminue les rendements, soit que la
nécessité de tenir le coup sur le marché nécessite un fort rendement.
D’autre part, ce temps de production, se double comme on l’a dit de
ce temps de gestion de l’entreprise par échanges et ajustements formels
et informels.
Mais ce problème d ’investissement personnel en temps, se pose
peut-être moins en termes de quantité, qu’en termes d’investissement
psychologique, affectif, intellectuel, etc. La capacité d’apprentissage est
donc aussi fonction de la capacité et de la disponibilité que l’on peut
avoir pour se mobiliser sur l’expérience.
dialectiques
N ° 2 8 — S om m aire — S ep tem b re 1979
SYNDICALISME AUJOURD'HUI :
TRAVAILLER, PRODUIRE... BOF
Nicolas Sartorius, Nicolas Dubost,
E lo g e d u m o u v e m e n t F lin s s a n s f i n . . . e t la s u i t e
(Les Commissions ouvières Philippe de Lara,
espagnoles) L e l a b o r a t o i r e d e la p r o d u c t i o n
Bruno Trentin, (à propos d'un colloque
D ialec tiq u es/P arti pris/
Les n o u v e lle s fig u re s
C o m m u n ism e)
d u tra v a ille u r
Note sur
Jean-Louis Moynot, l 'A t e l i e r e t le c h r o n o m è t r e
Le s y n d i c a t e n m o u v e m e n t . . .
de Benjamin Coriat
Ulrich Briefs, N. Poulantzas,
Le s y n d i c a l i s m e à l'â g e E tat, M o u v e m e n t s s o c i a u x ,
d e l'o r d in a te u r Parti
(l'exemple du DGB allemand) Dossier Sidérurgie
J. Granger (C.F.D.T.) P r o d u i r e : p o u r q u i , p o u r q u o i ?
S. Zarifian, (C.F.D.T.) R e s t r u c t u r e r o r n o t
Le N° 30 F (France), 35 F (Etranger) 77 bis, rue Legendre, 75017 PARIS
les par rapport à ces expériences, mais quelle place ont les sections
syndicales dans ces entreprises ? La question paraît d’autant plus inté
ressante que le personnel de ces entreprises est souvent composé
d ’anciens militants politiques ou syndicaux. Dans l’ensemble, la vie
syndicale de ces entreprises est peu active. Dans de nombreux cas, les
syndicats ne sont pas présents. Lorsqu’une section existe (l’exemple le
plus marquant est celui des coopératives, notamment celle de l’impri
merie à Paris où la plupart des ouvriers du livre coopérateurs sont
syndiqués), l’activité syndicale se limitera à l’organisation de grèves de
solidarité à dose homéopathique ou de défilés, mais la section n ’aura
qu’un faible rôle sur le plan interne. Elle joue avant tout un rôle de
garde-fou par rapport aux décisions de la direction, ou de défense indi
viduelle dans quelques cas.
Il a une difficulté réelle à vivre le double rôle d’ouvrier coopéra
teur et d ’ouvrier syndiqué, dans la mesure où cela suppose conflit de
rôle. Comment faire grève alors que par ailleurs la coopérative est en
mauvaise situation ? Cette difficulté n’est pas spécifique aux coopérati
ves. Dans toutes les entreprises de ce type — quelles que soient leurs
modalités juridiques — on retrouve des fonctionnements comparables.
Il arrive parfois que le noyau dirigeant de l’entreprise soit composé
d ’anciens militants syndicaux et que le personnel à la base refuse de
faire partie de la section syndicale en la considérant comme appareil
du pouvoir.
« Je ne veux pas faire partie de leur syndicat », déclarait une
secrétaire, elle-même ancienne militante, en évoquant les dirigeants de
l’entreprise. Il y a là une espèce de fatalité militante. Quelques camara
des se réunissent et décident de créer une entreprise où les rapports
humains seront plus égalitaires, plus chaleureux ; en même temps ils
créent une section syncidale où ils s’inscrivent en fonction de leurs acti
vités passées.
Quelques années plus tard, l’entreprise a grandi, le personnel est
plus nombreux, les anciens copains qui ont monté l’entreprise sont
devenus dirigeants, ils sont restés membres de la section syndicale et
empêchent, en quelque sorte malgré eux, qu’une parole contestataire ne
se tienne. Les comités d ’entreprises sont la plupart du temps de simples
chambres d ’enregistrement des décisions de la direction et leur rôle est
limité à l’organisation des arbres de Noël...
Que survienne une crise, la plupart du temps économique, et
cette physionomie d ’un syndicalisme débonnaire, bon enfant et intégra
teur vole en éclats. La section syndicale devient rapidement une
machine de guerre contre la direction. En fait, le conflit de rôle stabi
lité en période de vaches grasses au profit du modèle coopératif ou
autogestionnaire... déchire l’individu qui s’identifie alors à un ouvrier
en lutte contre une direction traditionnelle. C’est la crise qui va alors
redonner un contour à la lutte syndicale, les dirigeants vont se trouver
exclus de la section, de nouveaux membres vont y adhérer, mais cet
activisme est précaire. Si l’entreprise surmonte la crise, la section syndi
cale va retrouver un rythme plus paisible et après 2 ou 3 ans, on
reviendra aux pratiques antérieures.
Les appareils institutionnels (systèmes de décision et contre-
pouvoirs) montrent la difficulté d ’un partage du pouvoir, mais celui-ci
Et en quoi sont-ils si différents 125
(1) Cet article s’appuie sur une recherche effectuée pour le C.O.R.D.E.S « les
fonctionnements collectifs de travail », 1978, M.-O. Marty, R. Sainsaulieu, P.-E.
Tixier.
(2) On peut prendre ici l’exemple de Marketube où les ouvriers ont fait des
aménagements techniques sur certaines machines auquel le bureau des méthodes qui
existait auparavant, n’avait jamais pensé.
Du communautaire
au « groupal » :
le cas français
Renaud Sainsau/ieu
Sociologue
130 Autrement 20/79
pas de s’engager dans une responsabilité partagée avec des gens ayant
des capacités et des pouvoirs supérieurs. Ces cabinets n ’arrivent pas
non plus à régler facilement le remplacement de leurs membres, l’exclu
sion de certaines, ou le rapport aux apprentis et stagiaires.
(1) Albert Meisjer a depuis longtemps observé ce phénomène aussi bien dans les
associations françaises que dans les destinées de l’autogestion yougoslave. Dans l’un de
ses derniers ouvrages « La participation pour le développement », Éd. Économie et
Humanisme, Éd. Ouvrières, 1978, Paris, il en vient même à parler de « l’insaisissable
communauté », p. 159.
(2) Henri Desroche souligne toute l’importance de cette « vieille expérience com
munautaire » Opération Mochav, Éd. Cujas, 1973, p. 13... et encore dans Le Projet
coopératifÉd. Économie et Humanisme, Éd. Ouvrières, 1976, p. 43 et suivantes.
(3) Pierre Rosanvallon dans L'Age de l'autogestion, Le Seuil, 1977 et P. Rosan-
vallon et P. Viveret dans « Pour une nouvelle culture politique », Le Seuil, 1978.
Montrent combien est faste la tradition rationalisatrice et la culture centralisatrice qui
en résulte, aussi bien dans les classes dirigeantes que dans le mouvement syndical.
(4) Henri Desroche, in Le Projet coopératif op. cit., chapitre 1, 2, 3.
(5) Cet argument est nettement développé dans le chapitre II : Coopératives et
partage du pouvoir, in Les fonctionnements collectifs de travail, Marie-Odile Marty, R.
Sainsaulieu et P.-E. Tixier, ronéo. C.S.O.-M.A.C.L, 1978, rapport C.O.R.D.E.S.
(6) Une enquête a été réalisée par une commission du C.J.D. : Association des
hommes à la vie de l’entreprise, Jean-Louis Prinet en a rendu compte dans un docu
ment interne.
(7) Renaud Sainsaulieu : « L’évaluation sociologique des conditions de travail »,
chapitre de l’ouvrage (p. 29-36). Collectif L'Ergonomie au service de l'homme au tra
vail, Société française de psychologie, entreprise moderne d’édition, 1978.
(8) Dominique Martin et François Dupuys ont clairement analysé les difficultés
de ces expériences de participation in Jeux et enjeux de la participation, Publication
Cresst, 1977.
Voir également « Participation aux décisions et contrôle social », étude dans
l’industrie textile, par Dominique Martin et Alii Adssa, Cresst, 1979, ronéo.
(9) Une monographie sur l’entreprise Lip et J.-P. Berry montre assez clairement
cette difficulté du collectif des ouvriers et ouvrières à passer d’une action défensive à
une invention en commun d’un véritable outil de production. Enquête Adssa, 1978,
sous la direction de R. Sainsaulieu.
(10) Cf. les chapitres 2 et 4 du rapport : Les fonctionnements collectifs de tra
vail, op. cit.
(11) Voir le chapitre III « Les associations militantes» du rapport «Les fonc
tionnements collectifs de travail», p. 95-130, op. cit.
(12) Albert Meister a déjà souligné l’importance de ce danger réel d’une régres
sion souvent inexorable des associations vers des formes rigides d’organisation. Voir
Vers une sociologie des associations, Éd. Ouvrières, 1972.
(13) Il faudrait ici se reporter aux études faites sur l’apprentissage culturel dans
les rapports de travail organisés présentés dans L'identité au travail, Éd. Fondation
nationale des Sciences Politiques, 1977, R. Sainsaulieu.
(14) On peut ici se repérer aux modèles de T. Burns, Argyris, Likert, Drucker,
Lawrence et Lorsh, etc., qui sont assez bien résumés par Pierre Morin in Le Dévelop
pement des organisations, Dunod, 1976.
Coopératives ouvrières,
pas si rétro que ça
Claude Vienney
Maître-assistant d'économie
à Paris
Professeur au collège coopératif
Et en quoi sont-iis si différents 139
traire que Ton mette l’accent sur la muta nément les trois aspects du processus que
tion qu’elles représentent par rapport à nous venons de schématiser est celui de la
ces règles « traditionnelles », en réaction transformation des « travailleurs à domi
aux transformations imposées à certaines cile » en « salariés » (notamment dans les
catégories de producteurs par la générali secteur du texte tisserands, couturières, et
sation d’un nouveau mode de production de la métallurgie, forgerons, etc.). On
auquel ils s’adaptent en même temps peut en effet faire correspondre étroite
qu’ils en modifient les règles. ment dans le cas de ces activités (qui sont
celles dans lesquelles les « machines »
• Les transformations de réconomie commencent à s’accumuler) :
Comme il s’agit du deuxième quart du — La transformation de l’activité pro
xixe siècle (1830-1840), c’est-à-dire du ductive : les équipements fixes sont cen
moment où s’accélèrent les transforma tralisés et les producteurs séparés de leurs
tions liées au ré-investissement dans des propres outils (de leurs « métiers » au
activités « industrielles » des surplus accu sens réel du terme) sont combinés comme
mulés par des marchands, on peut regrou travailleurs à la mise en œuvre de tâches
per en trois grandes séries les change séparées et coordonnées.
ments qui marquent ce processus : — La transformation des agents et de
— Généralisation des échanges mar leurs rapports : les relations entre « tra
chands, et concentration du pouvoir vailleurs à domicile » et « marchands »
d’engager dans la production un capital- sont transformées en rapports entre
argent pour obtenir un surplus ré- « employeurs » propriétaires des équipe
investissable. Cette transformation a elle- ments et des produits, et « salariés ».
même un double aspect : un aspect mar — La transformation des modes de rai
chand en ce sens que tous les éléments sonnement : les négociations sur les
des combinaisons productives et donc les « salaires » et les conditions de travail se
forces de travail elles-mêmes deviennent substituent aux discussions sur les
des « marchandises » en même temps que « tarifs » des matières premières et des
les produits ; et un aspect capitaliste en produits.
ce sens que ce sont les agents qui font les Comme on le sait les groupements qui
avances financières, qui commandent dans ces situations permettront aux pro
désormais, par l’intermédiaire des équipe ducteurs de conquérir leur identité dans le
ments qui leur appartiennent, la décision nouveau système socio-économique devien
de produire. dront les organisations syndicales de sala
— Séparation des producteurs des élé riés.
ments constitutifs des unités de produc
tion dont ils faisaient partie, et ré- • Dans d’autres secteurs (bâtiment,
association dans des unités nouvelles imprimerie, agriculture), en particulier
déterminées par leurs équipements fixes. pour les activités qui ne sont pas mécani
En terme d’activité, cet aspect du proces sables, les transformations de l’appareils
sus peut être décrit comme une dissocia productif restent inomplétes : il y a alors
tion des unités de production fondées sur concurrence entre les unités artisanales et
le « métier » du producteur et une ré les unités industrielles.
association de leurs éléments constitutifs Les associations ouvrières se développe
dans des unités fondées sur la concentra ront davantage dans ces secteurs
tion des « équipements fixes », détermi « ouverts » plutôt que dans ceux où ce
nant la qualification des travailleurs fixe massivement le capital. Ce phéno
nécessaire pour les faire fonctionner. mène sous-tendra la formation des nou
— Nouveau critère de différenciation velles règles coopératives qui corresponde
des classes sociales et généralisation des à un phénomène de lutte et de conquête
modes de raisonnement des agents écono entre les producteurs et les entreprenants,
miques qui leur correspondent : les capita les premiers s’acharnent à dégager les res
listes règlent leurs décision de produire (et sources nécessaires par l’appropriation
surtout d’investir) sur des calculs de ren collective des moyens de production. Ces
tabilité de leurs avances financières ; les travailleurs ont en effet compris que le
travailleurs salariés règlent la vente de pouvoir dépendait désormais de la pro
leur force de travail sur les prix des mar priété des moyens. En effet, c’est cette
chandises nécessaires à leur subsistance.• propriété qui, avec la généralisation des
marchés, donne à l’entrepreneur le triple
• Situations et réactions des produc pouvoir d’aménager les combinaisons pro
teurs. ductives, de disposer des produits et de
Un cas type dans lequel jouent simulta ré-engager le « surplus » obtenu dans la
140 Autrement 20/79
port avec un trait distinctif des S.C.O.P. dant à ceux du système dont elles font
au cours de cette période de leur his partie, comme l’attestent de nombreuses
toire : la préférence pour les marchés enquêtes :
publics (6) dont les procédures correspon
dent effectivement mieux à cette attitude • en coupe, on observe l’émergence
que les stratégies de... marketing. d’un groupe (ou d’un homme) de « ges
Mais réciproquement ce rapport marque tionnaires » qui règlent les rapports entre
aussi l’efficacité relativement plus grande l’entreprise et son environnement (aspects
de la structure « coopérative de produc commerciaux et financiers) en même
tion » dans les activités qui exigent une temps qu’ils négocient des conditions de
forte coordination volontaire des acteurs fonctionnement interne perçues par les
qui interviennent dans le processus pro intéressés comme beaucoup plus personna
ductif : corps de métiers du bâtiment et lisées que dans les entreprises « patrona
typographes en sont encor une fois de les (9) » ;
bonnes illustrations. t en dynamique, on observe un proces
• Enfin un rapport entre le ré- sus de différenciation des tâches, des
investissement des résultats, sous ses rôles et des statuts, à partir de la multi-
aspects technologiques, et la promotion fonctionnalité de l’équipe primitive, qui
professionnelle. Les travailleurs des coo rétrécit relativement les objectifs aux con
pératives ouvrières sont réticents face aux ditions de fonctionnement de l’entreprise
« investissements déqualifiants », imposés en même temps qu’il augmente relative
pourtant d’une manière dominante dans le ment le pouvoir des « gestionnaires » par
système socio-économique comme condi rapport à celui des « militants » (10).
tion... de l’augmentation de la producti Sous l’aspect juridique, statuts et règles
vité (apparente) du travail. des S.C.O.P. (comme d’ailleurs pour les
Limitées par leurs règles à l’auto autres formes de coopératives) se sont
financement (7) les S.C.O.P. apparaissent inscrits dans le droit commercial, dans la
comme des organisations qui perfection catégorie des sociétés — évolution en
nent les métiers bien plus qu’elles ne les quelque sorte symbolisée par le retrait des
industrialisent, ce qui est d’ailleurs en textes qui les régissent du Code du Tra
rapport avec un paradoxe apparent : dans vail, à l’occasion de son dernier remanie
les secteurs d’activités qui leur correspon ment.
dent, où les entreprises sont petites, elles Ce qui n’est pas non plus sans réagir
apparaissent relativement « grandes » pen sur les conditions d’utilisation par ceux
dant cette période de leur spécialisation qui n’ont pas encore conscience, au
sectorielle. moment de l’élaboration d’un projet, de
toutes les contraintes de fonctionnement
Composition sociale et formalisation d’une entreprise : lourdeur relative et inci
juridique. dences fiscales par rapport aux souplesses
Cette « marginalisation » progressive de l’association de la loi de 1901 ; impor
des coopératives de production a eu des tance des responsabilités des Administra
conséquences importantes quant à leur teurs et du Président-Directeur Général ;
fonctionnement. Nous en évoquerons seu difficultés paradoxales d ’application
lement deux qui ont trait à leurs respon (jusqu’à la réforme de juillet 1978) des
sables et à leur composition sociale, d’une facilités offertes par les « accords de par
part, et à leur statut juridique, d’autre ticipation », etc.
part. Du moins résulte-t-il de l’analyse histo
Sous le premier aspect, la coopérative rique de leurs transformations par rapport
de production est formée par des acteurs au temps de 1’« associationnisme ouvrier
socio-professionnels dont au moins le généralisé » (ou perçu comme généralisa
« noyau dirigeant » assume les deux posi ble) que les coopératives ouvrières de pro
tions de travailleurs et d’entrepreneurs ; duction ne sont pas des groupements de
or dans leur environnement, depuis la travailleurs quelconques : la correspon
mutation des années 1860-1880, ces deux dance entre leur forme et leurs règles
positions « comme agents » du système d’une part, les types d’activités compati
socio-économique dominant sont antago bles avec leur fonctionnement d’autre
nistes, et c’est le groupement syndical qui part, détermine assez étroitement leur
est la référence principale de la conquête place dans l’économie... ce qui contribue
de leur identité par les travailleurs sala sans doute à les faire « oublier » des
riés. Ce qui ne va pas sans réaction sur acteurs et des organisations domi
l’homogénéité de leur composition sociale nants (11) pendant la période que nous
et la reproduction de rapports correspon venons de survoler (12).
Et en quoi sont-i/s si différents 143
sectorielle des S.C.O.P., qui justifient que Spécimens sur simple demande au
l’on construise aujourd’hui une typologie
plus complexe de ces groupements selon Bureau des
leur place dans les processus de restructu
ration des activités, et que l’on s’interroge
liaisom
sur les rapports entre les composants d’un
ensemble qui — sous une même dénomi
nation — paraît réunir des éléments plus
hétérogènes que pendant la période anté
sociales
5. av. de la République. 75541 Paris
rieure. ■ h · Cédex 11 Tél. 805.91 05
144 Autrement 20/79
groupements qui sont aujourd’hui rassem projets d’une époque aux réalisations
blés sous cette même dénomination. Et d’une autre, sans ré-identifier les acteurs
donc de rendre relativement plus « con dans l’environnement qui leur est contem
flictuels » les rapports qu’ils entretiennent porain.
au sein de leurs institutions communes En dynamique sociale il n’y a pas
formées pour leur soutien mutuel (14). « échec », mais « transformation » des
Du point de vue des organisations cen activités et des règles... donc des acteurs
trales (confédérations, unions régionales, eux-mêmes. Ce qui ne veut pas dire qu’il
institutions de financement), l’enjeu a été ne peut pas y avoir d’évaluations, mais
perçu comme impliquant le renforcement qu’elles sont limitées par les conditions
d’une capacité d’accueil et de conseil, ce du « toutes choses étant égales par ail
qui s’est traduit par la mise en place de leurs », dont on sait qu’elles sont bien
« Délégations Régionales » chargées de difficiles à définir dans le domaine social.
missions d’évaluation de la viabilité des En particulier, et par rapport à quel
nouveaux projets, de formation et de con ques questions centrales de ce numéro,
seil. l’analyse économique du processus de for
Mais cela suppose bien sûr en contre mation et de transformation des coopéra
partie le renforcement des institutions cen tives amène sans doute à sérieusement
trales de financement et d’analyse nuancer, dans le champ de leur expé
technico-économiques [Fonds de Dévelop rience :
pement, Centrale de Bilans, Sociétés spé • la notion d’« entreprise collective »
cialisées de l’Union du Crédit Coopéra ou d’« entrepreneur associatif » : dans cet
tif (15)...], puisque cette viabilité reste ensemble complexe formé de « couches »
malgré tout relative au soutien mutuel appartenant à des périodes historiques
que peuvent s’apporter les organisations différentes coexistent bien des réglages en
coopératives dans un environnement qui apparence contradictoires puisque leurs
ne leur est généralement pas favorable. maniestations idéologiques couvrent un
Du point de vue de ceux qui s’interro champ qui va du discours type « Jeune
gent sur l’adaptation de la forme coopé Dirigeant d’Entreprises » jusqu’à la
rative à la réalisation de leurs projets, « stratégie de rupture avec le système ».
l’enjeu est l’évaluation de la place de La question est plutôt de savoir si les
l’entreprise et de ses multiples contraintes groupes concernés se lanceront mutuelle
de fonctionnement par rapport à l’ensem ment des exclusives ou s’ils pourront
ble des objectifs qu’ils veulent atteindre. s’apporter un soutien mutuel sans renon
Sur longue période, on a observé que le cer à leurs différences ;
taux de mortalité des S.C.O.P. était le • le rôle de l’État, qui n’a certes pas
plus élevé autour de 4-5 ans après la fon été celui qu’espéraient ou redoutaient les
dation ; réduire cette « mortalité infan protagonistes des grandes controverses de
tile », c’est aussi évaluer plus rigoureuse la fin du siècle : certes pas le distributeur
ment si cette forme d’organisation est de la manne qui aurait permis la multipli
effectivement adaptée à l’activité projetée, cation des associations ouvrières ; mais
puisqu’il existe évidemment bien d’autres pas non plus le persécuteur qui les aurait
manières de « coopérer » que de former... pourchassées et détruites.
une coopérative. Mais malgré tout un rôle non négligea
Il n’est bien sûr pas question après ce ble (accès aux marchés publics, institu
survol très partiel et même partial (puis tions du financement) dans le maintien de
que nous n’avons délibérément examiné la tradition qui a boutit à ce que l’institu
que les « effets » exercés sur les coopéra tion S.C.O.P. reste aujourd’hui disponible
tives ouvrières de production par les à ceux qui veulent l’utiliser... ce qui n’est
transformations de leur environnement pas le cas dans tous les pays capitalistes
socio-économique), de prétendre tirer les industriels.
« leçons de l’histoire ». La question de ce point de vue paraît
Le principe même de notre analyse met donc être de définir la combinaison d’une
en évidence que derrière la continuité de politique économique et d’une structure
la tradition historique se réalisent de véri juridique, explicitement destinées à favori
tables mutations, et qu’il faut donc se ser la formation et le fonctionnement des
garder de comparer immédiatement les coopératives, ci
146 Autrement 20/79
Un taylorism e à l'envers
En faisant cette construction d’ensemble, on retomberait un peu
dans l’utopique coopératif ou mutualiste du siècle dernier. Si on veut
bien admettre cette démarche empirique, encore qu’elle soit peu satisfai-
148 Autrement 20/79
santé à mon avis pour le lecteur qui est en dehors de ces questions, je crois
qu’on peut observer un faisceau de faits convergents :
Le premier, me semble-t-il, tourne autour de l ’aspiration à l ’auto
nomie c’est-à-dire le refus d’une vie professionnelle ou d ’une vie privée
en miettes ou par trop instrumentalisée : la revendication peut aussi bien
s’exprimer dans les institutions actuelles, dans les entreprises ou dans l’ad
ministration, on lui donne un nom, c’est en France, l’amélioration des
conditions de travail ; mais je préfère la formule anglo-saxonne « shop
floor democracy » parce qu’elle est plus riche, plus complète. Elle amène
les intéressés à chercher d ’autres cadres que ceux existants pour produire et
travailler et cette recherche peut converger vers des unités du Troisième sec
teur. A ce moment-là, on retrouve pêle-mêle un esprit d ’entreprise, mais
d’un type nouveau, et une volonté de travailler autrement.
Ceci me paraît l’élément le plus important du point de vue de l’aspi
ration des individus. Bien entendu à cette évolution s’opposent tous ceux
qui considèrent que cet objectif est hors d’atteinte, que le travail va devenir
inintéressant pour 90 % des gens et que, par conséquent, nous allons vers
une société du loisir et de la tricherie ; dans ce « scénario de l’inaccep
table », chacun à l’intérieur des cadres existants, minimiserait son effort
pour un travail insipide, mis à part les 10 % qui eux, détiendraient le pou
voir, le prestige et le travail créatif. C’est là où il y a un véritable enjeu
de société, ceux qui croient aux valeurs du travail et ceux qui n ’y croient
pas. Encore faut-il clarifier ces valeurs, tant du point de vue de l’individu
que de celui de la collectivité.
Le deuxième fait, qui va dans le même sens, et qu’on sous-estime
généralement ce sont les potentialités du progrès scientifique et technique.
La deuxième révolution industrielle qui touche à sa fin a été marquée par
une sorte de carré magique, massification des avantages, standardisation
des biens, taylorisme accentué, urbanisation. On sait aujourd’hui, que la
science et la technologie ne nous contraignent pas à poursuivre dans cette
voie. Au contraire, il est possible d ’envisager pour une partie de l’appareil
de production de biens, services' marchands et non marchands un triangle
magique qui serait : personnalisation des biens et des services, taylorisme
à l’envers et décentralisation des activités. Tel est l’enjeu de la bataille pour
la création d’un Troisième secteur fondé sur ces principes.
Je dirais, en tant que socialiste, que si les socialistes ne s’y inté
ressent pas, le capitalisme s’en occupera... à sa manière, en récupérant les
aspirations et en maintenant des valeurs frelatées.
Si déjà nous en restons à ces deux faits qui sont les plus marquants,
on s’aperçoit que l’idée d ’autogestion n’est pas de l’utopie irréelle — en
excusant cette tautologie — mais de l’utopie concrète, puisque dans le fond
il y a convergence d ’un fait technique et scientifique et d ’une aspiration.
Mais là ne s’arrêtent pas les tendances lourdes, les faits porteurs d ’avenir,
étant entendu que l’histoire est pleine de faits porteurs d ’avenir qui sont
morts de leur belle mort faute d ’avoir été relayés par la volonté et la créati
vité des hommes et des femmes.
Décentralisation du Welfare
Il y a un troisième fait qui, à mon avis, est important, qui est très
Quels débats provoquent-ils ? 149
Colloque
« Nouveaux entrepreneurs »
A u tre m e n t organise les vendredi et sam edi 23-24
novem bre 1979, à Lille, une rencontre axée sur la « créa
tion d ’em plois et les entreprises collectives ».
L e b u t de cette rencontre est d ’exam iner les m odes de
fo n c tio n n e m en t de ces entreprises, leur insertion dans
l ’économ ie, le rôle p o te n tie l des partenaires sociaux et le
rôle spécifique des collectivités locales.
L es débats auront lieu en com m issions et les partici
p a n ts seront les intéressés eux-m êm es : prom oteurs d ’expé
riences, syndicalistes, élus locaux, chefs d ’entreprises et
banquiers, représentants de l’É tat, analystes...
L e nom bre de participants est limité. L es fra is d ’ins
cription : 150 F, (débats + repas + logem ent) s a u f p o u r
les pro m o teu rs d ’expériences (50 F).
Ce colloque est organisé en liaison avec la m unicipalité
et la région.
tuelle. C’est une idée très forte. On arrive bien à cette idée de la
grande entreprise comme une fédération d’unités de taille plus petite.
Et là, le schéma de l’entreprise d’économie sociale peut très bien s’inté
grer. Il y est même plus favorable que le statut de la société anonyme,
car il est plus compatible avec une gestion contractuelle des affaires.
Tout ça est un peu futuriste pour le moment, mais correspond, vrai
ment je le pense, aux besoins de notre époque.
Les Français considèrent trop souvent d'accentuer son contrôle sur ces petites
l’entreprise de façon péjorative, comme entreprises à but non lucratif ou consti
un moyen pour certains de gagner de tuées sous forme coopérative ?
l’argent au détriment des autres, et non
pas comme créatrice de richesses pour la Bernard Stasi : L’État, quelle que soit
collectivité. Tant que les Français ne com sa couleur politique a nécessairement ten
prendront pas cela, les relations entre nos dance à apesantir son contrôle, sa tutelle,
compatriotes et leur économie ne sera pas sur la société. Il faut, par l’édification de
saine. toutes sortes de garde-fous, faire en sorte
que la société ne soit pas écrasée par
Autrement : La création d'entreprises l’État, qu’il existe une certaine autono
collectives renouvelle-t-elle le débat politi mie, des espaces de liberté pour les indi
que sur l'innovation sociale en le portant vidus et les communautés naturelles. Ce
dans le domaine du travail ? n’est que par la diversification des sour
ces de financement qu’il sera possible
Bernard Stasi : Les entreprises collecti d’éviter l’accroissement du contrôle étati
ves, à échelle humaine, peuvent contribuer que.
à modifier l’image que les Français ont
de l’entreprise. Elles sont novatrices à la Autrement : A votre avis, le pouvoir
fois du point de vue économique et du utilise-t-il ces expériences comme un bal
point de vue idéologique. lon d'essai, prélude à une politique de
Pendant longtemps, on a, en effet, con plus grande ampleur ?
sidéré que le progrès, le développement,
l’expansion, la croissance exigeaient des Bernard Stasi : Je ne crois pas que les
unités de production de taille de plus en pouvoirs publics aient une vision claire
plus importante. Depuis quelques années, dans ce domaine, qu’il existe une politi
on s’est rendu compte — et les États-Unis que délibérée. L’État favorise effective
l’ont perçu avant nous — que le dévelop ment un certain nombre d’expériences,
pement économique n’impliquait pas comme les 5 000 emplois d’utilité collec
nécessairement l’existence d’entreprises de tive, mais c’est peu au regard des besoins
grande taille. Au contraire même : grâce et, pour ma part, je souhaiterais la multi
à l’informatique, à la diversification des plication de ces expériences.
sources d’énergie, au développement des
transports, l’implantation de petites unités
de production à travers tout le territoire Autrement : Peut-on considérer que ce
facilite ce développement. type d'expérience soit à court ou à moyen
Cette prise de conscience a aussi été terme une réponse au chômage ?
accélérée — et l’on rejoint là le second
aspect — par l’aspiration croissante des Bernard Stasi : Je le souhaite, mais je
salariés à travailler dans la région où ils ne crois pas qu’il faille se faire trop
sont nés et donc à exiger que ce soit d’illusions à court terme. D’une part
l’entreprise qui se déplace. parce que je ne suis pas certain que tous
les responsables politiques aient suffisam
Autrement : Par le biais des aides, des ment conscience de l’intérêt de ces tentati
subventions, l'État ne risque-t-il pas ves, et d’autre part parce que cela sup
pose à la fois des moyens assez impor
tants et une mentalité, cet esprit d’entre
Vice-président du C.D.S. prise, cette volonté de créer une entre
Député-maire (U.D.F.) d'Épernay prise, qui n’est pas encore assez répandue
162 Autrement 20/79
en France. Peut-être parce que le Français actif, est positif. En ce qui concerne la
a tendance à tout attendre de l’État. hiérarchie, on se rend compte qu’il est
La crise économique que nous traver nécessaire qu’il y ait des responsables.
sons peut avoir cet aspect positif qui est Mais aujourd’hui, la hiérarchie de droit
d’inciter les gens à ne pas attendre que ça divin a de moins en moins cours.
se passe, à ne plus se considérer comme Diriger des hommes et des femmes doit
rejeté, en marge de la société, mais à se se mériter par une compétence particu
prendre en charge. Il faut, toutefois, lière. Il faut que l’autorité ne se retranche
reconnaître que ce phénomène est encore pas derrière des arguments... d’autorité
très embryonnaire. mais accepte de dialoguer, d’être remise
en cause.
Autrement : Un fonctionnement collec Dans ces petites structures, il est plus
tif de travail favorise-t-il Vutilisation des aisé d’avoir ce type de relation, de dialo
capacités réelles des individus et les aspi guer, de se concerter. On peut plus facile
rations anti-hiérarchiques qui se dévelop ment discuter, mettre en cause le respon
pent depuis 1968 ? sable, un homme que l’on connaît, qui
est proche et pas un personnage lointain
Bernard Stasi : Tout ce qui fait que que l’on redoute. Cela donne parfois le
l’homme ne se sent pas sujet d’une entre paternalisme, mais cela donne aussi par
prise, avec le sentiment plus ou moins fois le vrai dialogue. (Propos recueillis par
justifié d’être exploité, mais responsable, Emmanuel Gabey.) et
que pose la gestion : passer des gens soumis qui respectent des ordres
à des gens qui commencent à se prendre eux-mêmes en charge.
Mais il y a un danger, il faudra mettre des baromètres dans ces
entreprises-là. Si le baromètre intérieur indique qu’il y a prise en
charge plus grande, mais que cela entraîne un repliement sur l’entre
prise elle-même, qu’il n’y a pas investissement des salariés dans les
activités de quartier, les activités communales, syndicales, politiques, et
bien c’est un échec ; il faut aussi faire une entreprise tournée vers
l’extérieur, qui développe la conscience militante, sinon c’est un échec.
lancés dans l’économie sont aussi ceux qui avaient mené la lutte : délé
gués et autres militants. Cela a posé des problèmes quand on a com
mencé à changer de stratégie : on pensait qu’il allait y avoir des relais
naturels.
En fait, on a été obligés de se charger de tout alors qu’on
n’était pas les mieux placés : la volonté politique, la volonté d ’animer
était supérieure à la qualification. Le syndicalisme s’est donc trouvé
remis en cause quand on a dit : maintenant il faut qu’on travaille,
qu’on revienne à une situation meilleure. On a mis en place des con
seils d ’atelier, dans lesquels on essaie de réfléchir. Bientôt, on va redé
signer des délégués du personnel.
Mais on sait déjà que ça ne sera plus le même type de syndica
lisme. On est à la fois travailleur en coopérative et syndicaliste, et on
essaie de se redéfinir en disant le conseil d’atelier, c’est une représenta
tion des coopératives. Il ne faut pas l’oublier, les délégués doivent res
ter la conscience, mais cette conscience ne sera pas la contestation
comme dans les entreprises où il n’y a pas participation ; ce devra être
une lutte pour animer le débat de la participation, de l’autogestion.
Nous faisons des rencontres avec le P.S.U. à l’usine, pour
essayer de réfléchir en tant que militants politiques, sur les problèmes
que l’on rencontre à Lip, et, à partir de là, réfléchir à nos orientations
théoriques par rapport à la réalité. Il faut chercher le rythme qui per
mettra à tous les hommes et à toutes les femmes de s’épanouir, mais il
ne faudra pas forcer les étapes, ce n’est pas possible.
A Lip, on a réussi à éviter ce phénomène d’éclatement en ten
dances ; à chaque fois qu’on a lutté, on a essayé de se convaincre
mutuellement qu’il fallait démarrer sur la ligne qui était majoritaire,
mais qu’il fallait la contrôler par la minorité : quelques personnes sont
parties et on a encore beaucoup de divergences.
La création d ’une coppérative, au début, j ’ai pensé qu’il fallait
vivre ça comme une fatalité. Maintenant, plus. Mais il ne faut pas
penser que c’est la solution. C’est un début, cela fait partie d ’un
ensemble. Cela peut apporter beaucoup au niveau du parti et du syndi
cat. (Propos recueillis par Annie Jacob.) a
Homo e s t là !
Cet homo « microeconomicus » d ’une rationalité limitée par des
éléments subjectifs, il ne faut pas le confondre avec son cousin primate
« économicus » des anciennes théories (macro) économiques (3). C’est
que le bougre à fait ses classes avec succès outre-Atlantique : à Chi
cago, Brooklyn, en Virginie... et il a pour parrains d’émérites gaillards
qui n’ont pas froid aux yeux : Friedmann, père et fils, Becker, Tul-
lock... Il a déjà trouvé chea nous une bonne famille d ’accueil, avec
Rosa, Aftalion, Simon, Lepage, etc.
Allègrement, il se met à son tour à transgresser tous azimuts,
peu respectueux des clivages traditionnels et des tabous fondateurs, si
prisés sur notre vieux continent. Devenu même « libertarien », il con
fond la gauche par la droite, dénigre les contre-productivités de l’État,
attaque la pérennité du Bien Public, menace d’invasion les modèles de
sciences sociales et annoblit les supposées perversités du marché.
Ainsi un spectre hante désormais le matérialisme historique et
ses épigones structuralo-disciplinaires ; celui de l’individualisme matéria
liste, régulé par le marché sur lequel trouvent à s’investir tous les
esprits d’entreprise, y compris, à la marge, des « gaucho-
entrepreneurs ». A chacun ses déstabilisateurs, c’est celui dans l’air du
temps... En fait, C’est qu’une simple question de mode, à moins que
la mode soit, comme toujours, essence du temps.
La théorie du Mic-Mac
Contrairement à la macroéconomie qui étudie les grands agrégats
de la comptabilité nationale (croissance, emploi, revenu, consommation)
et tente de rechercher les conditions d’équilibre, la démarche de la
« nouvelle économie » vise un autre niveau, celui de la relation directe
de l’individu avec son environnement.
En fait, il s’agit d’étendre l’approche de la microéconomie au-
delà de l’économie de la firme pour en faire l’instrument d ’analyse de
l’ensemble des interactions individuelles, aussi bien dans le marché
172 Autrement 20/79
Lhistoire
NUM ERO 13
Les premiers
navigateurs,
NUMERO 14
Les rois d'imposture
au XVI" siècle
NUMERO 15
Le cas Philby
par M. Mc Conville
Gérant de Marketube,
professeur à ΙΊ.Ρ.Λ. de Lille.
Et comment s'y prennent-ils pour créer ? 187
recréer une centaine d ’emplois sur Roubaix, mais pour cela il faut
acheter l’outil de travail en liquidation. Somme nécessaire en capi
tal : 1 million de francs. Les travailleurs estiment qu’ils n’ont pas à
prendre le double risque de leur épargne et de leur emploi, et ils déci
dent de rechercher les fonds à l’extérieur.
Une commission « Finance » formée de 12 personnes — dont 10
ouvrières et ouvriers — est chargée de ce travail. Cent millions de cen
times : quand on est au chômage avec pour vivre deux mille francs par
mois cela paraît impossible à trouver ! Et pourtant en six semaines la
moitié de ce capital est rassemblé ; il faudra quatre mois de plus pour
trouver l’autre moitié. Voici comment.
Tout d ’abord les membres de la commission mettent ensemble
sur une liste tous les noms des gens qu’ils connaissent comme suscepti
bles d ’apporter de l’argent : leur pharmacien de quartier, le cousin
assureur, les médecins militants du P.S., l’ami ingénieur... cela fait
quelque 200 personnes. Une lettre est envoyée à chacun, l’informant
brièvement du projet Dampierre et lui annonçant qu’il va être sollicité
pour souscrire au capital. Un appel téléphonique suit (c’est difficile de
parler fric avec une notabilité inconnue quand on est ouvrière-piqurière
mais on apprend vite) pour demander et fixer un entretien : plus de
cent refus à ce stade, parfois très désagréables, et soixante rendez-vous
accordés, auxquels se rendent un ou deux membres de la commission,
ceux qui parlent bien, dossier sous le bras : une heure ou deux de con
versation suffisent pour montrer que le projet est viable, qu’il va per
mettre de recréer 80 emplois et donner aux travailleurs la possibilité
d ’aller au terme d ’une lutte exemplaire en contrôlant eux-mêmes la
remise en route et le fonctionnement de l’outil de travail ; et que cette
double démarche emploi-expérimentation sociale est symbolique en ces
temps et lieux de crise. 56 visités acceptent de prendre des actions,
pour 9 000 francs en moyenne : ils sont conscients du risque financier
qu’ils prennent, mais sont motivés par la perspective d’une action con
crète.
plus, mais rien de moins : Bon projet + trois garanties = prêt quasi
assuré. Un prêt qu’il faudra essayer d’obtenir pour la durée la plus
longue possible (15 ans par exemple) et bien sûr au taux le plus bas,
9,5 % n’étant déjà pas mal.
L'expérience M arketube
Cette chasse aux fonds propres et aux prêts, les 8 ouvriers qui
occupaient l’usine « Isotube » à Marquette début 1975 l’ont conduite
avec succès. Leur problème était le suivant : licenciés par leur entre
prise en liquidation il leur fallait trouver les 120 millions de centimes
nécessaires pour acheter l’outil de travail. A eux huit ils disposaient de
60 000 F. Première étape : un plan de relance est établi qui démontre
la viabilité de l’outil. Deuxième étape : la société Marketube est créée
ce qui donne un support juridique. Troisième étape : des « actionnai
res » sont recherchés dans l’environnement ; 30 sont trouvés qui appor
tent ensemble 540 000 F. Quatrième étape : au vu du plan et des
600 000 francs de « capital » recueillis la Société de Développement
Régional accepte de fournir 300 000 F, dont 100 000 en fonds propres
et 200 000 en prêt à 15 ans. Cinquième étape : la commune de Mar
quette achète l’usine et la revend à Marketube, moitié paiement comp
tant, moitié avec un crédit de 250 000 F sur 15 ans, que la Caisse
d ’Épargne finance. Sixième étape : une banque prête les 50 000 derniers
francs nécessaires et autorise l’escompte du papier commercial.
Précisons que cette équippe d ’ouvriers entreprenants s’était assu
rée les conseils bénévoles et l’appui de quelques experts en gestion
qu’ils avaient recrutés dans leurs relations. Car il ne faut pas se leur
rer : cette démarche d ’une apparente facilité lorsqu’elle est rapportée en
quelques lignes a tout de même nécessité six mois d ’intense travail
collectif et une bonne connaissance des mécanismes financiers.
bres, qui deviennent un peu ses parrains), sante et un bon moyen d’entrer en con
il les aide sur le plan financier (notam tact avec les entreprises membres, qui
ment en les faisant cautionner par cer pourront éventuellement vous parrainer...
tains de ses membres), il les conseille sur
leurs projets. Surtout, l’E.T.H.I.C. a • Institut supérieur de gestion - création
monté un service spécialisé, « Allô ! créa d ’entreprises, 16, rue Spontini, 75116
tion 362.11.17 »y qui pourra vous être Paris, tél. 704.69.04.
très utile. Demander Mlle de Kermoysan. Dans le cadre de la formation perma
Enfin, l’E.T.H.I.C. a beaucoup étudié le nente, l’I.S.G. organise des stages sur la
problème des reprises d’entreprises (dont création d’entreprises. Un service spécia
le patron, âgé, veut « passer la main ») et lisé propose en outre des conseils (gra
pourra éventuellement vous indiquer de tuits) aux jeunes créateurs.
telles « occasions ».
• F.A.I.R.E. (Mouvement pour favoriser
• Centre des jeunes dirigeants (C.J.D.)t l ’action, l ’information et la réflexion pour
19, avenue George-V, 75008 Paris, tél. entreprendre), 1, rue de la Libération,
359.23.96 — demander Marie-Christine 78350 Jouy-en-Josas, tél. 956.80.90.
Malingre aux relations extérieures. Sur le même modèle que l’I.S.G., le
Encore une organisation patronale C.E.S.A. (Centre d’Enseignement Supé
pleine de bonne volonté, qui peut vous rieur des Affaires), qui dépend de la
apporter quelques conseils judicieux Chambre de commerce de Paris, organise
(notamment en vous aiguillant sur ses des stages de formation à la création
adhérents locaux, qui vous donneront, au d’entreprises. Il a aussi monté une
besoin, un coup de main dans vos débuts, « bourse d’échanges » pour mettre en
sur le plan de la gestion ou de la fabrica contact les créateurs.
tion).
• Association pour entreprendre, 1, rue
• Associations régionales pour la promo de la Libération, 78350 Jouy-en-Josas,
tion des moyennes et petites industries tél. 956.51.28.
(M.P.I.) ; leur fédération nationale : 63 Frère jumeau (et un peu rival) de
bis, rue de Varenne, 75007 Paris, tél. F.A.I.R.E., cette association a été créés
551.09.93/551.09.94. par des anciens de l’Institut supérieur des
Bien implantées sur le terrain, mais affaires (I.S.A.). Cette associations pro
d’un dynamisme inégal, ces organismes pose des conseils et des informations.
patronaux peuvent vous être utiles...
A consulter pour vos problèmes de bre la retraite de leur patron) de jeunes diri
vets. geants.
G uy C oq :
Comment financer les fonds Propositions
de roulement et d'investisse aux enseignants
ment ? •
M. C r é p u , N . G n e s o t t o ,
• Si l’entreprise est innovatrice, s’adres E. G o ffa rt, E. P o u lh a z a n :
ser à la Caisse nationale des marchés de Propos d’enseignants
l'État (adresse ci-dessus), au titre des cré •
dits de l’article 8. O . G a ila n d e t M .-V . L o u is :
• Possibilité d’obtenir la caution de la Jeunes chômeurs
Région pour la moitié au maximum des
crédits à long et moyen terme consentis •
par les banques. G uy R o u s ta n g :
• Possibilité d’obtenir la garantie d'une Pour une autre
société de caution mutuelle pour les cré politique de l’emploi
dits à moyen et long terme consentis par
les banques (leur démarrage est en cours). O s s i p M a n d e ls ta m :
Votre banquier pourra vous renseigner. La quatrième prose
• En marge de ces techniques, certaines
grandes entreprises aident parfois leurs •
cadres à créer leur propre entreprise, P . T h ib a u d e t J . K a rp in s k i :
notamment en leur donnant (au moins au La renaissance polonaise
début) des commandes. Parmi elles : •
Thomson, Péchiney, Alsthom, Schneider, M arie F e rrie r :
Leroy-Sommer ou Radial. Ci
Crise dans les
villages d’enfants
•
Bibliographie : Été, vacances, voitures
— « Créer une entreprise industrielle,
comment ? », aide-mémoire mis au point JU IL L E T -A O U T 1979, 25 F
par le ministère de l’Industrie.
— « Dossier du créateur d'entreprise »,
édité par les Chambres de commerce, par
fiches détachables.
— « Guide du créateur d'entreprise »
par Philippe Gorre, chez Chotard et asso
ESPRIT 19, rue Jacob, Paris 6e
C.C.P. Paris 1154-51
Personnes bénéficiaires
L es e m p lo is d 'u tilité c o lle c tiv e s o n t ré s e rv é s à d e s p e rs o n n e s s a n s e m p lo i,
s a u f d a n s les c a s s u iv a n ts :
• le profil p ro fe s s io n n e l re q u is p o u r l'em p lo i d 'u tilité c o lle c tiv e p ro je té n e
p e u t v ra im e n t p a s ê tre tro u v é d a n s le d é p a rte m e n t ;
• l'aid e d e l'É ta t à la c ré a tio n d 'e m p lo is d 'u tilité co lle c tiv e p e rm e t le m ain tien
d u ra b le d 'u n em p lo i p ro v is o ire m e n t m e n a c é , o u d e tra n s fo rm e r u n te m p s partiel
e n u n te m p s plein ;
• la p e rs o n n e r e c r u té e a d é m is s io n n é d 'u n e m p lo i où elle e s t re m p la c é e p a r
u n e p e rs o n n e s a n s em p lo i ;
• la p e rs o n n e re c r u té e e n c a d re p lu s ie u rs a u tr e s p o s te s d 'u tilité co lle c tiv e
o u v e rts à l'in te n tio n d e p e r s o n n e s s a n s em p lo i.
Il a p p a rtie n t à l'o rg a n is m e p ro m o te u r d u p ro je t d e fo u rn ir to u s les é lé m e n ts
s u s c e p tib le s d 'é ta b lir qu 'il re c ru te ra u n e p e rs o n n e s a n s em p lo i o u q u 'il sollicite
l'u n e d e s d é ro g a tio n s é n u m é r é e s c i-d e s s u s .
Aménagement de l'aide
• L 'aid e d e l'É ta t n 'e s t p a s re n o u v e la b le .
• En c a s d e m i-te m p s o u d e la tra n s fo rm a tio n d 'u n p o s te à m i-te m p s e x is
ta n t e n u n plein te m p s , elle e s t ré d u ite d e m o itié.
206 Autrement 20/79
chargé d ’études
au C.I.I.S. (Centre
d ’information sur les Innovations
Sociales).
208 Autrement 20/79
prêtant des locaux, soit en intervenant manque d’information des élus sur leurs
financièrement ainsi que nous l’avons droits et possibilités d ’intervention
décrit auparavant. qu’impliquent en particulier la loi de juil
Certaines villes étudient de près ces let 1978 et la pratique du « quart coopé
possibilités. C’est le cas de Rennes où les ratif ».
élus ont l’intention d’aider deux cher Mais, c’est surtout de l’opposition
cheurs de l’Université bretonne dont les politique à ces structures d’entreprises
découvertes en matière de verres fluorés que naissent les blocages.
peuvent être exploitées industriellement. Dans leur grande majorité, les élus
Primés au deuxième Salon de la Création locaux estiment que les deniers publics ne
d’Entreprise du Puy en 1978, mais dému doivent en aucun cas profiter aux entre
nis, ces chercheurs devraient trouver prises privées quelles qu’elles soient.
auprès de la municipalité une aide sous Or l’intérêt porté par les habitants
forme d’un atelier-relais. des villes où furent proposées des sous
En réalité, ces exemples sont rares, criptions publiques, indique bien pourtant
au grand regret de la Confédération géné l’attrait de la population pour les Coopé
rale des S.C.O.P. ratives Ouvrières de Production.
Deux obstacles majeurs empêchent Entre les deniers publics et la sous
qu’un mouvement en ce sens se déve cription publique, la différence n’est pas
loppe. Ils tiennent en grande partie au grande, a
« L’indépendance,
c’est aussi le poujadisme»
PauI Appell
de personnes peut prendre les traits d ’une secte ou d’un ghetto. Bien
des projets ont dérivé jusqu’à s’isoler sous la forme d ’une secte. La
robinsonnade subculturelle s’essouffle aussi vite que ceux qui y sont
engagés.
Une économie de ghetto n’est absolument pas tenable et elle ne
fait que donner au camp des conservateurs une bonne occasion pour
dénoncer le caractère « parasitaire » de toute tentative d ’économie
alternative. Le mouvement alternatif échoue dans un ghetto lorsqu’il ne
se définit que négativement par rapport à ce qui l’entoure. Il en résulte
Le mouvement alternatif échoue dans un ghetto lorsqu’il ne se
définit que négativement par rapport à ce qui l’entoure. Il en résulte
alors un orgueil élitaire, l’idée avant-gardiste que tout est foutu, une
arrogance subculturelle à l’égard de tous ceux qui ne sont pas encore
sortis du système. Dès lors le mouvement alternatif ne peut obtenir de
solides majorités dans la population, toute tentative en ce sens est
entravée par les militants qui veulent conserver cette identité négative
qu’ils croient avoir. Une partie, heureusement peu importante, de la
subculture, n’est que le négatif du positif qu’est la puissante méga
machine technocratique.
Piètre complémentarité, qui prend un air particulièrement maca
bre avec la lutte de l’appareil policier d’État et des terroristes. L’appa
rente tolérance de certains cercles conservateurs à l’égard de la
« société parallèle », tolérance qu’on s’explique d’abord mal, vient en
fait de ce que cette société tend à s’isoler elle-même. Les élites bureau
cratiques dominantes n ’ont alors plus à se donner la peine de se débar
rasser de cette opposition.
PROGRAMME
Les participants sont attendus le je u d i 4 o cto b re en fm de joumee à C ham béry
(Maison de la Promotion sociale - 176, rue Samte-Rose. Tel 79,33 12 45) Un
buffet leur sera servi Ils seront loges sur place et criez I habitant
Les « Ateliers » se réuniront les vendredi b et sam edi 6 o cto b re de 9 h 30 à 18 h 30, les
repas seront pris à I Ecole d hôtellerie attenante Des échangés mter ateliers et des rencon
très avec des intervenants exteneurs auront neu e sam edi b, après-m idi et le dim anche
7 octobre, m atm
COMMENT S'INSCRIRE
Les participants ne pavent qu un droit d m suip tion individuel de 120 F tlO O l·
pour les « adhérents » de l'Atelier) qui v ouvre tous o s hais
Le nom bie de places est limite, il est recommande île s ’inscrire des que possible
(avant le 18 sept en envoyant
1 Une le ttre d ’in s c rip tio n et un chèque de 120 h «a l'oidie rie / A te lie r/
2 Une de scrip tio n brève 11 ou 2 teuiHets) rie i oxpenence presentee iquc quoi, ou.
quand, com ment )
tion. Les grandes entreprises recrutent Québec (F.T.Q .)y centrale plutôt pragma
désormais du personnel francophone et tique dont l’idéologie n’est pas très mar
doivent conduire leurs opérations en fran quée, sauf en ce qui a trait à son adhé
çais. De plus, la pression des impôts sur sion à la souveraineté-association, a choisi
Téconomie et le dynamisme même des de cheminer et d’intervenir activement
milieux populaires contribuent largement dans les projets participatifs et de redéri-
à mettre en lumière les limites de Taction nir son syndicalisme à la lumière de cette
étatique, trop aisément centralisatrice et démarche.
technocratisante. • La Confédération des Syndicats
Dans la foulée de la Révolution Nationaux (C.S.N.), centrale bien mar
Tranquille, les législateurs québécois ont quée au coin de l’idéologie, avec une aile
ouvert à la participation populaire un cer d’extrême gauche active, rejette l’idée de
tain nombre de secteurs d’intervention participation dans des entreprises tradi
étatique, comme la Santé et les Affaires tionnelles. Sur le plan pratique, elle
sociales. Une réforme en ce sens est s’intéresse au mouvement et s’implique
actuellement envisagée dans le domaine de parfois timidement.
l’Éducation, des Affaires municipales et
de l’Aménagement du territoire.
Le spectre de la récupéra
Cependant, après s’être emparés de tion
leur État, et avoir utilisé au maximum ses L’expérience québécoise confirme la
possibilités de reconquête économique et plupart des observations réalisées dans les
d’action politique, les Québécois ont rapi pays jouissant d’une solide tradition de
dement réalisé les limites de l’action étati développement coopératif et de fonction
que. Désormais, une partie des énergies nement collectif : ces entreprises d’un type
étatiques se trouve donc canalisée non nouveau ne sont pas développées en con
plus dans des interventions directes, mais currence avec des entreprises traditionnel
dans un appui aux autres mouvements les. Bien au contraire, elles sont nées
collectifs de libération, comme le mouve dans des secteurs négligés par l’entreprise
ment coopératif, et, à certains égards, le traditionnelle, comme les caisses populai
mouvement syndical et la petite et res, les coopératives de pêcheurs, d’agri
moyenne entreprise autochtone. culteurs, d’habitation, de consommation,
S’appuyant sur cette volonté mani etc. Toujours l’action des coopératives a
feste des Québécois, le gouvernement a vu le jour dans des régions éloignées ou
participé conjointement avec le mouve dans les quartiers populaires des zones
ment coopératif à la création de la urbanisées.
Société de développement coopératif Il ne s’agit pourtant plus d’un mou
(S.D.C.) (1). Il a de plus adopté la loi des vement marginal, sa propre croissance lui
sociétés de développement de l’entreprise ayant finalement assuré une place primor
québécoise (2). Finalement, il a mis au diale dans Téconomie québécoise.
point une opération de solidarité écono Cette croissance devait assurément
mique (O.S.E.) (3). poser des problèmes aigus en termes de
bureaucratisation du mouvement, de
Le pragmatisme des syndi maintien de l’idéal participatif et démo
cats cratique. Aussi graves qu’ils puissent être,
Par rapport à ce que nous venons de ces problèmes ne sont pas différents de
dire, quelle est l’attitude des syndicats ? ceux que connaissent d’autres structures
Dans l’ensemble, les syndicats ont de démocratisation de la société, comme
vis-à-vis le mouvement coopératif institué les syndicats ou certains partis politiques,
la même attitude que face à l’entreprise par exemple. La force atteinte par le seul
capitaliste. Ils estiment que, dans ce sec mouvement coopératif, l’impact de l’inter
teur, le rapport travailleurs-patrons n’est vention étatique dans les domaines des
guère modifié. Par rapport au secteur ins affaires sociales, de la santé, de l’éduca
tituant de Téconomie sociale, les syndicats tion et, plus récemment, dans le secteur
ont des attitudes plus diversifiées. de la création d’entreprises communautai
• La Centrale des Syndicats D ém o res, peuvent apparaître « inquiétants »
cratiques (C.S.D.) qui s’apparente à Force aux yeux de certains ; de ce point de vue,
Ouvrière, est favorable à la participation l’expérience québécoise apparaît porteuse
des travailleurs, à la propriété et à la ges du germe de sa propre mort, parce
tion. En pratique, à cause même de sa qu’elle prête flanc à la récupération, et à
taille, son influence demeure restreinte et la « restauration ».
ses interventions limitées. Cette façon de voir apparaît trop
• La Fédération des Travailleurs du schématique et ne peut engendrer qu’un
A /'étranger, mêmes scénarios ? 233
pessimisme stérile. Si les nouveaux sec tionnent à partir d’un segment économi
teurs de la coopération aiguillonnent avec que de base leur servant, à chacun, de
suffisamment d’ardeur le monde de la sphère d’influence et d’assiette de puis
finance coopérative, si les entreprises sance.
communautaires parviennent à s’assurer Pour le moment, la conjoncture éco
un second souffle et à se constituer en un nomique, les attentes sociales et la situa
monde autonome, les inconvénients tion politique favorisent la volonté
deviennent des avantages décisifs pour la d’implication et de prise en charge d’acti
reconquête de l’économie québécoise et vités économiques dans une perspective de
son développement ultérieur par les Qué développement alternatif.
bécois eux-mêmes. Il semble donc qu’au Québec, comme
On est évidemment encore loin de la dans le reste du monde occidental, nous
perspective d’un Québec autogéré, mais sommes entrés dans une ère de relance de
on est déjà plus dans le Québec des mul la démocratisation industrielle.
tinationales. L’image qui se dégage est L’entreprise nouvelle chemine sans
plutôt celle d’une économie québécoise bruit. Elle est le produit de l’imagination
tolérante, où les diverses formes d’entre créatrice d’entrepreneurs collectifs et elle
prises publiques, privées (multinationales montre déjà qu’« entreprendre à plu
ou P.M.E. autochtones) et tiers-secteur de sieurs » représente un mouvement impor
l’économie sociale, coexistent et compé- tant à travers le Québec, et
tissement jusqu’à concurrence de S25 par
(1) La Société de développement coo- action souscrite. Par contre, nul ne peut
yératif : détenir plus de 40 % des actions d’une
La Société de développement coopé S.O.D.E.Q.
ratif a été créée le 26 août 1977 par (3) Opération solidarité économique :
l’Assemblée nationale du Québec (loi n° Le 21 octobre 1977, le gouvernement
44) grâce à l’initiative du Conseil de la du Québec lançait le programme de sti
coopération du Québec. Le gouvernement mulation de l’économie et de soutien de
vient de porter sa contribution à 25 mil l’emploi connu aujourd’hui sous le nom
lions de dollars pour les cinq prochaines Opération Solidarité Économique
années. (O.S.E.). Le programme comportait 27
Ce budget est complété par des con activités, dont nous ne retiendrons que le
tributions, en principe égales, provenant programme expérimental de création
du mouvement coopératif. La S.D.C. d’emplois communautaire (P.E.C.E.C.)
peut consentir ou garantir des prêts et dont les objectifs correspondent au thème
souscrire des actions, parts sociales ou « entreprendre à plusieurs ».
parts privilégiées de capital social d’une Traditionnellement, les citoyens ne
entreprise coopérative. jouent pas un rôle actif dans le domaine
De plus, la société offre une aide économique ; le P.E.C.E.C. veut changer
technique telle la consultation, la forma cette situation et associer les citoyens au
tion, l’analyse et l’information, la gestion développement, tout en permettant une
directe et temporaire ainsi que la supervi forme d’appropriation collective.
sion administrative d’une entreprise coo Pour l’année 1978-79, un budget de
pérative. 15 millions de dollars a été octroyé à ce
(2) Les Sociétés de développement de programme. En 1979-80, ce budget a été
'entreprise québécoise : porté à 16,5 millions de dollars.
La loi des S.O.D.E.Q. sanctionnée le La gestion de ce programme ne com
30 juin 1976 veut encourager la formation porte pas de grandes contraintes bureau
de Sociétés de développement de l’entre cratiques. Les projets communautaires
prise québécoise dont les objectifs sont retenus doivent créer des emplois perma
l’investissement de capitaux dans les nents et s’autofinancer sur deux ans. Ils
P.M.E. du secteur manufacturier et l’aide doivent aussi avoir une dimension écono
en matière de gestion de ces entreprises. mique signifiante, sans se substituer au
En principe, on établira une S.O.D.E.Q. bénévolat là où cette notion contribue à
pour chacune des dix régions administrati garder bien vivantes, la solidarité, l’inter
ves. dépendance et la gratuité.
Tout individu peut investir dans une Globalement, il s’agit de réconcilier
S.O.D.E.Q. Pour le contribuable québé le social et l’économique, qui ont été arti
cois, chaque investissement lui permet de ficiellement opposés. En 1978-79, ce pro
bénéficier de déductions fiscales. La gramme a subventionné 251 projets créant
déduction correspond à 25 % de l’inves- 2 505 emplois, oi
Dans l’Italie en crise
des coopératives
de chômeurs
Olga Patané
Journaliste.
A l'étranger, mêmes scénarios ? 235
ciés. A ce moment fut constituée la Fédé currencées par les entreprises pratiquant le
ration Nationale des Coopératives Italien système du « travail noir ». Celui-ci
nes qui se transforma en 1893 en Lega s’exerce sous différentes formes : le tra
Nazionale del le Cooperative. vail à domicile touchant particulièrement
La période fasciste et les événements de la main-d’œuvre féminine, l’emploi
la dernière guerre freinèrent pour un cer d’ouvriers sans déclaration, l’exécution, à
tain temps le mouvement coopératif. Il se l’extérieur, de toute une partie de la pro
reconstitua en 1945 sous le nom de Lega duction.
Nazionale delle Cooperative e Mutue. Les conséquences de ces manœuvres
Avec la Confederazione Cooperative Ita- sont ; d’une part, le maintien à un niveau
liane et l ’Associazione Generale delle très bas du coût de la main-d’œuvre, ce
Cooperative Italiane recréées à la même qui la rend compétitive sur le marché ;
époque, sont regroupées au niveau natio d’autre part, la réduction du personnel et
nal l’ensemble des coopératives. Elles sont la garantie d’un profit élevé, étant donné
reconnues par Décret ministériel et leurs qu’avec un nombre moindre d’ouvriers,
statuts sont approuvés par le ministère du l’entrepreneur n’est pas obligé de mettre
Travail. en place certains services sociaux exigés
Ainsi, ces trois associations nationales par la loi lorsque le nombre de travail
représentées au niveau régional et provin leurs dépasse le seuil fixé.
cial, assument la défense du mouvement Ainsi, la politique mise en œuvre par
coopératif vis-à-vis des tiers en ce qui l’Association des coopératives face à des
concerne les prêts financiers, la collabora détournements de la législation du travail
tion avec les entreprises d’État et privées. est la constitution d’un consortium entre
deux ou trois petites coopératives pour
mieux supporter les risques du marché.
Face au travail noir, aux ris
ques du marché, le regroupe
ment des coopératives Relancer et stabiliser l'emploi
Le fichier général des coopératives a Cette démarche non seulement permet
recensé pour l’année 1978, environ 64 500 une meilleure capacité de gestion pour
affiliées au mouvement, et si l’on tient résister aux fluctuations mais veut assurer
compte de celles non inscrites le chiffre et stabiliser l’emploi : C ’est inutile de
global avoisine 83 500 unités. Leur impact chercher m idi à quatorze heures, disent
est réel sur le marché économique, même les responsables des coopératives. L ’Italie
si les divers secteurs de l’économie sont n ’a pas de matières premières, ce qui
inégalement représentés dans les 19 nous rend totalement dépendant vis-à-vis
régions italiennes, puisqu’elles contribuent de l ’étranger, entraînant au moindre con
pour environ à 6 % du revenu national. f lit les paralysies économiques q u ’on con
Ce mouvement coopératif se propose naît.
d’intervenir sur des points précis de la Les travailleurs sans perspectives de tra
structure économique et sociale du pays. vail s’organisent d’une façon ingénieuse
Selon les économistes, l’Italie « patauge » pour relancer ou créer des possibilités
depuis quelque temps : c’est ce qu’ils d’emploi :
appellent rE conom ie Sommersa (Écono
mie submergée). Ceci s’exprime pratique • La coopérative agricole fut un des
ment par un arrêt des investissements des premiers succès du mouvement d’autoges
entreprises et un blocage des salaires. tion à la fin du xixe siècle. Aujourd’hui,
Cette situation, est régressive par rap on constate qu’entre 1951 et 1974 les tra
port à la demande d’emploi croissante et vailleurs agricoles ont diminué de 60 %.
par rapport au combat des syndicats pour Sur trois millions d’agriculteurs, seule
l’échelle mobile des salaires. En outre, il ment 15 % ont moins de trente ans. La
faut mentionner aussi les effets de cette production agricole est déficitaire ; ce qui
stagnation sur la situation sociale en oblige à des importations consistantes de
générale, la recrudescence des maux chro produits alimentaires et de zootechnique,
niques de la société italienne : le travail qui, avec le pétrole, constituent les factu
noir, l’absentéisme, la désaffection pour res les plus onéreuses de la balance com
la vie publique, le clientélisme, l’émigra merciale des paiements. On compte
tion, etc. 14 120 coopérations dont 5 440 seulement
C’est certain que les petites coopérati dans l’Italie du Nord.
ves qui font leurs premiers pas dans le
monde du travail, sont sérieusement con • L ’autogestion coopérative se déve-
236 Autrement 20/79
loppe très fortement aussi dans le secteur vaincus que la fermeture n’était pas une
du bâtiment avec 48 071 coopératives ; conséquence des difficultés que traversait
dans la production industrielle 8 572 ; ce genre de fabrication, mais plutôt les
dans l’industrie de la pêche 837 ; dans les visées d’investissement du patron vers un
groupements de consommateurs 5 667 ; secteur plus lucratif.
dans le secteur des transports 1 277 ; cel La réaction fut immédiate de la part
les à activité mixte 5 014 ; et enfin, la des ouvriers. Ils se mirent en grève et
dernière arrivée : la coopération culturelle obligèrent le patron à traiter avec les
avec 341 coopératives. Nous ne citons là syndicats ; première victoire, ils obtinrent
que les branches les plus importantes. Il l’annulation de la demande de licencie
en existe d’autres plus capillaires, par ments économiques présentée par
exemple : les coopératives de petits détail l’employeur. Au bout de trois mois de
lants et celles se groupant pour l’achat de lutte, 50 ouvriers cherchèrent un autre
machines et outils. emploi, les autres restèrent. Enfin, le 23
février 1976, le Tribunal de Verone
décréta le dépôt de bilan.
Une solution pour les jeunes Aussitôt 25 travailleurs associés signè
et les travailleurs qualifiés au rent l’acte constitutif devant un notaire et
chômage demandèrent la location de l’entreprise
auprès du tribunal. Le 1er avril, la coopé
Dans ce mouvement d’ensemble, deux rative commença son activité. Le bénéfice
facteurs importants ont amené les indivi net de la première année d’autogestion fut
dus à relancer et à redécouvrir la coopé de 995 896 lires (environ 6 000 F). Elle est
ration : d’une part, la tendance des jeunes actuellement inscrite à la ligue.
à rechercher à s’intégrer dans le monde Les jeunes, à première vue, semblent
du travail de façon indépendante et en être les plus attirés vers la coopérative. Ils
cohérence avec leurs propres intérêts ; sont, plus que les autres chômeurs, proté
d’autre part, les travailleurs professionnel- gés par une nouvelle loi « loi 285 pour
lent qualifiés qui, à la suite de la ferme l’occupation des jeunes de 18 à 29 ans »
ture de leur entreprise, se sont retrouvés qui favorise leur formation professionnelle
sans emploi : Les uns comme les autres et leur facilite les moyens techniques et
expérimentent en premier lieu la difficulté financiers pour entreprendre une expé
de s’insérer à cause de l’asphyxie des rience d’autogestion ou autre. Ensuite la
structures économiques et sociales. « loi 440 » a encouragé et réglementé
Pour les travailleurs licenciés, le chemi l’occupation des terres non productives à
nement vers l’autogestion est particulier : 100 % ou laissées en friche.
ils croient avant tout garder leur spéciali
sation au sein de l’entreprise et garder
l’entreprise elle-même. L’acharnement
Une politique de décentralisa
avec lequel les ouvriers occupent l’usine et tion qui favorise les coopérati
défendent leur poste de travail est souvent ves de jeunes
couronné de succès face à un patronat
conservateur et figé dans l’immobilisme Pendant un an, des jeunes chômeurs
de sa gestion. ont fréquenté l’agence pour l’emploi,
Ainsi, après maints jours de grèves et espérant un travail, même précaire. A la
de tractations avec la police et les tribu fin, ils ont décidé de se grouper et de se
naux, l’usine reprend son activité avec ses trouver un travail par eux-mêmes. L’un
ex-ouvriers, ni dépendants, ni patrons, des chômeurs connaissait un terrain aux
mais tous associés paritaires. portes de Rome appartenant à l’hôpital
C’est le cas, entre autres, de la Coope psychiatrique et réservé, soi-disant au tra
rativa Lavoratori G raf ici di Verona vail des patients. Pratiquement, ce terrain
(C.L.G.) (1) constituée le 4 mars 1976 était laissé en friche. Le groupe formé
avec 63 associés. L’occupation a duré alors de 22 personnes au début de 1977,
cinq mois à la suite d’une décision sou décida de l’occuper et de rendre ces terres
daine du propriétaire de fermer l’usine et productives.
de mettre tous les dépendants in cassa Le syndicat des journaliers La Feder-
integrazione a zero ore (chômage à braccianti (Fédération des ouvriers agrico
100 %), sans avertir au préalable ni les les et journaliers) les soutint pendant
syndicats ni le conseil de l’entreprise. l’occupation en faisant valoir la « Loi
La C.L.G. est un des plus grands 440 » pour les terres non productives. En
ensembles de reprographie (fotolito ) exis avril 1977, l’association signa Facte de
tant en Italie. Les travailleurs étaient con location des terres chez le notaire avec
A Fétranger, mêmes scénarios ? 237
donner avec 25 personnes permanentes, et tenu son caractère particulier et ses finali
l’aide au moment des récoltes, des autres tés...
agriculteurs associés de la région. Cette Puis, d’après l’Article 2511 du Code
coopérative réalise un des buts du mouve Civil : ... Les sociétés coopératives ont été
ment d’association, celui de s’intégrer distinctes des autres entreprises ou socié
dans l’économie en faisant participer tés proprem ent dites. Cette distinction est
l’environnement, les syndicats et les pou fo n d é d*après la nature de mutuelle des
voirs publiques. coopératives , qui consiste à fournir aux
membres de l*association des services , des
biens ou des occasions de travail à des
conditions plus avantageuses que celles du
Dans la ville des sans travail marché...
une coopérative de chauffage
solaire
Bien que la relance des coopératives Face aux pouvoirs publics,
agricoles soit prépondérante actuellement, organiser un réseau auto
à cause de l’abondance de terres laissées nome ?
en semi-abandon depuis quelques décen
nies, d’autres secteurs de l’économie sont Néanmoins, la reconnaissance des pou
également concernés par le mouvement voirs publics pour ces associations de tra
coopératif. vailleurs ne se concrétise pas toujours en
En 1978, un quotidien signalait la for aide matérielle. La difficulté qu’ont les
mation à Naples d’une coopérative de 25 membres des coopératives à impliquer la
jeunes ingénieurs, physiciens et artisans- classe dirigeante pour que leur insertion
forgerons pour l’utilisation de l’énergie dans le système économique soit plus con-
solaire comme alternative aux centrales curentielle et plus efficace socialement,
nucléaires. Ils ont été aidés dans ce projet reflète les obstacles que rencontre toute
par des professeurs d’université et par les application de Loi.
partis de gauche. De ce fait, les trois associations repré
« La coopérative pour l’énergie sentant l’ensemble des coopératives ont
solaire » selon l’article, voudrait valoriser constitué leur propre réseau économique
le concept fondamental de la coopération, comprenant une banque la « Fincooper »,
franchir la discrimination entre travail une assurance « Unipol » et d’autres ser
intellectuel et manuel. Tout d’abord, en vices parallèles afin d’être un interlocu
réduisant la disparité des salaires, et celle teur de poids lorsqu’il s’agit de traiter
des tâches : tous dans la coopérative par avec les organismes publics en matière de
ticipent par roulement au cycle complet subvention, de prêts, etc.
de travail ; l’étude pour l’énergie alterna Cela dit, il ne faut pas oublier que les
tive pourrait développer des emplois, car banques ou les entreprises d’État sont
l’entretien des panneaux solaires demande étroitement liées au patronat et aux par
une gestion moins centralisée que celle du tis. Si nous mesurons l’impact social et
nucléaire. politique de cette forme d’association, il
Leur premier objectif, est d’équiper les apparaît évident que c’est avec une cer
quartiers populaires de Naples avec le taine crainte que les pouvoirs en place
système de panneaux et de collecteurs aux regardent l’autonomie et l’organisation
parois, pour le chauffage des maisons. La dont font preuve les coopératives.
Ligue est en train d’évaluer ces projets Il paraît donc difficile, à la fois d’igno
afin de pouvoir traiter avec la Région de rer ce mouvement et/ou de l’intégrer car
l’application du plan. Des contacts ont la structure sociale et économique propre
été pris avec la Mairie et la Société du de la coopérative se prête mal à cette
gaz. Mais le but principal de ces jeunes récupération. Songeons, parmi d’autres
est surtout d’impliquer les pouvoirs facteurs innovateurs apportés par les coo
publics et politiques de sorte que la ville pératives, à la diminution d’antagonisme
des « sans-travail » devienne une ville entre patron-employé faisant ainsi que le
productive par ses propres initiatives. rapport de pouvoir créant un front de
En effet, selon l’Article 45 de la Cons lutte ailleurs est ici beaucoup plus faible.
titution italienne : La République recon De ce fait les relations avec les syndi
naît la fonction sociale de la coopération cats, les partis paraissent plutôt ambigus.
à titre de mutuelle et sans but lucratif. D’une part, les syndicats et les coopérati
La Loi en favorise Vorganisation et ves partent d’intérêts communs : la
Vexpansion et veille à ce que soit main défense des travailleurs, de leur salaire,
A l'étranger, mêmes scénarios ? 239
E t s i c h a c u n c r é a i t s o n e m p l o i ?
L e d é s i r d ’e n t r e p r e n d r e J u le s C h a n c e l, P ie r r e -É r ic Ti.xier
Ils r e s s o r t e n t g r a n d - p a p a d u g r e n i e r H e n r y D o u g ie r
M a i s q u i s o n t d o n c ces « n o u v e a u x e n t r e p r e n e u r s » ?
L es nouvelles c o o p é r a tiv e s
L a b a n d e à B u lle M o n i q u e A s l r u e , A la i n O stalrich
L a M e n u i s e o u la d i a l e c t i q u e d e s c o p e a u x J u le s C h a n c e l
L a c h a r p e n t e p o u r le p l a i s i r M o n i q u e A s t r u e , A la i n O stalrich
L es T a b l e s R a b a t t u e s , u n r e s t a u r a n t s a n s c h e f J u le s C h a n c e l
L e G r a i n : s ’i n v e n t e r d e s c o m p é t e n c e s J u le s C h a n c e l
Les é d u c a te u r s - e n tre p r e n e u r s
P l a c e V o l t a i r e , les e n f a n t s d e R o u s s e a u J u le s C h a n c e l
L es G r i l l o n s : les é c u e il s d e l ’a c c u e i l J u le s C h a n c e l
É ole : a so c ia u x + p r o d u c tio n J u le s C h a n c e l
Les o u v rie rs -s a u v e te u rs
M a r k e t u b e , le t u b e d e l ’a u t o g e s t i o n P ie r r e - É r ic Ti.xier
U n p a t r o n « c o o l » et les t i s s e r a n d s d u N o r d D a n ie l C a rr é
L e B a la i L i b é r é o u la p a r o l e d é c h a î n é e B r u n o M a t té i
E t en q u o i so n t-ils d iffé re n ts ?
L a s t r a t é g i e d e l ’a f f e c t i f M a r ie - O d ile M a r t y
L ’e x e r c i c e d u p o u v o i r : u n e s c è n e c a c h é e P ie r r e - É r ic Ti.xier
D u c o m m u n a u t a i r e a u g r o u p a l : le c a s f r a n ç a i s R e n a u d S a in s a u lie u
C o o p é r a t i v e s o u v r i è r e s , p a s si r é t r o q u e ça C la u d e V ie n n e y
L e t r a v a i l a u - d e l à d e l ’e m p l o i J a c q u e s D e lo r s
E t si B ig d e v e n a i t b e a u t i f u l ? M ic h e l R o c a rd
R é d u i r e le c o n t r ô l e d e l ’É t a t B e r n a r d S ta s i
« D e s t r é s o r s d ’i m a g i n a t i o n , q u a n d o n est p a r t i e p r e n a n t e » C h a r le s P ia g e t
A v e c les « n o u v e a u x é c o n o m i s t e s », a l l o n s t o u s a u m a r c h é É lie T h é o fila k is ,
B e r n a r d R o c h e tt e
D i s c r è t e s a u d a c e s d ’u n n é o - l i b é r a l Jea n -J a cq u e s R o sa
L es p iè g e s d u d o - i t - y o u r s e l f J c a n - P ie r r e G a r n ie r
E t c o m m e n t s ’y p r e n n e n t - i l s p o u r c r é e r ?
D e l ’a r g e n t et d e s m ille m a n i è r e s d e n e p a s le p e r d r e H e n r i L e M a r o is
L es t r i b u l a t i o n s d ’u n c r é a t e u r d ’e n t r e p r i s e . . . J e a n - F r a n ç o is R o u g e
... E t s o n c a r n e t d ’a d r e s s e s - c l é s ! C h r is tia n D u p r é
120 m i l l i o n s , u n e p r i m e à l ’i n g é n i o s i t é A la in d e R o m e fo r t
L ’é lu lo c a l , p r o m o t e u r d ’e n t r e p r i s e s Y v e s L a p lu m e
« L ’i n d é p e n d a n c e , c ’est a u s s i le p o u j a d i s m e » P a u l A p p e ll
D e s c o ll e c t if s d e t r a v a i l l e u r s ? O u i , m a i s . . . J e a n -L o u is M o y n o t
« Il n e s ’ag it p a s v r a i m e n t d ’a u t o g e s t i o n ! » J e a n n e tte L a o t
A l ’é t r a n g e r , m ê m e s s c é n a r i o s ?
L e « m o d è l e a l l e m a n d » . . . m a i s p a s c e l u i a u q u e l o n s ’a t t e n d ! Jo sep h H u b er
A u Q uébec, une éco n o m ie to lé ran te H a r o l d B h e r e r , F e r n a n d P io t t e
D a n s l ’I talie e n c r is e , d e s c o o p é r a t i v e s d e c h ô m e u r s O lg a P a t a n é
V e n te e n lib r a ir ie ( d i f f u s i o n L e S e u i l ) o u p a r a b o n n e m e n t ( 2 7 , r u e J a c o b , P a r i s 6 e).