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TEXTE 1 : Le Mariage de Figaro, Beaumarchais (1778) la scène d’exposition

Le théâtre représente une chambre à demi démeublée ; un grand fauteuil de malade est au milieu. Figaro, avec
une toise, mesure le plancher. Suzanne attache à sa tête, devant une glace, le petit bouquet de fleurs d'orange, appelé
chapeau de la mariée.
Figaro, Suzanne

Figaro. Dix-neuf pieds sur vingt-six.


Suzanne. Tiens, Figaro, voilà mon petit chapeau : le trouves-tu mieux ainsi ?
Figaro lui prend les mains. Sans comparaison, ma charmante. Oh ! que ce joli bouquet virginal, élevé sur la tête d’une
belle fille, est doux, le matin des noces, à l’œil amoureux d’un époux !...
Suzanne se retire. Que mesures-tu donc là, mon fils ?
Figaro. Je regarde, ma petite Suzanne, si ce beau lit que monseigneur nous donne aura bonne grâce ici.
Suzanne. Dans cette chambre ?
Figaro. Il nous la cède.
Suzanne. Et moi je n’en veux point.
Figaro. Pourquoi ?
Suzanne. Je n’en veux point.
Figaro. Mais encore ?
Suzanne. Elle me déplaît.
Figaro. On dit une raison.
Suzanne. Si je n’en veux pas dire ?
Figaro. Oh ! quand elles sont sûres de nous !
Suzanne. Prouver que j’ai raison serait accorder que je puis avoir tort. Es-tu mon serviteur, ou non ?
Figaro. Tu prends de l’humeur contre la chambre du château la plus commode, et qui tient le milieu des deux
appartements. La nuit, si madame est incommodée, elle sonnera de son côté : zeste, en deux pas tu es chez elle.
Monseigneur veut-il quelque chose ? il n’a qu’à tinter du sien : crac, en trois sauts me voilà rendu.
Suzanne. Fort bien ! Mais quand il aura tinté, le matin, pour te donner quelque bonne et longue commission : zeste, en
deux pas il est à ma porte, et crac, en trois sauts…
Figaro. Qu’entendez-vous par ces paroles ?
Suzanne. Il faudrait m’écouter tranquillement.
Figaro. Eh ! qu’est-ce qu’il y a, bon Dieu ?
Suzanne. Il y a, mon ami, que, las de courtiser les beautés des environs, monsieur le comte Almaviva veut rentrer au
château, mais non pas chez sa femme : c’est sur la tienne, entends-tu ? qu’il a jeté ses vues, auxquelles il espère que
ce logement ne nuira pas. Et c’est ce que le loyal Basile, honnête agent de ses plaisirs, et mon noble maître à chanter,
me répète chaque jour en me donnant leçon.
Figaro. Basile ! ô mon mignon, si jamais volée de bois vert, appliquée sur une échine, a dûment redressé la moelle
épinière à quelqu’un…
Suzanne. Tu croyais, bon garçon, que cette dot qu’on me donne était pour les beaux yeux de ton mérite ?
Figaro. J’avais assez fait pour l’espérer.
Suzanne. Que les gens d’esprit sont bêtes !
Figaro. On le dit.
Suzanne. Mais c’est qu’on ne veut pas le croire !
Figaro. On a tort.
Suzanne. Apprends qu’il la destine à obtenir de moi, secrètement, certain quart d’heure, seul à seule, qu’un ancien
droit du seigneur… Tu sais s’il était triste !
Figaro. Je le sais tellement, que si monsieur le comte, en se mariant, n’eût pas aboli ce droit honteux, jamais je ne
t’eusse épousée dans ses domaines.
Suzanne. Eh bien ! s’il l’a détruit, il s’en repent ; et c’est de la fiancée qu’il veut le racheter en secret aujourd’hui.
Figaro, se frottant la tête. Ma tête s’amollit de surprise, et mon front fertilisé…
Suzanne. Ne le frotte donc pas !
Figaro. Quel danger ?
Suzanne, riant. S’il y venait un petit bouton, des gens superstitieux…
Figaro. Tu ris, friponne ! Ah ! s’il y avait moyen d’attraper ce grand trompeur, de le faire donner dans un bon piège, et
d’empocher son or !
Suzanne. De l’intrigue et de l’argent : te voilà dans ta sphère. […]
Explication linéaire Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, scène d'exposition

Beaumarchais… (1 phrase)
Le Mariage de Figaro est la deuxième pièce d’un triptyque imaginé par Beaumarchais en 1778, la première étant
Le Barbier de Séville paru en 1775 et la dernière La Mère coupable en 1792. La particularité de ces trois pièces,
c’est qu’elles comportent la plupart des mêmes personnages qui agissent à des périodes différentes comme une
série.
Figaro ouvre la scène d’exposition en compagnie d’un nouveau personnage féminin, Suzanne, la servante et
confidente de la Comtesse Almaviva. Le spectateur découvre qu’il est au matin du mariage entre Figaro et
Suzanne et il apprend également que le couple du Comte Almaviva et de la Comtesse Rosine, qui s’aimait
vraiment dans Le Barbier de Séville, est désormais dans une période de lassitude.

Lecture à haute voix de l’extrait : Je vais vous proposer une lecture de la scène.

Mon projet de lecture est : en quoi cette scène d’exposition remplit-elle ses fonctions ?

La progression de mon explication sera organisée de la façon suivante. J’évoquerai tout d’abord le dynamisme de
l’ouverture, du début de la scène jusqu’à « crac, en trois sauts me voilà rendu », ensuite le duo Suzanne/ Figaro
en analysant de « Fort bien, quand il aura tinté » jusqu’à « on a tort ». Enfin, la dernière partie du passage, de «
Apprends » jusqu’à la fin avec la dénonciation des privilèges et la célébration de l’amour.

1 - L’ouverture est dynamique car c’est le matin d’une « folle journée » de mariage.

La didascalie marque clairement le cadre spatio-temporel « chambre à demi-démeublée » = la condition sociale du


valet, « un grand fauteuil de malade » « une glace » → Les objets clairement identifiables remplacent le lit absent
= symboliquement, le mariage n’a pas été encore consommé.
Deux conceptions différentes du mariage selon Figaro (l'homme) et Suzanne (la femme) : Figaro mesure /
Suzanne ajuste son chapeau (comique de geste) (Figaro se préoccupe du plaisir en prenant des mesures pour le
lit Suzanne se préoccupe de son apparence et s'attache davantage aux sentiments.

CCLieu « dix-neuf pieds sur vingt-six » « ici » « dans cette chambre » « la chambre la plus commode et qui tient le
milieu des deux appartements » « à ma porte » « au château » « ce logement » →la chambre se situe au centre
de l’espace tout comme l’amour de Figaro et Suzanne va être au centre de l’intrigue. Il existe DONC un lien très
fort Maître/ valet car les histoires de Figaro/Suzanne vont se retrouver mêlées à celles du Comte et de la
Comtesse.

CCTemps « le matin de mes noces » → l’action débute au matin, juste avant les noces et rappelle le deuxième
titre de la pièce « la folle journée ».

Un début « in medias res » = Stichomythies sur plusieurs répliques → renforcent le dynamisme


Interrogatif de Suzanne « Que mesures-tu donc là » → permet d’entrer aussitôt dans le vif du sujet
Tournures négatives de Suzanne forment une accumulation « je n’en veux point », « je n’en veux pas dire » →
suspense qui va crescendo, le spectateur attend avec impatience la découverte de l’intrigue.
Parallélisme « prouver que j’ai raison… » → Suzanne manie les mots avec beaucoup de finesse, elle a du bon
sens et de la répartie.

La chambre comme symbole de l’intrigue = le superlatif de supériorité « la plus commode » → est dissonant avec
l’adjectif « incommodée » qui caractérise la Comtesse dans la réplique de Figaro. Cette dissonance PROUVE LES
LIENS entre les deux couples mais aussi LES DIFFERENCES entre l’amour naissant et l’amour qui
s’essouffle.

L’onomatopée « crac » et le CCManière « en trois sauts » → PROUVENT LA PROXIMITE entre les deux
chambres, proximité justement au cœur de l’intrigue, l’intimité du Comte voulant déborder sur l’intimité de
Suzanne.

Futur antérieur de L’INDICATIF « il aura tinté » → Suzanne rend la MENACE CERTAINE et dévoile l’intrigue.

2 - Le duo Suzanne/ Figaro


Naïveté de Figaro, normalement rusé → phrases interrogatives « Qu’entendez-vous par ces paroles »+
vouvoiement soudain pour s’adresser à Suzanne → Figaro est surpris. Lui, si rusé, si habile et qui apparaissait
avec sa toise au début de la pièce comme s’il tenait un instrument de pouvoir est désormais décontenancé.

Phrase exclamative + interjection+ blasphème « Eh ! qu’est-ce qu’il y a bon Dieu ! » → emportement de Figaro qui
ne maîtrise plus du tout la situation
Clairvoyance de Suzanne, normalement innocente → Conditionnel présent « Il faudrait » = Suzanne donne les
conseils CAR DESORMAIS LES ROLES S’INVERSENT.

La construction syntaxique avec le point-virgule met en opposition le CCLieu « chez sa femme » avec le CCLieu «
sur la tienne » qui peut, l’espace d’un moment paraître grivois car la relative qui fait sens « qu’il a jeté ses vues »
n’arrive qu’avec retard → Suzanne révèle le véritable visage du Comte.

Périphrase « l’honnête agent de ses plaisirs » + antiphrase « mon noble maître à chanter » contrastent avec
l’adjectif « loyal » → Suzanne est DONC ironique et Bazile est DONC un imposteur. La grande finesse de Suzanne
avec un jeu de mot sur « Maître à chanter » puisque Bazile donne des cours de chant mais aussi du chantage à
Suzanne.

Imparfait « tu croyais » + PQParfait « j’avais fait » → Figaro comprend qu’il s’était enfermé dans ses certitudes. Il
évoque l’époque du Barbier de Séville où il était toujours triomphant.
Phrase exclamative au présent de vérité générale « que les gens d’esprit sont bêtes » → l’ironie de Suzanne qui
taquine gentiment Figaro et sa naïveté.

3 - La dénonciation des privilèges… et le début de cette « folle journée »

Présent de l’impératif « Apprends » au début de la réplique de Suzanne → le spectateur est dans la confidence et
révèle l’un des thèmes de la pièce.
Ch lex du droit « un ancien droit du Seigneur » « aboli ce droit honteux » VS « le racheter » et « en secret » → les
mots « ancien droit » et « aboli » évoquent ce privilège révolu MAIS « racheter » et le CCManière « en secret » →
le Comte ne respecte pas ses engagements !
Déterminant possessif « ta » → Suzanne insiste sur le fait qu’elle se donne à Figaro et non au Comte DONC faire
des avances à Suzanne reviendrait à vouloir le voler.
« Monseigneur » « Monsieur le Comte Almaviva » « Monsieur le Comte » VS « grand trompeur » → glissement
des désignations, Figaro très respectueux VS expression à l’extrême opposée.
« De l’intrigue et de l’or » → didascalie « se frottant le front » + la métaphore « mon front fertilisé » + les points de
suspension → Figaro prépare déjà son plan. DONC le spectateur sait que le deuxième thème de cette pièce est
Comment le rusé Figaro parviendra-t-il à s’extraire de cette situation ?
Ch lex de la ruse « attraper » « piège » « empocher de l’or » + exclamative + l’équation de Suzanne « de l’intrigue
et de l’or, te voilà dans ta sphère » → Figaro reste LE personnage principal de la pièce.

Pour conclure en revenant précisément à mon projet de lecture qui est « en quoi cette scène d’exposition
remplit-elle ses fonctions ? » , je dirai que

3 phrases très claires de 2 lignes…

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