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LE PLAISIR EN GROUPE

Luc Michel

ERES | « Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe »

2005/1 n° 44 | pages 149 à 162


ISSN 0297-1194
ISBN 2749204208
Article disponible en ligne à l'adresse :
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groupe-2005-1-page-149.htm
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Luc Michel, « Le plaisir en groupe », Revue de psychothérapie psychanalytique de
groupe 2005/1 (n° 44), p. 149-162.
DOI 10.3917/rppg.044.0149
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Revue de psychothérapie
psychanalytique de groupe
44

LE PLAISIR EN GROUPE 1

LUC MICHEL

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Je pratique comme psychanalyste et analyste de groupe depuis
plus de vingt ans. Beaucoup de personnes, qui sont devenues par la
suite, l’espace d’une courte période ou pour longtemps, mes patients,
m’ont consulté à un moment de leur vie où elles souffraient d’une série
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de symptômes. Ce n’est pas le lieu d’entrer dans une description


fouillée des types de troubles qu’elles présentaient, que ceux-ci soient
répertoriés dans des classifications plus ou moins standardisées,
comme le DSM IV ou l’ICD 10, ou non. Ce que je relève et qui m’inté-
resse aujourd’hui est que bon nombre présentaient, de manière plus ou
moins importante, une diminution de leur capacité à éprouver du plai-
sir. Cette absence ou diminution du plaisir est certes une des caracté-
ristiques cardinales de ce qu’on appelle des états dépressifs. Mais l’ab-
sence de plaisir dépasse largement ce cadre nosologique. Songeons par
exemple aux patients présentant ce que nous regroupons sous le terme
de phobie sociale, un déplaisir qui va jusqu’à la panique à la perspec-
tive d’être avec d’autres dans certaines situations. Au contraire,
d’autres personnalités dépendantes ne peuvent se vivre seules et ont
une sorte d’addiction à être ensemble. Des personnalités plus schi-
zoïdes me relatent leur difficulté et non-envie à se rapprocher des
autres, ceux-ci étant alors très vite ressentis comme intrusifs, ôtant
toute possibilité d’éprouver du plaisir.
Nous pouvons, bien entendu, entendre une multitude de significa-
tions sous le vocable plaisir. Comme le plaisir est un état émotionnel

Dr Luc Michel, IUP, Tunnel 1, 1005 Lausanne, Suisse.


1. Conférence donnée dans le cadre de IIIe European Conference of Psychoanalytic Group
Psychotherapy (EFPP), Lisbonne, 7-10 octobre 2004.
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fondamental, les définitions, comme les descriptions, sont diverses et


touchent à des niveaux différents. Pensons, par exemple, aux neuro-
sciences, dans lesquelles le plaisir est décrit comme une émotion
basique qui colore les sentiments. Son articulation avec la douleur ou
le déplaisir fait partie de la régulation biologique de l’individu 2.
On le voit, le sujet est vaste, et je vais me cantonner à évoquer,
quelques aspects du « plaisir d’être ensemble » en pointant surtout les
aspects de son articulation avec la sexualité.
À ce stade, ma question est somme toute assez basique et triviale :
mais pourquoi donc j’éprouve du plaisir en groupe ? Pourquoi cer-
taines personnes n’en éprouvent pas ? Ou, dit d’une autre manière,
c’est quoi le plaisir en groupe ? Poser ce type de question déjà comme
individu a quelque chose d’abyssal. J’aimerais m’y arrêter en me réfé-
rant à mon bagage théorique de psychanalyste et d’analyste de groupe.
Une première constatation : dès que j’ai une idée d’un sujet de confé-
rence, je me précipite vers les traités de la discipline et consulte l’in-
dex dans l’espoir, d’une part d’y trouver une rubrique et de constater

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que l’on a déjà tout dit sur le sujet et, d’autre part, de ne rien trouver,
en me disant que c’est l’occasion d’y travailler. Eh bien, peut-être que
ceux qui écrivent les traités de psychothérapies de groupes sont plutôt
des calvinistes coincés, mais je n’ai rien trouvé sous le terme
« plaisir ». Il n’y a pas de balises théorisées dans notre domaine au
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niveau du plaisir en groupe, qui est pourtant le ciment nécessaire à la


cohésion et à l’alliance groupale. J’ajoute qu’une recherche sur le web
m’a amené à bon nombre de sites pornographiques. Si ceux-ci me don-
nent à voir des situations de plaisir sexuel en groupe, ils ne m’appren-
nent que peu sur l’aspect théorique ou, disons, plus sublimé.
L’absence de référence dans notre domaine constitue déjà en soi un
fait intéressant. Nous avons tendance, de par notre approche, à privilé-
gier le pathologique et le dysfonctionnel en laissant de côté des aspects
fondamentaux, sorte de fond silencieux dont on n’a pas à parler.
La question théorique est d’ailleurs importante puisque le plaisir
est une notion et un ressenti individuel, partagé ou non. Une
« matrix »groupale n’éprouve pas de plaisir en soi, tout au plus permet-
elle, par les conditions dans lesquelles elle met les individus qui la
composent, l’accès au plaisir.
La théorie psychanalytique me permet d’avancer un peu plus. Le
plaisir est en effet quelque chose qui est conceptualisé d’un point de
vue métapsychologique. Je partirai donc dans un premier temps de
cette base de l’individuel au groupal, en étant bien entendu conscient
de l’artificiel de la démarche, en particulier de la nécessité de la conce-

2. A. Damasio, conférence, 43e congrès de l’International Psychoanalytical Association, New


Orleans, mars 2004.
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voir dans une circularité. J’illustrerai dans un deuxième temps « le


plaisir en groupe » à l’aide de deux exemples, l’un tiré de l’Antiquité
et l’autre de ma pratique.

QUELQUES REPÈRES PSYCHANALYTIQUES

Le plaisir est au centre de la métapsychologie en tant que « prin-


cipe de plaisir ». Dans les écrits antérieurs à 1920 et à l’apparition dans
la théorie de la compulsion de répétition, le plaisir est associé avant
tout à la décharge. C’est un plaisir sexuel à l’état brut, qui consomme
l’objet et qui exige satisfaction. C’est un modèle conçu sur un mode
quantitatif où le but premier est l’apaisement des tensions. On se rap-
pelle par ailleurs que Freud conclut à la nature différente du plaisir pro-
curé par les zones érogènes et de celui lié à l’évacuation des matières
sexuelles. Ainsi le plaisir préliminaire est étroitement lié à la peau,
autrement dit à une image de contenant, d’enveloppe. C’est un point
important, car le plaisir de bien des façons renvoie aux limites et aux

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effacements relatifs et momentanés de celles-ci.
Par l’introduction de la sublimation, les voies de satisfaction vont
trouver des cheminements plus variés et offrir une satisfaction sans
passer par la décharge pulsionnelle proprement dite. Le tournant de
Au-delà du principe de plaisir, en introduisant la compulsion de répé-
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tition, dégage le plaisir de cette simple équation décharge-plaisir. L’ex-


citation en elle-même peut être source de plaisir et l’abaissement de la
tension n’est plus au centre.
Pour être bref et un peu caricatural, relevons que Freud a privilé-
gié une vision plutôt masculine du plaisir décharge. Depuis lors,
d’autres auteurs, tant des femmes que des hommes, ont évoqué un plai-
sir de nature plus féminine. Ainsi, par exemple, Monique Schneider
qui, à la relecture et au développement des jalons freudiens, décrit bien
le renversement où le plaisir peut aussi venir de l’objet, autrement dit
partir de l’autre 3. Cette passivité – séduction – est source d’un plaisir
autre que celui d’un modèle de la décharge. Comme cette auteure le
remarque, Freud a d’une certaine manière résisté à le reconnaître chez
l’homme. Mais lorsque Freud s’engage dans la description du plaisir
esthétique, celle-ci n’est pas très éloignée de celle que les Trois essais
attribuent à la femme. L’homme est alors le créateur de l’œuvre, le ver-
sant féminin étant du côté de l’auditeur, la réception.

3. M. Schneider, « Le plaisir et l’effroi », Tribune psychanalytique, n° 4, 2002, p. 13-30.


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L’articulation entre l’aspect pulsionnel et sa satisfaction décharge


se complexifie par la nécessité de la vie groupale. La pression sociale
nous fait différer la décharge dans la majorité des situations. C’est le
prix à payer de l’évolution sociale. La sexualité et sa satisfaction sont
encadrées par le socius qui les régit par tout un système de règles, d’in-
terdits qui varient suivant les cultures 4. Si tel n’est pas le cas, la vie
sociale est impossible, voire la vie tout court si le principe de plaisir ne
se soumet pas à un plaisir de réalité. Ce n’est dès lors que dans cer-
taines circonstances que la régression groupale va favoriser une désin-
hibition totale qui annihile alors l’autre en tant qu’individu et amène la
réapparition du besoin de satisfaction d’un plaisir décharge en groupe.
Cette régression est souvent d’ailleurs favorisée par l’absorption de
diverses drogues, qui concourent à l’effacement des barrières sur-
moïques. Apparaît un risque de déliaison sociale où la satisfaction
immédiate annule le lien à l’autre. Pensons à l’exemple du viol collec-

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tif, paradigme d’un plaisir décharge qui passe par l’annihilation de
celui qui représente l’altérité, qu’il soit de l’autre sexe ou d’une autre
communauté. C’est là aussi, il faut l’admettre, le versant décharge
masculin, que Freud va d’ailleurs décrire dans Totem et tabou ou dans
Psychologie des masses et analyse du moi. Notons une caractéristique
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qui subsiste presque toujours lorsque nous parlons de plaisir en


groupe : il y a systématiquement un étranger, un au dehors qui sert de
réceptacle aux éléments mauvais pour permettre la communion du
bon, source de plaisir. En ce sens, il y a chaque fois, à des degrés
variables, une forme de clivage.
Être ensemble, faire en sorte d’avoir du plaisir ensemble, c’est
aussi passer d’une position passive « d’être au monde » et de le subir
à une tentative d’y reprendre une position créative. Ce mouvement
procure un plaisir de redécouverte et d’appropriation qui n’est pas sans
rappeler le mouvement de l’enfant qui s’approprie le monde et le
recrée. C’est ce qui sans doute nous fait dire, à la fin d’une bonne soi-
rée où l’on a veillé tard et pris beaucoup de plaisir à discuter : « On a
refait le monde. » C’est en s’exprimant ainsi se donner un rôle actif,
quelque peu mégalomaniaque, qui nous voit participer à la création du
monde et de cette façon le connaître. De cette position active, de maî-
trise, naît le plaisir, du moins dans son pôle actif.
Tout autre est la position passive, de perception, où l’individu
s’imprègne de ce qui vient de l’extérieur, de ce qui l’entoure. Cette
position passive est celle qui nous permet, par exemple, d’écouter une
musique dans un concert. Nous sommes un parmi un ensemble

4. L. Michel, « Le plaisir énuméré », Revue belge de psychanalyse, n° 44, printemps 2004,


p. 47-59.
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d’autres auditeurs. Cette position passive-féminine s’accompagne d’un


relâché de la pensée. Celle-ci vagabonde, au gré de la musique, mais
laisse de côté l’aspect intellectuel et cognitif. On peut y voir des rap-
ports avec la position féminine. Freud décrit d’ailleurs cet « interdit de
penser » qu’il associe à la femme dans le contexte de l’époque vien-
noise du début du XIXe siècle. Ce type de plaisir est celui de faire par-
tie d’un ensemble. Pour cela, il s’accompagne généralement d’une
diminution temporaire et limitée des perceptions de ses propres déli-
mitations pour avoir accès à une palette réceptive et affective où le
cogito n’est que peu présent. Ce n’est pas étonnant que Freud s’en soit
dit d’ailleurs incapable : « […] Pour la musique, je suis presque inapte
à la jouissance. Une disposition rationaliste, ou peut-être analytique,
regimbe alors en moi, refusant que je puisse être pris sans en même
temps savoir pourquoi je le suis et ce qui me prend ainsi 5. »
Ainsi le plaisir que l’on éprouve ensemble est fortement entaché
d’une sexualité sublimée, qu’elle soit d’un versant plus masculin ou
plus féminin selon le couple passivité-activité.

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C’est à ce stade de mes réflexions que je me suis souvenu du Ban-
quet de Platon. Je l’avais lu comme il se doit à l’école, même si je
n’étais pas helléniste. Il y a des textes qui traversent les siècles sans
qu’à leur première lecture on sache bien pourquoi. C’était un peu mon
impression pour ce texte. Lorsque j’ai eu l’occasion de le relire, il m’a
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parlé d’une autre manière. J’ai compris qu’il contenait et traitait du


sujet qui m’occupe, à savoir de ce qu’est le fondement au plaisir à être
ensemble. Ce texte allie et réunit à la fois un discours sur l’amour, le
plaisir sexuel, sa sublimation intellectuelle au sein d’un groupe 6.

LE BANQUET DE PLATON

Il n’est bien entendu pas question que je développe l’aspect philo-


sophique, historique ou même rhétorique de cet écrit. De nombreux
auteurs, à travers les siècles, l’ont fait 7. C’est avant tout à travers une
lecture d’analyste de groupe que j’aimerais commenter Le banquet. Je
propose de lire ce texte comme le script d’une réunion d’individus qui
viennent discuter de leurs idées. Nous avons, au premier plan, un dis-
cours bien construit de philosophes qui retracent des idées de l’époque.
Derrière celui-ci affleurent des fantasmes tant individuels que grou-
pals. Le discours conscient révèle, autrement dit, un discours incons-
cient, latent qu’il faut tenter de suivre, comme nous le faisons lors

5. S. Freud, dans L’inquiétante étrangeté, Paris, Galimard, 1985, p. 87-88.


6. Je dois à Sara Ferro de m’avoir fait me souvenir dans « l’après-coup » que Freud fait réfé-
rence au Banquet dans « Au-delà du plaisir », lorsqu’il parle de sa conception de la sexualité.
7. T. Ménissier, Éros philosophe, une interprétation philosophique du Banquet de Platon,
Paris, Kimé, 1996 ; M. Lhoste-Navarre, Premières leçons sur Le Banquet de Platon, Paris, PUF,
1997 ; M.-C. Galpérine, Lecture du Banquet de Platon, Lagrasse, Verdier, 1996.
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d’une séance de groupe analytique. Le cadre de ce groupe est bien


entendu différent de celui d’une séance de groupe. Les règles qui le
régissent sont autres. À comparer, il aurait plus d’analogie avec une
séance de psychodrame.
Détaillons un peu plus la scène. Platon présente et décrit une
réception chez un homme aisé, au cours de laquelle les convives se
sont promis de parler de l’amour et tout particulièrement de discourir
sur Éros. Ce type de réunion était à l’époque très populaire dans la
Grèce antique. En grec, le terme est en fait « symposium », qui signi-
fie réunion de buveurs. La réunion se déroule en principe en plusieurs
temps. Elle débute par un repas, où les boissons sont prises en com-
mun, accompagné de divertissements. Les places sont ordonnées en
demi-cercle ou en cercle. Au centre est placée la jarre, remplie du breu-
vage célébrant Dionysos. Le président de ces réunions peut être le
maître de maison, mais pas forcément. Dans Le banquet, c’est Eryxi-
maque qui tient le rôle de modérateur.
Ainsi le cadre est posé. La boisson, qui ne doit en aucun cas ame-

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ner à la soûlerie, est une manière de chauffer l’atmosphère, sorte de
régression organisée pourrions-nous dire.
Dans ce banquet, chacun tour à tour exprime son point de vue sur
les mystères d’Éros. Ainsi, si le thème est philosophique, les images
évoquées peuvent être entendues comme des fantasmes individuels qui
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résonnent ou non au niveau groupal. Je ne vais pas en faire l’élabora-


tion détaillée mais m’arrêter à quelques-uns. Prenons, par exemple,
le célèbre discours d’Aristophane qui relate un mythe bien connu :
trois espèces constituaient l’humanité primitive, le mâle, la femelle et
l’androgyne, mélange des deux premières. On y voit bien entendu
l’idée d’une complétude. Celle-ci ne convient pas à Zeus, qui divise les
homme primitifs en deux. Dès lors, affaiblis, incomplets, ils sont à la
recherche de leur moitié. C’est la naissance d’une sexualité désormais
intersubjective et liée à cette incomplétude, qu’il s’agit sans cesse de
combler. Cela nous renvoie à une lecture liée à la sexualité qui n’est
pas sans rappeler les théories autour de la complétude narcissique
comme nécessité idéale à atteindre.
À propos de narcissisme, remarquons que, comme fréquemment
dans une séance de groupe, l’un des convives arrive en retard. Ce n’est
nul autre que Socrate. Absent au début du repas, il s’y fait désirer. Sans
doute doit-il se réjouir de participer à cette assemblée car il s’est bien
vêtu, ce qui est contraire à son habitude selon les chroniqueurs. Nous
pourrions ainsi le dépeindre comme la personnalité à traits narcissiques
de ce groupe, qui cherche à être remarquable et à se distinguer de l’en-
semble. Socrate se décrit d’ailleurs en-dessus de cet Éros charnel qu’il
laisse aux autres et qu’il méprise. Son intérêt est aux activités de l’âme
et va aux choses divines plus proches d’un Éros éthéré.
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Comme dans toute séance de groupe, il y a des moments différents


et des interventions qui infléchissent le discours groupal. À ce sujet, un
point charnière du déroulement du banquet sont les propos de Diotime
rapportés par Socrate. Ce n’est pas un hasard si est introduite pour la
première fois dans cette assemblée d’hommes, la parole attribuée à une
femme. Cette prophétesse Diotime reçoit et traduit les révélations
divines. Par elle est introduit le discours qu’Éros peut être à la fois un
intermédiaire entre le beau et le laid mais aussi entre le bon et le mau-
vais. Éros est une harmonie d’opposés. Autrement dit, nous passons
d’une position du « tout ou rien » à un discours plus ambivalent. L’ob-
jet qui acquiert cette position ambivalente est, pour nous autres psy-
chanalystes, plus mature. Eryximaque, qui distribue la parole, mène
bien son groupe.
Mais il n’est pas analyste de groupe ou psychanalyste. Ainsi, je me
plais à imaginer être à sa place et intervenir à un moment donné pour
ajouter une dimension à cette lecture des discours individuels de cha-
cun des participants en suggérant une lecture du discours latent grou-

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pal. L’interprétation que j’aurais envie de donner à ces augustes parti-
cipants est que tous leurs discours sont aussi là pour dire leur plaisir à
être maintenant et ici ensemble. Ils expriment à l’aide de leur logos ce
qui en fait les pousse à se réunir. Ce plaisir de discourir qu’ils mani-
festent est une satisfaction substitutive ou plutôt sublimée d’un plaisir
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décharge. C’est toute la différence entre un tel banquet et une orgie. À


ce propos, leurs discours recèlent des propos éminemment érotiques.
De plus, dans cette assemblée avant tout masculine, l’aspect homo-
phile est omniprésent, enraciné dans la tradition grecque. Si ces parti-
cipants visiblement ont du plaisir, c’est aussi que leur Éros est un Éros
dompté et lié qui se traduit comme un amour et comme un élan vers
l’autre, qui engage dans la vie en groupe. C’est un logos libidinalisé
inducteur de lien intersubjectif.
Mais cette position bien tempérée, avec un Éros du côté d’une pul-
sion de liaison, n’est pas la seule. Il est en effet aussi fait mention dans
le banquet, à plusieurs reprises, de son lien à l’hubris. C’est ce qui défi-
nit l’aspect de la violence, de la démesure, de l’insolence dans la pen-
sée grecque. Si cet hubris est lié à Éros dans une démesure construc-
tive, cela devient une force créatrice. Mais, si cet hubris se trouve
délié, Éros rejoindrait alors Dionysos et sa folie, reprenant en cela la
thématique de Dionysos et des Ménates que l’on trouve dans les Bac-
chantes d’Euripide 8. Le plaisir groupal, si cette tendance l’emporte,
tourne alors à l’orgie. Cette déliaison, qui n’est pas sans analogie avec
la désintrication pulsionnelle « pulsion de vie-pulsion de mort », laisse
l’agir prendre la place du verbe dans des conduites ébrieuses ou
sexuelles. On s’éloigne alors d’un discours civilisé où le logos est por-

8. Euripide, Les Bacchantes, théâtre complet, Pléiades, Paris, Gallimard, 1962.


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teur de la charge libidinale. Il ne faut pas idéaliser nos ancêtres, et il y


a gros à parier que beaucoup de banquets ont tourné à l’orgie et au
désordre. Les seules traces qu’ils ont pu laisser sont celles de sang, de
sperme ou de vin. Tout autre est le banquet que nous relate Platon où,
tout au long, les forces de liaison dominent. Dès lors, ce banquet reste
inscrit comme un acte social éminemment civilisé. Il laisse une trace
sous forme d’un écrit admirable, fruit de la sublimation pulsionnelle de
ses participants. On peut prendre la mesure du plaisir qu’ils y ont
trouvé. C’est d’ailleurs ce que nous content Eryx et Aristophane lors-
qu’ils évoquent l’histoire où une nature ancienne nous confère notre
statut d’être humain. Lorsque nous nous trouvons et vivons en harmo-
nie avec cette nature, nous sommes en accord avec l’univers, en lien
avec les dieux, le règne animal et végétal. Se dégage une harmonie
générale qui permet de bien vivre. On voit là un discours qui dresse
l’apologie de l’harmonie, l’ensemble, la liaison (p. 97). Au prix, cer-
tainement, de laisser la misère du monde de côté, comme trouble-fête.
Le terme « harmonie » convient bien à ce type de plaisir que nous

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pouvons ressentir à être ensemble. En termes groupal, cet état peut cor-
respondre à ce que D. Anzieu a nommé l’illusion groupale 9. C’est un
moment euphorique où les membres se sentent bien ensemble, ayant
gommé leurs différences et vivant ainsi un moment de complétude.
C’est une sorte de triomphe maniaque qui soude le groupe dans ses
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débuts en expulsant le mauvais de façon projective à l’extérieur. Il ren-


voie à un état régressif d’illusion de complétude.

DU BANQUET À LA FONDUE

Quittons Le banquet, tout en remarquant qu’il s’agit aussi du par-


tage d’un repas dont le centre est occupé par le feu dyonisiaque. Cela
me fait penser à un mets traditionnel en Suisse qu’est la fondue au fro-
mage. Au centre de la table se trouve un caquelon à fondue dans lequel
chacun va tremper son pain. On tisse ainsi des liens avec du fromage
qui fait des fils. Chacun se nourrit à la même source et y prend plaisir.
Nous avons coutume de dire, lorsqu’il fait mauvais temps dehors, qu’il
pleut ou neige, que « c’est un vrai temps à fondue ». Par là, nous atten-
dons que ce type de repas, avec en son centre ce feu, nous restaure et
réconforte au moment où les éléments naturels sont si peu hospitaliers.
Nous mettons en scène un clivage qui rejoint celui de l’illusion grou-
pale : le froid, le mauvais dehors, et la chaleur et le bon à l’intérieur.
Les publicitaires ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en créant le slogan
« la fondue crée la bonne humeur ! », autrement dit elle est génératrice
de plaisir en recréant artificiellement cette chaleur d’un ventre mater-
nel. Toutefois, cette comparaison avec un fantasme utérin n’est que

9. D. Anzieu, Le groupe et l’inconscient, Paris, Dunod, 1975.


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partielle, car l’aspect repas totémique est bien entendu présent dans
l’image d’un tel repas.
Je ne sais pas si les fils ont pris du plaisir à partager les restes du
père dans le repas totémique que décrit Freud. Ce que nous savons est
que la mise à l’extérieur du mauvais, en ne gardant que le bon a échoué
et que la culpabilité est vite apparue, ce qui les a fait se disperser… le
plaisir est éphémère.

UNE SÉANCE DE GROUPE

Je m’en voudrais de traiter ce sujet sans évoquer du matériel cli-


nique. Esquisser à l’aide d’un exemple, les entrelacs possibles des
expressions du plaisir dans un groupe.
Cette séance débute par un silence. On entend à l’étage au-dessus
des enfants courir et crier, ainsi que la mélodie de chants d’enfants. Les
participants échangent quelques sourires. La chanson s’arrête et Daph-
née dit : « Je dois ou je ne dois pas ? » C’est le titre, dit-elle, de la chan-

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son qui vient de se terminer. Daphnée nous dit qu’elle a aussi préparé
hier l’anniversaire de sa fille. C’était une journée riche en émotions.
Elle a commencé à faire des guirlandes en papier pour décorer, tout en
s’occupant de la lessive. L’après-midi, elle a reçu douze enfants. Elle
leur a préparé à manger et les a emmenés à une exposition en ville. En
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s’exprimant, elle a les larmes aux yeux. Pourquoi dois-je tant faire,
toujours faire plaisir ? D’ailleurs, ma fille n’a même pas remarqué les
guirlandes, ce qui lui a fait surtout plaisir, c’était d’avoir ses copines.
Daphnée poursuit : « Tout cela remonte à très loin, j’ai toujours eu
besoin de faire beaucoup pour les autres dans l’attente de signes et du
retour que j’étais ainsi aimée. » Le groupe parle autour du thème qui
tourne autour de : à qui fait-on plaisir ? se fait-on à soi-même plaisir ?
a-t-on soi-même du plaisir ? Je relie cette thématique avec les propos
de Paul à la séance précédente, qui évoquait sa mère peu donnante, de
laquelle il ne pouvait jamais savoir s’il lui faisait plaisir ou pas. Très
vite, les participants évoquent ces enfants à qui on veut faire plaisir. Ils
sont pour la plupart parents de jeunes enfants et commencent à relater
les préparations d’anniversaires, le gâteau que l’on fait le soir précé-
dant le grand jour jusqu’à 2 heures du matin, plutôt que d’en acheter
un, au risque d’une crise de nerfs car il est raté. Quelle corvée ! Cha-
cun renchérit sur toute la fatigue que cela entraîne. Comme René le
rappelle, c’est tout de même aussi pour se faire plaisir que l’on fait ça
et dans l’attente que l’enfant soit content. On relève qu’il est présomp-
tueux de vouloir toujours connaître ce qui ferait plaisir à l’autre. Jean
dit que pour choisir un cadeau, il se dit que ce qui lui fait plaisir doit
aussi faire plaisir à l’autre. Tout le monde trouve ça très bien. Je me
demande si c’est ainsi que procède l’enfant lorsqu’il fait un cadeau en
offrant quelque chose qui lui plaît, alors que l’adulte ou le parent
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devrait se mettre aussi à la place de l’enfant. Les membres du groupe


se disent que ces deux positions sont incompatibles. René ajoute que
cela lui rappelle l’image du baromètre de son enfance. Une petite mai-
son où sort tantôt un personnage tantôt l’autre, suivant qu’il fait beau
ou mauvais. Les membres du groupe vivent ainsi à ce moment ces
deux désirs, celui de l’enfant et celui de l’adulte, comme ne pouvant se
rejoindre. Je fais remarquer que dans le type de baromètre dont se rap-
pelle René, il s’agissait généralement d’un homme et d’une femme, qui
ne peuvent ainsi se rejoindre. Comme c’est la fin de la séance, je me
demande si le « je dois-je dois pas » du début de séance est en rapport
avec ce qui se passe en nous entre un versant émotionnel et plein d’un
plaisir spontané que l’on rattache à l’enfance, représenté par l’étage
d’en dessus, et un côté fait de maîtrise de l’adulte qu’on semble mettre
en avant dans cette séance.
J’aimerais commenter quelques aspects de cette vignette clinique.
La répartition spatiale est intéressante : en haut, les bruits de jeu d’une
fête d’enfants avec ses cris. On les imagine avec l’excitation motrice

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que révèlent les bruits de course. C’est un plaisir de type décharge. On
peut le trouver dans les séances de groupe que nous relatent mes col-
lègues qui animent des groupes d’enfants. Les adultes, à l’étage d’en
dessous, sont mis dans un rôle de spectateurs, ou plutôt auditeurs : l’at-
mosphère est feutrée, contenue, seul s’échappent quelques sourires,
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signes d’un plaisir retenu. Consciemment, les membres de ce groupe


s’identifient immédiatement aux parents dont le but est de faire plaisir.
Pourtant, l’association de René ramène à l’enfance, où la situation était
inverse : c’était plutôt l’enfant qui épiait les bruits que faisaient les
parents dans leur chambre. Si l’image de la maison baromètre, où tan-
tôt l’une des figurines est dedans et tantôt l’inverse, est la représenta-
tion des parents, ceux-ci sont toujours séparés. Contrairement au plai-
sir bruyant de l’étage des enfants, c’est un plaisir discret, maîtrisé, qui
s’exprime à l’étage du groupe d’adultes. Il est fait de timides sourires,
signes de connivence. Si on a plaisir, c’est un plaisir plutôt lié au dis-
cours, comme peut l’être, par exemple, ce moment privilégié où le
groupe est ensemble et adhère dans un mouvement de résonance à un
vécu ou à une interprétation.
On remarque en outre la dialectique entre le plaisir narcissique et
le plaisir inscrit dans une relation d’objet plus mature. D’un côté, un
plaisir en miroir : on ne peut offrir et avoir le plaisir d’offrir quelque
chose à l’autre que si c’est la même chose pour nous. L’autre est alors
en miroir, en symétrie avec un statut d’objet partiel. De l’autre côté, un
plaisir d’offrir à l’autre en ayant une représentation de celui-ci comme
distincte. C’est un stade d’altérité plus mature.
La séance suivante débute par un silence. Paul repense à certains
éléments de la semaine précédente. Pour lui, ce temps de silence est
nécessaire pour se calmer de la tourmente de son travail dans laquelle
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il est pris à l’extérieur et qui le fait arriver en toute hâte au groupe. Il


repense à l’image du baromètre. Il ne peut pas être à l’extérieur et gar-
der en même temps le contact avec son intérieur. Il a l’impression de
se perdre. Je ne peux être l’adulte efficace et responsable à l’extérieur
et en contact avec mes émotions intérieures. Pourquoi se sent-on indis-
pensable à son travail au point d’avoir tellement de peine à quitter le
bureau ? Je le relie au départ prochain d’un membre du groupe. René
dit que pour lui il n’y a pas de problème parce que le groupe est assez
grand. Par contre, si on arrivait à un groupe de quatre, alors là, cela res-
semblerait à la famille quand quelqu’un part et que l’on ressent la sépa-
ration. Puisqu’il prend l’analogie de la famille, quelqu’un lui demande
de désigner les parents et les enfants. Les rôles sont vite distribués dans
la rigolade, les fous rires. Tout le monde est soudain très excité. On
s’excuse auprès de l’analyste à qui on n’a pas donné un rôle. J’inter-
viens pour dire que l’on semble être aujourd’hui plus comme les
enfants du dessus de la dernière fois qui jouent à papa-maman. Mais
que c’est un peu compliqué en ma présence. Que faire de moi ? Il est

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en effet rare que les enfants jouent à papa-maman en présence de
l’adulte.
Georges, qui va quitter le groupe prochainement, se demande s’il
le quitte aussi car il ne peut pas être calife à la place du calife. André,
qui a été désigné comme le papa, se dit que c’est drôle qu’on l’ait
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choisi lui, alors qu’il évoque souvent sa difficulté avec l’image mas-
culine. Se sentir papa face aux enfants ça va, mais pas homme face à
une femme.
Mon but n’est pas de commenter tous les niveaux d’interprétations
possibles d’une telle séquence, comme l’aspect maniforme masquant
certainement la tristesse d’un prochain départ. J’aimerais surtout insis-
ter sur ce mouvement qui consiste en la possibilité pour les membres
du groupe, dans cette deuxième séance, de rejoindre plus directement
un vécu émotionnel en s’identifiant cette fois aux enfants. Ils peuvent
alors, grâce à l’espace ludique et au plaisir que celui-ci procure, laisser
affleurer plus directement une problématique œdipienne avec ses plai-
sirs et dangers. Ils se sont, en d’autres termes, réapproprié quelque
chose de leurs représentations infantiles.

L’HOMME, CET ANIMAL SOCIAL

Le mouvement décrit dans notre vignette clinique est important et


nous devons être attentifs, comme analystes de groupe, à le favoriser.
En effet, chez bon nombre de nos patients ce passage à l’âge dit mature
se fait au prix d’une maîtrise augmentée des pulsions sexuelles où pré-
dominent des mécanismes de répression plutôt que de sublimation. Le
prix dans l’économie psychique est alors exorbitant, puisqu’il va de
pair avec la perte du plaisir de jouer. L’enjeu d’une thérapie de groupe
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est de pouvoir restaurer cet espace transitionnel du jeu dont Winni-


cott 10 a si bien parlé. Cela se passe souvent par la possibilité, grâce à
la régression groupale, de renouer contact avec un monde pulsionnel
infantile qu’il s’agit de réactualiser dans le groupe.
Aborder la question du « plaisir en groupe », comme je l’ai fait
sous l’angle de la sexualité infantile, est bien entendu un point de vue
parcellaire sur le sujet. Le sentiment de plaisir en groupe est un ciment
de la vie groupale. À cet égard, il précède ou s’instaure de façon
concomitante à l’individuation et participe au processus de socialisa-
tion. Ce tropisme positif, qui nous amène à privilégier la compagnie de
nos semblables plutôt que l’ermitage solitaire en montagne, fait réfé-
rence à un plaisir ou besoin grégaire primitif. Il renvoie certainement à
des mécanismes d’identification basiques. Rentrent en jeu des méca-
nismes groupaux tels que le mirroring, ou le plaisir de l’autre devient
un miroir de son propre plaisir et ainsi le conforte et l’amplifie. Ce
plaisir partagé est à voir comme un accordage mutuel où chacun vibre
d’une même manière créant une valence positive, pour employer la ter-

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minologie de Bion. Celle-ci indique « la disposition de l’individu à
entrer en combinaison avec le reste du groupe pour établir les hypo-
thèses de base et pour y conformer son comportement 11 ». Plus récem-
ment, Avron a parlé de pulsion d’interliaison rythmique pour évoquer
cette force et insister sur son côté dynamique 12. Autrement dit, pour
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que ce phénomène de résonance fonctionne, il est nécessaire que tous


les participants soient dans le même registre affectif et s’accordent.
Sinon, l’individu qui ne partage pas cet état affectif risque de gâcher
l’harmonie du groupe. On le nomme d’ailleurs généralement le
« trouble-fête ». Il introduit une dissonance en cassant le mouvement
groupal de clivage en jeu à ce moment, dont le but consiste à mettre à
l’extérieur les éléments négatifs afin de créer une ambiance de plaisir
partagé et homogène la moins ambivalente possible. Nous connaissons
bien une des réponses groupales à l’intervention du « trouble-fête » ou
« rabat-joie » : elle consiste à transformer le « trouble-fête » en « bouc
émissaire ». Celui-ci est alors à expulser pour éviter le travail doulou-
reux d’une prise de conscience propre à une position plus ambivalente.
À évoquer ainsi cette dynamique, l’analogie avec l’objet maternel
primaire est évidente. Nostalgie du ventre utérin, d’une relation
d’amour primaire non ambivalente.
Mais ce plaisir partagé dans le lien aux autres est plus que la
simple analogie du lien primitif utérin où l’objet primaire maternel
serait déplacé sur le groupe. Cela renvoie certainement à un bagage
phylogénique qui fait a priori de l’homme un animal social. Raisonner

10. D.W. Winnicott, Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975.


11. W.R. Bion, Recherches sur les petits groupes, Paris, PUF, 1965, p. 77.
12. O. Avron, La pensée scénique, Toulouse, 1996.
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en termes de plaisir relié à une pulsion libidinale est donc parcellaire.


Cela ne rend pas compte des besoins de liaisons entre individus. Ainsi,
une pulsion de socialisation peut être évoquée, ce que Freud d’ailleurs
a fait mais sans y revenir 13. Ces « instincts archaïques de l’homme »,
pour reprendre une expression de I. Hermann 14, nous renvoient à la
théorie de la genèse de la relation d’objet, qui se réfère à un lien social
primaire expliquant la prédisposition au groupement. C’est en partant
de cette base que l’expérience des liens successifs de l’histoire infan-
tile propre à chacun va colorer cette appétence au groupe en les ren-
forçant ou les inhibant. Conceptualiser en termes de relations d’objets
ce mouvement vers le groupe nous amène cependant à une constata-
tion : la notion du plaisir est, à ma connaissance, absente dans la théo-
rie de l’attachement, en tout cas chez Bowlby 15. C’est davantage le
déplaisir, l’évitement du manque qui seraient le moteur du lien à l’ob-
jet. Or, il me semble aussi constructif d’avoir une lecture où l’effet de
la présence de l’objet est importante. Le lien intersubjectif constam-
ment renouvelé, cimenté par le plaisir joue le rôle de renforcement

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identitaire. Celui-ci se nourrit par l’effet de présence des objets tiers
dans un jeu d’identifications sans cesse renouvelées. Ainsi l’objet
groupe, comme source primaire de plaisir, est moteur d’une satisfac-
tion libidinale. Nous ne devons en effet pas perdre de vue l’articulation
entre une lecture en termes de relations d’objets et une autre en termes
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de pulsions.

EN GUISE DE CONCLUSION

J’ai choisi d’évoquer en le reliant à des exemples un aspect du


plaisir en groupe, en insistant sur son articulation avec les pulsions
sexuelles, tout en étant bien entendu conscient qu’il en existe d’autres.
Nous pouvons sans cesse remarquer le compromis nécessaire entre le
principe de réalité et celui du plaisir que nous impose toute socialisa-
tion, spécialement au moment où l’individu accède à un stade de matu-
rité sexuelle. À cette époque de l’adolescence se rejoue en effet un
moment charnière dont nous voyons les traces chez les patients qui
nous consultent. Ils nous présentent une palette de symptômes qui, pris
comme tentative de communication d’un discours inconscient, nous
montrent généralement un rapport difficile au plaisir. Je n’ai jamais, en
effet, été consulté par un patient se plaignant de trop de plaisir ! C’est
bien plus à un rapport à un plaisir absent, interdit, réprimé que nous
avons affaire. Le déplaisir semble à cet égard un moteur de recherche
plus puissant que le plaisir… dans notre domaine tout au moins !

13. S. Freud, Métapsychologie, Œuvres complètes, vol. XIII, PUF, 1988, p. 173.
14. I. Hermann, L’instinct filial, Paris, Denoël, 1972.
15. J. Bowlby, Attachement et perte, Paris, PUF, 1984.
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162 REVUE DE PSYCHOTHÉRAPIE PSYCHANALYTIQUE DE GROUPE 44

À cette souffrance, nous allons répondre, en fonction de notre for-


mation et de nos compétences, de différentes manières. Nous pourrons,
en tant que psychiatre, dans certaines circonstances, proposer une
médication dans le but d’améliorer par l’action pharmacologique cette
capacité mystérieuse qu’a l’individu à éprouver du désir et plaisir.
D’un point de vue psychothérapique, nous mettrons en place un cadre
spécifique qui nous permettra, nous l’espérons, d’induire un processus
psychothérapique. Le changement produit devrait amener le patient à
modifier son équilibre psychique vers un mieux-être. C’est l’occasion
de montrer que le passage par le groupe, si on le voit comme puissant
agent de plaisir, peut jouer un rôle central, en restaurant notamment
une dimension ludique enracinée dans l’infantile.

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